Une nouvelle formule d’Éducation physique

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Une nouvelle formule

d’Éducation physique

Conférence faite à la Salle de la Société de Géographie
le jeudi 20 mars 1902
par le baron Pierre de Coubertin



Mesdames, Messieurs,

Je rêvais l’autre soir que j’appartenais à la rédaction du Vélo et qu’en cette qualité je me livrais à une série d’interviews sur l’Éducation Physique auprès de personnages qualifiés… Ces personnages étaient très bien choisis, comme vous allez en juger si vous me permettez de vous conter mon rêve.

Le premier fut un provincial de marque que Paris se réjouit de posséder aujourd’hui. J’ai nommé M. le professeur Bergeret, dont la brillante carrière, commencée sous l’orme du mail et agitée par un drame domestique qui s’est déroulé autour d’un mannequin d’osier, a enfin reçu le couronnement qu’elle méritait. M. Bergeret est maintenant très à son aise, ce qui ne saurait vous surprendre puisque M. Anatole France est son banquier. En pénétrant dans son cabinet, je fus surpris d’y voir toute une série de reproductions des maîtres célèbres, l’Hermès de Praxitèle, le Gladiateur mourant, l’Apollon du Belvédère, le Discobole, etc… Un peu plus loin, côté des modernes, le portrait de Sandow et la réclame de l’école de culture physique de M. Desbonnet. Mes yeux se reportèrent de ces silhouettes augustes à celle de M Bergeret, et je constatai qu’il avait, non pas précisément embelli, mais pris bonne mine. Un léger étonnement ayant passé dans mes yeux, M. Bergeret sourit avec aménité, et m’invitant à m’asseoir, s’exprima en ces termes :

c1 Yous "O)ez devant YOus. )Jon~icur. un adepte 11 de la Beauté. Les spcctaclrs contcrnporains sont u d’une entière laideur : nous pos,édons clc~ esthètes cc qui font tout simplement des chuses un peu plus cc ilaincs que n·en font leurs Oisins ; nos rnouve- " mcnts sont difformes et nos grsles cornrnuns. J’ai " beaucoup réfléchi à cescho,es parce q uej rn ressen- " tais quf’lque affliction. J’ai consulll- Platon, Cont’ucius, Le 1) .nte, Lavoisier, l. Gladslon<’ cl 1cmpec 1 n•ur Guillaume ; aucun d’eux na su 111e donner ile u solution satiofaisante. J’ai enfin drco1nerl M. 8ao- " dO qui m’a paru un sage. Sur son conseil. j"ai cc acheté des statues qui remplissent nies rl’g<1rds 11 d’allégresse et j’ai entrrpris dP leur rr~~Pn1bler. u u le,rr du soleil. à midi cl à la <’hu te clu jour. 1c j’accomplis les rites de cc culte ii l.1 fob antique u cl jeune. Je prends le costume el Ir< attitudes cles 1c héros ; j’imite leurs e’<pre-sions : je 111’incarne leurs cc il.mes cl travaille à égaler leurs mu-clc• . h : )fonu sieur, la Beauté 1 continua ~1. llr.rgr.r1’l aec. une cc pointed·e,altation que je ne lui connai,sais pa :-.. la cc lll’aulé 1 c·est la seule csp1~rance tic notre civilisa- •< lion. ous produirons de trb ho1111nrs ou hi"n cc nous achèverons notre cou r,11 1en, ln dt’·crépi- " tudc Et quand on pense qu’il s11t"fir11itdc quelques " l’X<’r<’ices bien simplP.s. prntiq111 !s cha11uejonr. ll"’C 11 une pcr-évérance douce pour r<’cl1cs,er l’éoinc u dorsale de la société ! ..... >> Celle in1age un peu audacieu’e parut accabler . Bergerel : il tornba tians une reverie mélancolique que je n’osai troubler ; je me retirai sur la pointe cle’ pic1ls l n quart c1·hcure plu~ tal’fl. je sonnais à la porte du gén,-·r11l lloun1. A peine le seuil frnnrhi, 1’ tonnerre éclata. " Sacrebleu 1 s’écria le géni-rn 1 en ac- " courant du fond de l’apparlem<’nl, qu’ehl-ce que u c’est encore que ce particulier - !~ ? l n journaliste. c1 pour chnnger. Et il vient pour 111’inlt•rvic11er sur 11 l’rtlncation physique, je parie 1 Toujours les mê- " mes ! Eh bien ! avancez à l’ordre. ’ou~ asse,ez " pas. c’est pas la peine, je n·ai qu·un instant. L’éri ducntion physique~... Yoilà ce que j’en pense. cc Faut faire des soldats et rien que clcs soldats : ça 11 veut dire tles gens qui n1archent et Qui tirent u qui marchent toute la journée cl encore la nuit cc sans manger. sans boire. sans rien et puis qui <1 ont l’n•il an food de leurs fusils : pan-pan . traver- " sent leur homme à de,, distanc·e~ énormes. ~an• 11 jan1ais rater. même si l’arme ne vaut rien. ’oilà ! cc tout le reste, c·est de la blague : Je OUs salue c bien. »(Rires et applaudtsscnien/s. l El la porte se referma, tandis que je me dirigeais, un peu ahuri, vers la deme11re dn docteur Ox, le célèbre physiologiste qui s’est livré sur la rnce na mande à la curieu~e C :périeoce que Jules ’erne vc ;>us a.contée. Le docl<’ !-lr me reçoi_t ~Yec une dignité b1enve1llante : " ’1ons1eur, me d1t-1l, lor,que j’eus " e :posé le but de ma isile, ’-Otrejournal a raigon <• de s’intére~ser à la question de l’éducation phy- <1 sique q :ii eht une qu.~stion primordial~. Au yeu’ « de la $rrence -·cl l rncle du docteur 1ndiqu11 pur cc un crochet discret, que la science et lui-mèrnc, " cela ne faisait qu’un aux yenx cle la science, « cette question lient tout entière dans un rnot : h cc santé. C’est le but 11nique, tout le reste n’existe cc point. Or charun de nos mu~clei ; e~t orgn- 1 oisé en ’ue de œrtnins mou,ements : faites lui u accomplir œ mouemenls et il prospère ; fnitrs li lui accomplir des 111011,·ernents inH•rses ou diOrents, il se détilriore : tenez-le au repos, il s’ntroct phie. L’i-ducation physique a donc pour n1issi<>n << d’indiquer le mouvcrnent précis que doit c"<éculer li chaque muhcle. <’t les conditions de durée ou au- " tres clans lr~qut>llcs ce mouvement doit ~trc C’é u cu té, élant donné : le tempérament du ~njet. ~on <1 :lge. ses antrcéclcnts. son hérédité. l’heure, la saicc son. la latitud1· cl beauroup d’autres choses en- " core. ous con1prenez dè,, lors que ce que 1ou~ " appelez la Il :) n1nnstiqne ne vaut absolument rien. c et ce que vou’ ;ippcl<’z les sports. pas dn,antnge, c pui•que ce’ exercice :<, à côté de mouvement qui pPuvent ~Ire bons par ha<ard, en comportent d’autres qni ~ont n~ce•sairernent détestables. C< mn1c vous O)< 1, c’est très ,impie. > Si simplr. rn rllet. qu’il ne restait rien à ajouter ; je pris qurlqut>' notes, remerciai le docteur O~ et m’rn ollai n’-digcr rnes inter,ie"s. (Hire.> cl applfl 11rl1ss<’111<’11/s.)

