Un sculpteur contemporain et le principe du concours
Il y a quelques mois[1], nous demandions ici même que le principe du concours fût appliqué aux arts avec toute sa rigueur, c’est-à-dire avec tous ses bienfaits. Après avoir montré dans quelle voie fâcheuse était engagée l’administration des beaux-arts, nous lui disions : « Les ministres changent, et avec eux les systèmes de direction, tandis qu’une académie qui se renouvelle et s’assimile successivement tous ceux qu’elle élit ne change pas… Désarmez-vous donc sans crainte, transmettez au jury une part bien faible de vos prérogatives, et en même temps une part bien lourde de votre responsabilité. Par là, loin de perdre de votre puissance, vous l’accroîtrez en lui ménageant des garanties, la sécurité d’action et les avantages d’une concession encore plus habile que nécessaire. »
Les événemens marchent si vite en France qu’on est toujours exposé à être prophète. Quelques semaines plus tard, les ministres étaient changés, et le principe que nous invoquions était appliqué : la construction du nouvel Opéra était mise au concours. Ce premier pas nous encourage, — au moment où vient de s’ouvrir l’exposition de peinture et de sculpture, — à insister de nouveau pour qu’un large système de concours soit mis à l’essai, car les arts d’imitation ne doivent pas être moins bien traités que l’architecture. Le système que nous proposions l’année dernière atteindrait peut-être, s’il en est temps encore, un but qui s’éloigne tous les jours davantage. Ce but, c’est de relever l’art, c’est de combattre une confusion vraiment démocratique, qui n’est que le triomphe de la médiocrité, c’est d’assurer au talent sa place, des encouragemens non sollicités, l’indépendance pour le travail du lendemain. Tant qu’il n’y aura pas un concours, c’est-à-dire une comparaison rigoureuse, l’exposition ne sera qu’un marché où régnera le hasard, dieu du commerce. Sous aucun régime, l’administration n’a pu résister à la faveur, ni la presse à l’esprit de camaraderie. Quant au public, il n’aime aujourd’hui que ceux qui l’amusent, il répète les noms que les journaux lui enseignent, et paraît moins décerner la gloire que la subir. Dans une société aussi compliquée que la nôtre, la loi la plus juste, la plus humaine, malgré ses apparences, c’est que la liberté ne serve qu’à constituer l’aristocratie du talent. Or le concours est-il autre chose qu’une comparaison, sans cesse renouvelée, qui aide le talent à surgir ?
S’il est une branche de l’art qui soit surtout exposée à cette indifférence regrettable, c’est la sculpture. Chaque époque a ses préférences. La nôtre aime avec passion la musique, elle goûte assez vivement la peinture ; mais la sculpture ne lui plaît guère. Les tendances positives de notre société, le développement de l’industrie, le besoin du plaisir facile, la mode des réductions qui nous accoutument à tout voir en petit, le succès même qu’obtient une certaine école voluptueuse, dont Pradier a été le représentant le plus aimable, tout contribue à éloigner la foule d’un art abstrait, difficile à comprendre, idéal par excellence. Nous achetons beaucoup de statuettes, mais nous passons froidement devant les statues. Les œuvres d’un caractère élevé obtiennent-elles même un regard ? Le gouvernement, qui suit nécessairement l’opinion, n’a pas combattu le dédain dont la grande sculpture est l’objet, et, quand il a voulu décorer le nouveau Louvre, il a sans distinction appelé tous ceux qui pouvaient manier un ciseau : nous voyons les résultats de cette étrange impartialité. Le concours serait un remède qui ne changerait pas le goût de la foule, mais qui empêcherait qu’il n’exerçât sur l’art une action dangereuse. Dans les expositions surtout, l’Académie des Beaux-Arts, constituée en jury, rehausserait singulièrement l’importance de la sculpture, si ses décisions étaient suivies d’effet, si l’acquisition des œuvres qu’elle signale devenait un droit. Quand la sculpture déchoit dans un pays, les autres arts s’abaissent. Ce n’était pas sans raison que David, un peintre, lui subordonnait la peinture.
Il est vrai que la foule a ses engouemens comme elle a ses dédains. Les engouemens passent vite, et la critique n’a pas toujours besoin de combattre des erreurs dont le temps fait prompte justice. Par malheur l’indifférence va croissant. C’est contre l’indifférence qu’il faut lutter surtout, et ici commence pour les critiques un devoir qu’il est doux de remplir, et qui demande plutôt de la réflexion que du courage, car ce n’est pas braver la foule que de lui signaler, pour qu’elle en jouisse, de belles choses qu’elle méconnaît : ce serait la tromper que de lui vanter, sans une conviction sagement mûrie, des choses qui ne mériteraient pas le nom de belles. Je n’éprouverai donc aucun embarras à louer un sculpteur qui n’occupe pas encore dans l’opinion la place qui lui appartient. Si, à propos de ce sculpteur, je reviens à la question générale des concours, que l’on ne croie pas que j’aie besoin d’un prétexte ; il me fournit à lui seul tout un sujet que j’ai à cœur de traiter avec quelque développement. Seulement ce sujet s’encadre si bien dans la thèse que je soutiens, qu’il prend, à mes yeux du moins, l’importance d’une démonstration. Je ne crains pas de dire sans détour à ceux qui m’auront lu : « Vous êtes avertis, regardez et jugez. » Je suis heureux en même temps de trouver un fait qui confirme merveilleusement les critiques qui s’adressent aux expositions et justifie le principe qu’il serait utile d’y introduire. Aucun exemple ne montre d’une manière plus sensible que nos expositions sont bien peu efficaces quand le concours ne les féconde pas, et qu’elles n’empêchent pas toujours le public d’être aveugle devant des œuvres que les connaisseurs classent parmi les productions contemporaines de l’ordre le plus élevé. Je m’attends à ce que beaucoup de personnes (sans cela une telle étude n’aurait plus d’objet) n’aient point retenu le nom de M. Perraud, bien qu’il figure depuis sept ans sur les livrets d’exposition. Pourtant ce nom est celui d’un homme que les anciens pensionnaires de l’école de Rome comptent avec orgueil parmi leurs futures gloires ; il est bien connu des membres de l’Académie des Beaux-Arts, qui, non contens de décerner à M. Perraud des distinctions répétées, l’ont inscrit d’office sur leur liste de candidats, le déclarant par-là digne de devenir leur collègue. Le contraste même entre l’attitude du public et celle de juges si compétens m’invite à exposer les titres d’un artiste qui n’a encore rencontré ni l’attention, ni les encouragemens que son pays lui doit. N’aurais-je pas satisfait à un intérêt général, si je réussissais à montrer que, par une large application du principe des concours, on éviterait d’aussi tristes erreurs ?
En 1847, le sujet proposé pour le grand prix de Rome était emprunté à Fénelon. Les concurrens devaient représenter en bas-relief Télémaque rapportant à Phalante les cendres d’Hippias. Le prix fut donné à une œuvre qu’admirèrent d’abord les juges du concours, puis le public choisi qui visite le palais des Beaux-Arts. Le succès qu’elle obtint n’est point encore oublié ; elle est restée dans l’école comme une œuvre classique devant laquelle les jeunes gens s’arrêtent en hochant la tête d’un air significatif, de même qu’on cherche volontiers du regard le tableau de M. Cabanel ou celui de Léon Benouville, ravi dans la fleur de son talent, car il y a un véritable charme à se reporter aux débuts d’un artiste, à surprendre dans leur fraîcheur ses premières inspirations, à interroger ses essais déjà décisifs et riches de promesses.
