Une Dame de Saint-Cyr - Madame de la Maisonfort

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Une Dame de Saint-Cyr - Madame de la Maisonfort
Revue des Deux Mondes, 6e périodetome 28 (p. 390-428).
UNE DAME DE SAINT-CYR

MADAME DE LA MAISONFORT


I

« Quel véritable présent vous m’avez fait en me donnant la chanoinesse, » écrivait Mme de Maintenon à l’abbé Gobelin en 1684, « et quel dommage qu’elle n’ait pas de vocation ! »

Celle que Mme de Maintenon appelait la chanoinesse, et dont elle remerciait si vivement son directeur, était une jeune femme de vingt-quatre ans, Marie-Françoise-Sylvine Lemattre de la Maisonfort. Elle venait d’arriver à Paris ; elle avait été présentée par l’humble prêtre à qui la nouvelle épouse de Louis XIV avait gardé sa confiance. Elle était pleine de vivacité et d’esprit ; enjouée, aimable, étourdie à ravir ; des manières nobles et affables ; un goût passionné des belles choses, et même des grandes ; avec cela un feu intérieur, je ne sais quelle inquiétude secrète qui la rendait plus attachante encore. Mme de Maintenon s’éprit d’elle sur-le-champ.

Qui était-elle ? Une de ces pauvres filles de noblesse provinciale, auxquelles la vie n’offrait alors que des perspectives étroites et vraiment peu riantes. Empêchées de se marier par leur peu de bien, « dans un temps où l’argent fait tout, » le couvent les attendait, ou quelque établissement rustique, bas et pénible. Orpheline de mère, Mlle de la Maisonfort était un embarras de plus pour un père que le service du Roi obligeait d’être sans cesse aux frontières. M. de la Maisonfort réussit à obtenir pour elle un canonicat dans une abbaye noble, à Poussay, en Lorraine. C’est là qu’il la conduisit un jour, en se rendant à l’arrière-ban. Elle avait douze ans.

Nous ne savons pas grand’chose de ces années d’adolescence, sinon que la jeune chanoinesse dut étudier beaucoup, lire avec passion, acquérir une culture étendue et profonde. Et nous pouvons deviner encore une autre chose : c’est que Marie-Françoise commença de mettre tous les cœurs à l’envers, dans la noble abbaye. Ce triste ou charmant privilège, comme on le voudra prendre, elle l’a toujours exercé. Elle-même dira plus tard, très tard, et sans vanité aucune, mais plutôt avec un soupir : « C’est mon étoile, d’être toujours assez aimée… » Pauvre petite étoile, qui ne cessera de briller, en effet, au ciel d’une vie traversée de beaucoup d’orages.

En 1680, Mme de la Maisonfort obtint d’accompagner l’abbesse de Poussay jusqu’à Nancy, au passage de la Dauphine, qui venait en France pour son mariage. La princesse la distingua et lui fit beaucoup d’amitiés.

Quatre ans plus tard, M. de la Maisonfort, soit de son propre mouvement (car il s’était remarié et ne pouvait plus suffire à l’entretien de sa fille), soit sur le désir de celle-ci, fit venir la chanoinesse à Paris. Il voulait lui trouver, auprès de quelque princesse, un de ces vagues emplois, dignes à la fois de son rang et de sa pauvreté. En même temps, comme il était déjà question de la fondation de Saint-Cyr, M. de la Maisonfort voulait faire recevoir sa seconde fille dans cet établissement. Il semble avoir été bon père, et serviteur du Roi assez pénétré de la reconnaissance que le Roi lui devait pour ses bons services.

Il pria l’abbé Gobelin de présenter ses filles : l’entrevue fut heureuse ; Mme de Maintenon, « prompte à s’engouer, » comme on sait, n’hésita point. Elle garda pour elle la chanoinesse ; et, ayant discerné tout ce qu’elle pourrait en faire, elle l’engagea à venir comme maîtresse des classes à Noisy.

Ne blâmons point cet empressement. Les plus belles fortunes commencent parfois dans un éclair ; et juger vite n’est pas juger mal. Mme de Maintenon semble avoir eu mille fois raison de vouloir attacher à son œuvre Mme de la Maisonfort. Mais, puisqu’il faudra bien peser un jour des responsabilités, notons tout de suite, en face de cette fortune inattendue et subite, qui aurait bien pu l’éblouir, notons la réserve très nette de Mme de la Maisonfort, cette fierté d’une âme qui veut bien se donner, mais non se laisser confisquer. Elle déclara qu’elle ferait ce qu’on lui demandait ; mais qu’elle ne pensait pas à la vie religieuse, et qu’elle se retirerait dès qu’on n’aurait plus besoin d’elle.


A Noisy, Mme de Maintenon faisait élever cent demoiselles, dont le Roi payait les pensions. C’était un début, encore un peu secret, dont elle ne parlait qu’« en confidence ; » un premier essai, mystérieux et plein de promesses, de la grande idée de sa vie. Il y avait là une maison restaurée et arrangée par elle ; quatre classes, distinguées par un ruban de couleur, comme plus tard à Saint-Cyr : les rouges, les vertes, les jaunes et les bleues ; une femme de culture et d’esprit, Mme de Brinon, si éloquente qu’elle faisait elle-même les instructions du dimanche dans la chapelle ; enfin un mélange d’improvisation et de longs projets, de vues hardies et d’espérances plus hardies encore, de liberté et de décence, de bonne volonté et d’ardeur, qui faisait de Noisy « un lieu de délices. » Nous retrouverons, sur les premières années de Saint-Cyr, un peu de cette lumière d’aurore, avec quelque chose de plus brillant encore.

Dans ses nouvelles fonctions, Mme de la Maisonfort, avec son entrain, sa jeunesse, son esprit cultivé et délicat, devait plaire et se plaire. En effet, elle « fit merveille. » Nous savons que Mme de Maintenon lui donnait chaque jour davantage son amitié et sa confiance ; les jeunes filles qu’elle instruisait l’adoraient ; et si elle fit merveille, il est probable qu’elle fut heureuse. Gardons-en l’assurance ; ces années de bonheur seront trop courtes.

Les dames de la Cour ne tardèrent pas à vouloir connaître la maison de Noisy. Mme de Maintenon fit quelques difficultés ; puis elle céda, par politique plus que par vanité. La Dauphine vint aussi ; puis un jour le Roi lui-même, à l’improviste. Il fut si enchanté de tout ce qu’il vit qu’à son retour il se sentit pressé de faire quelque chose de plus grand et de plus solide, « pour la gloire de Dieu et le soulagement de la noblesse. » Le 15 août 1684, la fondation de Saint-Cyr fut décidée. Et, moins de deux ans plus tard, en juillet 1686, les filles de Noisy se transportaient solennellement, dans les carrosses du Roi, sous l’escorte des Suisses, vers les magnifiques bâtimens que Mansard venait d’élever pour elles à Saint-Cyr. « Sitôt que nous entrâmes dans la maison, » disent les Dames de Saint-Cyr, « elle nous présenta l’image du paradis terrestre… »

En prévision de cet événement, depuis un an environ, Mme de Maintenon avait choisi parmi les demoiselles de Noisy les plus instruites et les plus vertueuses, pour former la nouvelle communauté qui dirigerait la maison de Saint-Cyr. Elle leur adjoignit quelques personnes du dehors ; elle leur fit faire un noviciat spécial, sous la direction de l’abbé Gobelin et de Mme de Birinon. Le 2 juillet 1686, les douze novices firent profession, en s’engageant seulement à des vœux simples, et reçurent des mains de Mme de Maintenon le manteau, le voile, la croix des Dames de Saint-Louis.

Mme de la Maisonfort les suivit à Saint-Cyr. Mais sans doute le mot de Mme de Maintenon demeurait vrai : « Quel dommage qu’elle n’ait pas la vocation ! » — car elle ne faisait pas partie du nouvel Institut.

Elle suivit les Dames, car elle leur était indispensable. En moins d’un an, sans se montrer trop difficile, on avait improvisé des religieuses ; mais on n’avait pu former des maîtresses de classes. Très jeunes et assez ignorantes, les Dames étaient incapables d’instruire même des enfans de douze ans. Mme de la Maisonfort prêta ses lumières. Elle fut la maîtresse des grandes, et peut-être aussi des maîtresses. Avec Mme de Maintenon, qui ne s’épargnait point, mais qui devait veiller aussi bien aux cuisines, aux infirmeries, à la lingerie, à la roberie, qu’à tout le reste, elle porta le poids de cette improvisation brillante et un peu hasardeuse. Elle fut l’instrument providentiel, qui se prêtait à tout, et qui réussissait partout. Elle avait l’entière confiance de la « Supérieure spirituelle ; » une grande liberté, ce qui lui plaisait ; et peut-être un peu trop d’indépendance, ce qui lui allait à ravir. Elle fut là, pendant deux années, à une école un peu dangereuse pour elle. Rien ne l’attachait à la maison ; il fallait donc l’y retenir. On la flattait, on la ménageait ; car, outre qu’on avait besoin de ses services, on n’avait pas abandonné l’espoir de lui en demander de plus grands encore.


En écrivant plus tard l’histoire de leur Maison, les Dames de Saint-Louis firent reproche à Mme de la Maisonfort d’avoir contribué plus que toute autre à donner aux demoiselles une éducation trop mondaine, imprégnée de bel esprit, et plus propre à nourrir leur vanité que leur bon sens. « Elle crut faire merveille de leur apprendre quelque chose de l’antiquité, comme les fables des fausses divinités, les histoires profanes, les philosophes et choses semblables. » Ces « choses semblables » aux philosophies et aux fables, voilà qui peut faire frémir… Sans doute les Dames voulaient-elles dire encore les romans ? les poètes ? Examinons de près ces graves accusations.

On sait quel était l’esprit de l’éducation nouvelle qui devait être donnée à Saint-Cyr. Mme de Maintenon, l’archevêque Languet de Gergy, le Roi lui-même, qui ne voulait « ni un couvent, ni rien qui le sentît, » l’ont plusieurs fois défini. « Nous voulions, dit Mme de Maintenon, une piété solide, éloignée de toutes les petitesses de couvent, de l’esprit, de l’élévation, un grand choix dans nos maximes, une grande éloquence dans nos instructions, une liberté entière dans nos conversations, un tour de raillerie agréable dans la société… » Et Languet de Gergy : « C’est dans cette vue qu’elle s’appliquait à former l’esprit des demoiselles par tous les exercices propres à leur inspirer cette politesse que le monde exige, et qui n’est point incompatible avec la piété. Elle prenait soin de leur taille, de leur air, de leur démarche, de leurs ouvrages, de leurs jeux même et de leurs conversations… Conduire nos filles à la vertu par de beaux sentimens, disait-elle, tel doit être l’esprit dominant de l’éducation donnée à Saint-Cyr… »

Mme de Maintenon mit ces idées en pratique, hardiment, complètement. Si, bientôt, elle en vit les dangers, il ne semble pas juste que les torts en retombent sur Mme de la Maisonfort, qui ne fit que la seconder et entrer dans ses vues.

