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Une Confédération balkanique est-elle possible ?

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Une Confédération balkanique est-elle possible ?
Revue des Deux Mondes5e période, tome 57 (p. 799-829).

UNE
CONFÉDÉRATION BALKANIQUE
EST-ELLE POSSIBLE ?

Ferdinand Ier, roi des Bulgares, et le roi de Serbie, Pierre Karageorgevitch, viennent l’un et l’autre, à quelques jours d’intervalle[1], de rendre visite au tsar Nicolas à Péterhof et au sultan Mehemed V à Dolma-Bagtché. Pétersbourg et Constantinople étaient, naguère encore, les deux pôles entre lesquels oscillaient les destinées du peuple serbe et celles du peuple bulgare ; de l’un rayonnait une protection libératrice, de l’autre le souvenir et la terreur de cinq siècles d’oppression. La présence des deux souverains dans la capitale des tsars et dans celle des khalifes a été interprétée, par la diplomatie et par la presse européenne comme le signe d’un apaisement général dans la péninsule des Balkans et comme l’heureux prodrome d’une ère d’harmonie et de confiance réciproque. À la vérité, les deux rois ont été chercher, sur la Néva et sur le Bosphore, l’un l’admission définitive de sa dynastie dans la famille des souverains, l’autre la consécration de son nouveau titre royal. Ce n’en est pas moins à bon droit que les peuples, avides de tranquillité, ont vu dans ces visites princières un gage de concorde. La presse a cru y découvrir autre chose encore : une première tentative pour réaliser cette confédération balkanique dont, depuis longtemps déjà, l’Europe espère la pacification définitive du monde oriental. En ces derniers mois, les démarches courtoises, les visites, les manifestations de sympathie, se sont multipliées entre les cours et les gouvernemens des Etats balkaniques. Le roi des Bulgares a rencontré à deux reprises le prince héritier de Serbie et le roi Pierre lui-même. Plusieurs souverains annoncent qu’ils assisteront, en août, au jubilé du prince Nicolas de Monténégro. Faut-il voir, dans ces entrevues et ces pourparlers, les préliminaires d’une entente générale ? En aurait-on parlé déjà à Racconigi, le 23 octobre dernier, entre le Tsar et le roi d’Italie ? S’acheminerait-on vers un apaisement général des haines et des ambitions balkaniques et ces dispositions nouvelles prendraient-elles corps dans un organisme permanent, dans un lien fédéral ? Pourquoi l’idée d’une confédération balkanique ou orientale a-t-elle été de nouveau agitée, discutée dans les revues et les journaux ? Sujet de conversations académiques, deviendra-t-elle un jour objet de négocia-lions diplomatiques ? Cessera-t-elle d’être le domaine des faiseurs de systèmes et des orateurs de Congrès pacifistes pour être étudiée et discutée dans les chancelleries et les Parlemens ? Dans quelles conditions pourrait-elle être réalisée et quels seraient ses avantages et ses inconvéniens ? Telles sont les questions auxquelles ces pages essaieront de répondre.


I

L’idée de réunir en un faisceau les divers peuples de la péninsule balkanique est très ancienne ; elle est antérieure même à l’apparition des Turcs en Europe. Dès l’époque byzantine, on la trouve inspirant la politique des empereurs. Apprivoiser, par le prestige de la civilisation helléno-romaine, les peuples barbares qui, de tous les points de l’horizon, s’abattent sur l’Empire, d’ennemis qu’ils étaient en faire des alliés et des vassaux, les établir sur les frontières pour arrêter ou canaliser l’afflux des nations nouvelles, c’est la tactique de Byzance. Plus tard, dans l’éclipsé du vieil empire, les tsars slaves reprennent le même programme. Etienne Douchan cherche à organiser une confédération des Etats des Balkans et à l’appuyer sur une alliance avec Venise ; il demande au Pape le titre de « capitaine de la Chrétienté contre les envahisseurs et les infidèles. » Le schisme empêche d’aboutir une négociation qui aurait peut-être épargné à l’Europe l’invasion ottomane. Les Turcs installés en Europe, des coalitions temporaires se nouent parfois, entre leurs adversaires, Hongrie, Transylvanie, Valachie, Pologne, Empire ; mais elles ne survivent guère au péril immédiat qui les fait naître ; et l’on voit même des ententes particulières intervenir entre le Grand Seigneur et quelqu’un des petits Etats chrétiens qui, sur ses frontières, changent si souvent de forme et de maître. Aucune organisation fédérative durable n’apparaît. C’est seulement au XIXe siècle, avec la résurrection des nationalités chrétiennes de la péninsule, que se précise l’idée d’une entente générale entre les peuples balkaniques. Elle est toujours dirigée contre les Turcs que son objet est de chasser d’Europe pour restaurer ensuite les Etats chrétiens jadis détruits par eux. Il s’agit donc moins de projets de confédération que de tentatives de coalition ; elles naissent presque toujours sous les auspices de Pétersbourg ou de Vienne, et c’est de là qu’elles reçoivent un appui et une direction. Aucun de ces projets ne fait au Turc sa place ; il est l’adversaire ; c’est contre lui que l’on se groupe, la haine qu’il inspire est le seul ciment qui paraisse assez solide pour unir entre elles des populations de race, de religion et d’intérêts très divers. Jusqu’à la révolution de juillet 1908, ce sera là un caractère commun à tous les projets d’entente balkanique. Ils admettent comme un postulat la décadence irrémédiable de l’Empire Ottoman.

On trouve l’idée d’une confédération des peuples chrétiens du Balkan pour leur commun affranchissement chez la plupart des hommes qui, au nom de la liberté des peuples, ont, dans la première moitié du XIXe siècle, appelé les Grecs et les Slaves à l’indépendance ; on la trouve chez un Karageorges et un Milosch, un Rigas et un Ypsilanti ; Slaves et Grecs unis par une même religion, un même idéal de patriotisme et de liberté, ne prévoyaient pas encore les luttes de l’avenir : l’union leur paraissait indispensable et facile.

La première tentative de réalisation d’une organisation fédérative est venue de la Serbie[2]L’illustre patriote et homme d’Etat Ilia Garachanine avait, dès 1844, développé un programme dans lequel il exposait la nécessité, pour le royaume serbe, de s’unir étroitement à tous les autres pays slaves du Balkan. Il croyait que l’Empire turc ne pourrait manquer d’être, à bref délai, ou partagé ou remplacé. S’il y avait partage, il se ferait au profit de la Russie et de l’Autriche ; une ligne tracée de Viddin, sur le Danube, à Salonique, sur la mer Egée, marquerait à peu près la limite de la part que s’attribuerait chacun des deux grands empires. Les petits peuples chrétiens seraient sacrifiés : les Serbes seraient absorbés par l’Autriche tandis que la Russie engloberait les Bulgares et occuperait Constantinople. Si au contraire l’Empire Ottoman, au lieu d’être partagé, pouvait être remplacé par un Etat plus jeune, plus capable d’opposer une résistance aux ambitions européennes, le péril d’une absorption dans la monarchie des Habsbourg pourrait être évité. Seule une confédération balkanique pourrait se substituer à l’Empire Ottoman ; il lui faudrait, pour se constituer, vaincre l’opposition de la Russie, qui verrait se fermer le chemin de Constantinople, et de l’Autriche, qui serait exclue des Balkans et qui redouterait l’attraction des Slaves de la péninsule sur leurs frères de Croatie ou de Dalmatie. La nation serbe pourrait devenir le noyau central d’une telle confédération ; elle reprendrait ainsi, après cinq siècles, l’œuvre de Douchan interrompue à Kossovo.

Garachanine trouva en Michel Obrenovitch, qui régna sur la Serbie de 1860 à 1868, un prince qui partageait ses vues et qui, avec lui, chercha à les réaliser. Dès 1859, à Londres, le prince Michel s’était entretenu de ses projets avec Kossuth exilé. La crainte de la Russie et la haine de l’Autriche avaient rapproché le prince serbe et le patriote magyar : la cause de la confédération balkanique et celle de l’indépendance hongroise leur parurent étroitement solidaires. « C’est un fait indéniable, disait Kossuth, que l’unique rempart contre l’invasion de l’Autriche et de la Russie, et certainement le plus efficace, consisterait en une série de pays libres et en une alliance défensive entre la Hongrie, la Croatie, la Serbie et la Moldo-Valachie indépendantes ; par-là serait garantie la sécurité de l’Europe contre toute tentative de conquête venant de l’Est. Je ne crois pas que, sans une telle confédération et sans une reconstitution de la Pologne, il soit possible, pour l’Europe telle qu’elle est constituée, d’arriver à quoi que ce soit de satisfaisant en Orient… A mon avis, le sentiment aigu de la nationalité en Bulgarie, dans le Monténégro et en Bosnie rend plus probable la réalisation de cette combinaison… »

Devenu prince régnant en 1860, Michel Obrenovitch appela au ministère Garachanine et commença avec lui une active propagande en faveur de leur commun projet de confédération balkanique. Ils trouvèrent dans la Bulgarie, encore soumise aux Turcs, un sol tout préparé ; ils négocièrent avec le Comité de propagande nationale bulgare organisé à Bucarest et, le 26 janvier 1868, les représentais du Comité bulgare et ceux du gouvernement serbe signaient le programme suivant :


ARTICLE PREMIER. — Les peuples de Serbie et de Bulgarie, qui sont slaves et unis par les liens du sang et de la religion, qui sortent d’une même souche et habitent des pays contigus, sont appelés par la Providence à vivre désormais sous un seul gouvernement et sous un seul drapeau.

