Une Ennemie de l’Autriche - la princesse Christine Trivulce de Belgiojoso

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Une Ennemie de l’Autriche - la princesse Christine Trivulce de Belgiojoso
Revue des Deux Mondes, 6e périodetome 26 (p. 808-839).
UNE
ENNEMIE DE L’AUTRICHE
LA PRINCESSE CHRISTINE TRIVULCE DE BELOGIOJOSO


L’Autriche est venue, elle a remis son manteau de plomb sur les Italiens, elle les a forcés de regagner leur cercueil.
CHATEAUBRIAND.
Mémoires d’Outre-Tombe.
La vieille gloire est éteinte et les terres d’Italie sont pleines de tyrans.
GlUSEPPE GlUSTI.


Dernièrement, en feuilletant une liasse de vieilles lettres, j’eus la bonne fortune de reconnaître au bas de quelques-unes la signature de la princesse Belgiojoso. Elles me parurent attachantes, car on y sent l’ardeur d’une conviction sincère, d’une volonté persévérante. Je parlai de ces lettres à quelques érudits de mes amis ; le hasard voulut qu’ils eussent, eux aussi, des papiers concernant la princesse. Je pus réunir ainsi un petit dossier, et dès lors il me sembla intéressant d’évoquer un instant cette figure de conspiratrice militante qui combattit si passionnément contre l’Autriche, et qui eut, comme ses compatriotes, tant à en souffrir. Car cette femme étrange connut les fortunes les plus diverses, traversa un temps troublé, et y joua des rôles actifs, tantôt brillans ou dramatiques, tantôt secrets ; elle fut tour à tour cette belle principessa milanese, Carbonaro, femme de lettres, exilée pauvre, mondaine fastueuse, tenant un salon célèbre, ou générale d’armée, empanachée, un drapeau à la main. Toujours errante à travers le monde, belle d’une beauté « somptueuse, » elle souleva l’enthousiasme des foules et éveilla la passion des hommes ; patriote, l’amour de son pays emplit vraiment seul son cœur inassouvi et occupa sa pensée. Elle eut toutes les aventures, je dis toutes. Vivant en plein Romantisme, les folies, même les plus belles, elle sut les accomplir, et comme rien dans sa vie ne pouvait être banal, on trouva un jour un cadavre dans son armoire, et elle fut poignardée en Anatolie par un de ses compatriotes mécontent qui, ne lui ayant donné que sept coups de couteau, ne parvint pas à la tuer.

Muse romantique, mais bien plutôt dame de la Renaissance italienne, elle appartient à deux siècles passés ; elle ne serait pas déplacée, intrigante et hardie, à la Cour d’une Isabelle d’Este ou d’une Catherine Sforza… La destinée l’a fait naître au XIXe siècle qu’elle étonna, et lui a fait connaître des personnes dont les noms nous sont familiers, et qui ont vécu dans un temps proche du nôtre ; mais penser que cette amazone habita place de la Madeleine, connut Mignet, Cousin et Mme Caroline Jaubert, a l’air d’un anachronisme paradoxal. La princesse Cristina Trivulce, dernière descendante d’une illustre famille, a été à l’étroit dans son siècle. Elle y apporta d’ailleurs les libertés et les audaces d’autres époques ; et lorsque, proscrite, elle vint habiter Paris, elle ne daigna pas se plier aux règles bourgeoises que la société d’alors s’imposait, et demeura un sujet de surprise et de scandale. Pourtant, pour quelques-uns, ses malheurs lui firent une parure, et ses aventures un attrait ; puis, elle était d’une rare beauté.

Son enfance passée à Milan au milieu d’une société de patriotes mécontens qui devinrent des conspirateurs et des Carbonari, son mariage romanesque avec le prince le plus beau du monde, puis ses aventures politiques, son goût de la science, des arts et des artistes, tout la rattache aux figures italiennes d’autrefois, à ses brillantes devancières qui tenaient des cours de savans et de poètes, assiégeaient les villes et conspiraient contre les Papes.

Et en vérité, avec sa longue taille, l’ovale pur de son visage, son teint de « perle, » ses yeux immenses, ses cheveux de jais, la princesse Cristina, vêtue de « longues robes étranges, » m’apparait comme une figure énigmatique de Léonard de Vinci, une Joconde nouvelle, ou encore comme une fine dame de Botticelli, tenant une rose entre ses doigts.

Mais cette dame avait l’esprit viril ; si son corps mince semblait immatériel, elle était hardie, entreprenante, montait à cheval comme un mousquetaire, tirait à merveille, faisait des armes, et jouait fort habilement du couteau. Ajoutez à ces connaissances l’hébreu, qu’elle lisait dans le texte, et la théologie. Enfin, de mœurs libres, elle eut, comme ses ancêtres des cours de Mantoue ou de Forli, des intrigues célèbres ; elle les vivait avec un parfait cynisme et un complet mépris de l’opinion publique.

On sait que la princesse Belgiojoso, patriote ardente, a été un des apôtres les plus agissans du Risorgimento italien. En 1831, Metternich la trouvant encombrante, sinon dangereuse, l’exila et confisqua ses biens. C’est alors qu’elle vint habiter la France. Son séjour à Paris, ses relations dans le monde des lettres, ses excentricités, sont connus ; les Mémoires et les livres du temps ont révélé sa vie mondaine et même ses amours, qui furent bruyantes. On a moins parlé de sa vie politique et de ses rapports avec les sectes nombreuses qui, alors, naissaient à chaque manifestation d’un gouvernement oppressif et détesté. Les rapports de police que le prince de Metternich se faisait adresser par les espions qu’il adjoignait à la princesse, témoignent de l’importance qu’il attribuait, quoiqu’il en eût, aux intrigues de cette belle patriote, et aussi de l’influence qu’il lui prêtait sur une société pleine d’aspirations généreuses, vers une Italie libérée et renaissante.

En France, personne encore n’a raconté tout au long l’histoire de la princesse Belgiojoso. Elle a trouvé en Italie son historien en la personne de M. Raffaelo Barbiera, qui a publié sur elle, naguère, un livre très complet où abondent les documens curieux. En Angleterre aussi, M. Bemsen Whitehouse lui a consacré un important ouvrage. Sans doute, en France, son heure n’est-elle pas venue. Pourtant, cette ennemie de l’Autriche allemande, traquée, suivie, espionnée, vendue, et malgré cela toujours active dans sa haine, est une figure attachante et qui prend, dans les événemens actuels, un intérêt nouveau.

Mais en pénétrant sa vie, inséparable de celle de l’Italie opprimée, on se demande comment ce pays, après avoir enduré de pareilles souffrances, a pu faire un jour alliance avec son bourreau d’autrefois. Il semble que de telles blessures faites au cœur d’un peuple y laissent des cicatrices trop profondes pour être jamais effacées. Et ces races sont ennemies…, elles peuvent s’allier, elles ne se confondront jamais. Leur civilisation le leur défend. Celle de l’Italie, qui vient de si loin et qui l’a faite si belle, la sépare de ce peuple germain dont la civilisation est sortie de la « barbarie du Moyen Age. » H. Heine l’a dit en comparant les deux races : « La civilisation chez ce peuple n’a pas un poli remarquablement neuf comme chez nous, où les troncs sont encore rabotés d’hier, où tout sent encore le vernis[1]. » Non, cette race ennemie de la race latine, que le temps, la science, ni l’art n’ont su affiner, ne sera jamais la sœur de celle qui a vu naitre le Titien, et qui a donné Dante à la Poésie immortelle.


I

Lorsque, après le traite de Vienne, la main de l’Autriche s’abattit lourdement sur l’Italie, les provinces lombardo-vénitiennes et le Piémont, les premières, ni ; tardèrent pas à en sentir tout le poids. « Metternich conduisait en souverain la plupart des principautés italiennes, et la malheureuse Italie, même dans les régions où elle paraissait régie par des princes indépendans, n’était qu’une annexe de la monarchie des Habsbourg, un fief de l’Allemagne autrichienne[2]. »

Cristina Trivulce était née à Milan en 1808, elle avait donc sept ans à cette époque. Sa mère, veuve à vingt et un ans, s’était remariée avec le marquis Visconti d’Aragona, patriote militant, qui avait pour amis le marquis Confalonieri, Silvio Pellico, Pallavicino…, autant d’hommes que le joug autrichien opprimait. Le salon de la marquise d’Aragona devint le lieu de réunion de ces mécontens. L’odieuse politique de délation que Metternich imposait à l’Italie en lit des ennemis irréconciliables du régime nouveau, puis des conspirateurs actifs qui aspirèrent bientôt à la libération de la patrie et a sa résurrection.

