Une heure de désir/19

La bibliothèque libre.

Il en est de pratiquer la vertu comme de jouer des instruments à vent, tels que le hautbois ou la flûte. Cet exercice fatigue et tue ceux qui n’y excellent pu…

Le Diogène de d’Alembert ou le Diogène décent, par M. DE PRÉMONTVAL, 1755

Isabelle, avec ses cheveux fous, sa figure rose et crispée, la fureur aimable de ses regards respirait maintenant le triomphe. Solidement agenouillée et tenant le corps de Jacques entre ses cuisses, elle tentait de le ressaisir par la cravate, et riait à petits coups convulsifs.
Il avait les mains libres, et voulait désormais transformer en simple amusement galant une lutte commencée sous d’autres espérances, aussi prit-il la jeune fille par la taille et s’amusa-t-il à la balancer.
— Qu’est-ce qui vous prend ? fit-elle.
— Cela me fait penser à autre chose…
Elle eut une montée de rouge sur le vermillon déjà accusé de ses joues polies.
— Vous ne pensez qu’à des actions fâcheuses.
— Fâcheuses ! en voilà une idée… Mais j’ai peu dit. Qu’avez-vous donc compris, ô vergogneuse dévergondée !
Elle se mit à rire en frissonnant, puis dit avec lenteur :
— Tenez, je vous laisse. Vous êtes battu.
Et elle se retira.
Debout, elle eut une sorte de longue vibrations et se cacha deux secondes les yeux avec les paumes. Il la vit haleter trois ou quatre fois, puis courber son torse en arrière. Deux plis sillonnèrent sa figure, la vieillirent soudain et il sembla à Jacques, tandis que tout cela s’effaçait, voir une fille qui se détend après le plaisir.
Il devina :
« Elle a eu encore le petit plaisir secret. Cette Isabelle est comme un de ces instruments de musique qui vibrent à la parole. Quelle merveilleuse machine à volupté ! Et dire que je ne vais pas parvenir à la prendre aujourd’hui. »
Elle respirait doucement et profondément, attentive à remettre de l’ordre dans son organisme bouleversé par la courte bataille et les frissons terminaux. Il crut suivre sa méditation.
« Est-elle venue pour se donner ? Est-elle vierge ? Deux questions terribles. Si elle n’est pas vierge, je n’en veux pas. Mais je ne le saurai qu’après.
« Elle a l’habitude de la joie sexuelle, c’est certain, mais par quels moyens l’obtient-elle déjà ? »
Désireux d’être équitable, il pensa encore :
« On ne peut pas reprocher à une jeune fille libre et qui se frotte au monde depuis quatre années, d’avoir du tempérament. Tout échauffe ces corps ardents dans la vie moderne. Est-ce seulement le signe d’une nervosité extrême que cette pâmoison dont je viens d’être témoin, ou si c’est la preuve d’une perversion de nymphomane ?
Elle ne le laissa pas réfléchir plus longtemps et murmura :
— Ouf ! j’ai eu chaud.
— Vous avez eu peur, Isabelle.
— Peur de quoi.
— Peur que je n’abuse…
— Pensez-vous qu’un homme puisse abuser, comme vous dites, sans le consentement au moins tacite de sa « victime » ?
— Oui, je le crois.
— Erreur !
— Mais non. Et la preuve, c’est que tous les ans il y a en France quelques centaines de condamnations pour viol.
— Des condamnations qui valent les bûchers de sorcellerie du seizième siècle, où l’on brûlait des milliers de malheureuses pour de prétendus pactes avec le diable.
— Que non. Il y a des femmes qui firent avouer à leur assaillant, et qu’elles s’étaient défendues et qu’il avait eu le dernier mot.
— Je n’y crois pas, Jacques. Et pourtant, je pense savoir ce qu’une femme peut faire. J’ai été empoignée et à demi-couverte, voici deux ans, au Bois de Boulogne, en juin, à quatre heures de l’après-midi…
— Vous m’émerveillez. Et que s’est-il passé ?
— Rien de mal. L’assaillant était une espèce de galvaudeux, un barbeau de l’avenue de la Grande-Armée, qui commença par me faire, comment dit-on, en argot.
— Du plat ?
— Non. Il y a un mot plus curieux. Ah ! oui, du « gringue ». Le type me fait du « gringue ». J’ai la maladresse de m’esclaffer. Il suit, et, dans la petite allée qui accompagne le ruisseau, à cent mètres des Acacias, près du pont, il me saute dessus…
— Oh ! oh !
— Il me met la main sur la bouche, pour m’empêcher de crier, me fait un croc-en-jambe, m’allonge sur l’herbe et…
Jacques écoutait ardemment. Il connaissait ces rôdeurs du Bois, tous responsables de divers attentats, capables de n’importe quel crime, et d’une cruauté sadique développée par l’habitude de surprendre et de surveiller les couples en amour.
Il dit seulement :
— Dites vite la suite. Je vous chéris trop pour que les événements dont vous pouvez être victime ne m’émeuvent pas profondément.
Il avait lancé le « je vous chéris » sans s’en apercevoir. La flèche involontairement jetée s’en fut pourtant droit au but.
Isabelle s’arrêta.
— Hé bien, fit Jacques.
Elle demanda, la voix changée :
— Vous me chérissez tant ?
Il rougit, hésita, puis lui prit la main.
— Isabelle ça m’a échappé, mais c’est vrai, vous savez. C’est plus que d’aimer.
Elle se pencha vers lui.
— Vous avez eu un bien joli mot. Embrassez-moi, pour votre récompense.
Il lui prit les lèvres, et le désir monta en son corps comme la lave dans le cratère du volcan.
Il retint alors la jeune fille par les hanches et l’approcha de lui. Le mouvement avait été délicat et léger. Elle obéit sans résistance et fut assise sur les genoux du mâle avant qu’ils s’en fussent aperçus l’un et l’autre.
Il redit :
— Vous ne deviniez pas que je vous chérissais, Isabelle ?
Elle hocha la tête.
— Je ne l’aurais pas cru si vous n’aviez lâché ce mot inconsciemment.
— Et vous, Isabelle, m’aimez-vous un peu ?
Elle se tut, mais sa poitrine battait, et elle ne lutta plus lorsqu’il promena doucement la main sur les détails délicats de son corps abandonné.