L’auteur du bas-relief couronné était M. Perraud, né en 1819, à Monay, dans le Jura. Sa vie avait été jusque-là ce qu’est celle des artistes convaincus qui sont fils de leur travail et luttent contre des obstacles dont le plus cruel n’est pas la pauvreté. Les romans et le théâtre représentent les ateliers comme le séjour éternel du rire et de la folie. Il en était peut-être ainsi du temps où toute la France chantait, où la gaieté n’était point proscrite, où les caractères avaient encore de la bonhomie, les mœurs de la simplicité. Aujourd’hui notre société est triste, somptueuse, guindée comme le bourgeois-gentilhomme dans ses habits dorés ; on ne rit plus, parce que les fronts sont courbés vers les intérêts matériels. Quand on voit de près les artistes, on sait combien sont sérieux ceux qui arrivent. La foule des concurrens devient tous les jours si épaisse, qu’il faut, pour la percer, se dépouiller de sa jeunesse et renoncer aux sentiers fleuris : le plaisir en effet prend un temps qui serait perdu pour la lutte. Les biographes peuvent s’épargner désormais la peine de raconter les débuts difficiles des artistes célèbres : s’ils sont parvenus, c’est qu’ils ont souffert.
Le trait caractéristique de la première œuvre de M. Perraud est la sensibilité. Cette qualité ne s’y montre pas seulement en germe, elle y apparaît pleinement épanouie, elle nous explique à l’avance le sculpteur, elle donne la clef de son originalité. Autant que la sculpture le comporte, un sentiment vrai et pénétrant est répandu sur l’ensemble de la composition. Les personnages secondaires en ont leur part, mais l’expression est concentrée avec un rare bonheur sur les deux héros. Phalante, assis, reçoit l’urne funéraire que Télémaque tient encore ; il se penche sur elle et mouille en même temps de ses larmes la main homicide et généreuse qui a conservé les cendres d’un ennemi. Télémaque debout, dans une attitude héroïque, mais naïve, ne peut s’empêcher d’être touché d’un tel spectacle ; il détourne la tête en portant la main à ses yeux.
Le séjour de Rome et l’impression produite par les chefs-d’œuvre si divers au milieu desquels on y vit fortifièrent le talent de M. Perraud sans en modifier le tempérament ni les préférences. Il sera encore entraîné vers les sujets pathétiques, où se peuvent épancher librement toute la chaleur, et toute la délicatesse d’une âme tendre. Le bas-relief des Adieux, que l’on a pu revoir à l’exposition universelle de 1855, prouve que ni les graves leçons de l’antiquité, ni les séductions de la renaissance n’ont détourné l’artiste de la voie où son instinct le poussait. Or l’étude prolongée des grands maîtres est l’écueil où se brisent les personnalités qui ne sont pas fortement constituées : les esprits indécis reviennent de Rome plus savans,. mais énervés. Les figures du bas-relief sont un peu plus grandes que la nature. Un jeune guerrier grec, tenant d’une main son bouclier et deux javelots, de l’autre son casque, dit adieu à son père aveugle. Il part pour des combats où il succombera peut-être. Le père, assis dans un fauteuil semblable à ceux que représentent les vases peints, veut garder un souvenir plus vif et comme une empreinte des traits chéris qu’il ne peut plus voir. Il promène sa main gauche sur le visage de son fils, tandis que la main droite tâte sa poitrine et cherche si le cœur bat comme il convient à un brave. Pendant ce temps, la femme dû guerrier, placée derrière lui, la main enlacée à sa main, succombe à sa douleur et laisse tomber sa tête sur l’épaule de son mari. Le mouvement est si expressif, les lignes sont si charmantes, le cou et le galbe de la joue sont si suaves qu’on sent la beauté du visage qui est caché et qu’on en devine l’émotion. Ce trait, loin d’affaiblir l’impression pathétique, l’accroît, parce que l’imagination du spectateur suppose bien plus que l’artiste ne lui dérobe.
Le groupe est d’un effet agréable, la silhouette pleine de grâce. On peut dire que le style général a quelque chose d’antique. Les poses, les profils, le choix des ajustemens, la petite tunique du jeune homme avec sa double ceinture et ses plis coquets, les draperies de la femme, souples, étoffées, abondantes, pleines d’harmonie, sans cesser d’être simples et d’accuser les formes, tout est d’un bon goût qui rappelle les frises d’Athènes et les bas-reliefs funéraires qu’on y découvre fréquemment, et qui représentent des adieux plus tristes encore. Si l’on ne considère que l’ensemble de la scène, on est charmé, on reconnaît que le sculpteur a puisé aux meilleures sources, tout en restant original. Si au contraire on étudie les détails, il faut suspendre ses éloges, parce que l’exécution n’est pas sans sécheresse et offre des parties plus faibles. Le nu n’est pas rendu avec assez de liberté, la facture est incertaine et ressemble à celle qu’on apprend dans l’atelier des professeurs. Le vieillard, bien que ses mains soient d’une intention si heureuse, n’est pas à la hauteur des autres figures, il sent encore l’écolier. Ces critiques ont d’autant plus de portée que le bas-relief n’est qu’un modèle en plâtre. Lorsque M. Perraud l’exécutera en marbre, il lui sera facile de faire disparaître ces défauts et de montrer l’indépendance qu’a depuis acquise son ciseau.
Au même ordre d’études appartient une esquisse qui fut également composée à Rome. Le sujet est tiré de Pausanias, qui raconte qu’Icare, roi de Lacédémone, après avoir donné à Ulysse sa fille Pénélope, essaya vainement de la retenir auprès de lui. Les époux étaient partis : il monte en char, les rejoint et supplie sa fille de ne pas l’abandonner. Ulysse, vaincu par ses instances, dit à Pénélope qu’il la laissait libre ou de le suivre à Ithaque, ou de retourner à Lacédémone avec son père. Pénélope ne répondit rien, mais se voila. Icare comprit, se retira et consacra plus tard au même endroit une statue de la Pudeur. M. Perraud, comme cela était naturel, a choisi le moment où Ulysse consulte Pénélope et lui tient la main en lui montrant son père, qui, enveloppé dans son manteau, appuyé sur un long sceptre, fait un geste d’anxiété. Pénélope a pris son voile, et commence à le ramener sur son visage. Derrière le groupe principal, les deux chars sont arrêtés, les écuyers et les serviteurs contiennent les chevaux impatiens. Un arbre et un cippe avec une inscription indiquent les frontières de la Laconie.