« Le Gouvernement autrichien se dit que l’unique moyen de conserver cette magnifique rapine, écrit un contemporain, c’était de tout germaniser[3]. »Nous savons comment ils germanisent. Et d’abord « ils sont convaincus de vivre dans un pays immoral qu’il faut réformer, corriger et châtier[4]. » Nous savons comment ils châtient. Or, pour plier leur nouvelle conquête à ses lois et veiller à leur exécution, l’Autriche possède en Lombardie et en Sardaigne, pour ne parler que de ces deux pays, une police terriblement organisée, véritable Inquisition, — et quelle Justice ! Malheur à qui lui tombe sous la main : il n’en sortira que coupable. Et d’abord les espions sont partout, dans toutes les familles, sous toutes les livrées, — déjà ce genre leur était familier ; pour un rien on est suspect, il viendra un temps où l’étudiant qui s’amusera à crier : Viva Pio Nono ! dans la rue sera appréhendé et enrôlé de vive force, en guise de punition, dans l’armée autrichienne. Pour une parole prononcée à la légère, la fréquentation d’une société indépendante, on est dénoncé, arrêté, jugé sans avoir droit à un défenseur[5], et condamné en allemand à être pendu, sans savoir pourquoi on a mérité sa peine… Tout progrès est suspect ; « l’éclairage des rues au gaz et la navigation à vapeur qu’on tentait alors provoquaient une désapprobation sévère[6], » ces nouveautés facilitant la vie industrielle et commerciale et toute amélioration étant considérée comme un moyen blâmable, destiné à détacher le peuple de ses anciens usages. La philanthropie même est vue d’un mauvais œil : n’est-elle pas, pour les classes aisées, une manière de s’attacher les classes pauvres et de les gagner à sa cause ? Veut-on écrire un livre sur l’industrie, l’économie politique, le commerce, il faudra obtenir l’autorisation des censeurs qui président une commission spéciale nommée par le Gouvernement[7]. En cas de différend, le manuscrit est envoyé à Vienne, où il reste quelquefois deux ans, trois ans peut-être ; quelquefois encore il ne revient pas. Une circulaire des bureaux de la Censure défend même des points au milieu d’une phrase ; les points sont séditieux ! il faut supprimer les points, et les remplacer par : etc., etc.

Enfin, la moindre infraction à ces mesures motive des châtimens sévères, cruels, lorsqu’il s’agit de punir un délit soupçonné d’être politique.

« La bastonnade, le jeûne, les fers, contre les prévenus qui refuseraient de répondre aux questions du juge, qui feindraient la folie ou persisteraient dans leurs dénégations[8] : » voilà les châtimens. N’oublions pas non plus qu’au nombre de ceux-ci était la torture, qui faisait partie du pouvoir discrétionnaire du juge. Le carcere duro, enduré dans la lointaine Moravie, a dévoré les belles années de maints jeunes patriotes à cette époque. Qui n’a lu Silvio Pellico et l’histoire de ses neuf années passées dans un cachot, des chaînes aux pieds ?

Lorsque, après ces épreuves terribles, il est ramené en Italie par son garde-chiourme, il s’arrête à Vienne avec Maroncelli, son ami. Celui-ci est infirme, car on a dû lui couper la jambe, gangrenée par le frottement de ses chaînes dans sa prison ; tous deux sont hâves, maigres, rongés de scorbut. Dans le parc de Schœnbrunn qu’ils visitent, l’Empereur autrichien vient à passer ; alors le garde-chiourme, pour ne pas attrister la vue du souverain, lui cache les deux malheureux qui lui doivent leur misère !

Lorsqu’elle eut douze ans, le beau-père de Cristina Trivulce fut arrêté avec le marquis Pallavicino, son cousin, Confalonieri, président de la Federazione, un Français, Andryane, Castiglia, etc. Tous étaient compromis dans la tentative de 1821 que Charles-Albert avait risquée en Piémont, et qui avait si misérablement échoué. Le procès dura deux ans. Faute de preuves suffisantes, le marquis d’Aragona fut remis en liberté. Mais Pallavicino et les autres accusés durent subir l’exil, — et quel exil !

Cristina Trivulce grandit dans ce milieu troublé. Son éducation, qui fut celle d’un homme instruit, mûrit son intelligence et développa le côté grave et viril de son caractère. D’autre part, « le contact avec ce beau-père libéral contribua à faire éclore chez l’enfant des sentimens patriotiques qui devaient plus tard dominer son existence, et devenir le plus puissant moteur de ses acles[9]. »

Ardente et belle, cette patriote de seize ans est la vivante image de la jeune Italie, dont l’esprit déjà songe à la revanche prochaine, à la Résurrection. « Tout notre Risorgimento, dit M. R. Barbiera, fut un calvaire, une passion. » « L’unité de l’Italie naquit de la souffrance et du sacrifice[10]. »

Et il est vrai que, sous le joug abhorré de l’Autriche, la patrie s’était relevée tout entière ; le malheur l’avait rendue à elle-même. Les épreuves, si rudes soient-elles, sont salutaires à l’âme des peuples : elle en sort épurée et renouvelée.


II

En 1829, d’Alton-Shée, accompagnant le vicomte de Lanoue, chargé d’affaires de France à Florence, assistait à un bal donné par le prince Borghèse. Voici comment il parle de ce bal et de notre princesse :

« Au milieu d’une réunion de femmes les plus élégantes et les plus jolies, je fus frappé de l’apparition d’une étrange beauté : sa toilette noire et rouge était simple et bizarre, des cheveux noirs et fins, naturellement ondés, sans aucun ornement, le front large d’un jeune Faust, des sourcils admirablement dessinés, les grands yeux écartés d’une statue antique, un regard mystérieux, donnaient au haut du visage quelque chose de sévère et de profond, tandis que la perfection du nez, le délicieux sourire et l’attrait d’une fossette décelaient la grâce féminine dans tout son charme ; le teint était pâle et mat : elle avait vingt ans et semblait vivre pour la seconde fois… »

Elle s’était mariée à seize ans ; à vingt-deux, elle était séparée. Ce prince Belgiojoso semble avoir été le meilleur et le plus séduisant des amis, mais bellissimo com’un Apollo, il aimait peut-être trop la vie et le maximum de jouissances qu’elle offre aux princes beaux et aimables, pour faire un mari. D’ailleurs il ne s’était marié que par persuasion et il courut rapidement à d’autres fêtes. Il aimait le changement, le plaisir, le jeu, la musique, les soupers somptueux, les autres aussi, il aimait tout et cet Apollon, pour tous ces divertissemens, était doué d’une santé de fer, passait de joyeuses nuits, puis, dispos à l’aurore, il courait à d’interminables parties de chasse dont il ne revenait que le soir… et le soir, il recommençait. Au demeurant, le meilleur garçon du monde, plein d’entrain et de gais propos, adoré de tous, car il était le plus serviable et le meilleur des amis. Il aima sa femme quelques mois, puis il revint à la maîtresse de Byron, la Guiccioli, qu’il avait quittée pour se marier ; il revint à elle, — mais il ne s’y tint pas.

A vingt ans, une femme belle comme était la sienne, et fière, ne se résout pas aisément au rôle d’Ariane. La princesse Cristina avait aimé passionnément son mari et souffrit de sa conduite ; mais, orgueilleuse, elle savait déjà, par l’impassibilité qu’elle imposait à son beau visage, faire croire à sa froideur ; bref, ils se séparèrent à l’amiable, et la jeune femme se consacra de toute son âme à la Propagande de ses idées politiques, à l’Indépendance de l’Italie.

Les sociétés secrètes l’attiraient ; sur ce point, la libération de leur pays, le prince Emilio Belgiojoso et sa femme étaient d’accord, — sur ce seul point d’ailleurs, et il faut le noter, — ils aimaient leur Patrie du même amour et souvent ensemble, après leur séparation, ils travaillèrent à la même tâche.

D’Alton-Shée a écrit : « Entre Christine Belgiojoso et son mari, dissentiment général, hormis sur un point : l’affranchissement de la Patrie[11]… » Depuis la condamnation de Confalonieri, le prince était président de la Federazione, une des Sociétés secrètes les plus importantes de l’époque. Cependant le patriotisme du prince Emilio, quelque généreux, actif et dévoué qu’il fût, ne ressemblait en rien à celui de sa femme. Chez elle, c’était une religion. Douée d’une foi extraordinaire, elle apporta une persévérance telle à son entreprise que rien ne la rebuta, aucune épreuve, aucune déception, aucun sacrifice ; mais suspecte à la cour d’Autriche, la jeune princesse fut entourée d’espions.

Un soir à Milan, avant sa séparation, en 1828, le comte A. Giuseppe Batthyany donne un bal costumé, toute l’aristocratie est là. Les femmes sont belles, les costumes somptueux. La princesse Belgiojoso, une ferronnière au front, apparaît en dame de la cour de François Ier, et le prince, en maillot blanc, c’est François Ier lui-même ! Au milieu de la soirée, la princesse a pour vis-à-vis un superbe Pierre Arétin, et cet Arétin qui a si belle allure et danse de si galante façon, c’est Gaëtano Barbieri, espion aux gages de Torresani, le directeur de la police autrichienne.

Un autre ne la quitte guère, c’est Pietro Svegliali. Même, il est las ; il n’en peut plus, car sa « cliente » voyage sans cesse, de Milan à Genève, puis sur le lac Majeur, puis à Florence, et encore en Suisse. Pietro Dolce, un spia encore, écrit au comte Hartig : « La princesse est une petite folle, una pazzarella, qui serait mieux chez elle à Milan que toujours en voyage à l’étranger[12], » et il trouve « qu’elle se compromet, et qu’elle compromet aussi les autres. »

A Gênes, elle connut le plus terrible de ces espions. C’était un personnage très séduisant, un Espagnol qui se nommait de son vrai nom Doria. Il avait réussi à faire partie des sociétés secrètes, et à gagner la confiance de Mazzini qui recommandait ce « frère » à ses amis. Le « frère » en profitait pour les dénoncer aux agens de l’Autriche. Il commença par dénoncer sa propre famille, ensuite un très grand nombre de personnes dont il était devenu l’ami. Parmi ces personnes était notre princesse qui le recevait chez elle ; il prétendit même en avoir obtenu quelques faveurs, mais rien n’est moins sûr que son propre témoignage. De tous ces traîtres la princesse n’a cure ; son hostilité au régime autrichien n’est un mystère pour personne, elle est membre de la Carbonaria, Giardiniera, et grande maîtresse de l’Ordre. En outre, les théories de Mazzini l’enchantent, car il vient de fonder la Giovine Italia. Malgré une surveillance étroite, elle poursuit ses intrigues, fait du prosélytisme avec ardeur, voyage, trompe l’attention de ses sbires, et trouve toujours le moyen, lorsqu’on la croit en faute, de brandir de magnifiques autorisations autrichiennes, revêtues de toutes les signatures légales. Au grand dépit des fonctionnaires de Metternich.

