Un hiver à Majorque/Chapitre 10

La bibliothèque libre.
◄  II.
IV.  ►

III.

Chargé par Napoléon de la mesure du méridien, M. Arago était, en 1803, à Majorque, sur la montagne appelée le Clot de Galatzo, lorsqu’il reçut la nouvelle des événements de Madrid et de l’enlèvement de Ferdinand. L’exaspération des habitants de Majorque fut telle alors qu’ils s’en prirent au savant français, et se dirigèrent en foule vers le Clot de Galatzo pour le tuer.

Cette montagne est située au-dessus de la côte où descendit Jaime ier lorsqu’il conquit Majorque sur les Maures ; et comme M. Arago y faisait souvent allumer des feux pour son usage, les Majorquins s’imaginèrent qu’il faisait des signaux à une escadre française portant une armée de débarquement.

Un de ces insulaires nommé Damian, maître de timonerie sur le brick affecté par le gouvernement espagnol aux opérations de la mesure du méridien, résolut d’avertir M. Arago du danger qu’il courait. Il devança ses compatriotes, et lui porta en toute hâte des habits de marin pour le déguiser.

M. Arago quitta aussitôt sa montagne et se rendit à Palma. Il rencontra en chemin ceux-là mêmes qui allaient pour le mettre en pièces, et qui lui demandèrent des renseignements sur le maudit gabacho dont ils voulaient se défaire. Parlant très bien la langue du pays, M. Arago répondit à toutes leurs questions, et ne fut pas reconnu.

En arrivant à Palma, il se rendit à son brick ; mais le capitaine don Manoel de Vacaro, qui jusque là avait toujours déféré à ses ordres, refusa formellement de le conduire à Barcelone, et ne lui offrit à son bord pour tout refuge qu’une caisse dans laquelle, vérification faite, M. Arago ne pouvait tenir.

Le lendemain, un attroupement menaçant s’étant formé sur le rivage, le capitaine Vacaro avertit M. Arago qu’il ne pouvait plus désormais répondre de sa vie ; ajoutant, sur l’avis du capitaine général, qu’il n’y avait pour lui d’autre moyen de salut que d’aller se constituer prisonnier dans le fort de Belver. On lui fournit à cet effet une chaloupe sur laquelle il traversa la rade. Le peuple s’en aperçut, et, s’élançant à sa poursuite, allait l’atteindre au moment où les portes de la forteresse se fermèrent sur lui.

M. Arago resta deux mois dans cette prison, et le capitaine général lui fit dire enfin qu’il fermerait les yeux sur son évasion. Il s’échappa donc par les soins de M. Rodriguez, son associé espagnol dans la mesure du méridien.

Le même Majorquin Damian, qui lui avait sauvé la vie au Clot de Galatzo, le conduisit à Alger sur une barque de pêcheur, ne voulant à aucun prix débarquer en France ou en Espagne.

Durant sa captivité, M. Arago avait appris des soldats suisses qui le gardaient, que des moines de l’île leur avaient promis de l’argent s’ils voulaient l’empoisonner.

En Afrique, notre savant eut bien d’autres revers, auxquels il échappa d’une façon encore plus miraculeuse ; mais ceci sortirait de notre sujet, et nous espérons qu’un jour il écrira cette intéressante relation.


Au premier abord, la capitale majorquine ne révèle pas tout le caractère qui est en elle. C’est en la parcourant dans l’intérieur, en pénétrant le soir dans ses rues profondes et mystérieuses, qu’on est frappé du style élégant et de la disposition originale de ses moindres constructions. Mais c’est surtout du côté du nord, lorsqu’on y arrive de l’intérieur des terres, qu’elle se présente avec toute sa physionomie africaine.

M. Laurens a senti cette beauté pittoresque, qui n’eût point frappé un simple archéologue, et il a retracé un des aspects qui m’avait le plus pénétré par sa grandeur et sa mélancolie ; c’est la partie du rempart sur laquelle s’élève, non loin de l’église de Saint-Augustin, un énorme massif carré sans autre ouverture qu’une petite porte cintrée.