Le mérite principal d’une frise, c’est la composition, la valeur des plans, et surtout la beauté des silhouettes. Les Grecs ont laissé dans ce genre des modèles accomplis. Je ne parle pas seulement des frises qui décoraient le Parthénon et les autres temples, mais des bas-reliefs d’un ordre moins élevé sculptés par des artistes sans nom et destinés à des édifices particuliers ou à des tombeaux., Avec une exécution toujours simple et quelquefois imparfaite, les contours sont charmans, décoratifs, harmonieux, soit que la tradition soutînt ces mains peu habiles, soit qu’elles fussent conduites par l’instinct merveilleux qui était le privilège de la race grecque jusque dans les dernières classes d’artisans. M. Perraud, dans son esquisse d’Ulysse et d’Icare, montre qu’il a pénétré le secret de cette beauté. Sa frise plaît sans effort ; les groupes sont disposés avec un art qui remplit à souhait tout le cadre ; ils se détachent sur le fond par les profils les plus propres à charmer. La scène est animée, pittoresque, malgré le petit nombre de plans que permet le bas-relief. Derrière les personnages principaux, qui occupent le centre, mais sans former de masse ni d’épaisseur, paraissent et disparaissent tour à tour les chars, les timons, les roues, les chevaux qui se cabrent, et les écuyers qui les calment. Tout est vivant, découpé, plein de variété, et cependant la simplicité des figures et la sobriété du mouvement attestent le respect des données antiques. Les belles choses en effet, de quelque époque qu’elles soient, ont une affinité plus grande qu’on ne le pense. Dès qu’on évite l’emphase, les poses de convention, et qu’au contraire, sans renoncer à la noblesse, on atteint le naturel et la naïveté, on approche des Grecs.
C’est une idée trop répandue que la sculpture n’est plus à la mesure de notre vie privée, et qu’elle ne convient qu’aux édifices publics. La frise d’Ulysse et d’Icare, par sa dimension et son charme tout intime, répond à ce préjugé. Sa place est marquée dans un vestibule, au-dessus d’une porte ou d’une cheminée, de même que le bas-relief des Adieux serait l’ornement d’un portique ou du palier d’un grand escalier. On saurait bien vite le parti qu’on peut tirer de la sculpture, si on l’aimait, et cet art se prêterait à embellir les habitations les plus exiguës, si on l’appelait à les décorer. Je me souviens à ce propos que la duchesse de Plaisance, qui avait une maison sur les bords de l’Ilissus, battit des mains lorsqu’elle apprit l’arrivée de David d’Angers à Athènes. C’était en 1852 ; le célèbre sculpteur cherchait partout une consolation aux douleurs de l’exil, et il avait espéré que les heures lui paraîtraient moins amères dans la patrie de Phidias. La duchesse lui demanda aussitôt s’il consentirait à sculpter un bas-relief pour orner l’entrée de sa demeure ; elle désignait pour sujet Thémistocle accueilli par Admète, emblème de l’hospitalité qu’elle prétendait offrir aux visiteurs. David ne resta que peu de temps à Athènes : il préféra faire le buste de Canaris, afin de compléter sa galerie d’hommes illustres ; mais la fille de Barbé-Marbois n’en prouva pas moins qu’elle appartenait à une génération qui tenait les sculpteurs en estime singulière et se réjouissait d’obtenir leurs œuvres.
Il y a un moment critique dans la vie d’un artiste, lorsque, rassasié d’études et animé d’une ambition légitime, il veut prendre son essor. Tous ceux qui n’ont que des qualités acquises et brûlent d’un feu tranquille retombent aussitôt, se résignent au lieu-commun et jettent leurs figures dans le même moule. C’est pourquoi, aux diverses époques, tant de statues ont un air de famille qui permettrait de les signer du même nom : chaque siècle, à un degré inégal, présente un style courant qui s’appelle la médiocrité. Mais l’homme qui a des instincts plus hardis et le sentiment de sa puissance se jette hors des sentiers battus ; il a besoin de commander l’attention, il a surtout besoin de se satisfaire lui-même. On dit de certaines poses qu’elles sont athlétiques, parce que ceux-là seuls peuvent les prendre qui sont des athlètes. Je crois aussi qu’il n’y a que les sculpteurs doués par la nature d’un tempérament dont ils ont conscience qui osent concevoir certains sujets. L’esprit d’indépendance règne dans la sculpture moderne, qui, depuis Michel-Ange, tend toujours à substituer le sentiment personnel à la tradition. Les sculpteurs qui aiment la force et ne redoutent pas une grandeur où l’emphase prend quelquefois la place du goût sont surtout attirés vers Michel-Ange. L’audace est contagieuse pour les âmes fières, comme l’amour de la liberté pour les peuples et l’héroïsme pour les soldats. On regrette amèrement une telle contagion, lorsqu’on sait où elle a conduit la renaissance ; l’école française du XVIIe siècle a moins à s’en plaindre, puisqu’elle lui doit le grand Puget. Il semble que M. Perraud, à son tour, ait été atteint d’une impression profonde devant les œuvres du Florentin. Les peintures de la chapelle Sixtine, autant que les figures du tombeau des Médicis, ont dû troubler ses rêves. La statue d’Adam, qu’il exécuta pendant les deux dernières années de son séjour à Rome, et qui a sept pieds et demi de proportion, trahit ce trouble et l’aspiration vers des formes gigantesques.
Adam, si je comprends bien l’idée de l’artiste, n’est pas seulement le père des hommes, c’est le type de la force, c’est l’homme aux prises avec la destinée du travail. L’inscription tracée sur la base de la statue reproduit l’arrêt de la Genèse : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. » Adam vient de tracer son premier sillon. Assis sur la peau d’un lion qu’il a tué, le soc de sa charrue entre les jambes, les bras appuyés sur le manche, il se repose, non pas comme un laboureur fatigué, mais dans l’attitude d’un athlète victorieux. Il ne se révolte pas contre sa condamnation, il l’accepte ; il n’est pas écrasé par le travail, il s’y retrempe ; il n’est pas humilié, car il redresse noblement la tête, et sa charrue lui sert de piédestal. Le travail n’est-il pas en effet la plus belle condition que Dieu ait faite à l’homme, dans l’ordre moral comme dans l’ordre physique ? N’est-ce pas le principe de sa puissance et de sa beauté ? Tirer du sujet une aussi haute moralité est le propre d’un penseur, et la pensée n’a jamais nui à la forme.