ART. 2. — Et attendu qu’ils ne forment qu’un seul corps, animé des mêmes sentimens et des mêmes tendances, et qu’ils ne peuvent atteindre leur but que par une existence commune, ces deux nations sœurs porteront dans l’avenir le nom de Serbo-Bulgares ou Bulgaro-Serbes et leur commune patrie sera appelée Serbo-Bulgarie on Bulgaro-Serbie.

ART. 3. — Son Altesse le prince Michel, qui a donné tant de preuves de son patriotisme, est proclamé chef suprême de la nation serbo-bulgare et commandant en chef de son armée.

ART. 4. — Le drapeau national sera formé des couleurs combinées de la Serbie et de la Bulgarie.


Suivaient d’autres articles prévoyant tous les détails d’organisation.

Une nouvelle réunion des délégués serbes et bulgares, tenue en avril, à Bucarest, adopta en principe les décisions du Comité, mais en les élargissant. La nouvelle union devait prendre le nom d’Empire des Slaves du Sud ; une entière égalité y serait assurée aux deux nations sœurs ; leur part dans le gouvernement et la représentation serait proportionnée à la population de chacune d’elles.

La même année, un traité était signé entre la Serbie et le Monténégro : les deux peuples s’engageaient à travailler ensemble à l’affranchissement de leurs frères opprimés en jetant les fondemens solides d’un Etat serbe unique. Le prince Nicolas abdiquerait en faveur du prince Michel, mais, si celui-ci mourait sans héritiers directs, le prince Nicolas serait proclamé à sa place roi de Serbie.

Des négociations commencées avec la Grèce aboutirent, à l’automne 1867, à une alliance politique, et, au printemps suivant, à une convention militaire. Les Croates et les Albanais avaient leur place dans ce dessein gigantesque ; des pourparlers furent entamés avec le grand archevêque de Diakovo, Mgr Strossmayer. Le roi Carol déclare, dans ses Mémoires, que la Roumanie devait se joindre à la confédération. En août 1867, le prince Michel était venu visiter à Bucarest le prince Carol et l’avait entretenu de ses projets[3]. Un écrivain en général bien renseigné sur les questions orientales, M. Edouard Engelhardt, nous apprend qu’un arrangement fut conclu, le 20 janvier 1868, entre la Roumanie et la Serbie ; la Porte, alarmée, en publia un texte apocryphe dont les articles résumaient habilement tout ce que les chancelleries croyaient savoir ou deviner[4]. Les deux signataires s’engageaient à agir de concert pour parvenir à l’émancipation des populations chrétiennes de l’Europe orientale. Le Delta du Danube et la partie de la Bulgarie située entre Routschouk et Varna d’une part, et la Mer-Noire de l’autre, seraient réunies à la Roumanie. La Vieille-Serbie, la Bosnie, l’Herzégovine et la partie occidentale de la Bulgarie seraient annexées à la Serbie. La Roumanie négocierait avec la Grèce, la Serbie avec le Monténégro pour les faire entrer dans cette combinaison dont le but principal serait d’établir une concorde durable entre les divers peuples chrétiens de la Turquie d’Europe et de trouver une solution de la question d’Orient.

La mort du prince Michel, assassiné en juin 1868 par les partisans des Karageorgevitch, arrêta l’exécution de ce plan, dont le moindre défaut était de partager la peau d’un ours qui a montré depuis, à Plevna, qu’il avait des griffes et des crocs. L’insurrection de Crète éclata en 1868, et les Grecs se plaignirent de ne trouver aucun appui parmi les Slaves de la péninsule. Entre Grecs, Serbes et Bulgares, la rivalité pour la Macédoine alla désormais s’envenimant. Entre Serbes et Monténégrins, on se dispute l’Herzégovine. Durant la crise de 1875-1879, chacun tire de son côté et fait sa politique particulière : les Grecs de Roumélie aident les Bachi-Bouzouks à massacrer les Bulgares insurgés ; le prince Carol favorise le soulèvement bulgare, mais il ne croit pas l’heure venue de chasser les Turcs d’Europe ; avec son grand bon sens politique, il est d’avis que les grandes puissances devraient laisser « les Etats vassaux de la Turquie et les provinces isolées jeter leur gourme. S’ils réussissent à sortir victorieux de la lutte avec leur suzerain, tant mieux ! Sinon, ils ne méritent pas de devenir indépendans[5]. » Le rôle qu’une confédération balkanique aurait pu jouer, ce fut Alexandre II qui le prit. Le résultat de la guerre de 1877-1878 et du Congrès de Berlin fut de mettre la Bosnie et l’Herzégovine dans la dépendance de l’Autriche et de mêler celle-ci plus étroitement aux affaires balkaniques : ainsi l’avait voulu Bismarck. Les petits Etats allaient passer pour longtemps au second plan, la volonté des peuples allait être étouffée et le mot d’Alexandre Ier : « Les convenances de l’Europe sont Je droit, » allait, une fois de plus, s’appliquer avec vérité à la politique orientale.

La tentative conçue par le prince Michel et Garachanine n’en est pas moins intéressante ; c’est la première et la seule fois qu’un projet de ce genre ait été sérieusement étudié, ait fait l’objet de négociations très avancées et ait même abouti à des accords précis. C’est à la lumière des malheurs de toute sorte qui ont accompagné et suivi l’intervention armée de la Russie qu’un tel précédent prend toute sa valeur. La coalition ébauchée en 1868 eût été dirigée à la fois contre la Turquie dont elle se proposait d’affranchir toutes les populations chrétiennes, et contre l’Autriche, dont elle tendait à séparer le groupe des Slaves du Sud. La Hongrie aurait pu y trouver sa place, et les amis de Kossuth avaient déjà entamé des pourparlers pour une entente avec les Roumains. Une telle confédération eût été plutôt danubienne que balkanique ; elle eût constitué, sous l’hégémonie de Belgrade et des Obrenovitch, le grand Etat slave du Sud que les partisans du « Trialisme » rêvent aujourd’hui de créer sous la loi des Habsbourg. Les Bulgares, délivrés du joug ottoman par l’intervention des Serbes, se seraient probablement accommodés de trouver dans l’Etat serbe une vie libre. Ainsi aurait été reconstitué l’Empire de Douchan qui, sans doute, n’aurait pas tardé à se substituer à l’Empire Ottoman. Mais, au prince Michel succéda, malgré les efforts de Napoléon III qui désirait voir la couronne passer au prince Nicolas de Monténégro, son neveu Milan qui, sur le trône de Serbie, se fit l’instrument docile de la politique de Vienne. Le peuple serbe, séparé en plusieurs tronçons, affaibli par de longues dissensions intestines, ne semble pas prêt à reprendre dans les Balkans le rôle que le prince Michel lui avait préparé. Au premier plan, parmi les Etats slaves du Balkan, apparaît aujourd’hui la Bulgarie, son armée et son Roi.

Après la guerre de 1877 et le Congrès de Berlin, les projets de Confédération orientale ou balkanique deviennent de plus en plus nombreux. Le nationalisme des petits États a été encouragé par la défaite des Turcs et, d’autre part, la Russie et l’Autriche ne pouvant plus arriver directement au but de leurs ambitions, cherchent à y parvenir par un détour.

Parmi les projets de confédération balkanique, beaucoup sont l’œuvre d’écrivains panslavistes et s’inspirent des intérêts russes. N. R. Danilewski[6]trace le plan d’une combinaison dans laquelle il fait entrer tous les Slaves ; Constantinople deviendrait la métropole politique et la ville, sainte de tous les orthodoxes, mais, temporairement ; en attendant que les confédérés fussent en état de la défendre, elle sera occupée par les Russes. Comme lui, le comte Kamarovski[7]professeur à l’Université de Moscou, voit la solution de la question d’Orient dans l’expulsion des Turcs d’Europe. Constantinople deviendrait la capitale de la fédération balkanique ; son port serait ouvert au commerce de toutes les nations ; les fortifications des Dardanelles et du Bosphore seraient rasées. Entre l’influence russe et Constantinople s’interposerait seulement une poussière de petits Etats sur lesquels rayonnerait l’influence du grand empire slave. Ainsi, l’œuvre de San-Stefano, détruite à Berlin, se trouverait, par d’autres moyens et sur un autre plan, restaurée.

En Allemagne et en Autriche, d’autres publicistes préconisent eux aussi une confédération, mais, cette fois, dans l’intérêt des Habsbourg et du germanisme. Ils attribuent à l’Autriche le rôle d’avant-garde de la « civilisation germanique » dans les Balkans. Constituée elle-même par plusieurs populations de race et de langage différens, elle leur paraît plus apte qu’aucune autre puissance à réunir, sous le sceptre des Habsbourg, les nationalités danubiennes et balkaniques ; elle les absorberait de proche en proche, une à une, et réaliserait, dans l’intérieur de l’Empire, l’union des Slaves du Sud. L’Autriche seule, à en croire ces chauvins, serait en mesure de « civiliser » les peuples balkaniques, c’est-à-dire de leur apporter, même s’ils ne le souhaitent pas, le bienfait inappréciable de la culture germanique ; c’est donc à elle qu’incombera la tâche d’organiser, sous son hégémonie, la confédération balkanique. Nous avons vu reparaître cette thèse l’année dernière, durant la crise provoquée par l’annexion de la Bosnie-Herzégovine, dans le journal militaire et pangermaniste Danzers Armée Zeitung[8] ; dans un article qui fit grand bruit, il invitait le gouvernement impérial à abattre par les armes l’insolente résistance de la Serbie pour la forcer ensuite à entrer dans la confédération qui serait organisée sur le modèle de l’ancienne Confédération germanique ; on commencerait par une union douanière avec un « Zollparlament » et une banque fédérale. Ainsi, sous les auspices du Cabinet de Berlin, achèverait de se réaliser la pensée bismarckienne ; une solide mainmise germanique unirait toute l’Europe centrale, de Hambourg à Constantinople, au service des intérêts du commerce et de la « culture » allemande ; la personnalité et les vœux des petites nationalités seraient, une fois de plus, sacrifiés.

