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Une princesse conspiratrice sous la Régence

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Une princesse conspiratrice sous la Régence
Général de Piepape

Revue des Deux Mondes tome 47, 1908


UNE
PRINCESSE CONSPIRATRICE


I

Le 13 janvier 1719, l’antique château de Dijon[1], cette sombre vigie bourguignonne bâtie par Louis XI, lors de la réunion de « la Duché » et transformée en prison d’Etat après la Fronde, fut réveillé de soixante-dix ans de silence par un mouvement inaccoutumé. Dans la froide journée hivernale, l’un des ponts-levis s’abaissa, et la porte Sud livra passage à un carrosse escorté de chevau-légers. Il amenait un prisonnier d’Etat qui, à en juger par l’appareil militaire dont on l’avait entouré, devait être un personnage d’importance. Quand le carrosse s’ouvrit, ce fut une femme qui en sortit, une princesse du sang : la belle-fille de Louis XIV, la fille de feu M. le prince Henri-Jules, la petite-fille du grand Condé, la propre tante de M. le Duc, gouverneur actuel de la Bourgogne, la duchesse du Maine enfin ! Pourquoi échouait-elle à ce triste port de refuge ? Pour avoir conspiré contre la sûreté de l’Etat ! Il y avait, « dans ce corps de myrmidon, dans cet extrait du grand Condé, comme le dit un critique, des étincelles de la même fureur civile. » Ne fit-elle pas venir chez elle, en 1714, deux ducs et pairs, MM. de La Force et d’Aumont, pour les circonvenir ? Les voyant devant elle silencieux et sur leurs gardes, n’eut-elle pas l’audace de leur dire, dans un élan de franchise et d’emportement : « Pour arriver au trône, le cas échéant, sachez bien, Messieurs, que je mettrais le feu, s’il le fallait, aux quatre coins du royaume ! »

Toute la conspiration de Cellamare est dans ce mot-là.

Mme du Maine était trop perspicace pour n’avoir pas l’instinct du danger qu’elle courait. Un jour, à Sceaux, le Duc son mari l’aborde d’un air triomphant, pour lui montrer la traduction, faite par lui, de l’Anti-Lucrèce du cardinal de Polignac. « Vous verrez, dit la Duchesse railleuse, qu’un beau matin vous vous réveillerez à l’Académie, et M. d’Orléans, à la Régence. » La seconde partie de la prédiction ne tarda pas à s’accomplir. Voilà le grand Roi mort, le Régent en fonctions, le testament royal cassé, enfin le faible duc du Maine dépouillé, par les édits, de la Régence et de la plus grande partie des prérogatives dont l’avaient accablé la générosité de son royal père et la singulière tendresse de Mme de Maintenon, sa mère adoptive. Le lit de justice du 26 août 1716 accomplit la déchéance de sa maison. Aussitôt la levée de la séance, le comte de Toulouse, le frère cadet du duc du Maine, moins frappé que son aîné, se retira dans son hôtel de la rue Saint-Honoré, et la duchesse du Maine vint l’y rejoindre avec ses enfans. Déjà elle avait quitté Sceaux, qui ne lui rappelait plus que des jours follement gaspillés et s’était installée à Paris, rue Sainte-Avoye, au Marais, dans la demeure d’un de ses intimes, le premier président de Mesme. Elle ne pouvait sans amertume voir son beau-frère maintenu au Conseil de régence, tandis que son mari ne l’était pas. Elle reprochait durement au comte de Toulouse d’avoir accepté cet avantage sur le duc du Maine, prétendant que le devoir d’un cadet était de faire cause commune avec son aîné, et qu’il eût dû renoncer spontanément à la qualité de prince du sang dont on lui faisait l’aumône. Devant cette sortie, M. de Toulouse hésitait. On se sent désarmé vis-à-vis d’une femme. « Monseigneur, lui glissa dans l’oreille le chevalier de Hautefort, son premier écuyer, seriez-vous assez dupe pour vous associer aux fureurs d’une folle ? » Après cette scène, l’exaspération que la Duchesse était obligée de dissimuler au public ne fit que croître et s’exhaler à tort et à travers. Elle s’attaqua au premier président du Parlement, lui reprochant tout ce qui s’était passé au lit de justice, contre elle et les siens. « Elle le renvoya, dit Saint-Simon, comme le dernier des valets qu’on eût pris en friponnerie. » Dès ce moment, « ce fut à son mari qu’elle s’attacha ainsi qu’à une proie, tantôt immobile de douleur, tantôt hurlant de rage, et remplissant leur retraite de Sceaux de ses furieux emportemens[2], » sous prétexte qu’il n’avait pas su ou osé venir défendre sa cause en personne.

Sous cette bordée d’outrages, le mari désemparé baissait la tête ou ne répondait que par des pleurs. Il demanda une audience au Régent qui ne voulut pas le recevoir.

Ce refus et le silence que gardait le chef de l’Etat sur les causes de la disgrâce du duc du Maine, achevèrent de lancer la Duchesse dans la voie de la révolte. Après la radiation du Conseil de régence, après la suppression de la charge de l’éducation du petit roi Louis XV, un dernier édit faisait encore perdre au malheureux prince légitimé les honneurs du Louvre[3]qui lui conféraient le droit « d’offrir la serviette au Roi. » Si puéril que nous semble, avec nos mœurs modernes, ce détail d’étiquette, tel était l’état d’esprit des courtisans de l’époque, qu’on voyait un insupportable affront dans le retrait de cette pure formalité d’antichambre. La goutte d’eau fit déborder le vase. Tout l’ambitieux échafaudage que la petite Duchesse avait élevé dans son esprit lui semblait s’être écroulé. Elle crut pouvoir alors entreprendre, à elle seule, ce que son mari lui paraissait désormais incapable d’obtenir : le relèvement de sa maison. Déjà toutes les muses de Sceaux avaient pris leur envolée. Les derniers habitués demeurés fidèles avaient juré de verser au besoin leur sang pour le Duc et la Duchesse. Le château retentissait de plaintes amères. On y vouait les princes du sang aux dieux infernaux. La fameuse petite Cour de Sceaux se transforma rapidement en un foyer de conspirateurs. Celle qui y tenait ses états avait lié à sa cause un grand nombre de nobles, animé contre les ducs et pairs plusieurs gentilshommes attachés au Régent, des chevaliers de Malte, des seigneurs protestans. Un parti considérable[4] se forma contre le pouvoir. Le duc du Maine y entra par complaisance pour sa femme et en devint le chef nominal. Cette opposition commença à agir sourdement, de concert avec le cardinal Alberoni, « qui s’était mis en tête de bouleverser l’Europe et fut sur le point d’en venir à bout[5]. » Plus ou moins avertie de ces menées, Mme de Maintenon tremblait devant les conséquences fatales qu’elle entrevoyait déjà pour ses enfans adoptifs. Tout son émoi s’épanchait dans le cœur de sa nièce, Mme de Caylus[6].

Le 19 juin 1717, le duc du Maine déposa au Parlement sa protestation « contre tout ce qui pourroit être décidé par jugement ou autrement, » au préjudice de ses dernières prérogatives. Cela ne fit qu’amener un arrêt de la Cour souveraine, en date du 1er juillet, abolissant le droit de succession à la couronne en faveur des bâtards. Porté par son caractère à l’indulgence et soucieux de ne pas déplaire à la duchesse d’Orléans, sœur du duc du Maine, le Régent adoucit la forme de l’édit qui en résulta ; mais la haine du duc de Bourbon (Henri-Louis) contre son oncle et sa tante, le duc et la duchesse du Maine, — haine qui avait eu sa source dans un procès de famille au sujet de la succession de feu M. le prince Henri-Jules ; — la jalousie du duc de Saint-Simon, contre les légitimés, poussèrent le Régent à anéantir les titres qui mettaient ces derniers en possession des privilèges des princes du sang. Cet arrêt de 1717 précipita le drame dont le duc et la duchesse du Maine allaient se faire les acteurs et devenir les victimes.

Ainsi menacée, la plus forte tête du ménage entendait bien soutenir la campagne en faveur de ce qu’elle appelait « les droits de son époux. » « S’ils dorment, disait-elle en parlant de ses ennemis, nous dormirons ; s’ils se réveillent, nous nous réveillerons. » Elle quitta l’hôtel du président de Mesme, pour aller s’établir aux Tuileries, auprès du petit Roi, dans le logement affecté au duc du Maine comme surintendant de l’éducation royale. Cette charge, on venait de l’enlever à son mari pour la donner au duc de Bourbon : raison de plus, comme protestation, pour ne pas évacuer l’appartement. La Duchesse y resterait : elle était là, au cœur de la place, prête à la lutte.