Un groupe de beaux palmiers couronne cette fabrique, dernier vestige d’une forteresse des templiers, premier plan, admirable de tristesse et de nudité, au tableau magnifique qui se déroule au bas du rempart, la plaine riante et fertile terminée au loin par les montagnes bleues de Valdemosa. Vers le soir, la couleur de ce paysage varie d’heure en heure en s’harmonisant toujours de plus en plus ; nous l’avons vu au coucher du soleil d’un rose étincelant, puis d’un violet splendide, et puis d’un lilas argenté, et enfin d’un bleu pur et transparent à l’entrée de la nuit.

M. Laurens a dessiné plusieurs autres vues prises des remparts de Palma.

« Tous les soirs, dit-il, à l’heure où le soleil colore vivement les objets, j’allais lentement par le rempart, m’arrêtant à chaque pas pour contempler les heureux accidents qui résultaient de l’arrangement des lignes des montagnes ou de la mer avec les sommités des édifices de la ville.

« Ici, le talus intérieur du rempart était garni d’une effrayante haie d’aloès d’où sortaient par centaines ces hautes tiges dont l’inflorescence rappelle si bien un candélabre monumental. Au delà, des groupes de palmiers s’élevaient dans les jardins au milieu des figuiers, des cactus, des orangers et des ricins arborescents ; plus loin apparaissaient des belvédères et des terrasses ombragées de vignes ; enfin, les aiguilles de la cathédrale, les clochers et les dômes des nombreuses églises se détachaient en silhouettes sur le fond pur et lumineux du ciel. »

Une autre promenade dans laquelle les sympathies de M. Laurens ont rencontré les miennes, c’est celle des ruines du couvent de Saint-Dominique.

Au bout d’un berceau de vigne soutenu par des piliers de marbre se trouvent quatre grands palmiers que l’élévation de ce jardin en terrasse fait paraître gigantesques, et qui font vraiment partie, à cette hauteur, des monuments de la ville avec lesquels leur cime se trouve de niveau. À travers leurs rameaux on aperçoit le sommet de la façade de Saint-Étienne, la tour massive de la célèbre horloge baléarique[1], et la tour de l’Ange du Palacio-Real.

Ce couvent de l’inquisition, qui n’offre plus qu’un monceau de débris, où quelques arbrisseaux et quelques plantes aromatiques percent çà et là les décombres, n’est pas tombé sous la main du temps. Une main plus prompte et plus inexorable, celle des révolutions, a renversé et presque mis en poudre, il y a peu d’années, ce monument que l’on dit avoir été un chef-d’œuvre, et dont les vestiges, les fragments de riche mosaïque, quelques arcs légers encore debout et se dressant dans le vide comme des squelettes, attestent du moins la magnificence.

C’est un grand sujet d’indignation pour l’aristocratie palmesane, et une source de regrets bien légitimes pour les artistes, que la destruction de ces sanctuaires de l’art catholique dans toute l’Espagne. Il y a dix ans, peut-être eussé-je été, moi aussi, plus frappé du vandalisme de cette destruction que de la page historique dont elle est la vignette.

Mais, quoiqu’on puisse avec raison, comme le fait M. Marliani dans son Histoire politique de l’Espagne moderne, déplorer le côté faible et violent à la fois des mesures que ce décret devait entraîner, j’avoue qu’au milieu de ces ruines je sentais une émotion qui n’était pas la tristesse que les ruines inspirent ordinairement. La foudre était tombée là, et la foudre est un instrument aveugle, une force brutale comme la colère de l’homme ; mais la loi providentielle qui gouverne les éléments et préside à leurs apparents désordres sait bien que les principes d’une vie nouvelle sont cachés dans la cendre des débris. Il y eut dans l’atmosphère politique de l’Espagne, le jour où les couvents tombèrent, quelque chose d’analogue à ce besoin de renouvellement qu’éprouve la nature dans ses convulsions fécondes.

Je ne crois pas ce qu’on m’a dit à Palma, que quelques mécontents avides de vengeances ou de dépouilles aient consommé cet acte de violence à la face de la population consternée. Il faut beaucoup de mécontents pour réduire ainsi en poussière une énorme masse de bâtiments, et il faut qu’il y ait bien peu de sympathies dans une population pour qu’elle voie ainsi accomplir un décret contre lequel elle protesterait dans son cœur.