Elle y entra, à vrai dire, si pleinement, avec sa fougue, son goût des choses de l’esprit, sa fantaisie, que je veux bien qu’on lui donne beaucoup de torts aimables. On la chargeait d’instruire des filles pour le monde ; elle-même était faite pour le monde, et, n’y vivant pas, elle le parait peut-être encore de plus brillantes couleurs qu’il ne mérite. Elle dut donner à ses bleues une instruction variée, noble, un peu rêveuse, un peu dangereuse. Elle leur lisait des poètes ; elle leur laissait lire les romans de Mlle de Scudéry. Elle leur faisait des entretiens sur les principaux écrivains, et particulièrement sur les auteurs de Port-Royal, qu’elle aimait avec ferveur. Elle leur donnait le goût du beau langage, des conversations polies et raffinées, — pas plus au reste que Mme de Maintenon, qui, toujours pleine des souvenirs de sa jeunesse, du bon ton des hôtels d’Albret et de Richelieu, aurait voulu en perpétuer les traditions à Saint-Cyr. Dans la préface d’Esther, Racine nous dit des jeunes filles de Saint-Cyr : « On leur fait faire entre elles, sur leurs principaux devoirs, des conversations ingénieuses qu’on leur compose exprès, ou qu’elles-mêmes composent sur-le-champ ; on les fait parler sur les histoires qu’on leur a lues, ou sur les importantes vérités qu’on leur a enseignées ; on leur fait réciter par cœur et déclamer les plus beaux endroits des meilleurs poètes. » Mme de la Maison fort ne faisait pas autre chose. Elle le faisait seulement avec plus de plaisir, et avec plus de succès, que d’autres[1]. En vérité, quel crime y a-t-il là ? Souhaiterions-nous même qu’il en fût autrement ? Et quand Racine, séduit par l’esprit de Mme de la Maisonfort, aimait à discourir avec elle, tantôt sur la poésie, tantôt sur les choses saintes, en sorte que « c’était un charme d’entendre l’un et l’autre, » veut-on que nous nous bouchions les oreilles ?

Peut-être, tout au plus, la mesure fut-elle dépassée : mesure dans la politesse, qui eût préservé de la préciosité et du raffinement (lesquels travers avaient perdu, à cette époque, de leur utilité) ; mesure aussi dans la rêverie permise à de jeunes cœurs, tout prêts à interpréter trop passionnément les « meilleurs endroits » des poètes. Dès avant Esther, il y a un cri d’effroi de Mme de Maintenon à Racine, qui est révélateur : « Nos petites filles ont joué hier Andromaque, et l’ont jouée si bien qu’elles ne la joueront plus, ni aucune de vos pièces. » Mme de la Maisonfort, il faut le reconnaître, dut être assez capable, et coupable, de cette double imprudence. Conduire ses filles à la vertu par de beaux sentimens : oui, c’était son affaire, et je crois qu’elle entra trop bien dans ce programme flatteur. Les beaux sentimens ouvrent une voie royale, où la vertu, plus modeste, ne vient pas toujours à leur suite.

Quoi qu’il en soit de l’erreur commune à la fondatrice et à son auxiliaire, et quelque longue et difficile qu’ait été la réforme qui, dès 1690, parut nécessaire pour y remédier, donnons un regret à ce Saint-Cyr des premières années, si brillant et si aimable. L’idée en était un peu chimérique ; elle a comme une fleur de jeunesse et de fantaisie, trop rare chez une Maintenon. Les dangers en étaient évidens, et plus graves peut-être que ceux auxquels il fallut parer dès l’abord[2]. Mais il faut avouer que ces beaux bâtimens et ces ombrages, cette éducation noble, aisée, sans contrainte, qui allait des plus hauts délassemens de l’esprit aux plus humbles travaux manuels ; ces dames vêtues d’une étamine délicate, de batiste fine et de rubans ; cette supérieure éloquente et poète ; les bonnes grâces du Roi, l’empressement de la Cour ; les plus grands esprits du siècle ne dédaignant pas de s’entretenir avec les religieuses ; les musiciens de Louis XIV venant jouer, aux fêtes de Noël, des symphonies religieuses, « une musique des anges, » dans la salle de communauté ; Racine, enfin, composant pour Saint-Cyr deux de ses chefs-d’œuvre, et essuyant derrière la scène les beaux yeux d’une jeune actrice qu’il avait fait pleurer[3] : il faut avouer que tous ces traits composent un tableau assez rare, et comme un petit coin délicieux, libre et charmant dans la fresque du grand siècle. Deux ou trois ans plus tard, le théâtre sera muet, les violes, les basses et les flûtes du Roi se seront tues ; on ne verra plus dans les allées de Le Nôtre ni princesses ni poètes, et l’on aura si bien coupé les ailes au bel esprit que les demoiselles n’auront « même plus le sens commun. » Saluons le repentir de Sa Solidité Maintenon ; reconnaissons qu’il valait mieux, en effet, « reprendre l’établissement par ses fondemens et le bâtir sur l’humilité et la simplicité ; » avouons que tout fut pour le bien dans un Saint-Cyr mieux clos, plus modeste et plus discipliné ; mais ne regrettons point l’heureuse imprudence qui nous valut le premier Saint-Cyr…

Il faut penser que les extravagances de Mme de la Maisonfort ne paraissaient point si condamnables, ni son influence si pernicieuse, car elle jouissait alors, à Saint-Cyr, d’une faveur exceptionnelle. En récompense des services qu’elle rendait dans les classes, le Roi lui fit donner une terre de mille écus de revenu. Elle vivait avec Mme de Maintenon dans la plus grande familiarité ; elle était dirigée par l’abbé de Fénelon, qui voyait en elle une nature d’élite ; elle n’appartenait pas à la maison, mais elle en était l’ornement et la grâce. Elle plaisait à tous ; elle était aimée ; de ces privilèges elle ne tirait pourtant aucune vanité, et l’on eût dit parfois qu’elle n’aimait que Dieu seul. À cette époque, paraît-il, de grands partis se présentèrent pour elle. Elle les refusa. Attachement à Saint-Cyr, plus profond qu’elle ne le croyait elle-même ; incertitude de cœur, appel secret vers une destinée plus haute : qui pourrait le dire ? Quatre ans plus tôt, la jeune chanoinesse arrivait à Paris avec des vues tout humaines. Il semble qu’une inquiétude plus noble ait pénétré dans cette âme. Elle écarte maintenant la fortune qu’elle était venue chercher. Elle n’a pas vécu dans le monde, mais elle en a respiré le parfum ; c’est assez, peut-être, pour qu’elle éprouve déjà la satiété rapide des imaginations très vives. À cette minute, il y a comme un silence dans ce beau ciel ; on voit une vie qui hésite à prendre son vol, et qui tremble de désir au bord de l’espace.


Cela suffit, il me semble, pour excuser Mme de Maintenon de lui avoir fait doucement violence. Sans doute, elle suivait ses vues ; sans doute, il y avait, dans ses cajoleries à l’endroit de la chanoinesse, l’arrière-pensée obstinée de l’attacher à Saint-Cyr par la profession de vie religieuse. Elle continuait de « lui en jeter des paroles selon les occasions » et de « la faire sonder par des personnes de confiance. » Lisons même entre les lignes, et ajoutons qu’elle chargeait l’abbé de Fénelon d’insinuer dans cette âme le désir ou le goût de la vie religieuse. Rien n’autorise à croire qu’elle ait fait davantage et dépassé les limites permises, en ce domaine, de l’exhortation et de la suggestion.

Quoi qu’il en soit, écoutons l’abbé Phélipeaux, dans sa Relation sur le Quiétisme : « La Maisonfort avait de terribles répugnances pour la religion (la vie religieuse) ; elle aimait la liberté et ne pouvait souffrir aucun assujettissement ; son inquiétude naturelle lui faisait craindre les suites d’un engagement perpétuel dans un monastère ; un établissement libre dans le monde lui paraissait bien plus convenable. Elle ne dissimulait ses peines et ses répugnances ni à l’évêque de Chartres, ni à l’abbé de Fénelon, en qui elle avait toute confiance. Enfin, pressée par Mme de Maintenon de se déclarer sur sa vocation, elle consentit à se soumettre à ce qui en serait décidé par les directeurs de Saint-Cyr et par l’abbé de Fénelon… »

Écoutons aussi les Dames de Saint-Cyr dans leurs Mémoires : « Sur ces entrefaites, Mme de la Maisonfort crut se sentir de la vocation pour notre Institut, elle qui jusque-là n’avait songé qu’à se retirer quand Mme de Maintenon aurait pourvu à sa fortune. »

Y a-t-il contradiction entre ces deux témoignages ? Je n’en vois pas. La contradiction était bien plutôt dans ce pauvre cœur. Inquiétude d’un esprit que tout attire et qui ne sait ce qui l’attire davantage, regret du monde, désir ingénu de perfection, que fallait-il de plus pour que Mme de la Maisonfort eût peine à se comprendre elle-même et à savoir où elle était appelée ? Je me trompe ; il fallait quelque chose encore pour rendre ces ténèbres plus douloureuses, un tourment que nous croyons moderne : le doute. Il paraît certain que Mme de la Maisonfort l’a connu, qu’elle a essayé tour à tour de le vaincre par des raisonnemens subtils et de l’étouffer par des élans de ferveur passionnée. Et voilà comme une profondeur nouvelle dans une âme qui n’a pas fini de nous surprendre.

Elle fit ce qu’ont fait beaucoup d’autres consciences tourmentées : elle se soumit au jugement d’autrui. Mme de Maintenon réunit tout un tribunal, dont on peut dire, à sa louange, qu’elle n’aurait pu le mieux choisir. Le 11 décembre 1690, elle assembla à Saint-Cyr l’évêque de Chartres, avec l’abbé de Fénelon, l’abbé Gobelin, et les abbés Brisacier et Tiberge, supérieurs du séminaire des missions étrangères. Pendant qu’ils tenaient conseil, Mme de la Maisonfort était agenouillée devant le Saint-Sacrement, « dans une étrange angoisse. » Ils décidèrent enfin « que ses difficultés ne venaient que d’une conscience trop timide, dont il était bon de l’affranchir ; que cette disposition ne la rendrait que plus fidèle à ses devoirs, et ne devait pas l’empêcher de faire des vœux ; enfin que Dieu l’appelait à le servir comme Dame de Saint-Louis. »

En apprenant cette décision, Mme de la Maisonfort pensa mourir de douleur, et s’enfuit dans sa chambre, où elle passa toute la nuit à verser des larmes.

Mme de Maintenon ne put la voir. Le lendemain, elle lui écrivit :

« Je ne vous ai point marqué toute ma joie : mais je suis assurée que vous n’en doutez pas. Je remercie Dieu de tout mon cœur de ce qu’il fait pour vous et pour nous. Vous allez trouver la paix. Vous voilà dans le fond de cet abîme où l’on commence à prendre pied. Vous savez de qui[4] je tiens cette phrase. Je le verrai demain ; je lui demanderai pour votre retraite tout ce que M. de Chartres vous a marqué. Abandonnez-vous bien à Dieu, ma très chère ; laissez-vous conduire les yeux bandés… »

Mme de la Maisonfort ne se rendit pas aux exhortations de cette lettre. « Ne pouvant comprendre, » dit Phélipeaux, « sur quel fondement ces Messieurs avaient appuyé leur décision, elle s’imagina que l’abbé de Fénelon n’avait pas assez fait connaître ses répugnances pour l’état religieux. » C’était lui qu’elle avait chargé de « bien expliquer ses dispositions intérieures » devant l’assemblée, « ne doutant pas que, quand elles seraient connues, on ne lui parlerait plus d’aucun engagement. » Elle manda donc à Fénelon « en quelle angoisse et en quel trouble elle se trouvait, et le soupçon qu’elle avait qu’on eût plus déféré aux désirs de Mme de Maintenon qu’à ses dispositions intérieures. »

Fénelon, quelques jours plus tard, lui répondit :