À ces projets, inspirés par les intérêts autrichiens ou germaniques, il est intéressant d’opposer des plans italiens ou « latins. » De même que jadis Douchan comptait sur le concours de Venise, il y a aujourd’hui des écrivains ou des hommes d’Etat balkaniques qui seraient disposés à chercher à Rome un appui moins onéreux que celui de Pétersbourg ou de Vienne. A travers l’Adriatique, une politique italo-slave se dessine ; on en trouverait la trace, en France, dans les livres de M. Charles Loiseau. Le mariage du roi Victor-Emmanuel avec une fille du prince de Monténégro, l’accord entre Rome et Belgrade pour le chemin de fer du Danube à l’Adriatique, enfin l’entrevue du Tsar et du roi d’Italie à Racconigi les 23-25 octobre 1909 marquent les étapes et les progrès de cette idée[9]. Déjà, vers 1904, entre Ricciotti Garibaldi et le Dr F. Pavicilch, de Croatie, aurait été étudié, dans des négociations officieuses, un projet de confédération balkanique destiné à faire échec à la poussée germanique. À ce mouvement d’idées se rattache le livre curieux publié en France, en 1905, sous le pseudonyme « Un Latin, » par un personnage roumain[10]. L’auteur, prenant pour point, de départ l’irrémédiable décadence des Turcs en Europe, propose de les remplacer par une confédération orientale dans laquelle entreraient les Etats actuels de la péninsule, et, en outre, une Macédoine-Albanie qui s’étendrait de l’Adriatique à la Mesta. La Crète serait annexée à la Grèce. Le sandjak de Novi-Bazar serait partagé entre le Monténégro et la Serbie, de manière à fermer, devant les ambitions autrichiennes, la route de la Macédoine et de Salonique. La Roumanie entrerait dans la confédération à cause de la Dobroudja et des Valaques du Pinde qu’elle ne pourrait pas abandonner. L’hégémonie de la confédération n’appartiendrait ni à l’hellénisme, ni au slavisme, ni au germanisme ; leurs compétitions cesseraient devant le triomphe du latinisme. Un prince italien régnerait sur l’Etat Macédono-Albanais. Le roi d’Italie, proclamé Empereur, deviendrait le protecteur de la confédération qu’il aurait pour mission de garantir contre les ambitions de la Russie aussi bien que de l’Autriche. Constantinople serait ville libre, avec la Thrace pour banlieue, et serait gouvernée par un lieutenant impérial ; la croix de Savoie flotterait au-dessus de Sainte-Sophie ; la langue italienne serait la langue de la confédération. Chaque Etat conserverait son autonomie, son souverain, son année, son drapeau, sa représentation diplomatique, comme dans la Confédération germanique après 1815 ; une diète fédérale se réunirait pour la première fois à Rome, et ensuite dans une ville qu’elle-même choisirait, Salonique par exemple, jusqu’à ce que, la situation légale de Constantinople et sa sécurité militaire étant bien assurées, la capitale fédérale pût y être établie. Ainsi serait enfin trouvée la solution du problème oriental. Rome, comme au temps de Paul-Emile, apporterait en Orient la civilisation latine. Le rêve épique du prince de Monténégro serait réalisé : « l’Impératrice des Balkans » serait sa propre fille.

Ce plan, ingénieusement étudié, est curieusement révélateur de certaines tendances. A peine est-il besoin de dire que son vice capital serait, sous prétexte d’écarter des Balkans l’Autriche et la Russie, d’y introduire l’Italie, qui ne serait pas plus discrète. L’heure de l’Empire latin de Constantinople est passée depuis sept siècles et ne reviendra pas.

En Occident aussi, des projets de confédération balkanique ont vu le jour ; ils ont, en général, le mérite d’être désintéressés et l’inconvénient de rester nécessairement platoniques ; ils se rattachent presque tous au mouvement d’idées libéral, révolutionnaire même, internationaliste et pacifiste. La question d’Orient étant une source de conflits et d’armemens, il était naturel que les penseurs généreux qui cherchent la pierre philosophale de la paix universelle cherchassent à la résoudre ; il n’est pas surprenant non plus qu’ils n’y soient pas encore parvenus. La Ligue internationale de la Paix et de la Liberté, dans plusieurs de ses congrès, notamment ceux de 1869, 1876, 1877, 1886, a préconisé l’idée d’une confédération balkanique. Le 12 septembre 1886, elle concluait ainsi : « Le moyen le plus net et le plus efficace de se soustraire aux convoitises malsaines, serait celui d’une organisation fédérative sanctionnée par une neutralité garantie par l’Europe. Tel est l’idéal, tel devrait être le but des efforts des peuples balkaniens et de tous les Cabinets soucieux de l’équité. » A Paris, en 1895, s’est fondée une Ligue pour la Confédération balkanique[11]avec le concours de la Ligue internationale de la Paix et de la Liberté. Son président, M. P. Argyriades, cite parmi les ancêtres ou les patrons de l’idée de confédération balkanique : Michelet, Louis Blanc, Quinet, Lamartine, Saint-Marc Girardin, Cattaneo, Garibaldi, Charles Lemonnier, Victor Hugo, Gambetta, le général Türr, Magalhaës Lima, Emile Arnaud, etc., groupe brillant de penseurs, d’écrivains, d’agitateurs dont les idées ont été, en général, plus généreuses que pratiques ; ils ont indiqué, en passant, la solution fédérative comme propre à conduire à un règlement définitif de la question d’Orient, mais ils n’en ont étudié ni les modalités ni les conditions de réalisation. Il faut retenir cependant, comme plus particulièrement intéressantes, les idées du général Türr, confident de Kossuth dont il reflète la pensée[12] ; il préconise la formation de deux confédérations, l’une Danubienne, où la Hongrie pourrait trouver sa place avec les différentes nationalités constituant l’Empire d’Autriche, l’autre Gréco-slavo-turque, qui recevrait le nom de Confédération balkanique. Il est curieux de noter que, sous la plume d’un Magyar, une place est réservée à la Turquie dont le partage n’apparaît pas comme l’article fondamental du projet.

Parmi les professeurs de droit international, l’idée d’une confédération balkanique est très en faveur. Le premier, au temps de la guerre russo-turque, feu le professeur James Lorimer, de l’Université d’Edimbourg, développa une thèse où il proposait la « dénationalisation de Constantinople » qui deviendrait « la propriété commune du genre humain civilisé. » Dans une discussion qu’il soutint à ce sujet avec le professeur Martens, les deux savans se rencontrèrent pour préconiser une alliance anglo-russe, sans laquelle aucune solution pacifique de la question d’Orient ne pourrait jamais devenir possible.

Ces projets d’Union balkanique qui ont vu le jour depuis un siècle, sont si nombreux que nous n’avons pu indiquer ici que les plus significatifs. Tous ces beaux plans sont l’écho, parfois assez naïf, d’intérêts très précis, et cachent des arrière-pensées qu’il n’est pas difficile de pénétrer. Derrière la formule séductrice : « Les Balkans aux peuples balkaniques, » apparaît presque toujours la politique de l’une des grandes puissances que les autres s’empressent de contrecarrer. Aussi, jusqu’à la révolution turque de 1908, ne voyons-nous pas que, malgré les vœux des populations et les efforts de quelques hommes convaincus, l’idée ait fait un pas décisif vers la réalisation. Une solution impliquerait d’abord l’expulsion des Turcs d’Europe et de grands remaniemens territoriaux, c’est-à-dire une crise européenne et probablement une guerre générale ; aussi personne n’ose-t-il en prendre l’initiative. Les savans, les professeurs, les publicistes s’évertuent en vain à démontrer les mérites de l’idée fédérative ; les hommes d’Etat hésitent à les suivre : le risque est trop gros.


II

La Révolution turque de juillet 1908 a modifié profondément l’aspect et les données du problème. Les grandes puissances et les petits Etats balkaniques eux-mêmes, — les récentes visites royales à Constantinople en sont la preuve, — sont d’accord pour laisser à la Jeune-Turquie le temps de faire ses preuves. Si elle échoue dans son œuvre de réorganisation et de « modernisation, » la preuve sera faite que la race ottomane est incapable de se régénérer par elle-même et, de nouveau, il pourra être question de lui substituer d’autres peuples. Si au contraire elle réussit, l’Empire Ottoman régénéré gardera sa place dans l’Europe orientale. Ce n’est donc plus d’une confédération destinée à remplacer la Turquie qu’il s’agit pour le moment, mais d’une combinaison qui la consoliderait en réglant ses rapports avec les Etats balkaniques et en la mettant à l’abri de toute ambition étrangère. Plus d’homme malade, donc plus de médecins, encore. moins d’héritiers[13].

Du même coup, toute la politique de la Russie et de l’Autriche-Hongrie vis-à-vis de l’Empire Ottoman se trouve modifiée ; ni l’un ni l’autre des deux Empires rivaux ne peut plus être tenté, comme autrefois, de constituer une confédération balkanique avec l’espoir qu’elle ne saurait manquer de devenir l’instrument de ses visées particulières. Mais ni l’un ni l’autre non plus n’a intérêt à s’opposer à la formation d’une confédération dans laquelle entrerait la Turquie et qui arrêterait, d’où qu’elles viennent, toutes les tentatives ambitieuses sur la péninsule. Pour la Russie, le temps n’est plus de réaliser le rêve de Pierre le Grand et de Catherine II : le chemin de Byzance est fermé. Les Russes ont enfin compris que si jamais Constantinople et Pétersbourg se trouvaient un jour réunies dans les mêmes mains, elles ne sauraient y demeurer[14], que les Slaves des Balkans sont résolus à ne travailler que pour eux-mêmes et qu’ils ne resteront les amis de la Russie qu’autant que ses sympathies seront désintéressées et sa protection exempte de toute arrière-pensée de domination. L’exemple de la Bulgarie a servi à le démontrer. C’est une politique d’influence, de patronage des Slaves, non plus d’expansion directe que, depuis la guerre de Mandchourie et la révolution turque, la Russie se dispose à adopter.