A Sceaux, la brillante Ludovise[7]a suspendu les fêtes où on l’encensait, telle une déesse de la mythologie, et s’est livrée, non plus comme précédemment, lors de ses soirées légendaires, aux poètes et aux comédiens, mais aux jurisconsultes et aux érudits. Au milieu des in-folio, dont le lit de la Duchesse était surchargé pendant ses nuits de veille et de travail, Mlle de Launay, qui de femme de chambre est devenue secrétaire, écrira plus tard[8] : « Ma maîtresse se comparait plaisamment à Encelade abîmé sous le mont Etna, Mme du Maine poursuit contre le Régent un copieux mémoire. Elle écrit, elle écrit sans cesse. Les comparaisons en faveur des bâtards l’amènent à tomber sur les plus grands noms de France, en leur attribuant sans contrôle des origines obscures. Ses veilles se prolongent si avant dans la nuit que Mlle de Launay se plaint d’en être malade. Il faut à la Duchesse des plumes virulentes, dans tous les genres. Elle recourt à Lagrange-Chancel, esprit caustique, « poète et scorpion, » comme on le qualifiait. Elle lui insuffle sa haine et l’incite à se faire pamphlétaire. Dans une réunion nocturne, il lit aux hôtes du château de Sceaux une satire en cinq ou six odes contre le Régent : Les Philippiques. C’est par là, plus que par ses tragédies, qu’il deviendra célèbre. Il traite le duc d’Orléans d’empoisonneur et l’accuse d’avoir cherché à usurper le trône d’Espagne.

Saint-Simon, quand paraissent les odes de La Grange, a le courage d’en apporter une au Régent. Philippe la lit tout bas, debout devant la fenêtre de son petit cabinet d’hiver. D’abord il demeure impassible. Tout à coup, changeant de visage : « Ah ! c’en est trop ! s’écrie-t-il. Cette horreur est plus forte que moi ! » Puis il signe une lettre de cachet contre le pamphlétaire, et l’envoie aux îles Sainte-Marguerite.

Le fameux mémoire des princes légitimés, rédigé par le cardinal de Polignac, un des fidèles de Mme du Maine, et par Nicolas de Malézieux, l’ancien ordonnateur de ses fêtes, est corrigé de la main même de la Duchesse. Elle y soutient que « ne pas admettre le duc du Maine au rang et avec les prérogatives qu’il doit avoir, c’est attaquer l’édit solennel qui fixe son état, c’est commettre un attentat contre l’autorité royale ; c’est injurier le Parlement. » Elle va chercher des argumens de procédure jusque chez les Chaldéens. Et les partisans de M. le Duc[9]de répondre par un contre-mémoire où l’on invoque la Loi de Nature, « celle que Dieu donna à Adam dans le Paradis terrestre (on ne remonte pas plus haut), par laquelle il lui défend la polygamie. » L’auteur de ce factum passe ensuite à Abraham (il saute le déluge), qui eut, il est vrai, des bâtards, mais à sa mort laissa tous ses biens à son fils Isaac, et n’attribua à ses enfans naturels, que des présens.

Mme du Maine avait endoctriné un certain nombre de personnages marquans ou d’avenir : le premier président de Mesme, les maréchaux de Villeroy, de Villars et d’Huxelles ; le petit duc de Richelieu qui commençait à devenir célèbre par ses duels et ses aventures galantes ; le jeune Arouet, qui, bien que plat valet auprès du chef de l’Etat, le déchirait à belles dents à la Cour de Sceaux. Au sortir de la Bastille, où les « J’ai vu… » l’avaient fait mettre, il venait d’être exilé à Châtenay, d’où le voisinage l’avait rapproché de la duchesse du Maine. Sa tragédie d’Œdipe qui fut jouée, en 1718, sur le théâtre de Sceaux, passait pour viser personnellement le Régent.

Arbitre de l’Espagne depuis 1715, le cardinal Alberoni rêvait de rendre ce royaume aussi puissant à l’extérieur que sous Philippe II, et même, en dépit des clauses formelles du traité d’Utrecht, d’assurer éventuellement le trône de France à son maître en cas de mort du petit roi Louis XV. Ces vues insensées étaient naturellement contrariées par la présence du Régent, qui avait aussi des droits éventuels à la couronne. Il fallait l’écarter à tout prix. La duchesse du Maine se prêta avec empressement aux ouvertures qui lui furent faites dans ce sens. Et c’est ainsi que s’organisa, sous ses auspices, et même sous son propre toit, une conspiration fomentée à l’Escurial, soutenue par la coopération de l’ambassadeur d’Espagne en France, et renforcée de tous les élémens de mécontentement ramassés dans les vieux partis de nos provinces.


II

Le prince de Cellamare[10]avait été envoyé à Paris en 1715, par la Cour d’Espagne, comme ambassadeur extraordinaire, avec mission de tout tenter pour enlever la régence au duc d’Orléans, sans savoir au juste comment on pourrait le remplacer, mais avec l’espoir de pêcher en eau trouble. Il mettra en œuvre tous les élémens de révolte qui fermentent dans le pays, courtisans en disgrâce, femmes exaltées, princesses déchues. Pourrait-il mieux trouver que la duchesse du Maine et la duchesse du Maine pouvait-elle trouver mieux que lui ?… C’est avec Cellamare qu’elle se concerte, pour soulever l’Ouest et le Midi. Elle se flatte que, par ses intrigues, sinon le titre, du moins toute l’autorité du Régent, passera à son époux. Elle se sert de l’intelligente plume de Mlle de Launay, pour correspondre avec l’ambassadeur d’Espagne. Elle secoue les dernières hésitations du duc du Maine, gagne son beau-frère, M. de Toulouse, envoie partout des émissaires. Le comte de Laval ira lever un régiment suisse dans les Grisons, au nom et avec l’argent du roi d’Espagne ; le marquis de Pompadour ira faire signer une protestation de la noblesse en Normandie ; un autre ira recueillir les engagemens de nombreux gentilshommes bretons à Nantes. Des missives secrètes donnent à la Duchesse de belles assurances : « Que l’Espagne fasse seulement paraître une escadre en vue des côtes, et toute la province se soulèvera ! » Le duc de Richelieu tient garnison à Bayonne. Ce jeune colonel espère faire mettre la crosse en l’air à son régiment, et introduire les troupes espagnoles de Philippe V par cette porte des Pyrénées sur le territoire français. Malheureusement pour lui, le duc du Maine n’avait que fort peu de prestige militaire et ne possédait pas la confiance du soldat. Dans le Languedoc et la Guyenne où il avait un gouvernement purement nominal, son autorité et son influence étaient nulles. La Duchesse, dont le quartier général est à Paris, rue Saint-Honoré, organise à Sceaux un double comité de conspiration : l’un des seigneurs et l’autre de poètes ou littérateurs.

Les conjurés se réunissent, tantôt au château de Sceaux, tantôt à l’Arsenal, à Paris, en conciliabules secrets, sous sa présidence. Elle s’y rend parfois au milieu de la nuit. Elle envoie Mlle de Launay tenir d’autres conférences en divers quartiers de Paris, et jusque sous les arches du Pont-Royal. Elle règle tous les détails avec une intelligence très vive, quoique brouillonne. Elle charge sa suivante de sonder un jésuite, confesseur de Philippe V, sur le choix d’un émissaire à expédier de Paris à Madrid. Ce P. Tournemire lui envoie le baron de Walef, « un bel esprit[11]qui se mêlait de faire des vers. » Il fut présenté à Mme du Maine, qui lui dit, pour entrée en matière : « Lisez-moi de vos poésies ! » puis le chargea d’engager le roi d’Espagne à soutenir le Duc et sa famille opprimée. Par l’entremise du cardinal Alberoni, Walef devait gagner l’oreille de Philippe V. Se trouvant sans le sou pour son voyage, il imagina d’envoyer à la Duchesse un cabaret de porcelaine qu’il la supplia d’acheter. Elle refusa l’envoi et fit tenir cent louis à Walef. Pour avoir l’air de s’acquitter de sa mission, l’émissaire fabriqua un mémoire fantaisiste à l’adresse d’Alberoni. C’est avec ce mince bagage qu’il partit pour l’Espagne, en traversant l’Italie. Sa correspondance secrète entre Madrid et Paris fut assurée « par des interlignes écrits avec une certaine poudre blanche[12]. » Toutes ses lettres étaient adressées à Mlle de Launay. Malgré ces préliminaires, les négociations échouèrent, bien entendu par la faute du négociateur. Mme du Maine recourut à d’autres affidés de toute sorte, plus ou moins sûrs, plus ou moins espions de l’abbé Dubois. Elle alla jusqu’à consulter des chiromanciennes, des tireuses de cartes. Il lui fallait à tout prix des réconforts moraux et des agens d’exécution. Avec l’or de l’Espagne, elle gagna deux folliculaires de bas étage, les abbés Camus et de Veyrac, dont la plume était déjà vendue à M. le Duc. Ils entrèrent en correspondance avec Mlle de Launay et, à prix d’argent, passèrent au parti de Mme du Maine. Elle se proposait d’en tirer une satire contre le gouvernement ; puis de faire livrer le pamphlet au Régent lui-même, comme une perfidie du duc de Bourbon. Elle tâchait de s’étourdir sur les dangers qu’allait lui faire courir sa folle campagne, et travaillait à convaincre le duc du Maine des merveilles qu’elle imaginait. Quand sa confidente mieux inspirée, lui disait : « Votre Altesse se fera mettre en prison, » elle lui riait au nez.

