Une Election à l’Empire en 1519
ÉLECTION A L’EMPIRE
EN 1519.
Lorsque l’empire devint vacant en janvier 1519 par la mort de Maximilien Ier, deux puissans monarques se présentèrent pour l’obtenir, le roi catholique Charles et le roi très chrétien François Ier. Doués l’un et l’autre de grandes qualités et poussés par une extrême ambition, ils voulaient ajouter le gouvernement électif de l’Allemagne à la vaste possession de leurs états héréditaires. C’est par là qu’ils entrèrent dans la première phase de cette rivalité longue et ardente qui devait ébranler si fortement l’Europe et s’étendre jusqu’au milieu du XVIe siècle.
Charles, dont les ancêtres paternels avaient porté cinq fois la couronne du saint empire depuis la chute de la grande et infortunée dynastie des Hohenstauffen, semblait destiné à maintenir cette couronne dans la maison chaque jour grandissante d’Autriche, que le choix des sept électeurs en 1438 avait substituée à la maison éteinte de Luxembourg. Héritier, comme archiduc, de l’Allemagne orientale, souverain des Pays-Bas, de l’Espagne, de Naples, de la Sicile, comme successeur des ducs de Bourgogne, des rois de Castille et d’Aragon, ce possesseur de tant de territoires, qui régnait sur les principales îles de la Méditerranée, qui occupait par plusieurs points le littoral de l’Afrique, et pour le compte duquel se découvrait un monde nouveau au-delà de l’Océan, n’avait alors que dix-neuf ans. Sans annoncer entièrement ce qu’il fut depuis, il le laissait déjà pressentir. Son grand chambellan Guillaume de Croy, seigneur de Chièvres, qui l’avait élevé, le dirigeait encore; mais, aimant sa grandeur, il s’était appliqué à le rendre capable de la conserver et de l’accroître, lorsqu’il ne serait plus à côté de lui. Il l’avait formé de bonne heure à la connaissance et à la conduite de ses intérêts divers. Dès l’âge de quinze ans, Charles présidait tous les jours son conseil. Il y exposait lui-même le contenu des dépêches qui lui étaient remises aussitôt qu’elles arrivaient, fut-ce au milieu du sommeil de la nuit. Son conseil était devenu son école, les affaires lui avaient servi de livres, et la politique, où il devait se rendre si habile, avait été son principal enseignement.
L’ardeur qu’il ressentait dans son adolescence à la vue d’un beau chien de chasse ou d’un épieu pour le sanglier[1], la passion qui, lors du mariage de sa sœur, l’infante Isabelle, avec le roi Christiern II de Danemark, l’avait entraîné si fougueusement à la danse qu’il en était tombé malade[2], il savait maintenant les porter, en les contenant, des petites choses sur les grandes. Réfléchi comme celui qui décide, patient comme celui qui commande, il avait acquis une dignité précoce. Ayant un sens naturel supérieur, une finesse d’esprit pénétrante, une rare vigueur d’âme, il apprenait à juger, dans chaque situation et sur chaque chose, ce qu’il y avait à faire et comment il le fallait faire; il s’apprêtait à être le plus délié et le plus ferme politique de son temps, à regarder la fortune en face, sans s’enivrer de ses faveurs, sans se troubler de ses disgrâces, à ne s’étonner d’aucun événement, à se résoudre dans tous les périls. Il avait déjà des volontés impérieuses[3] et un aspect imposant. « Sa gravité est si grande, écrivait vers cette époque un écrivain contemporain, et son esprit tellement altier, qu’il semble tenir tout l’univers sous ses pieds[4]. » Son compétiteur, François Ier, était un peu plus âgé que lui. Il avait des états moins nombreux, mais non dispersés, et sa puissance était égale, parce qu’elle était concentrée. Le royaume de France, qu’il possédait sans partage et qu’il gouvernait sans contradiction, ne contenait plus sur sa surface vaste et compacte aucune souveraineté particulière assez importante pour menacer son existence, aucune classe assez indépendante pour troubler son repos. De l’Océan aux Alpes, des Pyrénées aux Ardennes, il était uni et obéissant. Le prince qui y commandait était dans tout l’éclat de la jeunesse et de la gloire. Il avait vingt-cinq ans. Ce que Charles promettait d’être un jour, François l’était déjà devenu. A peine monté sur le trône, il avait réparé les désastres extérieurs qui avaient attristé la fin du règne de son populaire et inhabile prédécesseur. Franchissant, par des chemins jusque-là inaccessibles à une armée, les Alpes, dont les passages ordinaires lui étaient fermés, il avait paru en vainqueur dans les plaines de la Lombardie, où l’on ne croyait pas qu’il parvînt à descendre, et, à l’étonnement de l’Europe, presque entière conjurée contre lui, il avait reconquis le duché de Milan, que Louis XII avait perdu deux fois. Ces redoutables Suisses qui n’avaient jamais été battus et qui avaient successivement triomphé des archiducs d’Autriche à Morgarten et à Sempach, des ducs de Bourgogne à Granson, à Morat et à Nancy, des empereurs d’Allemagne à Pratteln, à Constance, à Schwaderloch et à Dorneck, des rois de France à Milan, à Novare et à Dijon, lui seul les avait mis en fuite à Marignan. Durant cette terrible bataille de deux jours, il n’avait pas quitté la selle de son cheval, et, la lance au poing, le casque en tête[5], il avait reçu, aux premiers rangs, trois coups de pique dans son armure[6].
Après avoir combattu en soldat, vaincu en capitaine, il avait agi en politique. Imitant l’exemple de Louis XI et remédiant à l’une des fautes les plus graves de Louis XII, il avait remis les Suisses dans l’amitié et au service de sa couronne par la ligue perpétuelle de Fribourg. Duc accepté de Milan, seigneur reconnu de Gènes, souverain affermi de la France, les négociations ne lui avaient pas moins réussi que les armes. Il avait obtenu du pape Léon X la restitution de Parme et de Plaisance au Milanais, de l’empereur Maximilien la cession de Vérone à ses alliés les Vénitiens, du roi d’Angleterre Henri VIII le rachat de Tournay, de Mortagne, de Saint-Amand, réintégrés à la France. Il ne devait pas être toujours aussi heureux ni aussi habile ; mais après ces quatre premières années de juste félicité qui semblaient les débuts éclatans d’un grand prince, ayant acquis de la gloire et imposé la paix, laissant voir en lui les mérites les plus hauts comme les plus aimables, un esprit noble, un cœur intrépide, un caractère gracieux, des mœurs chevaleresques, ayant l’amour élevé des lettres, le goût délicat des arts, montrant une grande application aux affaires et disposant de forces jusque-là irrésistibles, il avait tourné vers lui les regards du monde et les espérances d’une partie de l’Allemagne, menacée d’être envahie par les Turcs.
L’empire germanique, qu’allaient briguer ces deux rois, le premier en invoquant les souvenirs de sa maison et en s’engageant à le gouverner selon ses usages, le second en faisant valoir les ressources de sa puissance et en s’offrant à le défendre contre ses ennemis, l’empire germanique était très divisé. Ce grand corps, dont s’était séparé le royaume d’Italie, dont avait été détaché le royaume d’Arles, presque tout entier annexé à la France, dont les cantons confédérés de la Suisse s’étaient rendus indépendans de fait, quoiqu’ils lui appartinssent encore de droit, tout réduit qu’il était, n’était pas devenu plus compacte. Il restait formé d’une multitude de membres mal joints. Il renfermait des états héréditaires et électifs, un royaume, des électorats, des duchés, des margraviats, des landgraviats, des comtés, des seigneuries de dimensions variées, des villes libres de diverse importance, des principautés ecclésiastiques d’ordre différent depuis les archevêchés jusqu’aux prieurés souverains. A cette époque, il comptait vingt-neuf princes séculiers, quatre-vingts prélats ou abbés, environ quatre-vingt-dix villes impériales, plus de deux cents comtes territoriaux avec juridiction et plusieurs milliers de seigneurs médiats. Ainsi composée, l’Allemagne, malgré les récentes tentatives de l’empereur Maximilien, qui avait voulu y fonder une justice commune par la chambre impériale, une milice régulière par l’établissement des cercles, conservait un esprit d’insubordination que la force fédérale n’avait pu réduire à l’obéissance et une diversité d’intérêts que rien n’était capable de ramener à l’accord.
Lorsqu’il fallait donner un chef à cette vaste et faible confédération, au milieu de laquelle se maintenaient toujours les ligues des villes, les associations des nobles, les alliances particulières des princes, le droit en était dévolu aux sept électeurs. Les archevêques de Mayence, de Trêves, de Cologne, comme archichanceliers de l’empire pour les royaumes de Germanie, d’Arles et d’Italie; le roi de Bohême, le duc de Saxe, le comte palatin de Bavière, le margrave de Brandebourg, comme archi-échanson, archi-maréchal, archi-sénéchal et archi-chambellan de l’empire, nommaient seuls, au nom de tous les souverains germaniques, dont ils étaient les premiers et les plus considérables, le roi des Romains, futur empereur. Ce haut pouvoir, qu’ils exerçaient depuis le XIIIe siècle, avait été réglé en 1356 par la bulle d’or de Charles IV, qui prescrivait de faire l’élection dans la ville de Francfort, et qui rendait cette élection valide à la majorité des suffrages.
Quelle était la position des sept électeurs vis-à-vis des deux princes qui aspiraient à l’empire, et par suite de quels intérêts ou de quels sentimens devaient-ils se déclarer pour les prétentions de l’un ou de l’autre ? La maison de Hohenzollern possédait les deux électorats de Brandebourg et de Mayence. Le margrave Joachim, chef de cette puissante famille, avait reçu héréditairement le premier en 1499, et son frère, l’archevêque Albert, avait obtenu le second par élection depuis 1514. En toute rencontre, l’empereur Maximilien s’était prêté à l’agrandissement de leur maison. Il avait accordé au margrave l’expectative du duché de Holstein, laissé réunir par l’archevêque, à peine âgé de trente et un ans, les trois sièges importans d’Halberstadt, de Magdebourg et de Mayence, et contribué à faire donner la grande maîtrise de l’ordre teutonique à leur cousin le margrave Frédéric. Il semblait donc pouvoir compter sur ces deux frères pour faciliter l’élévation de son petit-fils à l’empire; mais ils étaient ambitieux, calculés, cupides. D’ailleurs les Hohenzollern se dirigeaient d’après l’utilité, non d’après la reconnaissance, et un avantage présent leur faisait aisément oublier les bienfaits passés.
La maison de Saxe n’avait aucun motif d’affermir et de rendre héréditaire la puissance de l’Autriche en Allemagne. Loin de là : elle était disgraciée depuis quelques années par l’empereur. Maximilien avait refusé à l’électeur Jean-Frédéric les duchés de Berg et de Juliers, dont il lui avait cependant promis l’expectative; il avait contraint le duc George, son cousin, à rétrocéder la Frise aux Pays-Bas; il avait désiré, après la mort du grand-maître Frédéric de Saxe, qu’un prince de Brandebourg fût mis à la tête de l’ordre teutonique. La maison de Saxe nourrissait contre lui de légitimes ressentimens. Aussi l’électeur Frédéric, que recommandaient en Allemagne de nobles sentimens de justice et un véritable esprit de sagesse, s’était déjà opposé dans plusieurs diètes, bien qu’il fût très mesuré et peu entreprenant, aux projets généralement mal conçus de Maximilien. Il était beau-frère du duc de Lunebourg, le plus puissant des princes de la vieille maison de Brunswick, et oncle du duc de Gueldre, alliés l’un et l’autre de François Ier,
L’électeur palatin, Louis V de Bavière, n’avait pas de moindres griefs. La succession de Bavière-Landshut avait été refusée en 1503 à son père Philippe, qui, l’ayant alors revendiquée les armes à la main, avait été mis au ban de l’empire, battu et dépouillé même de l’avouerie de Haguenau, dont l’empereur s’était emparé et qu’il avait gardée. Le comte palatin Louis n’avait pas encore reçu l’investiture impériale. Sa politique et ses ressentimens le poussaient du côté de la France; mais ses craintes et son avarice pouvaient le ramènera l’Autriche.
Richard de Greiffenclau de Wolrath, archevêque-électeur de Trêves, était préoccupé des périls de l’Allemagne, et voyait avec alarme la grandeur toujours croissante de la maison de Habsbourg. La contiguïté des territoires avait amené entre elle et lui, ainsi que cela arrive ordinairement, l’opposition des intérêts. Voisin des Pays-Bas comme le duc de Gueldre, le prince-évêque de Liège, le duc de Bouillon, seigneur de Sedan, le duc de Lorraine, il était, comme eux, l’adversaire naturel de leur souverain, et il ne se souciait pas que celui-ci, déjà possesseur de tant de royaumes, devint encore le chef de l’empire. Aussi penchait-il pour François Ier. Son appui était d’autant plus précieux, qu’il joignait à une rare prudence une fermeté habile.
L’archevêque-électeur de Cologne, Hermann de Wied, lui ressemblait peu. C’était un prince sans direction fixe. Timide par scrupule autant que par faiblesse, manquant à la fois de lumières et de volonté, il était livré à des influences qui entraînaient ou paralysaient ses résolutions selon qu’elles s’accordaient ou se combattaient entre elles. Avec ce caractère, il était à croire qu’il attendrait le dernier moment pour se prononcer en faveur du prétendant qui lui semblerait avoir le plus de droits, parce qu’il aurait le plus de chances. Quant au jeune roi Louis, électeur de Bohême, il ne disposait pas encore de son suffrage. A peine âgé de treize ans, il était placé sous la double tutelle de son oncle, le roi Sigismond de Pologne, et de l’empereur Maximilien. Le pacte de succession qui unissait les maisons de Bohême et d’Autriche, les mariages projetés entre le roi Louis et l’archiduchesse Marie, sœur du roi catholique, l’archiduc Ferdinand, frère de celui-ci, et Anne, sœur de Louis, assuraient en quelque sorte d’avance le suffrage de cet électorat à un prince autrichien.
Plus de deux ans avant la mort de Maximilien, plusieurs électeurs, séduits par la valeur de François Ier, frappés de sa puissance, qui lui aurait permis de protéger efficacement l’Allemagne, et attirés par son argent, songèrent à lui assurer la future possession de la couronne impériale. L’archevêque de Trêves ouvrit à ce sujet les négociations. Dès le mois de novembre 1516, il envoya de son château d’Ehrenbreitstein le docteur Henri Dungin de Vuitlich, son chancelier, auprès de François Ier[7], auquel engagea son vote. Le margrave Joachim de Brandebourg ne fit pas attendre le sien. Le docteur Bernard Zedwitz, le bourgmestre de Crossen Melchior Pfül, le gentilhomme brandebourgeois Joachim de Moltzan, ses conseillers et ses plénipotentiaires, se rendirent des bords de la Sprée sur ceux de la Somme, et en traitèrent à Abbeville avec le chancelier Du Prat, investi de toute la confiance et dépositaire des pouvoirs particuliers de son maître. Une étroite confédération fut conclue, le 26 juin 1517, entre le roi et le margrave. Le roi devait donner la seconde fille de Louis XII, la princesse Renée, alors âgée de huit ans, en mariage au prince électoral de Brandebourg, avec une dot dd 150,000 écus d’or au soleil (8,300,000 francs au moins)[8] et une pension de 4,000 livres. Une autre pension de 8,000 livres était accordée au margrave, qui s’obligeait à fournir, en cas de guerre, des levées de reitres et de lansquenets aux frais de François Ier, qu’il promettait de plus de porter à l’empire[9].
Le 17 août, l’électeur Joachim ratifia en ces termes, à Cologne sur la Sprée, et le traité de confédération, et la promesse de son suffrage : « Nous nous attachons, disait-il, au seigneur François Ier, roi des Français, duc de Milan, seigneur de Gênes, dont la renommée et l’humanité brillent dans tout l’empire, et, requis par ses ambassadeurs, nous avons promis pour la gloire du Dieu tout-puissant, de la foi chrétienne et de l’église catholique, pour l’honneur, l’avantage et l’élévation de tout l’empire romain, et par ces présentes nous promettons de bonne foi qu’à la mort du sérénissime et très invincible empereur notre maître, le seigneur Maximilien, que Dieu par sa grâce fasse vivre longtemps, lorsque l’empire romain vaquera, et qu’avec nos confrères amis et cousins les princes électeurs, nous nous réunirons dans le lieu ordinaire de notre libre élection, et que nous pourrons comprendre que leur voix et la nôtre serviront à procurer l’empire au seigneur François, roi des Français, non-seulement nous ne l’empêcherons pas, mais nous y contribuerons de toutes nos forces et par notre vote[10]. »
L’archevêque de Mayence suivit assez promptement l’exemple de son frère le margrave. Ayant appris les arrangemens convenus avec le chef et dans l’intérêt de la maison de Brandebourg, il avait donné le 12 octobre de pleins pouvoirs, pour traiter de sa part en France, à l’un des hommes qui faisaient l’ornement de sa petite cour splendide et lettrée, au célèbre Ulric de Hutten, qui représentait à la fois les idées nouvelles et les mœurs anciennes de l’Allemagne érudite et guerrière. « Par ces lettres patentes, disait-il, nous déclarons et faisons savoir que nous députons le vaillant et parfaitement docte notre féal et notre conseiller Ulric de Hutten, chevalier à l’éperon d’or et docteur, auprès du sérénissime et très chrétien prince François Ier, roi des Français, notre seigneur et notre ami, afin qu’il conclue avec sa sérénité et en notre nom un pacte de solide alliance, et qu’il y termine certaines autres affaires que nous lui avons commises….. Tout ce qu’il aura conclu, nous le tiendrons pour ferme et inébranlable[11]. » L’archevêque vendit mystérieusement le suffrage[12] que le margrave avait vendu éventuellement.
François Ier n’avait plus qu’un vote à acquérir pour disposer de la majorité électorale. Il gagna[13] celui du comte palatin Louis, qui lui offrit de travailler au succès de l’affaire si bien connue de sa majesté en répandant son argent en Allemagne, et qui supplia toutefois de jeter sa lettre au feu[14]. Avec les quatre voix de Trêves, de Brandebourg, de Mayence et du Palatinat, il put se croire assuré de l’empire et rêver en sa faveur le. rétablissement de la puissance de Charlemagne sur le continent. Se regardant déjà comme le chef convenu de l’Allemagne, il étendit dans cette vaste contrée ses rapports et son influence pour la mieux préparer à sa prochaine souveraineté. Outre les quatre électeurs dont il était devenu le confédéré et le candidat, il se fit d’utiles alliés et il entretint de puissans pensionnaires dans tout le corps germanique. Ainsi il eut dans son amitié ou il prit à son service : sur la frontière sud-est des Pays-Bas, le duc Antoine de Lorraine, Robert de la Marck, duc de Bouillon et seigneur de Sedan, son frère Éberhard de la Marck, prince-évêque de Liège; sur la frontière nord-ouest, le belliqueux duc de Gueldre, auquel offrit de s’adjoindre cette année même le duc de Clèves, de Juliers et de Berg[15] ; dans le voisinage du Rhin, le comte Gerlach d’Isenbourg[16] et le comte Jean de Salm, seigneur de Reiferscheid, de Dyk et d’Alster, maréchal héréditaire de l’électorat de Cologne[17]; vers l’Allemagne septentrionale, le duc de Brunswick-Lunebourg, gendre de l’électeur de Saxe, et le duc Frédéric de Holstein[18], souverain du Schleswig et héritier du royaume de Norvége, tandis que du côté de l’Allemagne méridionale, le duc de Wurtemberg, le margrave de Bade et l’évêque de Strasbourg n’étaient pas éloignés de se mettre à sa dévotion.
Il y avait alors dans le corps germanique un homme très puissant quoiqu’il ne fût ni électeur, ni prince, ni comte, et François Ier ne manqua point de se l’attacher : c’était le fameux Franz de Sickingen. Il appartenait à la plus ancienne noblesse possessionnée des environs du Rhin; ses ancêtres avaient combattu en Italie pour les empereurs souabes, et son père avait été proscrit par l’empereur Maximilien pour avoir soutenu les armes à la main les prétentions de la maison palatine à l’héritage de la Bavière-Landshut. Sickingen avait acquis une importance extraordinaire en Allemagne[19]. Il pouvait à toute heure mettre au service de ses alliés deux mille chevaux bien équipés, dix mille vaillans lansquenets, une nombreuse artillerie, et leur ouvrir les portes de plus de vingt-trois forteresses[20]. D’une bravoure entreprenante, d’un caractère chevaleresque, d’un esprit cultivé, élève de Reuchlin, le chef des érudits allemands, ami d’Ulrich de Hutten, qui fut son compagnon à la guerre, son lecteur pendant la paix, et se fit le chantre poétique de sa renommée de la Moselle à l’Elbe[21], Sickingen aimait les armes et les lettres. Continuateur des vieilles mœurs de son pays, défenseur des idées nouvelles de son temps, il se plaisait dans les hasards des grandes aventures et les entretiens élevés des savans, et avait dans le principal de ses châteaux une imprimerie à côté de ses canons[22].
