Une intrigante sous le règne de Frontenac/Texte du testament de Frontenac

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TESTAMENT DE FRONTENAC[1]



Pardevant les not gardenotes du Roy, en sa ville et Prévoté de Québec, soussigné fut présent haut et puissant Seigr Messire Louis de Buade, comte de Palluau et de Frontenac, Consler du Roy en ses Consls, Chevalier de l’ordre de St-Louis, Gouvneur, Lieutenant Général pour Sa Majesté en tout ce pays de la France septentrionale, Syndic Apostolique, Père et protecteur spirituel de l’ordre des très Rds. P. Recollets en cedit pays, gisant grièvement malade en son fauteuil dans sa chambre au Château de cette ville, mais cependant sain d’esprit, mémoire et entendement ainsy qu’est apparu aux dits notaires ; lequel Seigneur a dit que le grief mal quy le travaille ne luy permetant pas de songer à l’état de ses affaires et biens temporels, pour en disposer présentement comme il voudrait le pouvoir faire ; qu’au moins, ayant toujours eû singulière intention et dévotion d’être inhumé et enterré en l’Église des dts Pères Récollets de cette ville, il veut en ce chef faire, par ces présentes, son testament et ordonnance de dernière volonté, pour éviter les obstacles et contradictions quy pourroient y être apportés, sans cela, s’yl arrive qu’yl plaise à Dieu le retirer de cette vye mortelle par cette maladye, sans avoir le temps de faire plus ample Testament. Pourquoy déclare le dit Seigneur qu’yl ordonne, veut et entend, en ce cas même prye et requiert que son corps soit, après son décès, porté, inhumé et enterré dans la dite Église des Rvds. Pères Recollets de cette ville en la manière et avec les simples cérémonyes que les d. Pères jugeront à propos luy être convenables en a dite qualité de Syndic apostolique, Père et protecteur spirituel de leur ordre en ce dit pays. Souhaitant et désirant que sa dévotion et piété soit satisfaits à cet égard, sans empéchement ny obstacle de quelque part que ce soit, telle étant sa dernière volonté.

Et comme Madame Anne de la Grange, son épouse, peut souhaiter comme luy que le cœur de luy Seigneur testateur soit transporté en la chapelle de Mesrs. de Montmort, dans l’Église St. Nicolas des Champs, en laquelle sont inhumés Made de Montmort, sa sœur, et Monsieur l’abbé d’Obazine, son oncle, il veut qu’à cet effet son cœur soit séparé de son corps et mis en garde dans une boëte de plomb ou d’argent. Et au surplus donne en aumône en faveur des dits Rvds. Pères Recollets de ce pays entre les mains du Sr. Boutteville, le syndic ordinaire et receveur des aumônes, la somme de quinze cents livres, monnaye de France, pour être employée à l’achèvement de la bâtisse ou autres nécessités de leur couvent de cette ville, à prendre sur les biens et effets qui se trouveront appartenans à luy Seigneur testateur en ce d. pays, au jour de son décès ; Et ce à la charge de dire et célébrer par les d. Rvds. P. Recollets en la dite Église de cette ville tous les jours une messe basse pendant l’an du décès du d. Seigr. testateur pour le repos de son âme ; En outre un service annuel tous les ans à perpétuité à pareil jour de son décès, lequel service annuel il desire et veut être appliqué conjointement pour la dite Dame Son Épouse lorsqu’elle sera décédée. Et pour faire exécuter et accomplir son d. présent testament a nommé et éleu Monsieur François Hazeur, marchand-bourg. de cette ville conjointement avec le sieur Charles de Monseignat, son premier secrétaire ; comme aussi pour prendre soin de l’état du reste de ses affaires et biens quy peuvent être aprésent ou luy venir cy après en ce dit pays par les vaisseaux de l’an prochain.

Pourquoy luy Seigneur testateur prye Monsieur de Champigny, intendant, de les appuyer de sa protection et autorité pour l’accomplissement de ce que dessus, le priant aussy de regler ce qu’yl jugera apropos à l’égard de tous ses domestiques pour qu’yls soient satisfaits.

Donnant et léguant iceluy Seigr. testateur à Duchouquet, son valett de chambre, toute la garderobe consistant en ses habits, linge et autres hardes d’ycelle avec la petite vaisselle d’argent dépendant de la d. garderobe ; et ce en considération des services que le d. Duchouquet luy a rendus jusqu’à présent.

Et pour marque de confiance qu’a luy Seigneur testateur et protestations d’amitié que le dit Seigr. Intendt. luy a esté, Il le prye d’accepter un crucifix de bois de Calambourg que Made. de Montmort sa sœur luy a laissé en mourant et il l’a touj. gardé depuis comme une véritable relique, et prye aussi Madame l’Intendante de vouloir recevoir le Reliquaire qu’il avait accoutumé de porter et qui dit remply des plus rares et précieuses reliques qui se peuvent rencontrer.

Et ledit présent testament accomply, ses domestiques et dettes contractées en ce pays étant payés, auront soin les d. exécuteurs de remetre ez mains de Madame la Comtesse Épouse de luy Seigneur Testateur ce qui se trouvera du reste de ses dits biens en ce pays.

Ce fut ainsy fait, dicté et nonmé de mot à mot par le dit Seigneur Testateur et à luy leu et relu par Genaple un des d. notaires, l’autre présent, que le dit Seigneur a dit avoir bien entendu et être sa vraye intention et ordonce de dernière volonté à laquelle il s’arrête seule déclarant qu’y revoque tous autres testaments qu’yl pourroit avoir cy devant faits, se tenant uniquement au présent.

Fait et passé en la dite Chambre du dit Seigr. testateur après midy sur les quatres heures, le vingt deuxième jour de novembre mil six cents quatre vingts dix huit. Et a le dit Seigneur Testateur avec nous notres signé.



Rageot

Genaple

Fin
  1. Cf. Greffe de Frs. Genaple de Belfond, Archives Judiciaires de Québec.