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Une horrible aventure/Partie I/Chapitre XI

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Journal L’Événement (p. 49-51).

XI


Quand Georges Labrosse prenait une résolution — ce qui lui arrivait très-rarement — il s’y cramponnait avec l’énergie du désespoir, et s’y acculait, de telle sorte, qu’il se mettait lui-même dans l’impossibilité d’en choisir une autre. Comme toutes les natures molles et peu trempées, il lui en coûtait trop d’adopter une fois un parti, pour recommencer le fatigant travail d’esprit nécessité par une première détermination.

Lors donc que notre héros avait manifesté à haute voix son intention d’avoir une aventure, c’est que tout un plan s’était développé dans sa tête et s’y était installé comme chez lui, bien résolu de n’en point sortir.

Des décisions qui s’emparent de votre cervelle avec un pareil sans-gêne ne se discutent pas ; elle se subissent.

C’est ce qui arriva pour Georges.

Il se résigna à son idée et poussa même l’abnégation jusqu’à se montrer de bon compte avec elle. Il la choya, la dorlota, lui tressa des guirlandes de folles rêveries et de vaporeuses illusions… tant et si bien qu’il en devint éperdûment amoureux et n’en aurait pas démordu pour le sérail d’Abdul-Medjid.

Mais les aventures sont rares dans la bonne ville de Québec, et la grande majorité de la population préfère gagner paisiblement son pain quotidien, que de jouer au Rocambole ou au d’Artagnan.

Notre ami ne se dissimula pas cette vérité choquante. Aussi, ne voulant pas revenir bredouille d’une excursion dans l’antique Stadaconé et prenant, gaiement, son parti de cette déception anticipée, il se dit à part lui :

— Ah ! bah ! c’est à Paris que j’irai — à Paris, la cité aux mystérieux agissements, la ville merveilleuse où se sont accomplis les merveilleux événements que je viens de lire.

Et, fort de sa détermination, Georges Labrosse attendit avec un calme olympien l’expiration du délai fixé par son oncle et tuteur.

Cette heure néfaste arriva, avec la ponctualité inexorable du temps, qui marche toujours droit devant lui, sans se soucier de ce qu’il remarque ; et le 15 août, vers huit heures du soir, Georges entendit le poing osseux de Marguerite heurter la porte de son sélamlik.

— J’y vais ! j’y vais ! répondit-il brusquement, sans même donner à la vieille fille, qui faisait son entrée, le temps d’ouvrir la bouche.

La gouvernante avala sa phrase, ébranla un saint et sortit.

Le moment était solennel.

Dans quelques minutes, le sort de notre ami serait fixé, et les annales de la vie mystérieuse allaient pouvoir compter sur une aventure de plus ou être privées de cette aubaine…

Notre héros le comprit. Aussi voulant réveiller son énergie qui sommeillait dans les profondeurs de son caractère, il se gratifia d’un énorme coup-de-poing et s’admonesta dans les termes suivants :

— Ah ! ça, maître Georges Labrosse, il faut que tu sois à la hauteur de la situation. Le moment est venu de te révéler ; et puisque tu dois aller affronter les émotions romanesques dans la grande métropole du drame, eh bien ! commence, ce soir, par rouler magistralement ton bonhomme d’oncle.

Il ponctua la fin de ce monologue par un deuxième horion et se dirigea audacieusement vers le cabinet où, quinze jours auparavant, s’était fait entendre le malencontreux borborygme que vous savez…