Une descente au monde sous-terrien/23

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Librairie nationale d’éducation et de récréation (p. 298-302).


Il était penché sur un texte. (page 300)

CHAPITRE xxiii

ÉPILOGUE


Quand la route fut à peu près dégagée, quand la route fut redevenue libre et mobile, sur l’ordre du capitaine Kerbiquet, lancé d’une voix puissante et joyeuse, le voyage de retour commença. La flottille reprit sa route vers le nord, surveillée par les yeux cruels des Kra-las échappés au massacre, qui auraient bien voulu tenter une nouvelle agression contre leurs ennemis séculaires ; mais qui ne l’osèrent plus, tant le souvenir du récent combat les terrifiait.

De ce voyage nous ne dirons que peu de choses, car il ne s’y produisit que de rares incidents, l’expérience acquise au cours de la première traversée du désert ayant instruit les explorateurs et leur ayant permis de se prémunir contre des dangers connus.

Quatre personnes, pendant cet heureux voyage, firent aussi peu de bruit que Francken en faisait continuellement.

C’étaient, d’une part, Wilhelmine et le président, qui se quittèrent peu, causant à mi-voix et trouvant toujours des choses intéressantes à se dire. Et d’autre part, Margaret Flower et Jean Kerbiquet qui paraissaient copier leur attitude sur celle de Phocas de Haute-Lignée et de Lhelma.

Quand on aborda, deux mariages étaient décidés, qui devaient dénouer avec du bonheur une aventure si remplie d’épreuves et de dangers.

Van de Boot, qui décidément adoptait Margaret Flower, donna son consentement séance tenante à l’un de ces mariages. Et pour l’autre, il fut convenu qu’on irait le demander à Van Tratter, à bord du Pétrel.

Quelques jours plus tard, les humains supérieurs, accompagnés d’une escorte de Sous-Terriens, remontaient à la surface supérieure. Ils avalent renouvelé leur serment solennel de n’y rien dévoiler des secrets que leur avait découverts le hasard.

Ils émergèrent à un point désert de la côte brésilienne, et, vêtus de leurs costumes de mer, prirent la route des îles Fernando-Noronha. Le Pétrel s’y trouvait, dans une baie calme et bien assis sur ses ancres.

— Mon oncle ? demanda Wilhelmine, en mettant le pied sur l’échelle du bord.

— Il est là, Mademoiselle, répondit Plougonnec en ôtant son bonnet. Ne vous en faites point de mauvais sang ; il n’a pas bougé de ses paperasses depuis que vous l’avez quitté. Il nous a fallu l’appeler chaque fois pour manger. Mais il se porte bien.

— Mon pauvre oncle !

On se précipita vers sa cabine. Il était là, en effet, rouge, suant, penché sur un texte qui pouvait être lapon, à moins qu’il ne fût cafre.

C’était toujours le même homme, avec sa grande carrure et ses bons regards vagues de myope. Mais comme il n’avait pas Wilhelmine auprès de lui, depuis longtemps, pour lui rappeler que dans la vie on se rase, on se coiffe et se brosse, le savant linguiste était dans une tenue qui laissait fort à désirer.

— Mon pauvre oncle ! répétait Wilhelmine.

Il l’accueillit comme s’il l’avait vue une heure auparavant Peut-être ne s’était-il pas aperçu de son absence. Il serra distraitement les mains de Francken et de Van de Boot. Sans doute avait-il oublié que l’un eût été captif de monstres, et que l’autre fût parti à son secours.

Par contre, il embrassa paternellement et affectueusement Margaret Flower qu’il n’avait jamais vue.

— Mon oncle, lui dit Lhelma, je t’annonce que j’épouse M. André Phocas de Haute-Lignée, président de la République Centrale. Nous irons faire bénir le mariage à Saardam, et rentrerons dans ses États. Tu viens vivre avec nous. Et comme là-bas nous n’aurons besoin de rien, nous laissons tout ce que nous possédons à notre excellente Catharina ; qui m’a vu naître, et qui t’a toujours soigné avec dévouement.

Van Tratter dit un « oui » assez vague, et qui indiquait surtout qu’il aurait bien voulu qu’on le laissât tranquille. Et il se replongea dans son texte cafre, ou lapon.

— Monsieur le président, dit Kerbiquet, ma fiancée et moi sommes résolus à demeurer à la surface supérieure, sous la réserve de vous visiter de temps à autre sous la terre ; nous vous promettons de garder religieusement le secret promis.

— Je sais que vous le garderez, répondit Phocas de Haute-Lignée. Merci.

Van de Boot et Francken causaient depuis quelques instants dans un coin. Ils s’approchèrent

— J’avais, au moment de ma capture par les Kra-las, dit Van de Boot, déclaré que je laissais tous mes biens à ma filleule Lhelma. Ce legs n’a plus de raison d’être aujourd’hui où elle va vivre dans un pays assez heureux pour ignorer l’argent. J’annule ce legs, et en institue un nouveau en faveur de Margaret, ma fille adoptive, qui, de cette manière, entrera en ménage avec une dot.

« Et je lui demande, en échange, de me garder auprès d’elle jusqu’à… jusqu’au grand voyage. Car je l’aime tendrement aujourd’hui, et ne pourrais pas vivre loin d’elle. »

Kerbiquet lui serra énergiquement la main, tandis que Margaret Flower se jetait dans ses bras.

— Pour moi, dit Francken, c’est la société de Lhelma qui me manquerait le plus si je venais à la perdre, et mon intention est de m’installer dans la République Centrale, si personne n’y voit d’inconvénient.

« Au surplus, autant appeler les choses par leur nom. Mon affection pour cette enfant que je connais depuis sa naissance, n’est pas le seul motif qui me détermine. Et mon second motif, le voici : j’ai promis le secret ; j’ai juré de tenir ma bouche close sur tout ce qui se passe sous la terre, mais je suis tellement bavard qu’un jour où la langue me démangerait plus qu’à l’habitude je lâcherais tout, et le sous-sol, et les Sous-Terriens, et l’or, et les pierres précieuses…

Et comme on riait, il ajouta :

— Je me connais ; le désir de parler me donnerait la fièvre ; il faudrait à un moment donné que je me dégonfle ; un secret de cette envergure est un poids trop lourd pour moi. Autant prendre mes précautions, car je suis et veux rester un honnête homme.

« Cependant, comme là-bas je n’aurai pas plus besoin d’argent que les autres, je laisse dès à présent ma fortune à Mademoiselle Margaret Flower, qui au lieu d’une dot en aura deux, et qui pourra ainsi faire bonne figure, chez le notaire, à côté du Crésus qu’elle épouse.

« Capitaine Kerbiquet, ne protestez pas ; Mademoiselle, ne refusez pas ; vous me feriez tous deux la plus grande peine de mon existence.

« Et pour toi, Van de Boot, mon ami, cesse d’allonger cette lippe qui te rend affreux. Résigne-toi ; j’en veux un peu aussi, de l’amitié de ta fille adoptive. »

Francken s’arrêta. Margaret vint lui tendre son front pur.




FIN