Une âme à la mer/05
IXe Olympiade
PRÉFACE
« Les tempêtes favorisent ceux qui les bravent. »
Tel est le télégramme qu’un jour de 1923 Madame Virginie Hériot reçut d’un amiral hollandais, lorsqu’elle vint de Rotterdam au Havre en vingt-et-une heures, temps record pour un voilier.
Sur Ailée, sa grande goëlette de 500 tonneaux que couvrent huit voiles, Madame Hériot brave tous les temps, contraires ou favorables, toutes les saisons la trouvent à la mer. Dix mois sur douze elle vit à son bord. Pour elle yachting n’est point passe-temps de riche, c’est la vie, simplement, la vie âpre et saine du marin. Là seulement s’épanouit tout son être, à terre elle semble un albatros en cage. Son Ailée est sa demeure, elle s’y réfugie loin des égoïsmes, des laideurs et des mesquineries, elle y trouve la solidarité, l’entr’aide, le rêve parfois et l’action toujours, l’action pure, belle et forte. Elle y trouve aussi les rivalités magnifiques de ces régates où elle défend nos couleurs, où elle représente la marine, toute la marine.
Car la marine est une et n’arbore, chez nous, qu’un pavillon. Il n’y a point guerre, commerce, plaisance et pêche : il y a la marine pour qui Madame Hériot sur ses trois navires, comme Gerbault sur Firecrest, fait œuvre de marin de même que les commandants de cuirassés, de paquebots ou de cargo-boats, de même que les patrons de chalutiers.
Trois navires, l’Ailée, l’Aile et la Petite Aile arborent la marque si souvent victorieuse. Bleue à trois bandes blanches, elle porte sur ses quartiers du haut, en des écus à la française, d’un côté le coq des champions et les cinq anneaux olympiques, de l’autre la Coupe d’Italie avec le nom de l’Aile VI triomphante. Sur les quartiers du bas deux cercles enferment l’un la Médaille d’Or du Yacht-Club, et l’autre la Croix de la Légion d’honneur décernée en 1928 à Madame Hériot. L’Ailée, l’Aile et la Petite Aile sont trois combattants.
Les régates sont des combats. On y lutte contre les rivaux prêts à tout car l’ami le plus cher est l’ennemi pendant la course. On y lutte contre cet être vivant, fait de bois, de toile et de filin qu’est le navire : créature capricieuse, toujours prête à s’allier avec les vents, les courants et les houles pour profiter de la moindre faiblesse, de la plus petite erreur de qui la manœuvre. On y lutte enfin contre la mer, l’ennemie chérie.
En ces combats, Madame Hériot se donne tout entière, sur ses bateaux que son âme imprègne, vivifie, électrise, sur ses bateaux dont elle a tout étudié elle-même : dessin de la carène, disposition des mâts, coupe des voiles, répartition des poids. Son amour de la mer, son expérience, son énergie indomptable et son sens marin ont fait d’elle une virtuose du yachting de course, le plus passionnant des beaux-arts, le seul héritage qui nous reste de l’époque merveilleuse des voiliers.
Lorsque Madame Hériot est victorieuse, lorsqu’un nouveau trophée s’ajoute aux trophées innombrables dont le carré d’Ailée s’enorgueillit, c’est chaque fois une victoire française totale. Les pavillons d’Aile et de Petite-Aile ne couvrent rien d’étranger. Tout à bord, de la quille à la pomme du mât, est de chez nous. Ainsi le succès prouve-t-il non seulement que cette Française passionnée de France est la première parmi les meilleurs, mais aussi qu’en matière de construction navale notre pays tient la tête. Madame Hériot, avec une joie intense, confond ainsi tous ceux qu’aveugle leur admiration exclusive de tout ce qui est anglais, scandinave ou Yankee.
C’est ainsi qu’au mois d’août 1928, à bord de l’Aile, sixième du nom, triomphant de la Hollande, de l’Italie, de la Grande-Bretagne, des États-Unis, de la Suède, de la Norvège et de la République Argentine, Madame Hériot a gagné les épreuves des Jeux Olympiques et de la Coupe d’Italie.
Entre les durs et quotidiens remorquages de l’aller et du retour, dans l’ambiance des jalousies frôlant parfois la haine, ce que furent ces épreuves exténuantes, dans le Zuyderzée aux lames courtes et creuses, aux brises capricieuses soufflant souvent en tempête, la plume vibrante, alerte et précise de Madame Hériot nous le dit dans l’ouvrage que voici et que j’ai lu avec une profonde émotion.
Pour vivre en bonne intelligence, écrit-elle, ne vaut-il pas mieux s’ignorer que de s’affronter ?
Peut-être est-ce en effet préférable, mais le pays ne peut que se réjouir lorsqu’il voit une Française de cette qualité affronter les rivaux étrangers.
Cette Française n’hésite pas à affirmer sa joie et son orgueil d’être l’âme de son navire triomphant : « joie et orgueil que j’accepte, dit-elle, pour ceux, marins comme moi, qui savent ».
Marin comme elle, je sais, et je la remercie de l’honneur qu’elle m’a fait en me demandant de présenter ce petit livre qui, pour nous tous, a la force d’un grand exemple.
Je dédie ces pages au Président de l’Union des Sociétés Nautiques françaises, le capitaine Massieu, et à toutes les Sociétés nautiques françaises, depuis le Yacht Club de France, notre grande Société d’encouragement, jusqu’à la plus petite société d’entre elles !