L’aspect de la statue a quelque chose d’imposant et de magistral. La partie supérieure est habilement rassemblée et prête à la grande sculpture. La tête qui se retourne par un mouvement à la fois fier et tranquille, la chevelure qui rayonne autour de la tête, les bras qui se relèvent et se disposent avec une tournure héroïque, le torse dont ils découvrent l’ampleur majestueuse, tout le haut de la statue est d’un jet saisissant. Je voyais un jour, en têts d’un livre sur l’agriculture, une gravure de l’Adam de M. Perraud : l’auteur ne pouvait choisir son frontispice avec plus d’à-propos. Or l’on sait ce que perd à être gravée toute figure qui n’a pas un mérite solide, car elle ne peut plus nous faire illusion ni par sa grandeur matérielle, ni par l’éclat du marbre. L’Adam résiste à cette épreuve, et le dessin laisse une impression qui rappelle les maîtres. Voilà ce qui frappe au premier abord. Si l’on examine les détails, on découvre aussitôt et des défauts, ce qui est naturel dans un sujet aussi difficile, et des beautés d’un ordre très élevé. Je commencerai par signaler les défauts. Par exemple, il est certain que le tronc d’arbre qui forme le manche de la charrue est placé entre les jambes de façon à masquer une partie du torse et à contrarier plusieurs points de vue. Le goût condamne cet arrangement, de même qu’il cherche en vain dans l’ensemble de la statue les satisfactions délicates et le parfum qu’il trouvait dans le bas-relief des Adieux. Cela tient au parti qu’a pris l’auteur, plein de véhémence, de tension, de hardiesse, qualités qui alarment presque toujours le goût. La tête elle-même laisse à désirer, non que j’admette les critiques qu’on en a faites jadis, en la comparant à celle de Jupiter Olympien. La tête d’Adam ne ressemble point à la tête du roi de l’Olympe, elle rappelle bien plutôt les grandes chevelures des mosaïques de Saint-Jean-de-Latran et les efforts primitifs de l’art chrétien. Là les têtes ont quelque chose de sauvage qui ne répugne point aux sujets bibliques. Cependant, soit, fatigue, soit impuissance, M. Perraud est resté au-dessous de sa tâche.
Mais, ces réserves faites, il faut proclamer bien haut le talent que dénote le reste de la statue. Les bras principalement et tout le torse sont des morceaux magnifiques. On y sent une verve, une vigueur, une chaleur d’exécution qui sont rares à notre époque, et je ne crains pas d’ajouter à toutes les époques. Les formes sont énergiques et n’ont rien de vulgaire ; les muscles vibrent et ressortent avec tous leurs développemens, les chairs surtout sont palpitantes. Il y a longtemps que la sculpture n’a été attaquée par un ciseau aussi puissant et aussi fougueux. Les difficultés ne sont pas évitées, elles sont abordées, de face, multipliées à plaisir. Le dos est entièrement découvert ; le muscle dorsal, l’épaisseur du flanc avec sa ligne dentelée, les côtes et leurs accidens, les bras contournés et reployés, le coude et ses attaches, le cou qui s’agence dans des clavicules étonnantes, tout annonce le désir de la lutte, la volonté d’accumuler les obstacles pour les vaincre, de compliquer la matière pour la mieux saisir. L’artiste s’est plongé avec délices dans les labeurs de l’exécution, moins parce qu’il souhaitait de montrer sa science que-parce qu’il trouvait à satisfaire son généreux appétit et l’ardeur qui bouillonnait en lui. Il cédait à son tempérament, car dans la sculpture il ne suffit pas d’une idée puissante, il faut la puissance de la rendre.
L’Adam fut d’abord exposé à Rome en 1853, et il émut les artistes de tous pays qui habitent ce sanctuaire de l’art. Tenerani, le sculpteur le plus vanté de l’Italie, ne cachait point son admiration et promettait l’avenir à l’auteur d’une œuvre aussi remarquable. À Paris, les artistes ne s’y trompèrent pas non plus, lorsqu’ils virent l’Adam au palais des Beaux-Arts[2]. En 1855, cette statue paraissait à l’exposition universelle et remportait une première médaille. Il n’y en avait que huit pour les sculpteurs de toute l’Europe, et les membres du jury étaient tirés de chaque nation. À quoi servirent tant de suffrages illustres ? Il ne s’agissait ni d’une statuette de genre, ni d’un chien guettant une perdrix, ni d’une femme nue. L’Adam revint dans l’atelier et se couvrit encore de poussière pendant quatre années. Il fallut le généreux acharnement de l’Académie des Beaux-Arts, qui à plusieurs reprises intervint auprès du ministre, pour que la statue fût enfin achetée en 1859 : encore n’oserais-je dire pour quel prix !
L’homme convaincu ne se décourage point. Le travail n’est pas seulement sa consolation, c’est sa vengeance. Deux ans après, M. Perraud envoyait à l’exposition de 1857 une nouvelle statue, un Faune jouant avec le petit Bacchus. Le sujet est pastoral, plus encore que celui d’Adam ; il laisse à l’artiste toute liberté pour se livrer aux caprices de la nature, pour en poursuivre les aspects originaux, variés, qui se multiplient autant que les modèles, car la nature est inépuisable, non-seulement par sa propre richesse, mais surtout par la façon dont on la voit et dont on l’interprète. Supposons un site champêtre, à l’ombre d’une forêt chère aux satyres et aux nymphes, non loin d’une source qui murmure, devant la grotte où Bacchus est élevé. Voici un banc rustique, formé de trois pierres et recouvert d’une peau de chèvre. Sur le sol sont épars les cymbales, le chalumeau, la flûte, qui ont calmé les cris du petit enfant. Le faune est assis, dans une attitude générale de gaieté, de grâce pétulante, la jambe droite croisée sur la gauche. Il faisait sauter le jeune dieu, à la façon des laboureurs qui le soir, au retour des champs, jouent avec leur dernier-né ; mais il a eu l’imprudence de le poser sur son épaule, et l’enfant l’a saisi par son oreille pointue. Le Faune paraît enchanté et rit à gorge déployée ; mais, comme Bacchus tire trop fort, il détourne la tête d’un air bénin, lui retient la main et le soulève avec précaution. Le dieu se mutine, lève son petit thyrse et s’apprête à frapper son père nourricier. — Telle est à peu près la disposition du groupe, qui, pour être si élégamment rustique, n’en est pas moins sculptural. La bas de la figure se masse comme un piédestal, puis les lignes partent de la base, montent, se font équilibre, diminuent, forment un sommet, et se composent à la façon d’une pyramide, qui est l’apparence la plus satisfaisante de la stabilité. Tout est mouvement, tout est gaieté, tout agit, tout palpite. Les formes sont animées, les gestes pittoresques. La force ne nuit point au charme, ni la pétulance à l’harmonie. L’empreinte que ce groupe laisse dans l’esprit est subite, nette, durable, ce qui est le propre des œuvres bien conçues et dont le jet est franc. Il éveille en nous, sans que nous nous en rendions compte, un frais sourire et des réminiscences qui sont la poésie du sujet. Nous songeons aux idylles de Théocrite ou aux bucoliques de Virgile ; nous entrevoyons la vie champêtre dans le cercle idéal tracé par les anciens. Le faune était pour les Grecs l’expression générale de la nature ; ils ont traduit ce thème de bien des façons, de même qu’ils avaient bien des façons d’exprimer la poésie de la mer, depuis Vénus sortant de l’onde jusqu’aux néréides et aux tritons. Entre le faune de Praxitèle et le satyre aux pieds de bouc, il y avait une série graduée de types pour rendre la nature vivante.
