Une femme/II/III

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Paul Ollendorff (p. 129-144).

III

Un dimanche de foire Saint-Romain, en allant au cirque avec l’enfant, Robert arrêta sa femme devant la boutique d’un Russe, dont il avait remarqué la collection de fourrures.

À l’affût derrière son étalage, Markoff souriait d’un air engageant aux flâneurs qu’attiraient son bonnet de loutre et sa tunique de velours noir, dont l’étoffe se tendait comme une cuirasse sur son buste large. Il était grand, fort et d’aspect débonnaire.

Lucie marchanda une garniture d’astrakan pour manchon. Il la laissait à cinquante francs. Elle se récria, trouvant le prix trop élevé.

Mais durant toute la représentation, et au cours de la soirée, elle reparla si souvent de ce morceau de fourrure que Robert lui dit le lendemain :

— Tiens, voilà de l’argent, dépense-le à la guise.

De rares promeneurs erraient. Des nuages lourds écrasaient la ville. L’un d’eux creva, et la jeune femme se réfugia sous l’avancement en planches qu’offrait la boutique de Markoff. Il fit preuve d’une complaisance inépuisable. Il déballa toutes ses peaux de bêtes, dépouilles avariées de martres, de zibelines, de renards, d’ours, de marmottes. Et à chaque exhibition, il affirmait d’un air convaincu :

— C’est joli, ça !

Même il la jugea digne d’admirer un tas d’objets achetés un peu partout et qu’il réservait aux amateurs, des ceintures à clous d’argent, des broderies roumaines, des sabres japonais, des cristaux de Damas, des carabines, des mors, des étriers.

Quand il eut bouleversé son magasin, l’averse continuait, furieuse. Il eut un geste désolé :

— Pauvre madame !

Alors, pour la distraire, il se mit à causer de son pays, de sa femme, de sa demeure dont il expliqua la forme et la disposition. Il raconta ses voyages. Il décrivit de lointaines cités auxquelles il donnait des noms inconnus. Et il employait un jargon bizarre, hérissé de locutions incorrectes, compliqué de mots étrangers, pleins d’images pittoresques et naïves.

Sans chercher à comprendre le sens des paroles, Lucie l’écoutait. Il avait une voix d’un charme inexprimable qui prêtait de la douceur aux sons rauques de sa langue. S’il se taisait, elle l’interrogeait pour que ne cessât point l’ivresse subie. Et il continuait, de son accent profond et sincère, aux inflexions chantantes. Elle fit de telles acquisitions et à des prix si élevés que son mari le lui reprocha vivement. Elle n’en fréquenta pas moins Markoff, mais en cachette le plus souvent, et sans rien acheter.

Le mauvais temps persistait. Peu de personnes se risquaient à la foire. Elle s’oubliait auprès de lui, sans redouter de fâcheuses rencontres. Parfois la pluie chassait avec tant de violence que Lucie montait une marche et s’abritait à l’entrée de la cabane.

Dès les premiers jours, elle le tutoya, naturellement, sans effort, comme un être de race inférieure à la sienne. Markoff, que guidait son flair de marchand âpre au gain, la traitait en idole. Cette aventure l’intimidait. Il ne savait au juste ce que lui voulait cette femme. Aussi, craignant de l’irriter, il se contentait de la regarder avec extase. Il avait des silences rêveurs et des mélancolies significatives.

Elle, l’accablait de ses coquetteries les plus savantes. Elle lui servit tout son répertoire de grâces mièvres et de petits cris badins. Elle eut tour à tour des gentillesses et des duretés, fut enjôleuse, charmeuse, mignonne, enveloppante. Et ils se battaient ainsi galamment, lui à l’aide de supplications muettes, elle à coups d’œillades incendiaires.