Les abbés de l’époque étaient mieux taillés pour l’intrigue que pour la chaire. Mme du Maine n’eut pas de peine à en trouver un troisième, l’abbé Brigault, auteur d’une diatribe contre le Régent : elle le nomma secrétaire d’un des comités directeurs de la conjuration, constitués à Sceaux. En dehors de ces conseils, elle avait bien ses auxiliaires, mais ils n’étaient pas tous triés sur le volet. Les uns, comme Villars, Tallard, Huxelles, ne trouvaient pas beaucoup d’intérêt personnel à se déclarer contre le Régent. Ce n’était pas la volonté qui manquait aux autres : les Villeroy, les Aumont, les Mesme, mais bien la force ou le courage. Aussi, que de mécomptes, sur le sentiment populaire, sur les dispositions de l’armée, sur le choix des hommes ! Cellamare le sentait ; mais, poussé par Alberoni, il n’en risquait pas moins ses avances au duc et à la duchesse du Maine qui y répondaient secrètement, avec une naïve inconscience. « Que Votre Altesse Sérénissime voie l’ambassadeur d’Espagne ! » disaient à la Duchesse deux de ses principaux partisans. Et ils la flattaient à qui mieux mieux, lui faisant croire qu’on pourrait tenter, par la haute intervention de Cellamare, des choses considérables. Elle osa alors lui donner rendez-vous elle-même dans une petite maison qu’elle avait à l’Arsenal et s’y rendit accompagnée de Mlle de Launay. L’un de ses affidés y conduisit à minuit le prince de Cellamare, auquel il servit de cocher. Un second rendez-vous nocturne eut lieu dans les mêmes conditions. Peu à peu l’ambassadeur développa aux conjurés un vrai plan de conspiration qu’ils acceptèrent[13]. Il osait leur proposer de soulever Paris et les provinces contre l’autorité du duc d’Orléans, considérée comme usurpée et oppressive ; de faire arrêter le Régent dans une fête ; de l’enlever, de l’incarcérer à Tolède ou à Burgos ; de convoquer les États Généraux du royaume (selon le vœu de la duchesse du Maine) et de les rétablir dans leurs anciens droits ; d’enlever la régence à Philippe d’Orléans, pour la déférer nominalement au roi d’Espagne, avec un Conseil d’État et des ministres à sa dévotion, et effectivement à un lieutenant assisté aussi d’un Conseil, chargé d’administrer le royaume de France au nom de Philippe V. Ce lieutenant, bien entendu, aurait été le duc du Maine : il serait devenu le véritable régent. On employa des besogneux, venus d’Espagne sous promesse d’argent et répandus dans Paris, des sbires propres à tout, même au crime. Leur chef correspondait avec Alberoni et se concertait avec Cellamare.

C’est par miracle que le duc d’Orléans échappa un jour à une tentative d’enlèvement, machinée par les comités de Sceaux contre sa personne et tentée par ces agens subalternes. L’ambassadeur d’Espagne lui-même avait indiqué à leur chef le lieu où le Régent se promenait d’ordinaire avec la duchesse de Berry. Des hommes d’action avaient été embusqués au bois de Boulogne, munis du signalement d’un certain personnage à enlever, sans qu’ils sussent au juste qui il était. Apercevant le Régent à la promenade, le chef de la bande fit un signe du doigt à ses estafiers. Ceux-ci, par méprise, s’élancèrent sur un autre individu, et lui mirent la main au collet, tandis que Philippe s’éloignait, ne se doutant pas du danger auquel il venait d’échapper. Cette tentative fixa l’attention du Conseil de régence. Prudemment, le chef des alguazils s’enfuit aux Pays-Bas, mais l’éveil était donné. Cependant, malgré les conseils de sa mère, le Régent n’en persista pas moins à aller chaque soir souper avec ses amis chez Mme de Parabère à Saint-Cloud.

Du fond de son cabinet, la duchesse du Maine suivait de loin l’action de ses agens ; elle continuait à se dépenser, ne négligeait aucun soin. Elle allait jusqu’à faire établir par Nicolas de Malézieux et le cardinal de Polignac un modèle de lettres tout préparé à la signature de Philippe V, pour lui faciliter sa besogne, inciter cette majesté royale à réclamer du jeune roi Louis XV et du Parlement français ce qu’elle prétendait obtenir elle-même. L’œuvre si téméraire et à la fois si coupable devait sombrer par suite de nouvelles circonstances accidentelles : c’est l’habituel écueil des conspirations. Ainsi, Malézieux n’avait-il pas la maladresse d’égarer le brouillon d’une de ses lettres les plus compromettantes, et en quelles mains allait-elle tomber ! Ainsi mille pièces n’étaient-elles pas transcrites, copiées, distribuées par un simple mercenaire ! Ainsi, dans les dépêches de Cellamare, la police de Dubois, fort bien stylée par l’astucieux ministre, ne devait-elle pas découvrir un petit billet chiffré, émanant de l’ambassadeur de France à Madrid, et annonçant l’envoi à Paris, comme émissaire secret, d’un jeune homme de vingt-deux ans, l’abbé de Porto-Carrero ! Voilà donc Dubois renseigné par plusieurs voies différentes, et tous ses limiers en campagne.

Dès 1717, le gouvernement de la Régence avait cru entrevoir les premiers symptômes d’une conjuration menaçante. On était sur ses gardes. Etait-ce la Fronde qui recommençait ? L’année suivante, la situation devint plus tendue. Le lit de justice du 26 août 1718 acheva de dégrader le duc du Maine, qu’on jugeait trop uni au Parlement. Saint-Simon a raconté en traits de feu cette séance fatale aux légitimés. Ce dernier coup de foudre fit éclore la conjuration. Mme la Princesse, la veuve d’Henri-Jules, la sage et chrétienne Anne de Bavière, n’était point favorable au projet, Mme du Maine s’efforçait d’atténuer aux yeux de sa mère sa propre responsabilité, de se disculper devant elle, de lui faire croire que M. le Duc, son ennemi juré, avait causé tout le mal.

Elle était outrée. Comme toujours, c’est à son mari qu’elle s’en prit tout d’abord. Précipitamment rappelée de l’Arsenal, où elle s’était réfugiée, pendant la fameuse séance, il lui fallut bien, cette fois, évacuer les Tuileries. Elle en eut une attaque de nerfs ; elle injuria le duc du Maine, pour s’être ainsi laissé chasser sans résistance. On l’emporta à demi morte, plongée dans un accablement « semblable à un sommeil léthargique, dont on ne sort que par des mouvemens convulsifs[14]. »

Il ne lui restait plus qu’à brûler ses vaisseaux. Elle voulut encore auparavant faire auprès du Régent une dernière démarche. Elle eut la hardiesse d’aller le trouver au Palais-Royal et se répandit devant lui en récriminations audacieuses. Elle osa lui parler avec véhémence du procès des princes du sang contre les bâtards. Elle lui dit en face, en lui montrant ses deux fils : « Je les élève dans le souvenir et dans le désir de venger le tort que vous leur avez fait[15]. »

Philippe ne répondit mot. Quand sa belle-sœur sortit de son cabinet, elle se montrait contente de l’effet de ses menaces ; Saint-Simon prétend qu’elle laissait le Régent plus satisfait encore de lui avoir persuadé de s’en aller contente. Le surlendemain, on la transportait à Sceaux, où elle ne cessa de faire des scènes à son mari, surtout lorsqu’il lui balbutiait, en tremblant, le conseil de s’avouer vaincue. Par une réaction habituelle aux natures bouillantes, elle se crispait contre sa chute. Déjà, elle ne songeait plus qu’à exécuter l’imprudente parole qui lui était un jour échappée à Sceaux : « Mettre tout le royaume en feu, plutôt que de perdre ses prérogatives. »