À cette époque d’impuissance publique et de guerres privées, où il n’était guère possible d’obtenir justice qu’en se la rendant à soi-même, Franz de Sickingen s’était fait comme le justicier général et armé de la vaste contrée qu’arrosent la Moselle, le Rhin, le Necker, le Mein et la Lahn. La noblesse, accoutumée aux confédérations particulières, s’enrôlait avec empressement sous sa victorieuse bannière. Sickingen, à la tête d’armées de plus de quinze mille hommes, se chargeant des querelles des faibles et des droits des impuissans, avait tour à tour marché contre le comte Reinhard des Deux-Ponts, la ville impériale de Metz, le duc Antoine de Lorraine, le landgrave Philippe de Hesse, qu’il avait contraints à accorder des réparations ou réduits à souscrire des arrangemens. Mis au ban de l’empire pour avoir pillé les marchands de Worms et fait le siège de leur ville, il avait bravé la colère de Maximilien dans sa citadelle d’Ebernbourg, près de Creuznach, qui devint bientôt l’asile des lettres effrayées ou de la piété en péril, et que ses protégés reconnaissans appelèrent l’Hôtellerie de la Justice[23]. Cette forteresse s’élevait sur un rocher vaste et escarpé au pied duquel coulaient les eaux de l’Alseuz; ses abords étaient protégés par de nombreuses batteries de canon, et les voûtes intérieures en avaient été mises à l’épreuve de la bombe. Le puissant possesseur d’Ebernbourg, le chef valeureux de la noblesse secondaire de l’Allemagne, entra alors au service de François Ier. Le maréchal de Fleuranges, de la maison de La Marck, avec laquelle Sickingen était en étroite alliance, le conduisit au château d’Amboise, où ce prince lui fit le plus grand accueil. François Ier donna à Sickingen et aux douze gentilshommes de sa suite de magnifiques chaînes d’or, et il accorda ame pension considérable de 3,000 livres[24] au précieux auxiliaire qui pourrait plus tard, s’il en était besoin, lever une armée à l’appui de ses desseins.
Cependant le jeune roi catholique ne devait pas se laisser enlever ainsi La couronne impériale qu’avaient portée dans le XIIIe et dans le XIVe siècle Rodolphe de Habsbourg et Albert Ier, ses ancêtres paternels, et qui depuis quatre-vingt-un ans semblait fixée dans sa maison. Ses vastes états auraient été compromis si François Ier, qu’il avait pour voisin en Flandre, en Franche-Comté, en Espagne, en Italie, s’établissait aussi en Allemagne. Il mit tout en œuvre pour l’en empêcher. Jusque-là il s’était ménagé avec soin l’amitié de ce prince, afin d’éviter la guerre vers les Pays-Bas, de prévenir l’invasion du royaume de Naples et de n’être pas troublé dans la prise de possession de la péninsule espagnole. Il lui avait prêté hommage, comme son vassal, pour les comtés de Flandre et d’Artois, et, par le traité de Noyon, il avait accepté pour future femme Louise de France, fille de François Ier, qui, en considération de ce mariage, lui céda ses droits sur le royaume de Naples. Gendre éventuel et ami momentané de François Ier, le roi de Castille avait réconcilié son aïeul et son beau-père. Arrachant Maximilien à ses turbulens desseins et à ses ligues agressives, il avait obtenu son adhésion au traité de Noyon, et moyennant 200,000 écus d’or il avait décidé le nécessiteux empereur à rendre aux Vénitiens alliés de la France la seule place qui lui fût restée de ses conquêtes sur eux. Le traité de Noyon du 13 août 1516 avait été confirmé le 11 mars 1517 par le traité de Cambrai, dans lequel le roi très chrétien et le roi catholique avaient renvoyé la question difficile du royaume de Navarre à une conférence qui se tiendrait prochainement à Montpellier. Après toutes ces stipulations, Charles, en constante amitié avec Henri VIII, en alliance étroite avec François Ier, en accord parfait avec Maximilien, s’apprêtait à partir pour l’Espagne afin d’y consolider sa puissance, qu’il avait mise à l’abri de toute atteinte du côté des Pays-Bas, qu’il comptait avoir assurée en Italie et qu’il espérait étendre plus tard à l’Allemagne.
C’est dans ce moment qu’il fut instruit des dangereuses menées de François Ier. Il ne voulait pas enfreindre la paix, qui lui était nécessaire; et qu’il avait rétablie avec tant de peine dans l’occident de l’Europe : mais il n’entendait pas non plus que le roi de France, devenu son compétiteur, se servit de la paix pour lui enlever d’avance la couronne impériale. Des côtes de la Zélande, où il allait s’embarquer, il chargea le trésorier Villinger d’informer l’empereur de toutes les pratiques françaises auprès des électeurs; plusieurs d’entre eux s’offraient à soutenir ses propres prétentions, qu’il était résolu à faire prévaloir par tous les moyens, s’il obtenait l’assentiment et le concours de son aïeul[25]. Il monta ensuite sur la flotte qui devait le conduire en Espagne, et il s’éloigna des lieux où s’était déjà ouvert le marché électoral. Mais l’empereur son grand-père y restait pour lui. Attaché à la grandeur de sa maison, qu’il avait singulièrement accrue, Maximilien sentait la nécessité de ne pas la laisser déchoir, et d’en unir les états dispersés par le lien puissant de l’autorité impériale. Il entra donc, et avec son ardeur accoutumée, dans les vues de son petit-fils. Avant tout, il lui fit connaître ce qu’il devait accorder de faveurs, dépenser d’argent, offrir de pensions, s’il ne voulait pas échouer dans une pareille entreprise. C’est ce que lui écrivirent de sa part le trésorier Villinger et le secrétaire Renner[26], instruits à fond de la position, du caractère et des intérêts des princes allemands.
Charles était aux prises avec les difficultés d’un règne nouveau, lorsqu’il reçut en Espagne les instructions qui lui étaient transmises et les demandes qui lui étaient adressées par les deux conseillers de l’empereur. Il venait de prendre possession de la souveraine autorité dans la Castille. Ce n’était pas sans quelque peine qu’il avait été reconnu roi du vivant de sa mère, Jeanne la Folle, enfermée à Tordesillas. Les grands et les villes lui avaient cependant prêté serment d’obéissance dans les certes de Valladolid, après qu’il eut juré lui-même d’observer leurs lois et de garder leurs privilèges; mais les Flamands qui l’entouraient excitèrent l’animadversion et la jalousie des Castillans par l’excès de leur pouvoir et de leur cupidité. Le gouverneur Chièvres et le chancelier Jean Le Sauvaige dirigeaient tout et vendaient tout autour de lui. Les Flamands traitaient l’Espagne comme les Espagnols avaient traité l’Amérique, et dans leur avidité cynique et offensante ils allaient jusqu’à appeler ceux-ci leurs Indiens[27]. Aussi préparaient-ils le terrible soulèvement des communeros, et ils rejetaient même du côté de la France les grands, indignés de l’abandon où on les laissait. Les personnages les plus considérables des deux Castilles visitaient assidûment La Roche-Beaucourt, et, aussi nombreux à la table de l’ambassadeur de François Ier qu’à la cour du roi Charles, ils lui disaient : « Quand il le vouldra, votre maistre trouvera autant de serviteurs en ce pays qu’en lieu qu’il sauroit souhaiter[28]. » La présence de l’infant Ferdinand dans la Péninsule, l’ambition qu’il avait déjà montrée, l’attachement que lui portaient les Espagnols, au milieu desquels il avait été élevé, dont il parlait la langue et suivait les mœurs, n’inspiraient pas moins d’inquiétude au roi son frère. Aussi, malgré le vœu formel des cortès, se décida-t-il à ne pas le laisser dans un pays où les mécontens pourraient un jour le prendre pour chef. Dans son trajet de Valladolid à Saragosse, il l’éloigna sans bruit de l’Espagne et l’envoya en Flandre. Fort soucieux des dispositions des Castillans, encore incertain sur l’obéissance des Aragonais, par lesquels il allait se faire reconnaître comme roi, ils se trouvait de plus tellement pauvre, qu’il fut réduit, peu de temps après, à emprunter 70,000 ducats du duc de Verajas, du duc d’Arcos et du comte de Benavente pour l’entretien de sa maison[29]. Il en était là quand lui parvint le message de son grand-père Maximilien.
Malgré la pénurie de ses finances, Charles se procura 100,000 ducats, qu’il fit porter à l’empereur par son chambellan Jean de Courteville. Il obtint en outre de trois banquiers de Gênes et d’Augsbourg qu’ils en mettraient à sa disposition 200,000 autres au mois d’avril 1519 ; mais il n’offrit que des pensions de 4,000 florins aux électeurs, et il défendit à Courteville de rien débourser sans être certain que l’empire lui serait accordé. Maximilien, mécontent de cette parcimonie et de ces précautions, également contraires au succès d’un dessein qui exigeait beaucoup de libéralité et de confiance, écrivit à son petit-fils pour lui en exprimer sa surprise. Il lui dit que les pensions offertes étaient trop petites, que la somme envoyée était insuffisante, et que d’ailleurs il fallait pouvoir s’en servir tout de suite, parce que sans cela les princes allemands croiraient plus à l’argent comptant des Français qu’à ses bonnes paroles. Il insista fortement sur la nécessité de dépenser sans hésitation et d’agir sans retard. « pour gagner les gens, ajouta-t-il, il faut mettre beaucoup en aventure. Veuillez donc bien penser à notre conseil et le suivre, autrement il n’y a pas d’apparence de conduire notre affaire au désir et à l’honneur de nous deux. Il nous déplairoit fort d’avoir eu tant de peine et labeur pour faire grande et exalter notre maison et toute notre postérité, et de voir tout mis au hasard par une faute ou une négligence[30]. » Il convoqua en même temps les électeurs à Augsbourg pour le mois d’août.
La diète se réunit à l’époque fixée. Elle avait deux grands objets : l’un public, la défense de la chrétienté contre l’invasion imminente des Turcs; l’autre secret, la succession à l’empire d’Allemagne. Le premier n’était cependant pas étranger au second, car le pape devait se déclarer ouvertement en faveur de celui des deux compétiteurs qui, par son âge, sa gloire, sa puissance militaire, lui semblait le plus capable d’arrêter les progrès de l’invasion musulmane. Léon X ne semblait occupé dans le moment que de cet immense péril. Sélim Ier, continuant l’œuvre de ses plus heureux et de ses plus terribles prédécesseurs, s’apprêtait à attaquer l’Occident. En trois années, de 1514 à 1517, il avait vaincu le sophi de Perse Ismaïl à Tschaldiran, et lui avait enlevé le Diarbekir, Orfa et Mossoul, entre l’Euphrate et le Tigre; il avait battu complètement le Soudan d’Egypte à Alep et au Caire, détruit l’empire des Mamelucks, occupé la Syrie, la Palestine, l’Egypte, reçu la soumission du chérif de la Mecque et de beaucoup de tribus arabes. Après avoir consolidé ses conquêtes et créé une puissante flotte de plus de deux cents voiles, il était rentré à Constantinople, plus menaçant que jamais pour l’Europe, dont ses armes n’avaient été détournées que par la guerre si vite achevée d’Orient.
L’approche du danger avait ému le chef spirituel de la république chrétienne. Il craignait que les Turcs, établis sur le Bosphore, maîtres de la Bessarabie, de la Bulgarie, de la Roumélie, de la Servie, de la Bosnie, déjà parvenus dans la Croatie et sur les côtes de la Dalmatie, n’attaquassent en même temps le boulevard le plus avancé et le centre même du christianisme par une invasion en Hongrie et une descente en Italie. Il poussa de bonne heure le cri d’alarme, et s’efforça d’unir les rois et les peuples de l’Occident, alors en paix les uns avec les autres, dans une nouvelle guerre sainte contre l’ennemi commun de leur foi et de leur indépendance. Il fit décréter la croisade dans la douzième et dernière session du concile de Latran, autorisa les souverains confédérés à Cambrai à tirer du clergé par des décimes l’argent qu’exigerait la levée des troupes, et leur adressa un long mémoire pour concerter avec eux la conduite de l’expédition sacrée.
Chacun d’eux proposa un emploi différent des forces chrétiennes. François Ier déclara qu’il consacrerait armes, hommes, chevaux, canons, vaisseaux, argent, sa vie même, à une si sainte et si nécessaire entreprise. Il s’engagea, pourvu qu’on préparât les fonds nécessaires, à réunir quatre mille hommes d’armes, huit mille chevau-légers, cinquante mille hommes de pied, et, suivi des Écossais, des Suisses, des Lorrains, des Savoisiens, des Vénitiens, des Florentins, des Siennois, à attaquer les Turcs par le Frioul et l’Illyrie, tandis que l’empereur, les rois de Hongrie et de Pologne, les princes d’Allemagne, marcheraient contre eux du côté de la Hongrie, et que les rois d’Espagne, de Portugal, d’Angleterre, leur feraient face dans la Méditerranée. L’empereur Maximilien, à l’imagination duquel rien ne coûtait, avait conçu un plan gigantesque, dont l’exécution aurait exigé plusieurs années, et qui, faisant remonter les nouveaux croisés d’occident en orient par l’Afrique, l’Europe et l’Asie, aurait conduit leurs bandes victorieuses jusqu’à Jérusalem, où elles se seraient rejointes, après avoir chassé devant elles les Turcs dépossédés de leurs anciennes et de leurs récentes conquêtes. Moins intempérant et plus judicieux que lui, son petit-fils demanda que l’expédition fût ajournée à l’année suivante, les princes chrétiens n’étant pas encore en mesure de l’entreprendre, et qu’en attendant la France, l’Espagne, le saint-siège, Venise, Florence, etc., défendissent l’Italie contre les Turcs. Les forces de l’Allemagne, de la Pologne, de la Bohème et de la Hongrie serviraient à les repousser, s’ils attaquaient la chrétienté du côté du Danube[31].
Afin de poursuivre ce projet et d’y faire entrer l’Allemagne, Léon X avait envoyé à Augsbourg, comme son légat auprès de l’empereur et de la diète, le dominicain Thomas de Vio, cardinal de Saint-Sixte. Le légat apporta à Maximilien l’épée et le chapeau bénits par le souverain pontife, et conjura la diète germanique de fournir son contingent dans la grande croisade qui servirait à délivrer l’Europe, à reprendre Constantinople, à conquérir même Jérusalem. Il fut donc proposé de lever un homme par cinquante propriétaires de maison, et d’appliquer à l’entretien de cette armée le dixième du revenu des gens d’église et le vingtième du revenu des laïques; mais la diète refusa cet impôt comme trop écrasant pour l’Allemagne, déjà épuisée par toutes les exactions ecclésiastiques. Mêlant le cri public à la parole depuis quelque temps tonnante de Luther, elle fit entendre ses plaintes sur les abus du pouvoir pontifical, l’extension des annates, le mépris des concordats, et elle prétendit que l’argent demandé ne serait pas plus employé à la guerre contre les Turcs que celui des indulgences ne l’était à la construction de l’église de Saint-Pierre. Agitée par un esprit nouveau de résistance, elle fit au nom des intérêts ce que Luther entreprenait au nom des croyances. Elle ne céda pas plus aux invitations du souverain pontife que Luther n’obéit aux injonctions du légat, devant lequel il comparut à Augsbourg, et la diète, défiante et indocile, mit un terme aux croisades au moment même où le moine convaincu et désobéissant commençait les révolutions. Elle se borna en effet à prescrire que, durant trois années, chaque personne admise à la communion payât au moins le dixième d’un florin, et que le produit de cette contribution pieuse fût conservé par les gouvernemens jusqu’au moment de la guerre. Accorder si peu et si tard, c’était tout ajourner et tout interdire.
Tandis que se discutait cet objet ostensible de la diète, les négociations secrètes pour l’empire se poursuivaient avec les électeurs. Maximilien, arrêté un instant par la défiance parcimonieuse de son petit-fils, avait emprunté à la banque des Fugger 30,000 florins d’or pour défrayer les princes venus surtout à Augsbourg dans un intérêt qui lui était particulier[32]. Enfin arrivèrent les nouvelles instructions du roi catholique, qui envoyait une assignation de 100,000 ducats de plus sur le royaume de Naples, et qui autorisait à se servir immédiatement de l’argent porté par Courteville. Maximilien se mit alors à l’œuvre vivement. Il obtint sans peine la voix du jeune roi de Bohême en distribuant 11,000 florins d’or aux ambassadeurs du roi de Pologne, qui était avec lui cotuteur de ce prince. Le suffrage de l’électeur de Cologne n’avait pas été engagé encore; il l’acquit au prix peu élevé de 20,000 florins d’or et d’une pension de 6,000. Afin de l’affermir dans ses volontés, qu’il savait n’être pas invariables, il gratifia de sommes et de pensions — proportionnées à l’influence qu’ils exerçaient sur lui — ses deux frères, les comtes Guillaume et Jean de Wied, son chancelier, ses divers conseillers, et Guillaume de Newenar, l’un des comtes les plus puissans de l’électorat.
Il semblait beaucoup moins facile de gagner l’archevêque de Mayence et le margrave de Brandebourg. Ce dernier, en partant pour la diète d’Augsbourg, avait fait assurer François Ier de la fidélité persévérante qu’il garderait envers lui, et le prince électoral son fils avait envoyé une bague montée d’un beau diamant à Mme Renée de France, qu’il considérait comme sa fiancée[33]. Il n’avait su cependant résister ni aux instances, ni aux offres de Maximilien. Défaisant un mariage par un autre, l’empereur avait promis la plus jeune de ses petites-filles, l’infante Catherine, au fils du margrave, auquel elle serait remise l’année suivante avec une dot de 70,000 florins d’or payables le jour de l’élection, outre 30,000 en don gratuit. L’archevêque de Mayence, qui reçut le chapeau de cardinal à Augsbourg, dut avoir pour sa part 52,000 florins d’or comptant, une crédence et un service d’argent à sa discrétion, et le prix d’une belle tapisserie qu’il avait commandée en Flandre. Deux pensions de 8,000 florins d’or étaient assurées aux deux frères sur les villes d’Anvers et de Malines, dont ils exigeaient la garantie formelle. Maximilien s’applaudissait d’avoir détaché de François Ier l’électeur de Brandebourg, tout en trouvant qu’il faisait payer cher son infidélité à la France et son retour à l’Autriche. « Le marquis, disait-il, couste beaucoup à gagner; toutefois son avarice est avantageuse au seigneur roi (mon petit-fils), car par elle il parvient à son désir[34]. » Il récompensa d’une somme de 12,000 florins d’or et d’une pension le zèle ardent que déployait pour la maison impériale le margrave Casimir de Brandebourg de la branche de Franconie.