Quelque ravi que l’on soit de l’ensemble du groupe, on reconnaît que l’exécution concourt à compléter le sujet. On ne sait s’il faut louer de préférence la partie supérieure ou la partie inférieure de la statue, la tête ou le torse, les jambes ou les bras, les modelés ou les attaches. Tout est rendu avec une vérité, une chaleur qui donnent à la figure un relief extraordinaire, la vie et les charmes les plus persuasifs de l’illusion. Les détails sont multipliés avec une rare délicatesse, et cependant, malgré leur abondance, ils ne nuisent point aux masses, qui sont constituées avec un si juste équilibre qu’elles ne font que s’animer davantage. Les bras par exemple, qui se relèvent au-dessus de la tête, sont d’un dessin nerveux et accentué, et pourtant les chairs sont souples ; les muscles, pour être vivement accusés, ne manquent ni de largeur ni de moelleux. Les épaules, les coudes, les poignets, sont pleins de finesse, et la construction générale s’ennoblit par les articulations, ce qui, dans la sculpture, caractérise les œuvres empreintes d’une forte individualité. Les jambes sont très bien dessinées : la façon dont elles s’ajustent l’une sur l’autre, leurs rotules, qui se présentent de face, leur facture énergique et précise, défient l’examen le plus malveillant. Le torse, qui est dans une pose si développée, qui s’offre tout entier à la sculpture, puisque les bras sont relevés et le découvrent, le torse est, à mon avis, le morceau capital, celui où l’artiste s’est complu avec amour, où il s’est mis tout entier. Le ventre, légèrement replié sur lui-même, respire comme dans la nature. Les clavicules, les muscles du dos, les pectoraux, les flancs, toutes les surfaces et même tous les accidens d’un type généreux sont rendus avec un talent que j’admire. Ce n’est point, je le sais, un de ces torses divinisés où la forme est simplifiée par une enveloppe idéale ; c’est au contraire une lutte corps à corps avec la nature, avec tous ses caprices, ses complications, ses bizarreries, c’est-à-dire sa richesse, car telle est la définition du faune. La tête est expressive ; elle excite le sourire, tant la joie et la bonhomie y brillent. L’enfant me plaît moins. Je conviens qu’il fallait l’idéaliser, puisque c’est un dieu ; mais pourquoi ce corps rond, ces formes qui paraissent gonflées ? L’idéal a-t-il besoin que le modelé soit aussi tendu ? Ne peut-on s’éloigner de la nature vivante sans tomber dans la dureté ? Le petit Bacchus n’est qu’un accessoire, mais il a son importance : je regrette qu’il ne soit pas traité avec autant de perfection que le reste. Il faut se hâter d’ajouter que l’ensemble du groupe ne perd rien pour cela de son effet. Cette œuvre est donc une de ces rares créations où l’originalité s’allie à la science dans cette heureuse mesure qui constitue les œuvres durables. Le Faune restera comme un type, ceux qui l’ont étudié en ont emporté une impression qui ne s’effacera pas. Il ne faut pas s’étonner que, peu de temps après l’exposition, l’Académie des Beaux-Arts ait inscrit l’auteur du Faune sur la liste des candidats qu’elle veut appeler dans son sein. En effet, l’œuvre est d’un maître, et M. Perraud a dès lors marqué sa place au premier rang parmi les sculpteurs contemporains.
La puissance d’exécution est telle dans le Faune que les réalistes ont pu s’y méprendre ; ils ont espéré que M. Perraud passerait un jour dans leur camp. Leur illusion, qui n’a jamais eu rien de fondé, a dû être dissipée par la statue que M. Perraud expose cette année, car elle marque un pas décisif vers l’idéal. Les formes y sont asservies à l’âme, dont elles doivent exprimer les passions. Par là le sculpteur revient à la sensibilité que dénotaient ses premiers travaux, et au pathétique dont il trouve le secret dans son propre cœur. Le sujet qu’il a choisi n’a pas de nom, il l’indique seulement par un vers de Pétrarque :
- Ahi ! null’altro die pianto al mondo dura[3].
Il s’agit de donner un corps à cette abstraction qui s’appelle le désespoir. Les Grecs aimaient ces sortes de personnifications morales. Scopas avait fait une statue du Désir, une autre de la Passion. Praxitèle avait représenté la Persuasion, la Consolation, l’Ivresse. Il y a là pour la sculpture des périls, mais aussi de singulières ressources, parce qu’elle est jetée complètement dans le monde idéal.
Au bord de la mer, un jeune homme est assis. Quelques cailloux et de petites vagues indiqués sur la plinthe annoncent la plage. Il est assis très bas, sur une draperie qui a glissé le long de son corps et le découvre. Ses jambes sont presque au niveau du sol, l’une ramenée, l’autre portée en avant. Les deux bras sont étendus entre les genoux avec l’abandon du désespoir, tandis que les mains croisées se renversent par un mouvement d’angoisse. La tête est penchée ; elle dénote non-seulement l’accablement, mais la concentration intense et navrée d’une grande douleur. Une chevelure épaisse projette son ombre sur le front et sur les parties de la tête les plus voisines. Le visage, quoique inspiré par la nature, a une teinte d’idéal, quelque chose de la beauté des masques tragiques. Le corps lui-même est agrandi, transfiguré. Ce n’est ni un type délicat que l’artiste a représenté, ni un malade ; c’est un jeune héros. La force physique fait avec l’abattement de l’âme un contraste qui était nécessaire.
La pensée de l’auteur est bien rendue, elle frappe. Ce corps presque affaissé à terre, cette attitude qui résume un drame ignoré, cette tête qui regarde sans voir, ces bras qui s’allongent dans un état de prostration, ces mains à demi tordues, ce poids général de tristesse dont le jeune homme est accablé, tout imprime au passant l’idée du désespoir. Si l’on s’arrête, si l’on contemple, si l’on se laisse pénétrer par l’éloquence muette qui rayonne d’une belle statue, on rêvera aux héros de la douleur que les poètes ont immortalisés ; on nommera Orphée pleurant Eurydice, Gallus que Virgile ne peut consoler, Chactas sur la tombe d’Atala ; peut-être même entreverra-t-on René dans les forêts du Nouveau-Monde ; peut-être murmurera-t-on quelques vers du Lac de Lamartine. Le sujet a ses dangers parce que la sculpture a ses limites. Le peintre peut tout exprimer : si les passions déforment les traits de ses personnages, il sauve les apparences, dissimule ou supprime, jette des ombres ou de la lumière, en un mot il a mille artifices ; d’ailleurs, le pittoresque lui est permis. Le sculpteur au contraire doit respecter des convenances sans nombre et n’a aucun refuge. La douleur ne doit jamais altérer ses formes, ni déranger ses lignes, ni surtout tracer sur le visage de ses statues une empreinte grimaçante. La beauté suppose le calme, c’est-à-dire le contraire de l’expression. L’expression pathétique, au lieu de se concentrer sur le visage, se répandra donc sur l’ensemble du corps. Il faudra qu’elle ressorte de la pose, de la tension ou de l’abandon des muscles, de l’attitude générale de la statue. Les exigences d’un art qui ne peut rien sous-entendre et qui doit tout ennoblir restreignent la puissance du sculpteur. Il est esclave de la ligne et doit repousser la sensibilité dès qu’elle cesse d’être sculpturale. On citera des artistes qui, par un don divin, ont su traduire la douleur la plus profonde sans que les formes perdissent rien de leur pureté : ainsi André de Pise parmi les sculpteurs, Fra Beato Angelico parmi les peintres, sans oublier Raphaël dans son Spasimo, ni Lesueur dans son Ensevelissement du Christ. Les anciens se défiaient de l’expression, même lorsqu’ils retraçaient les drames les plus émouvans : je ne parle pas du Laocoon, qui accuse déjà la décadence de l’art grec, mais des Niobides, que l’on hésitait à attribuer à Scopas ou à Praxitèle. Les Niobides sont tragiques, mais par le geste plus que par l’expression du visage, et sans sortir de la beauté des lignes. Il serait injuste d’enfermer nos sculpteurs dans des limites aussi étroites, surtout lorsqu’ils ne peuvent lutter avec la perfection des marbres antiques, et lorsque la sensibilité est le trait principal du génie moderne. Qu’ils osent donc, mais qu’ils sachent bien que l’exécution seule peut consacrer leur effort ou le condamner.