L’Autriche, à la veille d’entrer dans une ère de transformation et de réorganisation intérieure, poursuit, dans les Balkans, une politique de liquidation. C’est du moins ce qu’a affirmé à plusieurs reprises le comte d’Æhrenthal au moment où il annexait la Bosnie et l’Herzégovine et où, comme contre-partie, il renonçait aux droits que le traité de Berlin donne à l’Autriche sur le sandjak de Novi-Bazar. Il a laissé entendre que, par cet acte significatif, il marquait la limite méridionale que l’expansion autrichienne ne chercherait pas à dépasser. Il a témoigné ainsi d’une compréhension très élevée de la situation réelle et des vrais intérêts de l’Empire : pousser plus loin sa pointe vers le Sud dans la direction de Salonique, s’immiscer dans les querelles de nationalité qui agitent la Macédoine, assumer de lourdes charges pour un profit illusoire, ce serait, pour l’Autriche, se mettre à la merci de l’Allemagne[15]et se préparer un long antagonisme avec la Russie. L’intérêt des deux Empires rivaux est aujourd’hui d’aider le programme « le Balkan aux peuples balkaniques » à devenir une réalité et d’assurer ainsi la pacification et la mise en valeur économique des riches plaines de la Macédoine. L’Autriche recueillera les profits sans avoir couru les risques. Comme le chemin de Byzance pour sa rivale, le chemin de Salonique est, pour elle, un dangereux mirage.

Cette politique nouvelle de la Russie et de l’Autriche dans les Balkans, personne n’en a mieux, ni de plus loin, prévu l’avènement et montré les avantages qu’un homme d’Etat serbe très distingué, héritier des idées du prince Michel et de Garachanine, M. Pirotchanatz, ancien président du Conseil sous le roi Milan. En 1889, il publiait à Paris, sous le pseudonyme de docteur Stefan Bratimich, une brochure[16]d’où, entre autres, nous détachons ces lignes qui donnent la plus haute idée de la perspicacité politique de leur auteur.


Si l’on place un instant en regard, d’un côté les forces que la Russie et l’Autriche, soutenue par ses alliés, peuvent mettre au service de leur cause, et de l’autre les forces qui pourraient leur être opposées, on restera plus que jamais convaincu que la lutte ne conduira à Constantinople ni l’une ni l’autre de ces puissances.

Mais si l’un de ces deux compétiteurs venait subitement à changer de manière de faire ; si surtout, par exemple, la Russie comme puissance slave abandonnait ses idées de conquête et de domination, pour les remplacer par une politique protectrice sincère et par la poursuite réelle de l’indépendance des peuples de la Péninsule, les prétentions austro-hongroises sur l’Orient seraient du coup anéanties. Les intérêts généraux de l’Europe, ainsi que les intérêts nationaux des peuples orientaux, se rangeraient immédiatement de son côté, et le Tsar accomplirait sans peine la mission qu’il doit poursuivre comme chef de tous les Slaves. Il ne tarderait certainement pas à trouver des alliés solides au lieu des adversaires que la politique lui suggère aujourd’hui. — Les Slaves du Sud ne se font pas d’illusions ; ils savent très bien que, sans une Russie forte, ils seraient condamnés à disparaitre devant l’expansion si puissante de la race germanique. Et qui oserait leur faire un reproche, puisque avant tout ils tiennent à leur existence nationale et qu’ils cherchent à la défendre contre tous ?

Ce n’est, d’ailleurs, pas le Cabinet de Pétersbourg seul qui pourrait recueillir d’immenses avantages en modifiant son attitude et ses visées ; l’Autriche, elle aussi, en abandonnant ses prétentions de domination sur la Péninsule courrait la chance presque certaine de réaliser des avantages considérables, et, ce qui est d’une importance capitale pour elle, elle éviterait ainsi une collision menaçante. La puissance des Habsbourg a vécu et s’est développée bien plutôt grâce à sa politique qu’aux victoires de ses armées, et on s’étonne aujourd’hui des hésitations du Cabinet de Vienne devant une position aussi critique. On ne comprend pas qu’il ne prenne pas les devans pour prévenir les dangers qui ne peuvent manquer de lui surgir.

Nous convenons franchement qu’il n’est pas commode à l’Autriche-Hongrie d’abandonner aujourd’hui la Bosnie et l’Herzégovine, après avoir considéré ces provinces, dès leur occupation, comme ses premières étapes vers Salonique et comme la clef de sa domination sur la partie occidentale de la Péninsule. Nous n’ignorons pas non plus les inquiétudes que l’Autriche-Hongrie peut concevoir pour l’avenir de certaines de ses provinces du Sud, si un État slave réellement puissant se formait sur ses frontières. Mais sans vouloir préjuger un avenir lointain, et sans contester les conséquences éventuelles de l’évolution politique que subissent les sociétés modernes, il nous semble admissible cependant que les peuples de la Péninsule, encore pendant une longue période de leur relèvement politique, pourraient trouver un intérêt puissant au maintien de l’Empire des Habsbourg qui, dans certaines conditions, formerait à coup sûr la garantie la plus efficace de leur propre indépendance. Le prix donc que l’Autriche-Hongrie ne manquerait pas de recueillir par l’inauguration d’une politique désintéressée ne resterait certainement pas au-dessous des sacrifices qui lui seraient imposés ; tandis qu’en laissant survenir une lutte de compétition avec la Russie, elle ne met ni plus ni moins en jeu que son existence elle-même.

Notre conviction est que, les circonstances aidant, l’un des compétiteurs arrivera certainement à adopter un jour la manière de faire que nous indiquons et qu’il se mettra alors à la tête du mouvement qui répond le mieux aux intérêts généraux de l’Europe ainsi qu’aux aspirations nationales des peuples orientaux. Celui des deux compétiteurs qui arborera le premier franchement et réellement une conduite aussi désintéressée sortira, sans aucun doute, vainqueur de la lutte.


Ces vues profondes sont devenues plus vraies encore depuis que la Révolution ottomane a fait renaître en Europe l’espoir d’une réorganisation de la Turquie par ses propres moyens et à son propre bénéfice. La constitution, sous une forme plus ou moins étroite, d’un groupement des différens Etats balkaniques, y compris la Turquie, apparaît plus que jamais comme souhaitable dans l’intérêt des grandes puissances aussi bien que dans celui des plus petites. Si l’Empire Ottoman mène à bien son œuvre de rénovation, tout espoir d’extension dans la péninsule est désormais fermé à la Bulgarie, à la Serbie, au Monténégro, à la Grèce. Renonçant à des espoirs qui se feront plus chimériques à mesure que se fortifiera la Turquie, chacun de ces pays travaillera à organiser sa vie économique, à mettre en valeur ses richesses naturelles, à améliorer ses voies de communication et ses débouchés vers l’extérieur. Dans les entretiens récens du roi Ferdinand avec les hommes d’Etat turcs, il n’a été question, dit-on, que de chemins de fer et de conventions commerciales. La constitution d’une union fédérative, tout au moins la conclusion d’une alliance défensive entre les Etats balkaniques, serait de nature à faciliter, pour chacun d’eux, cette œuvre de progrès interne.

C’est en Serbie que le projet d’une confédération trouve ses partisans, les plus chaleureux, tels M. Pirotchanatz, M. Novakovitch, naguère encore président du Conseil, M. Pachitch, actuel président du Conseil, et, avec lui, tout le parti « radical » qui le reconnaît pour chef. C’est en effet à la Serbie surtout que la confédération serait avantageuse : isolée de la mer, elle a, plus qu’aucun autre État, besoin du concours de ses voisins pour l’exportation de son bétail, de ses porcs et de ses fruits. Mais elle n’est pas la seule pour qui la carte politique ne recouvre pas, tant s’en faut, la carte des nationalités. On peut dire de tous les Etats balkaniques qu’ils sont inachevés. Beaucoup de Serbes, beaucoup de Bulgares vivent en dehors des frontières des deux royaumes. Quant au Monténégro, nous montrions récemment ici que, dans ses limites actuelles, il ne paraît pas viable[17]. La Grèce, géographiquement mieux située, languit, démoralisée par le bavardage de ses politiciens et l’indiscipline de ses militaires, ruinée par des ambitions sans proportion avec ses forces. La Bulgarie et la Serbie s’épuisent en arméniens et s’entêtent dans une rivalité sans objet, puisque la Macédoine, dans une Turquie régénérée, restera partie intégrante de l’Empire Ottoman. Leur mésintelligence, savamment attisée par l’art subtil des diplomaties qui en profitent, n’a aucune cause irréductible. Une volonté sincère d’accord viendrait à bout des différends superficiels qui les séparent. Moins profondes encore et moins justifiées sont les difficultés qui mettent quelque acrimonie dans les rapports de Belgrade avec Cettigne. Entre Athènes et Sofia, le principal objet de discorde, c’est encore la Macédoine. La Roumanie enfin trouverait dans une confédération balkanique un appui matériel et moral considérable pour le cas où le sort des Roumains de Transylvanie et du banat de Temesvar provoquerait de graves dissentimens entre elle et la Hongrie. Enfin est-il besoin de démontrer que la Turquie, théâtre classique des « interventions » qui, destinées à la protéger, ont eu souvent pour premier effet de consacrer son démembrement, serait la première intéressée à entrer dans une confédération ou dans une alliance qui aurait pour but de réserver les affaires balkaniques aux peuples de la péninsule ; elle serait garantie contre toute ingérence indiscrète ; elle serait libre de poursuivre dans la paix, dans la sécurité, son laborieux effort de régénération « à l’européenne. » Si elle y réussit, si elle parvient, par des réformes sociales et administratives, à gagner les sympathies des nationalités qui, jusqu’ici, poursuivaient leur affranchissement, elle acquerra naturellement, parmi ses confédérés, une influence que la force des choses rendra bientôt prépondérante. Si, au contraire, elle y échoue, la condamnation si souvent et si prématurément prononcée deviendra enfin exécutoire ; elle se verra forcée d’abandonner l’Europe aux populations chrétiennes et d’aller se reformer en Asie, « à la turque. » Les peuples de la confédération n’auront plus qu’à liquider entre eux, sans intervention étrangère, la succession vacante.