Le comte palatin ne s’était pas rendu à la diète. Il avait envoyé un messager à François Ier pour l’assurer de ses bonnes dispositions[35], et il chassait à Dilsberg[36] pendant que Maximilien pratiquait les électeurs à Augsbourg. Son éloignement inquiéta le vieil empereur, qui en connaissait les causes trop fondées. Il se servit, pour l’amener et le séduire, de son frère le comte Frédéric, qui n’avait pas moins à se plaindre de la maison d’Autriche, dont il avait reçu naguère un affront public, mais à laquelle il portait un long et inébranlable attachement. Ce cadet de la maison palatine, élevé auprès de l’archiduc Philippe le Beau, demeuré à la cour du roi Charles, avait conçu une passion romanesque pour l’infante Éléonore, qui le payait de retour; il avait même obtenu de cette princesse, alors âgée de vingt ans, qui épousa en 1518 le roi Emmanuel le Fortuné, et en 1530 François Ier, une promesse de mariage. Le roi Charles surprit entre les mains de sa sœur une lettre d’amour du comte Frédéric, qui l’appelait sa mie[37] et lui disait : « Je suis prest de ne demander aultre chose, synon que je soye à vous et vous à moy. » L’altier descendant des empereurs et des rois, courroucé de ce langage et d’une semblable prétention de la part d’un petit prince sans territoire et sans souveraineté, fit rompre devant un notaire apostolique, en présence du seigneur de Chièvres, du seigneur de Rœulx, du baron de Montigny, du chambellan Courteville, tous chevaliers de la Toison-d’Or, et par la déclaration des deux parties, l’engagement qu’elles avaient pris l’une à l’égard de l’autre[38] ; puis il éloigna durement le comte Frédéric sans consentir à le voir, malgré ses supplications[39], et il conduisit sa sœur en Espagne pour la marier avec le roi de Portugal. Après cette expulsion offensante, qui avait eu lieu l’année d’auparavant, vers la fin d’août, le comte Frédéric s’était retiré à Amberg, dans le haut Palatinat. Son affection pour le roi Charles survivait à sa disgrâce. Il lui avait écrit, en le quittant, qu’il continuerait à le servir en quelque lieu qu’il se trouvât et qu’il ferait avec bonheur tout ce qu’il lui commanderait[40]. Mandé alors à Augsbourg, il se rendit en toute hâte auprès de l’empereur, qui oublia les hardiesses qu’il s’était permises et lui fit oublier les affronts qu’il avait reçus. Maximilien le combla de ses bonnes grâces et lui accorda 20,000 florins d’or avec une pension, s’il entraînait l’électeur son frère à Augsbourg et le décidait à conclure avec lui un accord politique et électoral. Afin de faciliter sa venue, il mit ses états sous la sauvegarde de l’empire, et il interdit à la ligue de Souabe d’exercer contre lui aucune espèce de représailles à cause des déprédations dont avaient souffert les marchands de Worms de la part de Franz de Sickingen, l’un des châtelains du Palatinat. Il promit de faire la paix de l’électeur avec cette redoutable ligue et de le dédommager de ce que la maison d’Autriche avait enlevé à la maison palatine. Le comte Frédéric partit pour Dilsberg et persuada si bien le faible et changeant électeur par la double considération de la crainte et de l’intérêt, qu’il le conduisit à la diète presque vaincu. Maximilien acheva sa défaite assez aisément. Il acquit son suffrage en lui accordant l’investiture de ses fiefs, en renouvelant l’alliance héréditaire entre l’Autriche et le Palatinat, en lui assurant 80,000 florins comme compensation de l’avouerie d’Haguenau qu’il ne pouvait pas lui rendre parce qu’elle couvrait les possessions autrichiennes du côté de l’Alsace[41], enfin en offrant de donner 20,000 florins d’or à la ville de Worms pour réparer les dommages commis envers elle par Sickingen. L’empereur voulait réconcilier avec les confédérés de la ligue de Souabe, — dont faisaient partie vingt-deux villes impériales, les nobles de la compagnie de Saint-George, les ducs de Bavière et les archiducs d’Autriche, — cet indomptable chef de bande qui devait jouer un grand rôle dans l’élection. Sickingen venait de se brouiller avec François Ier fort peu de temps après être entré à son service. Un marchand allemand en contestation avec des marchands milanais qui ne voulaient pas le payer s’adressa à lui comme au justicier national. Sickingen acheta sa créance qu’il fit acquitter les armes à la main par les Milanais qui trafiquaient en Allemagne. Ceux-ci portèrent leurs plaintes à leur souverain François Ier, qui suspendit la pension de Sickingen[42] L’aventurier allemand fut par-là poussé du parti de la France dans celui de l’Autriche. Maximilien s’empressa de l’attacher aux intérêts de son petit-fils, auquel il écrivit : « Touchant Francisque de Sickinghe, il nous semble bien fait de le bien entretenir avec pension et aultrement. Nous l’avons aussi actrait (attiré) à nous, car nous savons qu’il peut faire grand service à nous deux[43]. »
Maximilien avait réussi auprès de cinq électeurs, mais il échoua auprès des deux autres. L’archevêque de Trêves demeura fidèle à François Ier. Il refusa d’engager d’avance au roi catholique sa voix, que la bulle d’or lui prescrivait de conserver libre jusqu’au jour de l’élection. Ce qui ne fut pour lui qu’un prétexte dont il couvrit sa politique et sa loyauté servit de fondement à la conduite du duc Frédéric de Saxe. Cet électeur, dont la probité et la fermeté étaient inaccessibles à la corruption et à la crainte se déclara ouvertement contre les arrangemens proposés. Son opposition et la résistance de l’archevêque de Trêves contrarièrent Maximilien sans l’arrêter. Assuré de la majorité du collège électoral qu’il avait enlevée à François Ier, moyennant la somme énorme de 514,075 florins d’or (valant au moins 27,245,975 fr. de notre monnaie), indépendamment de 70,400 de pensions qui seraient touchées à Malines, à Anvers, à Francfort[44], et dont le gouvernement des Pays-Bas cautionnerait l’exact paiement, il se montra décidé à passer outre. Il fit signer le 27 août aux quatre électeurs gagnés, ainsi qu’aux représentans du cinquième, la promesse formelle d’élire roi des Romains son petit-fils, au nom duquel il leur garantit, par des lettres reversales, le maintien de leurs privilèges particuliers, des droits généraux de leur pays, et donna l’assurance que l’administration de l’empire serait concertée avec les princes allemands et confiée à des mains allemandes[45]. Ces engagemens réciproques furent échangés le 1er septembre 1518.
L’empereur Maximilien fit aussitôt partir pour l’Espagne Jean de Courteville, avec les seize pièces relatives aux acquisitions de votes, convention de mariage, promesses d’argent et de pensions, garanties de privilèges, qu’il avait stipulées dans l’intérêt et au nom de son petit-fils[46]. Il invitait celui-ci à les signer sans retard, à n’y introduire aucun changement, à les expédier bien vite, afin de lier définitivement les électeurs envers lui et de ne pas ébranler l’édifice si coûteusement élevé de sa grandeur. Il lui représentait de plus comme indispensable l’envoi immédiat de lettres de change sur les banques des Fugger et des Welser à Augsbourg pour 450,000 florins d’or à toucher avant l’assemblée de Francfort. Sur ces 450, 000 florins qui s’ajoutaient aux 75,000 déjà apportés par Courteville, le besoigneux empereur, que les Italiens appelaient si justement pochi danari, s’en attribuait 50, 000. Ils étaient destinés à le défrayer de ses dépenses à la diète prochaine de Francfort, où, après avoir reçu la confirmation que le roi Charles donna le 24 décembre des arrangemens pris à Augsbourg, il devait se rendre avec les électeurs pour y faire nommer et proclamer son petit-fils roi des Romains.
François Ier n’avait pas appris sans une pénible surprise ce qui s’était passé à Augsbourg. L’archevêque de Trêves lui avait envoyé son secrétaire pour l’en instruire. L’électeur de Brandebourg lui-même, embarrassé de son infidélité et voulant en atténuer la honte, avait, le 16 août, prévenu Baudouin de Champagne, seigneur de Bazoges, ambassadeur de François Ier auprès de Maximilien, que l’entreprise de son maître était désespérée, parce que le roi catholique avait déjà 5 voix contre 2. Il avait ajouté cependant qu’on pourrait regagner l’archevêque de Mayence et les autres électeurs à force d’argent; mais il n’avait donné pour avoir la réponse du roi que dix-huit jours, terme au bout duquel tout serait conclu. Ce délai était illusoire, car il était déjà expiré lorsque la dépêche de Bazoges fut remise, le à septembre, à François Ier, qui était alors à Vannes. Ce prince n’en expédia pas moins sur-le-champ cinq pouvoirs en blanc à Bazoges, auquel il adjoignit Marigny, bailli de Senlis, pour traiter avec les électeurs[47] ; mais il n’y avait déjà plus personne à Augsbourg.
François Ier ne se laissa point décourager par le manque de foi du comte palatin, de l’archevêque de Mayence et du margrave de Brandebourg. Il pensa que, les ayant perdus malgré leurs anciennes promesses, il pourrait les regagner malgré leurs nouveaux engagemens. Il fit donc partir pour l’Allemagne d’abord Joachim de Moltzan, conseiller de l’électeur de Brandebourg et qu’il avait pris à son service, ensuite Beaudouin de Champagne, avec les offres les plus capables de tenter ces princes[48] ; mais, pour qu’ils se laissassent séduire, il fallait que l’élection ne se fît pas tout de suite à Francfort. Or cette élection rencontra un obstacle légal : Maximilien, n’ayant pas été couronné empereur, n’était que roi des Romains. Dès lors, un roi des Romains existant déjà, on ne pouvait pas en nommer un second, comme le représentèrent avec force et non sans succès le duc Frédéric de Saxe et l’archevêque de Trêves.
Maximilien n’osa point procéder à une élection nouvelle avant d’avoir reçu lui-même la couronne impériale. Cette couronne se donnait en Italie. Irait-il la prendre à Rome à la tête d’une armée, au risque de remettre ce pays en feu et de troubler la paix toute récente de l’Europe ? C’est ce que craignait la cour timide du roi d’Espagne. Peu rassurée sur les dispositions de la Castille et de l’Aragon et cherchant à résoudre amiablement dans les conférences de Montpellier les difficultés qui subsistaient entre elle et la cour de France relativement au royaume de Navarre, elle ne voulait pas s’exposer dans ce moment à la guerre et souhaitait que l’empereur n’entreprît pas ce périlleux voyage[49]. Maximilien se borna donc à faire demander par son petit-fils au pape que la couronne impériale lui fût envoyée dans la ville de Trente, et que les cardinaux de Médicis et de Mayence fussent désignés pour y accomplir, le jour de la Noël, la cérémonie solennelle de son couronnement[50]. Ce projet était chimérique. Il devait rencontrer et l’objection des usages jusque-là consacrés et la résistance du pape Léon X, qui, étroitement uni à François Ier, ne se souciait pas de favoriser l’élévation du roi de Naples à l’empire, contrairement aux intérêts de son allié et aux maximes du saint-siège depuis la bulle de Clément IV.
Aussi Maximilien, avant d’avoir pu réaliser le dessein qui devait assurer la grandeur héréditaire de sa maison, fut surpris par la mort. Il avait bien près de soixante ans, et sa santé était depuis quelque temps chancelante. Tourmenté par la fièvre dans le Tyrol, il était allé, pour s’en délivrer, dans la haute Autriche. Là, pendant qu’il était à la chasse, il éprouva une soif ardente qu’il crut apaiser en mangeant du melon avec excès. Cette imprudence augmenta son mal. D’intermittente, la fièvre devint continue et l’enleva à Wels le 12 janvier 1519, Depuis 1515, il portait toujours avec lui un coffre destiné à recevoir ses restes après sa mort. On l’entendait souvent lui adresser la parole lorsqu’il était seul. Pendant ses nuits sans sommeil, il se fit lire l’histoire de ses ancêtres qu’il allait bientôt rejoindre. Il régla lui-même ses funérailles et demanda que son cœur fût porté à Bruges auprès de sa première femme, Marie de Bourgogne; mais, bizarre jusqu’au bout, il prescrivit qu’on rasât son corps et qu’on arrachât ses dents avant de l’inhumer[51].
Ce prince avait l’âme noble, l’esprit inventif, le caractère affable et entreprenant. Réunissant en lui toutes sortes de contrastes, il était crédule et défiant, courageux et irrésolu, pauvre et prodigue, emporté et inconstant. Il agissait tantôt en empereur, tantôt en aventurier. On l’avait vu se mettre de sa personne à la solde des princes avec lesquels il combattait, stipuler une sorte de gratification impériale dans tous les traités qu’il avait conclus, quitter brusquement son armée au milieu d’une campagne parce que, dans les rêves de la nuit, les ombres de Rodolphe de Habsbourg et de Charles le Téméraire lui étaient apparues, et l’avaient averti de se défier des Suisses enrôlés à son service, enfin songer même à se faire élire pape à la mort de Jules II.
Du reste les singularités de sa vie avaient contribué à développer ses bizarreries naturelles, et la dispersion de ses intérêts en plusieurs pays avait provoqué l’inconstance de ses desseins. Enfermé à l’âge de cinq ans dans la citadelle de Vienne, où son père, Frédéric III, était assiégé et où il avait eu pour toute nourriture un mauvais pain de son, longtemps fugitif avec la famille impériale dépouillée de ses états par Mathias Corvin, plus tard prisonnier des Flamands, contre lesquels il avait eu à défendre son pouvoir sous les minorités de son fils et de son petit-fils, après avoir protégé leur territoire contre les manœuvres tortueuses de Louis XI, son imagination s’exalta, et il lui laissa prendre trop d’élan et trop d’empire. Tour à tour occupé des affaires de l’Allemagne sans avoir assez de force pour y introduire la règle, des troubles des Pays-Bas sans posséder l’autorité nécessaire pour les administrer en maître, des guerres d’Italie sans disposer de l’argent indispensable pour y entretenir des armées et s’y établir solidement, il commença beaucoup d’entreprises et n’en acheva aucune. Néanmoins il jeta les fondemens d’un ordre plus régulier en Allemagne, en y supprimant de droit les guerres privées, en y abolissant les tribunaux vehmiques, en y fondant la justice légale de la chambre impériale et du conseil aulique, en achevant de la diviser par cercles. Il fut aussi le véritable auteur de la puissance de sa maison. Par son mariage avec Marie de Bourgogne, il lui procura les Pays-Bas ; par le mariage de son fils Philippe le Beau avec Jeanne de Castille et d’Aragon, il lui ménagea la possession de l’Espagne et du royaume de Naples ; par le mariage projeté de son petit-fils Ferdinand avec Anne de Bohême, il lui valut quelques années plus tard le riche héritage de la Bohème et de la Hongrie. Enfin la transmission de la couronne impériale à Charles, son autre petit-fils, préparée de son vivant, fut assez avancée pour avoir des chances de réussir après sa mort.
Cette mort remettait cependant tout en question. Dès que François Ier en fut informé par la voie de la banque des Fugger[52], il ne perdit pas un instant pour renouer fortement sa trame brisée. Il fit partir pour les cours de tous les électeurs des hommes habiles pris dans la noblesse et dans la judicature, et il couvrit l’Allemagne de ses agens. Il envoya même le maître des requêtes Langhac et le bailli des Montagnes de Bourgogne, Antoine Lamet, seigneur du Plessis, au fond de la Pologne. Ces derniers devaient se rendre, déguisés en pèlerins ou en marchands, auprès du roi Sigismond, tuteur de l’électeur de Bohême, et traiter secrètement avec lui de l’élévation de leur maître à l’empire dans l’intérêt même de la Pologne et de la Hongrie, menacées d’une invasion prochaine[53]. Comme il importait à François Ier de ramener à lui son ancien pensionnaire Sickingen, qui pouvait également le seconder ou le desservir, il chargea le capitaine Brander[54] d’aller lui offrir, avec le retour de son amitié, les avantages les plus considérables. Il dépêcha le bâtard de Savoie en Suisse pour se rendre les cantons favorables en cette importante occasion. Il fit en même temps supplier le pape Léon X de lui accorder l’appui de toute son influence en Allemagne, et prier le roi d’Angleterre, Henri VIII, de s’y déclarer pour sa candidature. L’ambassadeur de ce prince, Thomas Boleyn, lui ayant demandé s’il irait faire la guerre en personne aux infidèles dans le cas où il serait élu, il le saisit vivement par la main, et, posant l’autre sur son cœur, il lui dit : « Trois ans après l’élection, je jure que je serai à Constantinople ou que je serai mort. » Quelques instans après, il ajouta : «Je dépenserai trois millions pour être élu empereur[55]. »
Indépendamment des agens particuliers qui furent attachés à chaque électeur, François Ier, nomma des ambassadeurs chargés de la conduite générale de l’entreprise. Postés en Allemagne, ceux-ci devaient recevoir toutes les correspondances, donner toutes les directions, et conclure les divers traités électoraux qu’il promettait, sur sa parole royale, de ratifier et d’exécuter. Jean d’Albret, comte de Dreux, sire d’Orval et gouverneur de Champagne, Guillaume Gouffier, seigneur de Bonnivet, amiral de France, et Charles Guillart, président au parlement de Paris, furent chargés de cette importante mission[56]. Ils établirent d’abord le quartier-général de la négociation à Lunéville en Lorraine, et le rapprochèrent ensuite davantage des quatre électeurs du Rhin en le transportant à Coblentz. François 1er les autorisa à ouvrir toutes les dépêches qui lui étaient adressées. Il leur donna ou leur envoya tous les blanc-seings qui le rendaient en quelque sorte présent lui-même sur la frontière d’Allemagne, et leur confia le sceau du secret[57]. Ne négligeant rien durant le cours de cette active négociation, il leur écrivit presque chaque jour pour les tenir en haleine, pour les encourager, pour aplanir de sa main souveraine les difficultés suscitées par l’avarice ou la mauvaise foi des princes allemands, et lorsque la timidité de ses ambassadeurs hésitait devant de trop grandes concessions, pour accorder hardiment tout ce qui pouvait faciliter un dessein dont la poursuite agitait son âme et occupait toute sa politique.
Le scrupuleux président Guillart aurait voulu que François Ier persuadât les Allemands au lieu de les acheter, et qu’il obtînt auprès d’eux la préférence sur son rival pour les éclatans mérites de sa personne et les grandes ressources de sa puissance. Il dit au chancelier Du Prat qu’il était de la gloire comme de l’honnêteté du roi son maître de ne parvenir à l’empire ni par force ni par dons. François Ier n’accepta pas cette manière un peu trop pure et complètement inusitée de traiter avec des princes allemands, et il écrivit à son candide négociateur : « Si nous avions à besogner à gens vertueux ou ayant l’ombre de vertus, votre expédient seroit très honneste; mais en temps qui court de présent, qui en veult avoir, soit papauté, ou empire, ou aultre chose, il y fault venir par les moyens de don et force, et ceulx ausquels l’on a à besogner ne font la petite bouche de demander, et à l’argent de la marchandise menée par l’empereur, s’il estoit encores en vie, estoit prest aux bancques d’Allemaigne pour estre délivré. La fin que je tendz n’est pernicieuse ni mauvaise, car avarice, cupidité de dominer, ni ambition ne me meuvent, mais seullement l’intention qu’ay de faire la guerre aux Turcs que j’exécuterai par là plus facilement[58]. »
Argent, pensions, faveurs, les agens de François Ier étaient autorisés à tout offrir à chaque électeur, pour le gagner à quelque prix que ce fût. Ils devaient en outre faire valoir des raisons générales assez habilement exposées dans leurs instructions. L’empereur étant le chef suprême et le défenseur naturel de la chrétienté, ces instructions recherchaient quel était le prince qui pouvait le mieux remplir cette grande charge dans un moment où le territoire chrétien était menacé. François Ier s’y exprimait en ces termes sur lui-même : « Content de ce qu’il a plu à Dieu de lui donner, le roi très chrétien, qui n’est mu par aucun motif d’intérêt ni d’ambition, n’aurait point visé à l’empire qu’il sait lui devoir plus coûter et peser que profiter, s’il n’y avait pas été invité par ceux qui demandent à être défendus, et si son grand désir d’être utile à la chrétienté ne l’y avait point décidé. Il est jeune et à la fleur de son âge, libéral, magnanime, aimant les armes, expérimenté et habile à la guerre, ayant de bons capitaines, un gros royaume, plusieurs pays, terres et seigneuries riches et puissantes où il est aimé et obéi tellement qu’il en tire ce qu’il veut; il a un grand nombre de gens d’armes qu’il tient continuellement à sa solde, et qui sont aussi vaillans que nuls autres de la chrétienté, beaucoup d’artillerie montée et d’aussi bons canonniers qu’on puisse trouver, des ports et havres en son royaume et dans ses autres pays, tant sur la mer Méditerranée que sur l’Océan, avec navires, galères, carraques, etc., équipés et armés. Il a bonne paix et amitié avec tous ses voisins, en sorte qu’il pourra employer au service de Dieu et de la foi sa personne et tout son avoir, sans que nul ne le détourne et que rien ne l’en empêche[59]. »
Il peignait son rival, le roi catholique, sous de tout autres couleurs, et chargeait ses ambassadeurs de représenter « qu’il était en bas âge, qu’il n’avait aucune expérience et aucune pratique de la guerre, où il n’avait jamais paru encore; qu’il était maladif et hors d’état de porter un si lourd fardeau; qu’il gouvernait par des serviteurs qui bien souvent s’occupaient plus de leur intérêt que de la chose publique; que ses royaumes étaient éloignés de l’Allemagne, et qu’il lui serait impossible de la secourir dans ses dangers et de l’aider dans ses affaires; que les mœurs des Espagnols étaient tout à fait contraires à celles des Allemands, comme on l’avait va lorsqu’ils avaient fait la guerre ensemble; enfin que le roi catholique était roi de Naples, et qu’aucun roi de Naples, par suite même du serment qu’il prêtait lors de son investiture, ne devait aspirer à l’empire, et que, s’il y parvenait, ce serait entre lui et le pape un commencement de guerre qui remettrait la division dans la chrétienté, maintenant unie[60]. » Le grand intérêt de François Ier était encore plus d’empêcher son puissant compétiteur d’être élu empereur que de le devenir lui-même ; aussi recommanda-t-il subsidiairement à ses ambassadeurs, s’ils ne pouvaient pas le faire nommer, d’offrir la couronne ; à l’électeur de Brandebourg, ou à l’électeur de Saxe, ou bien encore au roi de Pologne,
Le roi catholique avait senti à son tour combien il lui importait de ne pas échouer dans cette épreuve décisive, après avoir réussi dans la précédente. Il était au monastère de Montserrat, dans le. royaume d’Aragon, lorsqu’il connut, au commencement de février, la mort de son grand-père. Après les premiers momens donnés à la douleur et au deuil, il transmit en Allemagne les ordres nécessaires pour y reprendre et y poursuivre vivement l’entreprise de son élection. Il en confia d’abord la conduite à Mathieu Lang, cardinal de Gurk, très attaché à la maison d’Autriche, mais fort peu aimé en Allemagne. Il désigna comme devant le seconder Michel de Wolkenstein, le chancelier Sarentein, le trésorier Villinger, les secrétaires Renner et Ziegler, qui avaient si longtemps manié, sous son grand-père, les affaires de l’empire, et son propre chambellan, l’actif et insinuant Armerstorff. Cependant, ayant appris plus tard que les électeurs répugnaient à traiter avec le cardinal de Gurk, il envoya celui-ci au Tyrol et en Autriche, où l’interrègne avait occasionné des troubles, et il chargea le comte Henri de Nassau et le maître des requêtes Gérard de Pleine, seigneur de La Roche, de diriger la négociation. Il y employa aussi le prince-évêque de Liège et le seigneur de Sedan, que François Ier avait imprudemment détachés de lui, en ne faisant pas donner à l’un le chapeau de cardinal, comme il le lui avait promis, et en cassant la compagnie d’hommes d’armes dont il avait confié le commandement à l’autre[61]. Il ordonna, d’attirer à son service Sickingen à quelque prix que ce fût, et il écrivit à Maximilien de Berghes, seigneur de Zevenberghen, qui unissait beaucoup de dextérité à beaucoup d’ardeur, de se rendre en Suisse pour y déjouer les pratiques du bâtard de Savoie, et obtenir des cantons qu’ils se déclarassent contre les prétentions du roi très chrétien. Il chargea aussi don Luis Carroz, son ambassadeur auprès du saint-siège, de lui concilier la faveur du pape, et il demanda à Henri VIII de le préférer à son rival. Avant que la distance des lieux lui permît de prendre toutes ces mesures, ses intérêts n’avaient pas été négligés en Allemagne. La gouvernante des Pays-Bas, Marguerite d’Autriche, sa tante, l’avait habilement suppléé. Cette princesse, qui le seconda jusqu’au bout par la sagesse de ses conseils, l’activité de ses démarches, par l’influence que conservait auprès des princes allemands la fille de Maximilien, avait envoyé en toute hâte Maximilien de Berghes à Augsbourg pour qu’il s’y concertât avec Villinger, Renner et Ziegler. Ces trois conseillers principaux de l’ancien empereur s’étaient mis à l’œuvre avec ardeur. Ils avaient décidé le comte palatin Frédéric à poursuivre auprès de son frère, l’électeur Louis, ce qu’il avait si bien commencé à Augsbourg, et à le maintenir ferme dans ses engagemens. Le margrave Casimir de Brandebourg-Culmbach avait consenti à se rendre, dans la même vue, à la cour de son parent l’électeur Joachim. Ils avaient fait partir encore deux agens adroits et exercés pour la Hongrie et la Bohème, en même temps que Marguerite d’Autriche dépêchait de Bruxelles son trésorier Marnix vers l’électeur de Trêves, et chargeait le comte de Nassau , pratiquer celui de Cologne. Enfin Armerstorff s’était rendu à Mayence en passant par Heidelberg[62].