Je crois bien plutôt que la première pierre arrachée du sommet de ces dômes fit tomber de l’âme du peuple en sentiment de crainte et de respect qui n’y tenait pas plus que le clocher monacal sur sa base ; et que chacun, sentant remuer ses entrailles par une impulsion mystérieuse et soudaine, s’élança sur le cadavre avec un mélange de courage et d’effroi, de fureur et de remords. Le monachisme protégeait bien des abus et caressait bien des égoïsmes ; la dévotion est bien puissante en Espagne, et sans doute plus d’un démolisseur se repentit et se confessa le lendemain au religieux qu’il venait de chasser de son asile. Mais il y a dans le cœur de l’homme le plus ignorant et le plus aveugle quelque chose qui le fait tressaillir d’enthousiasme quand le destin lui confère une mission souveraine.

Le peuple espagnol avait bâti de ses deniers et de ses sueurs ces insolents palais du clergé régulier, à la porte desquels il venait recevoir depuis des siècles l’obole de la mendicité fainéante et le pain de l’esclavage intellectuel. Il avait participé à ses crimes, il avait trempé dans ses lâchetés. Il avait élevé les bûchers de l’inquisition. Il avait été complice et délateur dans les persécutions atroces dirigées contre des races entières qu’on voulait extirper de son sein. Et quand il eut consommé la ruine de ces juifs qui l’avaient enrichi, quand il eut banni ces Maures auxquels il devait sa civilisation et sa grandeur, il eut pour châtiment céleste la misère et l’ignorance. Il eut la persévérance et la piété de ne pas s’en prendre à ce clergé, son ouvrage, son corrupteur et son fléau. Il souffrit longtemps, courbé sous ce joug façonné de ses propres mains. Et puis, un jour, des voix étranges, audacieuses, firent entendre à ses oreilles et à sa conscience des paroles d’affranchissement et de délivrance. Il comprit l’erreur de ses ancêtres, rougit de son abaissement, s’indigna de sa misère, et malgré l’idolâtrie qu’il conservait encore pour les images et les reliques, il brisa ces simulacres, et crut plus énergiquement à son droit qu’à son culte.

Quelle est donc cette puissance secrète qui transporta tout d’un coup le dévot prosterné, au point de tourner son fanatisme d’un jour contre les objets de l’adoration de toute sa vie ? Ce n’est, à coup sûr, ni le mécontentement des hommes, ni l’ennui des choses. C’est le mécontentement de soi-même, c’est l’ennui de sa propre timidité.

Et le peuple espagnol fut plus grand qu’on ne pense ce jour-là. Il accomplit un fait décisif, et s’ôta à lui-même les moyens de revenir sur sa détermination, comme un enfant qui veut devenir homme, et qui brise ses jouets, afin de ne plus céder à la tentation de les reprendre.

Quant à don Juan Mendizabal (son nom vaut bien la peine d’être prononcé à propos de tels événements), si ce que j’ai appris de son existence politique m’a été fidèlement rapporté, ce serait plutôt un homme de principes qu’un homme de faits, et, selon moi, c’est le plus bel éloge qu’on puisse faire de lui. De ce que cet homme d’État aurait trop présumé de la situation intellectuelle de l’Espagne en de certains jours, et trop douté en de certains autres, de ce qu’il aurait pris parfois des mesures intempestives ou incomplètes, et semé son idée sur des champs stériles où la semence devait être étouffée ou dévorée, c’est peut-être une raison suffisante pour qu’on lui dénie l’habileté d’exécution et la persistance de caractère nécessaires au succès immédiat de ses entreprises ; mais ce n’en est pas une pour que l’histoire, prise d’un point de vue plus philosophique qu’on ne le fait ordinairement, ne le signale un jour comme un des esprits les plus généreux et les plus ardemment progressifs de l’Espagne[2].