Il serait facile de prolonger ce tableau des avantages que la réalisation d’une confédération balkanique apporterait à toutes les populations de la péninsule, à l’Europe et au monde. Déjà » avant les événemens qui, en Turquie, ont si profondément changé l’aspect de la question, M. Pirotchanatz concluait ainsi la brochure dont nous citions tout à l’heure un passage :


Pour parer aux dangers qu’un avenir prochain peut leur apporter, tous les États orientaux ont donc le devoir absolu d’arriver le plus tôt possible à une alliance politique. Cette alliance, d’un caractère purement défensif, ne saurait porter ombrage à personne, excepté à ceux qui pensent à des conquêtes. Si le but que poursuivent la Russie et l’Autriche dans la péninsule est vraiment désintéressé, comme la diplomatie et la presse de ces deux pays le disent à tout propos, cette union des Balkans serait avantageuse à leurs intérêts, puisqu’elle supprimerait le prétexte de conflit le plus apparent qu’on prétend trouver aujourd’hui dans l’ingérence de la diplomatie de l’une ou de l’autre de ces deux grandes puissances, dans les affaires, soit de la Serbie, soit de la Bulgarie…

… Nous sommes convaincus qu’il n’y a plus d’illusions ni d’espérances à avoir du côté de la Russie ni de celui de l’Autriche et qu’en attendant, et pour courir au plus pressé, une alliance, sous la forme fédérative, entre les peuples orientaux pour la défense de leurs intérêts communs, est le premier et le dernier mot de la politique qu’ils peuvent et qu’ils doivent suivre aussi bien dans le présent que dans l’avenir.

Cette alliance seule mettra fin à des ingérences étrangères dans les affaires intérieures des différens pays et, en même temps qu’elle procurera une vie nationale aux peuples de la Péninsule, elle donnera à l’Europe des garanties aussi sérieuses que possible de stabilité et d’équilibre en Orient.


La question est ainsi parfaitement posée et, tant qu’on s’en tient aux considérations générales, l’argumentation est irréfutable. Mais quand on étudie les moyens pratiques de réalisation, c’est alors que les objections apparaissent.


III

Comme toutes les idées simples, celle d’une confédération balkanique ou orientale est, au premier abord, très séduisante. Elle résout toutes les difficultés et, de plus, elle est seule à les résoudre. Il semble qu’à raisonner sur l’avenir de la question d’Orient, on ne puisse guère échapper au dilemme : ou, sous une forme quelconque, une union des Etats balkaniques, ou la continuation de l’instabilité et de l’insécurité actuelles aboutissant finalement à une guerre où s’opérerait dans le sang la sélection du plus fort. Mais les faits, en politique, se plient mal à la logique des raisonnemens et souvent l’idée qui séduit par sa simplicité est précisément celle dont il faut se défier ; car la réalité est complexe et échappe aux formules. Il y a des idées encore plus simples et plus séduisantes que celle d’une confédération balkanique, celle, par exemple, de la paix universelle, et, depuis si longtemps que les hommes en rêvent, leurs espoirs n’ont pas encore cristallisé dans une forme viable.

On distingue plusieurs formes de confédération, ou, pour employer un terme plus général, d’association, entre plusieurs Etats. La Confédération suisse, les Etats-Unis d’Amérique, ceux du Brésil, la Confédération germanique de 1815, l’Empire allemand de 1871, le dualisme austro-hongrois de 1867, présentent des types très différens d’associations d’Etats : dans les uns, l’égalité des droits est absolue entre les associés ; dans les autres, l’un des États, par suite de circonstances historiques, a obtenu la prépondérance ; tantôt un souverain commun s’élève au-dessus des souverains particuliers, tantôt la forme est républicaine. En tout cas, une confédération implique un organisme central, diète, parlement ou souverain, en qui se concrétise le lien fédéral et qui constitue un pouvoir commun. Quelle forme pourrait prendre une confédération balkanique ? La forme républicaine, suisse ou américaine, est incompatible avec des Etats historiques gouvernés par des souverains héréditaires. Les Etats balkaniques ne sauraient s’unir qu’en conservant leurs souverains respectifs, leur gouvernement intérieur, leur législation particulière ; entre eux, on ne pourrait concevoir qu’une fédération dans laquelle chacun des membres aurait les mêmes droits et déléguerait un certain nombre de députés à une diète fédérale qui siégerait alternativement dans les diverses capitales. Encore voit-on mal comment, en pratique, pourrait fonctionner cette diète. Dans l’Allemagne de 1815, à côté de la Diète, il y avait l’empereur Habsbourg, dont la tradition et l’histoire imposaient l’autorité ; dans l’Allemagne de 1871, il y a le roi de Prusse dont la force a fait un empereur allemand. Dans la Confédération germanique, il n’y avait, à peu d’exceptions près, que des Allemands parlant la même langue, unis par une longue collaboration historique et par la communauté de la « culture. » Dans l’empire austro-hongrois, les races et les langues sont très disparates, mais le loyalisme dynastique est un lien solide éprouvé par l’histoire, sanctionné par des parlemens locaux. Dans la péninsule balkanique, les traditions sont imprégnées de haine et les souvenirs teints de sang. Il n’y a ni communauté de race, ni communauté de culture, ni communauté de langue, ni communauté de religion, et l’on ne voit pas d’où pourrait sortir, parmi les Etats de la péninsule, une Prusse imposant son hégémonie, un Habsbourg incarnant l’unité dans un intérêt commun. Si, dans une organisation fédérale, la Turquie tentait d’exercer une suprématie, si légère fût-elle, ne soulèverait-elle pas contre elle l’hostilité passionnée de tous les États chrétiens ? Et si la tentative venait de l’un de ces États, de la Bulgarie par exemple, croit-on que Turcs et Grecs ne s’insurgeraient pas contre elle avec toute la fureur renouvelée des passions ataviques ?

Pour qui connaît l’intransigeance patriotique, l’orgueil de race, l’exclusivisme de toutes les populations balkaniques, qu’elles soient latines, slaves, turques, albanaises même ; pour qui a vu de près leurs rivalités nationales, compliquées de haines sociales, de dissidences religieuses, d’ambitions jalouses, de rancunes historiques, il est bien difficile de croire à la possibilité d’une organisation fédérale un peu forte, et l’on est porte à penser que le plus grand effort d’union que l’on puisse espérer, dans l’état actuel des esprits, des nationalités balkaniques, serait la conclusion d’une alliance défensive entre la Turquie, la Roumanie, la Bulgarie, la Serbie, le Monténégro et la Grèce. Peut-être les Etats alliés pourraient-ils, à la rigueur, arriver à constituer une sorte de commission arbitrale, composée de un ou deux délégués de chaque Etat et destinée à trancher les difficultés de nationalité ou de frontière qui surgissent si souvent dans la péninsule et qui, à chaque moment, — comme il est arrivé récemment pour les incidens de frontière entre Turcs et Bulgares, — menacent de dégénérer en une guerre générale. Une alliance défensive de cette nature serait un premier pas vers la réalisation du programme : « Les Balkans aux peuples balkaniques ; » elle permettrait, dans une certaine mesure, d’écarter les influences, tout au moins les interventions étrangères.

Ces interventions, les peuples balkaniques en ont parfois souffert ; mais il faut bien reconnaître que, sans elles, la plupart d’entre eux seraient encore soumis aux Turcs. La protection d’une nation étrangère, au cas où elle pourrait être désintéressée, serait peut-être le seul moyen efficace de promouvoir la formation d’une Confédération ou d’une alliance balkanique ; parmi ces populations surexcitées, elle jouerait le rôle de gendarme et d’arbitre. Ainsi Napoléon s’intitulait Protecteur de la Confédération du Rhin, Médiateur de la Confédération suisse. Mais, en pareille occurrence, il arrive généralement que Protecteur ou Médiateur devient bien vite synonyme de maître. Ainsi adviendrait-il de l’Empereur italien que Un Latin voudrait donner comme chef à la confédération orientale de ses rêves. La solution qu’il propose, comme toutes celles de même nature, aurait pu être théoriquement acceptable dans une Europe orientale d’où les Turcs auraient été chassés : l’arbitre étranger aurait alors servi à mettre d’accord les petits Etats chrétiens et à régler amiablement leurs litiges. Elle ne serait plus possible en présence d’un grand Empire comme la Turquie, bailleurs, pour être un arbitre impartial, l’Italie est trop proche de l’Orient balkanique ; en voulant l’introduire dans les Balkans, le Roumain qui signe Un Latin, laisse deviner sa pensée secrète. Offrir un rôle de tutelle et de conciliation à la Russie ou à l’Empire austro-hongrois, ce serait les induire en tentation, ce serait faire rentrer par la fenêtre le loup chassé de la bergerie par la porte. L’Allemagne est trop étroitement unie à l’Autriche, elle a trop d’intérêts en Turquie, et elle y a exercé, en ces dernières années, une influence trop considérable pour que ses directions puissent être acceptées sans défiance. La France ou l’Angleterre pourraient être choisies comme arbitres et comme tutrices par les Etats balkaniques associés, car elles n’ont ni l’une ni l’autre d’ambitions territoriales dans la péninsule ; la France surtout a eu l’art d’agir à la fois comme émancipatrice des nationalités et comme protectrice de l’intégrité de l’Empire Ottoman ; aussi bien pour les Turcs que pour les Grecs, les Slaves ou les Roumains, son nom signifie liberté politique, émancipation des nationalités. La France, en outre, bénéficie de l’incomparable autorité morale qu’elle doit au prestige de sa civilisation, de sa langue partout répandue dans le Levant et de la glorieuse histoire de ses relations avec la Turquie. Mais ni la France, ni sans doute l’Angleterre, s’il était fait appel à leurs bons offices, n’auraient lieu de s’en réjouir ; elles pourraient se trouver entraînées dans des complications inextricables ; leurs relations avec la Russie et avec l’Autriche deviendraient plus difficiles, et il n’est pas certain qu’elles recueilleraient, même en gratitude platonique, le bénéfice de leur bonne volonté. Il est donc, à tous points de vue, préférable que les Etats balkaniques agissent de leur propre initiative, à leurs risques et périls ; ce n’est même qu’à cette condition que la naissance d’une union balkanique serait souhaitable.