La partie était bien liée des deux côtés. Des deux côtés, on était décidé à ne rien épargner pour réussir, à répandre l’argent, à multiplier les pensions, à promettre les faveurs, à employer même la force. L’Allemagne était dans la plus extrême agitation : elle présentait à la fois l’aspect d’un grand marché et d’un camp. Tout le monde y était à vendre, et tout le monde s’y armait. L’un voulait faire acheter sa voix, l’autre son influence, celui-ci les services indirects qu’il pouvait rendre, celui-là les soldats qu’il proposait d’enrôler. Le territoire de l’empire était incessamment traversé par des courriers qui portaient des dépêches, par des agens des deux rois qui se croisaient dans tous les sens avec leurs brillantes escortes de gentilshommes, et qui se rencontraient ou se succédaient auprès des électeurs dont ils se disputaient les suffrages, par des hommes de guerre qui offraient au parti vers lequel les faisaient incliner leurs préférences des bandes prêtes à en venir aux mains.
François Ier reprit la supériorité au début de cette seconde lutte électorale. Des cinq électeurs qui avaient promis à Augsbourg leurs voix au roi catholique, quatre, le comte palatin, le margrave de Brandebourg, les archevêques de Mayence et de Cologne, s’étaient concertés pour se soustraire à leur engagement, et ils se considéraient de nouveau comme libres. Déjà même le 14 janvier, surlendemain de la mort de Maximilien, le comte palatin avait écrit d’Heidelberg à François Ier qu’il était dans les mêmes sentimens qu’autrefois à son égard, et qu’il donnerait des sûretés pour son vote en retour de l’argent qui lui serait remis, si on lui gardait le secret[63]. L’archevêque de Trêves était demeuré inébranlablement fidèle, et Moltzan annonça que le margrave de Brandebourg et l’électeur de Mayence proposaient de revenir à François 1er[64]. Moltzan les avait envoyées aux ambassadeurs de François Ier sur les frontières d’Allemagne. Ils offrirent en effet de le soutenir vivement à certaines conditions. — Voici ces conditions pour les deux frères[65].
Le margrave demandait que la dot de la princesse Renée fût portée à 200,000 écus d’or, dont 100,000 payables le 1er mai à Berlin, et les 100,000 autres immédiatement après l’élection, que sa pension fût fixée à 12,000 florins d’or, que le roi mariât son second fils en France, ainsi qu’il lui en faisait l’offre, et qu’il lui prêtât secours s’il était attaqué[66]. L’archevêque, couvrant sous l’apparence d’une fondation religieuse la vente de son suffrage, comme le margrave donnait à la vente du sien la forme d’une dot, exigeait, pour l’érection d’une église à Halle, une somme de 120,000 florins d’or payable moitié le 1er mai, moitié le 15 juillet de cette année; le titre de légat perpétuel en Allemagne, obtenu du pape par les soins du roi; la faculté de désigner ses coadjuteurs, la confirmation des privilèges qui lui appartenaient en sa +ouble qualité d’archevêque de Mayence et d’archi-chancelier de l’empire; enfin l’assurance d’être soutenu dans ses démêlés avec le landgrave de Hesse et la ville d’Erfurt, et protégé contre l’inimitié des archiducs d’Autriche et l’opposition de son propre chapitre, qui était favorable au roi catholique[67].
En recevant les propositions des deux frères et bien qu’il les trouvât sous certains rapports excessives, François Ier fut rempli d’espérance. Décidé à les accepter, s’ils ne voulaient rien en rabattre, il envoya successivement à Berlin l’écuyer Francisque, La Poussinnière et Bazoges avec le pouvoir de les discuter et de les admettre. Il se croyait d’autant plus fondé à compter dès ce moment sur son élection, que le margrave Joachim, qui était chargé de conclure pour son frère et pour lui, se faisait fort de gagner aussi l’électeur de Cologne sur lequel il exerçait beaucoup d’influence, — que le roi d’Angleterre lui promettait son appui, un peu mystérieusement, il est vrai[68], et que le pape se déclarait très haut en sa faveur.
Léon X n’aurait désiré pour empereur ni un duc de Milan, ni un roi de Naples; mais, obligé de choisir entre eux, il préféra le premier, qui semblait moins redoutable au saint-siège, et qui d’ailleurs n’était pas exclu du trône impérial, comme le second, par une constitution pontificale. Il adjoignit au cardinal de Saint-Sixte, son légat en Allemagne, et au protonotaire Carracioli l’archevêque de Reggio, Orsini, entièrement dévoué au roi très chrétien. Léon X, ne comptant plus sur la croisade générale, n’avait d’espoir qu’en François Ier pour repousser les Turcs. Il se déclara donc ouvertement en sa faveur, et il lui écrivit : « Dans l’intérêt de la république et pour le salut commun, nous avons jugé que votre majesté est éminemment propre à l’empire, tant à cause des insignes vertus par lesquelles Dieu, dispensateur de tous les biens, vous a distingué, que parce que, surpassant en richesse et en puissance les autres rois chrétiens, vous tiendrez tête à la fougueuse attaque des farouches barbares, et que vous êtes plutôt en mesure d’abattre l’orgueil et l’insolence que font peser sur nous les impies Turcs, et de rétablir. Dieu aidant, la vraie foi dans son ancien éclat. Nous en avons la confiance. C’est pourquoi, mus moins par la considération de notre alliance particulière que par le motif du salut commun et du bien universel, nous avons donné et donnerons tous nos soins et nous interposerons notre autorité, afin que vous soyez choisi comme le plus utile empereur de la république chrétienne. Pour mieux faciliter un événement aussi avantageux, et pour induire ceux qui ont le pouvoir d’élire un empereur à y concourir non-seulement par vertu, mais par de justes et légitimes récompenses, nous promettons à votre majesté, sur la parole d’un pontife romain, et nous lui engageons très sincèrement notre foi, que, si vous obtenez le titre impérial par les bons offices et les suffrages de nos vénérables frères les archevêques de Cologne et de Trêves, électeurs du saint empire romain, nous les appellerons, à la demande de votre majesté, dans l’ordre très considérable des cardinaux de la sainte église romaine, et les honorerons volontiers d’une si grande dignité. Cette promesse, que nous faisons à votre majesté, nous vous accordons, par les présentes, la faculté et le pouvoir de la leur communiquer sous votre autorité et en notre nom[69]. »
Afin que François Ier pût gagner l’archevêque de Mayence par l’appât d’un titre qu’il désirait ardemment, Léon X s’engagea, s’il donnait sa voix à ce prince, à le faire son légat perpétuel en Allemagne. Il écrivit lui-même à l’ambitieux archi-chancelier de l’empire que, son devoir pastoral lui prescrivant de veiller au salut de la chrétienté prête à périr, il souhaitait qu’on opposât, en un si grand danger, le plus puissant de ses monarques au plus formidable de ses ennemis. Il l’invitait donc à élire le roi de France, et il ajoutait : « Nous avons autorisé notre très cher fils en Christ, François, roi très chrétien, à vous promettre de notre part tout ce qui peut servir à élever et à agrandir votre dignité, principalement comme notre légat en Germanie. Les promesses qui vous auront été faites touchant cette légation, nous nous engageons aujourd’hui envers vous, et sur la parole d’un vrai pontife romain, à les observer, lorsque le but convenu et désiré sera atteint[70]. »
Léon X expédia à François Ier les bulles qui devaient être montrées aux trois archevêques et qui contenaient leurs nominations conditionnelles. Il fit encore passer par ses mains des brefs adressés à tous les électeurs, et dans lesquels il excluait formellement de l’empire le roi catholique, en sa qualité de roi de Naples. Il instruisit de ses intentions le cardinal de Saint-Sixte et l’archevêque de Reggio, avec lesquels il entretint des communications promptes et réglées, en établissant entre Rome et Francfort des postes qui passaient par Inspruck et le Tyrol. Il les chargea de recommander en particulier le roi très chrétien aux suffrages des électeurs. Son avis semblait surtout devoir être d’un grand poids sur les déterminations des trois princes que leur caractère religieux rattachait plus étroitement au chef de l’église, et qu’il tentait par des offres si capables de les séduire.
François Ier était sur le point de réussir. Les partisans les plus zélés du roi catholique le craignirent : ils considérèrent la candidature de ce dernier comme désespérée, et ils songèrent à en produire une autre qui pût empêcher l’élection de son rival. Ils jetèrent les yeux sur son frère Ferdinand, qui était archiduc d’Autriche, et qui ne rencontrerait ni l’opposition du pape, dont il était indépendant, ni la tiédeur des Allemands, au milieu desquels il fixerait sa résidence. La gouvernante des Pays-Bas, Marguerite, disposa donc tout pour envoyer en Allemagne ce prince, arrivé depuis quelques mois auprès d’elle, à Malines; mais, avant de prendre une aussi grave détermination, elle la soumit à son neveu, le roi catholique, en l’engageant à y consentir. Elle lui adressa, le 20 février, une lettre, que signèrent avec elle ses fidèles conseillers, Philippe de Clèves, Ch. de Croy, Henri de Nassau, A. de Lalaing, Jean de Berghes, pour lui proposer de porter à sa place l’archiduc à l’empire[71]. En recevant cette lettre, loin de se laisser atteindre par le découragement de ceux qui l’avaient écrite, il repoussa leur conseil avec autant de hauteur que de promptitude. Le frère qu’il avait éloigné des Pyrénées comme trop cher aux Espagnols, il ne souffrit point qu’on le présentât au-delà du Rhin comme devant lui être préféré par les Allemands. Il prétendit établir, sous sa plus vaste forme, la domination qui avait été lentement préparée à la maison d’Autriche, dont il était l’aîné et dont il voulut rester le chef. C’est ce qu’il signifia à Marguerite, sa tante, et à Ferdinand, son frère, par ses dépêches du 5 et du 6 mars, où il laissa éclater la vigueur précoce de son opiniâtre caractère, et où, avec une grandeur surprenante de vues, il montra les desseins qu’il exécuta plus tard.
Il y disait que Ferdinand n’avait rien de ce qu’il fallait pour acquérir l’empire et pour en soutenir le fardeau, que ses poursuites ne se fonderaient ni sur la désignation de leur aïeul Maximilien, ni sur les engagemens des électeurs, comme les siennes, qu’elles seraient aussi déplacées que dangereuses, que les favoriser serait de sa part perdre l’honneur et exposer de plus leur maison, conformément aux désirs des Français, qui voulaient en diviser les forces et faire un tiers empereur en cas qu’ils ne le pussent estre[72]. Insistant sur ce point, il ajoutait avec une prévoyance politique et dans un langage coloré : « Ce seroit pour desmembrer tous les pays et seigneuries d’Autriche, mettre division entre nous et nostre frère, séparer la trousse des puissances et seigneuries que nos prédécesseurs nous ont laissée, afin qu’icelles désunies et séparées, l’on pust plus facilement rompre les flèches de nostre commun pouvoir et destruire entièrement nostre maison[73]. » Charles interdisait donc et la candidature et le voyage de Ferdinand. Il promettait à celui-ci de le dédommager de ce nouveau sacrifice et de le traiter non-seulement comme son frère, mais comme son fils. « Je n’entends rien avoir, lui dit-il, qui ne soit autant à votre commandement que au mien[74]. » Afin de conserver cette précieuse union de la famille autrichienne qu’il sut maintenir durant trente-six années, il annonça qu’il augmenterait la part de Ferdinand dans l’héritage encore indivis de Maximilien et déciderait plus tard le corps germanique à l’accepter pour son successeur. « Estant esleu et couronné empereur, disait-il, nous pourrions assez facilement et sans dangier le faire eslire roi des Romains, et mectre l’empire en tel estat qu’il pourroit à toujours demeurer en nostre maison[75]. » Ce qu’il promit alors, il le réalisa depuis. Il donna en 1520 l’Autriche, la Carinthie, la Carniole, la Styrie et même le Tyrol à Ferdinand, auquel, en 1531, fut décernée d’avance, sur sa demande et par ses soins, cette couronne germanique qui ne devait plus sortir en effet de la famille des Habsbourg.
Le roi Charles annonça en même temps qu’il visait à l’empire pour exécuter de grandes choses, et il prescrivit d’employer les derniers efforts à faire réussir les poursuites commencées en son nom : «Nous sommes, disait-il, totallement délibéré à y rien épargner et à y mettre le tout pour le tout, comme la chose en ce monde que plus désirons et avons à cœur[76]. » Il recommandait de ne rien refuser aux électeurs, d’enrôler Sickingen, de s’attacher le prince évêque de Liège et le duc de Bouillon, d’envoyer de l’argent au cardinal de Sion et d’en promettre aux Suisses, en un mot d’assurer l’élection pour chose quelconque qu’elle lui dût couster. C’est ce qu’on n’avait pas manqué de faire en attendant sa réponse, et ce qu’on continua avec plus d’ardeur encore après l’avoir reçue.
Il fut particulièrement bien servi dans cette œuvre laborieuse par le plus hardi de ses agens auprès du plus influent des électeurs. Le chambellan Armerstorff était arrivé le 27 février à Mayence. Il avait déjà passé quelques jours à Heidelberg, où il avait trouvé deux négociateurs français, le président Guillart et le bailli de Caen. L’électeur palatin, qui, moitié faiblesse, moitié avarice, montra jusqu’au bout la même duplicité, traitant tour à tour avec les deux rois, afin d’éviter leur inimitié et de prendre leur argent, avait promis à Armerstorff son suffrage à un prix élevé et mystérieux. Il l’avait engagé en même temps à s’assurer des autres électeurs, car, lui avait-il dit, le vent est assez contraire pour détourner un mauvais navire[77]. Armerstorff s’en aperçut bien en abordant l’archevêque Albert. Il le trouva très mal disposé pour son maître. L’archevêque, qui venait d’apprendre, par un messager du margrave son frère, l’état avancé de leur négociation commune avec le roi ti, ès chrétien, lui dit résolument que les conditions arrêtées avec l’empereur défunt n’ayant pas été remplies au terme fixé, et les traités conclus à Augsbourg n’ayant pas été tenus secrets, tout était rompu entre eux et le roi catholique. En vain Armerstorff le supplia-t-il de reprendre ses anciens engagemens et lui offrit-il toutes les satisfactions au nom de son maître : l’archevêque lui répondit que son frère et lui avaient été avertis secrètement que rien de ce qui leur avait été promis ne serait exécuté après l’élection, que leurs pensions ne seraient pas payées, et que l’infante Catherine ne serait point donnée en mariage au fils du margrave. Il ajouta que le pape, le roi de France, le roi d’Angleterre s’étaient ligués pour empêcher le roi catholique de devenir empereur, que le pape défendrait aux électeurs spirituels et temporels de le nommer sous peine de désobéissance à l’église et d’excommunication, que d’ailleurs le roi très chrétien disposait déjà d’un très grand nombre de voix et avait même le dessein de se présenter en Allemagne avec une grosse armée, afin d’y être au besoin couronné par le souverain pontife; qu’en cet état de choses, il ne lui convenait point de combattre ses prétentions de peur d’exposer lui et l’église de Mayence au danger de son inimitié.
Armerstorff lui reprocha de se laisser abuser par les mensonges du parti contraire. Il lui annonça que les villes de Malines et d’Anvers garantiraient le paiement de la pension et des sommes qui lui avaient été promises; mais l’archevêque refusa cette garantie comme insuffisante. Alors Armerstorff, courroucé, jugeant tous ses efforts inutiles, lui demanda la permission de s’expliquer librement, et lui dit : « Je vois bien que nos adversaires vous ont fait des offres plus grandes que les nôtres; c’est pour cela que vous voulez vous dégager d’avec nous, mais ce sera un déshonneur pour vous et pour votre frère. Vous causerez un dommage irréparable à l’empire et à toute la nation allemande[78]. »
L’archevêque convint froidement qu’on lui avait en effet offert beaucoup plus de l’autre côté. Il avoua sans détour son avidité. Il dit qu’il voulait être sûr de son marché, et que d’ailleurs, quand le roi catholique lui donnerait plus que ne lui avait promis l’empereur, il l’aurait bien gagné, car c’était lui qui avait décidé les autres électeurs à Augsbourg. Il ajouta qu’il ne tenait encore qu’à lui de faire et de défaire le tout, puisque ses collègues suivraient ses conseils et son exemple, ainsi qu’il pourrait le prouver en montrant les lettres qui lui étaient écrites. Il finit en demandant qu’on lui remît 100,000 florins d’or de plus, sinon il affirma que tout serait perdu pour le roi catholique.
Armerstorff recula devant l’énormité de cette nouvelle prétention; il répondit avec colère qu’il n’avait pouvoir de rien accorder que ce qui était déjà convenu, que le roi Charles ne serait point empereur, mais que le margrave de Brandebourg et l’archevêque seraient déshonorés, que Dieu les punirait, et qu’ils feraient eux-mêmes la verge dont ils seraient battus[79]. Il prit aussitôt congé de l’électeur, qui, un peu troublé de cette violente sortie, le pria de bien réfléchir pendant la nuit, et le prévint qu’il lui enverrait le lendemain son valet de chambre pour savoir sa conclusion et l’avertir de la sienne.