Si nous considérons la statue du Désespoir sous le rapport esthétique, elle est à la fois un type de force et d’élégance. Je ne voudrais point nommer Michel-Ange, fût-ce avec toutes les réserves imaginables, ni même indiquer son Captif, parce que le rapprochement ne serait pas vrai. Et toutefois, dans l’œuvre de M. Perraud, il y a un certain jet qui fait passer devant mes yeux une apparition vague et fugitive de ce maître, ou plutôt de sa manière de concevoir un sujet. L’artiste néanmoins a cherché son inspiration à des sources plus limpides. On reconnaît qu’il s’est souvenu des marbres grecs dont l’étude avait nourri sa jeunesse, et qu’il a essayé de retenir quelque chose de leur parfum. Aussi le goût qui a présidé à la composition de cette statue me paraît-il bien supérieur au goût de l’Adam, et les formes s’y révèlent avec plus de tranquillité.
La tête est un morceau remarquable, qui obtiendra des éloges unanimes. Tous ceux qui ont réfléchi sur l’art savent combien est rare en sculpture une tête significative, éloquente, propre à nous toucher. D’ordinaire la tête ne sert qu’à terminer une statue, elle en est le couronnement et ne compte que par ses proportions. Ici au contraire elle a sa part d’expression, et une part considérable, sans que le pathétique altère son caractère sculptural. Il n’est pas un trait qui ne concoure au drame, la chevelure elle-même, en projetant son ombre sur le visage, fait paraître la douleur plus profonde. Le buste et les bras sont d’une facture particulièrement belle ; ils ont quelque chose de souple, de l’ampleur, une forme suave, une grâce qui cherche à s’approcher de cette beauté que les Grecs ont adorée. Autant le Faune est sec, musculeux, agreste, trop vrai peut-être dans certaines parties, autant le Désespoir s’éloigne de la nature. Tout se simplifie, s’agrandit, s’idéalise ; il semble que l’épiderme ait effacé les veines et les muscles, pour s’envelopper d’un éclat doux et se diviniser. Les poètes anciens s’inspiraient assurément de la-sculpture, quand ils faisaient perdre à Hercule admis dans le ciel les marques de ses fatigues et de sa force pour le revêtir d’une fleur d’immortalité. Ce caractère, qu’on remarque dans la partie supérieure de la statue de M. Perraud, on voudrait également le rencontrer dans la partie inférieure. Les jambes sont d’un faire moins large, elles ont un peu de sécheresse, et sont d’un moins beau style que les bras. Il n’est pas inutile de considérer la statue de profil ; c’est sous cet aspect qu’elle se pare de tout son charme, qu’elle montre la variété de ses lignes, l’énergie de son expression. Elle n’offre pas autant d’unité que le Faune, qui restera comme un type ; mais elle appartient à un principe de sculpture qu’il faut placer au premier rang, et l’exécution, sans être moins savante, est plus idéale. Le talent de M. Perraud tend donc à s’élever toujours, et chacune de ses trois figures dénote un progrès nouveau.
Conclurai-je ? Est-il besoin de faire ressortir un fait qui n’est que trop évident ? Quelle est la portée de nos expositions ? Quelle est l’efficacité des distinctions décernées par le jury, puisqu’en 1855, l’Adam n’a point été acheté, puisqu’en 1857, le Faune n’a point été commandé, puisqu’en 1859 le nom de M. Perraud était absent du livret par la faute du gouvernement, qui, en dédaignant ses œuvres terminées, ne lui donnait pas les moyens d’en entreprendre de nouvelles, et condamnait un artiste éminent à perdre quatre années de sa vie ? Qu’arrivera-t-il à l’exposition de 1861 ? Le Désespoir (combien je souhaite de me tromper !) aura sans doute le sort des statues qui l’ont précédé, car c’est aussi de la grande sculpture, où la sensibilité éclate à travers la science, où la chaleur d’exécution n’affaiblit point la puissante impression du sujet, où l’idéal tempère et purifie une connaissance admirable de la nature. Cela surprendra fort les étrangers qui étaient membres du jury international, et qui dès 1855 plaçaient M. Perraud parmi les premiers sculpteurs de l’époque, à côté de Rude, de David d’Angers, de Rauch, de Rietschel, de Simart, qui sont déjà morts et ne sont pas remplacés. Je n’accuse que M. Perraud, qui ne sait point faire valoir ses droits, travaille en silence et se laisse oublier. Cependant un tel oubli n’eût point été possible, si chaque exposition eût abouti à un concours, et s’il eût été établi que le jury, en désignant toutes les productions qu’il jugeait bonnes, dressait, par ce seul fait, la liste des acquisitions de l’état. « On consulte toujours le jury, » me répondra-t-on. Je n’en doute pas ; mais l’exemple de M. Perraud parmi tant d’autres nous apprend comment on use de ces consultations. En matière d’administration, la bonne volonté ne suffit point, il faut une règle ; le droit est mal assuré, s’il n’est garanti par des lois. Donnez-nous donc des garanties, donnez-vous à vous-même la sécurité. Le concours n’honorera pas seulement le ministre qui l’aura institué, il le déchargera d’une responsabilité lourde. Les magistrats ne sont-ils pas heureux qu’un tribunal composé de citoyens dispose à leur place de la vie et de la mort ? Vos arrêts sont moins terribles, mais ils peuvent avoir sur la carrière des artistes et sur les tendances générales de l’art une influence qui vous doit effrayer. Et puis le règne du bon plaisir, quelque impartial qu’il se fasse, ne vaut jamais une institution ; l’initiative personnelle, si éclairée qu’on la suppose, ne produit pas autant de bien qu’un principe, ni un bien aussi durable. Or le seul principe fécond, parce qu’il est le seul juste, c’est le concours.