« Tout ce que j’ai à vous dire, madame, se réduit à un seul point, qui est que vous devez demeurer en paix avec une pleine confiance, puisque vous avez sacrifié votre volonté à celle de Dieu, et qu’on vous a déterminée. La vocation ne se manifeste pas moins par la décision d’autrui que par notre propre attrait. Quand Dieu ne donne rien au dedans pour attirer, il donne au dehors une autorité qui décide. De plus, il n’est pas vrai que vous n’ayez eu aucun attrait intérieur, car vous avez senti celui de consulter et de vous soumettre. Suivez-le donc sans hésiter, et sans regarder jamais derrière vous… Dieu ne permettra pas que ce sacrifice, fait avec une intention pure, vous nuise. Ne craignez ni le repentir de votre engagement, ni la tristesse, ni l’ennui. Il y a partout à souffrir ; et les peines d’une communauté, quoique vives, si on les comparait aux peines d’une personne engagée dans le siècle, ne seraient presque rien. Mais on s’échauffe la tête dans la solitude, et les croix de paille y deviennent des croix de fer ou de plomb. Le remède à un si grand mal, c’est de ne compter point de pouvoir être heureux en aucun état de cette vie, et de se borner à la paix qui vient de la conformité à la volonté de Dieu… Si vous avez le courage de vous abandonner ainsi, et de sacrifier vos irrésolutions, vous aurez plus de paix en un jour que vous n’en goûteriez autrement en toute votre vie ; moins on se cherche, plus on trouve en Dieu ce qu’on a bien voulu perdre… »

De si belles, de si fortes paroles auraient dû, semble-t-il, lui donner la paix. Il n’en fut rien pourtant. L’année 1691, l’année du noviciat, fut pour Mme de la Maisonfort une longue inquiétude. Je ne dis pas qu’elle ne fut pas autre chose. Sur ces angoisses et ces obscurités, il semble impossible que la direction spirituelle d’un Fénelon n’ait pas répandu des ondes de douceur et de lumière. D’ailleurs, la novice était plus disposée qu’aucune autre à recevoir la manne du pur amour, et à la goûter avec délices. Elle s’éprit des nouveaux états d’oraison ; elle y trouva certainement des consolations ineffables. Nous aurons à y revenir. Mais ces ravissemens la laissaient aussi troublée que jamais sur sa vocation. Dans ce « fond de l’abîme, » elle n’arrivait pas à prendre pied ; elle s’élançait plutôt vers des sommets vertigineux, d’où elle retombait sur elle-même, plus lasse et plus incertaine.

Elle donnait pourtant des marques touchantes d’humilité et d’obéissance. Elle gardait son enjouement un peu étourdi, si charmant. Mme de Maintenon, écrivant à Mme de Brinon, cette même année, disait : « La chanoinesse est plus dévote, plus abstraite, plus aimable et plus étourdie que jamais. » Parfois, elle se laissait tromper à cette gaîté et à ces grâces qui n’abandonnaient point la novice. Elle écrivait : « Notre nouvelle novice est aussi tranquille que vous l’avez vue inquiète ; sa vivacité se modère, et sa vertu est tellement augmentée que je ne doute point que Dieu ne la comble de ses grâces pour notre maison ; c’est la plus aimable sainte qui soit au monde. »

À d’autres momens, elle l’encourageait : « Donnez-vous tout entière à Dieu. Rendez-vous simple a l’abbé de Fénelon et à M. de Chartres. Je serai moi-même toujours soumise à l’opinion de ces deux saints… »

« … Vous êtes destinée, ma chère fille, à être une pierre fondamentale de Saint-Cyr. Vous devez soutenir un jour ce grand bâtiment par votre régularité et par vos exemples… Embrassez » donc avec soumission Dieu qui vous appelle. Lui marquerez-vous des bornes ? Il n’en veut point souffrir avec les âmes qu’il a prévenues de certaines grâces. C’est en se livrant à son esprit, que vous trouverez la paix et la liberté… »

Cependant, à mesure que le terme du noviciat approchait, Mme de la Maisonfort hésitait plus que jamais. Il fallut recourir encore à une autorité extérieure : l’évêque de Chartres, supérieur de la maison de Saint-Cyr, décida, le 2 février 1692, que la novice prononcerait ses vœux.

Elle demanda que ce fût l’abbé de Fénelon qui les reçût. M. de Chartres l’y autorisa. La cérémonie eut lieu le 1er mars. Fénelon parla sur le bonheur de la vie religieuse, et ravit toute l’assistance. Mme de Maintenon laissa éclater sa joie ; « elle en fit une fête particulière ce jour-là, et crut avoir fait la plus grande acquisition du monde. » On ne nous dit pas si la professe pleura, quel fut son visage, ou son maintien. On ne nous dit rien. Parmi ce triomphe, cette joie, ces pieuses allégresses, il n’y a pourtant que ce silence qu’on voudrait entendre.

Il nous en est venu un écho, — un seul. Le lendemain Fénelon écrivait à la nouvelle religieuse :

« Je suis ravi, madame, que vous soyez en paix, et que vous ayez plus de courage que vous n’en témoignâtes dans le parloir, quand il fallut aller faire vos vœux… »


Cependant Mme de Maintenon poursuivait la réforme de sa maison. Après avoir mis fin aux représentations publiques, aux visites, à tout l’esprit de mondanité qui agitait Saint-Cyr ; après avoir modifié profondément l’instruction donnée aux jeunes filles, et rayé du programme la poésie, les belles lectures, les conversations élégantes, et jusqu’au goût de la lecture ou de la correspondance[5] ; après avoir remplacé les prêtres séculiers qui servaient de chapelains ou de confesseurs par des prêtres de la Congrégation de Saint-Lazare, humbles apôtres à l’esprit simple et au langage plébéien, elle pensa mettre le sceau à la réforme en transformant la communauté des Dames de Saint-Louis, qui n’était qu’un Institut séculier, en monastère régulier.

Un jour, donc, l’évêque de Chartres s’en vint à Saint-Cyr, et appelant toutes les Dames en particulier, il leur apprit le changement qu’on avait projeté pour la communauté et leur demanda leur sentiment. « Il nous parla à toutes, les unes après les autres, nous fit voir le peu de fond qu’il y avait à faire sur nos vœux simples, les raisons qu’on avait de nous en demander de solennels ; déclarant d’ailleurs qu’on ne voulait contraindre personne, et que nous étions libres ou de rester à Saint-Cyr comme nous étions, ou dans d’autres couvens, ou de rentrer dans le monde ; que dans tous les cas, le Roi pourvoirait à notre subsistance par une dot ou une pension… L’évêque écrivit nos réponses, et nous les fit signer ; puis il nous imposa le silence, ne voulant pas que nous pussions nous communiquer ce que nous avions dit. Il nous exhorta fort à nous tranquilliser ; enfin il s’en alla, nous laissant assez pensives… »

Ainsi prises au piège, les pauvres filles s’entre-regardèrent et soupirèrent. Sous la douceur résignée de leurs Mémoires, on ne laisse pas de sentir l’émoi de la petite communauté. Mme de Maintenon s’efforça de les rassurer. On leur demandait des vœux perpétuels ; mais on comprenait qu’elles seraient des religieuses entièrement différentes des autres, on les déchargerait de la grande quantité de prières et d’austérités qui pourraient les détourner de l’éducation des demoiselles : à l’entendre, on eût dit qu’il ne s’agissait que d’un petit changement au règlement. Elles se soumirent à ce qu’on leur demandait, et adressèrent une supplique au Pape. Il fallut le consentement du Pape, l’approbation du Roi : le 1er décembre 1692, l’évêque de Chartres érigeait la maison de Saint-Louis en monastère régulier de l’ordre de Saint-Augustin.

Des vingt-cinq Dames, une seule demanda à se retirer. Mme de la Maisonfort suivit le petit troupeau que l’on conduisait vers un nouveau sacrifice.

Alors, Mme de Maintenon fit venir du couvent de Sainte-Marie de Chaillot la supérieure des filles de la Visitation, la mère Anne Priolo, et deux de ses sœurs. Elle leur donna le gouvernement de la maison, et celui des âmes. Toutes les Dames de Saint-Louis, en grande pompe, devant les demoiselles assemblées, se dépouillèrent de leur manteau, de leur voile et de leur croix d’or, s’agenouillèrent, et reçurent pour la seconde fois l’humble habit des novices. Ce ne fut pas seulement une parade.-, Elles ne reprirent point le lendemain, ni trois mois après, leurs grades et leurs libertés. Un nouveau noviciat commença pour elles, plus rigoureux que le premier, où les filles de la Visitation ne leur épargnèrent ni les austérités, ni les humiliations, ni tout ce dur calvaire qu’on impose aux âmes qu’il faut faire mourir à elles-mêmes.

Au bout de six mois d’épreuve, trois des Dames voulurent se retirer dans d’autres couvens ; une quatrième persista dans ses vœux simples, par humilité. Avec les dix-neuf autres, Mme de la Maisonfort tenait bon.

Veut-on savoir quel témoignage les religieuses de la Visitation rendirent bientôt de leurs nouvelles ouailles ? Il est d’une sincérité curieuse :

« Nous les avons trouvées, » écrivent-elles, « bien différentes du portrait qu’on nous en avait fait. Nous en avions même grand’peur, car nous croyions trouver des filles fières, enflées de leur faveur, qui se piquaient de bel esprit, accoutumées à faire des discours étudiés. Nous pouvons assurer que, bien qu’elles ne fussent pas cloîtrées, elles ne laissaient pas de remplir les pratiques essentielles de la vie religieuse ; car il est certain qu’il n’y a point de communauté, même parmi les régulières, qui vive dans une plus grande séparation du monde. Elles allaient rarement au parloir, et n’y allaient que pour leurs plus proches, parens et pour peu de temps ; elles ne parlaient quasi jamais aux personnes qui entraient chez elles, et elles évitaient tellement leur rencontre qu’elles passaient pour farouches. Elles étaient simples et sans hauteur, et nous ne concevons pas ce qui a pu donner lieu à ce qu’on nous avait dit. Dans le temps qu’on y jouait les tragédies d’Esther et d’Athalie devant le Roi et toute la Cour, elles se retiraient dans les tribunes pour prier Dieu. Il fallut un ordre exprès du Roi pour les y faire venir, et on remarqua qu’elles y avaient les yeux baissés et que la plupart y faisaient oraison ou disaient leur chapelet. »

Voilà une page qui nous soulage. Ainsi ces Dames s’étaient calomniées. Elles avaient pris leurs scrupules pour des crimes. Nous nous en doutions un peu. Mme de la Maisonfort elle-même est renvoyée par ce grave tribunal avec un sourire d’indulgence.

Oui… Mais ce serait mal la connaître que de se rassurer trop vite. A Dieu ne plaise que je veuille douter, plus que Fénelon, de « l’innocence et la bonté de cœur » de notre novice. Je doute seulement qu’elle puisse, pendant un si long temps, demeurer sage, tenir sa langue, brider son indépendance d’esprit et de jugement, atteindre à une ennuyeuse vertu… Je doute que sa soumission et sa bonne volonté même ne nous préparent point quelque réaction terrible. Elle est de celles qui ont besoin de ruer sous le joug pour l’accepter :

L’éclat, cette fois, alla jusqu’au scandale.

Fénelon, qui ne dirigeait plus régulièrement Mme de la Maisonfort, mais qui continuait de l’aimer et de la suivre, Fénelon sentait monter en elle des frémissemens d’impatience contre la nouvelle règle, et flattait comme il pouvait cette pauvre nature cabrée. En juin 1693, il écrivait :

« Je crois, madame, que vous devez travailler à vaincre votre peine par rapport à la maison où vous êtes ; elle ne vient que de mauvaises préventions contre des règles qui sont en elles-mêmes utiles à toute la communauté, et de votre attachement excessif à vos heures d’oraison et à vos spiritualités. Ces règles que vous trouvez gênantes, soutiendront la plupart des âmes, et pour vous, elles vous seront plus utiles qu’aux autres ; car il faut bien que vous mouriez à ce goût de liberté et à ce mépris des choses qui vous paraissent petites… »

Exhortations perdues… Mme de la Maisonfort se contint, mais pour mieux éclater ensuite. Un jour, en la présence même de l’évêque de Chartres et de Mme de Maintenon, elle s’oublia tout à fait, témoigna de son mépris pour les nouvelles constitutions, blâma la règle et la réforme, et déclara qu’on ne l’obligerait point à faire des vœux solennels…

Elle consterna tout le monde, et réussit à mettre en colère l’abbé de Fénelon.