Pourtant, au printemps de 1831, elle est signalée comme dangereuse : on trouve à Vienne qu’elle s’agite trop. Le comte Hartig, gouverneur de la province lombardo-vénitienne, veut lui faire réintégrer la Lombardie. On ne sait comment, la princesse s’est procuré un passeport pour la France. Le gouverneur envoie à sa poursuite ; à Gênes même, sa maison est cernée ; mais au moment où la police croit la tenir, elle s’enfuit par une sortie dérobée donnant sur le port, et s’embarque pour Marseille. Puis, comme elle refuse d’obéir aux injonctions de Metternich, qui la menace, si elle ne revient pas à Milan, de déclarer sa mort civile et de confisquer ses biens, ses biens sont confisqués, sa mort civile déclarée. La voici à Paris et pauvre.


III

Pauvre ? du moins elle le croit, mais elle ne le sera pas longtemps. C’est le moment des excentricités romantiques. Elle s’est logée dans un appartement, place de la Madeleine, au cinquième étage, seule, car elle n’a même pas osé se permettre le luxe d’une servante. Plus tard, elle fera faire ses omelettes par Cousin, qui l’aima, et éplucher ses légumes par La Fayette ou Thiers ; et puis elle peindra des éventails, « pour vivre, » dit-elle.

Vingt ans après, elle écrivait à Mme Jaubert et, lui parlant de son arrivée à Paris, elle disait : « Ma double qualité de princesse et de réfugiée servait précisément à me donner des airs d’héroïne de comédie. » Et encore : « Jamais je n’avais touché à de l’argent monnayé et je ne pouvais me rendre compte de ce que représentait une pièce de cinq francs… je pouvais peindre, chanter, jouer du piano, mais je n’aurais su ourler un mouchoir, cuire un œuf à la coque ou même commander un repas. » — Mais elle ajoute fièrement : « En revanche, je n’hésitais pas à classer une médaille antique selon son mérite. » Elle se compare à l’héroïne d’un conte qu’elle a lu jadis, à cette jeune princesse qu’une méchante fée transforme d’un coup de baguette en paysanne : « et la jeune paysanne se prend à pleurer amèrement, ne sachant pas marcher avec des sabots, pétrir une galette, traire une vache, ou filer une quenouille. » Mais notre princesse ne pleure pas, et joue hardiment son rôle ; d’ailleurs, elle est très bien accueillie dans la société parisienne. « Mme Récamier, la duchesse de Broglie, M. de La Fayette » la patronnèrent avec empressement, « ce dernier surtout. »

Il se prit pour elle d’une tendresse qu’elle qualifie de paternelle ; elle est paternelle, n’en doutons pas : La Fayette avait soixante-quatorze ans. L’heure où elle prépare son repas dans son petit appartement sous les combles est précisément l’heure où le héros de l’Indépendance sort de la Chambre des députés ; il monte les cinq étages de sa belle amie pour lui rendre visite. Dans l’escalier raide, elle reconnaît le son de sa canne sur les marches. Il arrive. Il la trouve à son fourneau. La Fayette n’est guère versé dans l’art culinaire, la princesse non plus ; mais, dit-elle, « l’exquise courtoisie de M. de La Fayette ne lui eût jamais permis de souffrir qu’en sa présence je prisse la moindre peine ; nous finissions par nous disputer et la queue du gril et la place au fourneau, » et se récriant sur le manque d’obéissance de son vieil ami, elle se plaignait à lui « du grave inconvénient d’avoir pour marmiton le Héros des deux Mondes[13]. »

Ces petites mises en scène visaient sans doute à l’effet, comme l’affirmait Mme d’Agoult, qui la connaissait bien ; c’est la « Theatralita della Vita, » c’est la part aussi du Romantisme — et de la jeunesse ; n’oublions pas que cette proscrite a vingt-trois ans à peine.

Cependant elle est venue en France pour servir la cause de son pays, car elle a fait de l’affranchissement de l’Italie le but de son existence, et elle a quelque espoir que la France nouvelle, qui a adopté la cause des Polonais, adoptera aussi la sienne. À cette France qui s’enflamme si bien pour toutes les libertés entrevues, elle veut faire connaître le malheur de ses compatriotes asservis, montrer la grandeur de leurs énergies et de leurs espoirs… Elle veut aussi gagner l’appui du gouvernement de Louis-Philippe, quelle naïveté ! Louis-Philippe protégeant la Carbonaria, quelle invraisemblance ! D’ailleurs le Roi est un non-interventionniste qui a d’autres soucis, il a besoin de l’Autriche[14], et, si le ministère Laffitte, peut-être sous la pression de La Fayette, a paru au début favoriser la cause italienne, Casimir Perier éteindra ces incendies : il ne faut pas créer de difficultés à l’extérieurI Cependant les efforts de notre princesse n’ont pas été vains. Plus que tout autre, elle a servi son pays en préparant les voies. Sa maison fut un centre que les réfugiés politiques, ses compatriotes, utilisèrent, où ils furent accueillis et aidés, où ils se trouvèrent en contact avec les hommes d’Etat de notre pays.

« L’unité de l’Italie, a dit M. Barbiera, s’est faite à Paris par les étrangers, » et si de tels apôtres, par leur manque de cohésion, par leurs efforts souvent inopportuns, n’ont pu faire aboutir un plan déterminé, ils ont néanmoins aplani la route et préparé les esprits ; enfin, ils furent un trait d’union entre l’Italie souffrante et l’opinion française. Après leur œuvre généreuse viendra l’œuvre de Cavour, opiniâtre, réfléchie et triomphante.

Le comte Rodolphe Apponyi a noté que la princesse Belgiojoso avait fait des démarches auprès du gouvernement autrichien pour obtenir la levée de son séquestre, qu’elle était même revenue à l’Autriche en l’assurant de son repentir. Mais Apponyi, en qualité de neveu et de secrétaire de l’ambassadeur autrichien, déteste la belle Milanaise ; en qualité de bourgeois aussi, car il a l’âme bourgeoise, ce magnat, et les excentricités de cette amazone le choquent. On verra par la lettre suivante l’importance qu’il faudra attacher aux demandes que la princesse fera à Vienne dans la suite. Cette lettre, adressée au baron Poerio, son ami, exilé, membre de la Federazione, témoigne de son aversion pour un gouvernement abhorré auquel elle ne veut rien devoir par la soumission. Elle repousse la proposition que lui fait son avocat Marocco, proposition qu’elle trouve humiliante pour elle. Le style de cette lettre est très fier, et ses sentimens paraissent irréductibles.


Voici cette lettre ; le timbre de la poste est d’octobre 1831[15].


« Cher Poerio[16],

« J’ai lu la réponse de Marocco, et je l’ai lue avec toute l’atention que vous pouvez désirer de moi. La réflexion que je me suis imposée comme un devoir n’a fait que confirmer ma première opinion. Je considère comme humiliante et inutile la supplique que Marocco me propose d’adresser au gouvernement autrichien. Je la trouve humiliante, parce qu’il semblerait qu’après avoir goûté du pain de la pauvreté, je le trouve trop amer, plus amer que je ne le croyais, plus amer que la soumission à un gouvernement que j’abhorre, et dont je ne reconnais pas les droits.

« Je la trouve inutile, parce que Marocco disant lui-même que « je pourrais demander la levée du séquestre, au moins en ce qui concerne la perception de mes rentes pour pourvoir aux besoins pressans de ma vie, et ajoutant qu’il lui semble très difficile que je puisse l’obtenir… » qu’obtiendrais-je donc moyennant l’humiliation à laquelle je me serais assujettie ? Que la confiscation soit retardée de quatre à six mois, tandis que maintenant elle est de fait retardée indéfiniment, et cette étrange concession, je l’aurais achetée en dérogeant à cette dignité qui doit être la qualité inséparable de l’opprimé ? Non, cher Poerio, j’ai beau interroger ma raison et imposer silence à mes sentimens, ma raison ne m’indique d’autre voie que celle que mes sentimens m’indiqueraient.

« Si vous avez quelque chose d’autre à me proposer, nous en causerons ; vous ne pouvez douter que votre opinion ne soit d’un grand poids dans la balance.

« Je resterai à la maison dimanche toute la journée, c’est-à-dire à partir de deux heures, mais il y aura probablement du monde chez moi. Si vous préférez me trouver seule, venez un matin avant midi, mais écrivez-moi un mot pour me prévenir du jour que vous choisissez, parce qu’autrement vous courez le risque de ne pas me trouver ou de trouver ma porte fermée, comme je suis obligée de le faire souvent pour vaquer à mes occupations[17].

« A Dieu, cher Poerio, venez vite, je vous prie, et gardez-moi votre amitié.