III

Mme du Maine était farcie de la lecture des romans et des pièces de théâtre : aussi, est-ce avec une légèreté de comédienne qu’elle abordait son rôle de conspiratrice. Elle agissait comme si elle eût encore été sur les planches de Sceaux. Comment le gouvernement espagnol pouvait-il la prendre au sérieux ? Il n’était pas lui-même exempt d’imprudences ni de maladresses. Alberoni voulait avoir les noms des principaux initiés à la conjuration, et on les confiait en clair à un courrier ! Entrevoyant, avec plus de jugement que ne lui en reconnaissait sa femme, le gouffre entr’ouvert devant lui, le duc du Maine cherchait maintenant à la retenir. Même il eut enfin, malgré son ordinaire faiblesse, le courage d’exiger d’elle la promesse de ne voir aucune des personnes en soupçon de cabaler. Il lui défendit d’accepter un rendez-vous que lui offrait le marquis de Pompadour, un de ses plus chauds partisans. Pompadour fut très surpris de recevoir ce billet de la main de Mme du Maine : « Votre mémoire est pernicieux, je vous supplie de ne pas l’envoyer. » Faut-il voir dans cette prière un simple acte d’obéissance conjugale, qui eût été si peu dans les allures de la conspiratrice, ou l’effet tardif d’un premier pressentiment, qu’elle jouait sur une mauvaise carte son repos et sa liberté ?… Déjà elle était bien engagée pour reculer, quand tout commençait à craquer. Elle s’agitait trop, pour n’avoir pas à redouter les indiscrétions ou les fausses confidences. La dissimulation est aussi parfois malavisée. Quand la reine de Sceaux, si ouverte avec des aventuriers de rencontre, cachait une partie de ses desseins à Mlle de Launay, cette méfiance s’adressait mal. La brave fille prouva plus tard, dans ses interrogatoires à la Bastille, combien elle était digne de la plus entière confiance.

Cependant Alberoni pressait Cellamare d’aboutir. Fort embarrassé, peu avancé dans ses menées, l’ambassadeur d’Espagne demandait des délais. Malgré les tergiversations et les démarches, le complot sembla mûr à la fin de novembre 1718. Il devint urgent, dit Saint-Simon, pour le succès de l’affaire « de parler clair à Madrid, sur l’état des choses et sur les noms. » Un courrier ordinaire de l’ambassade ne pouvait convenir pour cette mission. Il fallait quelqu’un « au-dessus d’un courrier. » Deux jeunes Espagnols « de noms agréables à la France que le hasard sembloit faire rencontrer à Paris[16], » retournaient ensemble en Espagne. L’un était le fils de Monteleone, ambassadeur de Madrid à Londres ; l’autre, l’abbé de Porto-Carrero. Ni l’un ni l’autre ne semblaient de nature à inquiéter le gouvernement français. Du jeune abbé, on vanta à la Duchesse la prudence, la discrétion, le mépris de la vie. Bien qu’elle le trouvât fort inexpérimenté, elle dut, faute de mieux, s’arrêter à ce choix. Cellamare fit remettre à Porto-Carrero tout le plan de conspiration avec la liste des conjurés, des projets de manifestes, des lettres de requêtes, le tout émané des Comités de Sceaux : un fatras d’élucubrations pondues par ces fabricans de complots en chambre qui s’appelaient Polignac, Malézieux, Brigault, Pompadour, etc. On bourra la valise de Porto-Carrero de dépêches en clair. On l’équipa, on le pourvut d’une chaise ayant un coffre à double fond. On lui traça son itinéraire, et on le dirigea sur les Pyrénées.

Muni de passeports du Roi, « à cause de la conjoncture de rupture prochaine, » escorté d’un seul domestique, il se mit en route, dans les premiers jours de décembre, accompagné de Monteleone et d’un banquier anglais, se disant Espagnol, banqueroutier de Londres en rupture de ban. Leurs premières étapes allèrent sans encombre. Mais voici la mésaventure. Un secrétaire du prince de Cellamare, voulant s’excuser d’arriver en retard à un rendez-vous d’amour, chez une fille de joie, la Fillon, où fréquentait aussi le ministre Dubois, eut la sottise de parler, dans cette maison mal famée, de certaines dépêches urgentes, qu’il avait dû rédiger en hâte pour le départ du courrier secret. « Les plus faibles ressorts font souvent les grandes destinées, » dit à ce propos l’auteur du Siècle de Louis XV. De la Fillon à Dubois, il n’y avait que la largeur d’une alcôve. Il en fut de cette conjuration comme de celle de Catilina : une courtisane en trahit le secret.

Le passage à Paris de Porto-Carrero avait déjà mis les soupçons de Dubois en éveil. Les révélations de Jean Buvat, modeste employé de bibliothèque, qu’on avait chargé de copier les pièces du projet, et que la peur rendit expansif, achevèrent de faire découvrir le complot. C’est par lui qu’un soir, un peu avant minuit, Dubois, étant au lit, fut averti du départ des deux envoyés secrets de Cellamare. « La mauvaise compagnie du banqueroutier parti avec eux » lui suggéra l’idée de faire coup double : obliger ses amis les Anglais par l’arrestation de leur banquier scélérat, et profiter de la saisie de ses papiers, pour mettre aussi la main sur ceux des deux Espagnols. « Quoi qu’il en soit, dit Saint-Simon, l’abbé Dubois fit courre après eux, » voulant à tout prix se débarrasser des brouillons qui agitaient le pays. Le 5 décembre, au moment de dételer à Poitiers, Porto-Carrero est atteint par le limier du ministre. Sa voiture est fouillée, ses papiers mis sous scellés. Quant à lui, sa mission étant devenue sans objet, on lui permet de continuer son voyage. L’estafette de Dubois revient à Paris, porteur de la valise capturée. Le postillon de Porto-Carrero, ayant un mauvais cheval et n’allant pas aussi vite que son maître, était resté en arrière de deux relais. Vers Angers il rencontre le courrier ordinaire se rendant de Poitiers à Paris. — « Quelle nouvelle ? » demande le postillon. — « Je n’en sais d’autre que celle-ci, répond le courrier : on vient d’arrêter à Poitiers un Anglais banqueroutier et un abbé espagnol porteur d’une valise. » Trait de lumière pour le valet de Porto-Carrero. Il se dit : « C’est mon maître ! » prend un cheval frais et regagne Paris à franc étrier. Devançant ainsi l’estafette de Dubois, il a le temps d’avertir le prince de Cellamare, douze heures avant que l’ambassade d’Espagne ne soit envahie par les agens du pouvoir. C’était le 8 décembre.

« Les hasards, dit Saint-Simon, font souvent de grandes choses. Le courrier de Poitiers entra chez l’abbé Dubois, comme M. le duc d’Orléans entroit à l’Opéra. » La rencontre ne fit que prouver l’insouciance du Régent. « À demain les affaires sérieuses ! » dit-il, en allant souper avec des roués. Dubois, lui, lit son affaire de la conspiration éventée[17]. Il ne restait plus aux conjurés qu’à communiquer avec Madrid par une autre voie, ce qu’ils tentèrent aussitôt, comme dernière ressource.

Au milieu de ces conjonctures, dans la maison de Mme du Maine où commence à régner l’anxiété, on veille assez gaiement, tandis que, dans sa solitude de Sceaux, le duc du Maine, tremblant d’inquiétude, attend les mousquetaires, en priant Dieu. La petite Duchesse fait bonne contenance dans son salon de la rue Saint-Honoré. C’est avec un air affecté d’indifférence que, redevenue maîtresse d’elle-même, elle accueille tour à tour les porteurs de nouvelles. Elle n’ose se soustraire à tout ce monde d’habitués devenus des curieux. Tout à coup cependant, n’y tenant plus, bien qu’elle cherche à donner le change, elle prend à part Mlle de Launay, l’emmène dans sa garde-robe, lui demande avec anxiété si elle n’a rien appris de particulier. Un courrier ! c’est la catastrophe. Porto-Carrero est arrêté. L’hôtel de l’ambassade d’Espagne est cerné ; son quartier est rempli de troupes. Stupéfaction profonde !

