Une nouvelle figure du monde. Les Théories d’Einstein/Appendice 2

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APPENDICE II

TEMPS RELATIF ET TEMPS UNIVERSEL
PAR ED. GUILLAUME

Dans son bel exposé des grandes découvertes d’Einstein, M. Lucien Fabre a parlé des recherches que nous avons entreprises en vue d’exprimer les résultats obtenus selon les méthodes de la physique classique. M. Fabre nous offrant aimablement l’hospitalité, nous nous faisons un plaisir de mettre brièvement, sous les yeux du lecteur, la différence entre le point de vue d’Einstein et le nôtre.

Examinons d’abord la question du « temps relatif ». Dans la vie courante, on entend souvent dire, par exemple, qu’en six mois un individu a vieilli de dix ans. En d’autres termes, pour cet individu, six mois = dix ans. Façon de parler, remarquera-t-on. C’est vrai. Mais pourquoi n’en ferait-on pas usage, au cas où elle correspondrait à un fait réel ? Bien mieux, pourquoi n’essaierait-on pas de la mettre en formule et de l’appliquer aux phénomènes physiques ? M. Langevin nous en donne un exemple ingénieux. Considérons deux échantillons de radium parfaitement identiques. Comme on sait, ils perdront tous deux leur activité de la même manière au cours du temps et garderont constamment des activités égales s’ils restent dans le même laboratoire. Ils constituent donc des horloges d’une régularité absolue. Mais envoyons promener l’un de ces échantillons avec une énorme vitesse et ramenons-le ensuite au laboratoire (cf. p. 124). Nous pouvons affirmer, dit M. Langevin, qu’ayant voyagé et ayant de ce fait subi des accélérations, il aura moins évolué que l’autre échantillon et par conséquent qu’il se trouvera plus actif que celui-ci ; il aura moins vieilli, s’étant agité davantage. Il n’y a à cela rien d’impossible, rien d’absurde, c’est vrai ; mais à une condition. C’est de donner un sens absolu aux accélérations, d’admettre que l’échantillon qui reste au laboratoire est au repos absolu, tandis que l’autre bouge « vraiment ». Aussi bien, M. Langevin suppose-t-il l’existence de l’éther.

Que pouvons-nous dire maintenant, si nous faisons appel à la notion de « temps universel » ? Nous remarquerons simplement que les échantillons se quittant nécessairement au même instant et se retrouvant au même instant, il faut nécessairement qu’il s’écoule la même durée pour l’un et pour l’autre entre l’instant où ils se quittent et celui où ils se retrouvent. En d’autres termes, nous pouvons introduire une durée unique embrassant, pour ainsi dire, les deux phénomènes à la fois. Si maintenant l’expérience révélait que l’échantillon agité présente une activité plus grande, nous en conclurions simplement que celle-ci est une fonction de l’accélération.

Cela dit, abordons le problème du point de vue mathématique. Lorsqu’on examine la transformation de Lorentz, base de la théorie restreinte, on constate que le temps y est représenté analytiquement, par deux lettres t et t’, la première donnant le temps propre du système S et l’autre, le temps propre du système S’ (voir p. 173, 4o). Comme on peut avoir en présence autant de systèmes que l’on veut, on voit, en fin de compte, que le temps est représenté par une infinité de lettres : t, t′, t″… Or, dans la mécanique et la physique classiques, le temps étant universel, il est toujours symbolisé par une lettre unique. On voit donc, que du point de vue mathématique, si l’on veut revenir au mode classique, il faudra commencer par chasser toutes les lettres t, t′, t… et les remplacer par une lettre unique pour désigner le temps. C’est là un problème que les mathématiciens appellent un changement de variables. Lorsqu’on l’effectue, un résultat réjouissant nous attend : on voit la fameuse « contraction » de Lorentz (p. 176) disparaître comme par enchantement. On arrive donc à cette conclusion, que la « contraction » n’est pas une réalité, mais la conséquence de la façon dont on représente le temps dans la théorie. En définitive, deux systèmes S et S′ se meuvent comme des touts rigides ordinaires indéformés (voir les formules, p. 141). Par quoi s’en distinguent-ils ? Pour le voir, il faut considérer trois systèmes S, S′, S″, c’est-à-dire former la règle d’addition des vitesses. Le calcul, très simple, montre qu’on tombe immédiatement sur la célèbre règle d’addition des vitesses d’Einstein (p. 177), avec cette différence qu’on peut tracer une figure à un instant unique et pour les trois systèmes à la fois, comme on le fait en mécanique. On constate alors que chaque système n’apparaît pas là où il est réellement : le mouvement produit une sorte d’aberration qui le décale dans une position apparente.

