Un bon petit diable/4

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Hachette (p. 43-56).
IV


le fouet, le parafouet


Pendant que se passait ce que nous venons de raconter, Charles était allé chercher du calme près de sa cousine et amie Juliette ; il l’avait trouvée seule comme il l’avait laissée ; il lui raconta le peu de succès de son bon mouvement, et le moyen qu’il avait employé pour se préserver d’une rude correction.

juliette.

Mon pauvre Charles, tu as eu très grand tort ; il ne faut jamais faire à ta cousine des menaces si affreuses, et que tu sais bien ne pas pouvoir exécuter.

charles.

Je l’aurais parfaitement exécutée ; j’étais prêt à mettre le feu aux rideaux, et j’étais très décidé à le faire.

juliette.

Oh ! Charles, je ne te croyais pas si mauvais ! Et qu’en serait-il arrivé ? On t’aurait mis dans une prison, où tu serais resté jusqu’à seize ou dix-huit ans.

charles.

En prison ! Quelle folie !

juliette.

Oui, mon ami, en prison ; on a condamné pour incendie volontaire des enfants plus jeunes que toi !

charles.

Je ne savais pas cela ! C’est bien heureux que tu me l’aies dit, car j’aurais recommencé à la première occasion.

juliette.

Oh non ! tu n’aurais pas recommencé, d’abord par amitié pour moi, et puis parce que Betty aurait caché toutes les allumettes et ne t’aurait pas laissé faire.

charles.

Betty ! Elle déteste ma cousine ; elle est enchantée quand je lui joue des tours.

juliette.

C’est bien mal à Betty de t’encourager à mal faire. »

Ils continuèrent à causer, Juliette cherchant toujours à calmer Charles, lorsque Betty entra.

« Je viens te chercher, Charlot, de la part de ta cousine qui est joliment en colère, va. Bonjour, Mam’selle Juliette ; que dites-vous de notre mauvais sujet ?

juliette.

Je dis que vous pourriez lui faire du bien en lui donnant de bons conseils, Betty ; il doit à sa cousine du respect et de la soumission.

betty.

Elle est bien mauvaise, allez, Mam’selle !

juliette.

C’est fort triste ; mais elle est tout de même sa tutrice ; c’est elle qui l’élève…

charles.

Ah ! ouiche ! Elle m’élève joliment ! Depuis que je sais lire, écrire et compter, elle ne me laisse plus aller à l’école parce qu’elle prétend avoir les yeux malades ; elle me garde chez elle pour lire haut, pour écrire ses lettres, faire ses comptes, et toute la journée comme ça.

juliette.

Cela t’apprend toujours quelque chose, et ce n’est pas déjà si ennuyeux.

charles.

Quelquefois non ; ainsi, elle me fait lire à présent Nicolas Nickleby ; c’est amusant, je ne dis pas ; mais quelquefois c’est le journal, qui est assommant, ou l’histoire de France, d’Angleterre ; je m’endors en lisant ; et sais-tu comment elle m’éveille ? En me piquant la figure avec ses grandes aiguilles à tricoter. Crois-tu que ce soit amusant ?

juliette.

Non, ce n’est pas amusant, mais ce n’est pas une raison pour te mettre en colère et te venger, comme tu le fais sans cesse.

betty.

Je vous assure, Mam’selle, que si vous étiez avec nous, vous n’aimeriez guère Mme Mac’Miche, quoiqu’elle soit votre cousine aussi, mais je crois que vous nous aideriez à…, à…, comment dire ça ?…

juliette, souriant.

À vous venger, Betty mais en vous vengeant, vous l’irritez davantage et vous la rendez plus sévère.

charles.

Plus méchante, tu veux dire.

juliette.

Non ; pas méchante, mais toujours en méfiance de toi et en colère, par conséquent. Essayez tous les deux de supporter ses maussaderies sans répondre, en vous soumettant : vous verrez qu’elle sera meilleure… Tu ne réponds pas, Charles ? Je t’en prie.

charles.

Ma bonne Juliette, je ne peux rien te refuser ; j’essayerai, je te le promets ; mais si, au bout d’une semaine, elle reste la même, je recommencerai.

juliette.

C’est bon ; commence par obéir à ta cousine et par t’en aller ; arrive bien gentiment en lui disant quelque chose d’aimable. »

Charles se leva, embrassa Juliette, soupira et s’en alla accompagné de Betty. Il ne dit rien tout le long du chemin ; il cherchait à se donner du courage et de la douceur, en se rappelant tout ce que Juliette lui avait dit à ce sujet.