Dans le même esprit sportif, dans le même sentiment de reconnaissance à ceux qui ont fait notre victoire :
Monsieur BOUCHÉ, barreur.
Messieurs LA SABLIÈRE, DERRIEN, LESAUVAGE, LESIEUR, équipiers.
À FROUT, MESCAM, GÉGOU, mes marins.
AMSTERDAM
AMSTERDAM : servir la France.
Ce que l’on doit faire ici : vaincre !
Concentrer son énergie, sa volonté vers ce but sacré.
La foi qui m’anime, m’entraîne, me soulève vers cet idéal, tandis qu’autour de moi, pour le même but, assemblés, les fils de toutes les nations du monde désirent avec la même âpreté, la victoire. Voilà ce qui, dès mon arrivée, s’affirme en moi.
M’élevant sur la pointe des pieds, les bras levés vers le ciel, je veux, je saurai arracher une branche verte de lauriers amers, et mes doigts sauront tresser les feuilles en couronne, afin de l’offrir orgueilleusement à ma Patrie après la victoire, un genou à terre, en reconnaissance.
Telle je veux être aujourd’hui, en cette année 1928 qui voit en Hollande, à Amsterdam, se dérouler les jeux de la IXe Olympiade.
Debout, les yeux brillants de larmes, voir sur le fond du ciel olympien monter lentement, monter en se déployant, l’immense et magnifique pavillon de France.
À bloc il ondule superbement, tandis que, de la foule des 40.000 spectateurs, monte le grand cri de triomphe et de salut.
Alors, nos cœurs de Français, trop petits pour contenir notre joie, éclatent d’émotion dans nos poitrines ! minute inoubliable !
Puis au pas, en cadence, je défile dans le Stade avec les autres Français vainqueurs.
Le cœur en fête, je monte à la tribune d’honneur, où je m’incline devant une Reine qui me remet une médaille d’or.
Je suis proclamée championne olympique Française des jeux de la IXe Olympiade.
Quel bonheur d’avoir pu déployer, pour la France, mes Ailes victorieuses sur la mer aimée, loin des foules et des regards.
Nous n’étions qu’une volonté (bateau, propriétaire, barreur, équipages) tendue et ramassée, et rien de plus dans la lutte ardente, décevante, âpre, que nous eûmes à soutenir sept jours durant.
L’Aile est très belle, corps (coque), esprit (équipage), et âme ! Je sais maintenant (plusieurs circonstances l’ont prouvé) que j’en suis l’âme en quelque sorte, l’âme qui fait que tout tient ensemble, l’âme qui ressent la moindre nuance, l’âme vers qui tout se tourne pour s’exprimer, l’âme que pressent les moindres mouvements intérieurs. Tout cela est une grande joie et aussi un certain orgueil que j’accepte pour ceux, marins comme moi, qui savent.
Le soir, revenir fatiguée et transie parmi les rues bruyantes d’Amsterdam, pavoisées et éclairées, être bousculée par tous les êtres des quatre coins du monde !
Gens mélangés sur les trottoirs comme les pavois des Nations que l’on voit onduler aux fenêtres ! sur tous ces visages se lit si facilement leur nationalité.
Américains — Italiens — Allemands — Anglais — Japonais — Espagnols… enfin les représentants de 47 nations se dévisagent.
L’idée Olympique est une très haute idée d’Idéal, de beauté et de rayonnement.
Ne vient-elle pas de France ? Sa portée morale est grande. Se connaître et s’apprécier, certes, est une très jolie chose, mais, dans le sport et la lutte, est-on bien sûr d’y parvenir ? Le patriotisme plus fort que tout ne fera-t-il pas dévier le but même ? Dans l’âpre lutte et le désir de vaincre chaque nation se sentira encore plus isolée et une.
Dans la mêlée du dernier espoir de vaincre tout le ressentiment ne montera-t-il pas du cœur des vaincus ? Dans le noble sport de la voile, j’ai vu des gentlemen ne pas se conduire comme tels.
Certains yachtmen, que j’avais jadis connus courtois dans leur pays, cessent dans la défaite tous gestes amicaux.
Sentir la jalousie et l’hostilité rôder autour de mon bateau et de notre équipe.
Petitesses humaines en mouvement, comme si de cette admirable lutte sportive ne devrait pas jaillir seulement toute la beauté du plus grand effort.
Nous vivions à Amsterdam sur pied de guerre.
Enfin, lorsque les victoires furent proclamées devant le monde entier, toutes les nations se ressaisissant acclamèrent les vainqueurs !
Et chacune, pourtant, au fond de son âme, ne pût que faire cette triste constatation : comme nous sommes loin les uns des autres !
Comme chaque pays est différent… et pareil à un solitaire sauvage qui, le soir, en regardant le feu s’écriera : « Je n’ai pas su rencontrer un être semblable à moi-même, je n’ai pas d’amis. »
Et les pays, ni pires ni meilleurs, après s’être rassemblés là un moment, se disloqueront, ni plus rapprochés, ni plus lointains. Je ressens encore le douloureux étonnement de cette âpre lutte qui cessait parfois d’être courtoise.
Est-ce vraiment pour nous aimer davantage que nous sommes tous réunis ?
Pour vivre en bonne intelligence, ne vaut-il pas mieux s’ignorer que de s’affronter ?
Telle est la question ?
Cependant, je le répète de toute mon âme de vraie sportive, l’idée olympique est admirable. Il faut toujours imposer ce qui est beau à ceux qui ne le comprennent pas.