« CRISTINA DE BELGIOJOSO. »


Comme on le voit, la princesse ne désarmait pas, et se soumettait moins encore. Elle était accusée, à ce moment, d’avoir favorisé l’insurrection piémontaise en versant 100 000 francs à Mazzini, qui en était l’âme[18]. 100 000 francs, la somme est exagérée, car ses biens étaient sous séquestre. Il paraît démontré par un échange de lettres avec son mari qu’elle avait donné 40 000 francs, produit de la vente de ses bijoux. Emilio, l’apprenant, et attendri de ce sacrifice, offre de lui rendre d’autres bijoux pour une pareille somme, mais elle refuse gentiment. Que tout ceci est bizarre ! On se quitte, maison reste bons amis, puis l’on s’écrit ; galamment, le mari offre un écrin ; cependant ce mari n’est à Paris que parce qu’il a suivi la Guiccioli, qui vient d’y arriver. Celle-ci, du reste, a épousé le marquis de Boissy, très fier du passé byronien de sa femme. On a même dit que, la présentant un jour à Louis-Philippe, il insista et dit : « La marquise de Boissy, ma femme, autrefois la maîtresse de Byron[19]… » Bientôt le prince et la princesse Belgiojoso vivront en camarades sous le même toit ; la Guiccioli assistera aux soirées de la princesse, et le prince y paraîtra de même, jusqu’à ce qu’une autre femme l’entraîne sur d’autres rivages…

En 1833, Belgiojoso et sa femme contribuèrent encore pécuniairement à la tentative que le général Ramorino fit en Savoie, et, avec eux, le frère du prince, Antonio. Tous trois furent accusés de haute trahison, Antonio fut même emprisonné à Turin. Mais le procès intenté contre eux traîna en longueur ; plusieurs fois, le cours en fut interrompu : on attendait des pièces de Rome, de nouveaux témoignages. Peut-être le gouvernement du vieil Empereur hésitait-il à condamner encore et toujours. Ces considérations, en d’autres temps, ne l’avaient pas arrête, il est vrai : se rendait-il compte à présent que ces procès perpétuels irritaient l’opinion publique et ne diminuaient pas, au contraire, le nombre des rebelles ? Un jour, l’instruction contre le prince et son frère fut arrêtée. Mais elle continua pour la princesse ; les charges qui pesaient sur elle étaient plus graves… et puis tout à coup les poursuites cessèrent pour elle aussi.

C’est ici que l’opinion d’Apponyi semble prendre quelque vraisemblance, lorsqu’il déclare qu’elle a cherché à se rapprocher du gouvernement « abhorré. » D’autres ont dit qu’elle avait écrit à Metternich, à l’archiduc Ranieri, etc.[20]. Dans une conversation qu’il rapporte avec Mme de Rumford, Apponyi dit : « Notre Empereur a été pour elle un bon père, qui pardonne dès qu’il voit le véritable repentir[21], » et cette image est assez plaisante : le vieil Empereur tortionnaire, un bon père ! On ne voit guère non plus notre dame impétueuse repentante ! M. Barbiera, qui connaît admirablement la question, croit qu’elle usa de ruse, et dupa les puissans inquisiteurs de la Cour de Vienne, sans en excepter Metternich. Sa fortune lui étant indispensable pour l’œuvre qu’elle avait entreprise, elle désirait se faire rendre, sinon ses biens, du moins ses revenus, et fit croire à Vienne que l’air de la Lombardie était nuisible à sa santé. Sans doute ne respirait-elle bien qu’en France où elle avait affaire ? Bref, elle dupa tout le monde et on l’appela chez les hauts fonctionnaires la très astucieuse : l’astutissima. Mais, lorsqu’on s’en rendit compte, il était trop tard. Dans un rapport adressé à Seldnitzky, président de la haute police de Vienne, Metternich conclut que « ce serait chose sage de permettre à la princesse Belgiojoso de disposer librement de ses biens, mais seulement après son retour en Lombardie, et, en attendant ce retour, de limiter son séjour à l’étranger au temps nécessaire à sa santé. Passé ce temps, on lui accordera seulement une pension alimentaire indispensable[22]. »

Bientôt le vieil Empereur mourut et une amnistie générale fut accordée pour l’avènement de Ferdinand Ier aux condamnés politiques.

Notre exilée va abandonner son rôle de proscrite pauvre. Le manteau de Peau-d’Ane va tomber ; et voici maintenant une belle princesse éblouissante !


IV

Elle habite rue Neuve-Saint-Honoré, à côté de son vieil ami La Fayette, qui la protège et la reçoit à ses mercredis où elle a grand succès. Elle a un hôtel, dans lequel le Tout-Paris artistique, politique et mondain se réunit, se presse et se divertit. Elle a un grand nègre enturbanné, qui introduit d’abord ses amis dans un oratoire éclairé de vitraux gothiques, meublé d’un prie-Dieu que surmontent un large volume des Pères de l’Église et un crâne lui main. La mode est aux crânes ; et les Romantiques chantent :


Nous allons boire à nos Maîtresses
Dans le crâne de leurs amans…


Celui-ci n’était pas destiné à de si profanes usages, mais à l’étude de la fragilité humaine, je pense, lorsque la princesse écrivait son Essai sur la formation du dogme catholique. Après avoir traversé ces sombres lieux, on entre dans une chambre tendue de blanc et d’argent, puis dans un salon tendu de noir et d’étoiles où elle-même apparaît étrange, mince et longue et si pâle, si pâle que l’on ne voit d’abord que cette pâleur qui impressionne. Mme d’Agoult affirme que c’est un remède qu’elle prend pour ses crises nerveuses, le Datura stramonium, qui la rend si blême. Elle reçoit le samedi soir ; les artistes surtout sont les bienvenus après ses compatriotes, et ces littérateurs qu’Apponyi traite dédaigneusement de « barbouilleurs de papier à vingt-cinq sous la page. » Il est bon d’ajouter que ces barbouilleurs s’appelaient Musset et Henri Heine.

Elle reçoit aussi des hommes politiques : Thiers, Mignet, Villemain, des « universitaires à ne pas savoir où les fourrer, » sans compter les abbés, et Bou Maza, « lion du désert, dit Charles Monselet, tenu en laisse par le capitaine Richard, » et encore V. Cousin, Chenavard, Ary Scheffer et des musiciens : Rossini, Meyerbeer, Liszt, Doëhler, et le doux Bellini. On fait chez elle de la charmante musique de chambre, profane avant le Carême, religieuse pendant. Belgiojoso chante, car il a une voix adorable.

Plus tard, la princesse de Metternich l’entendra chanter à Milan accompagné par Rossini ; enthousiasmée, elle s’écriera : « Quelle voix ! » et lui : « Et quelle perte pour la musique si votre mari m’avait fait exécuter ! »

Apponyi lui-même assiste à ces réunions, et les traite assez mal : « Cette réunion chez la princesse ressemblait à celle qui aura lieu dans la Vallée de Josaphat : j’y ai vu l’ancien secrétaire intime de Robespierre. Concevez-vous une semblable tolérance ! La seule excuse que je puisse alléguer en faveur de la princesse, c’est de dire que cette femme est folle[23]. »

Ce soir-là, on a joué le Requiem de Mozart. La princesse était malade et plus pâle encore qu’à l’ordinaire ; le jeune secrétaire d’ambassade lui trouve « une allure de spectre. »

Après la musique, on valse dans la salle à manger, galerie longue ornée de sculptures en stuc et de peintures pompéiennes, dans laquelle on pousse le piano. Les « lions » valsent avec fureur ; il y a là Musset, Ferdinand de Lasteyrie, d’Alton-Shée, Gontaut-Biron. La princesse avec ses sœurs et une jeune Transteverine, Eleuteria, parente du patriote Celesto Menotti qu’elle a adoptée, reçoit. De temps en temps, elle passe en tourbillonnant. Mais après minuit, quelques amis restent encore auprès d’elle pour causer. La marquise Bedmar, princesse moldave, dont on a dit « elle a l’âge d’un roman de Balzac et l’aura toujours, » l’abbé Lanci, Heine, Scheffer. La princesse, couronnée de fuchsias, fume un long narghilé, et entre chaque bouffée elle puise avec une petite pince d’argent dans une coupe de vermeil où elle cueille de fins morceaux d’orange…


Voici un sonnet inédit écrit pour elle en 1836. Il m’a été communiqué par M. Henry Prior, érudit très versé dans notre romantisme.


Sonnet d’un républicain farouche à Madame la princesse de B

A Madame la princesse de B…

Mai 1836.

Voyez ces habitans de la molle Italie,
Que de Winterhalter nous traça le pinceau
Dans son Decameron : quel magique tableau !
Que la nature est là vaporeuse, embellie !

Entendre Rubini. Thalberg, Damoreau,
Ou le cor de Gallay qui tour à tour s’allie
Aux chants d’amour, de guerre ou de mélancolie,
C’est connaître des arts ce qu’ils ont de plus beau.

Mais il est une chose et plus douce et plus belle,
Et qui n’a point encor trouvé de cœur rebelle,
Charme indéfinissable on te résiste en vain !

Cette toute-puissance inconcevable, étrange,
Et qui semble à mes yeux faire apparaître un ange,
C’est de Belgiojoso le sourire divin !


