Une page de pédagogie : Rollin et les premières études des enfants

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Revue pédagogique, premier semestre 18793 (p. 354-368).

UNE PAGE DE PÉDAGOGIE
ROLLIN ET LES PREMIÈRES ÉTUDES DES ENFANTS


Rollin est un des maîtres qui ont le plus aimé les enfants. Pour eux, il a travaillé et il a souffert ; il a donné sa vie et il a été méconnu par un grand nombre de ses contemporains : c’est un de ses titres de gloire.

Nous nous proposons d’exposer ici ce qu’il a tenté, afin de jeter des charmes sur les premières études de l’enfance, tout en développant en elle, dès l’âge le plus tendre, l’intelligence et le cœur. C’est une page de l’histoire de la pédagogie que nous voudrions écrire, un hommage que nous désirons rendre, dans la mesure de nos forces, à un maître vénéré.

Puissent les instituteurs et les institutrices trouver dans cette étude quelques idées utiles !

I
À quel âge doivent commencer les études ?

On se demandait, au xviiie siècle : à quel âge peut-on commencer à faire étudier les enfants ? Deux systèmes, qui avaient pour eux une haute antiquité, étaient en présence.

Point d’études avant sept ans, disait l’un. — Et les motifs ? — Dans les premières années, répondait-on, l’esprit manque d’ouverture pour saisir les leçons des maîtres et le corps d’énergie pour supporter un travail sérieux.

L’autre système, laissait jusqu’à trois ans les enfants entre les bras des nourrices, mais en leur faisant un devoir de réprimer les premières saillies des passions. Ainsi commençait la culture des mœurs. Pourquoi, ajoutait-on, négliger celle de l’esprit ?

Dans les écoles les plus célèbres, on discutait ces idées. Les dernières avaient cours parmi les stoïciens. Quintilien et saint Augustin les adoptèrent. Beaucoup d’autres éducateurs s’y sont ralliés. Rollin les adopta[1]. Aujourd’hui, les résultats obtenus dans nos salles d’asile ne les consacrent-elles pas ? Ne trouve-t-on pas dans ces établissements ouverts au premier âge la culture du cœur et celle de l’esprit, quelquefois à un degré qui excite l’étonnement ?

Il y a là une question de méthode qui n’échappait pas à Rollin.

II
Direction à suivre avec les enfants.

Rollin veut les enfants dès le premier âge. On croit l’entendre les appeler à lui et le voir les entourer de la sollicitude intelligente dont la Providence avait enrichi son cœur. « Il faut, dit-il, tâcher de ne pas perdre ces premières années[2]. » Et il s’arrête à les contempler avec une sorte d’amour, puis à nous montrer les trésors qu’elles portent. « La Providence a mis dans les enfants une grande curiosité pour tout ce qui est nouveau, une facilité merveilleuse à apprendre une infinité de choses dont ils entendent parler, un penchant naturel à imiter les grandes personnes et à se mouler sur leurs exemples et sur leurs discours. En différant la culture de ces jeunes esprits, on renonce à toutes ces heureuses préparations que la nature leur a données en naissant, et, comme la nature ne peut être oisive, on les oblige à tourner vers le mal ces premières dispositions destinées à faciliter le bien. »

Les enfants que Rollin semblait appeler à lui nous arrivent, à nous, tout jeunes, riches des dons précieux dont il regardait le développement comme un devoir et comme une des jouissances les plus douces. Ces enfants ne remplissent pas seulement nos salles d’asile, ils se pressent dans nos écoles, et ils y forment une des divisions les plus intéressantes.

Il s’agit d’établir pour eux des classes spéciales. Gardons la dénomination de classes enfantines, car elle nous rappellera sans cesse qu’il faut porter là le cœur et la délicatesse des mères.

Pour les diriger, tout un personnel est pour ainsi dire à créer. À des aptitudes naturelles, il devra joindre une forte éducation pédagogique en rapport nécessaire avec les exigences du premier âge. Les écoles normales auront surtout pour mission de préparer ce personnel. Nous donner des élèves-maîtres et des élèves-maîtresses qui sachent pour eux-mêmes ne suffit pas ; la science de la transmission des connaissances acquises, l’habitude d’arrêter un regard attentif sur les facultés naissantes de l’enfance, la perspicacité pour les saisir, l’art de les diriger, deviennent indispensables. D’où l’importance croissante des écoles annexes, et des examens pratiques appelés à couronner les études et à ouvrir aux jeunes maîtres la carrière de l’enseignement.