De reconnaissance et de fierté d’avoir vécu ces instants solennels, d’avoir pu marquer une victoire olympique pour la France, j’adresse ici un pieux hommage à la mémoire du grand animateur des luttes sportives, un Français : Monsieur de Coubertin.
POUR VAINCRE
De l’effort
Donner tout de soi-même — volonté, pensées, forces physiques.
Prendre sur ses nerfs la substance même de vie et de résistance !
Sentir, dans la plénitude de l’effort, le dépassement de soi.
Tellement vouloir.
Tellement donner que, se perdant dans son idéal, on devient l’expression même de son énergie.
Mais le soir, l’action terminée, lorsque l’on se retrouve tout joyeux de la tâche accomplie, de fatigue, de reconnaissance et d’émotion, je puis fermer les yeux, anéantie, couchée sur les voiles mouillées !
J’habitais à la pension de Haas Tesselschadestraat.
2 régates d’entrainement.
7 journées olympiques.
3 courses pour la coupe d’Italie.
Tel était le programme à accomplir : sur 15 journées à Amsterdam je devais en passer douze à bord.
Levée à 6 heures 1/2, j’arrivais avec mes équipiers à Sixhaven à 7 h. 1/2 ; ils venaient me prendre à la pension de Haas, et empilés dans un taxi, nous emportions chaque jour, dans nos sacs de marin, vêtements de rechange, nourriture, sans oublier quelques bonnes bouteilles chères aux marins français.
Le remorqueur nous prenait alors à 8 h. 1/2, et il fallait compter 3 h. 1/2 ou 4 heures, selon la brise, pour nous amener au Start très loin sur le Zuyderzée.
Le départ avait lieu à 12 heures 30.
Le course durait environ 4 heures, souvent 5 heures.
Le remorqueur nous reprenait après l’épreuve, jusqu’à Sixhaven ; le temps de nous amarrer à notre poste, je ne pouvais jamais regagner ma pension avant 8 ou 9 heures du soir.
Mes trois marins : Frout, Mescam, Gégou, couchaient à bord.
À 8 heures, l’Aile était parée pour la remorque ; nous emmenions avec nous le you-you et les deux voilures, afin de pouvoir jusqu’au dernier moment enverguer celle qui convenait le mieux au temps. Mes trois marins nous quittaient, une demi-heure avant le départ, laissant l’Aile fin prête, emportant dans le you-you la voilure inutile.
Ces braves gens allaient s’amarrer à l’arrière du bateau du comité, suivant palpitants nos prouesses, navrés parfois par nos mauvaises manœuvres. Aussitôt après l’arrivée, ils embarquaient à nouveau sur l’Aile.
J’avais depuis longtemps l’habitude de me faire mouiller en régates 4 ou 2 heures durant, mais non 10 ou 15, ce qui m’est arrivé plusieurs fois pendant ces journées mémorables.
L’Aile, faisait beaucoup d’eau, et le calfatage étant défectueux, rien ne pouvait être gardé sec à bord. La pluie battante, les embruns embarquaient à bord comme chez eux, nos sacs étaient aussi mouillés à l’intérieur qu’à l’extérieur et nous étions nous-mêmes trempés jusqu’aux os.
Nous arrivions tous à la fois pour nous sasser à l’écluse ! treize 6 mètres, huit 8 mètres. Les règles de navigation comportent ordinairement assez d’égards et de prévenances envers les bateaux de course, si délicats et si précis. Hélas, pas en Hollande ! remorqueurs, chalands, barges et yachts de plaisance, sans aucun esprit sportif, nous bousculaient, nous raclaient, arrachant les pavillons par-ci, abîmant les peintures par là.
C’est à qui passerait le premier de l’autre côté de l’écluse.
Après deux ou trois passages dans cet enfer, l’Aile blanche était devenue un échantillon de palette. Un jour, enfin, elle eut son plat-bord arraché, et le patara cassé. Je fus obligée d’échanger quelques paroles avec le capitaine du navire abordeur.
L’ÉCLUSE
À l’écluse, tous les équipages sur le pont, hommes de toutes les nationalités se dévisageaient…
Sur le 8 mètres Italien Bamba, les équipiers, les plus élégants de tous, étaient en blanc sous la pluie, en bleu et blanc avec beaucoup d’or lorsqu’il faisait beau, ayant toujours, sur le cœur, le faisceau fasciste.
Sur le 8 mètres Anglais Feo, impeccables, Miss Magaret Rowney et son frère, avaient l’air, avec leurs équipiers, d’être encore à Cowes tout simplement, et n’arboraient rien de ce que nous arborions tous.
Sur le 8 mètres Américain Baby, l’équipage en bleu-noir, portant l’enseigne étoilée sur la poitrine, ne saluant personne, sera resté aussi lointain des autres équipages que leur mauvais 8 mètres de nos coques !
Sur le 8 mètres Norvégien Noreg, blanc aux reflets vert d’eau, la grande équipe blonde et sympathique parlait joyeusement avec cet accent chantant de Norvège.
Sur le 8 mètres Argentin Cupidon iii, où tous parlent français, quantité de jeunes gens charmants ne semblaient pas pouvoir, ni savoir faire grand chose sur l’eau.
Sur le 8 mètres Hollandais, Hollandia, l’équipage austère et farouche qui le manœuvre, taillé en force, était impressionnant par le poids et la hauteur. Mais ces hommes, de gris et de noir vêtus, avaient l’air de porter le deuil de leurs illusions perdues, malgré leur bel insigne jaune or.