Deux jours après, 10 décembre, se contraignant toujours et jouant au biribi comme à son ordinaire, elle entend dire que Brigault, sa dernière ressource, s’est laissé prendre aussi après avoir nommé tous les conspirateurs, pour sauver sa tête. « C’est le plaisant de l’affaire, ajoute le nouvelliste, M. de Châtillon, on a arrêté un certain abbé Bri… Bri…[18]. Il a tout dit, et voilà des gens bien embarrassés. » Et M. de Châtillon s’esclaffe. — « Oui, répond froidement la princesse qui pâlit sous son fard ; c’est fort plaisant en effet ! » — « Oh ! cela est à mourir de rire, insiste le fâcheux. Figurez-vous ces gens qui croyaient leur affaire bien secrète. En voilà un qui en dit plus qu’on ne lui en demande, et nomme chacun par son nom. » Le dernier trait de cette scène à la Molière plonge la duchesse du Maine dans des transes d’autant plus inattendues, que, sur la foi d’un billet du comte de Laval, elle croyait hors de cause l’abbé Brigault, et ses papiers. Et tout est perdu ! Fière et cabrée, la princesse va faire encore bon visage pendant plusieurs jours. Elle se raccroche au dévouement de Mlle de Launay.

D’après la saisie de Poitiers, il fut aisé de comprendre qu’il s’agissait de faire révolter une partie du royaume et d’exciter une guerre civile générale. Cellamare écrivait à Alberoni : « Votre Éminence trouvera dans ce paquet deux différentes minutes de manifestes, que nos ouvriers ont composées, croyant que, quand il s’agira de mettre le feu à la mine, elles pourront servir de prélude à l’incendie… En cas que, pour notre malheur, nous soyons obligés de recourir aux remèdes extrêmes, et de commencer les entreprises, il sera bon que Sa Majesté choisisse une de ces deux voies, et qu’Elle examine l’écrit où nos partisans lui proposent les moyens nécessaires pour l’accomplissement de nos désirs. » Cellamare envoyait en même temps à Alberoni un catalogue des noms et des qualités de tous les officiers français qui demandaient, disait-il, de l’emploi dans le service de Sa Majesté.


IV

Chose étonnante ! Tandis que les arrestations se succèdent[19], les révélations du complot laissent Philippe d’Orléans assez indifférent sur ce qui le menace de la part de ses ennemis. « Ils n’oseraient ! » se plaît-il à répéter. La Palatine est moins calme et s’indigne des embûches tendues à son fils. « On dit que c’est une bagatelle !… chercher à révolter tout le royaume et tous les Parlemens contre le Régent !… Une bagatelle ! méditer le projet de l’assassiner !… On a les brouillons de toutes les méchantes lettres espagnoles écrites par Malézieux, devant le lit de la duchesse du Maine, et corrigées, ou de la main même de la Duchesse, ou de celle du cardinal de Polignac. » Un message de Cellamare à Alberoni atteste en effet que le duc et la duchesse du Maine sont les chefs de la conspiration. On y lit que « le roi d’Espagne a donné de l’argent au Duc, pour l’aider à payer ou à corrompre ses agens. » Plusieurs de ces individus reconnaissent même avoir conduit Cellamare chez la Duchesse, et avoir tout négocié entre les conjurés. Le doute n’est plus possible. Le jour de Noël, après la séance du Conseil, poussé par Dubois et Saint-Simon, le Régent, sortant de sa torpeur, apprend en grande confidence au duc de Bourbon que son oncle et sa tante ont été reconnus complices du prince de Cellamare. Il consulte M. le Duc sur le sort qu’il convient de leur assigner. Il connaît la haine du duc de Bourbon pour ses parens de Sceaux. Il ne doute pas de la réponse. Saint-Simon se fait un malin plaisir de l’enregistrer, avec tous les jeux de physionomie des personnages de cette piquante scène. Dans le conciliabule du Palais-Royal, on écarta du moins la mort, et l’on n’osa proposer que la réclusion, là où Richelieu n’eût pas manqué d’ordonner l’échafaud. La prison de Doullens, en Picardie, fut arrêtée pour le duc du Maine, vrai mannequin d’une comédie qui pouvait encore plus tragiquement finir. Quant à la Duchesse, la discussion fut vive. Saint-Simon déclara nettement qu’en sa qualité de princesse du sang, elle méritait, sinon la peine capitale, tout au moins la détention perpétuelle. Le lieu de réclusion lui semblait très délicat à choisir, en raison de l’humeur de cette princesse « propre à tout entreprendre pour se sauver et faire rage sans crainte… » Entre deux sourires équivoques et deux clins d’œil malicieux, le château de Dijon est proposé. Le duc de Bourbon, pris de pudeur, se récrie. Sans doute « il faut mettre Mme du Maine en lieu extrêmement sûr, mais, de le faire le geôlier de sa tante, cela ne se peut accepter. » Saint-Simon insiste et l’emporte pour Dijon. « M. le Duc, déclare-t-il, se laisse vaincre à la fin, et consent à l’étroite prison de sa chère tante » dans le château de la capitale de la Bourgogne.

Le 26 et le 27 décembre se passent à prendre des mesures, à donner les ordres nécessaires « avec tout le secret possible. » Cependant, le régiment des gardes et deux compagnies de mousquetaires reçoivent une consigne particulière qui ne laisse pas de transpirer. Avisée par plusieurs voies différentes du danger qu’elle court, Mme du Maine s’est réfugiée à Paris, dans sa maison de la rue Saint-Honoré. Là, dit Saint-Simon, elle est « aux aguets et le bureau d’adresse des siens. » Sa surexcitation a fait place à l’accablement. En essayant de la rassurer, l’entourage espère quelle sera simplement consignée, eu égard à son rang, dans quelque maison royale, avec une suite convenable. Tantôt elle cherche à se raccrocher à ses projets incendiaires ; tantôt, sans plus d’illusion, elle borne la fertilité de son esprit à faire des plans d’arrangement, pour rendre son inévitable réclusion moins lourde. Souvent même elle en plaisante avec tout son esprit habituel.

Ayant obtenu une audience du Régent, elle retourne au Palais-Royal, fait de grandes phrases à son beau-frère, prend des poses théâtrales. Philippe la reçoit avec calme, lui reproche froidement d’avoir proclamé à Sceaux « qu’elle ne serait jamais en repos qu’après lui avoir fait passer le goût du pain. » — « Oh ! réplique-t-elle négligemment, on dit, dans la colère, bien des choses qu’on n’exécutera jamais ! » — « On ne me fait rien croire ni décroire, » reprend le Régent en lui tournant le dos. — Furieuse cette fois, la duchesse rentre à Sceaux, où elle apprend que ses fils, le prince de Dombes et le comte d’Eu, sont consignés au château d’Eu « avec un gentilhomme ordinaire du Roi. » Devant cette mesure, symptôme précurseur d’une double arrestation, elle engage son mari à fuir. Le duc du Maine s’y refuse. « S’évader, répond-il, ce serait se déclarer coupable. » La réflexion était juste ; mais il ne pouvait guère non plus se dire innocent.

Les lettres de cachet signées du Régent dirigeaient le mari et la femme sur les deux lieux de détention séparés qui leur avaient été assignés au Conseil. Les prises de corps de l’un et l’autre, du Duc à Sceaux, de la Duchesse à Paris, donnèrent lieu à des scènes toutes différentes, suivant les tempéramens opposés des deux époux. Le 29 décembre, au matin, un lieutenant des gardes du corps, M. de la Billarderie l’aîné, venait arrêter le prince à Sceaux, au sortir de sa chapelle où il avait entendu la messe, avec ordre de le conduire sous bonne escorte au château de Doullens, en Picardie, pour l’y incarcérer. Le duc du Maine obéit, la mort dans l’âme, avec autant d’humilité que de marques de dévotion extérieure. Nous ne le suivrons pas dans son triste emprisonnement. Le soir même, une dame inconnue envoyée par la marquise de Lambert, amie de la maison, vint en cachette réveiller Mlle de Launay, à Paris, et la prévenir qu’on allait arrêter sa maîtresse. La princesse retient ses invités autour d’elle, et on fait une sorte de « veillée des armes » qui se passe, en somme, assez bien. Mlle de Launay veut faire lire à Mme du Maine, pour la distraire, un livre de Machiavel : Chapitre des conjurations. « Otez vite cet indice contre nous, lui dit Mme du Maine en riant, ce serait un des plus forts. » Cependant, la nuit s’avance. Dans un nouveau mémoire qu’elle rédige pour sa mère, en attendant le jour, la Duchesse demande qu’une fois arrêtée, on lui fasse son procès. Elle veut des juges, sachant bien, allègue-t-elle avec aplomb, que l’examen juridique de sa conduite obligera le Régent à la laisser en liberté. Le lendemain, à dix heures du matin, comme Mme du Maine s’est endormie après avoir passé la nuit à jouer au biribi et à écrire, Mlle de Launay s’est retirée chez elle. A peine est-elle couchée qu’on frappe à sa porte. « C’est de la part du Roi ! » On emmène Mlle de Launay à la Bastille. Déjà la maison est cernée, remplie de gardes et de mousquetaires. Le duc de Béthune, capitaine des gardes du quartier, et La Billarderie, le cadet, frère de celui qui a arrêté le duc du Maine, sont porteurs d’un ordre pour procéder à l’arrestation de la Duchesse. Il y a là, sous les fenêtres, dans la rue, deux compagnies de mousquetaires en armes. Le duc d’Ancenis, capitaine des gardes du corps, pénètre dans l’appartement de la Duchesse. La veille au soir, il avait soupé chez elle. En le voyant se dresser au pied de son lit, Mme du Maine « le reçoit fort aigrement, » dit Saint-Simon, et s’écrie : « Mon Dieu ! que vous ai-je fait pour me réveiller de si bonne heure ?… Pour quel motif m’arrête-t-on ? » On lui répond que tout est découvert, que les prisonniers ont jasé. Tel est son saisissement, qu’elle manque d’étouffer, tout en se levant et en s’habillant à la hâte. Elle s’écrie : « Je suis la petite-fille du grand Condé. Je sens que je n’ai jamais dégénéré en rien de mon aïeul. Abattue, jamais ! Que ne suis-je un homme ! » Puis, sur un ton plus doux, elle ajoute : « M. le Duc d’Orléans croit que je le hais. S’il voulait suivre mes avis, je le conseillerais mieux que personne. »