oilà n1on rc !1 e et Yoilà. lesdames el lessirurs. 

rappelées :’1 vos souvenirs. les trois for111ulcs correspondant au’ trois écoles qui. depuis longternps. se disput~nt le do1naine cle !"Education l’h) sique : car elles sont. en général. exclus’ves et intolérantes, comme 11 con,ient i1 cle :; écoles vraiment dignes de cc nom. L’une. l’Ecole artistique. préconise la poursuite de la beauté par l’altitude el le mouvrn1ent. Dans l’hornme. la seconde - la militaire - ne Clll voir cplf' le >oldal, l" drfcnseur é’Pntuel de la patrie et du f<ler La troisièrne, la scientifique, rrpose sur cette idi·è q uc l’nnatnn1ie cl la physiologie nous clocum "ntent cle façon certaine el e’<clusive 11u sujet des exer(·icrs que nous cleons pratiquer.

Je ne viens point du tout faire ici un proc(s en règle à ces fonnulcs. Je clir~i n1ème que je les ~( !n~cts toutes trois ; ch :(’11nc contu•nt sa part de Vl’rll(’ et mérite droit de citt. .Je leur reproche seulen1r11t cl ètre incomplètes. <’t surtout de ne pas correspondre suftisamn 1ent au’ besoin~ du l<’mps présent. , .o,ez-vou• i1 notre époque affairée. ivre de ,·itcsse et de· ré,ullats pratiques, voyez-vo.us la foule assc1. éprise de beaute pla,t1que pou~ se hvrer - avec cell~ persévérance douce dont parlait )1. Bergeret e~ qu1 est. en effet, un (·Il-ment indispensable de réu,s1le à des c-. ;erciccs « embeJli,sants »el rien qu’à ceu·là : car ils ne le font pas tous. ~i l’équil~tion. ni l’~s­ crime. pour ne l’ilcr que deux spor~s bien l• rançars, deu-. ; sports qui distribuent magn1fiquem~nt de la vaillance à travers tout le corps, ne produiront ces Page:Revue Touring-club de France avril 1902.djvu/4 Page:Revue Touring-club de France avril 1902.djvu/5 Page:Revue Touring-club de France avril 1902.djvu/6 Page:Revue Touring-club de France avril 1902.djvu/7