Au fond, l’archevêque de Mayence, malgré le cynisme de son avidité, comprenait qu’un archiduc d’Autriche convenait mieux pour empereur qu’un roi de France. Il se sentait entraîné d’ailleurs par l’opinion allemande, qui commençait à se déclarer avec force dans ce sens. Il aurait donc voulu s’arranger avec le roi Charles, mais en se faisant payer son suffrage le plus cher possible. Le lendemain matin, il envoya dans cette vue à Armerstorff son valet de chambre, qui ne demanda plus que 80,000 florins et qui descendit successivement à 60 et à 50,000. Armerstorff répondit, comme la veille, qu’il était sans pouvoirs, qu’il lui était dès lors interdit de rien promettre, mais qu’il allait écrire pour demander les ordres du roi son maître. L’archevêque répliqua qu’il ne pouvait pas attendre, parce que son frère et les autres électeurs, dont les messagers étaient là, le pressaient de conclure, et qu’il ne voulait pas être à terre entre deux selles. La vue du danger décida Armerstorff à excéder ses pouvoirs et à prendre quelque chose sur lui; il dit à l’archevêque qu’il lui ferait accorder une somme de plus, s’il gardait cette augmentation secrète et s’il persuadait aux autres électeurs de s’en tenir à l’arrangement d’Augsbourg. Après trois jours de débats, il parvint à le décider à se contenter de 20,000 florins d’or de plus. La pension de 10,000 florins dut lui être garantie sur les recettes du gouvernement d’Inspruck, et Armerstorff s’engagea à lui faire remettre la vaisselle et les tapisseries qui lui avaient été promises. Le roi catholique dut en outre solliciter pour lui à la cour de Rome la charge de légat perpétuel et lui assurer les autres avantages qu’il attendait du roi de France. Lorsqu’on fut convenu de tout, l’archevêque dit à Armerstorff : « Je veux maintenant vous faire voir que je tiens moins à mes intérêts que vous ne pouvez le penser, et que j’ai l’intention de servir efficacement votre maître. » Il ouvrit devant lui ses coffres et lui montra, sous le secret, les lettres qu’il avait reçues, les avantages qui lui étaient offerts, et les pratiques déjà si avancées du roi très chrétien auprès des autres électeurs. Armerstorff en demeura confondu. Aussi supplia-t-il le roi catholique, avec les plus fortes instances, de confirmer l’arrangement qu’il venait de conclure, « car, ajouta-t-il, aussi vrai que Dieu est, si vous le perdez, il tirera son frère et Cologne après lui. »
Afin de prouver la sincérité et l’ardeur de son zèle, l’archevêque envoya immédiatement son valet de chambre à l’électeur de Brandebourg pour le gagner aux intérêts du roi catholique. Il lui écrivit que ce prince avait dépêché auprès de lui son conseiller et chambellan Armerstorff pour ratifier les anciens engagemens, et que dès lors ils devaient s’y tenir de leur côté. « Je vous prie, lui dit-il, de considérer en cette occasion l’honneur et le bien de l’empire, de vous, des vôtres et de toute la nation allemande. Si la couronne tombait entre les mains de ceux qui, séparés depuis longtemps de la souche germanique et n’ayant ni foi ni loyauté, ne voulurent jamais du bien à l’empire, ce serait pour la ruine de celui-ci, car ils chercheraient à le mettre sous les pieds et à s’en rendre seigneurs et maîtres héréditairement[80]. » Comme s’il n’avait pas marchandé lui-même pendant trois jours son adhésion au parti de Charles, il disait avec une audacieuse hypocrisie de désintéressement qu’il mettait son honneur à ne rien demander de nouveau. « Autrement, ajoutait-il, on pourrait penser que je cherche ou à échapper à ma promesse ou à rançonner le roi catholique sans me soucier de sa bonne grâce, mais uniquement de son argent, ce qui ferait tort à moi et aux miens. »
Le margrave de Brandebourg reçut cette lettre le 8 mars. Loin de céder aux conseils de son frère, il lui exprima sa surprise de ce brusque changement de résolution. Il lui répondit qu’il ne devait plus se regarder comme libre de disposer de sa voix, que les articles souscrits de sa propre main avaient été remis à Moltzan, qui les avait envoyés au roi de France, avec lequel, lui électeur de Brandebourg, avait déjà conclu en leur nom et dans leur intérêt commun; qu’ils étaient tenus l’un et l’autre de conserver d’autant plus religieusement leur foi à ce prince, qu’ils la lui avaient déjà précédemment engagée et qu’il faisait preuve de la plus grande libéralité à leur égard. Il l’invita donc à demeurer ferme et à décider l’électeur palatin à agir dans le même sens qu’eux, comme il se chargeait de le persuader de son côté à l’électeur de Cologne. Il assura que, pour lui, il ne changerait jamais plus de sentimens[81].
Les exhortations du margrave ne furent pas sans effet sur l’esprit mobile de l’archevêque de Mayence : elles l’ébranlèrent encore une fois. Aussi, lorsque, vers la fin de mars, Armerstorff retourna auprès de lui avec la ratification du dernier arrangement que le roi catholique s’était hâté d’envoyer, il ne trouva plus l’archevêque disposé à le maintenir. Il redoubla d’efforts pour le ramener, et à la fin il triompha de ses nouvelles hésitations en lui accordant des avantages plus considérables[82]. J’ai honte de sa honte, écrivait-il[83]. Il ajouta toutefois que l’archevêque rachetait ses variations et ses exigences par l’activité de ses démarches auprès des autres électeurs.
En effet, cette sixième détermination fut la dernière de la part de l’archevêque. Il se rendit pour la faire prévaloir à Ober-Wesel, près de Cologne, où les quatre électeurs des bords du Rhin devaient se réunir depuis quelque temps pour prendre des mesures communes contre les dangers dont les troubles croissans de l’interrègne menaçaient leurs états. Il descendit le Rhin, conduisant sur son propre bateau Armerstorff et Ziegler. Il eut toutes les peines du monde à empêcher le violent Armerstorff de faire attaquer le légat et l’archevêque Orsini, dont le bateau suivait de près le sien, et qui allaient continuer à Wesel les sollicitations commencées en faveur de François Ier à Mayence[84].
Le comte palatin, les électeurs de Mayence, de Cologne, de Trêves, arrivèrent à Wesel le 28 mars. Ils y conclurent le 3 avril un traité réciproque d’union et de défense qui devait durer jusqu’à l’élection d’un nouveau roi des Romains. Ils s’y engagèrent à ne rien faire sans le consentement les uns des autres et que d’un accord unanime[85]. Pendant les six jours qu’ils passèrent à Wesel, ils furent entourés, priés, pressés par les agens des deux monarques rivaux. L’archevêque de Mayence exhorta en secret l’électeur de Cologne et le comte palatin surtout à préférer le roi Charles, que le vœu des Allemands réclamait pour empereur. En effet, les villes impériales, dont Charles soutenait dans ce moment la cause contre les attaques du duc Ulric de Wurtemberg, s’étaient déclarées en sa faveur, ainsi que la plupart des comtes de la Franconie et des nobles des bords du Rhin. Ceux-ci avaient pour organe de leurs impérieux désirs à Wesel le comte de Kœnigstein, qui disait avec menaces « que, si les électeurs songeaient à élire le roi de France, eux mettraient le tout pour le tout jusqu’à la dernière goutte de sang pour l’empêcher, à l’aide de tous ceux en Allemagne qui n’entendaient pas être Français[86]. »
Les ambassadeurs de François Ier n’abandonnèrent point la partie. Ils s’agitaient extrêmement et allaient d’un électeur à l’autre. Ils furent secondés par les insinuations de l’archevêque de Trêves et par l’intervention ouverte des délégués pontificaux. Le cardinal de Saint-Sixte, l’archevêque Orsini et le protonotaire Carracioli invitèrent par écrit les quatre électeurs, au nom de Léon X, à choisir un empereur qui, par sa puissance et une habileté déjà éprouvée, fût en état de soutenir la république chrétienne chancelante, et à ne pas élire le roi de Naples, qui, d’après la constitution de Clément IV, ne pouvait pas devenir légalement le chef de l’empire. Ils les sommèrent de plus de leur faire connaître catégoriquement et sans ambiguïté leurs intentions à cet égard[87]. Les électeurs répondirent qu’ils ne s’étaient pas assemblés à Wesel pour s’y occuper de l’élection d’un roi des Romains; qu’ils chercheraient, lorsque le moment serait venu, à donner le protecteur le plus utile à la république chrétienne et le chef le plus convenable au saint empire; que le pape Léon X pouvait en être persuadé, mais qu’ils s’étonnaient eux-mêmes de cette sommation de sa sainteté, qui, contre l’usage depuis longtemps établi par les souverains pontifes et malgré sa modération habituelle, voulait leur imposer la loi en leur prescrivant ce qu’ils devaient ou faire ou éviter dans l’exercice de leur pouvoir électoral. Afin d’échapper à de nouvelles sollicitations de la part du légat, ils ne lui remirent cette réponse qu’à l’instant même où ils allaient quitter Wesel et remonter dans leurs bateaux.
Les troubles qui avaient déterminé leur entrevue et leur confédération avaient mis toute l’Allemagne méridionale en armes. Dès la fin de janvier, au sortir même des funérailles de l’empereur Maximilien, le duc Ulric de Wurtemberg avait attaqué, pris, pillé et gardé la ville impériale de Reutlingen. Ce prince turbulent et violent s’était engagé dans cette dangereuse entreprise, parce que la ville de Reutlingen avait vengé sur un forestier ducal la mort d’un de ses propres bourgeois qu’Ulric avait surpris et tué sur son territoire. Ce nouvel excès, ajouté à tous ceux dont Maximilien, avant de mourir, se proposait de lui demander compte devant la justice impériale, marqua le terme de son impunité. Il avait mécontenté ses sujets en les accablant d’impôts, terrifié ses serviteurs en faisant torturer et périr ceux dont il redoutait les conseils et l’autorité, excité la mortelle inimitié de ses voisins les ducs Louis et Guillaume de Bavière en forçant sa femme, qui était leur sœur, à se réfugier auprès d’eux toute tremblante et couverte d’affronts. Il encourut alors les terribles représailles de la ligue de Souabe.
Cette ligue, composée surtout des villes de la haute Allemagne et dont Reutlingen faisait partie, leva aussitôt une armée pour attaquer et punir le duc. Le commandement général en fut donné au duc Guillaume de Bavière. Sickingen, qui avait résisté à toutes les offres de François Ier appuyées par le duc de Lorraine[88], et qui s’était mis au service du roi catholique moyennant une pension de 3,000 florins d’or et l’entretien de vingt hommes d’armes, en fut le véritable chef[89]. Avec ses vaillans lansquenets et six cents cavaliers soldés parle roi catholique[90] ouvertement déclaré pour la ligue, il se plaça à la tête des troupes confédérées, fortes de vingt-quatre mille hommes, et s’avança vers le Wurtemberg.
Le duc Ulric passait en Allemagne pour l’allié de François Ier; on y disait même, et les ennemis de la France ne manquaient pas de l’affirmer, que c’était par les conseils du roi très chrétien qu’il avait attaqué Reutlingen et avec son argent qu’il avait levé quatorze mille Suisses dans ce moment à son service. Il n’en était rien. En apprenant qu’on répandait des bruits aussi dangereux pour lui, François Ier se hâta de les démentir. Il adressa, le 3 mars, aux villes de Lubeck, de Constance, de Spire, de Worms, d’Erfurt, de Cologne, de Francfort, etc., des lettres toutes remplies de ses protestations à ce sujet et des assurances de son amitié. « Nous avons toujours eu, leur disait-il, les villes impériales pour très chères, et avons affectueusement permis à leurs citoyens de commercer en liberté et en sûreté dans notre royaume et dans nos domaines héréditaires. Nous les y avons traités avec autant de faveur que s’ils étaient nos propres sujets et les y avons comblés des plus amples privilèges, comme nous avons la confiance qu’ils n’hésiteront pas à vous l’affirmer, s’ils sont interrogés à cet égard. C’est pourquoi nous ne pouvons pas supporter sans un grand déplaisir qu’on ait répandu en Allemagne, ainsi que nous l’avons appris, le bruit que nous avons aidé avec de l’argent et des armes ceux qui se sont déclarés les ennemis des villes impériales et qui les ont attaquées. Nous avons été si loin de le faire et nous en avons peu la pensée, que, dans le présent état des choses, si nous avions à entrer en guerre, ce serait pour vous et pour le saint-empire que nous prendrions les armes plus volontiers que pour qui que ce soit. Ainsi devez-vous l’attendre et vous le promettre de nous à cause de notre ancienne amitié et de l’alliance qui nous a été jusqu’à présent chère et sacrée[91]. »
Mais cette démarche de François Ier ne servit de rien : le mal était fait. Vainement refusa-t-il de s’entendre avec le duc Ulric, qui lui envoya un homme de sa confiance[92], et s’abstint-il même d’intervenir comme arbitre entre lui et la ligue, à l’exemple de l’électeur palatin, qui, en sa qualité de vicaire de l’empire, avait tenté de pacifier cette querelle : l’on ne tint compte ni de son désaveu ni de sa réserve. Ce qu’il y eut de pis pour lui, c’est qu’à l’irritation produite par cette alliance supposée s’ajouta bientôt le discrédit d’une défaite.
L’armée des confédérés s’était mise en campagne à la fin de mars. Elle avait le bon droit, la passion et la force pour elle; aussi envahit-elle le Wurtemberg sans rencontrer de résistance. Elle entra, presque au début des hostilités, dans Stuttgart, et le 21 avril elle s’empara de Tubingue, où s’étaient enfermés les enfans du duc Ulric, qui se réfugia dans le comté de Montbelliard en attendant des temps meilleurs. Le 24 mai, Asperg, dernière forteresse du duché, tomba entre les mains des confédérés de Souabe, dont l’armée resta à la dévotion du roi catholique.
Ce qui avait rendu si prompt et si complet le désastre du duc de Wurtemberg, c’était l’abandon où l’avaient laissé les quatorze mille Suisses sur lesquels il comptait pour se défendre. Les cantons les avaient subitement et impérieusement rappelés dans les premiers jours d’avril, à l’ouverture même de la campagne. Ce rappel était l’œuvre de Maximilien de Berghes, dont l’habileté n’avait pas procuré ce seul avantage à son maître auprès de la confédération helvétique, qui se considérait toujours comme partie intégrante de l’empire germanique, bien qu’à la paix de Bâle de 1499 elle se fût affranchie de l’obéissance à ses décrets, de la soumission à sa justice, de la contribution à ses impôts, après avoir remporté sept victoires sur son chef et ses armées. Maximilien de Berghes était arrivé le 15 mars à Zurich. Une diète y avait été assemblée par les soins du cardinal de Sion. Cet ancien et opiniâtre ennemi de la France avait parfaitement disposé l’esprit de ses compatriotes pour la mission de Maximilien de Berghes. Les Suisses disaient déjà tout haut qu’ils ne souffriraient point qu’on élût un autre empereur qu’un prince de race allemande. Leurs députés allèrent en grand nombre à la rencontre de Maximilien de Berghes, qu’ils accueillirent cordialement. Ils écoutèrent avec faveur ses propositions, et, pour lui prouver encore mieux leurs bons sentimens, ils s’invitèrent sans façon chez lui, où ils remplissaient chaque jour trois ou quatre grandes tables. Comme, à l’exemple des Allemands, ils ne faisaient rien pour rien, ils mirent leur amitié et leurs concessions à prix, et ils voulurent avant tout qu’on payât les arrérages de leurs anciennes pensions et qu’on leur en accordât de nouvelles. Tout ne souriait pas à Maximilien de Berghes dans cette négociation. Accablé de leurs demandes, les ayant du matin au soir en sa présence ou à sa table, obligé d’entendre leurs plaintes, de supporter leurs arrogantes familiarités, de subir leurs exigences multipliées, de traiter sans cesse l’argent et le verre à la main, il écrivait à Augsbourg avec une sorte de désespoir, qu’il avait soin de cacher à Zurich sous la sérénité d’une imperturbable patience : a Si j’eusse su que l’on eût mené ici une pareille vie, j’eusse mieux aimé porter des pierres que d’y être venu[93]. »
Il réussit toutefois dans ses desseins. Le roi catholique l’avait autorisé à dépenser la somme de 20,000 florins d’or en pensions qui devaient être distribuées au taux de 1,500 par canton, outre les 200 anciennement stipulés pour la ligue héréditaire avec la maison d’Autriche. Maximilien de Berghes dépassa un peu son crédit, et porta à 26,000 florins d’or la somme totale des pensions. Il paya en même temps les arrérages des principaux meneurs des cantons et promit de satisfaire les autres. Il obtint par là tout ce qu’il désirait, et le renouvellement de la ligue héréditaire, et le rappel des Suisses au service de Wurtemberg, et une démonstration éclatante contre la candidature de François Ier à l’empire[94]. La diète de Zurich renvoya l’ambassadeur de ce prince, en lui déclarant qu’elle ne voulait pas pour empereur son maître, qui devait se contenter d’un aussi grand royaume que celui de France, et lui signifia qu’elle l’empêcherait de tout son pouvoir de parvenir à l’empire. En effet elle écrivit aux électeurs pour les détourner de choisir François Ier, et au pape pour l’imiter à ne plus gêner le choix des électeurs. Elle dit que les Suisses ne s’étaient jamais séparés du saint-siège, naguère encore protégé par eux sous le pontificat de Jules II, ni du corps germanique, dont ils continuaient à être membres, et qu’ils demandaient, dans l’intérêt commun de la chrétienté et du saint empire, un chef tiré de la nation allemande et non de la nation welsche Lettre du 4 avril 1519 écrite de Zurich par les Suisses aux électeurs. Dans Bucholtz, vol. I, p. 97. </ref>.
Cette démarche des Suisses, jointe à la défaite du duc Ulric de Wurtemberg dans le midi de l’Allemagne et à l’échec que les ducs de Calenberg et de Wolfenbüttel, partisans dévoués de l’Autriche, venaient de faire éprouver au duc de Lanebourg dans le nord, — au triomphe de la ligue de Souabe, qui avait renouvelé l’alliance héréditaire avec la maison d’Autriche et défendu aux banquiers des villes confédérées de prêter le concours du change au roi très chrétien dans ses poursuites électorales, — porta un grand coup aux affaires de ce prince en Allemagne. François Ier en fut alarmé et irrité. Il écrivit à ses ambassadeurs : « Je serais très aise que l’affaire se pût conduire sans entrer en guerre, pour éviter le hasard et l’effusion du sang humain. Toutefois, puisque les choses en sont venues où elles sont, me désister me serait une honte, et par-ci après les Suisses voudraient me donner la loi, ce qui me serait fort grief à porter. J’ai fait dresser une armée de quarante mille hommes de pied pour six mois. Si on m’assaille, je mettrai peine à me défendre. Vous entendez assez la cause qui me meut de parvenir à l’empire, et qui est d’empêcher que le roi catholique n’y parvienne. S’il y parvenait, vu la grandeur des royaumes et des seigneuries qu’il tient, cela me pourrait, par succession de temps, porter un préjudice inestimable. Je serais toujours en doute et soupçon, et il est à penser qu’il mettrait bonne peine à me jeter hors de l’Italie[95].»
Le roi de France avait longtemps hésité entre les conseils de l’archevêque de Trêves, qui le dissuadait de lever des troupes, de peur qu’on ne l’accusât de vouloir se faire élire par force, et ceux du margrave de Brandebourg, qui le pressait au contraire d’en mettre sur pied, afin d’inspirer plus de confiance à ses partisans. Il embrassa alors ce dernier parti. Pendant trois jours, il s’enferma avec le surintendant Semblançay, le trésorier Babou et les autres gens de ses finances pour trouver les sommes nécessaires à ces armemens[96]. L’élection lui en coûtait déjà de fort considérables, et il était obligé de tout faire argent comptant. Avant même les défenses de la ligue de Souabe, la puissante maison des Fugger lui avait refusé le secours de sa banque, et avait ainsi renoncé, par un patriotique désintéressement, à gagner environ 30,000 florins[97]. Aussi, indépendamment des espèces en or que Bonnivet avait portées en Allemagne, François Ier y envoya-t-il, dans le courant d’avril et les premiers jours de mai, 400,000 écus au soleil, qu’il fit escorter à travers la France, la Lorraine, l’électorat de Trêves, et que ses ambassadeurs, suivis de huit cents chevaux, eurent avec eux sur les bords du Rhin, dans les sacs de cuir de leurs archers[98]. Il expédia en même temps vers le nord — à son allié le duc de Lunebourg, à son pensionnaire le duc de Holstein, au duc de Mecklenbourg qui demandait à le servir, et surtout au margrave Joachim qui proposait de lever à lui seul quinze mille hommes de pied et quatre mille chevaux, — des ordres et de l’argent pour qu’ils se disposassent à le seconder avec des forces suffisantes. Il prit de semblables mesures du côté du Rhin avec le rhingrave, qu’il fit son pensionnaire[99] pour l’opposer à Sickingen, dont il était le voisin et le rival, et avec le duc de Gueldres, vieil et persévérant allié de la France. Il rassembla lui-même ses compagnies d’ordonnance sur la frontière de Champagne, où il fit marcher soixante pièces d’artillerie toutes neuves qu’il avait à Tours, et où il réunit, sous le commandement du maréchal de Chabannes, un corps d’armée prêt, s’il le fallait, à entrer en Allemagne.