Elle veut prendre sa cassette, le duc d’Ancenis s’y oppose. Elle réclame au moins ses pierreries, qui lui sont, prétend-elle, indispensables. Cela fait l’objet d’un long débat. Tant qu’elle peut, et sous divers prétextes, elle diffère son départ, pendant plusieurs heures, malgré les instances d’Ancenis, qui, pris d’impatience, finit par lui saisir la main et lui dire poliment, mais avec fermeté : « Madame, c’est l’heure ! » A sa porte, deux carrosses de remise à six chevaux, dont la vue la suffoque. Une princesse de son sang, voyager en voiture de louage ! Elle y monte presque de force ; Ancenis prend place à côté d’elle ; sur le devant s’asseyent le lieutenant et un exempt des gardes. Dans le second carrosse, on installe, avec des bagages, deux de ses femmes de chambre qu’on lui a laissé choisir, et fouette cocher ! On évite les grandes artères : on traverse la rue Saint-Antoine et l’île Notre-Dame. On longe les remparts et l’on sort de Paris par la porte Saint-Bernard. Personne ne s’aperçoit de cet exode et de l’indifférence populaire, « Mme du Maine ne peut s’empêcher de marquer sa surprise et son dépit. » Pas une larme d’ailleurs. Elle déblatère par instans et par soubresauts contre la violence qui lui est faite. La voilà séparée des siens et même de sa confidente habituelle, déjà embastillée. En parlant de cet arrachement, Mme de Staal écrira plus tard : « Ce fut la première émotion que j’éprouvai. La reine de Sceaux prit, pendant tout le trajet, les airs d’une souveraine détrônée en partance pour l’exil.

A Essonne, première couchée, le 30 décembre, le duc d’Ancenis quitte la Duchesse, pour aller rendre compte de sa mission au Régent. Il remet Mme du Maine entre les mains de l’exempt des gardes, le jeune de la Billarderie, qui a bon cœur et se laissera facilement attendrir. Mme du Maine en abusera tout le long du chemin. Elle demande à aller moins vite, à s’arrêter plus longtemps à chaque étape. Elle veut savoir où on la mène. On lui répond : « A Fontainebleau, » pour ne pas lui dévoiler encore sa vraie destination. Très exigeante, elle réclame un chirurgien, un tapissier qui lui prépare sa chambre, à l’arrivée au gîte. Le 4 janvier 1719, sa mère va le demander au Régent ; mais Philippe, ennuyé de cette démarche, ne s’engage à rien. Tout le long du trajet, Mme du Maine passe de l’imprécation à la tristesse contenue. Elle se plaint de tout : de la rudesse de la voiture, de l’indignité du traitement. Il est vrai que la berline était si mauvaise qu’elle faillit se briser en cours de route. Le ministre Le Blanc dut emprunter le carrosse de Mgr Bouthillier de Chavigny, archevêque de Sens, pour la fin du trajet, entre Auxerre et Dijon. « Je sais bien, écrit-il, que la proposition est un peu extraordinaire ; mais je suis persuadé en même temps que, dans la triste situation où cette princesse se trouve, vous vous porterez aisément à me procurer cette espèce d’adoucissement. »

L’ordre était d’abord, pour La Billarderie, de marcher sans s’arrêter, à moins, disent les instructions de Le Blanc, que la Duchesse ne s’arrêtât « à un tel point qu’elle fût absolument hors d’état de soutenir la voiture. » C’est ce qui arriva à Auxerre, ou du moins La Billarderie le crut. Un docteur en médecine, membre de l’Académie des inscriptions, M. Falconnet, fut dépêché auprès de la malade. En dépit de ses récriminations, et comme le ministre l’avait recommandé, elle était entourée de soins et d’égards.

Par lettre du 29 décembre, Le Blanc avait annoncé à M. de la Briffe, l’intendant de Bourgogne, la prochaine arrivée de la prisonnière à Dijon, « où elle devait être détenue jusqu’à nouvel ordre sans avoir communication avec qui que ce fût, de vive voix ni par écrit. » Un ingénieur eut ordre de se transporter au château de cette ville, pour examiner l’aménagement à y faire, « en travaillant jour et nuit, sans relâche. »

Les gémissemens un moment calmés reprennent de plus en plus à l’arrivée en Bourgogne. Peut-être Mme du Maine avait-elle espéré « jouer à la captive » dans quelque résidence royale. Et maintenant, elle se rend compte que c’est à Dijon qu’on la conduit, et qu’elle a été trompée. Elle ignore que M. le Duc a demandé lui-même au Régent de ne pas l’incarcérer dans son gouvernement ; elle considère comme une mortelle injure d’être enfermée dans la capitale de son neveu. Elle s’écrie, comme Io :


Aux fureurs de Junon Jupiter m’abandonne.


Les plâtres, en plein hiver, n’ont pas eu le temps de sécher sur les murs de la chambre affectée à la prisonnière. En pénétrant dans cet appartement humide et froid, elle s’emporte contre l’horreur du lieu, contre la méchanceté de M. le Duc. Elle vomit contre ce duc, dit Saint-Simon, tout ce que la rage, soutenue d’esprit, peut imaginer de plus injurieux.

Ayant secoué toute pudeur vis-à-vis de sa tante, c’est M. le Duc qui se chargea lui-même des instructions adonner au commandant du château de Dijon, un officier en retraite nommé Desgranges, et à M. de Bierre, trésorier des États de Bourgogne. On envoie à Desgranges « douze officiers de l’hôtel des Invalides, » pour coopérer, avec ceux de la garnison du château, à un « service exact et régulier. » Trois valets de pied de la Duchesse ont tenu à la suivre et sont en route. « On n’a pas voulu les lui ôter pendant le voyage ; mais on ne leur permettra pas d’entrer au château de Dijon. Une tribune sera installée dans la chapelle « ou quelque autre endroit séparé, » d’où la recluse et ses femmes de chambre puissent assister au service divin « sans aucune communication avec qui que ce soit. » Les « officiers de la bouche » resteront au château pour y servir la Duchesse. Elle pourra recevoir les lettres de sa mère et il lui sera permis d’y répondre, seulement en présence d’un de ses gardiens. Papier, plume et encre lui seront retirés ensuite. Indifférente aux attentions et aux prévenances, elle ne cessa de se plaindre entre ses quatre murs, affectant pour tout ce qui l’entourait, dans ce lieu de malheur, un profond dédain. Malgré les adoucissemens pour son sort, elle aura le front de prétendre plus tard « avoir subi toutes les horreurs de la captivité. » Que n’inventera-t-elle pas pour le démontrer ? Il est vrai qu’elle tomba malade ou fit semblant de l’être. A peine rétablie de ces premières secousses, elle se mit à manier des cartes du matin au soir. « Quand le jeu s’arrête, rapporte la Palatine, la colère la reprend. Elle tombe alors sur mari, enfans, domestiques. » Le personnel de la citadelle ne sait plus à quels saints se vouer, tant elle se montre terrible dans ses accès de violence. Aussi longtemps qu’elle réside à Dijon, elle joue le rôle de « Roland furieux. »

Deux jours après son arrivée au château fort, La Billarderie, chaudement félicité par le ministre Le Blanc, pour le tact et la délicatesse dont il avait fait preuve envers sa prisonnière, s’en retourna à Paris, chargé de remettre à Mme la Princesse un coffret contenant les pierreries de sa fille, qui valaient plus d’un million. On avait laissé seulement à Mme du Maine une boucle de diamans, un collier de perles et deux portraits qu’elle avait souhaité garder.