Dans l’état actuel de l’Orient, l’établissement d’une confédération, voire la conclusion d’une simple alliance défensive entre les Etats de la péninsule se heurterait à une grosse difficulté : Quels seraient, dans une telle combinaison, le rôle et la place de l’Empire Ottoman ?

La Turquie n’est pas seulement européenne, elle est surtout asiatique. S’il est exagéré de dire, en reprenant un mot fameux, que les Turcs ne sont que campés en Europe, il est certain cependant que c’est d’Asie qu’ils sont venus, d’Asie qu’ils tirent leur force principale ; en Europe, même là où ils se sont implantés, les vieilles races indigènes les regardent comme des intrus. Turquie d’Asie et Turquie d’Europe sont inséparables ; le Bosphore ne divise pas, il réunit ; il n’est pas une frontière, il est un centre d’attraction. La Turquie d’Asie entrera-t-elle donc avec la Turquie d’Europe dans la confédération ou dans l’alliance ? Et comment distinguerait-on entre elles ? Y entrera-t-elle avec ses Arméniens, ses Kurdes, ses Arabes nomades, avec son Hedjaz et son Yémen ? Verra-t-on la Bulgarie ou la Grèce engagées, par leur alliance, dans une querelle avec la Perse ? Le Monténégro, attaqué par l’Autriche, pourra-t-il faire appel au concours des redifs d’Anatolie ? Il est impossible d’imaginer un moyen de séparer l’Empire Ottoman en deux parties dont l’une seulement serait engagée dans la politique européenne. On ne voit guère non plus comment il serait possible, sans risquer de rendre l’alliance illusoire, de distinguer entre les différens casus fœderis qui pourraient se produire.

Autre difficulté, également grave. La Turquie entrera-t-elle dans la confédération, ou dans l’alliance, telle qu’elle est, sur la base de l’uti possidetis, ou assurera-t-elle certaines conditions spéciales aux nationalités non turques qui vivent dans la Turquie d’Europe, sans parler de celle d’Asie ? Tous les plans de confédération balkanique ou orientale dont nous avons rappelé l’histoire font une place à l’Albanie et à la Macédoine. Il ne saurait être question actuellement de les séparer de la Turquie ; mais la Bulgarie, par exemple, consentirait-elle à entrer dans une alliance avec la Turquie, si celle-ci ne donnait pas des garanties aux Bulgares de Macédoine ? Ceci revient à dire que la possibilité d’une union balkanique générale est étroitement liée à l’avenir de la Jeune-Turquie. Si elle adopte une méthode de centralisation et d’unification sans tempéramens, si son patriotisme légitime s’exagère en un nationalisme intransigeant, non seulement elle ne réussira pas à gagner le cœur des populations chrétiennes de la Turquie d’Europe, mais elle alarmera les Etats voisins, elle les mettra pour longtemps en défiance ; elle finira par susciter contre elle la confédération ou l’alliance qu’une politique plus souple pourrait constituer à son avantage.

A ce point de vue, la ligne de conduite que suit le gouvernement de Hakki Pacha vis-à-vis de l’Albanie inspire des inquiétudes aux amis de la Turquie nouvelle. Si l’on veut bien se reporter à ce que nous écrivions le 15 décembre dernier à propos de l’Albanie, on comprendra mieux le caractère et les origines d’un mouvement que les journaux appellent à tort insurrection ou révolte. Les Arnaoutes ont été les premiers partisans de la Constitution dont, à la vérité, ils comprenaient mal les tendances et le caractère réel, mais dont il eût été politique de leur enseigner les bienfaits autrement qu’à coups de canon ou de fusil. C’est l’expédition insuffisamment justifiée de Djavid Pacha dans les montagnes de l’Albanie du Nord, ce sont les excès commis par ses soldats qui ont soulevé derrière lui les Arnaoutes frémissans et altérés de vengeance. L’Albanie n’est pas une Vendée insurgée pour un sultan déchu, c’est une Ecosse qui lutte pour ses traditions, son particularisme, sa langue. Le gouvernement ottoman ne pouvait laisser intercepter le chemin de fer d’Uskub à Mitrovitza et devait assurer, même par la force, les communications entre les bourgs de l’Albanie du Nord ; mais il fera preuve d’esprit de justice en même temps que d’esprit politique, s’il ne cherche pas à réduire les « insurgés » dans leurs montagnes : les Turcs n’y trouveraient que des pierres et des coups. Déjà, il y a trop de victimes, trop de villages incendiés, trop de femmes insultées ; les Jeunes-Turcs ont le plus grand intérêt à ne pas s’aliéner à jamais cette fière et forte race qui a déjà donné à l’Empire tant d’hommes d’État, tant de braves soldats, et à laquelle il n’a donné, lui, ni un chemin de fer, ni une route, ni un canal d’irrigation, ni une école. La Jeune-Turquie, avant de se montrer trop exigeante vis-à-vis des Albanais, a beaucoup à réparer vis-à-vis d’eux ; ce n’est que peu à peu, et par des bienfaits, qu’elle fera la conquête de ce peuple qui, cramponné depuis tant de siècles à ses montagnes, n’a jamais abdiqué, devant aucun conquérant, ni ses coutumes, ni son langage, ni son fier particularisme.

La méthode que le gouvernement ottoman appliquera aux Albanais est observée avec une attention inquiète par les Etats balkaniques. Beaucoup de Bulgares, de Serbes, de Grecs, vivent sous la loi turque en dehors de la Bulgarie, de la Serbie, de la Grèce. Il existe aussi, dans les montagnes du Pinde, mêlés aux Albanais, beaucoup de Valaques dont les Roumains se proclament « frères. » Chacun des peuples qui entourent la Turquie d’Europe se trouve donc dans l’obligation morale de ne pas se désintéresser du sort de ces « frères séparés » qui, après avoir été si longtemps les sujets, la raïa du Grand Seigneur, sont devenus, par la vertu de la Constitution, des citoyens de l’Empire Ottoman. S’ils restent mal satisfaits de leur sort, si une politique trop centralisatrice les alarme pour leur langue et leurs écoles, pour le maintien de leurs coutumes et de leur organisation politique et religieuse, toute alliance devient impossible entre la Turquie et les États chrétiens du Balkan. L’union, sous quelque forme que ce soit, ne pourrait être que la conséquence d’un apaisement complet des conflits de nationalité par l’application d’un régime très souple de liberté et de décentralisation. Cet oubli de haines séculaires, — il faut, dans leur intérêt, que les Jeunes-Turcs le comprennent bien, — il ne suffit pas de le décréter pour l’obtenir.

La question crétoise est aussi l’une de celles qui doivent être résolues avant qu’il puisse être question de négocier la conclusion d’une alliance où entrerait le royaume des Hellènes. L’admission de la Crète, comme un Etat autonome, sous la suzeraineté nominale du Sultan, dans une confédération, pourrait peut-être fournir la base d’une transaction.