Le roi catholique ne resta pas plus en arrière du roi de France pour les préparatifs militaires que pour les menées électorales. Disposant dans la Franconie, où elle s’était transportée après la campagne de Wurtemberg, de l’armée victorieuse de la ligue de Souabe que dirigeait toujours Sickingen, il recommanda de ne point la licencier et la prit à sa solde pour trois mois[100]. Il concentra en outre des troupes sur la frontière des Pyrénées, vers Perpignan et vers Pampelune, et il prescrivit d’enrôler des soldats pour le royaume de Naples. Ainsi la rivalité des deux rois, qui divisait déjà l’Europe, était sur le point d’amener la guerre en Allemagne, en Italie, en France, en Espagne, et l’annonçait tout au moins bientôt dans les pays où devaient se rencontrer la diversité de leurs intérêts et s’entrechoquer leur puissance.
Au milieu de ces armemens, les négociations avaient continué sans se ralentir. Après de longs pourparlers avec l’électeur de Brandebourg, Joachim de Moltzan avait écrit à François Ier : « Tout ira bien, si nous pouvons rassasier le margrave. Lui et son frère l’électeur de Mayence tombent chaque jour dans de plus grandes avarices... La chose en est arrivée au point que celui des deux rois qui donnera et promettra le plus l’emportera. Il me parait très à propos d’envoyer tout de suite quelqu’un qui se joigne à moi, et qui soit muni des pouvoirs nécessaires pour conclure et ratifier. » Il finissait sa lettre par ces mots : Vite, vite, vite[101]. François Ier avait fait partir alors pour Berlin La Poussinière et Bazoges, qui y étaient arrivés vers la fin de mars. Il voulait qu’on conclût à tout prix avec le margrave, que les agens autrichiens appelaient le père de toute avarice[102], Prévoyant même que le margrave pouvait lui échapper après s’être engagé, il ajoutait : « Si, avant ou après la totale et finale conclusion prise par mes ambassadeurs avec le marquis, ils aperçoivent quelques offres pour le faire bransler et changer, qu’ils soient advertis d’y avoir l’œil et eulx tenir près dudit marquis et de ses serviteurs, et principalement de ceux qui conduisent les affaires; et s’il demande quelque chose, soit pour lui ou son fils, qu’ils le lui accordent et lui en facent, en vertu de leurs pouvoirs, les promesses telles qu’il les demandera, et qu’ils le traitent et mènent de sorte qu’il demeure ferme et tiene sa foy et promesse; car, pour ce faire, je n’y veuil aucune chose espargner, quelle qu’elle soit. Ayant luy et Mgr de Mayence, son frère, pour moi, avec Mgr de Trêves et le comte palatin, l’affaire est du tout assurée[103]. »
C’est sur ce pied que la négociation avait été poursuivie. François Ier ne s’était laissé rebuter par aucune des exigences de l’électeur de Brandebourg, et lorsque ses ambassadeurs hésitaient à le satisfaire, il leur mandait : Je veux qu’on soulle de fouies choses le marquis Joachim[104]. Il lui accorda ainsi, avec les autres avantages qu’il réclamait, 175,000 écus d’or pour la dot de la princesse Renée, et le traité fut définitivement conclu le 8 avril. On convint que le premier terme du paiement s’effectuerait le 10 mai à Coblentz, où Jean d’Albret alla remettre lui-même 50,000 florins aux envoyés de l’électeur.
L’électeur prit le même jour, 8 avril, l’engagement suivant signé de sa main, scellé de son sceau, qui fut transmis à François Ier : «Nous Joachim, par la grâce de Dieu, margrave de Brandebourg, archi-chambellan du saint empire romain prince-électeur, duc de Stettin, de Poméranie, des Slaves, burgrave de Nuremberg, etc., songeant dans notre esprit que l’office d’empereur a été principalement institué pour protéger et défendre la foi catholique, et aussi pour repousser ses plus féroces ennemis, ce qui ne saurait se faire comme il convient, à moins que la couronne impériale ne soit décernée à un prince très prudent dans le conseil, vaillant dans les batailles, doué de toute la vigueur du corps, arrivé à la fleur de l’âge, de telle sorte qu’on puisse le dire puissant de parole et d’action. Or, comme dans ce temps le cruel tyran des Turcs, prince très redoutable, projette diverses entreprises contre la chose chrétienne, il est indubitablement à craindre, si les chrétiens ne lui résistent pas d’un opiniâtre courage et avec les forces les plus considérables, et si le Dieu très bon et très grand n’arrête pas sa cupidité et sa volonté, qu’il ne ravage la chrétienté, ne l’asservisse, et ne l’accable sous un joug insupportable. C’est pourquoi, appelés que nous sommes par la divine Providence à la dignité de margrave, à la principauté du saint empire, au nombre des électeurs, nous désirons par-dessus tout qu’il soit mis de nos jours à la tête de l’empire quelqu’un possédant les vertus nécessaires pour remplir virilement l’office qui lui sera imposé. Nous avons donc jeté les yeux sur le très invincible et très chrétien prince François, par la faveur de Dieu roi des Français, duc de Milan et seigneur de Gênes, qui, par son âge florissant, son habileté, sa justice, son expérience militaire, l’éclatante fortune de ses armes, et toutes les autres qualités qu’exigent la guerre et la conduite de la république, surpasse au jugement de chacun tous les autres princes chrétiens. »
Après avoir loué les grandes actions des prédécesseurs de François Ier et les siennes, avoir exprimé le ferme espoir que François Ier emploierait sa capacité et sa puissance à protéger la chrétienté, qu’il tournerait contre les conquérans ennemis de la foi l’épée qui s’était teinte jusque-là de sang chrétien, l’électeur ajoutait que ces raisons et ces espérances le décidaient à promouvoir le roi de France à l’empire vacant. « Y ayant mûrement réfléchi, disait-il, nous avons fidèlement promis et nous promettons en parole de prince, sur notre foi et par ces présentes, que nous élirons le roi très chrétien roi des Romains et ensuite empereur, et que nous lui donnerons notre voix, pourvu cependant que deux de nos coélecteurs, votant avant nous, l’élisent et lui donnent la leur[105]. »
On en était là lorsque le comte de Nassau et Gérard de Pleine arrivèrent à Berlin de la part du roi Charles. Le margrave les reçut froidement, et leur fit des propositions dérisoires. Il offrit de donner sa voix au roi catholique, si ce prince en avait quatre avant la sienne, et il exigeait pour ce suffrage inutile qu’on augmentât la dot de l’infante Catherine de 100,000 florins d’or, sa pension de 4,000, son don gratuit de 30,000, et qu’on transportât de l’électeur de Saxe à lui le vicariat de l’empire dans le nord de l’Allemagne. C’était un vrai refus de négocier. Voulant toutefois se ménager quelque avantage si le roi catholique l’emportait sur le roi de France, après avoir résisté à tous les efforts des ambassadeurs autrichiens, il finit par leur dire qu’il se contentait des conditions stipulées à Augsbourg[106].
Le comte palatin avait été moins scrupuleux dans son avidité. Depuis La mort de Maximilien, il n’avait cessé de traiter avec les deux partis[107]. Il avait tour à tour accueilli d’un côté le chambellan Lamothe au Groing, le président Guillart, le bailli de Caen, le maître des requêtes Cordier, de l’autre Armerstorff, le comte de Nassau et le seigneur de La Roche. Pendant qu’il entretenait de ses bonnes dispositions les ambassadeurs de François Ier, son chancelier concluait le 4 avril un traité avec les ambassadeurs du roi Charles. Ceux-ci lui avaient assuré 10,000 florins de don gratuit de plus, avaient porté sa pension de 6 à 8,000, et devaient appuyer auprès de leur maître ses prétentions à l’avouerie d’Haguenau, dont la perte lui valait une compensation de 80,000 florins. De plus, pour indemniser les marchands qui avaient été pillés en traversant le pays du comte palatin, ils avaient remis 9,000 florins à la ligue de Souabe, afin qu’elle n’en poursuivît pas contre lui le recouvrement à main armée[108].
Ce traité fut bientôt suivi d’un autre dans un sens tout contraire. L’électeur palatin, qui depuis six semaines avait échappé sous divers prétextes à une entrevue avec Bonnivet, envoya secrètement, le 9 mai, son même chancelier dans un village voisin pour s’aboucher et conclure avec lui. Le même jour, on convint que l’électeur voterait en faveur de François Ier, qui lui donnerait 100,000 florins d’or après l’élection, lui paierait exactement 5,000 couronnes d’or pour sa pension, distribuerait chaque année 2,000 florins à ses conseillers, conférerait des évêchés à ses deux frères, et prendrait au service de France, avec une allocation annuelle de 6,000 francs, le comte Frédéric, s’il voulait s’y mettre. Une somme de 30,000 florins lui était assurée de plus comme moyen de défense contre la ligue de Souabe, et François Ier, devait l’aider à reconquérir les villes et les châteaux dont Maximilien l’avait privé à la diète de Cologne en prononçant son arrêt sur l’hérédité de Landshut[109]. La conclusion définitive traîna jusqu’au 22 mai, jour où elle fut signée à Coblentz[110]. François Ier la ratifia le 28 et reçut de l’électeur la promesse formelle de voter pour lui, conçue à peu près dans les mêmes termes que celle du margrave de Brandebourg et fondée sur les mêmes raisons. Cette promesse, écrite sur parchemin, ne mentionnait pas davantage le prix auquel François Ier l’avait acquise. Couvrant son marché des motifs les plus hauts et les plus louables, ne subordonnant même son suffrage à aucune condition, le comte palatin disait : « Afin que nos pieuses intentions se réalisent, nous supplions le roi très chrétien, autant que nous le pouvons, de ne pas cesser d’aspirer à l’empire, vu les avantages que la chrétienté tout entière retirerait de son élévation. C’est pourquoi nous nous engageons, en parole de prince et sur notre foi, à l’élire, à lui donner notre voix et à presser les autres princes de lui donner la leur. Nous ne pouvons rien faire de meilleur, de plus digne, de plus agréable, au Christ, de plus utile à tous les chrétiens. En témoignage de quoi nous avons souscrit ces présentes de notre propre main et nous avons ordonné de les revêtir de notre sceau. — En notre château d’Heidelberg[111]. »
Le duc Frédéric de Saxe et l’archevêque de Cologne refusèrent seuls de prendre des engagemens. Le premier agit ainsi par intégrité et pour se montrer jusqu’au bout observateur fidèle de ses devoirs électoraux ; le second, par faiblesse et irrésolution, n’osant pas se décider entre des offres et des influences contraires. Cependant l’électeur de Cologne, après s’être longtemps refusé à une conférence avec les ambassadeurs de François Ier, avait reçu secrètement Jean d’Albret dans la ville de Bonn vers la fin du mois de mai. Il lui avait montré les dispositions les plus favorables pour le roi son maître, sans s’obliger par écrit à voter pour lui. Supposant toutefois qu’il avait plus de chances d’être élu que son compétiteur, il insinua qu’il lui donnerait son suffrage, afin de se ménager ainsi les avantages qu’il n’osait pas stipuler d’avance : « Finalement, écrivit Jean d’Albret à François Ier sa réponse a esté qu’il entendoit bien par mes paroles que votre majesté avoit parmi les électeurs de bons amys qui donneroient à cognoistre le service qu’ils vous feroient lorsqu’ils seroient ensemble,... et qu’il espéroit que vous suiviez la doctrine de Dieu qui donna autant à ceulx qui vindrent besongner à sa vigne à la moitié du jour qu’à ceulx qui y estoient dès le matin[112]. »
Du reste les espérances qu’il donnait au roi très chrétien, il ne les refusait nullement au roi catholique. Aussi les ambassadeurs des deux rois se flattèrent également d’obtenir son suffrage au moment décisif, tout comme les deux compétiteurs se croyaient l’un et l’autre l’objet des démarches d’Henri VIII auprès du collège des électeurs. Ce prince avait promis à chacun d’eux d’intervenir secrètement en sa faveur. Au lieu de cela, il avait envoyé sir Richard Pace en Allemagne avec la mission expresse de briguer pour lui-même la couronne impériale[113]. Richard Pace avait trouvé les négociations trop avancées et les suffrages mis à un prix trop haut pour donner suite à cette vaniteuse fantaisie de son maître. Il abandonna la candidature d’Henri VIII, mais il se garda prudemment d’en recommander aucune autre[114].
La diète électorale avait été convoquée par l’archevêque de Mayence, en sa qualité d’archi-chancelier de l’empire, pour le 17 juin. Ce grand jour approchait. La conscience des électeurs liés par des engagemens sembla se réveiller au souvenir du serment qui devait être bientôt prêté; mais elle ne leur servit qu’à reprendre, ou, pour mieux dire, qu’à affecter une indépendance menteuse. Terminant cette œuvre de vénalité et de déception comme ils l’avaient commencée, ils couronnèrent par une formalité hypocrite des négociations toutes pleines de duplicité. Ils demandèrent aux deux rois, et ils obtinrent d’eux, qu’ils les déliassent par écrit de leurs promesses[115], afin de pouvoir en apparence observer les prescriptions de la bulle d’or et jurer qu’ils étaient libres tout en restant engagés.
Les électeurs furent tous rendus à Francfort le 8 juin. Ils arrivèrent avec la pompeuse suite de leurs conseillers, de leurs serviteurs et des troupes de cavaliers leur servant d’escorte, dans cette ville réservée aux élections impériales, et où, depuis l’ouverture de leur conclave jusqu’à son terme, ne pouvait pénétrer aucun autre prince, ni l’ambassadeur d’aucun roi. L’archevêque de Trêves, qui avait eu de fréquentes entrevues avec Bonnivet, d’Albret et Guillart, reçut d’eux et y porta 50,000 écus d’or pour gagner l’archevêque de Cologne et les envoyés de Bohême[116] à François Ier. Ce monarque attendait avec confiance le résultat de la diète. Il avait adressé à l’archevêque de Trêves et au margrave de Brandebourg, les deux plus fermes soutiens de sa cause, de pleins pouvoirs pour traiter avec les autres électeurs et confirmer leurs privilèges, s’il était élu[117].
Sur les sept membres du collège électoral, quatre lui avaient promis leurs suffrages à deux reprises diverses. Si l’archevêque de Mayence lui avait fait encore une fois défaut, et si le comte palatin s’était engagé presque en même temps avec son adversaire comme avec lui, les chances du roi catholique ne paraissaient pas meilleures que les siennes. Celui-ci ne pouvait compter avec certitude que sur l’archevêque de Mayence. Il avait aussi raison d’espérer la voix de la Bohême à cause des liens qui unissaient ce pays à l’Autriche, et parce qu’il venait de marier la veuve de Ferdinand d’Aragon au margrave Albert de Brandebourg, qui exerçait une grande influence en Bohême. François Ier avait négligé de faire épouser, comme il l’aurait pu, cette princesse à Lautrec. Langhac et Antoine Lamet, qu’il avait fait partir pour la Pologne sous un déguisement, avaient obtenu de bonnes paroles du roi Sigismond, qui n’avait pas été insensible à l’argent de France[118]. Il avait envoyé de plus le duc de Suffolk vers les états de Bohême assemblés à Prague, mais le duc n’y était pas arrivé avant le départ du chancelier Ladislas Sternberg, délégué de son jeune souverain à la diète. Les deux voix de Cologne et de Saxe étant incertaines, il restait encore beaucoup à faire de part et d’autre pour obtenir une majorité définitive.
On y travailla des deux côtés avec ardeur. Sickingen parut aux environs de Francfort avec plus de vingt mille hommes de l’armée de Souabe, ce[119] dont furent merveilleusement estonnez ceux qui vouloient bien au roy de France et très fort joyeux ceux qui vouloient bien au roy catholique[120]. Afin d’ajouter à l’influence exercée par la vue de ces troupes l’action de leurs sourdes menées, le comte palatin Frédéric, l’évêque de Liège, le margrave Casimir de Brandebourg-Culmbach, le comte Henri de Nassau et Maximilien de Berghes s’établirent à Höchst, à deux lieues de Francfort, tandis que les autres agens du roi catholique demeurèrent à Mayence. Bonnivet s’était transporté depuis quelque temps de la Lorraine sur les bords du Rhin, avec un cortège de huit cents chevaux. Afin d’être plus près des électeurs et d’agir, autant qu’il le pourrait, sur eux, il se rendit alors déguisé, et sous le nom du capitaine Jacob, à Rüdesheim, village situé à cinq ou six lieues de Francfort, laissant Jean d’Albret et le président Guillart à Coblentz,
La diète s’ouvrit le 18 juin. Aux termes de la bulle d’or, les électeurs entendirent, dans l’église de Saint-Barthélémy, la messe du Saint-Esprit qui devait inspirer leur choix[121]. Après la messe, ils s’approchèrent tous de l’autel, et là les trois archevêques de Mayence, de Trêves, de Cologne, la main sur la poitrine, le comte palatin, le duc de Saxe, le margrave de Brandebourg et le nonce du roi de Bohême, la main sur le livre des Évangiles, ouvert au premier chapitre de saint Jean, in principio erat Verbum, etc., prêtèrent chacun à son tour le serment qui suit : — « Je jure, sur les saints Évangiles ici présens et placés devant moi, que je veux, par la foi qui me lie à Dieu et au sacré empire romain, élire, selon mon discernement et mon intelligence et avec l’aide de Dieu, pour chef temporel du peuple chrétien, c’est-à-dire roi des Romains, futur césar, celui qui convient le mieux à cette charge, autant que mon discernement et mon intelligence me dirigent et me commandent, conformément à ma foi, et que je lui donnerai ma voix, mon vote, et mon susdit suffrage, libre de tout pacte, de tout prix, de toutes arrhes et de tout engagement, quelque nom qu’on lui donne. Qu’ainsi Dieu et tous ses saints me soient en aide[122]. »
Dès que la diète fut assemblée, les ambassadeurs des deux rois lui adressèrent des manifestes dans lesquels, notifiant la candidature de leurs maîtres, ils donnèrent à l’appui toutes les raisons qu’ils avaient déjà tant de fois exposées à chaque électeur en particulier. Les conférences et les intrigues durèrent pendant plusieurs jours. Les plus grands efforts se firent autour de l’électeur palatin, dont la détermination pouvait entraîner celle de l’électeur de Cologne, et qui, ayant vendu tour à tour sa voix aux ambassadeurs du roi catholique en avril, aux ambassadeurs du roi très chrétien en mai, flottait entre le souvenir de son dernier engagement et la crainte des soldats de Sickingen. Le comte Frédéric, qui l’avait décidé à s’engager envers Maximilien à Augsbourg, promit de le faire voter pour Charles à Francfort. Il dit à Armerstorff : « Je vous réponds et assure de mon frère, » et offrit comme garantie, s’il le fallait, d’être prisonnier du roi[123]. Il pénétra dans Francfort, sous un déguisement, afin d’arracher l’électeur palatin à ses hésitations et de le donner entièrement au roi catholique[124]. Il l’ébranla. L’archevêque de Trêves prévint aussitôt du danger de cette défection Bonnivet, qui écrivit au comte palatin la lettre la plus pressante et la plus forte. Il lui dit qu’il trouverait merveilleusement étrange qu’il voulût trahir un prince qui était son parent et son ami, pour en favoriser un autre dont l’aïeul l’avait mis au ban de l’empire et avait amoindri ses états. « Je vous supplie, monseigneur, ajoutait-il, de penser combien cela vous touche. Vous feriez une grosse playe à votre maison, en étant celui qui commencerait à montrer qu’il n’y a point de foi ni d’honneur. Il ne faut pas que la peur que l’on vous fait de brûler et ruiner votre pays vous induise à changer d’opinion, car je vous offre d’aller, dès cette heure, vous servir en personne avec sept ou huit mille lansquenetz, que j’ai tout prêts, et huit cents chevaux, de faire marcher incontinent l’armée du roi qui est sur la frontière d’Allemagne et la plus puissante qu’on ait vue de longtemps, et, si vous me l’écrivez, de prendre même au service du roi la moitié de l’armée de Francisque de Sickingen, ce que je pourrai toutes les fois que je le voudrai[125]. » Afin de le tenter aussi par l’appât d’un plus grand intérêt, il lui proposa une des sœurs du roi de France en mariage, avec une dot de 2 ou 300,000 florins, la solde de 200 chevaux pendant toute sa vie, pour la garde de son pays et le dédommagement des pertes qu’il pourrait éprouver s’il était attaqué à cause de son vote[126]. Il informa en même temps François Ier de tout ce qui se passait. Ce prince prit résolument son parti : il écrivit à Bonnivet que si l’élection n’était pas encore terminée, et si lui et ses amis dans Francfort voyaient qu’il était impossible de la faire tourner en sa faveur, ils missent tous leurs soins à empêcher le roi catholique d’être nommé empereur. Il lui prescrivait dans ce cas de faire porter les voix dont il disposait sur un prince allemand, de préférer le margrave de Brandebourg à tout autre à cause de l’amitié qu’il avait pour lui, et si le margrave de Brandebourg n’était pas possible non plus, de se replier sur le duc Frédéric de Saxe, vers lequel penchait l’électeur de Trêves, d’exiger de celui des deux qui serait ainsi nommé l’assurance qu’après avoir été couronné empereur, il solliciterait pour lui-même le titre de roi des Romains, et si le duc de Saxe s’y refusait, de le faire élire sans condition, afin d’écarter à tout prix du trône impérial le roi catholique, dont l’élévation aurait tant de danger pour lui[127].