Sur le 8 mètres Suédois Sylvia, l’équipage attirait toute mon attention et m’enchantait ! Nijinski et Nijinska semblaient évoluer en dansant sur le pont. Ils étaient jaunes et puis bleus, et puis jaunes et bleus, et bleus et jaunes, et en losanges et en carreaux, et en rayures, dont les bigarrures montaient jusqu’à leurs bonnets. Et, largement déployé sur leur poitrine, leur pavillon jaune et bleu était brodé, de l’épaule gauche à la droite. Oh ! l’équipage de Sylvia.
Sur le 8 mètres français l’Aile, par mauvais temps, l’équipe ressemblait, avec ses cirés disparates, jaunes et noires, à une poignée de Bretons qui auraient fait la pêche !
À bord une femme : la seule à courir les finales. En vain aurait-on cherché à la distinguer par gros temps, mais en comptant bien cirés et suroîts, étaient bien six à bord.
Dans l’écluse, l’équipage était en bleu et blanc, coiffé du bérêt basque avec sur le cœur, et sur la poitrine, leur cher cocorico.
Ils étaient les seuls à blaguer, le verre en mains, semblaient trouver la vie belle, et Madame Hériot, parce qu’il faisait beau, avait une jupe blanche !
Et, comme pour ajouter à l’impression de cohue cosmopolite ressentie dans l’écluse, un joueur de trompette arrachait toutes les oreilles, massacrant successivement tous les hymnes nationaux.
Ce temps de l’écluse était insupportable !
LES PAVILLONS
À Sixhaven, chaque 8 mètres avait sa place indiquée par un grand mât de pavillon en haut duquel flottaient ses couleurs.
Chaque jour, à 8 heures où sur toutes les mers du monde, sont envoyées nos couleurs sur les navires de guerre, je déferlais notre pavillon, geste qui réconforte et encourage.
L’annonce des victoires se faisait au club, par pavillons.
Le grand mât orienté face à Amsterdam se fleurissait chaque jour de pavillons au retour de notre journée olympique, indiquant dans les trois séries, 8, 6 et dinghy, les 1re, 2e et 3e places.
Les pavillons restaient hissés jusqu’au classement du jour suivant que le bateau du comité apportait, faisant ainsi connaître à tous ceux qui passaient le résultat lointain de ceux qui luttaient sur le Zuyderzée.
En ville également, de nombreux pavillons arborés aux fenêtres des maisons indiquaient que là logeaient des joueurs olympiques.
À la pension de Haas flottaient les couleurs américaines, allemandes, anglaises, hollandaises.
Je patientai deux jours et, choisissant mon heure, je fis demander la propriétaire, qui parlait français, lui dis : « Madame, je suis fort étonnée de ne pas voir ici flotter un pavillon Français.
« Puisque vous avez le plaisir de m’avoir sous votre toit, comme représentante de mon pays, je crois que vous pouvez faire pour moi ce que vous faites pour les autres nations. »
La Dame s’inclina, rougit, s’excusa ; et le lendemain un beau pavillon français flottait à une fenêtre de la pension de Haas.
L’équipe française du sport de la voile ne passa pas inaperçue dans les rues d’Amsterdam : veston bleu, pantalon gris, casquette impeccable, coq gaulois et insignes, ces beaux habits étaient accompagnés d’un jersey blanc aux rayures bleues, cravate bleu, sandales, béret basque, le tout donné par le Comité Olympique Français.
VICTOIRES
Un silence glacial accueillit notre arrivée !
Je me souviendrai toujours du 1er « hip-hip-hourrah » clair et joyeux qui monta du Cupidon Wiking qui croisait sur notre ligne d’arrivée pour nous attendre et la façon dont Philippe de Rothschild et ses équipiers nous saluèrent, nous réchauffant le cœur et nous rendant tous heureux.
Puis ce fut le salut de Bamba Italien éclatant et magnifique, qui arrivait second et ceux de nos six autres concurrents.
Je ne suis pas prête d’oublier le joli geste de Philippe de Rothschild et de son équipage d’amateur.
Comme elle fût belle, en nous donnant tout l’espoir du lendemain…
Nos concurrents commençaient à accepter notre supériorité…
La France, la Hollande, la Suède ont chacune deux premiers prix.
Égalité.
Aujourd’hui, journée décisive !
Un de ces trois bateaux doit sortir vainqueur, une de ces trois équipes doit prétendre, ce soir, au plus grand titre du monde :
Champion Olympique.
Heures d’angoisse, de lutte et puis enfin : la Victoire, la Gloire !
J’étais si émue ; aux dernières manœuvres, mon cœur battait si fort !
L’émotion faisait place à la joie qui se prépare dans l’orgueil.
C’était si beau, si bon, de voir l’Aile, mon bateau, la France, victorieuse.
Nous venions de virer la dernière bouée, nous étions maintenant largue, bon plein, grosse brise avec une très belle avance, nous étions premiers, oui, vainqueurs !
Mais là-bas seulement, à trois milles d’ici, l’arrivée… la nuée des bateaux mouillés, le navire de guerre, et la ligne d’arrivée marquée par les deux pavillons orange.
Rien ne pouvait nous arriver pour nous empêcher de gagner, et cependant à la mer on ne sait jamais… Et le silence le plus angoissant pesait à bord ; nous n’osions pas nous regarder, nous réjouir encore, l’équipage, et Bouché à la barre, impassible pour nous, était anxieux et la gorge sèche !