Leurs rapports devinrent plus familiers. En palpant les fourrures, leurs doigts se touchaient. Lucie ne retirait pas les siens, et ils ne bougeaient plus, éternisaient la sensation délicieuse de ce contact. Il s’enhardit même, courbé à terre, jusqu’à lui presser la main contre ses lèvres en balbutiant d’un ton passionné des mots qu’elle ne saisit point. Debout, le corps tourné vers les passants, elle savourait l’adoration de cet homme, dont elle sentait sur sa peau les larmes brûlantes, et elle songeait orgueilleusement à l’étrangeté de cet amour.

Un soir, vers cinq heures, elle le surprit qui préparait du thé. Il tombait un brouillard dense. Les magasins, en face, fermaient. Elle pénétra bravement dans le fond de la boutique, derrière l’étalage. C’était un couloir étroit qu’occupaient, à une extrémité, un tabouret et un petit poêle et, à l’autre, un lit composé de coussins.

— C’est là que tu dors et que tu manges ? dit-elle.

— Oui, c’est là.

Elle s’assit. Il lui offrit une tasse. Elle la vida, ainsi qu’une seconde et une troisième. Ensuite elle s’étendit sur les coussins et fuma des cigarettes du Levant.

Une lanterne les éclairait. Markoff s’agenouilla. Délicatement il défit les bottines boueuses, sécha les bas humides entre ses paumes jointes, et lui baisa les pieds et les jambes.

Quand elle partit, il osa dire, très bas :

— Si tu veux, demain, toujours, à la nuit, je fermerai… tu frapperas ici.

Et il désignait une petite porte située au fond de la cabane.

Elle ne répondit pas.

Elle se leva, le jour suivant, avec la certitude qu’elle n’irait pas au rendez-vous de Markoff. Elle se refusait intérieurement à cette chute, non que l’homme lui déplût, mais par une sorte de honte irraisonnée.

Après le déjeuner, elle rejoignit sa mère chez la couturière. Elles firent ensemble plusieurs courses. Soudain, à quatre heures, Lucie alléguant une forte migraine quitta Mme Ramel, traversa le jardin Solférino et gravit la rue Bouvreuil. À mi-chemin, elle avisa un monsieur qui arpentait le trottoir, le menton enseveli dans le col de son pardessus, la tournure furtive. Elle reconnut M. Bouju-Gavart.

De temps à autre il collait son œil à la vitrine d’un magasin où des ouvrières repassaient. Elle l’accosta et, s’emparant de son bras :

— Je vous y pince à m’être infidèle. Si vous tenez à mon pardon, il faut m’escorter.

Il obéit machinalement. Aussitôt Mme Chalmin reprit :

— Allons, parrain, expliquez-moi votre conduite. Il y a quelques mois, on ne voyait que vous, vous m’aimiez, vous soupiriez, et puis, tout à coup, vous me faites faux bond sans même m’avertir.

Il avançait péniblement, par un effort visible, le dos courbé. À la clarté d’un réverbère, elle constata l’altération de ses traits.

Il repartit avec lassitude :

— Hélas ! tu n’as pas à être jalouse, rien ne pourra me délivrer de toi. Et puis, que t’importe ! n’en as-tu pas d’autres que moi pour t’aimer ? Tu le sais bien, c’est cela surtout qui m’éloigne. J’en souffre trop.

Elle eut pitié de lui et gaiement :

— Non, vrai, parrain, vous avez pris ça au sérieux, vous, un vieux « routier », comme vous dites ! Vous n’avez pas vu que je plaisantais !

Après une pause, elle grommela d’un ton pincé :

— Quelle belle opinion vous avez de moi !

Il ne la crut pas, mais un peu de bien-être l’envahit, et comme à la foire, elle tentait de se débarrasser de lui, il supplia :

— Je t’en prie, laisse-moi t’accompagner, cela me fait plaisir de te revoir, malgré tout.

Elle devait décliner son offre, accepter était déloyal et cruel, contraire au mouvement généreux qui l’avait engagée à mentir. Elle le sentit, et pourtant ne le renvoya point.

Ils tournèrent à droite, et cent pas après, elle s’esquivait en disant :

— Promenez-vous jusqu’à la place Beauvoisine, je vous rejoins.

