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Une heure de désir/18

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La reine s’échappe du lit et court par la chambre avec de grands cris, le roi la poursuit, mais, comme elle était jeune et leste, le monarque tombait sur le nez, se heurtait contre les meubles. Bref, il trouva le jeu fort sot et entra dans une colère épouvantable…

PROSPER MÉRIMÉE, Lettre intime à Stendhal, 1830

Isabelle ne prévoyait pas cet élan brutal de capripède saillant la satyresse. Elle plia et roula sur le vaste divan. Sa cigarette sauta et elle eut un petit cri, l’expectoration sonore née de la surprise et peut-être aussi de la curiosité :
— Ah !
Jacques était robuste et, quoique sa partenaire fût entraînée à tous les jeux auxquels excelle, depuis peu, la jeune décision des femmes, il savait bien qu’avec de la ténacité et du souffle, il devrait avoir le dernier mot. Il calcula donc ses gestes, assuré que ce fût là une sorte de bataille de fond, une épreuve réclamant de la vigueur lente. Et il bloqua d’abord les gestes d’Isabelle de ses deux mains.
Elle dit :
— Il est devenu enragé, ma foi !
Le ton était rauque. On y devinait une légère inquiétude. Jacques y trouva surtout un encouragement.
D’abord, en femme un peu désunie par un assaut véhément et qui l’a presque soumise, la jeune fille se défendit sans calcul. Elle tendit les muscles de ses bras dont elle était orgueilleuse et tenta de les dégager. Jacques eut fort à faire pour conserver l’avantage. Sa supériorité était de position.
Bien agenouillé sur d’épais coussins, il gardait sous lui le corps féminin dont les réactions furent d’abord vaines. Et il en tira une sorte d’orgueilleuse audace.
Isabelle serrait les dents. Au premier coup, elle avait bloqué ses cuisses, comme font d’instinct les femmes en danger. Mais ce fut bref. Très maîtresse d’elle-même, elle comprit qu’il serait temps de défendre sa chair lorsqu’on viendrait l’assaillir. Pour l’instant, il lui fallait se remettre debout.
Elle se tordit de côté puis, d’une détente de l’échine, tenta de basculer l’ennemi. Il s’en fallut de peu qu’elle réussît. Par une résistance héroïque, le jeune homme se maintint. Alors elle leva les jambes et, s’arc-boutant des talons, voulut, en faisant ce que les lutteurs nomment « le pont », déséquilibrer et faire plonger Jacques.
Soudain, elle se détendit comme un cranequin. L’homme, levé par le ventre et les jambes cambrées, plongea. Il pensa qu’une telle action lui eût été favorable sous d’autres auspices… Mais ses réflexions n’allèrent pas plus loin. Il se trouva soudain presque assis sur la poitrine d’Isabelle, et d’une torsion elle dégagea ses bras.
Il était furieux et se retourna d’une secousse pour immobiliser ses jambes qui luttaient, chez la jeune fille, aussi farouchement que les bras.
Il vit le spectacle émouvant d’un bassin quasi nu. La culotte était devenue, sous l’action qui l’emplissait, une dérisoire protection d’où la chair musclée sortait, animant les cuisses agiles et écartées. L’une, levée, faisait contrepoids au torse pour que la guerrière pût se redresser. L’autre, en balancier, étendue, rigide jusqu’à l’extrémité du membre, gonflait la soie du bas, luisante comme une peau.
Et la croupe aux larges rondeurs se manifestait avec une sorte de vie active. Furieuse d’ailleurs de se sentir regardée en ce moment, Isabelle s’agitait comme un martyr sur le gril.
Elle souffla :
— Vous ne m’aurez pas, Jacques.
Il répondit dans un nouvel effort :
— Je vous aurai, Isabelle.
Et il parvint à la maintenir par les épaules. Piaffante et furieuse, elle dansait sur son échine incurvée comme un fauve qui tire sur une chaîne.
Il voulut profiter de la circonstance pour prouver qu’il avait du sang-froid et de l’esprit.
— Isabelle, dit-il, vous m’offrez des horizons magnifiques.
Elle ne répondit pas, tant sa rage était grande. D’ailleurs, très perspicace, elle sentait ses forces décroître et voulait le dissimuler.
— Regardez toujours, fit-elle. J’aurai mon tour.
— Vous ne m’admireriez pas si agréablement que je le fais, si je vous offrais les mêmes perspectives.
— Qu’en savez-vous ?
Il se mit à rire.
— Ça, pas une femme ne l’avouera jamais.
Elle put, par surprise, retirer un de ses bras et l’agita en signe de triomphe, visant d’empoigner Jacques par sa cravate et de lui serrer le cou.
Elle dit alors, sans perdre de vue son désir.
— Ça ! Quoi ?
— Ça, que m’importe laquelle trouve de l’agrément à admirer la chair nue d’un homme.
Elle tendit son bras prestement, prit la cravate et la tordit.
— Je vous étrangle, Jacques.
Il se tut, déjà congestionné. Sur le dos, seins à l’air, le corps offert comme une bacchante en délire, Isabelle criait maintenant :
— Croyez-vous que les autres femmes me ressemblent ? Vous n’avez donc pas remarqué que je me baignais, cet été, presque toujours en même temps qu’Alcibiade, cet écrivain qui semble une statue grecque et circulait tout nu. Il a même eu six contraventions pour ça…
« Eh bien, c’est parce que j’aimais à le voir…
Écarlate, à demi-étranglé, il aboya :
— Petite saleté d’Isabelle, vous êtes un monstre.
Elle rit et serra encore la cravate.
Il sentit qu’il n’irait pas loin.
Elle raillait :
— On dit que la mort par strangulation donne la même jouissance que l’amour, vous allez en goûter, houste !
Mais lui, d’une violente secousse, se retira, chancela et roula sur le divan. Son cou était libéré, mais il sentit alors Isabelle victorieuse qui le tenait maintenant sur le dos.
— À mon tour !