On ne peut nier qu’elle faisait des enthousiastes. Henri Heine, qui l’avait connue chez La Fayette, était des plus assidus parmi les intimes. Il l’aima fidèlement ; et son amour, sans espoir, se transforma en amitié fervente, ce qui est rare, quoi qu’on dise. Jusqu’à la fin, il l’admira, et elle lui fut une conseillère, « la seule dont les avis furent écoutés. »

Il lui écrivait : « Vous êtes la personne la plus complète que j’aie trouvée sur la terre. Oui, avant de vous connaître, je me suis imaginé que des personnes comme vous, douées de toutes les perfections corporelles et spirituelles, n’existaient que dans les contes de fées, dans les rêves du poète. A présent, je sais que l’idéal n’est pas vaine chimère, qu’une réalité correspond à nos idées les plus sublimes[24]. » Et encore : « Vous êtes la plus belle, la plus bonne, la plus admirable personne que j’aie rencontrée sur la terre ; votre souvenir embaumera mon existence[25]. »

Et à Mignet, en parlant de sa Muse, il disait : « Je serais un monstre, un barbare, un tedesco, je lui volerais un seul de ses précieux momens en lui demandant de ses nouvelles ! Un jour qu’elle ne sera que spirituelle et princesse et que moi je serai tout à fait son Ballanche, alors je lui écrirai de grandes lettres et elle me répondra de longues pages, mais je prie le bon Dieu de retarder ce jour-là aussi longtemps que possible. Cependant il me faut savoir comment la princesse se porte, et c’est vous, monsieur Mignet, qui m’écrira cela. »

Avec les années, le pauvre Henri Heine, de plus en plus malade, s’éloigna de sa belle amie, redoutant son influence, car il songeait à épouser Mathilde, et la princesse ne pouvait que blâmer Mathilde… Mais le poète est seul, il est malade, et Mathilde est là ; plus tard, quand elle l’aura épousé, elle se réservera de lui faire chèrement payer sa présence et ses soins.

En 1847, il écrivait à la princesse :


Montmorency, 21 septembre 1847.

« Très belle princesse !

« Je ne vous fais pas grâce de la visite que vous m’avez promise ; seulement, au lieu de venir à Montmorency, venez me voir à Paris, faubourg Poissonnière, 41, où je me réinstallerai en quelques jours. Ma maladie est devenue insupportable, la paralysie a gagné aussi les pieds, les jambes et tout le bas ventre, de sorte que, depuis une quinzaine, je ne peux plus marcher du tout, sic transit gloria mundi. Je vous prie, veillez bien à votre santé. Mes complimens à Mlle Marie[26], à qui, je ne sais pourquoi, j’ai pensé souvent dans ma solitude.

« Je suis, madame la princesse, votre très humble et très obéissant et très malade

« HENRI HEINE. »


Mais qu’était, au point de vue des sentimens, cette femme qui en inspirait de si fidèles et de si profonds ? Souvent les hommes de son temps l’ont traitée d’insensible. Cependant elle semble avoir passionnément aimé son mari au début et, après lui, Mignet. Cette réputation de froideur et de cruauté même serait donc l’œuvre de tous ceux qui l’auraient aimée en vain. Beaucoup l’ont aimée. La vie libre qu’elle adoptait, ses allures romanesques, et souvent mystérieuses, mais plus que toute chose sa radieuse beauté excitaient les convoitises. Il semble bien qu’elle-même, lorsqu’elle n’affectait pas ses airs d’impératrice, autorisait quelques espoirs. Qui donc a dit d’elle : « Elle se prêtait ? » C’est, je crois, Balzac, qui, d’ailleurs, parle d’elle cavalièrement.

« Trois hommes se disputaient ses faveurs : A. de Musset, H. Heine, et Mignet, « le beau Mignet. » Ce dernier l’emporta, et resta pendant de longues années « l’ami le plus tendre et le plus intime de la belle Italienne[27]. » Est-ce tout ? Ses biographes ont compté « le reste » pour des caprices… et ce « reste » me rappelle le si joli mot de cette petite comédienne, héroïne d’Anatole France, qui, interrogée sur son premier amour lorsqu’elle était au Conservatoire, répond : « Mon premier amant, c’est mes professeurs ! »

Non, notre princesse ne fut pas insensible, mais ne tombons pas dans l’excès du spia Pietro Svegliati, qui lui prête un nombre exagéré de « caprices. » En tout cas, elle n’était guère accessible ; nous savons que, comme Heine, Cousin l’aima sans espoir, et que Musset ne réussit pas davantage ; il s’en vengea en écrivant les Stances sur une morte. Balzac a dit : « Elle a enlevé Musset à George Sand et Liszt à Mme d’Agoult[28]. » On sait combien ces deux assertions sont fausses. Sa conduite envers Musset est même d’une cruauté raffinée, pire que de la coquetterie ; elle le dédaigne, et le traite en collégien. C’est le moment où, se confiant à la Marraine, il écrivait : « Elle a des yeux si grands, si grands, que je m’y suis perdu et que je ne m’y retrouve pas. » Mais elle le laissa « tout déconfit ; » et c’est pourquoi Musset l’accusera d’insensibilité cruelle, car il prétend qu’elle l’a encouragé. « Vous ne savez pas, Marraine, non, vous ne pouvez point savoir à quel point on m’a tué, éreinté, abîmé, comme on m’a attiré et laissé faire, quelle profonde, perverse et malfaisante coquetterie on a employée de sang-froid avec un pauvre, diable qui aime de tout son cœur… »

Cependant, ne plaignons pas trop Musset ; il sait se venger, il écrira :


Elle est morte et n’a point vécu,
Elle faisait semblant de vivre,
De ses mains est tombé le livre
Dans lequel elle n’a rien lu.


Mme Jaubert lui affirme que la princesse n’a pas lu ces vers. Mais il n’en croit rien. « Ainsi donc Uranie n’a pas lu la Revue ! Vous ne croyez pas, j’espère, que je crois que vous croyez que je le crois !… Quant à ce qui est d’avoir une brochure sous le nez dove di voi si favella et de ne pas l’ouvrir, No, my dear lady, I can’t believe it[29]. »

Arsène Houssaye, appelé par la princesse Beigiojoso, accourt, se réjouissant d’une soirée tête à tête… Mais elle l’a fait venir pour lui parler du Pape, et c’est pour Houssaye une première déception ; puis elle lui demande d’écrire dans sa Revue l’Ausonio, car elle a fondé naguère la Gazzetta Italiana, qui est devenue la Rivista Italiana, puis l’Ausonio : elle en fondera bien d’autres !

Ce soir-là, elle dit à Houssaye : « Vous êtes un Italien égaré dans le Septentrion. » Elle veut le gagner à la cause de l’Italie ; et Houssaye : « De grâce, ne parlons pas politique. » — « Vous avez raison, m’a-t-elle dit de son sourire rouge et charnel. » Car Houssaye veut ramener la conversation sur un terrain plus galant ; mais elle lui répète qu’elle veut sauver l’Italie. « J’écris au Pape et, s’il y a en lui l’étoffe d’un homme d’Etat, je prendrai bientôt mon espingole ! » C’était en 1846… Mais voyant que son interlocuteur ne s’intéresse pas au Pape, et sachant où il veut en venir, elle lui dit froidement : « Votre horloge retarde, nous ne sommes pas ici-bas pour nous amuser. » Alors, Houssaye, qui n’est pas de cet avis, nous avoue sa défaite et il fait comme Musset, il dit en la quittant : « Ci-gît une femme qui a été aimée, mais qui n’a pas aimé[30]. » Car c’est une disposition assez masculine d’accuser de froideur une femme auprès de laquelle on a échoué. Un écrivain contemporain a dit : « Les hommes se vengent avec cruauté des femmes qui ont été plus passionnées pour les idées que pour l’amour ; c’est un vol qui leur est fait[31]. »

Pendant ce temps, le bel Emilio, renonçant à la politique, avait enlevé la duchesse de P… Il s’enferma douze années avec elle dans sa villa Pliniana sur le lac de Côme, puis elle l’abandonna. C’était la première fois que pareille aventure arrivait à ce volage, il ne s’en consola jamais. La princesse sa femme, que cet enlèvement avait laissée impassible, continuait à Paris sa propagande et ses menées politiques.


V

En 1845, elle apparut à Milan pour les affaires de son journal, la Gazzetta Italiana, qui venait d’être interdit ; puis chez elle, à Locate. Plus que jamais suspecte au gouvernement de Metternich, elle peut jouir cependant de l’amnistie de 1838. Elle en profite pour s’occuper très habilement du sort de ses paysans, car sans doute a-t-elle voulu faire d’eux les partisans de l’avenir. Mais, pour atteindre ce but, il faut les éduquer, les éclairer, les mettre à même de comprendre. Alors, elle se jette avec impétuosité dans cette nouvelle voie : l’amélioration des masses. Pendant plusieurs mois, elle se fait oublier de Vienne et elle se donne à la réalisation de ses projets. Elle fait de la bonne démocratie, construit des logemens salubres, instruit les enfans, fonde des cercles pour les paysans ; dans son château, elle en héberge trois cents, qui se récréent et se chauffent dans son salon. Elle met sur pied même une fabrique de gants où elle rêve d’occuper cent femmes. Bref, elle s’ingénie, se dépense, s’agite et se dévoue, se fait aimer, et, finalement, tombe malade et rentre à Paris.

1846 est une année féconde pour l’avenir de l’Italie. Le prince Louis-Napoléon venait pour la troisième fois d’attirer sur lui les regards de l’Europe. Le 27 mars, il s’enfuyait du fort de Ham et se réfugiait à Londres où il attendit vainement le passeport que l’Autriche lui refusait pour embrasser une dernière fois le roi Louis, mourant à Livourne.