Tandis qu’elle « rageait sous les verrous, » Mme la Princesse allait trouver le Régent pour lui demander à la reprendre chez elle à Anet. Philippe lui répondait : « Si Mme la Duchesse s’était bornée à conspirer contre ma vie, passe encore ; mais elle a manqué à l’Etat : je suis obligé de la laisser en prison. » Anne de Bavière s’adressa ensuite à la Palatine, la suppliant d’obtenir au moins du gouvernement l’envoi à Dijon du reste de la maison de Sceaux : les dames d’honneur de la Duchesse, ses autres femmes de chambre, ses valets, son barbier qu’elle réclamait. L’Allemande répondit par un éclat de rire à de telles exigences. Cependant, avec ou sans l’intervention de Madame, le sort de Mme du Maine fut adouci peu à peu. On lui envoya Mme de Chambonas, une de ses dames d’honneur, son médecin et trois personnes de service. « Ce fut là, dit Dangeau, une consolation pour cette princesse » qui souffrait de grandes incommodités et avait « l’habitude d’être toujours environnée de monde. » Son moral n’en fut guère amélioré. Elle eut des vapeurs. Sa tête s’égarait parfois. Elle réclamait sa mère à grands cris. Elle lui faisait passer des billets où elle accusait très injustement le duc du Maine, tandis que le pauvre époux, plus victime que coupable, gémissait, mais avec résignation chrétienne, dans sa prison de Picardie.

Sans resserrer davantage la captivité de la prisonnière, le gouvernement prenait ses sûretés à l’égard d’une personne si remuante. Une seconde dame d’honneur, Mlle Desforges, envoyée de Paris, fut fouillée à son arrivée à Dijon. Une voiture de meubles et de hardes étant expédiée à l’adresse de la Duchesse, « l’ordre du Régent fut de faire visiter exactement le tout et de faire principalement feuilleter les livres, pour y rechercher les papiers suspects. » Le ministre épiait jusqu’aux lectures. « Il n’y aura pas grand inconvénient à lui laisser lire la Gazette de Paris ; à l’égard de celle de Hollande, vous ferez bien de ne pas la lui donner. Vous pouvez lui dire qu’on ne la reçoit pas à Dijon. » Son médecin Seron et son dentiste Landumier furent autorisés à soigner leur cliente, « mais à la condition d’être internés eux-mêmes au château sans pouvoir passer aucune lettre. » Pour le confesseur, l’ordre était de ne proposer qu’un prêtre sûr, incapable d’intrigue. Les missives de la Duchesse, écrites en présence de son gardien, passaient sous les yeux du Régent, avant d’arriver à destination. M. le Duc prit soin lui-même d’accréditer auprès de Desgranges, comme suppléant éventuel, un commandant en second, M. de Valibouze, capitaine au régiment royal.

Pour répondre aux lamentations de Mme du Maine dont Le Blanc recevait l’écho : « Il me paraît, mandait-il le 12 février 1719, au commandant Desgranges, qu’on ne saurait rien ajouter aux attentions… aux commodités qu’a pu permettre la disposition de l’appartement… mais, quelque chose qu’on fasse, tant qu’elle sera dans le château de Dijon, il ne sera pas possible de rendre Son Altesse Sérénissime contente. » Hélas ! un prisonnier aime-t-il jamais son séjour ? Tout dévoué à M. le Duc, Desgranges faisait « veiller » Mme du Maine ; il avait constamment l’œil sur elle et sur ses femmes de service. On redoutait surtout qu’elle pût rassembler une somme assez considérable pour suborner les troupes préposées à sa garde. Il est vrai qu’au dehors, on se préoccupait de préparer son évasion. Un jour, un ami dévoué du duc du Maine, M. d’Affry, colonel des gardes suisses, passe par Dijon, en rentrant de Genève, et y apprend les infortunes de Mme la Duchesse. Des partisans le circonviennent, l’intéressent au sort de la prisonnière. On remet à d’Affry un billet non signé, lui indiquant qu’on sait son désir de la voir pour se concerter avec elle ; que rien, s’il le veut, n’est plus facile. À tel endroit, au coin de telle rue de la ville qu’on lui désigne, il trouvera l’un des gens de Mme du Maine avec sa livrée ; le domestique aura ordre de lui faire endosser son habit avec lequel il pénétrera sans difficulté au château. Il n’y avait, lui disait-on, aucun danger. Cependant d’Affry se méfia de la vigilance du gouverneur de Dijon, qui serait sûrement instruit de la sortie du domestique, de la remise du billet, de la rentrée clandestine. Il trouva plus prudent de gagner Paris sans accepter l’offre. L’aventure n’eut d’autre suite que de parvenir aux oreilles du Régent, et M. d’Affry reçut une punition pour ses accointances illicites. Rebutée par l’échec d’une tentative dont elle était complice, la recluse se retourna du côté du pouvoir et n’eut plus qu’une idée : rentrer en grâce. Elle expédia un message à Philippe d’Orléans pour lui faire amende honorable et tâcher de justifier sa conduite, ce qui était difficile, à moins de mentir effrontément. Compta-t-elle, pour s’excuser, sur les ressources de son imagination ? En voici un spécimen. Elle écrivait, de sa plume fiévreuse : « Je vous jure devant Dieu, Monsieur, que dès le premier moment de mon malheur, je formai le dessein de me confesser à vous, et de me remettre entièrement entre vos mains. Comptant sur votre bonté et votre générosité, je voulus vous écrire, dès les premiers jours que je fus à Dijon. M. Desgranges n’y voulut pas consentir… je me flatte de ne rien oublier d’essentiel. Comme cette affaire est remplie d’une infinité de circonstances embrouillées, au cas qu’il m’en échappât quelqu’une, je vous supplie, Monsieur, de ne le pas imputer à un manque de volonté ou de sincérité, mais à un défaut de mémoire et à l’accablement où je suis de mes longues souffrances. »

Comme le ton a changé ! La lettre se poursuit ainsi, humble et prolixe, et si peu d’accord avec les coutumières fanfaronnades de la hautaine grande dame qui ne signe pas moins son long factum : « Louise Bénédicte de Bourbon. » D’ailleurs, nulle explication plausible de ses actes. Qu’eût-elle avoué devant un tribunal ? À la clarté d’un procès sensationnel, le Régent et Dubois avaient préféré la justice sommaire, la simple lettre de cachet. Les coupables y gagnèrent ; car une peine prononcée par la Cour suprême, pour crime de haute trahison contre l’État, eût été sans doute beaucoup plus forte qu’une incarcération mitigée et temporaire. Celle-ci était encore trop courte pour que la grâce pût intervenir déjà. La Duchesse le comprit elle-même et se rejeta d’un autre côté après cinq mois passés à Dijon, au milieu d’une foule « d’incommodités, » qui sont celles en somme des prisonniers ordinaires, mais qu’elle n’avait pas pu soupçonner dans sa fastueuse existence de Sceaux ; elle conjura sa mère de lui obtenir au moins un changement de résidence. Elle se flattait de l’espoir d’être rapprochée de Paris. Le gouvernement ne lui laissa que le choix entre le château de Dijon et une autre forteresse du même genre : la citadelle de Chalon-sur-Saône.


V

Le désir de troquer sa pénible situation contre le hasard d’une autre, l’occasion de revoir des gens dévoués qui devraient escorter son carrosse, la déterminèrent quand même à accepter cette translation, ou du moins à la subir. C’est encore La Billarderie le jeune qui vint la prendre dans les premiers jours de mai 1719, avec un détachement de gardes du corps, et qui l’accompagna à sa nouvelle résidence. Dès son entrée à Chalon, elle se déclara très mortifiée de ne pas se voir internée simplement dans la ville et d’être encore incarcérée aussi durement qu’à Dijon. Cette fois La Billarderie fut maintenu auprès d’elle comme surveillant. Ce brave garçon l’entoura de soins, lui obtint une calèche pour la promenade. Si la nouvelle installation est presque aussi insalubre que la précédente, du moins le traitement s’est encore amélioré.