Il était, ou du moins paraissait responsable d’elle, étant ou ayant été son directeur, son ami, son père spirituel. De plus, l’orage du Quiétisme, qui commençait à s’amonceler autour de sa tête, rendait l’incartade de Mme de la Maisonfort assez dangereuse pour lui-même. Nous ne savons ce qu’il écrivit ou dit à sa fille. Mais nous avons deux lettres à Mme de Maintenon, admirables de loyauté, et d’une sévérité qui n’oublie pas la pitié. Pas plus qu’il n’abandonnera plus tard Mme Guyon, il ne songe aujourd’hui à se dégager de Mme de la Maisonfort. Il se justifie, mais il l’excuse ; aucune prudence personnelle ne lui fera trahir une amie :

« Mme de la Maisonfort sait assez que je regarde comme une pure illusion toute oraison et toute spiritualité qui n’opère ni douceur, ni patience, ni obéissance, ni renoncement a son propre sens : je l’ai toujours trouvée ingénue et droite, malgré ses défauts

« Ce qui me fâche, c’est qu’avec des intentions si droites et si pures, elle s’égare de son chemin, et sort de sa grâce, qui est la douceur et la politesse. Il n’est pas question de Saint-Cyr, qui n’est rien ; il est question de Dieu, qui est tout, et qui ne se trouve point par cette hauteur et par cet entêtement. En quelque lieu qu’elle aille, elle trouvera de la contradiction et de la gêne ; elle serait bien malheureuse de n’en trouver pas : ce n’est que par-là que Dieu purifie et avance les âmes. L’oraison et la vertu ne sont solides qu’autant qu’elles sont éprouvées par la croix et par l’humiliation. On ne profite véritablement, même de la meilleure oraison, qu’autant qu’on est prêt à la quitter pour l’obéissance… Voilà ce que j’ai dit et écrit souvent à Mme de la Maisonfort ; je ne saurais maintenant lui dire autre chose…

« Mme de la Maisonfort n’avait qu’à demeurer tranquille dans le respect des règlemens, se souvenir qu’elle en avait besoin elle-même pour se rapetisser, et pour mourir à son propre esprit, plein de hauteur et de grandes idées de spiritualité sans pratique réelle ; que ces règlemens étaient nécessaires à une communauté, et qu’il est scandaleux de montrer du mépris pour des pratiques si salutaires à la multitude. Après cela ; je suis sûr, madame, que vous seriez entrée avec bonté dans ses besoins, pour la soulager dans les choses où elle se serait trouvée trop gênée… Dans le fond, vous savez, madame, qu’elle est de bonne foi ; que son oraison est innocente, quoiqu’elle n’en ait pas fait un usage humble et soumis, et qu’enfin elle est douce, quoique Dieu ait permis qu’elle soit tombée à vos yeux dans un étrange emportement. Je vous dirai sur elle ce que saint Paul disait à Philémon sur son esclave qui s’était enfui. Il s’est éloigné de vous, lui dit-il, pour un peu de temps, afin que vous le recouvriez pour jamais dans l’ordre de Dieu. Ces sortes de fautes et d’éloignemens préparent à un retour et une réunion que rien ne pourra altérer. Je vous conjure même, madame, de vouloir lire cette épitre de saint Paul à Philémon, qui ne contient qu’un court chapitre : elle vous donnera l’esprit de compassion et de support nécessaire en cette rencontre. Je vous supplie aussi de vouloir bien faire lire cette lettre, que j’ai l’honneur de vous écrire, à Mme de la Maisonfort, afin qu’elle y voie mes vrais sentimens, et que cette lettre fasse auprès de vous, pour sa réconciliation, ce que je n’oserais faire moi-même… »

Quelle fermeté tranquille et noble dans ces paroles ! Quelle charité aussi, envers une âme coupable, mais ingénue… Et quelle indépendance, parlant à Mme de Maintenon : « Il n’est pas question de Saint-Cyr, qui n’est rien ; il est question de Dieu, qui est tout[6]. »

Sans doute Mme de la Maisonfort fit-elle amende honorable et témoigna-t-elle de meilleurs sentimens. Sans doute aussi Mme de Maintenon était-elle disposée une fois de plus à la ménager et à l’absoudre. Il faut penser cependant que le souvenir d’un tel esclandre ne s’effaça pas si vite et refroidit leur grande amitié réciproque. Il faut penser aussi que l’approche des vœux solennels jeta la pauvre novice dans de nouveaux troubles, et qu’elle dut gravir un nouveau calvaire. Deux billets de Fénelon, de mars et avril 1694, nous attristent un peu :

« Je vous conjure, au nom de Dieu, de calmer votre esprit, et de vous ouvrir à l’évêque de Chartres, et à Mme de Maintenon, qui a encore beaucoup de bonté pour vous. »

Et ceci : « Ne craignez point de vous rapprocher cordialement de Mme de Maintenon… Il faut éviter les empressemens, les désirs de plaire, les petites flatteries, et tout ce qui peut amollir le cœur. Pour la confiance, la correspondance simple et fidèle, le désir de seconder ses bonnes intentions, l’éloignement des personnes et des choses qui peuvent lui être suspectes, la crainte de lui faire la moindre peine, vous ne sauriez aller trop loin. Votre liaison avec elle est de providence, et doit être de pure grâce. »

Quinze novices avaient été admises déjà, depuis le mois de décembre, à prononcer leurs vœux solennels. Mme de la Maisonfort fit les siens le 19 avril 1694. Elle avait scellé sa chaîne, et consommé le sacrifice de cette liberté si chère. Peut-être eût-elle trouvé là les prémisses d’une liberté plus haute, et cette paix d’esprit qui ne saurait naître que du renoncement absolu. Mais, depuis quelque temps, l’influence de Mme Guyon et de Fénelon, un instinct naturel, dans la dévotion comme en toutes choses, des voies les plus hautes, et si l’on veut les plus singulières, le goût des subtilités de l’esprit et des exaltations du cœur, un peu de honte d’elle-même peut-être, et le besoin d’aimer éperdument ce Dieu qu’elle avait tant de peine à servir humblement, l’avaient poussée vers les horizons illimités, vers les solitudes dangereuses du pur amour. Elle y rencontra de nouvelles épreuves, et des tribulations plus douloureuses. Mme de la Maisonfort fut, à Saint-Cyr, l’introductrice du Quiétisme ; elle en fut le champion, elle en fut la victime. Pour suivre cette histoire, il nous faut revenir de quelques années en arrière. »


II

Par son père, Mme de la Maisonfort était cousine germaine de Mme Guyon.

Sans doute la connut-elle peu pendant son enfance, et l’avait-elle à peine rencontrée quand elle vint à Paris. Si l’on en juge d’après leurs premières relations, il n’y avait pas entre elles de sympathie préétablie. Mais, la semaine même où Mme de la Maisonfort, avec ses filles de Noisy, s’installait à Saint-Cyr, Mme Guyon arrivait à Paris. Les destinées, comme les astres, ont des conjonctions inévitables.

En allant à Beynes, chez la duchesse de Béthune-Charost, dont elle était devenue l’amie, Mme Guyon obtint la permission de s’arrêter parfois à Saint-Cyr, pour voir sa cousine. Elle s’insinuait doucement dans la maison. Mme de la Maisonfort demeurait froide et se réservait. Elle rendait à sa cousine quelques « visites d’honnêteté. » Elle l’écoutait discourir, mais n’était pas conquise. » Mme Guyon, trouvant en elle tant de résistances, la raillait quelquefois en lui disant : « Pour vous, ma cousine, il vous faut un bonnet quarré pour vous conduire ! »

En 1688, à la suite d’intrigues fort basses, Mme Guyon, suspectée d’hérésie moliniste, vit embastiller et exiler son directeur, le Père de la Combe, puis fut elle-même mise en pénitence au couvent de la Visitation de la rue Saint-Antoine. L’abbé Jossau, confesseur de Mme de Maintenon, engagea Mme de la Maisonfort à intercéder pour sa parente. Elle s’y prêta, par esprit de famille. Mais le Roi, fort prévenu, ne voulut rien entendre. On fit intervenir alors Mme de Miramion. La charmante Mme de Miramion, que la renommée de ses vertus rendait invincible, l’emporta sur l’esprit du Roi ; elle obtint l’élargissement de la « sainte, » au mois d’août 1688.

Mme Guyon revint parmi ses amies, avec une auréole nouvelle. On la revit à Saint-Cyr ; elle s’entretenait librement avec les Dames ; parfois, pour prolonger ses visites, elle couchait dans la maison. On l’y goûtait, on l’y admirait de plus en plus.

Mme de la Maisonfort n’était pas encore, je crois, tout à fait gagnée. Mais elle avait entendu Mme Guyon parler de l’abbé de Fénelon, vanter « sa piété, son esprit, sa pénétration, son expérience des voies intérieures. » Elle désira le connaître. Une entrevue secrète leur fut ménagée, à Versailles, dans les appartemens de la duchesse de Béthune. Mme de la Maisonfort fut charmée. Elle crut avoir trouvé l’homme qui lui donnerait la lumière qu’elle cherchait, et elle demanda à Mme de Maintenon la permission de consulter l’abbé sur sa vocation. Cela lui fut accordé ; elle se mit aussitôt sous la direction de Fénelon ; et nous avons vu que, pendant deux ans, l’influence, les soins, la main douce et ferme de Fénelon la conduisirent, au milieu de tant d’incertitudes, jusqu’à sa profession religieuse.

Ainsi, Mme de la Maisonfort a résisté à Mme Guyon ; elle s’est livrée à Fénelon. Il faut sentir cette différence pour mettre toutes choses au point, dès l’abord. Sans doute, une imagination vive, un esprit « prodigieusement fertile en réflexions, » la portaient à goûter la spiritualité nouvelle. Mais on parlera d’imaginations exaltées, d’âmes qui se croient privilégiées, de « spirituelles de travers ; » et les pieuses dames de Saint-Louis penseront avec horreur qu’elles ont côtoyé les précipices affreux de l’hérésie. Entendons tout ceci, comme dira Bossuet un jour qu’il ne montait pas dans sa chaire de docteur, « avec un grain de sel. » Au fond, si Mme de la Maisonfort embrassa quelques-unes des maximes nouvelles, si elle essaya, sous la direction de Fénelon, de pratiquer une dévotion plus pure, plus abandonnée, plus tendre, ce ne fut point un goût bizarre de toutes les mystiqueries (elle risqua ce mot charmant, un jour, en rougissant de son audace, devant Mme de Maintenon) ; ce fut l’élan d’une pauvre femme inquiète qui pensait trouver là une lumière pour ses doutes, une revanche pour ses misères, et un repos sublime pour son cœur mal satisfait.


Ceci dit, écoutons les dames de Saint-Louis.