Quand Rollin demande les enfants dès le premier âge, voyez comment il entend les diriger.

Il veut qu’au début les exercices « soient un jeu et non une étude ; un amusement et non un travail sérieux[3] ». On racontera aux enfants des histoires agréables, mais courtes et détachées, une page d’histoire sainte par exemple, et l’on placera sous leurs regards, s’il est possible, des gravures qui animeront le récit[4].

Quand on lit ces lignes, ne se croit-on pas transporté dans une des classes enfantines de l’Amérique, de la Suisse, de la Belgique, etc., ou dans une de nos salles d’asile les meilleures ? Même méthode, même attrait dans l’enseignement. Rollin avait devancé nos procédés. Mais ce n’est pas tout.

En rendant les enfants attentifs, en les intéressant, il veut aussi provoquer leur réflexion. On leur posera, dit-il, des questions à leur portée, et les interrogations seront si bien conduites qu’ils y trouveront les éléments d’une réponse : grande satisfaction pour ces petites intelligences qui s’imagineront tirer de leurs propres fonds les idées produites. Qui ne reconnaît ici le procédé socratique et sa puissance ? Il faut la développer. Écoutez encore Rollin.

Des éloges donnés avec sobriété et sagesse exciteront l'émulation parmi les enfants ; leur curiosité sera constamment éveillée par les réponses toujours bienveillantes, exactes et vraies, faites aux mille questions que tout suggère à cet âge ; on paraîtra parfois aussi vouloir les empêcher d’étudier, et cet innocent artifice ne pourra que stimuler leur ardeur[5]. N’y a-t-il pas là plus d’une idée que Frœbel a ingénieusement appliquée ?

Après la part faite à l’intelligence vient celle du cœur.

Que l’on se garde bien, recommande Rollin, d’user avec le premier âge, pour le porter au travail, de la contrainte et de la violence, ou de recourir aux punitions ; ce serait exciter en lui des tristesses et un dégoût qui le suivraïent longtemps. Mieux vaut jeter des charmes sur le début de ses études, et, comme le recommandaient Horace[6] et Quintilien[7], ne pas hésiter à leur offrir des bonbons et des gâteaux. Saint Jérôme, une des âmes les plus dures pour elles-mêmes qu’’ait vues le monde, demande aussi « que l’on excite Pacatule, qui est une petite enfant, à étudier sa leçon, à la réciter d’une voix claire, en lui promettant des friandises, des fleurs, une poupée[8] ». Il n’y a rien pour se montrer expansives, presque faibles en faveur de l’enfance, comme les âmes qui ont toujours sur leur poitrine un poing qui la frappe et la crucifie… Rollin avait des conseils semblables à ceux de ces éducateurs. Et sa pratique donc ? Comme on sentait palpiter, sous sa direction, un cœur aussi ferme que tendre ! Qu’il était bien de la famille des Fénelon ! Et qui n’aimerait à contempler à travers les siècles ces grandes et gracieuses figures, souriant à l’enfance avec une sorte de gravité qui la captive, la séduit et l’enchaîne !

On sait avec quelle sollicitude les directrices de nos asiles suivent les conseils qui précèdent. Il faut qu’ils entrent, comme une source de chaleur et de vie, dans toutes les écoles ouvertes au premier âge. Qu’ils deviennent l’âme de notre direction, qu’ils l’inspirent et qu’ils la soutiennent, les enfants alors s’appliqueront à l’étude « non par nécessité, mais par inclination », dit saint Jérôme.

Viennent les exercices se rattachant aux diverses parties de nos programmes. Pour eux encore, nous trouvons dans Rollin un guide qu’il ne faut pas quitter.

III.
Les études. — Méthodes.

§ 1. — Étude de la langue française. Rollin croyait pouvoir dire : « Il y a peu de personnes qui sachent par principes la langue française… Souvent on en ignore jusqu’aux règles les plus communes : ce qui paraît quelquefois dans les lettres même des plus habiles gens[9]. » En est-il autrement maintenant ? Nous voudrions pouvoir le croire.

