Une poignée de vérités/Conclusions
XVIII
CONCLUSIONS
Qu’on ne s’y trompe pas : ces deux races qui ne fusionneront vraisemblablement jamais, pourront facilement arriver à vivre ensemble, à adopter un « modus vivendi ». Le pays est si beau !
Les hommes politiques les plus influents, représentants de l’opinion publique, prêchent la conciliation et l’on s’achemine vers cette solution pacifique, qui peut faire du Canada, l’un des premiers pays du Globe.
Un auteur Canadien-anglais, Monsieur Thomas Moore, après avoir étudié de très près, observé sans parti-pris nos Canadiens-français en a fait un très bel éloge dans son livre « The Clash ». Ce livre est rapidement devenu populaire, même dans l’Ontario ; il semble avoir beaucoup impressionné les milieux canadiens-anglais. « Il faut pourtant bien, se dit-on de part et d’autre, que nous arrivions à jouir d’un peu de tranquillité ! »
Je me souviens d’une panne d’automobile (encore !) qui m’arriva dans un voyage avec des Canadiens-français, juste en face d’une ferme, non loin de East-Angus. Le fermier, la fermière, les domestiques, tout le monde était Canadien-anglais dans cette ferme. Ces gens-là se mirent en quatre pour nous tirer de cette panne. Ils y réussirent très bien en attelant leurs chevaux à notre machine et en nous conduisant ensuite avec leur petite voiture canadienne à l’hôtel du village voisin où nous passâmes la nuit.
Beaucoup de Canadiens en sont arrivés à penser ceci : « Puisque nous sommes ensemble pour toujours, puisque ni les uns, ni les autres ne pouvons nous anéantir, puisque notre hostilité ne peut qu’entraver nos affaires et nuire au progrès de notre pays, prenons-en notre parti supportons-nous et en dehors des questions intéressant la nation, ignorons-nous, ne nous occupons pas les uns des autres, ne nous cherchons plus de querelles. Chacun pour sa religion, chacun pour sa langue, chacun pour ses traditions, tous pour le Canada ! »
Il faudrait que tous les habitants du Canada pensent ainsi. Quand les intérêts vitaux des deux races ne sont pas en jeu, cela va tout seul. Malheureusement aussitôt qu’il s’agit de questions de langue et de race, le feu est mis aux poudres. Il faudrait… il faudrait… enfin beaucoup de choses dont la principale est celle-ci : Que les Canadiens-anglais, les Ontariens surtout, se souviennent que les Canadiens-français sont les premiers possesseurs du sol, qu’ils se montrent moins intransigeants, moins fanatiques. Qu’ils n’oublient pas que leurs compatriotes français ont enrichi cette généreuse terre, qu’ils l’ont gardée à l’Angleterre, et que, sans eux, ils n’y seraient peut-être pas. Si les Ontariens ne veulent pas entendre parler de réconciliation, qu’ils cessent au moins leurs provocations continuelles : qu’ils fassent en Canada ce qu’on faisait dans une vaste brasserie appartenant à une famille amie de la mienne. Les deux directeurs, les deux frères, se détestaient profondément : ils en étaient arrivés à avoir deux bureaux au lieu d’un, séparés par un paravent. Ils ne pouvaient pas se voir. Quand ils avaient quelque chose à se dire, ils se l’écrivaient ! J’ignore si ces deux frères ennemis se sont réconciliés plus tard, mais ce qui est certain, c’est que leur brasserie fut toujours très prospère. Ils ne se fréquentaient pas, mais ils ne s’injuriaient pas, ils se respectaient même. C’est ce qui sauva la brasserie.
Il faudrait en deuxième lieu que les Irlandais ne prétendent pas accaparer toutes les hautes situations dans le clergé et ne menacent pas de mettre la main-mise sur le catholicisme entier de l’Amérique du Nord. Il faudrait enfin que la Confédération Canadienne ne perde pas de vue le danger signalé par le savant américain Madison Grand dans son livre “The passing of the great race”. Ce danger, c’est l’immigration exagérée et inconsidérée.
Madison Grand a magistralement mis en lumière cette loi ethnique : lorsqu’un mélange de races vient à se produire c’est la race inférieure qui tend à prendre le dessus.
C’est ainsi que, selon lui, à force d’immigrations à outrance, à force de recevoir des gens de toutes les nations, Italiens, Syriens, Polonais, Autrichiens, Allemands, Espagnols, Français, Anglais, sans compter les nègres et les mulâtres, la ville de New York a fini par devenir un « cloaque de races », où il n’y a plus que des produits inférieurs ayant perdu tout caractère.
Le Yankee, qui aurait pu être le premier, le plus fort, le plus nombreux, n’y existe pour ainsi dire plus. Comme dans d’autres grandes villes des États-Unis il a été absorbé, englouti dans ce mélange sans nom.
Madison Grand conseille à son pays d’arrêter de suite l’immigration en se demandant s’il en est temps encore !
Que le gouvernement fédéral canadien profite de la leçon. Le Canada est immense dira-t-on. Mais il y a deux éléments qui suffiront à le peupler avec le temps : l’élément canadien-français qui est si prolifique et l’élément anglais.
Le Canada peut devenir le plus riche de tous les pays : son sol est fécond, son sous-sol renferme des richesses insoupçonnées. Mais que les Canadiens-français continuent la lutte ! qu’ils ne lâchent pas prise ! En attendant l’aube qui, déjà, éclaire votre horizon, continuez à gravir les sommets ! Frères exilés,
Tout comme les aïeux
Montez, montez toujours !