Mais nous approchions et bientôt… Je n’oublierai jamais la lenteur, la pesanteur de l’arrivée de notre plus belle victoire !
Nous approchions rapidement, les pavillons orange claquaient bien dans la brise, qui ne pouvaient plus ni refuser ni calmir.
Mais le silence suffocant régnait encore à bord. Lorsque à 100 mètres de l’arrivée d’un yacht allemand un cri déchira l’air :
— Vive Madame Hériot !
— Vive la France !
Ce fut un grand réveil ! pour nous, éclatant, brutal ; les nerfs se détendirent ; frémissants de joie, nous dépassâmes les pavillons, et je vis, sur le bateau de guerre, un officier donner le « top » pour tirer le coup de canon !
Victoire ! Victoire ! Victoire !
Et ce furent des hourras, des hurlements, des sirènes, une rumeur confuse s’éleva de tous les bateaux mouillés, de tout ce qui naviguait sur le Zuyderzée.
Nous hurlâmes, pour la France, les « hip-hip hourra » !
Bouché me prend par l’épaule et m’embrasse sur les deux joues ! Les équipiers l’imitent… nous étions fous de joie.
La joie délirante du you-you venant nous accoster avec Frout, Mescam, Gégou était touchante ! toutes les mains se serrèrent et dans ce geste, il y avait du bonheur et beaucoup d’émotion.
Puis ce fut le salut de nos deux concurrents, la Hollande et la Suède, auquel nous répondîmes. Du grand bateau blanc qui suivait les Olympiques depuis 7 jours avec de nombreux curieux amateurs et yacht-men monta tout à coup la Marseillaise !
Tête nue, nous écoutions, lorsque je vis dans les yeux de Bouché des larmes, alors que je croyais que c’étaient les miennes qui coulaient.
Instants inoubliables !
De cette foule, penchée sur nous, avec tous les accents du monde s’élevaient les cris de : Vive la France ! Vive Madame Hériot !
Sur la plus haute passerelle, je reconnus l’Amiral Hollandais qui voulait à toute force nous accoster pour me donner une superbe gerbe de fleurs. Je la reçus en pleine poitrine, souriante et ravie, mais ces fleurs n’étaient pas pour moi seule.
Sous des exclamations d’approbation, j’allais à l’arrière les amarrer à leur place, en symbole à la pomme du mât de pavillon où flottaient nos couleurs !
Puis je fis envoyer à mi-mât les 3 pavillons de victoire (bleu à trois bandes blanches) et, triomphalement acclamés par tous, nous revînmes à Sixhaven.
APRÈS
Souvenir des heures de régates, qui déjà sont dans le passé.
Pénibles heures de remorque que ces quatre heures passées avant l’effort où, dans l’attente anxieuse, on a déjà le temps d’être bien mouillé, fatigué, le temps de penser à toutes les manœuvres à faire pour crocher les concurrents les plus dangereux, le temps d’être nerveux et las.
Remorque par la pluie battante, toutes voiles dans les sacs.
Il faisait froid, humide ; tous recroquevillés dans la cabine, nous mangions sur le pouce, transis, discutant ce que nous allions faire, ce que nous devions faire pour vaincre !
Remorque du retour !
Lorsque la journée avait été bonne, on causait gaiement et le temps paraissait moins long, dans la joie de l’effort du jour et dans l’espoir du lendemain.
Mais il y eut trois soirs pénibles où le découragement me frôla.
Le premier lorsque l’Aile fut septième, ayant sa voilure de gros temps et son petit foc, alors que la brise mollit jusqu’à devenir nulle.
Retour pesant et silencieux.
Le deuxième, je descendis dans la cabine pour y pleurer de rage et de déception, après avoir moi-même croché le pavillon de réclamation dans les haubans de l’Aile en passant devant le bateau du Comité et tourné le dos au salut des officiers du navire de guerre.
Notre remorqueur, donné par le club, pas assez puissant par grosse houle et vent debout, nous avait, ce jour-là, remorqué beaucoup trop lentement.
Le club assurait toutes les remorques depuis le début des épreuves, nous dépendions de lui, comme tous les autres bateaux d’ailleurs.
Arrivés sur la ligne de départ avec dix minutes de retard en compagnie de Bamba, nous pûmes constater que le comité avait déjà donné le départ, faisant preuve d’un manque absolu d’esprit sportif, alors que la plus élémentaire politesse eût été de le retarder d’un quart d’heure, puisque le retard était dû à la faute du comité.
Je déposai le soir même, au Club, en même temps que les Italiens, une énergique réclamation, qui ne fut pas acceptée. J’eus avec le président Monsieur Lucassen, une très pénible explication.
M’effaçant en tant que propriétaire, je parlai au nom de mon pays : Il doit se souvenir de ce que je lui ai dit.
Le troisième.
Nous aurions dû, ce jour-là, être deuxième et nous finissions quatrième. Deux fausses manœuvres au vent arrière et au largue coup sur coup nous avaient fait perdre notre 2e place, si admirablement gagnée au louvoyage.
L’écoute du spinaker engagé, l’écoute du ballon mal dépassée et le Norvégien, beaucoup plus lourd que l’Aile, avait su, par ses manœuvres impeccables, avoir raison de nous !
Les nerfs à bloc, il m’avait été impossible de ne pas exprimer ce que j’avais sur le cœur : Si vous étiez mes marins, je vous f… à l’eau !
Pauvres équipiers !
Ce n’était pas fini pour eux ce jour-là.
