Sur ce grabat, chaud de mon agonie,
Pour la pitié je trouve encor des pleurs ;
Car un parfum de gloire et de génie
Est répandu dans ce lieu de douleurs ;
C’est là qu’il vint, veuf de ses espérances,
Chanter encor, puis prier et mourir :
Et je répète en comptant mes souffrances :
Pauvre Gilbert[1], que tu devais souffrir !
Ils me disaient : Fils des Muses, courage !
Nous veillerons sur ta lyre et ton sort ;
Ils le disaient hier, et dans l’orage
La Pitié seule aujourd’hui m’ouvre un port.
Tremblez, méchants ! mon dernier vers s’allume,
Et si je meurs, il vit pour vous flétrir…
Hélas ! mes doigts laissent tomber la plume :
Pauvre Gilbert, que tu devais souffrir !
Si seulement une voix consolante
Me répondait quand j’ai longtemps gémi !
Si je pouvais sentir ma main tremblante
Se réchauffer dans la main d’un ami !
Mais que d’amis, sourds à ma voix plaintive,
À leurs banquets, ce soir, vont accourir,
Sans remarquer l’absence d’un convive !…
Pauvre Gilbert, que tu devais souffrir !
J’ai bien maudit le jour qui m’a vu naître ;
Mais la nature est brillante d’attraits,
Mais chaque soir le vent à ma fenêtre
Vient secouer un parfum de forêts.
Marcher à deux sur les fleurs et la mousse,
Au fond des bois rêver, s’asseoir, courir,
Oh ! quel bonheur ! oh ! que la vie est douce !…
Pauvre Gilbert, que tu devais souffrir !
- ↑ Ce nom fatal vient se placer comme de lui-même sous les jeunes plumes qui tremblent en l’écrivant. L’auteur de la Satire du dix-huitième siècle est une gloire consacrée devant laquelle on s’agenouille en fermant les yeux. Pour quiconque ose les ouvrir, il est évident que Gilbert ne fut ni un Chatterton, ni un André Chénier, ni même un Malfilâtre ; mais il dut à son agonie solitaire une magnifique inspiration, et ses adieux à la vie, que tout le monde sait par cœur, suffiraient seuls, aujourd’hui qu’il a pris rang parmi les véritables poètes, pour faire taire à ses pieds tout reproche d’usurpation. H. Moreau.