Il arriva et entra chez sa cousine.
madame mac’miche.

Ah ! te voilà enfin, petit scélérat ! Approche,… plus près… »

À sa grande surprise, Charles obéit, les yeux baissés, l’air soumis. Quand il fut à sa portée, elle le saisit par l’oreille ; Charles ne lutta pas ; enhardie par sa soumission, elle prit une baguette et lui en donna un coup fortement appliqué, puis deux, puis trois, sans que Charles fît mine de résister ; elle profita de cette docilité si nouvelle pour abuser de sa force et de son autorité ; elle le jeta par terre et lui donna le fouet en règle, au point d’endommager sa culotte, déjà en mauvais état. Charles supporta cette rude correction sans proférer une plainte.

« Va-t’en, mauvais sujet, s’écria-t-elle quand elle se sentit le bras fatigué de frapper ; va-t’en, que je ne te voie pas ! »

Charles se releva et sortit sans mot dire, le cœur gonflé d’une colère qu’il comprimait difficilement. Il courut dans sa chambre pour donner un libre cours aux sanglots qui l’étouffaient. Il se roula sur son lit, mordant ses draps pour arrêter les cris d’humiliation et de rage qui s’échappaient de sa poitrine. Quand le premier accès de douleur fut passé, il se souvint de la douce Juliette, de ses bonnes paroles, de ses excellents conseils ; après quelques instants de réflexion, ses sentiments s’adoucirent ; à la colère furieuse succéda une grande satisfaction de conscience ; il se sentit heureux et fier d’avoir pu se contenir, de n’avoir pas fait usage de ses moyens habituels de défense contre sa cousine, d’avoir tenu la promesse que lui avait enfin arrachée Juliette, et qu’il résolut de tenir jusqu’au bout. Entièrement calmé par cette courageuse résolution, il descendit chez Betty, à la cuisine.

betty.

Eh bien ! que t’a dit, que t’a fait ta cousine, mon pauvre Charlot ? Je n’ai rien entendu ; elle ne s’est donc pas fâchée ?

charles.

Elle l’était déjà quand je suis arrivé ; et je t’assure qu’elle me l’a bien prouvé par les coups qu’elle m’a donnés.

betty.

Et toi ?

charles.

Je me suis laissé faire.

betty, surprise.

Le premier t’aura surpris, et tu ne t’es pas méfié du second. Mais après ?

charles.

Je l’ai laissée faire ; elle m’a jeté par terre, m’a roulé, m’a battu avec une baguette qui n’était pas de paille ni de plume, je t’en réponds.

betty.

Et toi ?

charles.

J’ai attendu qu’elle eût fini ; quand elle a été lasse de frapper, je me suis relevé, je suis allé dans ma chambre, où je m’en suis donné, par exemple, à sangloter et à crier, mais de rage plus que de douleur, je dois l’avouer ; puis j’ai pensé à Juliette ; le souvenir de sa douceur a fait passer ma colère, et je suis venu te demander si tu ne pourrais pas me donner quelque vieux morceau de quelque chose pour doubler le fond de ma culotte ; elle a tapé si fort, que si la fantaisie lui prenait de recommencer, elle m’enlèverait la peau.

betty, indignée.

Pauvre garçon ! Mauvaise femme ! Faut-il être méchante ! Un malheureux orphelin ! qui n’a personne pour le défendre, pour le recueillir. »

Betty se laissa tomber sur une chaise et pleura amèrement. Cette preuve de tendresse émut si bien Charles, qu’il se mit à pleurer de son côté, assis près de Betty. Au bout d’un instant il se releva.

« Aïe, dit-il, je ne peux pas rester assis ; je souffre trop. »

Betty se leva aussi, essuya ses yeux, étala sur un linge une couche de chandelle fondue, et, le présentant à Charles :

« Tiens, mon Charlot, mets ça sur ton mal, et demain tu n’y penseras plus. Attache la serviette avec une épingle, pour qu’elle tienne, et demain nous tâcherons de trouver quelque chose pour amortir les coups de cette méchante cousine. C’est qu’elle y prendra goût, voyant que tu te laisses faire ! Je crains, moi, que Mlle Juliette ne t’ait donné un triste conseil.

charles.

Non, Betty, il est bon ; je sens qu’il est bon ; j’ai le cœur content, c’est bon signe. »

Charles appliqua le cataplasme de Betty, se sentit immédiatement soulagé, et retourna chez Juliette, sa consolatrice, son conseil et son soutien. En passant par la cuisine, il vit Betty occupée à coudre ensemble deux visières en cuit vernis provenant des vieilles casquettes de son cousin Mac’Miche ; il lui demanda ce qu’elle faisait.

