Une Nuit d’Exil (Dufresnoy)

La bibliothèque libre.
Femmes-Poëtes de la France, Texte établi par H. BlanvaletLibrairie allemande de J. Kessmann (p. 61-63).




UNE NUIT D’EXIL.


D’un jour d’exil sonne la dernière heure,
Autour de moi tout, hélas ! dort en paix ;
Je veille seule en ma triste demeure,
Seule, livrée à d’éternels regrets.

Je pense à toi, bon et généreux père,
Dès ton automne au cercueil descendu !
Je pense à vous, ami noble et sincère,
Vous, égorgé, sous mon œil éperdu !

Je vois toujours cet échafaud horrible
Qu’à la vertu le crime osa dresser ;
J’entends toujours l’adieu qu’un cœur sensible
Dut tant souffrir de ne point m’adresser !

Depuis ce coup, qui m’eût ôté la vie,
Si le chagrin nous ouvrait le tombeau,
Chaque moment de ma longue agonie
Me vit gémir sur un revers nouveau.


J’ai tout perdu, bonheur, santé, richesse ;
Et, quand par eux pouvaient unir mes maux,
Il m’a fallu douter de la tendresse
De ces amis qui m’ont dû le repos !

L’aspect d’un fils et l’amour d’une mère
Savaient encore au monde m’attacher,
Entre leurs bras j’oubliais ma misère ;
Mais de leurs bras je me vis arracher.

Loin d’eux j’habite une perfide terre
Où d’un époux m’attendaient les malheurs ;
Je vois ses yeux privés de la lumière,
Ne plus s’ouvrir que pour verser des pleurs !

De ce tableau, qui par degrés me tue,
Je veux en vain m’épargner la douleur ;
Si quelquefois j’en détourne ma vue,
Je le retrouve aussitôt dans mon cœur.

Matin et soir en tous lieux il m’obsède,
Il vient la nuit en rêve me chercher.
À ma souffrance il n’est point de remède,
Et je n’ai pas un cœur où l’épancher !


Toi des mortels l’incorruptible juge,
Qui seul connais mes tourments, mes combats,
Du malheureux cher et dernier refuge,
Dieu de bonté, ne m’abandonne pas !

Prends en pitié mon trouble déplorable ;
Dieu, soutiens-moi contre l’adversité ;
Ne permets pas qu’un désespoir coupable
M’ôte le jour et ton éternité !

O doux effet d’une ardente prière !
J’ai recouvré le calme et la raison ;
Un sommeil pur vient dorer ma paupière ;
Dieu ! je m’endors en bénissant ton nom.