Une heure de désir/27

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« En même temps, Dieu changea le cœur du Roi et lui inspira de la douceur.
Il caressa Esther en lui disant :
— Approchez-vous donc, et touchez mon sceptre ! »

La Saint Bible, VULGATE, Livre d’Esther

— Veux-tu m’appartenir, Isabelle ?
Elle était de son long, un peu de côté, la hanche droite renflée, comme les peintres placent leurs modèles pour peindre ce qu’ile nomment des « nus de dos », et qui pourraient s’appeler autrement…
Elle restait calme et son demi-sourire très atténué semblait un défi amusé à la passion croissante de Jacques. Mais elle connaissait aussi et savait qu’il allait suffire à Jacques de la toucher selon les règles de l’émotivité féminine pour que le désir revînt la baigner comme un torrent.
Il l’enlaça.
— Isabelle, nous serons un beau couple, et l’amour, oh ! l’amour !
Il posa ses lèvres sur le lobe de l’oreille. Appendues par de chaînettes de platine, deux perles roses lui donnèrent une sensation de froid dur qui rehaussa le goût neuf de ce petit morceau charnu qu’il eût le désir de gober comme un fruit.
Elle frissonna et disjoint ses jambes, Jacques étendit la main sur le ventre plat.
— Isabelle, je voudrais ne pas vous faire souffrir, et j’hésite.
Elle ferma les yeux, puis les rouvrit.
— Jacques, je sais que c’est une initiation pénible. Ne craignez rien.
— Si Isabelle. Je voudrais…
Il ne sut comment exprimer sa pensée.
Son âme était confuse et claire ensemble. C’est qu’il espérait la voir prendre joie à sa souffrance, pour peu que celle-ci fût assez délicate et offerte avec un rien d’art. Alors, il serait heureux.
Elle avait compris.
— À quoi bon, Jacques, imaginer ce dont vous ni moi ne savons rien. Qui sait comment mes nerfs réagiront ?
Il la coucha sous lui. Il se tenait avec précaution, craignant de faire mal avant la seconde exacte où il le faudrait, il apposa un baiser habile sur les lèvres chaudes qui s’écartèrent. Les muqueuses de la bouche ont un grand pouvoir érotique. Jacques sentit qu’un émoi violent tendait aussitôt le corps d’Isabelle et il passa sa main sous son dos, dans la courbure, puis chuchota :
— Ma chérie, ma chérie, mon adorée !
Elle ferma les yeux, puis les rouvrit et articula faiblement :
— Jacques !
Il demanda :
— Étiez-vous venue pour vous donner ?
Elle sourit :
— Une femme vient toujours pour se donner, mais cela ne signifie pas qu’elle consente toujours à être prise.
Il lui déplaça lentement les jambes, et enfin chercha à l’émouvoir, d’un baiser acharné, presque féroce. Sa main cependant commandait à la volupté des seins.
Elle gémit :
— Jacques, je t’aime.
C’était son premier tutoiement. Il le sentit comme une tige qui frôlerait sa moelle et crut se pâmer.
Cependant, il œuvrait, avec des précautions délicates, à réaliser l’union, pendant qu’elle prenait avidement la joie de son baiser.
Et ce fut.
Elle poussa un cri d’abord rauque, puis très doux. Elle avait brusquement tourné la tête et mordait la bordure d’un coussin. Ses yeux se refermèrent, puis s’ouvrirent très grands, et elle râla à petits coup :
— Ah !
Jacques sentit qu’elle touchait au sommet de sa souffrance. Souffrance locale, supportable, sans doute, mais qui durait et s’aggravait par la superposition rapide des transmissions douloureuses. Cela créait une sorte de cuisson multipliée, doublée par l’idée d’une élongation nerveuse. Puis, ce fut la perception d’une scie dont les dents eussent mordu la chair intime, cette chair tellement irriguée de sang et surchargée d’innervations que le contact le plus doux y était à cette seconde térébrant et lancinant. Elle supportait pourtant, la sans fléchir, la violence de son amant. Lui souffrait à son tour de deviner la sensation horrible dont il était la cause et l’origine. Il vint au but sans s’en apercevoir et il eut juste la maîtrise nécessaire pour dérober son pénible plaisir.
Elle fit, sans ouvrir les yeux.
— Oui ! attention.
Il l’enlaçait à nouveau, joyeux de la preuve d’amour qu’elle venait de lui donner. Il désirait surtout faire mentir le proverbe qui tient la fin de l’acte pour une sorte de consomption attristée. Elle se laissait dorloter, avec un petit sourire à peine perceptible. Il vit alors deux larmes qui sortaient d’entre les paupières et le cueillit joyeusement.
— Jacques !
— Ma chérie ?
— Je devine que nous serons heureux.
— N’en doute pas, Isabelle.
— Donne-moi une rose. Je veux sentir ce parfum. Il est amoureux.
Le vase bleu aux roses était à un pas. Jacques se pencha, en prit une et cassa de l’ongle la tige résistante. Une épine le piqua. Il fit la grimace.
Elle prit la belle fleur pourprée et la plaça sous ses narines battantes. Elle était si belle, en son attention ardente, que le désir revint au jeune homme.
Il toucha le siège de la douleur et la jeune fille ne tressaillit point au contact. Il se pencha alors à l’oreille, et les lèvres sur la perle rose, chuchota :
— Encore, veux-tu ?
Elle fit oui, de la tête.
Il hésitait pourtant. Enfin, il se décida.
Un brouillard voluptueux flottait autour de lui. On aurait dit que sa vie et celle de sa maîtresse fussent en cet instant hors des limites du temps.
Et soudain, un flux de bonheur emplit son cerveau, flua avec le sang dans ses membres, le fit contracter comme un seul muscle.
Isabelle vibrait à son tour.
Elle échappa à son baiser et renversa sa tête en arrière. Sa gorge gonflée laissait sourdre une sorte de ronronnement entrecoupé. Autour d’eux, le monde allait et venait à ses mille labeurs, à ses crimes et à ses misères. Le ciel crépusculaire couvrait l’humanité en action de son linceul mélancolique. La vie secouait des millions de misérables, emplissait d’amertume l’âme des penseurs et dilatait la bedaine des gens heureux. Ainsi en fut-il depuis que le globe fourmille d’existences. C’est une histoire sans fin, un déroulement qui brasse éternellement la pâte humaine, pour la peine, la joie et l’amour.
Symboles même du renouvellement perpétuel des choses, les deux amants sentirent ensemble la violente et délicate fulguration du plaisir.
Écartelée, Isabelle haletait de joie.
La main crispée qui pendait vers le sol laissa échapper la fleur pourpre.
— Ah ! fit-elle avec un sourire ironique et plein des voluptés prochaines, ah ! Jacques, j’ai perdu ma rose…