« Mme Guyon charma nos Dames par son esprit et par ses discours de piété, qui paraissaient ne tendre qu’à ce qu’il y a de plus parfait ; elles crurent y sentir une onction et un accroissement d’amour de Dieu qui leur donna une haute idée de sa sainteté. Mais, dans ces commencemens, c’était un mystère enfermé entre cinq ou six de nos Dames ; car, selon Mme Guyon, il n’y avait que des âmes choisies qui fussent capables d’entendre la vraie manière de s’unir à Dieu telle qu’elle l’enseignait…

Et plus tard :

« Ces Dames avaient de la froideur, de l’éloignement et même un peu de mépris pour celles qui n’étaient pas de leur causerie, une grande indépendance des supérieurs et des directeurs, beaucoup de présomption et d’orgueil ; celles qui pratiquaient cette spiritualité se croyaient des âmes fort au-dessus des autres ; elles n’assistaient au sermon que le moins qu’elles pouvaient, disant que cela ne fait que distraire, que Dieu seul suffit, et ayant mille travers de cette nature… Presque toute la maison devint quiétiste. On ne parlait plus que de pur amour, d’abandon, de sainte indifférence, de simplicité, laquelle on mettait à se bien accommoder en tout pour prendre ses aises, à ne s’embarrasser de rien, pas même de son salut. De là vint cette prétendue résignation à la volonté de Dieu, qu’on poussait à consentir aussi franchement à sa damnation qu’à vouloir être sauvée ; c’était en cela que consistait le fameux acte d’abandon qu’on enseignait… Ces façons de parler étaient si communes, que les rouges même les tenaient ; jusqu’aux sœurs converses et aux servantes, il n’était plus question que de pur amour. Et il y en avait qui, au lieu de faire leur ouvrage, passaient leur temps à lire les livres de Mme Guyon, qu’elles croyaient entendre. »

Indignations sincères, mais que l’on sent inspirées et grossies par le remords ! Ou peut-être par la jalousie : celle qui tint la plume ne fut sans doute point du « petit troupeau. » Oui, « jusqu’aux sœurs converses et aux servantes ! » Quel dommage que Molière ne fût point caché derrière une porte I Mais pourquoi donc interdire aux servantes le pur amour ? Sainte Thérèse, certain jour, n’eut-elle pas une extase pendant qu’elle tenait la queue d’une poêle à frire ?

Accordons pourtant quelque chose aux Dames. Mettons qu’il y ait eu des excès, des raffinemens ; mettons encore quelque orgueil. Songeons que nous sommes dans une communauté de femmes, et qui n’ont point fait vœu de pauvreté spirituelle. Reconnaissons que le diable, qui ne craint aucun déguisement, a bien pu se glisser ça ou là dans les bosquets du pur amour. Disons, surtout, que Mme Guyon était une « sainte » bien dangereuse pour Saint-Cyr, et qu’il eût mieux valu qu’on ne l’y vit point. Mais ne soyons pas tout à fait injustes, et reconnaissons que, durant ces quelques années, parmi ces jeunes religieuses et ces enfans à l’imagination toute pure encore, une grande ferveur régna, et Dieu fut, à Saint-Cyr, aimé très noblement, très tendrement, très précieusement. Il y eut un goût du sublime dans la dévotion qui rappelle celui que nous avons rencontré dans la poésie ; qui ne fut, avec ses dangers, ni moins naïf ni moins touchant ; et pourrait-on dire que Saint-Cyr fût une aussi parfaite image de notre XVIIe siècle s’il n’avait connu ni l’un ni l’autre ?

De cet état d’esprit, de cette émulation des Dames pour une vie parfaite, nous avons un témoignage que je voudrais rappeler. C’est une consultation que Mme de Maintenon, mère toujours en éveil sur ses filles, adressait un jour confidentiellement à l’évêque de Chartres. En voici quelques traits :

« Ma sœur de Veilhan aspire avec une grande inquiétude à la plus haute perfection ; elle trouve que personne ne l’entend ; elle essaye de tout… Elle va trouver M, de Brisacier et fait entre ses mains un vœu de faire toujours ce que dans sa conscience elle croira le plus parfait. Ce vœu est pour un an ; elle m’en a envoyé la formule. Je lui ai répondu qu’elle était en sûreté, faisant ce qu’elle fait avec M. de Brisacier. Cependant, monseigneur, je ne lui aurais pas donné cette permission. C’est une fille qui veut se distinguer, qui n’est nullement capable de démêler ce qui est plus parfait, et qui mettra un jour la perfection à nous contredire, si nous lui paraissons trop indulgentes ; elle a de la vertu, mais l’esprit n’est pas droit. » M. de Chartres répond : « Vous avez fait, madame, selon votre sagesse ordinaire… Mais moi, je la dispense de ce vœu qui ne tend point à un plus grand bien, mais à de graves inconvéniens ; ce vœu est réservé aux Saintes Thérèses… »

Et encore : « Ma sœur de Bouju m’a demandé en grâce de la conduire. C’est une fille qui a beaucoup de vertu, de l’esprit, une prodigieuse mémoire, de la candeur, de la simplicité, un esprit vraiment religieux ; enfin un sujet à soutenir tout le bien qu’on établit ici, pourvu qu’on la calme, qu’on amortisse cette extraordinaire vivacité, ce torrent de pensées et de paroles, cette légèreté de dire tout ce qui lui vient dans l’esprit, et pour vous donner quelque connaissance de son caractère, quelque conformité avec Mme de la Maisonfort… » M. de Chartres répond : « J’ai déjà reconnu qu’elle est capable de s’enivrer de son propre vin, comme ma sœur de Veilhan. Formez-la beaucoup à la simplicité évangélique… »

Mme de Maintenon continue : « Ces deux exemples nous font craindre les visions, les singularités, les consultations, et bien des inconvéniens que vous connaîtrez mieux que nous… Je voudrais une piété solide, simple, droite… Je m’oppose aussi à de petites unions pour la piété qui commencent par dévotion, et qui deviendraient des cabales, ou du moins des singularités. » Et M. de Chartres approuve cette sagesse : « C’est là l’esprit de votre maison ; tout le reste est sujet à l’illusion et à d’étranges tromperies. »


Ce que fut la direction de Fénelon pour Mme de la Maisonfort, nous ne le savons pas, hélas ! par une correspondance suivie. En 1690, en 1691, ils se voyaient et ne s’écrivaient point. En juin 1692, Fénelon se décharge, au moins partiellement, de cette direction, soit qu’il craignit déjà, comme on l’a dit, d’être compromis par les vivacités de langage de sa pénitente, dans une matière si délicate, où les mots imparfaits trahissent aisément les pensées ; soit qu’il jugeât meilleur pour Mme de la Maisonfort de la mettre sous une autre direction.

« Il faut vous dire sincèrement, madame, ce que je puis et ne puis pas… Ce qu’on appelle être entièrement chargé de votre direction est, ce me semble, une chose impraticable. Il est bon que vous entriez peu à peu dans la voie commune de la communauté, et dans la conduite de votre évêque, qui est très sage et très pieux. Je ne refuse pourtant pas de vous donner, comme ami, des conseils détachés sur les choix de lecture ou d’oraison… Je ne doute point qu’on ne vous permette de voir madame (Guyon) deux ou trois fois l’année, et elle vous élargira le cœur. Je suppose qu’on vous le permettra, pourvu que vous soyez seule à la voir, et que vous ne disiez jamais rien qui puisse faire quelque peine dans la communauté. Je crois voir fort clairement que vous vous inquiétez trop là-dessus. La conduite de M. de Chartres est pleine de précautions nécessaires… »

Affligée, elle essaya de le faire revenir sur sa détermination ; puis elle se soumit, et, humblement, demanda la direction de M. Tiberge, saint et simple prêtre s’il en fut. Le mois suivant Fénelon lui écrit : « Je suis ravi d’apprendre que vous vous apprivoisez à mes sécheresses et à mes duretés. C’est fort bon signe pour vous ; il faut que vous ayez une bonne cuirasse pour résister à de tels coups. »

Il dut continuer à la conseiller ; nous l’avons vu par la lettre où il la blâme de son emportement contre les constitutions nouvelles de la communauté. A la lettre que j’ai citée, Fénelon en ajoute une autre, six jours plus tard, loyale et claire comme la précédente :

« Je voudrais bien, madame [Mme de Maintenon], réparer le mal que j’ai fait à Mme de la Maisonfort. Je comprends que je puis lui en avoir fait beaucoup avec une très bonne intention. Elle m’a paru scrupuleuse, et tournée à se gêner par mille réflexions subtiles et entortillées : ce qui parait nécessaire aux esprits de cette sorte devient fort mauvais dès qu’on le prend de travers, et qu’on ne le prend pas dans toute son étendue.et avec tous ses correctifs. Quand vous le jugerez à propos, j’expliquerai à fond… les cas dans lesquels les maximes de mes écrits, quoique vraies et utiles en elles-mêmes pour certaines gens, deviennent fausses et dangereuses pour d’autres à l’égard desquels elles sont déplacées. Je marquerai aussi les bornes qu’elles doivent avoir pour les personnes mêmes à qui elles conviennent davantage… Il y a longtemps que j’ai eu l’honneur de vous dire, madame, non seulement qu’on pouvait abuser de ces maximes, mais encore que je savais très certainement que plusieurs faux spirituels en abusaient d’une étrange façon.

« Peut-être que, moi qui parle, je suis plus prévenu qu’un autre, et que je favorise trop une spiritualité extraordinaire. ! Mais je ne veux en rien pousser la spiritualité au-delà de saint François de Sales, du bienheureux Jean de la Croix, et des autres semblables que l’Eglise a canonisés dans leur doctrine et dans leurs mœurs… Enfin, je voudrais tout examiner, faire expliquer rigoureusement jusqu’aux moindres choses susceptibles de deux sens, laisser peu de choses écrites pour le public, tenir surtout les femmes pieuses et les filles de communauté dans une grande privation des ouvrages de spiritualité élevée, afin que la simple pratique et la pure opération de la grâce leur enseignât ce qu’il plairait à Dieu de leur enseigner lui-même…, « Voilà, madame, devant Dieu, ce que je pense. Mme de la Maisonfort ne me doit pas croire, si elle ne me croit quand je parle ainsi. Quand je la verrais en secret, je ne lui dirais pas ces vérités moins fortement que je le fais par cette lettre, et que je l’ai toujours fait quand je l’ai vue seule à seul. »

Qui nous permettrait de ne pas l’en croire ? Nous n’avons pas besoin de connaître par d’autres témoignages la direction qu’il dut donner à Mme de la Maisonfort : elle est là tout entière, avec sa haute liberté, sa prudence, sa fermeté, sa sévérité. Si elle fit du mal à Mme de la Maisonfort, ce fut par la faute de la dirigée plus que du directeur. Et si Fénelon peut s’accuser lui-même, dans un excès d’humilité, il est le seul, en tout cas, qui en ait le droit.

Il ne nous appartient pas davantage d’examiner ici quelle était au juste l’« oraison » de Mme de la Maisonfort, ni de la suivre dans les difficultés qu’elle proposa, deux ans plus tard, à Fénelon, sur quelques articles des Conférences d’Issy. Laissons entre eux, laissons entre elle et Dieu, ces secrets ineffables.


Comme elle avait fait au sujet de l’éducation donnée à Saint-Cyr, Mme de Maintenon ne tarda pas à être prise de doutes, d’alarmes, de remords, sur la dévotion qu’elle avait laissée s’y introduire, et à vouloir reprendre entièrement son œuvre.

Déjà, en 1692, elle écrivait à Mme de la Maisonfort :

« Ne répandez pas les maximes de M. de Fénelon devant des gens qui ne les goûtent point. Quant à Mme Guyon, vous l’avez trop prônée ; et il faut se contenter de la garder pour vous. Il ne lui convient pas, non plus qu’à nous, qu’elle dirige nos Dames… Tout ce que j’ai vu d’elle m’a édifiée : mais il faut conduire notre maison par les règles ordinaires et tout simplement… »

Et un autre jour : « Vous savez mieux que moi, madame, que chaque chose a son temps. Mon peu d’expérience en ces matières me révoltait contre M. l’abbé de Fénelon quand il ne voulait pas que ses écrits fussent montrés ; cependant il avait raison. Tout le monde n’a pas l’esprit droit et solide. On prêche la liberté des enfans de Dieu à des personnes qui ne sont pas encore ses enfans, et qui se servent de cette liberté pour ne s’assujettir à rien. Il faut commencer par s’assujettir… »

Dans la visite pastorale qu’il fit à Saint-Cyr en 1693, l’évêque de Chartres, Godet-Desmarais, avait été surpris de trouver chez les religieuses une spiritualité qui lui parut suspecte. C’était un homme très pieux, d’esprit droit et modéré, dont Saint-Simon nous a laissé un portrait fort avantageux, un peu flatté peut-être. Il assembla les Dames, leur montra les dangers de la dévotion nouvelle, les obligea de lui remettre les livres de Mme Guyon. Il s’entretint particulièrement avec Mme de la Maisonfort. Elle protesta qu’elle n’était dirigée que par Fénelon, expliqua son oraison, argumenta, résista. Il semble qu’elle ait défendu sa liberté sans douceur et sans humilité. A divers signes, on peut juger qu’il y eut là quelques mois de malaise et de mésentente, où elle fut blessée, et fit la méchante. Cela se termina par le scandale de l’automne 1693, où elle envoya promener l’évêque, la fondatrice, les constitutions… Audace d’enfant gâtée, éclat d’une femme énervée, indécise et souffrante : ne cherchons ni à l’excuser ni à l’accabler. Soyons charitables et passons.