Mes marins indignés, en accostant l’Aile, haussaient les épaules en croisant les bras, gestes qui veulent en dire long pour des Bretons ! Gégou leur montra même le poing !
Dans la poursuite du but qui nous était assigné chacun sentait sa part de responsabilité. Grâce à ce merveilleux esprit, grâce à ce si grand vouloir, nous avons réussi.
La Victoire revenait à ceux qui l’avaient le mieux appelée.
La Victoire Ailée s’était penchée vers l’Aile qui dans un dernier effort, avait ouvert toutes grandes ses Ailes !
POUR ÊTRE DÉSIGNÉ COMME CHAMPION OLYMPIQUE
Juillet : Havre.
En France, je reproche amèrement à ceux qui procèdent d’aller toujours à l’étranger chercher le dessinateur, le chantier pour leur bateau de course !
Quelle erreur ! la preuve : ma victoire Olympique et tant d’autres. Si nous encouragions nos chantiers au travail, nous serions aussi capables que les autres de bien construire, mais, hélas ! toutes les bonnes volontés s’éparpillent.
Pour les grands voiliers, oui, je m’incline ; à partir d’un certain tonnage, l’Angleterre seule est capable de faire très bien. Ne me suis-je pas adressée pour ma nouvelle Ailée à Charles Nicholson, de Gosport ? Mais quelle différence entre un bateau de croisière et de courses ?
Les bateaux de courses sont les automobiles sur l’eau, qu’il est nécessaire de changer souvent pour le sport et le progrès, tandis que le voilier de croisière est la maison sur l’eau de ceux qui aiment la mer. Je me suis vouée à la construction française de bateaux de courses et je me tue à prouver que nos bateaux bien menés sont aussi bons que les meilleurs.
J’en suis à mon 8e bateau français, et combien plus fière de mes victoires que les autres.
Je déplore que mes compatriotes ne suivent pas mon exemple. Nous serions beaucoup plus nombreux à faire du bateau, et ils ne décourageraient pas ceux qui ont des navires français. Il ne faut pas oublier qu’un bateau Anglais ou Norvégien valant trois et quatre fois plus cher que les nôtres a la prétention de vouloir tout gagner dans nos compétitions. Les Français devraient reporter leur reconnaissance et leur orgueil sur leur beau pays, mais le patriotisme, chez eux, est atténué par le contact cosmopolite et journalier de villes où ils aiment vivre : Cannes, Biarritz, Deauville, Vichy, Paris.
Voici un exemple aux Olympiques : Les nations engagées dans la série des 8 mètres n’auraient pour rien au monde opposé un bateau, qui ne fût dessiné et construit dans leur propre pays : ceci s’appelle patriotisme ! Les États-Unis opposèrent un bateau américain ; la Norvège avait un bateau norvégien ; la Suède un bateau suédois ; l’Italie, un bateau italien ; l’Angleterre, un bateau anglais ; la Hollande, un bateau hollandais ; l’Argentine, un ancien bateau français, étant la seule nation à ne pas avoir de dessinateurs et de chantiers.
Tous ces bateaux avaient été construits et entraînés pour ce but, avec l’espoir de vaincre dans cette si importante compétition.
J’appris, par leurs propriétaires, que, depuis une année, ils travaillaient dans ce sens, ayant trouvé dans leur pays respectif et leurs clubs tout l’appui nécessaire, moral et pécunier, pour l’entraînement, la mise au point du bateau du champion qui avait la gloire de faire flotter leurs couleurs, de représenter leur pays.
Et la France eut un Français, qui fut vainqueur. Mais ce ne fût pas sans peine. Ne croyez pas que les Français l’aient fait exprès et se soient émus de cette situation en montrant au monde entier que nous n’étions pas capables d’opposer un bon 8 m. de nos chantiers aux Olympiques. L’union des Sociétés Nautiques Françaises fut dans l’obligation d’organiser des éliminatoires comprenant bateaux étrangers et bateaux de construction nationale. La nationalité du propriétaire seule importait. Elles eurent lieu au Havre, en juillet seulement ; après une lutte âpre et vive, je triomphai du bateau norvégien qui m’était opposé. Mais on ne me facilita pas la tâche.
Exemple : Une journée où furent courues deux épreuves sans que j’eusse été prévenue de la seconde. On m’avertit seulement une heure avant le second départ ; impossibilité matérielle de trouver mes équipiers dans leur bureau en ville. J’en prévins le Comité qui donna le départ à mes concurrents me faisant perdre ainsi une épreuve.
Sans mes efforts, la France était représentée aux Olympiques dans les 8 m. par un bateau Norvégien Enchantement IV, comme elle l’était déjà en 6 m. par Cupidon Wiking. Quelle dépréciation pour nos dessinateurs !
Voilà ce que je déplore, dans notre sport, que toutes les volontés ne se tendent pas vers le même but ; et c’est avec ma sincérité, cette sincérité que personne n’ose plus mettre en doute, que j’écris, en gardant le sourire, ces lignes, d’une plume légère, après ma belle victoire de la IXe Olympiade.
Je sais cependant — je ne me fais pas d’illusions — que peu de gens m’écouteront ; ceux-là même qui pourraient le faire aiment briser les élans, amoindrir les efforts ; la jalousie intervient, et ceux qui devraient m’aider sont ceux qui me sont nettement hostiles.
C’est triste de se demander, certains jours, si tous les efforts que l’on fait sont inutiles. Si de sa vie il ne restera rien pour les autres.