Rollin ajoutait : « Un défaut si ordinaire vient sans doute de l’éducation[10]. » Avons-nous une autre cause à signaler ? Si non, quels moyens prendre pour donner à notre système d’éducation une marche plus sûre et plus généralement progressive ?

Commençons, dit Rollin, « l’Instruction des enfants par les règles de la grammaire française. » Qu’ils apprennent d’abord à connaître les diverses parties du discours : nom, adjectif, verbe, etc., les conjugaisons et les règles les plus communes de la syntaxe.

Puis, qu’on les habitue de bonne heure à se rendre compte de tous les mots qu’ils rencontrent dans leurs textes. Rien de plus simple ; le faisons-nous toujours ? Oui, dans certaines écoles ; dans d’autres, rarement.

Attachons-nous donc tous aux bons principes. Que chaque leçon de lecture soit constamment accompagnée d’un exercice grammatical. Aujourd’hui, demain, après-demain, nous apprendrons à reconnaître les lettres qui entrent dans un ou plusieurs mots, les syllabes qu’elles forment, et nous aurons notre petite théorie des voyelles et des consonnes, etc. Elle se trouve bien aux premières pages des grammaires. Mais vous savez si les enfants aiment à faire des efforts de mémoire pour la retenir. Nous passerons ensuite aux diverses espèces de mots que nous leur ferons distinguer : nom, adjectif, verbe, etc. Nous prendrons ce verbe qu’ils conjugueront naturellement : Je dormais ce matin quand ma bonne mère m’a réveillé ; je dormirai cette nuit ; etc. Et ainsi de suite pour les autres verbes dont les enfants trouvent eux-mêmes les temps et les modes, lorsqu’on sait un peu les diriger.

Et maintenant voici dans leurs dictées des mots qui s’appellent des substantifs, des adjectifs, des pronoms, etc. Ils sauront bientôt, si nous nous y prêtons, distinguer être, l’objet, la qualité que ces mots désignent, ou dont ils tiennent la place,

Ils le feront aussi promptement qu’ils établissent une différence entre le petit chien blanc qui joue avec eux et le vilain chat noir qui croque les souris.

Viendra l’orthographe. La grammaire leur présentera toutes les règles possibles, sans oublier les exceptions, qui seront peut-être plus nombreuses. On ne négligera certainement pas d’apprendre les premières. Mais un maître intelligent dira chaque jour, à l’occasion de tous les mots d’une phrase, le pourquoi de leurs désinences orthographiques. Il prendra la formule grammaticale, qu’il fera entrer par l’oreille dans l’intelligence des enfants. La saisir ainsi dans une suite de lectures et de leçons orales, et la retenir leur sera moins pénible que l’apprendre, les yeux fixés sur un livre.

À l’étude du texte succèderont, deux ou trois fois chaque semaine, des dictées dans lesquelles il s’agira d’appliquer les règles étudiées. Ainsi, la formule grammaticale que l’enseignement oral aura jetée dans la mémoire y sera gravée par la réflexion et par une pratique fréquemment renouvelée.

Il y aura toujours, en outre, l’orthographe d’usage. Mais qui lira avec attention n’aura-t-il pas vu bientôt passer sous ses yeux tous les mots de la langue ? Et, pourvu qu’il le veuille, n’apprendra-t-il pas, en les regardant de près, comment ils s’écrivent ?

L’attention doit être appelée sur un autre point : la ponctuation et l’accentuation. « Rollin veut que de bonne heure on accoutume les enfants à bien distinguer les points, les virgules, les accents et les autres notes grammaticales qui rendent l’écriture correcte, et que l’on commence par leur en expliquer la nature et l’usage[11]. » Le fait-on toujours ? Est-il rare que l’on attende pour parler de ces questions que l’on soit arrivé à cette page de la grammaire où elles sont exposées ? Et, comme cette page n’est pas toujours étudiée, il en résulte que, dans les devoirs écrits, on trouve des dix, quinze lignes sans un signe de ponctuation. Que devait-on faire ? Prendre le livre de lecture et expliquer le pourquoi de tel accent ou de telle ponctuation.