Mme de Maintenon voulut s’assurer. Elle consulta plusieurs prélats ou prêtres éclairés, entre autres Bossuet, Bourdaloue, M. Jolly, M. Tronson. Ils furent unanimes dans leurs réponses. Alors, elle interdit à Mme Guyon tout commerce avec Saint-Cyr., C’était le temps où les Dames venaient, à la suite de leur second noviciat, de faire des vœux solennels. Elle crut qu’avec les nouveaux règlemens, le nouvel esprit de la communauté, tous ces raffinemens de piété disparaîtraient. Sans doute aurait-elle eu raison, s’il se fût agi d’une mode, et non d’un besoin réel de certaines âmes. Elle s’étonna de constater que la persécution ne faisait qu’irriter et diviser la communauté. Indécise encore quant à l’attitude qu’elle devait prendre dans l’affaire du Quiétisme au dehors, elle éprouvait une contrariété très nette à se sentir mal obéie dans son domaine propre, sa maison de Saint-Cyr. Elle aiguillonna Godet-Desmarais. Celui-ci, dans sa visite de 1695, se montra fort sévère. Il fouilla lui-même toute la maison, les bibliothèques, les classes, les cellules des Dames ; il enleva d’autorité tous les livres et les manuscrits qui lui parurent suspects ; il ne fit même point d’exception pour ceux de Fénelon.

C’était là le coup le plus sensible pour Mme de la Maisonfort : elle refusa de remettre à l’évêque les écrits qu’elle possédait de son directeur. Ou plutôt, elle supplia Mme de Maintenon de les lui laisser. Celle-ci fut inflexible. Mme de la Maisonfort obéit. Mais comme elle gardait à Fénelon sa confiance et son amitié, elle dut commencer de les retirer à Mme de Maintenon.

Ne regretterons-nous point, chez une religieuse, cet esprit d’insoumission ? Sans doute. Mais qu’on veuille bien se souvenir de deux faits, entre autres. L’année précédente, l’évêque de Chartres lui-même avait écrit à Mme de la Maisonfort : « Vous ne pouvez douter de mon estime singulière et tendre amitié pour l’abbé de Fénelon, que je crois incapable de vous donner aucune maxime disproportionnée à votre état. Mais tout ce qui est écrit pour vous n’est pas pour les autres, et réciproquement. » D’autre part, cette même année 1695, deux mois à peine avant les rigueurs de Godet-Desmarais, Fénelon, nommé archevêque de Cambrai par le Roi, sur la sollicitation de Mme de Maintenon, avait été consacré à Saint-Cyr même, et de la main de Bossuet.


J’ajouterai que, pour être équitable, il faut mettre, en regard de ses résistances, la bonne volonté de cette pauvre femme. Et il faut connaître aussi toute l’étendue de son trouble d’esprit.

De l’une et de l’autre, nous avons un témoignage irrécusable. Dans un mémoire qu’elle adressait à Fénelon, dix ou douze années plus tard, après la mort de Bossuet, elle écrivait ceci :

« Voici, monseigneur, les lettres que vous m’ordonnez de vous envoyer (sa correspondance avec Bossuet).

« Quoique je dise, dans la première, que mes supérieurs ne m’inquiétaient point, cela signifie seulement qu’ils me laissaient en paix sur mes pratiques, dont ils ne s’étaient jamais informés ; mais non pas qu’ils ne m’eussent plusieurs fois demandé compte de mes sentimens, d’une manière qui marquait qu’ils avaient sur cela de l’inquiétude… Il est vrai qu’ils m’avaient témoigné être contens de mes réponses ; mais comme je savais la cause de leur crainte, elle m’en inspirait. J’aurais appréhendé d’augmenter la leur, si je leur eusse confié la mienne… Une seule personne me paraissait propre à mettre le calme dans ma conscience, c’était feu M. l’évêque de Meaux ; parce qu’outre que je savais quelle était sa doctrine, et que vous l’appeliez la plus grande lumière de l’Eglise, je n’ignorais point que vous aviez examiné ensemble les matières en question… La difficulté était de lui parler. Dans cet embarras, je m’adressai à Dieu : je lui représentai qu’il pourrait seul, sans l’entremise de qui que ce soit, me délivrer de mes craintes, mais qu’au cas qu’il voulût y employer le ministère de M. de Meaux, j’espérais qu’il me ferait naître quelque occasion… Ma prière fut exaucée : ce prélat eut le mouvement d’offrir à Mme de Maintenon de faire une conférence à Saint-Cyr… »

Bossuet vint à Saint-Cyr le 5 février 1696, et traita « du dogme affreux de l’indifférence pour le salut. »

Sur la demande de Mme de la Maisonfort, il revint le 7 mars, et parla de l’oraison passive. « Cette deuxième conférence ne me contenta pas moins que la première ; mais comme mes doutes n’y furent pas encore tous éclaircis, je restai avec le désir de parler en particulier à M. de Meaux. » Elle entra dans la chambre de Mme de Maintenon ; elle guetta l’occasion. Mais il était tard, M. de Meaux était fatigué : Mme de Maintenon suggéra qu’elle pourrait lui écrire ; Mme de la Maisonfort accepta, sous la condition que Bossuet ignorerait qui lui écrivait, et qu’on ne le dirait à personne sans exception. Mme de Maintenon le promit, et ajouta : « Écrivez sur du papier plié, de manière qu’il vous puisse répondre à la marge ; et par-là vous serez sûre de votre secret.

Ainsi fut fait. Nous avons ce long et curieux document. C’est, de la part de Mme de la Maisonfort, un examen de conscience minutieux et raffiné, inquiet, subtil, — certains diront d’une subtilité excessive ; mais qui peut porter un jugement en ces matières, s’il n’en a quelque expérience personnelle ? Reconnaissons plutôt notre incompétence ; écoutons seulement cette femme dire d’elle-même, avec une grande clairvoyance : « J’ai naturellement l’esprit plus réfléchissant qu’une autre, l’imagination vive, en un mot une prodigieuse activité ; la conscience timide, même portée au scrupule ; et un amour-propre qui veut toujours se complaire dans son ouvrage, et s’assurer de faire quelque chose. » Ajoutons-y un autre témoignage, celui du cardinal de Bausset, dans son Histoire de Fénelon : « On est étonné de voir d’un côté la finesse, l’esprit, la subtilité, la délicatesse d’esprit avec laquelle une simple religieuse analyse des matières si abstraites ; de l’autre la clarté, la simplicité, la finesse de raisonnement qu’un homme d’un rang et d’un génie aussi élevé que Bossuet daigne employer. »

Mme de la Maisonfort écrivit à Bossuet une troisième lettre pour le remercier. Puis, sur sa demande, il vint la voir, le 30 mai 1696. Elle raconte ainsi cette visite à Fénelon :

« La conversation que j’eus avec lui augmenta l’idée que j’avais de sa piété et de sa bonté. Il me parla de vous, monseigneur, comme d’un saint d’une grande lumière, qu’il aimait avec tendresse ; il me dit que vous étiez intimes amis, et unis comme les doigts de la main ; qu’il n’avait jamais vu en qui que ce soit tant de droiture, de candeur et de simplicité qu’en vous ; qu’il fallait vous en savoir gré, puisqu’il ne tenait qu’à vous de n’être pas simple.

« Je la serai assez pour ajouter qu’il me dit aussi que vous poussiez trop loin le désintéressement de la charité, etc. ; qu’il regardait cela comme un court éblouissement dont je ne devais point m’inquiéter, parce que, de la droiture dont vous étiez, vous en reviendriez.

« Je lui demandai si cela était assez de conséquence pour qu’il y eût de l’inconvénient à s’abandonner à votre conduite. Il me répondit que, jusqu’à ce que vous fussiez revenu sur cela, il croyait que je ferais bien de me priver de vous voir et de vous écrire.

« Vous pouvez vous souvenir, monseigneur, qu’il y avait longtemps que je n’avais eu cet honneur ; mais j’en avais conservé le désir et l’espérance… Vous me manquant, je sentais le besoin de quelqu’un qui vous remplaçât ; M. de Meaux seul m’y parut propre. Il me permit de lui écrire de temps en temps.

«… Je ne sentais point de répugnance à vous le confier ; et comme mon attachement pour vous, monseigneur, était toujours le même, mon cœur ne me reprochait rien à votre égard… »

Voilà donc Mme de la Maisonfort sous la direction de Bossuet. Cette fidélité à Fénelon, en même temps que ces doutes et ce désir d’une lumière plus sûre, on n’imagine point de conduite plus délicate et plus sage. Avec tous ses défauts, cette âme était de bonne volonté.


Elle ne devait point, cependant, recueillir le bénéfice de sa prudence.

Au dehors, l’orage du Quiétisme était déchaîné. Les éclats en arrivaient jusqu’à Saint-Cyr, où ils éveillaient dans les âmes des religieuses des échos douloureux et passionnés. Mme de Maintenon s’alarmait. Surprise, elle considérait ses fautes ou ses imprudences ; elle voyait pour la première fois son crédit sur le Roi menacé ; une sorte d’instinct de conservation la poussait à trancher dans le vif, à renier les amitiés compromettantes.

Mme de la Maisonfort fut une de ses premières victimes.

Déjà en 1696, ses rapports avec Mme de Maintenon devaient avoir subi un grand refroidissement. Bossuet lui écrivait, en septembre : « La contrariété naturelle que vous éprouvez avec Mme de Maintenon vous doit être un exercice continuel de mortification. Contentez en elle, non pas elle, mais Dieu… » Et quelques mois plus tard : « Pour Mme de Maintenon vous voyez une grande marque de sa charité, non seulement dans le soin qu’elle prend de m’envoyer vos lettres, mais encore d’en solliciter elle-même les réponses. Mais avec tout cela, ma fille, sacrifier à Dieu tout le goût de cette amitié… heureuse d’avoir à sacrifier quelque chose d’aussi considérable selon le monde ! »

La rupture approchait. Mme de la Maisonfort en a écrit le récit douloureux ; écoutons-la.

« Je supposais que Mme de Maintenon n’était point inquiète de mes sentimens, puisqu’elle était instruite de ma confiance en M. de Meaux. Cependant, au mois de mars 1697, dans un entretien que ma sœur du Tourp eut avec elle, elle lui marqua une grande douleur de mon prétendu changement, et son attendrissement alla jusqu’aux larmes. Ma sœur du Tourp me conseilla de lui écrire, ce que je fis.

« Dans sa réponse, elle me disait que sa douleur venait de ma sorte de piété, et de me voir penser autrement que ceux que Dieu avait chargés de gouverner notre maison et ma personne ; qu’elle serait contente quand je serais unie avec l’évêque, le supérieur et les confesseurs de Saint-Cyr ; que jusque-là elle pleurerait mon état, et craindrait le mal que je pourrais faire dans la maison…

« Quoique je ne fusse pas unie à M. de Chartres comme autrefois, je ne me croyais pas mal avec lui. A l’égard du supérieur, il ne venait presque jamais à Saint-Cyr, et je n’avais jamais eu qu’une seule conversation avec lui, dont il m’avait témoigné être très satisfait. J’étais fort bien avec mon confesseur ; la supérieure me paraissait contente de moi, et je l’étais d’elle. Ainsi les inquiétudes de Mme de Maintenon n’avaient point de fondement bien réel.