Elle se glissa par l’intervalle qui séparait deux boutiques. Derrière, elle suivit le passage resserré qui longe les habitations, lugubre, sale, obstrué de caisses éventrées d’où jaillissent des monceaux de paille. De rares becs de gaz la guidaient. Elle se heurta contre une échelle, marcha dans le ruisseau, et les pierres du chemin lui blessaient les pieds. Puis, où s’adresser ? Comment s’y reconnaître parmi toutes ces baraques semblables ? Se rappelant enfin le numéro de la maison opposée, elle réussit à le découvrir. Alors elle aperçut la porte basse.

Une hésitation l’arrêta. Son cœur battait, désordonné. La nécessité d’accomplir elle-même une démarche décisive la troublait. Somme toute, ses deux premières fautes avaient l’excuse des sens, d’une défaillance irréfléchie. Elle n’avait fait que succomber. Là, il fallait agir. Elle s’y détermina tout d’un coup et, s’approchant, frappa.

M. Bouju-Gavart attendit une heure entière. D’abord il flâna devant les étalages. Des légions de poupées, des carrés de pain d’épice, des tas de nougats, des couteaux, des lorgnettes, attirèrent successivement son attention. À tout instant, il consultait sa montre, étonné de ce retard. Place Beauvoisine, les cloches et les tambours des saltimbanques faisaient un tumulte discordant. Sur une estrade, un couple, qui vendait des romances, chantait en raclant du violon, à la lueur triste d’une bougie.

Il les écouta, déchiffra l’enseigne d’une auberge, une croix enlacée par un cygne, avec ces mots en grosses lettres : « Au Cygne de la Croix », puis redescendit le boulevard. Une inquiétude germait en lui. Il flaira quelque infamie et se remémorant les dures souffrances déjà supportées, ses fuites, ses guérisons, ses rechutes, il se repentit amèrement de l’avoir accompagnée.

Un souvenir l’assaillit : la semaine précédente, Chalmin s’était plaint des dépenses de sa femme chez un Russe. À tout hasard, il s’informa près d’un marchand de jouets. On lui montra la boutique de Markoff. Elle était close.

Une peur lui brisa les jambes. Il dut s’adosser à un arbre, et il attendit, les yeux fixés sur l’endroit désigné. Il en vit sortir Mme Chalmin. Ils s’en allèrent. Et Lucie s’exclama, heureuse, sans intention méchante :

— Ouf ! ça y est !

Elle le sentit qui frissonnait de tout son corps. Il n’eut cependant aucune révolte. Ils continuèrent leur route, silencieux.

Plusieurs fois encore, elle recommença cette escapade. Robert ne la questionnant jamais, elle partait à la nuit tombante et rentrait au moment du repas. Mais la discrétion bonasse de son mari la lassa. Et moins pour lui donner confiance que pour le duper, elle lui rendit compte de sa vie avec cette précision de détails et cette abondance de preuves qui sont chez les femmes des symptômes si graves de culpabilité.

À telle heure elle faisait une visite telle rue ; à telle autre, elle saluait telle personne. Dans ce magasin, elle achetait ceci, dans cet autre, cela — et elle tirait d’une armoire quelque étoffe ou quelque dentelle sans emploi.

Son bavardage la grisait. Elle s’embarquait dans des histoires extravagantes, citant des conversations, inventant les réponses textuelles de son interlocuteur, ses jeux de physionomie, son costume, sa pose, s’embrouillant, se contredisant, compliquant sa fable d’incidents inutiles, propres à la démasquer. L’articulation d’un mensonge lui procurait une volupté qu’aiguisait une angoisse continue. Un fait insignifiant lui devenait agréable, dès qu’elle l’avait suffisamment travesti. Un fait en tous points imaginé lui semblait un exploit dont elle s’enorgueillissait.

Avec le Russe, cet instinct perfide s’exerça d’une autre manière. Pour lui comme pour Amédée, elle embellit son existence. Ne pouvant prétendre entre ses bras à une vertu austère, elle se confectionna un passé romanesque. Elle l’éblouit par des aveux où retentissaient des noms de nobles, d’hommes publics, de mondains célèbres, d’artistes en vogue.