Mais, ajoute Rollin, il ne faut pas se contenter « dans la lecture que l’on fait des livres français, d’examiner les règles du langage que l’on ne perdra pourtant jamais de vue ». On doit aussi avoir soin « de faire remarquer la propriété, la force, la justesse, la délicatesse des expressions et des tournures ». Il importe d’être encore plus attentif à « la solidité et à la vérité des pensées et des choses ». À tout le reste on préférera « ce qui est capable de former le cœur, ce qui peut inspirer des sentiments de générosité, de désintéressement, d’amour pour le bien public, d’aversion pour l’injustice et la mauvaise foi ; en un mot, tout ce qui fait l’honnête homme, et plus encore ce qui fait le vrai chrétien[12]. »

À ces considérations générales succède un Essai sur la manière dont on peut expliquer les auteurs français. Ce travail est trop long pour trouver place ici[13], mais nous en recommandons la lecture attentive ; c’est un modèle du genre. Après l’avoir étudié, on est porté à dire avec Rollin : « En faisant tous les jours dans la classe une lecture de cette sorte, il est aisé de comprendre jusqu’où irait le progrès au bout de plusieurs années ; quelles connaissances les jeunes gens acquerraient de leur langue, combien ils apprendraient de choses curieuses, soit pour l’histoire, soit pour les coutumes anciennes, quel fonds de morale s’amasserait imperceptiblement dans leur esprit ; de combien d’excellents principes pour la conduite de la vie ils se rempliraient eux-mêmes par les différents traits d’histoire qu’on leur ferait lire et qu’on leur citerait[14]. » Qui ne voudrait s’attacher à des procédés dont la mise en œuvre peut amener de semblables résultats ? Ces instructions, du reste, ne sont pas nouvelles pour la plupart des maîtres, et nos bonnes écoles les suivent avec succès.

§ 2. Enseignement géographique. — En ce qui le concerne, et sur plus d’un point, nous trouvons encore Rollin en parfaite unité de vue avec la Pédagogie moderne. Un de nos géographes les plus autorisés, M. Levasseur, disait récemment : « La vraie méthode géographique emploie deux procédés pédagogiques : Faire voir et faire comprendre. — Faire voir, c’est-à-dire lier étroitement l’enseignement de la géographie à l’usage de la carte… Faire comprendre, c’est-à-dire ne jamais s’adresser à la mémoire seule lorsqu’une description ou une explication peut éveiller l’intelligence et aider à fixer par une idée le nom dans la mémoire[15]. » Rollin n’a pas une autre conception. « La géographie, dit-il, est une science des yeux[16]. » Son enseignement est inséparable de l’inspection des cartes. Il faut surtout éviter aux enfants l’ennui que leur causerait « une longue file de noms propres. » — « Il est plus utile de les conduire et de les faire voyager sur une carte, sans y remarquer autre chose que quelque particularité amusante qui, étant liée avec la figure du pays, aide la mémoire à en conserver le nom et la situation[17]. »

M. Levasseur demande aussi que l’on expose aux regards des enfants des cartes qui, « sous tous les rapports et particulièrement sous le rapport du relief du sol, soient une peinture fidèle de la réalité, de manière à laisser dans leur mémoire une impression juste[18]. »

N’est-ce pas proscrire, avec raison, ces cartes plates, où l’on ne trouve que des noms de communes, sans un détail qui indique le relief du sol, ses richesses agricoles et minérales, les groupes manufacturiers les plus importants qui en transforment les produits, la raison des principales inflexions des cours d’eau qui portent la fécondité dans les vallées ? De tout cela rien, et cependant ces détails montreraient les éléments de la fortune du pays que l’on étudie.

Pour rendre l’enseignement géographique intéressant et utile, Rollin procède d’une autre manière. Voyez sa description de l’Arabie. Sans doute, il ne néglige pas le nom des villes les plus importantes. Mais, à côté, voici des souvenirs historiques : la mer Rouge et la délivrance des Hébreux ; le Sinaï et le Décalogue ; La Mecque et Médine, mais aussi le berceau de Mahomet et le lieu de sa sépulture ; les produits du sol, et le café, et l’encens, et les perles et les nacres de l’Arabie[19]. Autant de détails qui animent l’enseignement géographique, et, en éveillant l’intelligence, aident, par une description, par une idée, à fixer des noms dans la mémoire.

