Une famille pendant la guerre/VII

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Monsieur de Vineuil à madame de Vineuil.
Paris, 17 septembre 1870.

Toutes les lignes ferrées sont coupées, sauf celle de l’Ouest ; le flot qui a déjà passé sur vous bat nos murs de trois côtés ; bientôt Paris ne sera plus qu’une île de l’océan Prussien. Soyez prudents les uns et les autres, les récits des réfugiés de l’Est font frémir ; ils parlent d’actes de sauvagerie tels qu’on les croyait impossibles de nos jours. T’aurais-je laissée aux Platanes si de semblables craintes m’avaient abordé auparavant ? Je ne le crois pas. Je me souvenais de la guerre telle que nous l’avons faite en Crimée et en Italie ; je ne prévoyais pas que la haine des Prussiens les ramènerait aux mœurs d’un autre âge.

Dis à François, aux domestiques et en général aux gens du village, combien serait coupable une seule imprudence qui pourrait compromettre le sort de tous.

Ce que le patriotisme vous commande à vous, femmes, enfants et vieillards, c’est de ne prêter aucun secours à l’ennemi, jamais de renseignements, point d’autres vivres que ceux exigés par la force ou consentis par la commune.

Et maintenant, adieu encore, ma femme chérie, et vous, Berthe, Robert, Marguerite… Je vous remets entre les mains de Celui qui vous aime mieux encore que je ne sais le faire…

Répète encore à François combien je compte sur son expérience de vieux soldat. — Mais, adieu, adieu…

Voici une lettre d’André qui m’arrive, elle a bien réellement passé à la dernière minute. Que faudrait-il donc pour mûrir ce garçon ?