C’est ce que François aurait dû faire depuis longtemps. Son intérêt n’était pas d’être élu. S’il l’avait été, il s’en serait bientôt repenti. Il aurait excité la défiance et l’indocilité de l’Allemagne, les mécontentemens de la France, et peut-être à la longue sa rébellion, la jalousie, l’union et l’hostilité de tous les souverains. Les forces de son royaume, déjà détournées de leur emploi régulier par les guerres d’Italie, qui laissaient ses frontières naturelles imparfaites et son organisation intérieure inachevée, seraient allées se perdre encore et s’épuiser en Allemagne. L’empire l’aurait réellement affaibli et infailliblement embarrassé. Il fallait dès lors qu’il se bornât à empêcher le roi catholique de l’obtenir. L’affermissement de sa position en Italie l’exigeait tout comme la sécurité de son royaume. Héritier unique des quatre puissantes maisons de Bourgogne, d’Autriche, de Castille, d’Aragon, le roi catholique était devenu le possesseur universel de leurs états et le représentant redoutable de leurs vieilles animosités contre la France. Il importait avant tout à François Ier que ce prince ne joignît point à l’Autriche, aux Pays-Bas, à l’Espagne, à la Sicile, à Naples, la couronne impériale. Or, pour l’empêcher d’acquérir ce surcroît de puissance et d’ajouter la suzeraineté de Milan à toutes les causes de collision qui naissaient déjà du contact des territoires et de l’opposition des intérêts, il n’y avait qu’un bon moyen : c’était de placer à la tête de l’Allemagne un chef local qui la tînt éloignée de la grande lutte prête à éclater entre eux ; mais il fallait y employer la prévoyance, l’activité, le temps, l’argent qu’il avait consacrés jusque-là à sa propre élection. De pareils résultats ne sauraient être des pis-aller. Ils ne peuvent réussir qu’en étant préparés de longue main.
Aussi la lettre du roi de France, partie de Melun le 26 juin, arriva trop tard à Rüdesheim. Déjà le 24 le cardinal légat avait cessé de soutenir exclusivement sa candidature. Il avait reçu de nouvelles instructions du souverain pontife, auquel le roi catholique s’était plaint de l’intervention ouverte du saint-siège en faveur de François Ier. Charles avait chargé don Luis Carroz, son ambassadeur à la cour de Rome, de dire à Léon X qu’il ne saurait reculer sans honte dans la poursuite de l’empire, ni y échouer sans détriment pour son autorité comme pour sa réputation, et il l’avait fait supplier de changer de résolution à son égard. Rappelant à l’ambitieux Florentin les bienfaits que les Médicis avaient reçus de ses prédécesseurs, et rassurant le suzerain inquiet sur la trop grande puissance de son royal feudataire, il avait ajouté : « Sa béatitude peut être certaine que, après l’élection, nous nous gouvernerons de telle manière, en tout ce qui touche au saint-siège, et particulièrement à sa sainteté, à son état, à la maison de Médicis, qu’elle verra clairement que nos œuvres ont été et seront toujours d’un vrai fils et d’un fils très obéissant[128]. » Léon X, déjà ébranlé par la résistance des quatre électeurs assemblés à Wesel et intimidé par les manifestations des préférences germaniques, s’était rendu aux vœux du roi Charles. Il avait prescrit à son légat, s’il voyait prendre à l’élection un certain tour, de ne plus s’opposer au choix du roi de Naples, de peur que l’empereur futur ne devînt un ennemi du pape. Le légat avait dès lors signifié aux électeurs que le souverain pontife, dans des intentions de concorde et de paix, adhérerait à la nomination de ce prince, si leurs suffrages se portaient sur lui. La résignation du légat et le manque de foi du comte palatin, qui répondit à Bonnivet en lui conseillant de pourvoir à la sûreté de sa personne, ruinèrent les affaires de François Ier. L’entreprenant amiral, les jugeant désespérées, prit alors sur lui de renoncer à la candidature de son maître pour susciter celle d’un prince allemand, comme il l’aurait fait s’il avait reçu à temps la dépêche du 26 juin.
Bonnivet se rejeta d’abord sur le margrave de Brandebourg, qui ne put pas même obtenir la voix de l’archevêque de Mayence, son frère, ensuite sur l’électeur de Saxe, que sa réputation de sagesse, de droiture, de désintéressement, de patriotisme, rendait un candidat beaucoup plus sérieux. La politique bien entendue de l’Allemagne semblait conseiller aux électeurs de ne donner pour chef à leur pays ni l’un ni l’autre des deux puissans monarques qui, capables de le défendre, seraient aussi en état de l’asservir. La cour de Rome, redoutant presque au même degré de voir monter sur le trône impérial le duc de Milan ou le roi de Naples, ce qui la mettrait à la merci du possesseur de la haute ou de la basse Italie, eût préféré le choix de l’électeur de Saxe; mais ce prince, prudent et peu résolu, craignit de n’être pas au niveau d’une aussi grande charge, de succomber sous son poids et d’en écraser sa maison. La nécessité de repousser les Turcs, le besoin urgent de ramener la paix dans l’empire et de poursuivre avec vigueur ceux qui la troublaient, le devoir de raffermir l’unité religieuse prête à se rompre, lui semblèrent au-dessus de ses forces ou de son caractère. Il déclina donc les offres qui lui furent faites, et il s’apprêta à donner sa voix à celui-là même dont les armes victorieuses devaient plus tard envahir ses états, réduire en captivité son héritier, et faire passer la dignité électorale de la branche de sa maison dans une autre.
Ce grand conflit marqué par des phases si diverses, et pendant la durée duquel le roi catholique lui-même avait paru si près d’échouer, qu’on lui avait conseillé de travailler à l’élection d’un autre prince, ce grand conflit touchait à son terme. Le 28 juin, les électeurs, revêtus de leurs costumes de drap écarlate, se rendirent au son des cloches dans l’église de Saint-Barthélémy pour procéder définitivement au choix d’un empereur. Ils s’assemblèrent dans la petite chapelle près du chœur qui leur servait de conclave.
L’archevêque de Mayence prit le premier la parole. Il se demanda lequel il fallait élire, du roi très chrétien, du roi catholique ou d’un prince allemand. Il examina d’abord s’il convenait de choisir François Ier, et dit qu’aux termes de la bulle d’or, les électeurs juraient de ne pas élire un empereur étranger, et qu’ils manqueraient à cette loi et à leur serment, s’ils nommaient le roi de France; que celui-ci d’ailleurs voudrait accroître son royaume, qui était héréditaire, aux dépens de l’empire qui ne l’était point; que, s’étant emparé de Milan après sa grande victoire sur les Suisses à Marignan, il aspirerait désormais à soumettre toute l’Italie et dirigerait ensuite son ambition contre l’Allemagne; qu’il chercherait à enlever la Flandre et l’Autriche au roi Charles, d’où résulteraient de grands troubles et des guerres civiles dans leur patrie; que si, dans ce cas, les électeurs et les autres princes s’opposaient à ses desseins en voulant défendre les droits de l’empire et le petit-fils de Maximilien, à qui ils devaient tant, il les déposséderait pour en mettre d’autres à leur place; qu’ils pouvaient juger de la liberté qui leur serait laissée en jetant les yeux sur le royaume de France, où se trouvaient naguère encore plusieurs grands princes disposant de beaucoup d’autorité, et où il n’y avait plus aujourd’hui personne qui ne tremblât au plus petit signe du roi. Après avoir ainsi combattu la candidature de François Ier, l’archevêque de Mayence lui donna pour sa part une exclusion formelle.
Discutant alors le choix d’un prince allemand, il ne s’y montra pas moins défavorable, parce qu’un semblable empereur, faible et désobéi, serait hors d’état de conduire, de pacifier, de défendre l’Allemagne, et d’y rétablir l’unité religieuse compromise. Restait le roi catholique. L’archevêque convint que, s’il était élu, les affaires de l’Allemagne paraîtraient exposées à souffrir de son éloignement, et ses libertés à être menacées par sa puissance. Il ajouta toutefois que, lorsqu’il considérait l’origine allemande de ce prince, les états qu’il possédait dans l’empire, les heureuses et grandes qualités dont il était doué, les ressources considérables qu’il mettrait au service de l’Allemagne et de toute la république chrétienne, les sages précautions à l’aide desquelles on pourrait éviter les dangers de son autorité, nul autre ne lui semblait plus digne de recevoir la couronne impériale[129].
Ce discours produisit beaucoup d’effet sur les électeurs, qui désirèrent néanmoins entendre l’archevêque de Trêves. Celui-ci, s’étonnant de voir l’archevêque de Mayence préférer le roi catholique au roi très chrétien, dit que la bulle d’or ne les autorisait pas plus à élire un Espagnol qu’un Français, et que, si l’on jugeait le premier capable d’être élu parce qu’il possédait des provinces de l’empire, le second ne l’était pas moins comme possédant la Lombardie et le royaume d’Arles, qu’il fallait donc rechercher lequel des deux leur convenait le mieux. Il soutint alors qu’en choisissant le roi très chrétien et en l’obligeant à ne point attaquer Naples ni la Flandre, ce prince entreprendrait infailliblement de chasser les Turcs de la Hongrie pour protéger l’Allemagne, qui était l’avenue et le rempart de son royaume, tandis que, si l’on nommait le roi catholique, on pouvait être certain que la guerre éclaterait dans les Pays-Bas et en Italie, — que le roi Charles s’efforcerait d’enlever Milan à François Ier, pour l’annexer à ses états, et que, durant cette lutte des deux plus puissans princes de la chrétienté, les Turcs envahiraient la Hongrie sans résistance. Il insista fortement sur le mérite éprouvé et la valeur connue de François Ier, qu’il opposa à la jeunesse inexpérimentée de son compétiteur, sur le naturel facile des Français et la dureté orgueilleuse des Espagnols. Puis il conclut en disant qu’à choisir un étranger, le roi très chrétien valait mieux que le roi catholique, et qu’à exclure les étrangers, il fallait prendre pour empereur un prince tout à fait allemand par l’origine, par les habitudes, par le caractère, par le langage; que les trois puissantes maisons de Bavière, de Brandebourg et de Saxe pouvaient donner à l’empire un chef qui, à l’exemple de Rodolphe de Habsbourg et de Maximilien, se ferait respecter non-seulement en Allemagne, mais dans le monde entier[130].
Cette combinaison aurait pu réussir encore, si l’électeur de Saxe S’y était prêté; mais, loin de la seconder, il prit la parole pour se ranger de l’avis de l’archevêque de Mayence. Il dit que la loi en vertu de laquelle ils délibéraient ne leur permettait pas d’élire le roi de France, mais qu’elle les laissait libres de nommer le roi d’Espagne, qui était archiduc d’Autriche et vrai prince allemand; que, dans les conjonctures présentes, ce choix lui paraissant le meilleur, il voterait en faveur de ce prince, mais en lui imposant des conditions qui assurassent la liberté et l’intégrité de l’empire, et qui prévinssent les périls signalés par les deux électeurs de Mayence et de Trêves[131]. Son opinion entraîna toutes les autres. L’archevêque de Trêves se rendit lui-même, et le soir, à dix heures, les sept électeurs, réunissant leurs suffrages sur l’heureux Charles, l’élurent roi des Romains et futur empereur sous le nom de Charles-Quint.
Le lendemain, ils s’assemblèrent pour régler les conditions auxquelles ils entendaient le soumettre. Outre la garantie ordinaire des lois, des privilèges et des usages de l’empire, ils exigèrent qu’il ne pût, sans eux, convoquer aucune diète, établir aucun nouvel impôt, entreprendre aucune guerre, conclure aucun traité; qu’il n’introduisît point en Allemagne de soldats étrangers, qu’il y donnât tous les emplois publics à des Allemands, qu’il se servît dans ses lettres de la langue allemande, et qu’il vînt au plus tôt se faire couronner en Allemagne et y résider. Nicolas Ziegler accepta et signa le 3 juillet cette capitulation au nom de Charles-Quint[132]. Les électeurs envoyèrent aussitôt en Espagne le comte palatin Frédéric, avec Armerstorff et Bernard Wurmser, pour notifier leur choix au nouvel élu et lui signifier leurs vœux.
François Ier connut le 3 juillet à Poissy le résultat de l’élection; il fit très bonne contenance. Les principaux personnages de sa cour et de son conseil s’applaudirent tout haut d’un échec qui leur semblait très heureux pour la France. Il parut s’en féliciter lui-même, et dit aux ambassadeurs étrangers que, sans les instances des électeurs, il n’aurait pas songé à l’empire, mais qu’à bien considérer les embarras que cette dignité lui aurait suscités et les répugnances qu’elle rencontrait dans son royaume, il devait remercier Dieu d’y avoir échappé[133]. Il écrivit en même temps à Bonnivet, à Jean d’Albret et à Guillart, qu’il prenait en bonne part l’issue de son affaire, qui au fond était avantageuse pour lui, et serait profitable à ses sujets[134]. Il les invita à le rejoindre au plus tôt en évitant toute mauvaise rencontre. Ceux-ci quittèrent l’Allemagne sans accident, et même avec réputation. Ils envoyèrent 4,000 lansquenets au duc de Lunebourg, qui battit et fit prisonnier le duc Henri de Brunswick, et ils laissèrent au duc de Lorraine, en repassant par Nancy, les moyens de se mettre en défense contre les attaques dont il était menacé à cause de son dévouement à leur maître[135].
Ainsi commença entre François Ier et Charles-Quint cette grande rivalité qui devait remplir encore plus d’un quart de siècle. Le plus jeune et le moins expérimenté l’emporta sur l’autre. Une puissance moins redoutable en apparence contribua à lui rendre l’opinion propice, en même temps que la fortune favorisait, comme il arrive souvent, les débuts de son ambition et de ses entreprises.
Cette élection devait avoir des suites considérables : elle changeait la proportion des forces entre les deux rivaux ; elle était pour eux le signal d’une lutte acharnée, qui aurait pour théâtre l’Italie, pour objet la conservation ou le recouvrement du Milanais. Elle exigeait de la part des deux princes l’assujettissement de plus en plus grand de leur royaume héréditaire, afin qu’ils pussent poursuivre leurs desseins extérieurs sans en être détournés, l’un par le vieil esprit d’indépendance de l’Espagne, l’autre par les ardeurs tumultueuses de la France. Elle laissait pour longtemps l’Allemagne sans chef, livrée à la rapide invasion des idées nouvelles dont François Ier était appelé à être l’auxiliaire actif, tandis que Charles-Quint, occupé, durant plus de vingt années, de guerres d’où il attendait la possession absolue de l’Italie, devait être le défenseur impuissant des anciennes croyances. Enfin elle poussait le roi très chrétien non-seulement à favoriser l’hérésie en Allemagne pour annuler l’empire en le divisant, mais à s’allier avec les Turcs, qu’il avait promis de combattre, afin de tenir avec leur aide son ennemi capital en échec. Cette élection précipita le cours des événemens, et facilita le triomphe des doctrines de Luther.
MIGNET, de l’Institut.
- ↑ Lettre de Marguerite d’Autriche à l’empereur Maximilien, du 28 janvier 1511. Correspondance de l’empereur Maximilien, etc., publiée par M. Le Glay, Paris, 1839, t. Ier, p. 379.
- ↑ Lettre de Marguerite à Maximilien, du 14 juin 1514. Ibid., t. II, p. 261.
- ↑ En mars 1518, il disait à La Roche-Beaucourt, ambassadeur de François Ier auprès de lui, au sujet de Tournay, que ce prince semblait prêt à reprendre par les armes sur le roi d’Angleterre : « Je vous prie que l’on voye le moyen que cela ne passe plus oultre, car j’en seroye plus courroucé que de chose qui m’advint jamaiz. » Lettre de La Roche-Beaucourt, Bibliothèque nationale, mss. Bethune, 8407. F° 128.
- ↑ « Tanta est ejus gravitas et animi magnitudo ut habere sub pedibus universum præ se ferre videatur. » — Petri Martyris Anglerii Epistolœ, lib. XXXIII, ep. 643.
- ↑ Lettre de François Ier à la duchesse d’Angoulême, du 14 septembre 1513, sur la bataille de Marignan, dans l’introduction aux Mémoires de Du Bellay. Collection Petitot, vol. XVII, p. 186.
- ↑ Les première et deuxième années du règne de François Ier, par Jean Barillon, secrétaire du chancelier Du Prat. Mss. de la Bibl. nat. Bethune, no 8618.
- ↑ Archives générales de France, section historique, carton J.. 995. Pièce du 8 novembre 1516. L’original latin avec les sceaux pendans en cire noire. — Plus tard, le 23 octobre 1518, le roi le fit remercier de la fidélité qu’il lui avait gardée à la diète d’Augsbourg. « Et primum archiepiscopo treverensi dicet quod christianissimus rex ingentes ei gratias agit, tum propter firmam et constantem voluntatem quam illi servavit... tum quod cæteros principes hortatus est et monuit ut idem facerent. » Instructions à J. de Moltzan. Ibid, carton J. 952.
- ↑ L’écu d’or au soleil de François Ier de 1519 pesait 3 grammes 25 centigrammes à 3 francs 30 centimes le gramme, ce qui en portait la valeur métallique à 11 fr. 5 cent. Or, le pouvoir de l’or et de l’argent étant à cette époque cinq fois plus fort au moins qu’aujourd’hui, un écu d’or au soleil de 1519 avait la valeur relative de 55 fr. 25 e. de notre monnaie actuelle.
- ↑ Ibid. Minute originale.
- ↑ Archives générales de France, carton J. 952, pièce 3. L’original sur parchemin, signé de l’électeur et muni de son scel en cire jaune.
- ↑ Ibid. L’original sur parchemin.
- ↑ Ibid. L’original sur parchemin. « Christianissimus rex habet in scriptis fidem et promissionem dicti archiepiscopi maguntini. » Iiistmctions du 23 octobre 1518 à J. de Moltzan. Carton J. 952, p. 8.
- ↑ « Iceluy conte palatin a juré et promis que advenant icelle vacation (de l’empire) eslira le dit seigneur et lui aideroit envers les autres pour le faire eslire. » Instruction de février 1519 pour Cordier (conseiller du roi en son grand conseil) et La Mothe au Groing (l’un des gentilshommes d6 la maison du roi), envoyés auprès de l’électeur. Bibl. nat. Mss. de La Mare, ( ???)
- ↑ L’original a été conservé et se trouve dans le carton J. 995.
- ↑ Pièce 48, carton J. 952, pension de 4,000 livres promise en échange de ses services qu’il a offerts.
- ↑ Ibid. Carton J. 995, pension de 4,000 livres tournois, du 4 avril 1518, et promesse originale du comte de servir François ler, dans le carton J. 952, pièce 7.
- ↑ Ibid. Pension de 1,200 livres du 10 février 1518.
- ↑ Ibid. Traité original du 19 mai 1518, avec pension de 4,000 livres.
- ↑ Vie de Franz de Sickingen, par E. Münch; 2 vol. in-8o. Stuttgart et Tubingen, 1827.
- ↑ Mémoires du maréchal de Fleuranges, dans la collection Petitot, vol. XVI, p. 316.
- ↑ Voir les vol. II, III et IV de Hutten, et une dédicace dans le vol. Ve p. 157. — Ulrichi ab Hutten equitis Germani Opera, édition de J.-H. Münch, in-8o. Berlin, 1822.