Ces réflexions me vinrent souvent parmi les ruines des couvents de Majorque, lorsque j’entendais maudire son nom, et qu’il n’était peut-être pas sans inconvénient pour nous de le prononcer avec éloge et sympathie. Je me disais alors qu’en dehors des questions politiques du moment, pour lesquelles il m’est bien permis de n’avoir ni goût ni intelligence, il y avait un jugement synthétique que je pouvais porter sur les hommes et même sur les faits, sans crainte de m’abuser. Il n’est pas si nécessaire qu’on le croit et qu’on le dit de connaître directement une nation, d’en avoir étudié à fond les mœurs et la vie matérielle, pour se faire une idée droite, et concevoir un sentiment vrai de son histoire, de son avenir, de sa vie morale en un mot. Il me semble qu’il y a dans l’histoire générale de la vie humaine une grande ligne à suivre et qui est la même pour tous les peuples, et à laquelle se rattachent tous les fils de leur histoire particulière. Cette ligne, c’est le sentiment et l’action perpétuelle de l’idéal, ou, si l’on veut, de la perfectibilité, que les hommes ont porté en eux-mêmes, soit à l’état d’instinct aveugle, soit à l’état de théorie lumineuse. Les hommes vraiment éminents l’ont tous ressenti et pratiqué plus ou moins à leur manière, et les plus hardis, ceux qui en ont eu la plus lucide révélation, et qui ont frappé les plus grands coups dans le présent pour hâter le développement de l’avenir, sont ceux que les contemporains ont presque toujours le plus mal jugés. On les a flétris et condamnés sans les connaître, et ce n’est qu’en recueillant le fruit de leur travail qu’on les a replacés sur le piédestal d’où quelques déceptions passagères, quelques revers incompris les avaient fait descendre.

Combien de noms fameux dans notre révolution ont été tardivement et timidement réhabilités ! et combien leur mission et leur œuvre sont encore mal comprises et mal développées ! En Espagne, Mendizabal a été un des ministres les plus sévèrement jugés, parce qu’il a été le plus courageux, le seul courageux peut-être ; et l’acte qui marque sa courte puissance d’un souvenir ineffaçable, la destruction radicale des couvents, lui a été si durement reproché, que j’éprouve le besoin de protester ici en faveur de cette audacieuse résolution et de l’enivrement avec lequel le peuple espagnol l’adopta et la mit en pratique.

Du moins c’est le sentiment dont mon âme fut remplie soudainement à la vue de ces ruines que le temps n’a pas encore noircies, et qui, elles aussi, semblent protester contre le passé et proclamer le réveil de la vérité chez le peuple. Je ne crois pas avoir perdu le goût et le respect des arts, je ne sens pas en moi des instincts de vengeance et de barbarie ; enfin je ne suis pas de ceux qui disent que le culte du beau est inutile, et qu’il faut dégrader les monuments pour en faire des usines ; mais un couvent de l’inquisition rasé par le bras populaire est une page de l’histoire tout aussi grande, tout aussi instructive, tout aussi émouvante qu’un aqueduc romain ou un amphithéâtre. Une administration gouvernementale qui ordonnerait de sang-froid la destruction d’un temple, pour quelque raison d’utilité mesquine ou d’économie ridicule, ferait un acte grossier et coupable ; mais un chef politique qui, dans un jour décisif et périlleux, sacrifie l’art et la science à des biens plus précieux, la raison, la justice, la liberté religieuse, et un peuple qui, malgré ses instincts pieux, son amour pour la pompe catholique et son respect pour ses moines, trouve assez de cœur et de bras pour exécuter ce décret en un clin d’œil, font comme l’équipage battu de la tempête, qui se sauve en jetant ses richesses à la mer.

Pleure donc qui voudra sur les ruines ! Presque tous ces monuments dont nous déplorons la chute sont des cachots où a langui durant des siècles, soit l’âme, soit le corps de l’humanité. Et viennent donc des poètes qui, au lieu de déplorer la fuite des jours de l’enfance du monde, célèbrent dans leurs vers, sur ces débris de hochets dorés et de férules ensanglantées, l’âge viril qui a su s’en affranchir ! Il y a de bien beaux vers de Chamisso sur le château de ses ancêtres rasé par la révolution française. Cette pièce se termine par une pensée très-neuve en poésie, comme en politique :

« Béni sois-tu, vieux manoir, sur qui passe maintenant le soc de la charrue ! et béni soit celui qui fait passer la charrue sur toi ! »

Après avoir évoqué le souvenir de cette belle poésie, oserai-je transcrire quelques pages que m’inspira le couvent des dominicains ? Pourquoi non, puisque aussi bien le lecteur doit s’armer d’indulgence, là où il s’agit pour lui de juger une pensée que l’auteur lui soumet en immolant son amour-propre et ses anciennes tendances ? Puisse ce fragment, quel qu’il soit, jeter un peu de variété sur la sèche nomenclature d’édifices que je viens de faire !