La princesse Belgiojoso l’avait connu naguère en Italie. Il était un ancien carbonaro, elle ne l’avait pas oublié. Comme elle désespérait de l’aide que Louis-Philippe pourrait lui donner jamais, elle se rapprocha de Louis-Napoléon. Il semble que déjà elle ait cru en son étoile, et que déjà elle ait sollicité son appui pour l’avenir. Cependant, rien ne semblait moins certain que cet avenir. « Jamais la cause de Bonaparte, dit E. Ollivier, ne parut plus perdue qu’à la veille du jour où elle allait triompher. » Impétueusement, mais intelligemment, la princesse alla voir Louis-Napoléon à Londres. Sa visite n’a point passé inaperçue. Voici une lettre que le prince lui écrivait, lorsqu’il l’attendait à l’hôtel de Jermyn Street. On verra que tous deux sont d’accord : sans doute le poussait-elle à agir, car il se défend de ses scrupules.


Brunswick Hôtel, Jermyn street, 20 juin 1846.

« Madame,

« Je vous remercie bien du petit mot que vous m’avez envoyé. Croyez que, libre ou captif, une marque de votre amitié me sera toujours chère. Je ne vous avais pas écrit parce que j’espérais apprendre d’un jour à l’autre votre arrivée à Londres et que j’aurais bien préféré vous voir que de vous écrire.

« Enfin, dès que vous arriverez ici, faites-le-moi savoir, car à Londres il est bien difficile de se trouver quand on ignore où l’on demeure.

« J’ai été obligé d’écrire au prince de Metternich pour avoir la permission d’aller en Italie ; j’espère l’obtenir, mais pas avant un mois. D’ici là, je vous verrai, j’espère, et ce sera un véritable bonheur que de causer avec vous.

« J’espère que maintenant nous serons d’accord, et que vous ne blâmerez plus mes scrupules. Vous avez dû approuver ma lettre à M. de Saint-Aulaire[32].

« Adieu, madame, recevez l’assurance de mes sentimens de respectueuse et tendre amitié.

« NAPOLEON-LOUIS B.[33]. »


Lorsqu’elle le revit à Rome, et plus tard en France, la princesse put rappeler à Louis-Napoléon leurs entretiens et ce mot : « Laissez-moi d’abord mettre les choses au point en France, ensuite nous penserons à l’Italie[34]. » Enfin, lorsque, le 8 juin 1859, elle vit l’empereur des Français acclamé à Milan à côté de son roi, peut-être se dit-elle qu’avant tout autre, elle avait compté sur ce secours, et, qui sait ? préparé cette heure.

M. Maspero assista, dit-on, à l’entrevue de Londres ; sans doute, n’assista-t-il pas à toutes les entrevues de la princesse et du futur empereur ; il y en eut, je crois, d’assez tendres. La princesse ne se servait pas toujours de dialectique pour arriver à ses fins…

Mais sa vie, si multiple, ne suffisait pas entièrement à son activité débordante. À côté de la femme politique et de la mondaine, il y avait encore place pour l’écrivain. « Les ouvrages de Mme Belgiojoso, dit Monselet, sont plutôt ceux d’un bénédictin que ceux d’une femme du monde, » et de fait, c’était un écrivain austère, lorsqu’elle entreprenait, aidée de l’abbé Cœur, disent quelques-uns, l’Essai sur la formation du dogme catholique, que Lerminier, d’ailleurs, a fort maltraité dans cette Revue. Sainte-Beuve juge l’œuvre ainsi : « C’est sérieux, catholique d’intention, semi-pélagien et origénien de fond, d’un style très ferme, très simple. » Austère aussi son Essai sur Vico, qu’elle publia en 1844 avec une traduction de la Scienza Nuova.-, Mais elle fut encore écrivain d’histoire lorsqu’elle donna à la Revue des Deux Mondes la relation fidèle et vécue de l’Insurrection italienne en 1848. Plus tard, elle écrira un important ouvrage sur la Syrie où elle voyagea de longs mois. Enfin, elle collabora à maints journaux français et étrangers, sans compter ceux qu’elle dirigea et transforma sans cesse pour échapper à la vigilante police.

Mme Adam a écrit : « La princesse Belgiojoso ensorcelait Buloz et faisait la propagande la plus active à la Revue des Deux Mondes. » Pour ce qui est de la propagande, je crois la remarque exacte : elle en faisait jusque dans les couloirs de la Chambre, où elle haranguait les députés, elle devait en faire à la Revue. D’ailleurs F. Buloz s’est toujours intéressé à la cause italienne ; plus tard, il en donna maintes preuves à Cavour, qui était son ami ; quand à l’ensorcellement, je pense que George Sand fut seule à exercer sur François Buloz une influence qui mérite ce nom.

En 1847, notre princesse habitait rue du Mont-Parnasse un hôtel entouré d’arbres. Une porte majestueuse en fer forgé la séparait du reste du monde. Un grand jardin était là, plein d’herbe, de désordre et d’ombre. Sur la pelouse paissaient des chèvres blanches que la petite Marie poursuivait. Devant la porte de la maison, quand l’air était doux et le soleil chaud, Augustin Thierry s’asseyait sur un grand fauteuil ; il avait loué un pavillon dans le jardin de la princesse, qui l’entourait de soins et d’affection. Ainsi sa nuit était moins noire.

Terenzio Mamiani disait que « lorsque la princesse adressait à Augustin Thierry quelque affectueuse parole, des larmes abondantes coulaient de ses paupières closes : Scorvano dalle chiuse palpebere, di lui lacrime cosi abbondanti.

On ne peut nier à cette femme, si fantasque parfois, l’affection fidèle et dévouée qu’elle a donnée à ses amis.

La Fayette, depuis 1834, était mort, mais elle ne l’avait pas oublié. Elle écrivait en 1845 à un rédacteur de l’Époque : « Non, monsieur, je n’ai rien oublié de tout ce qui se rapporte au digne et paternel ami auprès duquel je vous ai vu. Je vous remercie du souvenir que vous avez gardé de moi, et il me semble naturel que ces souvenirs se maintiennent parmi les personnes qu’un lien commun d’amitié et de respect attachait au général La Fayette[35]. » Pas plus que celle qui l’unissait à Heine, l’amitié qu’elle avait vouée à Augustin Thierry ne s’est amoindrie avec les années ; lorsqu’ils étaient séparés, ils s’écrivaient avec ferveur. Il l’appelait alors : « Ma chère sœur, » et elle : « Mon cher frère. »

Mais la fin de cette année 1847 est remplie déjà de rumeurs et de mouvemens insurrectionnels, à tel point que la princesse, informée de ce qui se passe au-delà des monts, croit l’heure venue. Quelle heure ? Celle de l’Italie ! Et 1848 la trouve à Naples. Elle a raconté ici même une partie du rôle qu’elle joua dans l’insurrection de Milan : c’est à ce moment qu’elle fut, « nouvelle Bradamante, » générale d’armée.


VI

Dès que la nouvelle de l’insurrection milanaise lui parvient, elle est sur la brèche, lève un corps de volontaires, se met à leur tête, s’embarque avec son bataillon pour Gênes. Plus de dix mille giovanetti veulent partir avec elle, mais son bateau ne peut en contenir que deux cents. Et c’est un enthousiasme sans nom. Dans la rade de Naples, autour de son navire, d’autres se pressent. « Tous, dit-elle, nous laissaient pour adieu ces mots : « Nous vous suivrons ! »

Sur le pont, entourée de ses hommes, « distribuant des brevets et des grades avec cette formule : Nous, princesse Christine de Belgiojoso, nommons par la présente[36]etc., » nous sommes avec elle en plein théâtre. Mais les giovanetti sont enchantés et ils adorent cette femme, exaltée et belle, qui leur promet la victoire.

Même enthousiasme à Gênes, la princesse annonce 100 000 autres jeunes patriotes, les siens sont républicains. N’est-elle pas disciple de Mazzini ? Malgré cela, ils crient : « Viva Pio Nono ! » Mais il s’agit d’abord de la libération de l’Italie : les opinions se préciseront ensuite. A Milan, son entrée est triomphale ; la foule encombre les rues, se presse autour de sa voiture, des fenêtres on l’acclame, et les vivats retentissent lorsqu’elle passe, heureuse, toujours avec un peu de mise en scène, brandissant et serrant sur son cœur les trois couleurs nationales. Ceci est la partie la plus séduisante du voyage.

Il existe à Milan, dans la collection iconographique si instructive du Risorgimento, une gravure typique. Elle représente le buste de Charles-Albert posé sur un tout petit autel : l’autel de la Patrie sans aucun doute. A droite, la princesse Cristina, coiffée d’un feutre à plumes, la taille mince dans une longue tunique, l’air dégagé, son éternel drapeau à la main, couronne le triste buste du Roi, qui paraît atterré. A gauche, est un giovanetto romantique, coiffé lui aussi d’un feutre cavalier ; sur ses épaules flotte une longue cape de velours, il a une moustache en croc et l’air résolu ; lui aussi tient un drapeau, lui aussi couronne Charles-Albert. Dans cet ensemble, la princesse et le giovanetto seuls sont vivans et prêts à l’attaque ; Charles-Albert est morne et embarrassé, et c’est l’histoire de l’Insurrection milanaise. La princesse, en effet, animée d’un espoir que le peuple semble avoir partagé avec elle, ne trouve pas, dans le Roi, le chef résolu qu’elle désirait trouver ; il est fuyant, il est invisible. Ne pouvant le joindre, elle lui écrit. Elle lui fait des propositions de fusion : « les partis doivent être oubliés, le sort de l’Italie seul est en jeu, » et le Roi lui fait répondre que « l’on compte sur elle plus que sur n’importe quelle personne. » La voilà heureuse.

