Une galerie antique de soixante-quatre tableaux/Avant-propos

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DESCRIPTION DE TABLEAUX

PAR

PHILOSTRATE L’ANCIEN




AVANT-PROPOS


Ne pas aimer la peinture, c’est mépriser la réalité même, c’est mépriser ce genre de mérite que nous rencontrons chez les poètes, car la peinture, comme la poésie, se complait à nous représenter les traits et les actions des héros ; c’est aussi n’avoir point d’estime pour la science des proportions, par laquelle l’art se rattache à l’usage même de la raison. Si l’on voulait parler avec subtilité, on dirait que la peinture est une invention des dieux, en songeant aux différents aspects de la terre dont les prairies sont comme peintes par les saisons, et à tout ce que nous voyons dans le ciel. Mais, pour remonter sérieusement à l’origine de l’art, l’imitation est une invention des plus anciennes, du même âge que la nature elle-même. Nous en devons la découverte à des hommes habiles qui l’appelèrent tantôt peinture et tantôt plastique. La plastique même se divise en plusieurs genres : car, imiter avec l’airain, polir le Lygdos ou le Paros, travailler l’ivoire, tout cela rentre dans la plastique, sans compter l’art de graver sur métaux. La peinture consiste dans l’emploi des couleurs, mais non en cela seul, ou plutôt de cet unique moyen elle tire un plus grand parti qu’un autre art de ressources nombreuses. En effet, elle représente les ombres, elle varie l’expression des regards, suivant qu’elle nous montre la fureur, la douleur ou la joie. Donner aux yeux l’éclat qui leur est propre, c’est ce que ne saurait faire la plastique ; ils sont brillants, ils sont d’un vert bleuâtre, ils sont noirs dans les représentations de la peinture. Les cheveux sont d’un blond fauve, ardent, doré. Tout a sa couleur, les vêtements, les armes, les maisons et les appartements, les bois, les montagnes, les sources et l’air qui enveloppe toutes choses. Beaucoup d’artistes ont excellé dans cet art ; beaucoup de villes, beaucoup de rois l’ont aimé avec passion ; mais c’est là une histoire que d’autres ont racontée avant moi, et par exemple, Aristodème de Carie, dont j’ai fait mon hôte, pendant quatre ans, par amour de la peinture, et qui, disciple lui-même d’Eumélos, ajoutait beaucoup de charme à la manière du maître. Mon intention n’est pas de nommer des peintres ou de raconter leur vie, mais d’expliquer des tableaux variés : c’est une conversation composée pour des jeunes gens, en vue de leur apprendre à s’exprimer, et de former leur goût. Voici à quelle occasion ces discours ont été prononcés. Il y avait alors des jeux à Naples, cette ville de l’Italie fondée par des Grecs, et qui, par ses mœurs élégantes, par son goût pour les lettres, mérite d’être regardée comme une ville grecque. Je ne voulais point déclamer en public, quoique pressé par les jeunes gens qui fréquentaient la maison de mon hôte. Je logeais alors en dehors des murs dans un faubourg bâti sur la côte, et où s’élevait un portique à quatre ou cinq étages, qui avait vue sur la mer Tyrrhénienne. Revêtu des plus beaux marbres que recherche le luxe, il tirait son principal éclat des tableaux encastrés dans ses murs, et choisis, comme il me le semblait, avec un soin tout particulier ; ils témoignaient en effet du talent d’un grand nombre de peintres. De moi-même, j’avais formé le dessein de faire l’éloge de ces peintures ; mais le fils de mon hôte, un enfant d’une dizaine d’années, déjà curieux et avide d’apprendre, épia le moment où je visitai la galerie, et me pria de lui expliquer les tableaux. Ne voulant pas lui paraître trop maladroit : « volontiers, lui dis-je, je commencerai mon explication, quand tes jeunes amis seront arrivés. » Ceux-ci étant venus : « Votre camarade, leur dis-je, posera les questions ; c’est à lui que je consacre mon exercice d’interprète. Quant à vous, suivez le commentaire, mais ne vous contentez pas d’approuver : interrogez, si je ne suis pas assez clair. »