  1. « Cette horloge, que les deux principaux historiens de Majorque, Dameto et Mut, ont longuement décrite, fonctionnait encore il y a trente ans, et voici ce qu’en dit M. Grasset de Saint-Sauveur : « Cette machine, très-ancienne, est appelée l’horloge du Soleil. Elle marque les heures depuis le lever jusqu’au coucher de cet astre, suivant l’étendue plus ou moins grande de l’arc diurne et nocturne ; de manière que le 10 juin, elle frappe la première heure du jour à cinq heures et demie, et la quatorzième à sept et demie, la première de la nuit à huit et demie, la neuvième à quatre et demie de la matinée suivante. C’est l’inverse à commencer du 10 décembre. Pendant tout le cours de l’année, les heures sont exactement réglées, suivant les variations du lever et du coucher du soleil. Cette horloge n’est pas d’une grande utilité pour les gens du pays, qui se règlent d’après les horloges modernes ; mais elle sert aux jardiniers pour déterminer les heures de l’arrosage. On ignore d’où et à quelle époque cette machine a été apportée à Palma ; on ne suppose pas que ce soit d’Espagne, de France, d’Allemagne ou d’Italie, où les Romains avaient introduit l’usage de diviser le jour en douze heures, à commencer au lever du soleil.

    « Cependant un ecclésiastique, recteur de l’université de Palma, assure, dans la troisième partie d’un ouvrage sur la religion séraphique, que des Juifs fugitifs, du temps de Vespasien, retirèrent cette fameuse horloge des ruines de Jérusalem et la transportèrent à Majorque, où ils s’étaient réfugiés. Voilà une origine merveilleuse, conséquente avec le penchant caractéristique de nos insulaires pour tout ce qui tient du prodige.

    « L’historien Dameto et Mut, son continuateur, ne font remonter qu’à l’année 1385 l’antiquité de l’horloge baléarique. Elle fut achetée des pères dominicains et placée dans la tour où elle existe. » (Voyage aux îles Baléares et Pithiases, 1807.)

  2. Cette pensée droite, ce sentiment élevé de l’histoire, a inspiré M. Marliani lorsqu’il a tracé l’éloge de M. Mendizabal en tête de la critique de son ministère : « … Ce qu’on ne pourra jamais lui refuser, ce dont des qualités d’autant plus admirables qu’elles se sont rarement trouvées dans les hommes qui l’ont précédé au pouvoir : c’est une foi vive dans l’avenir du pays, c’est un dévouement sans bornes à la cause de la liberté, c’est un sentiment passionné de nationalité, un élan sincère vers les idées progressives et même révolutionnaires pour opérer les réformes que réclame l’état de l’Espagne ; c’est une grande tolérance, une grande générosité envers ses ennemis ; c’est enfin un désintéressement personnel qui lui a fait en tout temps et en toute occasion sacrifier ses intérêts à ceux de sa patrie, et qu’il a porté assez loin pour être sorti de ses différents ministères sans un ruban à sa boutonnière… Il est le premier ministre qui ait pris au sérieux la régénération de son pays. Son passage aux affaires a marqué un progrès réel. Le ministre parlait cette fois le langage du patriote. Il n’eut pas la force d’abolir la censure, mais il eut la générosité de délivrer la presse de toute entrave en faveur de ses ennemis contre lui-même. Il soumit ses actes administratifs au libre examen de l’opinion publique ; et quand une opposition violente s’éleva contre lui du sein des cortès, soulevée par ses anciens amis, il eut assez de grandeur d’âme pour respecter la liberté du député dans le fonctionnaire public. Il déclara à la tribune qu’il se couperait la main plutôt que de signer la destitution d’un député qui avait été comblé de ses bienfaits et qui était devenu son plus ardent ennemi politique. Noble exemple donné par M. Mendizabal avec d’autant plus de mérite qu’il n’avait en ce genre aucun modèle à suivre ! Depuis il ne s’est pas trouvé de disciples de cette vertueuse tolérance. » (Histoire politique de l’Espagne moderne, par M. Marliani.)