Mais que sont devenus les giovanetti ? Hélas ! avec les autres troupes on les a envoyés au-devant de l’ennemi, et le comte Hübner dit qu’ils se sont dispersés et qu’on les a revus en haillons, mendiant aux portes de la ville ! Cependant notre générale s’impatiente : l’ennemi s’avance, le Roi ne va-t-il pas agir ? Elle fait demander une audience, elle veut connaître les intentions de ce prince, qui certainement n’est guère entreprenant, ni guerrier, et qui fait dans toute cette histoire assez triste figure. Sans repos, elle se rend du Comité de la défense au quartier général de Charles-Albert, qui lui dépêche son secrétaire. Satisfaite après une conversation avec le secrétaire, elle se retire « en le priant de féliciter le Roi sur ses belles résolutions[37]. »

Mais les belles résolutions de Charles-Albert sont de vaines paroles, car il se sauve la nuit sur un cheval d’emprunt, de peur d’être reconnu, sans défendre Milan qui, comme l’on sait, tombe aux mains des soldats de Radetzky.

Alors, « le général d’Aspre laissa un libre essor aux vengeances, aux attentats isolés. Les forçats de Porta Nuova furent mis en liberté ; ils s’unirent aux soldats pour entrer dans les maisons, désormais désertes, et en emporter tous les objets de quelque prix. Des maisons ils passèrent aux églises, des églises aux musées nationaux[38]. »

Les généraux malades qui étaient restés à Milan furent condamnés a mort. Le pillage de la ville fut terrible. « Quand les Autrichiens rentrèrent à Milan, dit La Varenne, ils brûlèrent les meubles, livres, papiers de famille… ils donnaient les robes des dames aux filles qu’ils amenaient avec eux[39]. » Les temps n’ont pas changé et l’on reconnaît la manière. On peut supposer après cet échec, la fuite de son roi, le pillage de Milan par l’ennemi qu’elle avait espéré voir anéanti, que la princesse est découragée : il n’en est rien. Ces événemens sont du mois d’août. De retour à Paris elle écrivait à M. Rendu, rédacteur au Siècle, en le priant de faire passer « ce fragment d’une adresse de l’émigration lombarde à la République française. »

L’adresse, qui est datée de Lugano (28 septembre 1848), débute ainsi :

« Au Gouvernement de la République française avant que les Puissances médiatrices aient fait connaître leur intention au sujet de l’Italie et de crainte que l’opinion publique ne soit égarée sur une fausse appréciation des faits, nous croyons nécessaire d’interpréter la pensée du peuple italien, juge suprême en pareille question…

« Toute médiation ayant pour but le bien-être et la pacification de l’Italie doit être appuyée sur ces deux faits : l’émancipation absolue de l’Italie de toute domination directe ou indirecte de l’Autriche.

« La question italienne n’est pas une question d’organisation ou de politique intérieure, c’est une question nationale, une question d’indépendance… »

Après avoir invoqué les sympathies de la France et l’exécution de ses promesses, les réfugiés italiens concluent ainsi :

« Si le jour d’une fraternité franche et loyale des nations n’était pas encore venu, même pour la République française, si les peuples ne peuvent attendre encore de cette République une diplomatie autre que celle de Louis XVIII et de Louis-Philippe, nous disons avec une tristesse profonde, mais sans abattement ni désespoir, à la France : Laissez-nous lutter seuls contre notre destinée pour ce principe de nationalité que vous nous aviez promis de défendre. Nous déplorerons encore une illusion (de) perdue, vous déplorerez plus tard la perte d’une alliée puissante et fidèle. Mais en nous enlevant votre appui, vous ne nous enlèverez pas, s’il plaît à Dieu, nos droits imprescriptibles à la liberté, et notre résolution inébranlable de combattre tous et toujours pour revendiquer l’exercice de ces droits, l’indépendance absolue du sol lombardo-vénitien, l’affranchissement enfin de l’Italie tout entière de cette tyrannie étrangère qui directement ou indirectement l’opprime. »

« Suivent plusieurs milliers de signatures, parmi lesquelles celles de plusieurs généraux, ministres, chargés d’affaires du gouvernement lombardo-vénitien ; de plusieurs journalistes, officiers supérieurs, M. Mazzini, général de Maistre, Restelli, etc.[40]. »

J’ai feuilleté la collection du Siècle en septembre-octobre 1848, mais je n’ai pas trouvé trace de cette adresse dans le journal. Cependant, tout en rédigeant des adresses et en écrivant des articles, la princesse Cristina avait fondé deux nouveaux journaux : Il Crociato et La Crocie di Savoja. Mais cette activité de plume n’entravait pas sa vie mondaine. Chez Armand Marrast, dans le fameux bal troublé par le populaire, la princesse apparaissait vêtue en Italie, et appuyée sur la princesse Czartoriska vêtue en Pologne.

Elle est toujours belle, mais si pâle, si pâle, qu’un gamin en la voyant dans la rue s’écriait : « Ah ! celle-là qui a oublié de se faire enterrer[41] ! » et que chez Mme Ancelot, une dame, à qui sa voisine demande comment elle la trouve, répond : « Elle a dû être bien belle de son vivant ! »

Mais l’Italie domptée n’était pas vaincue. « Un esprit de défi soufflait sur la population tout entière. » Voici le genre d’instructions adressées aux Lombardo-Vénitiens, qui circulaient imprimées, malgré la surveillance de la police.

« Tenez-vous prêts à frapper le grand coup ; inquiétez sans cesse l’ennemi, ne lui laissez ni paix ni trêve, épiez ses mouvemens, prenez-le à l’improviste, égorgez-le sans merci, surtout les officiers. Refusez l’impôt… ne rien user d’allemand. Les riches eux-mêmes s’habilleront simplement en étoffes faites à l’intérieur. Les femmes prendront le deuil ; quiconque aura de beaux habits sera traité comme Autrichien… Pendant la nuit, tirer des coups de fusil, pousser des cris, sonner les cloches à l’improviste, appeler sans cesse aux armes ; l’ennemi sera ainsi contraint de disséminer ses forces… Le peuple devra se réunir tous les soirs dans les églises et prier Dieu de nous délivrer de nos malheurs, préparer les faux, les haches, les couteaux et toutes espèces d’armes, faire sauter les poudrières, mettre le feu aux casernes, par des actes terribles et incessans, bien convaincre l’ennemi que notre sol le dévorera, s’il ne nous détruit pas tous… »

Au moment du siège de Rome par le général Oudinot, nous retrouvons la princesse Cristina dans Rome, entourée de discoureurs Piazza del Popolo, juchée sur un banc. Mais ici son rôle est autre ; elle soigne les blessés et administre, avec beaucoup de génie organisateur, les hôpitaux romains. Dans une lettre qu’elle écrira plus tard à Mme Jaubert, elle lui dira combien elle eut de peine à surveiller les gardes-malades qu’elle avait stylées : quelques-unes étaient belles, toutes étaient jeunes, et les blessés aussi étaient jeunes… Alors elle prenait d’autres gardes-malades édentées, et contrefaites. Mais, conclut-elle : « Cela ne remédiait à rien ! » Pourtant, elle ne dit pas à son amie, ce que j’ai lu je ne sais où, qu’à son approche, les blessés qu’elle-même soignait, avaient tous une recrudescence de fièvre !

Après la prise de Rome, il semble que la déception que lui a causée le siège de cette ville par nos troupes, ait profondément atteint la princesse Belgiojoso. D’autre part, Milan était retombé aux mains de l’ennemi, qui s’empressa de confisquer encore une fois ses biens. Enfin Radetzky, resté seul par suite de la fuite des autorités, devint le despote le plus impitoyable et inventa un système de contributions extraordinaires, de rançons proportionnelles à leur fortune pour chaque individu de la noblesse « ou de la haute bourgeoisie milanaise. »

« J’ai déterminé, proclame-t-il le 11 novembre 1848, qu’une contribution extraordinaire serait frappée sur :

1° Les membres du gouvernement provisoire ;

2° Ceux qui ont fait partie de divers comités ;

3° Ceux qui se sont mis à la tête de la Révolution, ou qui y ont concouru, de leurs propres actions, ou par leurs moyens pécuniaires ou intellectuels. »

« Pas un individu du royaume lombardo-vénitien, qui ne pût être placé dans cette catégorie, et cependant le maréchal, en entrant à Milan, s’était engagé d’honneur à respecter les personnes et les propriétés[42]. »

La princesse Belgiojoso fut taxée pour 800 000 livres, le marquis Pallavicino, 600 000, « noble Alessandro Mazoni poète, 20 000, etc. A toutes les réclamations des députations, Radetzky répondait : « Je suis le maître. »

Pressurée par l’Autriche, inutile présentement à son pays, la princesse Cristina se décida à voyager, d’autant mieux qu’elle avait été prévenue par un billet mystérieux qu’elle allait être arrêtée pour « sentimens irréligieux. » Ce billet venait d’un prêtre poignardé dans Rome et guéri par ses soins, qui lui témoignait ainsi sa reconnaissance. En route pour l’Orient, elle écrivit de charmantes lettres à Mme Jaubert : « Pendant que vous vous inquiétiez de moi et de mon voyage, je me tourmentais de sa durée et je pensais avec quelque sentiment d’envie à ces quelques coins de feu où je voudrais m’asseoir, tous les jours de ma vie. Les grands et terribles événemens auxquels je viens de prendre part remplissent ma vie d’une façon qui ne me permet pas de mesurer le temps. Quand je songe à l’époque où je vivais en rat de bibliothèque, quand j’étais libre, et en poupée de salon, quand je ne l’étais pas, il me semble que vingt ans se sont écoulés depuis, il n’y a cependant que trois ans de cela et de votre coin de feu[43]. »

Or, pendant que la princesse vogue, la police, infatigable, fait perquisitionner chez elle, et l’on peut croire qu’elle ne trouvera rien dans la demeure de celle que l’on a surnommée à Vienne « l’astucieuse. » Pourtant, dans un placard de son château de Locate, elle fait une trouvaille extraordinaire. Elle trouve le cadavre d’un homme, secrétaire de la princesse, le jeune Gaëtano Stelzi, en habit noir, parfaitement embaumé et conservé. Cependant, ce jeune homme, mort depuis quelque temps[44], avait été très régulièrement enterré. On peut imaginer le bruit que la police et les ennemis de la princesse firent autour de cette découverte ! A vrai dire, il y avait de quoi. On fit exhumer la bière : on y trouva un morceau de bois. La fugitive fut, bien entendu, accusée d’avoir tué cette victime qui, en réalité, était poitrinaire, et avait succombé devant elle à un vomissement de sang, à Milan. Mais que faisait ce mort dans un placard ? et pourquoi ce faux enterrement ? Jamais on n’a pu éclaircir ce mystère. Je l’ai dit, tout ce qui émana de la princesse Belgiojoso, ou même tout ce qui la toucha, a pris un air de roman.