On a pu constater récemment combien l’idée du concours appliqué aux arts est populaire, combien elle répond aux besoins de notre société. La nouvelle que la construction de l’Opéra était soumise à ce principe a été accueillie par une approbation unanime. Le gouvernement n’a pas promulgué beaucoup de décrets qui aient rencontré autant de faveur, parce que celui-ci donnait satisfaction aux exigences de l’opinion. Or ce que l’opinion demande, c’est que des règlemens équitables aident le talent à percer sans obstacle, c’est que les monumens qui sont destinés à être la parure de notre pays soient confiés, non pas à l’artiste le plus courtisan, mais au plus habile. Notre époque aime trop l’égalité pour que tout le monde ne désire pas être jugé par ses pairs ; l’égalité encombre trop les portes pour qu’un jugement ne soit pas nécessaire afin de déterminer les choix. On s’est plaint de la hâte qui a été imposée aux concurrens : ils ont dû, en quelques semaines, improviser plutôt qu’étudier les projets d’un édifice qui coûtera 10 ou 12 millions. Il est vrai qu’on se précipite aujourd’hui comme si l’on n’avait pas de lendemain, et telle est l’impatience de jouir que les artistes deviennent autant d’émulés de ce peintre que les Italiens surnommaient Fa presto. On s’est plaint encore de l’abstention des architectes éminens, qui n’ont pas voulu se mesurer avec des rivaux plus jeunes, peut-être même avec leurs élèves. Il y avait plusieurs moyens de les attirer dans la lice ; mais le meilleur moyen, c’est le temps. Un essai agite les esprits ; il faut des épreuves répétées et régulières pour que le concours entre dans nos mœurs. La Madeleine et le tombeau de l’empereur aux Invalides sont déjà loin des souvenirs. D’ailleurs, lorsque le concours se représentera partout comme une condition rigoureuse, la question d’intérêt réduira bientôt la question d’amour-propre à sa juste importance, car, dans ces combats pacifiques, la part d’honneur est encore belle pour les vaincus.
Il convient de ne point juger trop sévèrement une tentative, et d’en considérer surtout l’effet et la moralité. La moralité, c’est l’empressement de cent soixante-douze architectes qui ont répondu à l’appel de l’administration, apportant en commun leur tribut de science et d’idées. La moralité, c’est l’émotion de la foule qui est accourue à l’exposition des projets d’Opéra, et qui se pressait devant des plans et des coupes avec autant d’ardeur que s’il se fût agi d’un tableau de M. Ingres. La moralité, c’est la fermeté du jury, écartant des noms célèbres qui pensaient lui faire violence pour choisir les travaux les plus dignes d’être couronnés. La moralité encore, c’est le succès obtenu par notre école de Rome, par tous ceux qui croient aux traditions dans l’art et à la vertu des fortes études ont applaudi quand ils ont vu que les anciens pensionnaires de l’Académie tenaient les premiers rangs. La moralité enfin, c’est la constance de l’administration, qui a résisté à toutes les intrigues et déclaré, selon le vœu exprimé par le jury, qu’une nouvelle épreuve était proposée aux cinq lauréats. Le concours s’est donc poursuivi jusqu’au bout, de telle sorte que, s’il ne produit pas les résultats qu’on a le droit d’en attendre, les architectes ne devront accuser qu’eux-mêmes ou la fatale décadence de notre époque.
Si le même principe était appliqué à l’exposition de peinture et de sculpture, l’opinion ne serait pas moins favorable, les avantages qu’on obtiendrait seraient plus certains. On m’opposera qu’il est bien tard, que depuis un mois déjà le Palais de l’Industrie est ouvert ; mais c’est pour cela précisément que j’insiste. L’esprit de système recule devant l’exécution, les faiseurs de projets se déconcertent quand il faut passer brusquement du rêve à l’action. Le propre d’une idée utile, c’est d’être toujours applicable ; la marque d’une réforme nécessaire, c’est de pouvoir s’accomplir sans secousse comme sans retard. Ce que je propose peut se réaliser demain, ce soir, à l’instant même. Que faut-il pour cela ? Un arrêté du ministre d’état, quelques lignes conçues à peu près dans ces termes : « Jusqu’au 15 juin 1861, l’exposition sera fermée, selon l’usage. Le jury s’assemblera aussitôt. Il désignera les œuvres les meilleures, dans chaque genre et en nombre déterminé. Cette liste réglera d’une manière absolue les récompenses qui seront décernées et les acquisitions qui seront faites par l’état. Après le concours, toutes les œuvres qui auront été choisies seront exposées de nouveau jusqu’à la fin du mois ; les autres seront rendues aux artistes. »
Quelques explications feront mieux sentir la portée pratique d’une telle mesure. D’abord nous voulons en France que l’on respecte nos habitudes et surtout nos routines. Toute réforme radicale sera repoussée, avec raison peut-être, parce qu’elle serait dangereuse. Entre les mœurs d’un peuple et ses besoins, entre les goûts d’une société et sa constitution, il existe une relation secrète qui échappe à la sagesse humaine et qu’on ne méprise pas impunément. Les médecins arrivent aux mêmes conclusions, lorsqu’ils comparent les appétits de l’estomac avec ses maladies. Les expositions sont pour notre siècle un besoin impérieux. Sont-elles bonnes, sont-elles mauvaises ? Abaissent-elles le niveau de l’art ou ne font-elles, que rendre manifeste un abaissement qui tient à d’autres causes ? Il n’est plus temps d’agiter cette question. En admettant même qu’elles soient un mal, les expositions paraissent un mal nécessaire. Si elles nuisent à l’art, elles sont utiles aux artistes ; elles protègent leurs intérêts, les mettent en communication avec un immense public, qui n’aurait jamais visité leurs ateliers, qui ne peut même plus les visiter aujourd’hui que les ateliers se comptent par milliers. Il ne faut pas s’y tromper, la foule qui se presse au Palais de l’Industrie ne vient pas seulement admirer, mais acheter. C’est pourquoi, loin de restreindre le droit d’exposer, il est plus juste de l’étendre. Comment interdire aux uns ce qui sera accordé aux autres ? Si vous prononcez les exclusions au nom de la beauté, alors soyez plus sévères, n’admettez pas tant d’œuvres pitoyables, ayez même le courage d’être inhumains, et vous aboutissez par le fait à un concours ; mais avant ce concours il faut que tout le monde vive : il faut que les sculpteurs et les peintres obtiennent des particuliers ce qu’ils n’obtiendront pas de l’état, qui ne peut suffire à d’aussi nombreuses exigences. Laissez-les tenter le public. Le tableau que vous repoussez, peut-être un amateur l’eût-il acheté. La statue qui choque votre goût eût séduit peut-être un nouvel enrichi. Dans un marché, la concurrence doit être libre et les chances égales. Quand vous ouvrez le Palais de Cristal aux animaux, aux fleurs, aux produits de l’industrie, vous ne chassez point des moutons parce qu’ils sont trop laids, vous n’écartez point une rose parce qu’elle est monstrueuse, vous ne faites point remporter une machine parce qu’elle est trop bruyante. En vain vous protestez contre mes comparaisons, en vain vous revendiquez pour les expositions d’art un but plus désintéressé, vous ne pouvez échapper aux tendances inexorables de notre civilisation. Dans ce Paris qui développe chaque jour ses proportions gigantesques, l’individu disparaît ; des centaines d’artistes sont menacés, je ne dis pas de vivre inconnus, mais de ne pas vivre. Pendant deux ans, ils se privent, travaillent, espèrent, parce que l’exposition leur promet, sinon un triomphe, du moins du pain pour leur famille. De tels besoins ne sont-ils pas sacrés, et n’avais-je pas raison de dire que toute réforme radicale serait révoltante ?