« Sa lettre fut suivie d’une conversation ; elle m’y témoigna beaucoup d’estime, me disant qu’elle avait compté que ce serait moi qui soutiendrais la maison après sa mort ; qu’elle avait tout espéré de la droiture de mon esprit ;… que je pensais naturellement très juste ; qu’après avoir parlé ainsi, c’était se louer soi-même que de dire que nous pensions l’une comme l’autre… Elle me reprocha d’être surtout changée pour M. de Chartres, et mes délicatesses sur la direction, en des termes qui me firent penser qu’elle voulait me faire entendre que je me retirasse de la direction de M. de Meaux pour me mettre sous celle de M. de Chartres… »

Mme de la Maisonfort le lui proposa, se déclarant prête à obéir. On ne la prit pas au mot.

Sur ces entrefaites, le livre des Maximes parut. Les alarmes de Mme de Maintenon redoublèrent.

« Quoique, après l’entretien dont j’ai parlé, Mme de Maintenon m’eût mandé qu’elle en était parfaitement contente, elle prit, à quelque temps de là, des manières si froides à mon égard, que ne voyant rien dans ma conduite qui pût me les attirer…, je crus devoir lui demander un éclaircissement, — ce qu’elle évitait. Je la suivis un jour qu’elle allait seule à son appartement. S’en apercevant, elle me dit avec un redoublement de froideur : « Je ne veux point vous parler, ceci devient trop sérieux ; M. de Chartres va venir, je le laisserai décider. » Je lui répondis que je ne pouvais deviner de quoi il s’agissait… Après avoir été quelque temps en silence, elle me dit : « Je ne voulais point vous parler ; mais l’amitié, — puis se reprenant, — un reste d’amitié fait que je ne puis m’empêcher de vous avertir que vous vous préparez de grands malheurs ; mais comme votre cœur est droit, je crois qu’ils ne seront que temporels… » Je compris que ces malheurs dont on me menaçait étaient ma sortie de Saint-Cyr. Je le dis à mon confesseur, qui m’exhorta à demander à Dieu de demeurer dans mon état…

« M. de Chartres arrivé, on me fit comparaître devant lui, MM. B. (Brisacier) et T. (Tiberge) et Mme de Maintenon. »

Ils lui firent divers reproches qui semblent assez vagues, ou d’une précision un peu puérile. « MM. Brisacier et Tiberge demeuraient dans un grand silence ; Mme de Maintenon ne dit que quelques mots à la traverse, et finit par ceux-ci : « Mme de la Maisonfort aurait été une sainte dans le monde ; mais elle n’était pas née pour être religieuse ; elle aime trop sa liberté ; » ce qui n’avait pas grand rapport à ce dont il s’agissait, cet amour de la liberté ne m’empêchant point d’être assidue à mes devoirs. » Hélas ! c’était pourtant la parole la plus juste à dire…

A la suite de cette comparution, elle écrivit à M. de Chartres et à Mme de Maintenon, le plus humblement qu’il lui fut possible, et comme si elle eût désiré ardemment de rester à Saint-Cyr. « Ce n’était pas au fond que je craignisse d’en sortir ; et si j’avais suivi ce que me dictait l’orgueil, j’aurais eu une conduite opposée ; mais je ne voulais point avoir à me reprocher d’avoir manqué à faire ce qu’il fallait pour ne point sortir de la voie de Dieu. Après avoir écrit et envoyé mes lettres, je me sentis plus en paix.

« Dès qu’on les eut reçues, on m’envoya M. Tiberge, qui me demanda où j’irais si on me renvoyait. Je lui répondis que j’y penserais quand on m’aurait déclaré que ma sortie était résolue. Il me dit qu’elle l’était ; qu’on me laissait le choix du lieu où je me retirerais, pourvu que ce ne fût point à Paris. Je dis que je choisissais le diocèse de Meaux… »

« … Je sortis le 10 de mai 1697, avec ma sœur du Tourp. Pendant que nous sortions par une porte, on se disposait à faire sortir par une autre ma sœur de Montaigle, qui ne s’attendait à rien moins. »

L’exécution avait été si prompte que Mme de la Maisonfort resta plusieurs jours sans savoir où elle irait. Les démarches de M. de Meaux pour la recevoir n’étaient point terminées. « Dans l’incertitude où cela me tint, » écrit-elle, « ce verset de David me revint souvent : « Toutes mes aventures, Seigneur, sont entre vos mains. » Je m’en sentis consolée et, ce me semble, plus abandonnée à Dieu. »


Pendant que les pauvres filles s’en allaient vers la honte et l’inconnu, où était leur mère ? Mme de la Maisonfort a un mot terrible dans sa brièveté : « Nous partîmes sans prendre congé d’elle… »

Elle était fort occupée à rassurer la communauté consternée. « Toutes les Dames pleuraient et craignaient pour elles-mêmes : voyant que les vœux solennels qu’on avait faits pour plus grande solidité n’exemptaient pas des lettres de cachet, elles s’imaginaient qu’il ne fallait plus compter sur rien. » Mme de Maintenon leur dit qu’elle s’était fait une extrême violence en souscrivant à la condamnation des exilées. « Vous ne pleurerez jamais tant vos sœurs que je les pleure depuis quatre ou cinq ans et encore plus depuis quatre ou cinq mois que je voyais qu’il faudrait venir à ce qui s’est fait. Je les aimais par inclination et par estime, les voyant très vertueuses ; mais je dois préférer le bien de la maison à toute autre considération. »

Soit ; ne lui contestons pas que l’exécution fût nécessaire. Mais la rigueur dont elle l’accompagna ? Cette froideur, cette disgrâce, cette sorte de rancune qui creuse la blessure au lieu de la fermer ? Mme de la Maisonfort une fois chassée de Saint-Cyr, incapable de nuire ou de compromettre, l’amitié qui les avait unies ne reprenait-elle pas ses droits ? Ecoutons l’exilée : « J’ai eu l’honneur de lui écrire au moins tous les ans, et dans certaines occasions ; je n’ai jamais reçu que deux réponses : l’une d’une dureté étonnante, dont elle a voulu qu’on gardât la copie à Saint-Cyr ; et l’autre très sèche. »

Sans doute, on trouverait des excuses à Mme de Maintenon : de grands intérêts à soutenir, des responsabilités fort graves, l’influence du Roi qui, à cette époque, avait pris l’affaire en mains et qu’une belle colère amena jusqu’à Saint-Cyr, où il expliqua lui-même, aux Dames assemblées, que les trois religieuses étaient sorties par son ordre, qu’il entendait que ce fût sans espoir de retour, et qu’il défendait qu’elles rentrassent jamais, « par toute son autorité de Roi et de fondateur. » Mais toutes ces raisons sont sans force devant un tribunal intime. Elles peuvent justifier des actes, elles ne légitiment pas des sentimens.

Au fond, Mme de la Maisonfort avait déçu sa protectrice, longuement, cruellement, définitivement. Depuis dix années et plus, depuis les beaux jours de Noisy, Mme de Maintenon l’avait suivie, choyée, dirigée ; elle lui avait fait crédit avec une patience et une affection maternelles. Elle se reprochait peut-être bien des faiblesses à son égard. Un cœur qui s’est beaucoup donné, s’il lui faut se reprendre, y met une sorte d’âpreté. Dès le premier jour, elle avait vu les défauts de sa jeune amie aussi clairement que ses qualités ; mais elle avait espéré de l’en corriger. Nous avons la lettre qu’elle lui écrivit au moment où Mme de la Maisonfort accepta de faire son second noviciat : elle est d’une clairvoyance absolue, mais on y sent aussi la tendresse, la confiance, un vrai désir de soutenir et d’élever une âme :

« … Quant à moi, ma chère fille, je vous proteste que je vous aime tendrement. Vous êtes une de celles de la communauté dont je goûte le plus la conversation ; mais Dieu ne m’a pas chargée de Saint-Cyr pour que j’y cherche mon plaisir, et que je donne la préférence à ce qui touche mon goût naturel. Il est donc vrai que, dans le temps que vous me plaisez, vous me faites peur pour la maison par ce manquement de simplicité que je vous ai si souvent reproché ; par cette présomption qui vous fait décider trop librement ; par cet attachement à vos propres lumières, qui ne se soumet jamais à celles des autres… Vous êtes naturellement généreuse et désintéressée ; vous êtes charmée par-là des conditions de votre fondation ; mais accompagnez-vous ce désintéressement de l’esprit de pauvreté que vous avez voué ?… Vous voulez persuader, vous voulez plaire, et vous n’avez point cette unité d’intention qui est la vraie simplicité. Vous avez trop envie d’être aimée : je suis persuadée que vos intentions sont bonnes et que vous voulez par ces voies-là porter au bien celles qui dépendent de vous ; mais si vous vouliez repasser sur le passé, vous verriez que ces moyens ne vous ont pas réussi. Encore une fois, vous n’avancerez jamais dans la vertu que par votre humilité, votre attachement à vos règles, par sacrifier vos lumières à celles de vos supérieurs, par aimer la dépendance, par la persuasion que vous en avez besoin, et par renoncer à cette force et sagesse toute mondaine dans laquelle vous mettrez votre confiance… Ne vous découragez point, ma chère fille, à la vue d’un si grand ouvrage : Dieu peut tout, et veut tout pour nous quand nous le voulons bien : mettez votre force à entreprendre de changer, et à faire valoir les talens qu’il vous a donnés, et dont vous rendrez compte. »

Mme de la Maison fort fut une fille privilégiée, et qui tourna mal : elle fut rayée du cœur de sa mère.


III

Le 12 mai 1697, Bossuet écrivait à Mme de la Maisonfort : « Je vous reçois, ma Fille, dans mon diocèse, avec le dessein de vous y donner tout le secours que je pourrai. »

Il la fit conduire chez les Filles de la Visitation de Sainte-Marie, à Meaux.

Ce secours qu’il lui promettait, il ne le lui refusa pas un instant pendant les sept années qu’il vécut encore. Tout en témoigne : les lettres qu’il lui envoya, les démarches qu’il fit pour elle, ses réponses minutieuses à des consultations qu’elle lui adressait. Il lui recommandait de ne point se laisser entraîner au dégoût, mais de « prendre le vrai goût plus haut que les sentimens de la créature ; » de « modérer ses activités inquiètes, » de « laisser là Saint-Cyr, et de n’avoir plus de place dans son cœur pour Mme de Maintenon (pauvre âme, qui ne se résignait point à payer de retour une ingrate ! ) » Il lui écrivait :

« Ne soyez jamais en peine de votre oraison ; songez au fruit ; devenez petite, aimez les petites observances comme les grandes, c’est-à-dire les cheveux et jusqu’aux souliers de l’Époux, et les franges comme les habits. Si vous ne devenez petite, mais très petite, les sublimités de l’oraison vous seront ôtées ; il n’y a de sublimité que celle qui nous rend plus humbles : voilà le premier point que j’attends de votre conversion. »

Peut-être, sans les lui fermer, la détournait-il doucement des paradis que Fénelon lui avait ouverts. Mais il n’allait pas à l’encontre de la direction de celui-ci. Nous en avons le témoignage formel de leur pénitente. Écrivant plus tard à Fénelon, elle dira : « Il me parlait souvent de vous, monseigneur, et ne faisait presque que me confirmer dans les décisions que j’avais reçues de vous, entre autres sur les austérités, les communions et les lectures, si ce n’est qu’il me laissait plus de liberté sur les lectures. » Sans doute, nous pensions bien que ces deux grands esprits, également désintéressés, ne pouvaient conduire très différemment une même âme. Pourtant ce témoignage nous fait plaisir. Dans le temps que, sur la scène publique, on les voyait aux prises, acharnés l’un et l’autre à la défense de leurs positions, il est doux de les voir en quelque sorte se réconcilier dans la conscience d’une humble religieuse, accorder leurs vues, respecter mutuellement leur œuvre, et ne songer qu’à la gloire de Dieu dans une âme. Mme de la Maisonfort les aima l’un et l’autre ; elle n’eut point à prendre parti ; peut-être contribua-t-elle à maintenir entre eux quelque estime secrète ; et, même sans aller si loin, il faut la remercier d’avoir rapproché pour nous, derrière la scène, ces deux grands adversaires.