Elle resta quatre ans éloignée de sa patrie et acheta même en Orient un domaine où elle cultiva le riz et la vigne ; puis elle s’ennuya, je pense, de tant de silence et d’une telle solitude, car elle entreprit de lointains voyages, pénétra dans divers harems, visita la Syrie et l’Asie Mineure à cheval, pendant un an encore. De retour dans ses rizières et à court d’argent, elle écrivit dans divers journaux européens, et, avec sa fille, elle broda… C’est à cette époque qu’un de ses serviteurs, mécontent, lui porta sept coups de couteau auxquels elle survécut : elle ne devait pas mourir avant d’avoir vu se réaliser le rêve de sa vie.

En 1853, elle revint en France. Déjà, le sort de l’Italie était entre les mains de Cavour. Jadis, au bord du lac Majeur, regardant la rive autrichienne et s’entretenant avec Mazzini des destinées de sa patrie, il avait répété avec une vivacité joyeuse : « Nous ferons quelque chose[45] ! »

Lorsque la Lombardie fut de nouveau accessible aux exilés, la princesse Belgiojoso retourna à Milan. Ses amis disent qu’elle joua en ce moment un important rôle dans la politique franco-italienne que poursuivait Cavour ; j’imagine peu cependant que Cavour ait pu prendre cette agitée au sérieux. Il n’en est pas moins vrai qu’elle fonda alors à Milan un journal imprimé en français, — l’Italie, — qui était certainement un organe de propagande. Mais si, à ce moment, la princesse a joué un rôle politique, il ne fut pas bruyant, comme ceux qu’elle aima jouer au moment de la Giovine Italia. D’ailleurs, elle était absorbée aussi par un important ouvrage sur l’Histoire de la Maison de Savoie, et elle passa à Locate, après les heures frivoles, et les heures tragiques de naguère, de douces heures laborieuses.

Enfin, notre héroïne vit la Résurrection tant désirée de sa patrie. Mais c’est dans l’ombre qu’elle assista aux fêtes de Milan, dans l’ombre qu’elle vit acclamer Napoléon III victorieux, et la Lombardie libérée. Elle avait joué tous ses rôles.

La princesse Belgiojoso mourut le 5 juillet 1871. Un de mes amis se souvient d’une visite qu’il fit chez elle, vers 1865, conduit par un de ses parens. Il me dit : « Je vis une fée Carabosse aux traits accentués, une figure de polichinelle qui me parut vieille, vieille ; elle fumait une longue pipe ; près d’elle Mignet, mince, tiré à quatre épingles, encore beau, presque jeune, lui lisait des vers ! »

Dans cette image qu’évoque mon ami, que subsiste-t-il de la beauté parfaite du bal Borghèse, ou de l’amazone hardie qui, drapée dans les couleurs nationales, entraînait en 48 les jeunes volontaires à l’ennemi ? La voici vieille et fumant au coin du feu… Quand on se l’imagine ainsi, on se demande s’il n’aurait pas mieux valu pour elle mourir plus tôt, dans l’action, sur une barricade, ou au chevet d’un de ces blessés, qui ne pouvait la voir sans un vif émoi, avant que la vieillesse fût venue pour elle comme pour d’autres, qu’elle l’eût atteinte et eût déformé ses traits… Mais on me dit que « lorsqu’on traitait avec elle de certains sujets qui l’avaient passionnée jadis, lorsqu’on parlait politique ou qu’on prononçait le nom de l’Autriche ou de l’Italie, » elle se redressait, retrouvait sa vivacité et ses yeux jetaient des flammes. Alors, je songe qu’il est heureux qu’elle ait vécu de longues années, car ces années n’ont ni effacé, ni même affaibli ses passions généreuses, et la vieillesse amie l’a donnée tout entière à la Mort, — avec sa haine constante et son fervent amour.


MARIE-LOUISE PAILLERON.

  1. H. Heine, Reisebilder.
  2. E. Ollivier, L’Empire libéral : Le Principe des nationalités.
  3. La Varenne, Les Autrichiens et l’Italie.
  4. Guerrieri, L’Austria e la Lombardia.
  5. B. Giovani, L’Autriche et l’Italie.
  6. Remsen Whitehouse, A revolutionary Princess.
  7. Circulaire de Vienne, 18 juin 1823.
  8. La Varenne.
  9. Mme Dora Melegari.
  10. R. Barbiera, Passioni del Risorgimento ; « ai Lettori. »
  11. D’Alton-Shée, Mémoires.
  12. Lettre du 21 octobre 1830. Citée par Barbiera, La principessa Belgiojoso.
  13. Lettre à Mme Caroline Jaubert. [Le National, septembre 1850.)
  14. Pendant que Louis-Philippe s’applique à ménager l’Autriche, Metternich est tout près de faire cause commune avec la Russie contre la France, — et, à défaut de cette combinaison, à tenter le rétablissement de la dynastie napoléonienne. Voici ce que je relève sur les Rapports journaliers de la Préfecture de Police. Bulletin de Paris. Paris, le 5 novembre 1831 : « Dans la journée d’hier, les secrétaires (de l’ambassade d’Autriche) ont presque constamment travaillé avec M. le comte d’Appony. Ils ont dit que l’empereur de Russie poussait l’empereur d’Autriche à rompre avec la France, mais que l’empereur de Russie ne savait pas que, s’il y avait des troubles sérieux en France, l’empereur d’Autriche ferait valoir les droits de Napoléon II, qu’il y avait eu déjà plusieurs conseils chez le prince de Metternich, où ce plan avait été discuté. » (Archives Nationales, f. 1, 3885.)
  15. L’arrivée du baron Poerio à Paris est signalée le 5 octobre 1831 (Archives Nationales. F. 7, 12.122.)
  16. Cette lettre, écrite en italien, est inédite.
  17. La princesse habitait à ce moment son appartement de la place de la Madeleine, et elle faisait elle-même son ménage. C’est ce qu’elle appelle « se livrer à ses occupations. »
  18. A la suite de l’échec de cette entreprise, dont la répression fut terrible, Mazzini, exilé, se réfugia à Marseille, où il trouva asile dans la maison de Démosthène Ollivier, père d’Emile Ollivier, Il y demeura caché pendant un an,
  19. Remsen Whitehouse.
  20. Carriere della Sera.
  21. Mémoires du comte Apponyi, vol. III, p. 31.
  22. Dal Tedesco, Archivio del Ministera degli Interni a Vienna, n° 7752. Année 1832, cité par Barbiera
  23. Mémoires du comte R. Apponyi. Vol. III, p. 371.
  24. J. Legras, Appendice à H. Heine poète.
  25. Lettres autographes et documens historiques. Charovay, décembre 1913.
  26. Marie était In fille de la princesse, née en 1838. Elle devint plus tard la marquise Trotti-Bentivoglio.
  27. J. Legras, H. Heine.
  28. Lettres à l’Étrangère.
  29. Souvenirs de Mme Jaubert, page 109.
  30. Confessions d’Arsène Houssaye.
  31. Mme Juliette Adam, Mes premières armes littéraires et politiques.
  32. Le prince, en arrivant à Londres, avait écrit à l’ambassadeur de France pour l’informer de sa présence, et l’assurer qu’il n’avait pas quitté sa prison pour troubler le repos de l’Europe, mais uniquement pour remplir son devoir filial.
  33. Inédite. Cette lettre m’est communiquée par M. H. Prior.
  34. R. Whitehouse.
  35. Lettre inédite.
  36. Remsen Whitehouse.
  37. L’Italie et la Révolution italienne en 1848, par la Princesse Christine Trivulce de Belogiojoso dans la Revue des Deux Mondes du 1er octobre 1848, p. 157.
  38. L’Italie et la Révolution italienne en 1848.
  39. La Varenne, Les Autrichiens et l’Italie, p. 86.
  40. Communiqué par M. H. Prior.
  41. Mme Adam, Mes premières armes littéraires et politiques.
  42. La Varenne.
  43. Le National. Lettre à Mme Jaubert, 6 septembre 1850.
  44. 16 juin 1848.
  45. Charles de Mazade, Le Comte de Cavour, p. 5.