« Je te prépare une cuirasse pour demain, mon pauvre Charlot ; quand tu seras couché, je te bâtirai cela dans ton pantalon. »

Charles rit de bon cœur de ce parafouet, fut enchanté de l’invention de Betty, et allait sortir, lorsqu’il s’entendit appeler par la voix aigre de sa cousine. Betty se signa ; Charles soupira et monta de suite.

madame mac’miche.

Venez lire, mauvais sujet ; allons, vite, prenez votre livre.

Charles prit le livre, s’assit avec précaution sur le bord de sa chaise, et commença sa lecture. Mme Mac’Miche le regardait avec surprise et méfiance.

« Il y a quelque chose là-dessous, se disait-elle, quelque méchanceté qu’il prépare et qu’il dissimulé sous une feinte douceur. Il n’a jamais été si docile ; c’est la première fois qu’il se laisse battre sans résistance. Qu’est-ce ? Je n’y comprends rien. Mais s’il continue de même, ce sera une bénédiction de lui administrer le fouet, et comme c’est le meilleur moyen d’éducation, je l’emploierai souvent… Et pourtant… »

Charles lisait toujours pendant que sa cousine réfléchissait au lieu d’écouter ; au moment où sa voix fatiguée commençait à faiblir, il fut interrompu par le juge de paix.

« Peut-on entrer, Madame Mac’Miche ? Êtes-vous visible ?

— Toujours pour vous, Monsieur le juge. Très flattée de votre visite. Charles, donne un fauteuil à M. le juge. »

Charles se leva, ne put retenir un geste de douleur et un aïe ! étouffé.

« Qu’as-tu donc, mon ami ? tu marches péniblement comme si tu souffrais de quelque part », lui dit le juge.

Mme Mac’Miche devint pourpre, s’agita sur son fauteuil, et dit à Charles de se dépêcher et de s’en aller.

Mais Charles, qui n’était pas encore passé à l’état de douceur et de charité parfaite que lui prêchait Juliette, ne fut pas fâché d’avoir l’occasion de révéler au juge les mauvais traitements de sa cousine.

charles.

Je crois bien, Monsieur le juge, que je souffre ; ma cousine m’a tant battu avec la baguette que voilà près d’elle, que j’en suis tout meurtri.

— Madame Mac’Miche ! dit le juge avec sévérité.

madame mac’miche.

Ne l’écoutez pas, Monsieur le juge, ne le croyez pas. Il ment du matin au soir.

charles.

Vous savez bien, ma cousine, que je ne mens pas, que vous m’avez battu comme je le dis ; et c’est si vrai, que Betty m’a mis un cataplasme de chandelle ; voulez-vous que je vous le fasse dire par elle ? Cette pauvre Betty en pleurait.

— Madame Mac’Miche, reprit le juge, vous savez que les mauvais traitements sont interdits par la loi, et que vous vous exposez…

madame mac’miche.

Soyez donc tranquille, Monsieur le juge ; je l’ai fouetté, c’est vrai, parce qu’il voulait mettre le feu à la maison ce matin ; vous ne savez pas ce que c’est que ce garçon ! Méchant, colère, menteur, paresseux, entêté ; enfin, tous les vices il les a.

le juge.

Ce n’est pas une raison pour le battre au point de gêner ses mouvements. Prenez garde, Madame Mac’Miche, on m’a déjà dit quelque chose là-dessus, et si les plaintes se renouvellent, je serai obligé d’y donner suite. »

Mme Mac’Miche était vexée ; Charles triomphait : ses bons sentiments s’étaient déjà évanouis, et il forma l’horrible résolution d’agacer sa cousine pour la mettre hors d’elle, se faire battre encore, et, au moyen de Betty, aposter des témoins qui iraient porter plainte au juge.

« Je n’en serai pas plus malade, pensa-t-il, grâce aux visières de mon cousin défunt, et elle sera appelée devant le tribunal, qui la jugera et la condamnera. Si on pouvait la condamner à être fouettée à son tour, que je serais content, que je serais donc content !… Et Juliette ! Que me dira-t-elle, que pensera-t-elle ?… Ah bah ! j’ai promis à Juliette de ne pas être insolent avec ma cousine, de ne pas lui résister, mais je n’ai pas promis de ne pas chercher à la corriger ; puisque ma cousine trouve que me maltraiter c’est me corriger et me rendre meilleur, elle doit penser de même pour elle, qui est cent fois plus méchante que je ne le suis. »