La passion de Lemercier, enjolivée, idéalisée, lui fournit une séance. Celle du musicien de Dieppe, transformé en compositeur génial, remplit la seconde. La troisième fut consacrée à Richard dont elle fit un gros commerçant méridional.

Danègre aussi et « parrain » défilèrent, l’un sombre figure énigmatique et terrifiante, l’autre brûlé de désirs, hâve, amaigri, pitoyable.

Et tout cela coulait naturellement, paisiblement, comme l’eau d’un fleuve. Les mots et les anecdotes lui venaient sans qu’elle les cherchât. Elle débitait ses exagérations comme d’autres énoncent des vérités, sans plus de honte ni de rougeur, sans même se douter de sa fourberie.

Elle aimait, sur les coussins de Markoff, ces entretiens à mi-voix, qu’elle suspendait pour boire une tasse de thé ou fumer une cigarette. Cette liaison, d’ailleurs, lui valut d’inoubliables instants. Outre qu’elle jugeait peu banales ces étreintes au fond d’une baraque, dans ce cadre de fourrures et de bibelots précieux, avec le hurlement du vent ou le bruit monotone de la pluie qui s’égoutte, elle apprit là quelques sensations notables. Markoff lui révéla un amour nouveau, l’amour humble et prosterné. Des fois, il lui ôtait sa robe et l’affublait de toisons rares, aux longs poils soyeux. Par des entrebâillements, la peau blanche luisait. Il tombait à genoux et se frappant le front contre le plancher, il l’adorait — tandis qu’elle, assise, le torse droit, hautaine, impassible comme une divinité, respirait l’encens de ce culte fervent.

Ses caresses aussi lui semblaient d’un goût particulier. Tant de choses distinguaient cet homme de ceux qu’elle avait connus. Étant d’une autre contrée, d’une autre religion, d’une autre race, il devait inévitablement produire une impression physique différente. Ses habitudes et ses procédés ne pouvaient être les mêmes. Elle accepta cette idée si aveuglément qu’elle négligea de la vérifier. Markoff lui parut tel qu’elle le désirait.

La présence ordinaire de M. Bouju-Gavart, à quelques pas de la boutique, ajoutait encore à l’originalité de ces entrevues. Lucie le savait là. Elle le cueillait au sortir. Dès le début, il lui avait dit :

— C’est fini, mon mal n’a pas de remède, du moins comme cela je puis te servir en cas d’alerte… d’autant plus que j’ai surpris sur toi, de droite et de gauche, quelques propos équivoques.

Et il attendait, affalé contre son arbre.

En réalité, quoique malheureux, il se targuait d’une souffrance qu’il était loin d’éprouver. Son entêtement à se morfondre auprès de cette masure où deux êtres se possédaient, cachait, plutôt que de la sollicitude, la satisfaction d’un instinct pervers.

Nul espoir ne le soutenait. Les caprices de Lucie, dont il aurait dû tirer bon augure, le décourageaient au contraire. Il la croyait sensuelle. Elle choisissait des amants jeunes, aptes à l’assouvir, et ne pouvait que dédaigner les baisers d’un vieillard. Aussi, ne profitant pas de cette déchéance, il eut des remords de l’avoir provoquée. La responsabilité absolue en incombait à lui, à ses conseils, à son influence, à son exemple, à ses théories.

Il essaya de la sermonner. Elle le railla. Impuissant, il subit sa défaite. Mais des révoltes terribles le déchaînaient souvent contre elle. Il l’accablait d’invectives grossières.

La foire touchait à son terme. Un jour, arrêtant sa filleule au milieu du boulevard, il lui lança :

— Markoff va s’en aller ; toi, que feras-tu ?

Elle chantonna :

— Bah ! j’en prendrai un autre.

— Et après ?

— Un autre encore.

Il lui tordit le bras si violemment qu’elle en gémit.

— Et moi, jamais ?