La constitution d’une confédération orientale rencontre enfin un obstacle dont on ne s’avise pas toujours : c’est Constantinople. Sa situation géographique, les détroits dont elle commande le passage, l’éclat incomparable de son renom, le rayonnement de son éternelle beauté, lui donnent parmi les grandes capitales du globe une importance sans seconde. Malgré tant de ruines, elle apparaît encore revêtue de ces symboles magnifiques qui s’imposent au respect ou à l’adoration des hommes : c’est l’Empire romain qui, du haut de la ville de Constantin, projette la majesté de son ombre jusque sur nos générations d’aujourd’hui ; c’est le patriarcat œcuménique en qui survit, à travers tant de déchéances, l’image altérée mais encore imposante du catholicisme oriental ; c’est le Khalifat dans lequel trois cents millions de Musulmans révèrent la succession religieuse et politique du Prophète ; c’est Sainte-Sophie enfin, où les grands anges de mosaïque, d’un frémissement de leurs ailes d’or, semblent n’avoir qu’à secouer un mince badigeon musulman pour découvrir aux yeux le Christ dans sa gloire. La Constantinople moderne, la ville des banques, des affaires et du plaisir, la Cosmopolis où, sous l’œil des Turcs qui n’y ont guère part, des gens de proie venus de tous pays se rencontrent pour brasser des affaires et ramasser de l’or, exerce elle aussi son attrait sur les rudes et laborieux paysans de la Morée, du Pinde ou du Balkan. Tous ces prestiges du temps, de la gloire et de l’or entourent Constantinople d’une telle auréole et donnent à qui la possède un tel avantage sur tous ses voisins qu’entre eux et lui, l’égalité, même inscrite dans les traités, paraîtra toujours illusoire. De tous côtés convergent vers la cité fascinatrice d’incoercibles convoitises ; et d’elle, en retour, émane une influence incomparable, une autorité vraiment impériale, comme au temps où le Basileus y régnait dans sa splendeur et où les rois barbares du Danube et des Balkans se sentaient fiers de lui prêter l’hommage et de se dire ses vassaux. On connaît l’opinion de Napoléon ; parlant de son alliance avec la Russie, il disait : « Constantinople était le grand embarras, la vraie pierre d’achoppement ; la Russie la voulait ; je ne devais pas l’accorder ; c’est une clé trop précieuse ; elle vaut à elle seule un empire ; celui qui la possédera peut gouverner le monde. » L’ouverture du canal de Suez n’a laissé aux maximes de l’Empereur qu’une part de leur vérité ; mais on peut appliquer à la formation d’une confédération balkanique ce qu’il disait de son alliance avec la Russie : « Constantinople est la vraie pierre d’achoppement. » Entre celui qui la possède et ceux qui la convoitent, il peut exister des ententes temporaires ; il est difficile d’imaginer une alliance durable, encore moins une confédération sans hégémonie.

De petits Etats à petits Etats une entente ne serait pas moins difficile qu’entre les petits Etats et la Turquie. La Grèce mesure son intransigeance non à ses forces, mais à ses rêves ; en ces dernières années, en même temps qu’elle se brouillait avec la Turquie à propos de la Crète, elle entrait en conflit avec la Bulgarie et avec la Roumanie pour la Macédoine ; elle n’est guère en bons rapports qu’avec la Serbie. Il est peu vraisemblable que les Etats danubiens recherchent avec la Grèce une alliance qui ne leur apporterait pas une force réelle et qui risquerait de devenir très onéreuse. On peut admettre qu’entre les deux Etats peuplés de Serbes, Serbie et Monténégro, la volonté des peuples, malgré les susceptibilités des cours, saurait, en cas de conflit, imposer une alliance, comme on l’a vu durant la crise de 1908-1909. En serait-il de même entre la Bulgarie et la Serbie ? C’est là le point important. Ce qui paraît naturel et normal, c’est leur bonne intelligence, et cependant, c’est le bruit de leurs querelles qui remplit leur histoire. L’Autrichien et le Russe exploitent leurs jalousies pour perpétuer un désaccord dont ils profitent. Vienne, en 1885, oblige Belgrade à la guerre. Serbes et Bulgares, durant la crise macédonienne, se disputent Uskub et une partie du vilayet de Kossovo ; leurs propagandes se font échec, leurs bandes s’entretuent, cependant qu’Uskub reste aux Turcs ! Pour tel village de Macédoine, qui était avant-hier patriarchiste grec, hier exarchiste bulgare, et qui se déclare aujourd’hui patriarchiste serbe, voilà les passions déchaînées ; les imaginations partent en guerre : les Bulgares parlent de conquérir Pirot et Nisch, les Serbes refont l’Empire de Douchan. Heureusement, ces Gascons du Danube sont, comme ceux de chez nous, des têtes froides. Depuis cinq ans, malgré des traverses et des difficultés, les relations vont s’améliorant. En 1905, les Serbes prennent l’initiative d’une union douanière que le Sobranié de Sofia repousse : la question de Macédoine est alors trop aiguë pour permettre une entente sincère ; peut-être aussi faut-il ménager telle ou telle grande puissance dont le concours pourrait devenir nécessaire et à qui l’accord des deux pays porterait ombrage. En octobre 1908, la Bulgarie proclame son indépendance ; c’est un événement que la Serbie regarde comme légitime ; elle regrette seulement que la coïncidence avec l’annexion de la Bosnie-Herzégovine, si douloureuse au nationalisme serbe, permette de croire à un accord préalable entre Vienne et Sofia. La crise apaisée, le rapprochement s’est opéré. La Serbie, plus que jamais, sent le besoin de ne pas rester isolée ; elle cherche anxieusement de quel côté s’ouvrira pour elle le chemin de l’avenir. Le roi des Bulgares, le 28 octobre 1909, fait une excursion en Serbie ; il y rencontre le prince héritier ; des paroles de sympathie sont échangées. Le 26 novembre, nouvelle rencontre à Belgrade ; les deux souverains échangent des visites. En même temps, l’idée d’une confédération balkanique fait du chemin dans les esprits ; la presse la discute. Elle pourrait commencer par une alliance serbo-bulgare. Certains patriotes serbes seraient, dit-on, prêts aux plus grands sacrifices pour que leur pays ne reste pas dans son isolement en face d’une Autriche menaçante. Les uns se résigneraient à accepter la « solution autrichienne, » c’est-à-dire la Serbie allant, de son plein gré, se réunir, sous le sceptre des Habsbourg, avec le groupe des Slaves du Sud déjà englobés dans l’Empire. D’autres préféreraient la « solution bulgare ; » ils entrevoient une alliance rendue plus étroite par une union personnelle : deux couronnes sur une seule tête, deux armées sous un seul chef. De l’union de la Serbie et de la Bulgarie, sous quelque forme qu’elle se produise, serait formé un premier noyau de confédération auquel s’adjoindrait le Monténégro ; l’alliance ne serait dirigée spécialement contre personne, mais elle pourrait faire front soit contre la Turquie, soit contre l’Autriche : ce serait une confédération danubienne ; elle aurait l’appui de la Russie. La Bulgarie accepterait-elle ce rôle ? Ou bien la verra-t-on, sacrifiant la Serbie, lier partie avec l’Autriche ; on a parfois supposé qu’entre Vienne et Sofia, comme autrefois entre Vienne et Pétersbourg, un partage des Balkans aurait été prévu ; la Bulgarie irait jusqu’à la mer et envelopperait Constantinople ; l’Autriche descendrait sur Salonique portée par les Slaves du Sud réunis sous le sceptre des Habsbourg… Où s’arrêterait-on dans ce jeu des hypothèses ? Le fait, cependant, qu’on les discute, montre que, de tous côtés, on a conscience que l’Orient n’a pas encore trouvé son assiette définitive et que de grands changemens s’y préparent.

Entre la Roumanie et ses voisins slaves de la rive droite du Danube, les relations sont actuellement bonnes. A Bucarest aussi, la perspective d’événemens considérables en Orient fait sentir les dangers de l’isolement. La Roumanie a cherché jusqu’ici son point d’appui du côté de la Triple-Alliance, mais le sort des Roumains de Hongrie la préoccupe. Si une confédération danubienne venait à se former, la Roumanie ne refuserait sans doute pas d’y entrer : si elle était obligée de faire face au Nord, du côté de la Hongrie ou de la Russie, elle pourrait s’adosser au Danube et chercher des sympathies dans la péninsule. Dans la formation d’une alliance danubienne, l’initiative ne viendra pas de la Roumanie ; mais, dans bien des cas, son intervention pourrait être prépondérante. Un système d’alliances dirigé contre la Turquie ne pourrait agir militairement qu’avec l’agrément des Roumains qu’ils ne négligeraient sans doute pas de se faire payer. Le roi Ferdinand ne pourrait en aucun cas marcher contre les Turcs s’il n’obtenait d’abord l’assurance de n’être pas menacé, sur le Danube, par l’armée du roi Carol. S’il s’agissait d’une confédération générale, dans laquelle entrerait la Turquie, la Roumanie s’y agrégerait plus volontiers encore, car elle n’a avec la Turquie aucun motif de mésintelligence.

La réorganisation de l’Empire austro-hongrois que prépare le parti chrétien-social, — sur laquelle nous aurons ici l’occasion de revenir, — aurait, sur les événemens qui peuvent se produire dans les Etats balkaniques, une répercussion considérable. L’avenir de la Hongrie, de la Croatie, des Serbes, des Bulgares, des Roumains, est en suspens. Entre Vienne et Constantinople, des peuples et des tronçons de peuples s’agitent, tantôt s’attirant, tantôt se repoussant, nouant et dénouant des alliances, encore incertains du sens où une impulsion décisive viendra orienter leur histoire et fixer leurs destinées. La Confédération danubienne imaginée par Kossuth, les projets de « Trialisme » actuellement étudiés en Autriche, la confédération balkanique ou la confédération orientale, sont des solutions diverses d’un même problème qui s’étend depuis la Leytha jusqu’au Bosphore. L’avènement d’un nouveau règne et d’une nouvelle politique en Autriche, le succès ou l’échec de la Jeune-Turquie décideront de l’avenir. La « force bulgare » interviendra. Il serait téméraire de se risquer à des prévisions plus précises ou plus lointaines.


IV

Nous avons posé, au début de ces pages, une question précise : une confédération balkanique est-elle possible ? Essayons d’y répondre par des précisions, en résumant les conclusions auxquelles nous sommes parvenus.