Enfin, Rollin conseille de faire de la géographie la compagne de l’histoire.

« La manière la plus simple, dit-il, la plus aisée, qui se place le plus facilement dans la mémoire, et qui y fixe le plus nettement les événements historiques, c’est d’être exact à mesure que, dans l’explication d’un auteur, il se rencontre une ville, un fleuve, une île, à les montrer sur la carte. En suivant un général d’armée dans ses expéditions, comme un Annibal, un Scipion, un Pompée, un César, un Alexandre, les jeunes gens auront occasion de repasser tous les lieux mémorables de l’univers, et de se graver pour toujours dans l’esprit la suite des faits et la situation des villes[20]. »

Encore une recommandation souvent donnée et que les bons maîtres suivent avec succès.

§ 3. Rendre l’étude agréable. — Pour que les enfants, les plus jeunes surtout, se prêtent à acquérir ces connaissances et d’autres encore, il faut, en quelque sorte les enlever à eux-mêmes à ce besoin de mouvement, de distraction qui est au fond de leur nature, et concentrer leur esprit sur des idées qui ne peuvent être saisies sans efforts. Et le moyen ? C’est de rendre l’étude aimable, de faire de ses débuts comme un jeu. Des maîtres, d’ailleurs méritants, n’y réussissent pas toujours, dit Rollin[21]. Les conseils, cependant, ne manquent pas. Résumons ceux que donnent Quintilien, saint Jérôme, Overbecq, Oberlin, Pestalozzi, etc.

Des interrogations fréquentes et des réponses bienveillantes, toujours nettes et précises, aux nombreuses questions des enfants, une large part faite à l’observation[22], à l’enseignement par les yeux, à l’ornementation des classes et aux musées scolaires ; une grande variété dans les leçons, et des agréments jetés sur chacune d’elles ; un enseignement progressif qui conduise les petites intelligences du connu à l’inconnu, non pas à travers des abstractions, mais en les plaçant en présence d’idées jeunes, fraîches, toujours intéressantes et à leur portée ; des éloges donnés quand il y a lieu avec cœur et discrétion ; un regard arrêté sur leur caractère et leur humeur pour favoriser, dans leurs développements, les tendances heureuses, et réprimer celles qui ne le seraient pas ; une habile industrie constamment mise en œuvre afin de s’emparer, à leur insu, de leur volonté et de l’attacher comme d’elle-même à l’étude ; voilà ce que recommandent, avec les commençants, et en des pages que l’on ne peut trop méditer, les maîtres les plus versés dans les matières pédagogiques. À qui suit leurs conseils le succès ne peut manquer.

IV
Étude du caractère des Enfants.

Tous les maîtres en pédagogie montrent un autre moyen d’action dans la connaissance du caractère des enfants. Elle est indispensable : appliquer à tous la même direction ; traiter de la même manière les élèves graves, sérieux, vifs et enjoués, les natures molles et pétulantes, c’est se condamner à des efforts stériles.

L’intelligence peu ouverte ne s’étendra pas, et le caractère déformé restera avec ses défauts ; l’esprit lent à marcher s’appesantira davantage encore, et, comme il n’y aura pas eu de frein pour retenir la nature trop vive, elle se jettera dans des emportements qui l’entraîneraient aux abîmes.

Cette connaissance indispensable est des plus difficiles à acquérir.

« L’adresse est de bien étudier d’abord le génie des enfants et leur caractère ; de s’appliquer à connaître leur humeur, leur pente, leurs talents, et surtout de découvrir leurs passions et leurs inclinations dominantes. Or, le moyen de les connaître ainsi, c’est de les mettre, dès l’âge le plus tendre, dans une grande liberté de découvrir leurs inclinations ; de laisser agir leur naturel, pour le mieux discerner ; de compatir à leurs petites infirmités pour leur donner le courage de les laisser voir ; de les observer sans qu’ils s’en aperçoivent, surtout dans le jeu[23], où ils se montrent tels qu’ils sont. Car les enfants sont naturellement simples et ouverts ; mais dès qu’ils se croient observés, ils se ferment, et la gêne les met sur leurs gardes.