Elle éclata de rire, puis soudain, sérieuse, répliqua lentement :

— Vous ?… Vous ?… Eh bien… quand vous voudrez.

Cette réponse l’étourdit et, le cerveau trouble, incapable de la suivre, il la regardait s’éloigner, se perdre dans l’ombre avec la grâce onduleuse de sa silhouette et le balancement rythmé de son buste sur ses hanches.

Dès lors, il l’évita. Une suprême fois, il essaya de se soustraire à sa domination. Il avait peur de cette chair qui dévorerait la sienne, peur d’une liaison où sombrerait toute son énergie, où ne lui serait épargnée nulle bassesse, peur de cette femme, de sa duplicité, de son inconscience, de son égoïsme, peur d’en pleurer, peur d’en mourir. La possibilité de l’avoir l’effrayait, comme un crime tentant et productif qu’on pourrait commettre en levant un doigt. Un mot, et le lendemain, sur l’heure même, elle se donnait. Ce mot, il n’osait le dire.

Le Russe prolongea son séjour jusqu’à la limite permise. Mais les dernières semaines se traînèrent, monotones. Lucie manqua plusieurs rendez-vous. Elle commençait à se fatiguer de lui. Il lui manifestait une affection trop servile. Comment s’attacher à un homme qui baise la poussière de vos souliers ?

Par contraste, elle rêvait d’un maître dont elle subirait le joug, et elle pensait plus à cet être imaginaire qu’à son amant actuel. Elle était lasse de ces amours fugitives. L’intérieur d’une voiture, la chambre nuptiale ouverte à tout venant, la boutique d’un forain, cela ne lui suffisait plus. Certains de ses désirs ne trouvaient pas ainsi leur réalisation. On prenait son corps, on ne l’admirait point. Maintenant qu’elle connaissait la volupté défendue, au fond toujours pareille et décevante, il lui fallait des joies d’un autre ordre. Son orgueil surtout réclamait ses droits.

Sans le savoir, elle aspirait à quelque chose de plus régulier et de plus stable, de plus prosaïque et de plus commode, une sorte d’adultère plus conjugal.

Le jour où partait Markoff, il voletait des flocons de neige. Son déjeuner fini, Lucie s’apprêta sans entrain. La veille, Robert l’avait menée au théâtre. Ses paupières papillotaient. Mal disposée, elle redoutait le froid du dehors. Un bon feu brûlait. Elle s’assit, ferma les yeux et s’assoupit.

À son réveil, quatre heures sonnaient à la pendule. Elle tressauta. C’était l’heure fixée. Aussitôt elle réfléchit qu’en se pressant elle arriverait pour les adieux. Mais une torpeur invincible paralysait ses membres. Elle grelottait. Le feu s’était éteint. Alors elle se dit :

— S’il m’attend, il peut bien m’attendre encore.

Elle alluma un fagot et le couvrit de bûches. La flamme pétilla, réconfortante. Les minutes s’enchaînèrent. La nuit vint. Et Lucie ne bougeait pas, les coudes sur les genoux, la tête sous le manteau de la cheminée, l’esprit engourdi, vide de pensées.

Il s’ensuivit une de ces périodes d’apathie que traversent les femmes, où elles négligent leur toilette, errent de tous côtés, débraillées, en savates et en peignoir sale. Elle mangeait aux repas, dormait au lit, et le reste du temps bâillait et geignait. Elle entreprit l’éducation de René, acheta un alphabet pourvu d’images, mais fut si vexée que son propre fils ne pût pas lire après une première leçon, qu’elle le punit et le jugea d’intelligence médiocre.

Plusieurs ouvrages de couture qu’elle entama simultanément furent laissés en plan. Elle risqua quelques promenades : elle rentrait exténuée. Rien ne la divertissait.

Un matin, comme Robert l’avait quittée pour accomplir une tournée aux environs, un commissionnaire lui apporta une lettre. Elle la décacheta. C’était l’écriture de son parrain. Elle lut ces mots :

« Aujourd’hui, deux heures, place du Vieux-Marché. Me suivre de loin. »

Elle y alla.