Mais, ce n’est pas tout. Reprenons le signal lumineux considéré à la page 145. Supposons qu’il produise, pour l’observateur situé sur S, une onde sphérique réelle. Comment cette même onde apparaît-elle à l’observateur entraîné avec S’ ? Il est extrêmement curieux qu’Einstein représente cette forme apparente par l’équation d’une sphère rapportée à S’. Voyons comment cela est possible. L’onde sphérique a pour rayon ct ; il croît proportionnellement au temps, et, pour chaque valeur de t, nous obtenons tous les points de l’onde qui forment la sphère. Si, maintenant, relativement à S’, nous représentons cette onde par l’équation d’une sphère de rayon ct’, comme il n’existe jamais de valeur de t’ égale à t et compatible avec la transformation de Lorentz, nous obtenons une surface apparente dont les points n’existeraient pas simultanément. Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? L’introduction du temps universel va permettre de résoudre l’énigme avec élégance. Le calcul montre, en effet, que cette surface apparente n’est pas autre chose qu’un ellipsoïde dont un foyer est à l’origine de S’, et coïncide ainsi avec le point de départ du signal lumineux. Mais alors, la vitesse apparente de la lumière n’a plus la valeur invariable c qu’elle possède pour l’observateur situé sur S. Vue de S’, cette vitesse varie selon l’azimut et, pour une direction donnée, elle est proportionnelle au rayon vecteur que l’on peut mener du foyer à l’ellipsoïde dans la direction envisagée. C’est donc en réalité cet ellipsoïde qu’Einstein représente par l’équation d’une sphère de rayon variable ct’, et les temps t’ ne sont pas autre chose que ceux qu’emploierait la lumière pour parcourir les rayons vecteurs avec la vitesse invariable c. On peut donc dire que l’ellipsoïde est une sphère dont les points ne sont pas simultanés.

Est-il possible de trancher expérimentalement la question entre le temps universel et le temps relatif ? La réponse est affirmative. Si l’on admet le temps universel, le déplacement des lignes du spectre par les champs de gravitation est impossible (cf. pp. 120 et 208). La raison en est simple. Dans ce cas, en effet, les accroissements ds, dx, dy, dz, dt, dt’ s’effectuent simultanément ; ils ont donc lieu dans le même intervalle de temps. De sorte que l’on ne peut plus assimiler dt et dt’ à des périodes ; ce sont des mesures différentes de la même durée tout comme les nombres 60 et 3 600 sont des mesures différentes de l’heure.

Parmi les nombreux expérimentateurs qui scrutent le spectre solaire pour y chercher le déplacement d’Einstein, nous signalerons le Pr Julius d’Utrecht, qui, faisant porter son étude sur 446 raies, a déclaré catégoriquement que l’observation ne confirmait pas la prévision d’Einstein.

C’est donc le temps universel qui s’imposerait.

Une remarque importante pour terminer. Dans la théorie de la relativité, le temps universel ne se laisse pas représenter par une quatrième dimension qui s’ajouterait à l’espace. Comme l’a montré M. Willigens, dans son important mémoire, le temps universel se représente, géométriquement, comme un rapport d’homothétie. Une fois de plus, ne confondons pas une simple figuration géométrique avec la réalité qu’elle représente.