» Il n’est pas moins important de distinguer la nature de leurs défauts[24]. »

Les uns sont la conséquence de l’âge, de la mauvaise éducation, de l’ignorance, de la séduction, des exemples qui les ont frappés. On peut y apporter remède. D’autres ont des racines dans le caractère naturel de l’esprit et dans la corruption du cœur ; ainsi, la duplicité et le déguisement ; un fonds d’envie et de médisance ; l’amour de la flatterie ; un esprit moqueur, qui s’attaque aux avis les meilleurs et aux choses saintes[25]. Rien de difficile comme de traiter ces natures, Il ne faut cependant pas désespérer de les modifier.

On réussira quelque peu avec ces dernières, toujours avec les autres, si l’on peut s’en faire aimer. Qui a l’habitude des âmes sait parfaitement l’influence heureuse qu’il peut exercer sur elles, quand il lui est donné, souvent après de longs labeurs, quelquefois mal compris d’abord, d’entrer dans leur affection et leur confiance. Un moment vient, comme une récompense, où l’on prend sur elles un ascendant bientôt irrésistible.

Elles se sentent aimées et elles aiment[26]. Elles comprennent, même les plus jeunes, que l’on a pour elles ce qu’il y a de plus puissant dans le cœur : la douceur et la patience, la bonté et la tendresse, toutes les délicatesses de la sollicitude maternelle la plus éclairée. Du cœur toujours, mais, à dit un grand Pape[27], rien qui amollisse ; et, ajoute Fénelon, une bonté pleine de fermeté.

Du reste, une influence purement humaine ne suffit pas. N’oublions jamais l’enseignement que nous donne à tous un des maîtres les plus autorisés de la jeunesse, saint Augustin.

Il avait lu avec une sorte d’entraînement le Hortensius de Cicéron. Cet ouvrage avait mis en lui un vif désir de la sagesse et préparé sa conversion. Quel triomphe déjà remporté !

Augustin trouvait cependant qu’il manquait à cet ouvrage la seule puissance capable d’enlever son cœur : le nom de Jésus-Christ. Il le trouva ailleurs et il fut ravi[28].

Que ce nom vénéré sorte de notre cœur pour entrer dans celui de nos enfants : qu’il y soit porté par cet amour chaleureux qui remue et qui domine partout où il pénètre, et les jeunes âmes seront à nous.

Hébert-Duperron,
Inspecteur d’Académie.



  1. Rollin, Traité des Etudes, t. I, p. 50. Edit. Letronne.
  2. id.
  3. Traité des Études, t. I, p. 51.
  4. Ibid., t. I, p. 61.
  5. Ibid., t. I, p. 52.
  6. … Ut pueris olim dant crustula blandi
    Doctores, elementa velint ut dicere prima.
    (Horat. 1. I. Satir. I, v. 25.)
  7. De l’Institution oratoire, 1. I, ce. 1, p. 8. édit. Nisard.
  8. Épist. c. XXVIII, coll. 1096, édit. Migne.
  9. Traité des Études, t. I, p. 109.
  10. Ibid.
  11. Traité des Études, t. Ier, p. 110.
  12. Traité des Études, t. Ier, p. 115.
  13. Ibid., p. 117.
  14. Ibid., p. 122.
  15. Texte-Atlas de la France, avec les colonies françaises et la Terre-Sainte, chez Delagrave.
  16. Traité des Études, t. Ier, p. 64.
  17. Ibid., p. 64-65.
  18. Texte-Atlas de la France.
  19. Traité des Études, t. Ier, p. 65-66.
  20. Traité des Etudes, t. II, p. 330.
  21. Ibid., p. 250.
  22. C’est la pensée de Pestalozzi : « Pour la première enfance, dit-il, les facultés se réduisent à celles de regarder et de parler. » Pompée, Etudes sur la vie et les travaux de Pestalozzi, p. 231.
  23. Mores se inter ludendum simplicius astendunt. Quint, l. I, c. 13.
  24. Traité des Études, t. III, p. 225. Cf. Conseils aux Institutrices, p. 24-53. chez Dupont.
  25. Ibid., p. 225, 226.
  26. Si vis amari, ama. Sénèque.
  27. Saint Grégoire.
  28. Saint Augustin, Confess., t. III, c. 4.