Une nouvelle figure du monde - Préface

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Une nouvelle figure du monde
Préface d’Albert Einstein
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L’ouvrage de M. Fabre est des plus intéressants et fort bien écrit. Ses explications sur l’œuvre de Newton, de Faraday et de Maxwel sont admirablement réussies. L’auteur est un vrai enthousiaste rempli d’un sentiment vibrant pour la beauté scientifique.

L’éloge dont il veut bien honorer mes théories est terriblement exagéré. La théorie de la relativité ne peut ni veut donner aucun système du monde, mais seulement une condition restrictive à laquelle les lois de la nature doivent se soumettre, comme par exemple les deux principaux axiomes de la thermodynamique. Celui-là même qui ne reconnaîtrait pas la théorie de la relativité se voit cependant obligé d’admettre une interprétation physique claire des coordonnées de l’espace et du temps. C’est justement à ce point de vue que pèchent les écrits de certains des savants cités par l’auteur.

L’ouvrage de l’un d’entre eux défend une thèse sans espoir qui, traduite en termes géométriques dirait ceci : « Parmi toutes les directions X possibles dans l’espace, il n’existe qu’une seule direction de coordonnée X absolue » (il s’agit en l’espèce d’un temps absolu devant être préposé aux transformations Lorentz), entreprise sans espoir appuyée sur quelques ambiguïtés involontaires mathématiques.

Un autre de ces savants ne remarque pas — abstraction faite de ce qu’il oublie d’interpréter physiquement l’espace et le temps — que la vitesse de la lumière conformément à l’expérience joue un rôle spécial. Les deux erreurs étroitement liées se cachent sous une enveloppe épaisse de formules mathématiques. Aucun homme raisonnable n’admettra cependant que le son se propage, relativement à l’air en repos, selon les mêmes lois que relativement à l’air en mouvement. L’expérience nous a appris, par contre, que, seule, la vitesse de la lumière est indépendante de l’état de mouvement du système de coordonnées.

On ne peut pas dire non plus que la théorie générale de la relativité ait abandonné, par rapport à la vitesse de la lumière, le principe de la continuité. La vitesse de la lumière, mesurée avec perche et horloge unitaires, dans l’entourage infinitésimal d’un point est toujours, dans la théorie de la relativité aussi, invariablement la même.

Albert EINSTEIN.


Je crois devoir joindre à cette préface quelques extraits d’une lettre de M. Einstein qui me paraissent éclairer la physionomie du savant allemand.

L. F.


Cher Monsieur, 5-VII-20

J’ai reçu, par notre ami Oppenheim, au retour d’un long voyage, votre amicale lettre du 19 juin. J’ai étudié votre intéressant travail et j’y ai pris beaucoup de plaisir (en particulier dans l’exposé du développement historique de la théorie)...........................................................

Parmi les savants français, Langevin a parfaitement pénétré la théorie de la relativité. C’est un esprit merveilleusement clair et un homme sympathique.......................................................

Je joins à ma lettre le curriculum vitae que vous souhaitez. — Je suis Allemand (israélite) de naissance, mais j’ai vécu en Suisse de l’âge de 15 à celui de 35 ans, sauf de courtes interruptions. J’ai conquis mes grades à Zurich; Je suis pacifiste, partisan d’une entente internationale et resté toujours fidèle dans ma ligne de conduite à cet idéal.

Agréez, .....................................................

A. EINSTEIN.


Voici les renseignements biographiques fournis par M. Einstein :

Albert Einstein est né à Ulm le i4 mars 1879. Il était âgé de six semaines lorsque ses parents émigrèrent vers Munich où il passa son enfonce et fréquenta les écoles jusqu’à sa quatorzième année. A quinze ans il se rendit en Suisse, resta un an au collège de Aarau et y obtint son abiturium. Il étudia ensuite les mathématiques et la physique à Zurich. En 1902, Einstein fut attaché au bureau des brevets à Berne et prépara simultanément son examen du doctorat auquel il fut admis en 1905. Il fut appelé comme professeur à l’Université de Zurich en 1909, à celle de Prague en 1911 et retourna à Zurich en 1912 comme professeur au Polytechnikum, qu’il quitta en 1914 pour aller occuper un siège à l’académie royale de Prusse à Berlin. Il est également directeur de l’Institut Kaiser-Wilhelm pour la physique.