Une confédération ou une alliance défensive des États de la péninsule des Balkans ne serait vraiment efficace, pour assurer la tranquillité de l’Orient et la paix de l’Europe, que si l’Empire Ottoman en faisait partie. Seule une telle combinaison pourrait se donner pour objet de réaliser le programme : « les Balkans aux peuples balkaniques, » et de prévenir toute immixtion des grandes puissances dans les affaires orientales. Cette hypothèse nous a paru, sinon tout à fait chimérique, du moins d’une réalisation difficile et improbable. Le succès d’une entente de cette nature, conclue sans arrière-pensée et sur le pied d’égalité entre la Turquie et les autres Etats, dépend surtout de la Turquie elle-même, du succès de sa réorganisation intérieure et de la politique qu’elle suivra vis-à-vis des nationalités. Une transformation comme celle que les Jeunes-Turcs ont entreprise depuis la révolution de juillet 1908 est une œuvre de longue haleine. Tant que le nouveau régime n’est pas parfaitement assis et consolidé, tant qu’il n’a pas établi un mode de gouvernement normal et commencé de résoudre les problèmes sociaux et nationaux qui si ; posent devant lui, la formation d’une confédération orientale générale ne nous paraît guère possible. Si une alliance générale venait à être conclue, nous ne croyons pas qu’elle puisse être durable ; elle ne serait qu’un expédient temporaire, une sorte d’armistice destiné à donner le change, à endormir les vigilances pour se mieux préparer, de part et d’autre, à une crise décisive.

Des ententes ou des alliances restreintes entre Etats balkaniques et danubiens paraissent plus vraisemblables. Certains événemens de ces derniers mois pourraient faire supposer que l’on s’achemine vers une solution de ce genre. Les trois Etats slaves, Bulgarie, Serbie, Monténégro, seraient l’élément fondamental d’une telle combinaison. Il est peu probable que la Grèce y entrerait. Quant à la Roumanie, il dépendrait d’elle, par son adhésion ou son abstention, de paralyser, ou de libérer pour l’action, l’union des trois Etats slaves. Celle politique d’entente danubienne pourrait commencer par un Zollverein (union douanière) avec un Zollparlament. L’accord des petites puissances slaves, s’il allait jusqu’à une alliance militaire, serait dirigé contre l’Empire Ottoman ; il s’agirait soit de chasser les Turcs d’Europe, soit seulement d’intervenir en faveur des chrétiens de Macédoine. Nécessairement, dans le cas d’une combinaison de ce genre, ni la Russie ni l’Autriche ne pourraient s’en désintéresser ou en être exclues ; leur politique interviendrait encore dans les affaires balkaniques et y exercerait probablement une influence prépondérante. On aperçoit se dessiner, dans cette hypothèse, deux solutions : ou une entente entre l’Empire austro-hongrois et la Bulgarie pour un partage d’influence dans les Balkans, ou une entente entre la Bulgarie et la Serbie, sous les auspices de la Russie, avec la neutralité bienveillante de la Roumanie.

A la regarder de près, la formule : « le Balkan aux peuples balkaniques » est surtout séduisante quand on se place au point de vue de l’Europe ; elle supprimerait d’un coup toutes les difficultés de la question d’Orient, elle atténuerait les rivalités anciennes qui ne s’exaspèrent que quand les intérêts ou les ambitions des grandes puissances entrent en jeu dans les Balkans. L’Europe sans question d’Orient ! Quelle sinécure deviendrait la diplomatie ! De loin, cet idéal paraît si facile à réaliser ! Ne suffirait-il pas que les peuples du Balkan consentissent à s’entendre ? Mais, vue de l’un quelconque des Etats balkaniques, la solution paraît beaucoup moins simple ; ces peuples ont des raisons très fortes, très impressionnantes, de ne pas s’entendre, ou tout au moins de ne pas se lier les mains pour longtemps. Il s’en faut qu’il y ait entre eux identité d’intérêts, d’aspirations, de culture. Quel est l’idéal commun autour duquel ils pourraient se réunir comme autour d’un drapeau ? Seule une coalition formée pour chasser les Turcs d’Europe pourrait réaliser ce miracle, et c’est précisément cette solution extrême que l’Europe est résolue à éviter. Peut-on croire encore que les petits Etats, même confédérés, pourraient se passer du concours des grandes puissances ? Ils seraient trop tentés de s’appuyer sur elles les uns contre les autres ! En sorte que l’on est réduit à se demander si ce ne seraient pas les grandes puissances seules qui pourraient réussir, comme elles le font depuis quelques années, à imposer aux petits Etats la concorde et la paix. Il faut voir les choses comme elles sont et les dire comme on les voit. Une confédération balkanique est éminemment souhaitable ; elle ne paraît pas, dans l’état actuel de la péninsule, de sitôt réalisable. Il pourra exister entre les différens Etats des alliances temporaires, des associations partielles, mais nous ne croyons guère à une alliance générale et durable, encore moins à la naissance d’un organisme fédératif. Il y a encore, dans l’Orient balkanique, trop de peuples en formation, trop de frontières mal délimitées, trop de nationalités mal définies qui se cherchent elles-mêmes et qui ne vivent que de souvenirs et d’espérances. L’heure n’est pas venue où Turcs, Bulgares, Serbes, Roumains, Grecs, pourraient abdiquer l’espoir suprême d’un recours à la force. Les morts parlent trop haut, en Orient, et crient vengeance trop fort, pour qu’il soit déjà possible de couvrir leur clameur. Ce que les peuples des Balkans attendent, ce n’est pas un congrès de professeurs, de juristes ou de diplomates qui dosera à chacun sa part et constituera sur le papier une confédération idyllique ; ce qu’ils espèrent et redoutent à la fois, c’est l’homme qui précipitera les destins en suspens, l’homme qui osera oser.


RENE PINON.

  1. Le roi Ferdinand à Pétersbourg : 23 février-3 mars 1910 — le roi Ferdinand à Constantinople : 21-28 mars 1910. — Le roi Pierre à Pétersbourg et en Russie : 21 mars-1er avril ; — le roi Pierre rencontre le roi Ferdinand à Philippopoli : 2 avril — le roi Pierre séjourne à Constantinople : 3-8 avril.
  2. The future of the Balkan, by Mil-R. Ivanovitch, Fortnightly Review de juin 1909, article intéressant et documenté auquel nous avons fait plus d’un emprunt.
  3. Baron Jehan de Witte, Quinze ans d’histoire, p. 81, Plon, 1905, in-8.
  4. Engelhardt, la Confédération balkanique, dans Revue d’histoire diplomatique, t. VI (1892), p. 36.
  5. De Witte, ouv. cité, p. 263.
  6. La Russie et l’Europe. Saint-Pétersbourg, 1889.
  7. , La Question d’Orient. Revue générale de droit international public, juillet 1896.
  8. 4 Mars 1909. — Cf. no du 5 novembre 1908 : « Pour arriver à l’hégémonie complète dans les Balkans, nous avons besoin d’une entente avec la Turquie qui, à tout prix, doit devenir notre amie, une amie flexible et dépendante. » Voyez Paul Deschanel : Hors des frontières (Fasquelle, 1910), p. 195, et notre article du 15 décembre 1908, page 885.
  9. « Le rapprochement de la Russie et de l’Italie est désormais un fait accompli dont, de plus en plus, se révélera l’importance dans l’avenir, » disait, en décembre 1908, M. Tittoni à la Chambre des députés ; et, quelques jours après, M. Isvolski s’en félicitait, à la Douma, dans les mêmes termes.
  10. Une confédération orientale comme solution de la Question d’Orient. Plon, 1903, in-12.
  11. Voici les articles 2 et 3 des statuts :
    « Art. 2. — Le but de la Ligue est de poursuivre la réalisation d’une confédération de tous les peuples de l’Europe orientale et de l’Asie Mineure.
    « Art. 3. — Ces peuples s’énumèrent ainsi : 1er la Grèce avec l’île de Candie ; 2e la Serbie avec la Bosnie-Herzégovine ; 3° la Bulgarie ; 4° la Roumanie ; 5° le Monténégro ; 6° la Macédoine et l’Albanie, qui formeraient un État libre et fédératif ; 7° la Thrace avec Constantinople comme ville libre et siège des délégués des États confédérés ; 8° l’Arménie et l’Asie Mineure avec les îles de son littoral. » Voyez Un latin, p. 174.
  12. Solution pacifique de la question d’Orient. Paris, 1877.
  13. Hilmi Pacha, ancien grand vizir, lors de son récent passage à Paris, disait à un journaliste : « La Confédération des États balkaniques est un rêve, mais avec la régénération de la Turquie et une bonne armée — une bonne armée est indispensable — ce rêve pourra, je l’espère, devenir une réalité. »
  14. Il est curieux de trouver déjà cette vérité exprimée, des 1830, dans cette lettre du comte de Nesselrode au Grand-Duc Constantin.
    « Saint-Pétersbourg, 12 février 1830.
    « Le but de nos relations avec la Turquie est celui que nous nous sommes proposé par le traité d’Andrinople lui-même et par le rétablissement de la paix avec le Grand-Seigneur. Il ne tenait qu’à nos armées de marcher sur Constantinople et de renverser l’empire turc. Aucune puissance ne s’y serait opposée, aucun danger immédiat ne nous aurait menacés, si nous avions porté le dernier coup à la monarchie ottomane en Europe. Mais, dans l’opinion de l’Empereur, cette monarchie, réduite à n’exister que sous la protection de la Russie et à n’exécuter désormais que ses désirs, convenait mieux à nos intérêts politiques et commerciaux, que toute combinaison nouvelle qui nous aurait forcés soit à trop étendre nos domaines par des conquêtes, soit à substituer à l’empire ottoman des États qui n’auraient pas tardé à rivaliser avec nous de puissance, de civilisation, d’industrie et de richesse ; c’est sur ce principe de S. M. I. que se règlent aujourd’hui nos rapports avec le Divan. »
    (Citée par Emile de Girardin, Solutions de la Question d’Orient. Paris, Librairie nouvelle, novembre 1853.)
  15. Voyez sur ce point nos précédens articles et particulièrement ceux du 15 décembre 1908 et du 15 juin 1909.
  16. Dr Stefan Bratimich, la Péninsule des Balkans. Paris, chez Balitout et Cie 1889 (p. 29).
  17. Voyez la Revue du 1er mars.