Mais rien ne pourra cependant atteindre ma foi, rien ne pourra décourager mon enthousiasme. Mes Ailes me portant, mon Idéal ne me semble pas trop lourd !
Pour continuer la lutte ma force, ma ténacité, mon exclusivisme veillent, et par-dessus tout l’Amour de mon pays et de la mer.
J’ai entrepris une œuvre patriotique sur l’eau, je la continuerai. Je n’ai pas besoin d’être encouragée, pas plus que je ne saurais être touchée par les doutes qui étreignent les cœurs faibles. Donner sa vie pour quelque chose est nécessaire, soit pour un but, un être, une œuvre, pour un idéal, c’est l’essentiel !
Ne pas savoir que faire de sa vie, voilà la vraie misère, l’angoisse, celle d’être inutile.
Que certaines gens m’aident, ou que d’autres détruisent mon œuvre, il n’importe ! Elle en sortira plus grande et plus belle, car j’aime la lutte. Mon chant est beau, il ne s’arrêtera pas sur l’eau, il naviguera au loin. Ne s’arrêtant pas avec moi, il me survivra, c’est à ce moment, écoutez ceci, qu’il sera le plus fort et le mieux entendu.
Certes, c’eût été pour moi une grande joie de barrer moi-même mon Aile dans les Olympiques et de la mener à la victoire !
Cependant, je m’effaçai volontairement car, dans la conduite actuelle de ces nouveaux bateaux de 8 mètres, puissants de coque et peu voilés la force physique intervient pour certaines manœuvres. Je ne voulais pas présumer de mes forces, qui auraient pu me trahir, et me faire commettre une faute !
Cela, je ne le voulais à aucun prix. À certains moments, Bouché en avait plein les bras et pouvait à peine gouverner l’Aile, sous les fortes pesées, dans cette mer creuse et hachée du Zuyderzée, lui, un homme et très fort !
Je fus vite consolée de mon gros sacrifice !
Tous les regrets s’évanouirent… Bouché est un excellent barreur, et à lui va toute ma reconnaissance pour la façon magistrale dont il a su se servir de mon Aile en maîtrisant un à un, sûrement, loyalement, ses adversaires redoutables…
Que dirai-je de mes équipiers, eux qui ont tant contribué à notre victoire ? Ils savent combien je leur garde un souvenir reconnaissant d’avoir fait si bien leur besogne.
En de très importantes compétitions, je dois donc abandonner la barre de mon 8 mètres, pour les raisons que j’ai données plus haut. Mais à bord de mon 6 mètres il en est autrement ! Là je puis, avec ma connaissance de la voile, m’employer tout à fait, sans la crainte de dépasser ma résistance physique, quoique certains jours cela soit bien dur par gros temps.
Mais quel bonheur de mener son bateau, de la conduire joliment et âprement dans la lutte !
Mes plus belles victoires à la barre de 6 mètres sont :
— d’Helsingfors (Finlande)
En 1927, la Coupe du Cercle de la Voile de Paris, si longtemps exilée, que je ramenai barrant « Petite Aile II » pour la première fois, devant Ryde (Angleterre).
Puis de nombreux et glorieux premiers prix ramenés d’Italie, d’Angleterre, de Danemark, de Suède, de Norvège, d’Estonie et d’Espagne.
Bons souvenirs, précieux moments qui embellissent une vie maritime !
COUPE D’ITALIE
Pour la 5e fois, je cours la Coupe d’Italie en 8
mètres (en 1922 et 1923 cette coupe s’était courue en
6 mètres).
1924 | Cheta | L’Aile III | |
1925 | Cheta | L’Aile IV | |
1926 | Catina | L’Aile IV | |
1927 | Hollandia | L’Aile V | Viria |
1928 | L’Aile VI | Sylvia, Hollandia, Bamba. |
J’eus la grande joie de la gagner enfin !
Je dis enfin, car, par deux fois, la victoire m’échappa : un malheureux abordage, une année, me fit perdre la coupe : une autre fois, ce fût un démâtage, le dernier tour du triangle. Cette coupe superbe est détenue par le Royal Yacht Club de Gênes. Elle n’a été gagnée que deux fois par la France depuis sa création.
Cette année 1928, heureuse année pour la gloire des Ailes ! elle se courait les 11-12 et 13 Août, sur le Zuyderzée, après les Olympiques, Hollandia l’ayant ramenée d’Italie en 1927. Quatre nations seulement se présentèrent : La Hollande, l’Italie, la Suède et la France.
Le premier bateau arrivant deux fois premier est déclaré vainqueur. Le premier jour donna les résultats suivants :
L’Aile | France |
Bamba | Italie |
Sylvia | Suède |
Hollandia | Hollande |
Le deuxième jour :
Sylvia | Suède |
L’Aile | France |
Bamba | Italie |
Hollandia | Hollande |
Étaient éliminées, après le résultat de ce jour, l’Italie et la Hollande. Le 13 Août, par jolie brise, l’Aile France gagne la coupe aisément sur Sylvia Suède. Cette victoire, après celle des Olympiques, confirmait les qualités de l’Aile et me ravissait.
Vis à vis de tous les yachtmen, la supériorité de l’Aile était évidente, indiscutable, empêchant tout commentaire.
Personne ne pouvait essayer de diminuer notre victoire olympique.
Personne n’osait plus parler de chance, le temps du bateau etc., toute jalousie s’effondrait en forçant l’admiration, et c’est la joie dans le cœur et le triomphe sur le visage que l’équipage accueillit les clameurs de victoire qui montaient de tous les bateaux.
