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Une femme m’apparut (1904)/17

La bibliothèque libre.
Alphonse Lemerre, éditeur (p. 213-218).

XVII
LE MATIN
grieg.

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>>
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XVII


Dagmar préférait, entre toutes les fleurs, l’inconscient lilas du renouveau. Vally aimait les gardénias, délicatement artificiels, qui se flétrissent au plus doux effleurement.

« Vous êtes plus églantine que jamais, Dagmar, » murmurai-je. « Je n’ai jamais vu de fraîcheur comparable à la vôtre. »

Et la pensée soudaine me vint, qu’il serait exquisement imprévu et charmant d’oublier, auprès de cette adolescence, mes longues tortures expiatoires. Un rire de parfums, une évocation d’avril, après les ténèbres d’abîme où mon âme s’était si longtemps perdue… Ce serait pour elle le caprice d’une heure d’ennui, et, pour moi, la consolation inespérée. Ce serait mon cœur arraché de ma poitrine et ne me torturant plus de ses battements fébriles.

Mais une anxiété me retint. Oserais-je mettre ce fardeau de mon cœur trop lourd entre les mains d’une Enfant ?…

Les yeux rieurs de Dagmar étaient comme une eau de source baignée de soleil bleu.

« À quoi rêvez-vous ? » me demanda-t-elle. « Vos pensées m’inquiètent toujours. Vous avez un regard si sombre et une bouche si amère ! On dirait le regard et la bouche d’un vieil ermite, dont les paupières sont accoutumées aux ténèbres et dont les lèvres taciturnes ont le pli du silence.

— Je pensais à la Sœur Aloyse de Villiers de l’Isle-Adam. Jamais les yeux de l’âme n’ont contemplé un plus idéal visage de vierge amoureuse. Je pensais aussi que vous lui ressemblez, Dagmar, plus joyeuse et moins fervente, pourtant. »

Je la regardai jusqu’au fond de ses yeux bleus de tout le printemps qui s’y reflétait.

« Si vous vouliez mettre dans la mienne votre main de fillette sans défiance, Dagmar, j’irais respirer auprès de vous l’air de l’aurore. »

Ses prunelles trop claires ne fléchirent point sous mes prunelles sombres d’épouvante et de désir. Et, dans sa candeur perverse, elle tendit vers moi ses lèvres savantes, ses lèvres ingénues.

« Ne crains-tu rien, Dagmar ? »

Ma voix déchira les voiles légers, que le silence venait de tisser autour de nous.

« Que pourrais-je craindre ?

— Mon amour.

— Faut-il craindre l’amour ? » demanda-t-elle, si simplement que, devant le baiser qu’elle m’offrait, je reculai… Je reculai comme un être que la démence a frappé à demi recule devant le meurtre conçu en une heure insensée.

Je pris entre mes mains ses mains frêles.

« N’as-tu point peur de mes mains, Dagmar ?

Vois comme elles ont pris tes mains, comme elles les compriment, comme elles les possèdent ? »

Elle eut un faible cri d’alouette blessée.

« Tu m’as broyé les doigts… Tu m’as fait très mal…

– Et c’est ainsi qu’elles te feraient toujours mal, car ce sont des mains violentes, qui ont failli devenir des mains criminelles… Elles auraient pu se resserrer mortellement autour d’un cou trop fragile, aussi fragile que ton cou d’enfant… Vally me l’a dit autrefois : je suis une âme mauvaise, et ce que j’aime le plus dans l’amour, c’est la colère et la haine. Mais il y a encore place en moi pour une pitié attendrie devant l’exquise faiblesse confiante. Tu ne souffriras pas de ton caprice puéril, Dagmar… »