La fête qui a commencé le 1er mai me paraît une nécessité. Je ne la supprimerais pas, je la compléterais. On a reçu quatre mille tableaux ou statues, j’en aurais reçu six mille. Dès qu’on descend au-dessous d’une certaine médiocrité, pourquoi chercher des limites ? Il suffit qu’on écarte les œuvres qui blessent la pudeur ou qui outragent le bon sens jusqu’au ridicule. Comme un grand nombre d’étrangers accourent à notre exposition, il convient qu’elle ne soit pas déshonorée à leurs yeux. À part cette sorte de police, laissons se constituer un marché de peinture et de sculpture digne de rivaliser avec les foires de Francfort ou de Leipzig. Seulement, après que toutes les exigences comme toutes les vanités auront été satisfaites, après que la foule, pendant un mois entier, aura contemplé, admiré, raillé, acheté, après qu’on se sera rassasié de débauches esthétiques, l’exposition restera close pour quelques jours. La clôture n’aura rien d’insolite : on en profite d’ordinaire pour changer de place les tableaux. Cette fois on en profiterait pour organiser le concours. Pour toutes les œuvres médiocres l’exposition finirait, elle commencerait véritablement pour les bonnes.
L’Académie des Beaux-Arts, qui forme actuellement le jury le plus excellent et le plus impartial qui se puisse désirer, jugerait d’abord du mérite général de l’exposition et du mérite relatif de chaque genre. En vertu de cette comparaison, elle réglerait, pour chaque genre, le nombre de places qui seront mises au concours. En même temps, elle tiendrait compte des difficultés inégales et de la faveur plus inégale encore que rencontrent les diverses branches de la peinture ou de la sculpture. Elle montrerait l’importance qu’elle attache à telle ou telle branche, et trouverait un moyen naturel de pousser ou de retenir les artistes dans la voie où ils se sont jetés. Par exemple, il est évident qu’elle donnerait moins de places à la peinture de genre, qui envahit tout et que les acheteurs se disputent au poids de l’or, pour en donner davantage à la peinture d’histoire, que l’état seul soutient, et à la peinture religieuse, qu’il laisse périr. Le portrait serait moins bien traité que le paysage, les bustes seraient en moins grand nombre que les figures d’étude. La sculpture de genre, qui est attendue derrière les vitrines des marchands, ne rivaliserait plus avec la grande sculpture, que l’on vengerait du dédain des ignorans. En un mot, le jury constituerait la moralité de l’exposition, et s’assurerait l’influence la plus efficace sur la direction des esprits et le maintien des traditions. Les listes ainsi préparées, il resterait à les remplir par des élections attentives et méthodiques, que l’administration accepterait comme obligatoires. Les décorations, les acquisitions, les médailles seraient toutes réparties entre les premiers rangs de chaque liste, en tenant compte des distinctions antérieurement accordées ou des commandes faites avant l’exposition. Bien des noms, malgré cela, ne seront point atteints par les récompenses, car il y a des années (et l’année 1861 est du nombre) où les fonds que le ministère d’état peut consacrer à l’art ne sont pas considérables ; mais l’honneur d’être choisi par le jury et de voir ses œuvres parmi quelques centaines de toiles ou de statues proposées au suffrage public serait une consolation éclatante, un titre à la célébrité et une source d’avantages réels.
On me dit que le jury sera dans une situation délicate, et qu’il excitera bien des plaintes. Je n’en crois rien. Les plaintes ont leur raison, lorsque sur sept mille tableaux on en reçoit quatre mille. Il est évident que dans ce nombre il y en a des milliers de médiocres, qui ne diffèrent de ceux qu’on a refusés que par des nuances. Comment juger entre ce qui est mal et ce qui est mauvais ? Comment établir des limites équitables entre la laideur, la platitude, l’ignorance et tant d’autres négations de l’art ? Par pitié, quelquefois par lassitude, le jury laisse passer plus qu’il ne doit. Il sent qu’il est cruel d’empêcher un artiste d’offrir ses productions, si faibles qu’elles soient, au public, qui les achèterait peut-être. Aussi serait-il convenable d’épargner au jury une tache aussi ingrate et de ne point compromettre inutilement son autorité. Les éliminations préalables, qui ne seraient plus faites qu’au nom du bon sens et de la pudeur, pourraient être confiées à une simple commission, et l’on réserverait pour le grand concours toutes les forces du jury. Aujourd’hui on conçoit que les artistes maltraités, quand ils voient à l’exposition tant d’œuvres qui ne diffèrent des leurs que par le degré de médiocrité, les critiquent avec amertume. Il n’en sera plus de même lorsque tout ce qui est douteux, également admis pendant un mois, sera ensuite également écarté, et lorsqu’il ne restera qu’un petit nombre d’élus, capables de supporter l’examen le plus malveillant. D’ailleurs, l’Académie saura quel compte elle devra tenir de l’opinion publique, qui se sera déjà manifestée, de même que ses décisions seront aussitôt soumises au contrôle de l’opinion. Les vainqueurs du concours seront l’objet d’une seconde exposition, d’autant plus facile à juger qu’elle sera plus restreinte. Il y aura là pour la foule non-seulement un plaisir et un repos d’esprit parmi des œuvres qui seront toutes bonnes, sinon belles ; il y aura une éducation.
De la sorte, sans heurter nos habitudes, sans amoindrir les privilèges des artistes, que nous devons souhaiter d’étendre encore, nous avons deux expositions, deux jugemens, deux publics. Pendant le mois de mai, le Palais de l’Industrie est un marché de sculpture et de peinture ; une commission spéciale a fait la police de ce marché et l’a purifié ; les acheteurs sont introduits, ils font leur choix, la liberté de commerce est sans limites. Pendant le mois suivant, le Palais de l’Industrie devient un musée où le concours n’admet que les plus dignes ; l’Académie des Beaux-Arts préside en souveraine ce concours, dont l’administration déduit rigoureusement les conséquences : le public, rappelé de nouveau, n’est plus qu’un contemplateur, qu’un juge, et les jouissances sans mélange qu’on lui propose affermissent son respect pour l’art autant que son goût. En même temps les artistes sérieux sont assurés d’obtenir l’attention et les encouragemens qu’ils méritent, car la réforme que nous réclamons, nécessaire au maintien de l’art, utile au public, profiterait surtout à ceux pour qui le succès n’est pas seulement un but, mais un moyen, et qui ne trouvent la gloire vraiment féconde que si elle enfante le travail du lendemain.
BEULE.
- ↑ Voyez, dans la Revue du 1er novembre 1860, une étude sur le Principe des Expositions.
- ↑ Il suffit de transcrire les conclusions du rapport de l’académie, lu en séance solennelle : « Après ces observations, qui nous sont dictées par l’importance même de l’ouvrage, nous dirons avec plaisir que cette statue est empreinte d’un cachet remarquable et qu’elle offre une somme d’originalité digne d’éloges. Nous pourrons en outre y signaler de belles parties d’exécution et remarquer la puissance de vie et de modelé que l’artiste a su y répandre. C’est en présence de ces qualités et en considération d’un marbre exécuté avec ce nerf et avec cette chaleur que nous croyons pouvoir exprimer le vœu que le gouvernement fasse l’acquisition de cette statue, qui complète si dignement la série très variée des études de M. Perraud. » Voyez le compte rendu de la séance annuelle de l’Académie des Beaux-Arts (année 1853).
- ↑ « Hélas ! il n’y a de durable ici-bas que la douleur. »