Le Quo Vadis, bateau du comité hollandais appartenant à Monsieur et Madame Lehman, avait suivi les trois épreuves ayant à bord les quatre délégués des quatre nations participant à la coupe.
À l’écluse, on me fit signe d’embarquer sur le Quo Vadis, où l’on me fit solennellement la remise de la coupe d’Italie. Je la reçus des mains du Comte d’Albertis, représentant du Royal Yacht Club Italien. Monsieur Lucassen, Président du Koninklijke Nederlandsche Zeil en Roeivereeniging prononça une jolie allocution, suivie de celle de la Suède et de l’Italie. J’invitai, d’un geste spontané, les nations présente à venir l’année prochaine rechercher la coupe dans une lutte loyale et courtoise, en France.
Ma nouvelle Ailée arriva de Gosport le 12 août, à Amsterdam pour me prendre. La réception qui me fût réservée à bord fut touchante : le commandant Renard, le capitaine Machefaux et l’équipage étaient dans la joie ! Du pont, l’on pouvait apercevoir à Sixhaven l’Aile pavoisée. Ailée m’accueillit avec la médaille d’or de la IXe Olympiade et la Coupe d’Italie fleurie de roses, et tous les cœurs étaient en fête. N’ayant pu me trouver à Gosport au moment de l’achèvement de ma nouvelle Ailée (à cause des Olympiques), quelle émotion ce fût pour moi de contempler pour la première fois mon bateau réellement terminé et dans ses lignes !
Je fais appel ici à tous les propriétaires de voiliers qui ont vécu ces mêmes heures.
MONDANITÉS OLYMPIQUES
Grand dîner au « Koninklijke Nederlandsche Zeil En Roeivereeniging, présidé par Son Altesse Royale le Prince des Pays-Bas ayant à sa droite le Prince Olaf de Norwège. J’avais pris place à sa gauche. Dîner plein d’entrain, où le yachting mondial est représenté. Petite satisfaction personnelle de constater que j’ai été courir chez eux tous ! Il me manque cependant l’Amérique du Nord (États-Unis-Canada) et l’Amérique latine.
Que de mots inutiles, de prévisions erronées ! constatation faite une semaine plus tard ! Après le repas, pris le café sous une grande tente pavoisée où les groupes se forment par sympathie et les danses commencent.
À minuit, grande réception à bord de l’Éros, soir où le Baron Henri de Rothschild, nous reçoit tous. Le Prince des Pays-Bas et le Prince Olaf honorent de leur présence cette jolie réunion.
Je dînai quelques jours plus tard à bord de l’Éros, un soir où le Baron de Rothschild recevait la Marine Française : le Commandant Ledrain, commandant le contre-torpilleur Lynx, venu à Amsterdam pour représenter les couleurs pendant les épreuves olympiques qui se courent sur le Zuyderzée.
Également rencontré le Commandant Roman, qui vient de prendre le commandement de l’École Navale, et qui effectue avec les annexes Aviso, Somme, Oise, Vauquois leur croisière d’été et qui sont mouillés depuis ce matin dans le port. Après dîner, bal sur le pont réunissant de nombreux élèves de l’École, avec lesquels je m’entretiens étant leur Marraine.
Le Ministre de France et Madame de Marcillye m’avaient priée de venir dîner à la Légation à la Haye, pour rencontrer les Commandants des navires de guerre français. Hélas ! je devais, à la dernière heure, y renoncer, la régate olympique ayant fini trop tard.
Le Comte Clary, Président du Comité Olympique et grand ami que j’espérais voir souvent pendant ces jours de lutte et de déception, surchargé de responsabilités et d’activité ne put me joindre un seul instant, passant toutes mes journées sur le Zuyderzée ; je le manquais à ses moments de liberté.
Mais quelle joie lorsque, le soir de notre victoire, je trouvai à ma Pension un mot de félicitations adressé à la championne Olympique !
Aperçu Messieurs Massieu et Laverne, chefs et âme de notre organisation française de Yachting, qui par leur savoir et leur droiture, se sont imposés à l’étranger.
À Sixhaven, avant la remorque, ils m’encourageaient, semblant trouver toutes nos misères naturelles et toute simple notre victoire future !
Madame de Marcillye est, à 7 heures du matin, à Sixhaven, au petit port des Yachts afin de m’offrir ses vœux pour la Coupe d’Italie.
Ce gentil geste me portera bonheur !
Monsieur Jacques Menier, délégué officiel du Yacht Club de France, est arrivé à bord de son Moter Boat Thébé.
Très aimablement, il nous remorque un jour, assiste à notre deuxième victoire, puis nous offre une coupe de champagne.
Pour commémorer notre victoire olympique, nous décidons, barreur, équipages et propriétaire de dîner, le soir même, tous ensemble, dans le meilleur restaurant d’Amsterdam, avant la dislocation de la Grande équipe.
Nous échouâmes, après plusieurs bords, dans une petite rue très bruyante où chaque porte est un restaurant et nous dinâmes très lourdement et très bien, sans oublier la classique bouteille de champagne en la circonstance. Et, au dessert, comme nous réclamions notre Marseillaise, nos coqs gaulois ne pouvaient nous faire prendre pour d’autres… il nous fût répondu qu’on ne connaissait pas ce « thème ».
Pour nous venger à l’amiable, avec le sourire, nous emportâmes ostensiblement chacun un cendrier afin d’être certains de ne jamais revenir au Restaurant Winkels.
Vive la France !
Vive l’Aile VI !