Les monastères des Visitandines étaient, à cette époque, parmi les plus stricts et les plus fervens. Entre tous, celui de Meaux, à cause de sa grande régularité, était appelé la Trappe de l’Ordre. Mme de la Maisonfort y passa environ trois ans et demi, « avec assez d’agrément et de paix. » Pourtant elle n’y put demeurer, car elle y apportait un trouble involontaire et fort grave : elle s’y faisait trop aimer.

« Quoique mon étoile, écrit-elle, eût été d’être toujours assez aimée, je ne laissais pas d’être surprise de l’empressement et du goût qu’on avait pour moi dans une communauté aussi grave et aussi froide que l’est celle-là. »

Bossuet, averti par les supérieures, prit la chose au sérieux. Il ne savait trop quel conseil lui donner. Elle rédigea pour son directeur un long questionnaire, où l’on saisit sur le vif la séduction qu’elle exerçait partout, le plaisir secret et les scrupules qu’elle en avait, ses alarmes, ses complaisances, toutes sortes de choses qui nous font sourire et qui la faisaient pleurer peut-être.

« Vous m’avez dit, monseigneur, qu’il suffisait de traiter tout le monde avec politesse, et que je pouvais marquer de la distinction à certaines personnes qui en méritent… Je ne voudrais pas aussi être obligée d’éviter celles qui tiennent à moi d’une manière plus vive. — Réponse : Celles-ci font plus de difficulté que les autres, parce que la liaison en est trop humaine, et sujette à de grands inconvéniens… — Vous m’avez dit que la règle de saint Paul (Philipp. II, 4) empêche de préférer ceux qui ont du goût pour nous à cause de ce goût, mais non de s’en servir pour les porter à Dieu. — Réponse Autant que le peut permettre l’édification de la communauté, qui doit être préférée à tout. — Vous êtes convenu que je peux avoir des manières ouvertes, affables et attirantes. — Réponse : Le tout par rapport à Dieu et au bien des autres, non pas pour s’attacher les personnes. — Je pourrais éviter ou rechercher ces personnes d’une manière qui paraîtrait un hasard ? — Réponse : Il ne faut point d’affectation… — Je remarque bien qu’on m’évite, quoiqu’on le fasse avec adresse ; celles que j’éviterais le remarqueraient peut-être de même. — Réponse Quel mal que cela soit remarqué secrètement, et qu’on fasse sentir qu’on craint le sensible, qui est la source des attachemens particuliers ? — Il m’a paru que cela irritait la passion en quelqu’une de ces personnes. — Réponse : Il y a donc de la passion, et il n’est pas permis de la nommer. Si elle s’irrite par les remèdes, c’est signe que la maladie est grande. — Vous êtes convenu qu’il faudrait, pour guérir ces sortes de maladies, de vraies absences, et que celles de quelques jours ou de quelques semaines n’y feraient rien. — Réponse : J’en conviens encore. — Je me souviens en ce moment de ce mot de M. de La Rochefoucauld : « L’absence augmente les grandes passions, et diminue les médiocres, comme le vent éteint la bougie, et allume le feu. » — Réponse : Vous citez en ce fait un mauvais auteur…- »

Et cela continue pendant des pages… Bossuet la suit patiemment dans tous ces détours d’un cœur de femme, patiemment et sévèrement. Et il conclut : « Dieu veuille vous éclairer, et vous faire entendre la délicatesse de sa jalousie ! C’est celui à qui tout est dû, et qui peut justement être jaloux. »

Il finit par juger la maladie sans remède, et par y couper court.

« Le 14 septembre 1701, M. de Meaux m’ayant parlé sur cela avec une grande bonté et une grande confiance… la pensée me vint que je serais moins gênée et plus tranquille si je quittais la maison de Sainte-Marie pour celle des Ursulines… » « Je lui dis que j’avais quelque répugnance à lui faire cette proposition, n’aimant pas à avoir part à ces sortes de changemens ; que je désirais être toute de providence. Il me dit que cela ne devait point m’inquiéter, mais que la difficulté était de trouver un prétexte, que ce changement rendrait le commerce que j’avais avec lui plus commode. Il vint me revoir le 2 octobre, me détermina à ce changement qui se fit le 24 du même mois, avec toute l’honnêteté possible de la part des supérieures et de la mienne. »


Elle avait quarante ans passés. Elle avait perdu l’agrément de son visage, l’entrain de sa jeunesse, et sans doute aussi cette confiance en soi qui ne l’avait menée qu’à des mécomptes sur elle-même. Si elle se reportait à seize années en arrière, que devait-elle penser de la jeune provinciale qui, accueillie et fêtée par l’épouse de Louis XIV, lui faisait ses réserves et lui posait ses conditions, parce que la fortune l’éblouissait moins que ses propres rêves, et que la faveur d’une reine ne lui promettait pas autant que son étoile secrète ?

Frappée d’infirmités précoces, elle était devenue si faible qu’elle n’avait plus que le souffle. Mais « la vivacité de son esprit la consumait toujours » et aussi ce cœur inquiet qui ne devait s’apaiser que dans la tombe.

Il était dit que sa vie elle-même serait perpétuellement errante. Les Ursulines de Meaux ne furent pas sa dernière étape. Vers la fin du règne de Louis XIV, les querelles théologiques qu’avait soulevées le Jansénisme se ranimèrent ; Mme de la Maisonfort s’y jeta imprudemment. Le cardinal de Bissy, qui avait succédé à Bossuet sur le siège de Meaux, la contraignit de quitter les Ursulines pour aller chez les Bernardines d’Argenteuil. On croit que là même sa vieillesse ne trouva pas un suprême asile.

Ainsi, de plus en plus, cette vie va s’enfonçant dans les ténèbres et la tristesse. Les échos qui nous en parviennent encore sont intermittens et douloureux. Nous ne savons pas où Mme de la Maisonfort mourut, ni à quelle date. Peut-être pourrait-on le rechercher, mais à quoi bon ? Ce silence où sa vie se perd est l’image la plus forte d’une destinée qui faillit à toutes ses promesses.

De cette faillite, assurément, Mme de la Maisonfort fut responsable la première. Le reconnaître, ce n’est pas lui refuser notre pitié. La fortune lui sourit, l’attendit ; elle lui manqua. Une âme plus vulgaire, ou plus habile, en eût profité. Un peu d’ambition lui eût suffi pour dominer ses défauts, répondre à la faveur de Mme de Maintenon, soutenir après elle la maison de Saint-Cyr et « servir à un grand ouvrage. » Chose curieuse, cette âme à qui l’on a tant reproché sa hauteur n’eut aucune ambition proprement humaine. Mme de la Maisonfort fut la victime de ses qualités autant que de ses défauts. Trop de franchise dans le caractère, trop de délicatesse dans l’esprit, lui nuisirent. Elle fut fidèle à Fénelon comme Fénelon fut fidèle à Mme Guyon ; et l’un et l’autre se perdirent. Elle fut une femme charmante, noble, supérieure par certains côtés ; mais incomplète, faible, hésitante, passionnée, et à tout prendre fort malheureuse.

Et il faut bien en venir à une question qui nous hante : que fût-elle devenue dans le monde ? Mme de Maintenon lui écrivait un jour : « Ne vous repentez pas du parti que vous avez choisi… Vous auriez eu plus de plaisirs dans le monde ; et, selon les apparences, vous vous seriez perdue. Ou Racine, en vous parlant du Jansénisme, vous y aurait entraînée ; ou M. de Cambrai aurait contenté ou même renchéri sur votre délicatesse, et vous seriez quiétiste. Jouissez donc du bonheur de la sûreté… » Peut-être avait-elle raison. Mais elle rétrécit un peu la question. Oui, bien des périls attendaient Mme de la Maisonfort dans le monde. Cette vivacité de sa nature, qui s’élançait vers tout ce qui la flattait ; ce besoin d’être aimée, qui résista à vingt ans de vie mortifiée ; cette inquiétude morale qui semble une première image du tourment romantique : voilà, sans parler du Jansénisme, bien des raisons de souffrir ! Le monde ne lui eût pas donné la paix, mais du moins cette activité, ce « divertissement » qui en tiennent lieu, tant bien que mal, pour de pauvres cœurs sans repos. Ses défauts ne l’eussent pas empêchée d’être aimable, et ses qualités auraient brillé d’un vif éclat. Elle eût couru plus de risques, mais mieux appropriés à sa nature. Cette imprudente tendresse de cœur, qui avait quelque chose de trop sensible pour se fixer entièrement dans l’amour divin, eût rencontré peut-être un objet digne d’elle. Et je songe surtout à cet amour-propre « qui voulait toujours se complaire dans son ouvrage : » ce beau don dangereux, qui se tourna dans la vie religieuse en obstacle et en péché, cette paire d’ailes qui l’eût portée très haut dans le monde, et qu’il fallut rogner tous les jours, dans l’humilité du cloître.

Laissons ces rêveries… Une vie nous paraît manquée : mais nous ne la jugeons que dans le plan humain ; ce n’est point là qu’elle s’achève, et qu’elle se révèle. Au reste, une femme qui a vécu dans l’intimité de Fénelon et de Bossuet n’a pas eu une part médiocre, même en ce monde. N’oublions pas non plus qu’elle connut par eux une intimité plus haute, et la joie d’écouter « le maître du dedans, qui instruit bien mieux que ceux du dehors. »


PAUL RENAUDIN.

  1. C’est tout ce qui ressort, il me semble, du réquisitoire des Dames. « Cette affluence du plus beau monde, les applaudissemens que nos demoiselles en avaient reçus, la fréquentation des gens du bel esprit, leur avaient beaucoup enflé le cœur, et donné une telle vivacité de goût pour l’esprit et les belles choses, qu’elles devinrent fières, dédaigneuses, hautaines, présomptueuses, peu dociles, à quoi contribua encore beaucoup Mme de la Maisonfort, chanoinesse qui était maîtresse des bleues… Il n’était plus question entre elles que d’esprit et de bel esprit ; on se piquait d’en avoir et de savoir mille choses vaines et curieuses ; on méprisait les demoiselles qui étaient plus simples et moins susceptibles de ce goût… » N’oublions pas que les pieuses Dames, en ce moment, se frappent la poitrine.
  2. Mlle de la Fayette écrivait avec assez de sens : « De songer que trois cents jeunes filles, qui y demeurent jusqu’à vingt ans, et qui ont à leur porte une cour de gens éveillés… — de croire, dis-je, que des jeunes filles et des jeunes hommes soient si près les uns des autres sans sauter les murailles, cela n’est presque pas raisonnable. »
  3. Cette actrice n’était point Mme de la Maisonfort, comme le répètent au hasard les anecdotiers, mais sa jeune sœur.
  4. De Fénelon.
  5. « Elles s’ennuieront à mourir dans leurs familles : qu’elles aiment le silence, il convient à notre sexe… » Ce bon sens devient cruel !
  6. Laissons le pauvre Phélipeaux mettre ses lunettes jaunes, et découvrir dans cette lettre l’embarras, la duplicité, les précautions tortueuses de Fénelon.