- ↑ La plupart des lettres véhémentes et des formidables pamphlets d’Ulrich de Hutten contre l’église romaine et pour la liberté germanique sont datés en 1520-1521 de la citadelle d’Ebernbourg. Opera Ulrichi ab Hutten, vol. III, IV.
- ↑ Ebernburg, ubi pretium est equis et armis, ubi Dei cultus, hominum cura et charitas, ubi virtutibus honor, ubi liberaliter liberi sunt viri, ubi pecuniam contemnunt homines et magni fiunt;... Ubi imiocentia propugnatur, viget probitas, fœdera valent, hoc illud est æquitatis receptaculum. Ulrichi ab Hutten Opera, etc., vol. IV, p. 84. — Gardesius dit : « Aix Eberburgeosis portus et asylum veritatis testium, ernditinais et depressæ libertatis vindicum. » Monumenta, t. Ier, p. 161.
- ↑ Mémoires de Fleuranges, vol. XVI, p. 319.
- ↑ Instruction donnée à Villinger par le roi de Castille en août 1517, dans Bucholtz. Geschichte der regierung Ferdinand des Ersten, in-8o; Vienne, 1831, vol. Ier, p. 84.
- ↑ Le contenu de cette lettre est mentionné dans la lettre de Maximilien au roi de Castille du 18 mai 1518, extraite des archives de Lille et publiée dans les Négociations diplomatiques entre la France et l’Autriche par le savant archiviste M. Le Glay, in-4o, vol. II, p. 126.
- ↑ Sandoval, Historia de Carlos Quinto, t. Ier, lib. V, § II.
- ↑ Lettre de La Roche-Beaucourt de mars 1518. Mss. Béthyne, no 8487, fo 128 et suiv.
- ↑ Dépêche de La Roche-Beaucourt, de Saragosse, 1518. Mss. Béthune, no 8486, fo 56 et suiv.
- ↑ Lettres de Maximilien au roi Charles, du 18 et du 24 mai 1518 (archives de Lille), imprimées, la première, dans les Négociations diplomatiques, t. II, p. 125, la seconde, dans Anzeiger für Kunde der Teutschen Vorzeit, par F.-J. Mone, Karlsruhe, 1836, in-4o, p. 14.
- ↑ Toutes les pièces relatives à ce projet de croisade, la plupart extraites des cartons des archives et des manuscrits de la Bibliothèque nat., sont imprimées dans le vol. Ier, p. 10 à 82, des Négociations de la France dans le Levant, publiées par M. E. Charrière, in-4o, 1848. — Collection des Documens inédits sur l’Histoire de France.
- ↑ Estat de l’argent comptant que à cette journée impériale d’Augsbourg a, pour et au nom du roy, esté desboursé. Dans Mone, p. 407 à 411. Le florin d’or valait un peu moins que l’écu d’or au soleil. Il pesait 3gr,225, ce qui lui donnait une valeur métallique de 10 fr, 64 c, qu’il faut multiplier par 5 pour avoir sa valeur relative.
- ↑ Instructions latines données à Moltzan par François Ier le 23 octobre 1518. Archiv., carton J. 952, pièce 8.
- ↑ Mémoire du 27 octobre dressé par l’empereur Maximilien pour le roi catholique. Le Glay, Négociations, etc., t. II, p. 172.
- ↑ Lettre de remerciement de François Ier à l’électeur palatin du 13 août. Minute sur parchemin. Archives, carton J. 932, pièce 24.
- ↑ Annalium de vita et rebus gestis, etc., Frederici II, electoris palatini, libri XIV. Authore Huberto Thoma Leodio. In-4°. Francofurti, 1624, lib. IV, p. 68.
- ↑ Cette lettre est parmi les papiers de Simancas aus Arch. nat., sér. B, lia. 2. no 79.
- ↑ Cet acte est dans les papiers de Simancas. Ibid., n° 79’.
- ↑ Lettres du comte Frédéric. Ibid., n° 79(4).
- ↑ Papiers de Simancas aux Arch. nat., n° 79(5).
- ↑ Lettre de Maximilien au roi de Castille du 24 mai. Le Glay, Négociations, etc., t. II, p. 127. — Estat de l’argent comptant, etc., Mono, p. 407 à 411.
- ↑ Mémoires de Fleuranges, édit. Petitot, vol. XVI, pag. 324-325. « Lequel Francisque, dit-il, porta depuis au roi grand dommage et spécialement pour le faict de l’empire. »
- ↑ Lettre de Maximilien au roi de Castille du 24 mai. Le Glay, Négociations, etc., t. Il, p. 129.
- ↑ Mémoire de Maximilien du 27 octobre. Le Glay, Négociations, etc., t II, p. 170-172-173.
- ↑ Ces lettres sont dans Bucholtz, Histoire de Ferdinand Ier, vol. III, p. 665.
- ↑ Mémoire de Maximilien du 27 octobre. Le Glay, Négociations, etc., vol. II, p. 171.
- ↑ Lettre originale de François Ier au chancelier Du Prat, du 6 septembre. Mss. Dupuy, vol. 486, feuille 114.
- ↑ Instructions du 23 octobre 1518 à Joachim de Moltzan, et de la fin de novembre. à Baudoyn de Champagne, seigneur de Bazoges. Carton J. 952, pièces 8 et 45.
- ↑ Lettres de La Roche-Beaucourt, écrites de Saragosse, du 16 novembre 1518, au grand-maitre Boisy, et du 20 novembre à François Ier. Mss. Bethune, no 8486, fo 81 et 63.
- ↑ Mémoire de Maximilien du 27 octobre. Le Glay, Négociations, etc., t. II, p 175.
- ↑ Voir ce qu’en dit Cuspinien son médecin et son ambassadeur. — De Casaribus atque imperatoribus Romanis. — Maximilianus Cæsar, p. 610, in-fol.; Basle, 1561, et Correspondance de l’empereur Maximilien, Le Glay, t. II, p. 411, 412, 413.
- ↑ Histoire inédite écrite du temps du chancelier Du Prat. Mss. Colbert, no 8437 et Mss. Dupuy, vol. 745.
- ↑ Minute originale des instructions données à Langhac et à Lamet, carton J. 952, pièce 9.
- ↑ Instruction pour le capitaine Brander, envoyé par le roy devers Franciscus de Sieckemgen. Carton J. 953, pièce 62.
- ↑ Lettre de Thomas Boleyn au cardinal Wolsey, du 28 février. Dans Ellis, Original Letters, vol. Ier, p. 147.
- ↑ Original de leur nomination sur parchemin, signé du roi et de Robertet, et muni du grand scel en cire jaune. Carton J. 952, pièce 6. — Leur curieuse et complète correspondance avec le roi et celle du roi avec eux est dans les mss. de La Mare 10992/3 à la Bibliot. nationale.
- ↑ Lettre de François Ier à ses ambassadeurs, du 20 février. Mss. de La Marc 10390/3 f° 54.
- ↑ Dépêche du roi du 7 février. Mss. de La Mare 1063/3, f° 50, sqq.
- ↑ Instructions pour les électeurs de l’empire, — fin de janvier. Minute originale. Arch, carton J. 952, pièce 9.
- ↑ Minute et copies originales des Instructions pour le faict de l’empire, etc., de février 1519, dans les mss. de La Mare, 10330/3.
- ↑ Mémoires de Fleuranges, dans Petitot, vol. XVI, p. 322 à 344.
- ↑ Les pouvoirs qu’ils reçurent, les traités qu’ils poursuivirent, les dépêches qu’ils écrivirent, extraits des archives de Lille, sont dans Mone, Anzeiger, etc., et dans Le Glay, Négociations, etc. vol. II.
- ↑ Lettre latine de l’électeur palatin à François Ier, du 14 janvier. Bib. nat., mss. Colbert, vol. 385, p. 6, copie.
- ↑ Lettre de François Ier à ses ambassadeurs, du 11 fév. et du 8 mars. Mss. de La Mare, 103322/3, f° 52-61.
- ↑ Lettre de J. Moltzan du 12 mars 1519, mss. Dupuy, vol. 264, f° 1.
- ↑ Primi articuli. L’original avec le déchiffrement des mots chiffrés écrit dessus. Mss. Dupuy, vol. 263. Envoi de ces articles à François Ier par Jean d’Albret, Bonnivet, etc., qui les avaient reçus de Moltzan à Lunéville. Lettre du 28 mars 1519. Mss. de La Mare, 10532/3 f° 119.
- ↑ Articuli moguntini. L’original mss. Dupuy, vol. 263.
- ↑ « J’ay receu lettres du roi d’Angleterre très honnestes et tant gratieuses qu’il n’est possible de plus. » François Ier à l’amiral Bonnivet, 7 février. Mss. de La Mare, 10532/3, f° 50.
- ↑ Bref du 12 mars 1519. L’original sur parchemin. Archives, carton J. 952, pièce 10.
- ↑ Bref du 14 mars. L’original sur parchemin. Ibid., carton J. 952, pièce 5.
- ↑ Lettre du roi de Castille Charles, du 5 mars, dans laquelle est mentionné le contenu de celle de Marguerite et de ses conseillers. Archives des affaires étrangères, correspondance d’Espagne, vol. de 1235 à 1594, f° 134. sqq. C’est une copie faite sur l’original déposé à la chambre des comptes de Lille et vérifiée par Godefroy, garde des chartes de cette chambre; elle ne se trouve point dans les Négociations diplomatiques de M. Le Glay.
- ↑ Lettre du roi Charles à Marguerite, du 5 mars.
- ↑ Instructions du 5 mars données au sieur de Beaurain. Ces instructions sont publiées dans les Négociations diplomatiques de M. Le Glay, t. II, p. 304.
- ↑ Lettre du roi catholique à son frère l’archiduc Ferdinand, du 5 mars. Archives des affaires étrangères, correspondance d’Espagne.
- ↑ Instructions au sieur de Beaurain. Le Glay, t. II, p. 309-310.
- ↑ lettre à Marguerite, du 5 mars. Archives des affaires étrangères.
- ↑ Paul Armerstorff au roi catholique, le 25 fév. à Heidelberg. Le Glay, Négociations, etc., vol. Il, p. 281.
- ↑ Paul Armerstorff au roi catholique, 4 mars, à Offenbourg. — Le Glay, Négociations, etc., t. II, p. 287.
- ↑ Le Glay, Négociations, t. II, p. 289-290.
- ↑ Lettre inédite de l’archevêque de Mayence à l’électeur de Brandebourg, du 1er mars 1519, incluse dans la dépêche d’Annerstorff à Marguerite d’Autriche de la même date et non comprise dans la publication de M. Le Glay. Archives de Lille.
- ↑ Lettre latine de Joachim de Moltzan à François Ier, du 12 mars 1519. L’original mss. Dupuy, vol. 264, f° 1.
- ↑ Lettre d’Armerstorff à Marguerite d’Autriche, du 26 mars 1519. — Le Glay, Négociations, etc., vol. II, p. 376.
- ↑ Lettre d’Armerstorff au roi de Castille, du 2 avril. Archives de Lille.
- ↑ Post-scriptum de la lettre d’Armerstorff à Marguerite d’Autriche, du 26 mars. — Le Glay, Négociations, etc., vol. II, p. 877.
- ↑ Dumont, Corps dipl., vol. IV, part. I, p. 283.
- ↑ Lettre de Henri de Nassau à la régente Marguerite, du 11 mars (archives de Lille), publiée dans Mone, p. 124.
- ↑ Goldast, Constitutiones impériales, vol. I, p. 439.
- ↑ Il est fait mention des offres qu’il reçut des deux parts dans plus de vingt lettres de François Ier, du roi Charles, de Marguerite d’Autriche et de leurs commissaires respectifs. Les deux correspondances sont aussi remplies de lui que des électeurs. Bonnivet n’avait rien oublié pour le regagner. Il lui avait écrit en mars une lettre dans laquelle il lui disait qu’il n’y avoit pas de personnage en Allemagne, ni d’amy que François Ier eut veu de meilleur visage, eut en meilleure estime, ni en qui il dist avoir plus de seureté; il ajoutait : Capitaine Francisque, je suis et toujours ay esté vostre amy, et tel vous me trouvères en tout ce que vous me vouldrez employer et aussi pour ce que je désire bien que le roy mon maistre eust beaucoup de telz personnages en son service que vous. Il le priait de venir le trouver et l’assurait « qu’il ne le quitterait point sans être satitfaict et content. » Mss. de La Mare, 10332/3.
- ↑ la régente Marguerite à Maximilien de Berghes. Lettre du 4 mars dans Mone, p. 121 à 122.
- ↑ Instructions du roi catholique, etc., du 5 mars. — Le Glay, Négociations, etc., t. II, p. 307.
- ↑ Lettres sur parchemin signées du roi et contre-signées de Robertet. Archives, carton J. 952, pièces 30, 32, 33, 34, 35, 36, 37.
- ↑ Lettre de François Ier à ses ambassadeurs, du 21 mars. Mss. de La Mare, n° 10330/3, fo 66.
- ↑ Lettre de Maximilien de Berghes, de Zurich, le 22 mars 1519. — Le Glay, Négociations, etc., t. II, p. 364 à 373.
- ↑ Lettre de Maximilien de Berghes au roi de Castille, du 12 avril, à Constance. — Le Glay, Négociations, etc., vol. II, p. 415 à 424.
- ↑ Lettre de François Ier à ses ambassadeurs, du 16 avril. Mss. de La Mare, 10330/3, f° 78.
- ↑ Lettre de François Ier aux mêmes, du 21 avril. Ibid., f° 79.
- ↑ Lettre de Maximilien de Berghes à Marguerite d’Autriche, des 26 et 27 février 1519. Dans Mone.
- ↑ Mémoires de Fleuranges, vol. XVI, p. 831.
- ↑ Lettre de François Ier à ses ambassadeurs, du 19 mars, Ibid., f° 68.
- ↑ Marguerite d’Autriche avait écrit au roi, son neveu : « La ligue de Zwave autrefois a fait eslire empereur, parquoy est l’une des choses les plus nécessaires que bien entretenir la dite armée en Estre, pour donner à icelle soubz le dit messire Francisque (Sickingen) une bonne assistance, par le moyen de laquelle les gagnerez pour en faire ce que vous vouldrez. » Lettre du 9 mars. Le Glay, Négociations, etc., p. 324. C’est ce qu’ordonna le roi de Castille à ses commissaires en Allemagne. Lettre du 31 mars, non imprimée. Archives de Lille
- ↑ Cito, cito, cito. — Lettre latine de Moltzan, du 28 février. L’original. Archives, carton J. 932, pièce 57.
- ↑ Lettre de Maximilien de Berghes à Marguerite d’Autriche, des 5 et 6 fév. 1519. — Le Glay, Négociations, etc., p. 203.
- ↑ Lettre de François Ier à ses ambassadeurs, du 28 mars. Mss. de La Mare, 10330/3, f° 69.
- ↑ Lettre de François Ier à ses ambassadeurs, du 30 mars. Ibid., f° 71.
- ↑ L’original en latin, sur parchemin, signé de la main de l’électeur et muni de son scel en cire rouge. Archives, carton J. 932, olim 892, pièce 13.
- ↑ Lettre du comte de Nassau au roi Charles, — faussement datée du 8 avril et qui doit être du 8 mai. Archives de Lille. Cette lettre est très curieuse et inédite.
- ↑ « Il fait comme Pilate, et pour ce est besoin le tenir de prez et non dormir, » écrivait Armerstorff le 14 mars au roi Charles. — Le Glay, Négociat., etc., vol. II, p. 340.
- ↑ Lettre du 4 avril de Henri de Nassau et de Gérard de Pleine au roi catholique. — Le Glay, Négociations, etc., vol. II, p. 403 à 406.
- ↑ Lettre des ambassadeurs de François Ier au roi, du 10 mai (Mss. de La Mare, 10220/3, fo 141), et Histoire politique de la Bavière, par Stumpf, archiviste du royaume de Bavière, Munich, 1816 à 1818, t. I, sect. I, p. 32 et suiv.
- ↑ Lettre des mêmes au même, du 23 mai. Ibid., fo 160. « Nous avons devers nous, écrivaient-ils à François Ier, la promesse du dict comte par escript, signée de luy et scellée de son sceau, qui est pure et simple, par laquelle il promect vous eslire et est pareille de celle de monsieur de Trêves, qui ne pourroit estre mieulx. »
- ↑ L’original latin, sur parchemin, signé de la main de l’électeur et muni de son scel en cire rouge. Archives, carton J. 952, pièce 16.
- ↑ Lettre de d’Albret à François Ier, du 87 mai. Mss. de La Mare, 10332/3, f° 154.
- ↑ Lettre latine d’Henri VIII aux électeurs, du 11 mai. Dans Bucholtz, Histoire de Ferdinand Ier , t. III, p. 673. Voir aussi le t. I, p. 104.
- ↑ Lettre de Richard Pace au cardinal Wolsey, du 27 juillet. Dans Ellis, Original Letters, fol. I, p. 157.
- ↑ Lettres des ambassadeurs de François Ier à ce prince, du 10 et 14 mai. (Mss. de La Mare, 10332/3, f° 141 et 146.) Vers la fin de mai, les ambassadeurs montrèrent à l’archevêque de Trêves les lettres de la Relaxacion des sermens. (lettre du 27 mai à François Ier. Ibid., f° 157.) Archives, carton J, pièce 42. — De son côté, le roi Charles envoya lettres pour deschargier les dicts électeurs de leur promesse. — Le roi de Castille à ses députés en Allemagne, le 20 avril. — Le Glay, Négociations, etc., t. II, p. 437.
- ↑ Lettre des ambassadeurs de François Ier à ce prince, du 27 mai. Mss. de La Mare 10332, f° 157.
- ↑ L’original sur parchemin, signé par le roi, contre-signé par Robertet, daté du 12 mai et muni du sel en cire jaune. Archives, carton J. 952, pièce 17.
- ↑ « Dieu est vray, écrit Bonnivet au comte palatin, que je diz à vostre chancelier que Poulogne avoit prins argent de nous, et que leurs ambassadeurs avoiont charge de donner leur voix au dt Sgr roy, » Lettre écrite le 20 ou le 27 juin. Mss. de La Mare 10330/3, f° 172.
- ↑ Instructions données par le roy François Ier au duc de Suffolk. Mss. Colbert, vol. 385, p. 1.
- ↑ Mémoires de Fleuranges, dans Petitot, vol. XVI, p. 342. « Jamais ne fismes mieulx que de nous fortifier de ceste année, laquelle nous faisons marcher. » Lettre d’Armerstorff à Marguerite d’Autriche, du 2 juin. Archives de Lille.
- ↑ Bulle d’or, cap. II, art. 1er.
- ↑ Bulle d’or, cap. II, art. 2.
- ↑ Lettre d’Armerstorff à Marguerite d’Autriche, d’Heidelborg le 2 juin 1519, déposée aux archives de Lille et non imprimée dans les Négociations, etc., de M. Le Glay.
- ↑ Leodius. Vita Frider. II, palatini, lib. V, p. 76.
- ↑ Lettre de l’amiral Donnivet au comte palatin du 24 juin. Mss. de La Marc 10330/3, f° 170.
- ↑ Lettre de l’amiral Bonnivet au comte palatin du 24 juin. Mss. de La Mare 10330/3, f° 170, et autre lettre qu’il lui écrit en allemand, et dans laquelle il lui dit : « Je monstrays à vostre chancellier troys scellez que j’avoye, et vous qui faisiez le quart, qui estoit la senreté de notre affaire. »
- ↑ Lettres de François Ier à ses ambassadeurs, du 26 juin. Ibid., f° 95-96.
- ↑ Lettre du roi catholique à don Luis Carroz, du 17 avril. Minute orig. Arch. de Lille.
- ↑ Lettre du cardinal Cajetan à Léon X, en italien, écrite de Francfort le 29 juin. Lettere di Principi, vol. Ier, p. 68 à 70.— Steidau, t. Ier, édit. de Francfort, 1785, p. 66 à 70.
- ↑ Lettre du cardinal Cajetan à Léon X. Ibid., p. 70 à 72, et Steidan, Ibid., p. 70 à 75.
- ↑ Ibid., p. 72, et Steidan, p. 75.
- ↑ Capitulation Impériale dans Dumont, Corps diplomatique, vol. IV, part. Ire, p. 296.
- ↑ Lettre de Thomas Boleyn, ambassadeur d’Henri VIII auprès de François Ier, au cardinal Wolsey, du 4 juillet. — Dans Ellis, Original Letters, vol. Ier, p. 154.
- ↑ Lettre des ambassadeurs de François Ier à ce prince, des 29 juin, 15 et 18 juillet. Ibid., f° 164-166.
- ↑ Lettre de François Ier à ses ambassadeurs, du 5 juillet. M. de La Mare 10332/3, p. 154.