Une fleur

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Œuvres complètes de LamartineChez l’auteur (p. 195-196).
IX


UNE FLEUR




MÉLODIE





 
Cette fleur est pour moi la date d’une année
Que le fleuve du temps a noyée en son cours ;
Vingt fois la même fleur s’est rouverte et fanée
Depuis… Mais celle-là me fait rêver toujours.

C’était un de ces jours que jamais on n’oublie,
Jour de bonheur suprême, hélas ! sans lendemain.
Celle que j’adorais, et qui l’avait cueillie,
Quand le soir fut venu l’effeuilla dans ma main.


« Le soleil est couché ; mais gardons, me dit-elle,
» Quelque chose du moins du jour évanoui.
» L’heure qui vit s’ouvrir cette fleur sous son aile
» Est la même qui vit mon cœur épanoui.

» Nous ne pouvons, hélas ! enchaîner à la rive
» Un seul des flots du temps, qu’il soit amer ou doux ;
» Mais nous pouvons semer sur l’onde fugitive
» Nos débris de bonheur en mémoire de nous ! »

L’homme heureux de Samos[1] aux flots jeta sa bague,
Pour éprouver les dieux et tenter son bonheur.
Le flot la lui rendit… Nous, jetons à la vague,
À la vague du temps, ce jour et cette fleur !

Et si Dieu nous les rend, même dans l’autre monde,
Rendons grâce à la vie, et disons : « Gloire à lui ! »
Le chemin est bien long, la nuit est bien profonde ;
Mais le ciel n’est pas loin, car l’amour nous a lui !

  1. Polycrate.