Le Régent désigna pour commander la citadelle de Chalon, pendant le séjour de la Duchesse, un colonel en réforme nommé Desangles, « homme d’un vrai mérite. » Le ministre Le Blanc lui traça sa ligne de conduite en ces termes : « Les discours de la Duchesse ne doivent point vous écarter de la règle qui vous est prescrite. Il faut passer quelque chose à une personne fatiguée de la prison : sa situation ne lui permet point de n’être pas souvent mécontente. En ne manquant à rien de tout ce qu’exige la naissance de la princesse, il n’y a pas à s’inquiéter de l’humeur qu’elle fait paraître. »

Une fois à Chalon, la recluse témoigna une grande inquiétude au sujet de la santé de sa mère. Elle parlait fort peu de ses enfans et de son mari, qu’elle n’épargnait pas, cependant, dans ses allusions. Elle se figurait que ses lettres n’étaient pas remises à Mme la Princesse et voulait s’en plaindre au Régent. La fièvre la visitait souvent. Desangles écrivait que sa prisonnière « ne se portait pas très bien, qu’elle avait toujours des inquiétudes, qu’il était bien difficile de calmer. » — « Ah ! s’écriait-elle ironiquement, que M. le Duc d’Orléans juge de mes peines par mes plaisirs ! » Ses plaisirs, elle en avait peu. Elle consentait encore à jouer aux cartes, mais avec un air de martyre. Elle avait perdu sa hautaine insolence. Elle pleurait, priait, suppliait. O verrous de toutes les geôles anciennes et modernes, quelle puissance vous avez sur le cœur humain ! Elle élevait un ânon dans le préau de la citadelle. Elle voulait l’emmener à Sceaux, comme souvenir d’un lugubre séjour. L’animal donna lieu à ce distique de Voltaire, adressé plus tard à la Duchesse en mémoire de sa réclusion :


Dans ces murs malheureux, votre voix enchantée
Ne put jamais charmer qu’un âne et les échos.


Il lui fallait des secours religieux : elle fut bien mal servie dans la circonstance. Un singulier aumônier, l’abbé Desplannes, désigné pour l’assister dans sa prison, avait reçu des instructions secrètes pour servir d’espion contre elle, et semble s’être acquitté de ce vilain rôle avec trop de zèle. Ne se chargeait-il pas de lui faire passer de fausses nouvelles, comme celle par exemple de la prise de Fontarabie, pour attester à ses yeux le succès de nos armes et la dégoûter des Espagnols. De plus en plus unie à l’Angleterre, la France venait de leur déclarer la guerre, tandis qu’Alberoni bravait la quadruple alliance, et songeait maintenant à détrôner, non plus le Régent, mais George Ier.

A Chalon, les bruits du dehors parviennent souvent à la recluse par des correspondances secrètes. Ils ne font que renouveler son tourment. « Les nouvelles dont les prisonniers sont si affamés, leur servent de poison, observe finement Mme de Staal. Leur état le plus doux est celui où rien ne transpire jusqu’à eux. » « Mme du Maine est tombée dans une sorte de désespoir, » écrit le commandant Desangles. « Elle pleure amèrement. Elle fait des sermens de son innocence dans les termes les plus forts et les plus sacrés. Elle dit qu’elle voit bien qu’il faut mourir ici… mais qu’avant de mourir, elle chargera son confesseur de dire à toute la France qu’elle meurt innocente de tout ce dont on l’a accusée, qu’elle en jurerait même sur l’hostie, etc. »

Au cours de l’été de 1719, l’abbé Desplannes fait passer au ministre Le Blanc, par le contrôleur général, une lettre secrète dans laquelle il lui annonce les révélations les plus sensationnelles, contre une dame de la Cour, la marquise de Charost, qui cherche à s’approcher de Chalon pour être utile à la recluse. Il avoue qu’il est depuis longtemps serviteur de cette dame, et qu’il s’est souvent reproché de la soupçonner. « Mais, ajoute-t-il, plus ami de la vérité que Caton, c’est-à-dire plus dévoué à Son Altesse Royale qu’à personne, je n’hésite pas à vous découvrir ce que je viens d’apprendre, convaincu de votre prudence, osant me flatter de l’honneur de votre protection… persuadé que si la dame dont il s’agit cherche à rendre service à la princesse, ce ne sera pas apparemment contre les intérêts de Sa Majesté. »

Il est certain que Mme de Charost tâchait d’attirer l’abbé Desplannes dans sa magnifique terre de Laborde, à sept ou huit lieues de Chalon, et qu’elle avait pour cela ses raisons. C’est de là que le président Bouhier de Chevigny écrivait au major Desangles, au nom de Mme de Charost, pour faire savoir à la duchesse du Maine qu’une amie secrète demeurait à sa portée, très disposée à lui rendre tous les services possibles, bien qu’en regrettant « que les gardes fussent si impénétrables. » Ce mot sous-entendait une seconde idée de projet d’évasion. La lettre du président Bouhier fut apportée à la citadelle de Chalon par un tapissier, et l’aumônier, qui avait surpris « ce commerce clandestin, » se vanta d’y avoir fait mettre ordre. Les choses n’allèrent pas plus loin, et l’abattement de la Duchesse ne fit qu’augmenter. Il ne laissait pas d’inspirer des inquiétudes pour sa vie. Mme la Princesse vint la visiter à Chalon, et, à force de réclamations, obtint que la réclusion de sa fille fût abrégée pour raison de santé. La mansuétude du Régent commua sa prison en exil et l’envoya, au bout de trois mois, dans une campagne bourguignonne, où elle put déjà jouir d’une demi-liberté, communiquer avec le dehors, se promener à l’extérieur, recevoir même des visites. Ayant le choix entre deux châteaux, elle opta pour Savigny-lès-Beaune, vieille demeure seigneuriale flanquée de quatre grosses tours, bâtie au XIVe siècle, démantelée au XVe, luxueusement aménagée et remplie d’objets d’art. Le marquis de Migieu, président au Parlement de Bourgogne, en était alors possesseur. De bon ou de mauvais gré, il s’en retira pour mettre sa demeure à l’entière disposition de l’exilée. Elle passa environ six mois à Savigny. Elle y put augmenter encore son personnel domestique et y avoir ce qu’elle appelait fièrement « le particulier d’une princesse. » Son nom est resté très populaire dans le pays. Les vignerons, en montrant de loin la tour Sud du château, ne manquent pas de dire à l’étranger : « Voilà la chambre de la Duchesse ! » On y a conservé son portrait et son clavecin.

Ce coin de Bourgogne est réputé non seulement pour ses vins, mais aussi pour la vue d’un site charmant, le vallon de la Fontaine-Froide à la sortie du village de Savigny ; un chemin courant sous une voûte de verdure mène à cette source renommée. A l’ombre d’un tilleul trois fois séculaire, elle sort de la montagne et tombe dans un bassin, d’où elle s’épand en cascades cristallines. La Duchesse aimait, dit-on, à diriger sa promenade quotidienne vers ce paysage solitaire. Là, ses idées poétiques la reprenaient, et elle exprimait souvent le regret de n’avoir pas, pour les nymphes de Sceaux, dans le séjour de son ancienne splendeur, cette eau pure et murmurante. « Que ne t’ai-je à Sceaux ? » s’écriait-elle. Ces paroles sont aujourd’hui gravées sur la pierre non loin de la Fontaine-Froide.

L’exil, c’est toujours l’ennui, si ce n’est plus la souffrance. Dans l’automne de 1719, la tenace solliciteuse demande encore à être rapprochée de la capitale. On l’y achemine par une nouvelle résidence. La voilà une troisième fois transférée, enfermée au château de Chamlay, près de Joigny, autre vaste demeure entourée de jardins dessinés par Lenôtre. Le séjour était enchanteur, mais rien ne pouvait consoler Mme du Maine de l’isolement. Mme la Princesse eut la permission d’aller visiter de nouveau sa fille. Son premier soin, en arrivant à Chamlay, fut de la presser de tout avouer. La Duchesse protesta longtemps « qu’il n’y avait rien eu, dans tout ce qu’elle avait fait, ni contre le Roi, ni contre l’Etat, rien même qui pût essentiellement préjudicier au Régent. » La mère représentait surtout la nécessité de tirer de prison le duc du Maine, qui, à Doullens, avait été dangereusement malade ; mais sa fille se retranchait derrière les inconvéniens d’une telle démarche, « voulant savoir avant tout si les personnes engagées avec elle s’étaient dénoncées elles-mêmes. »

Le ministre Le Blanc chargea La Billarderie de laisser entendre à l’exilée de Chamlay qu’elle obtiendrait son entière liberté et celle de ses adhérens, par une déclaration de leur part ou par la sienne propre, « si elle voulait donner, par écrit, un détail exact et sincère, qui ne serait vu que de lui-même. »


VI

Comme pour l’inciter à céder à cette pression insidieuse, on avisait Mme du Maine que Laval et Malézieux avaient parlé. Elle surmonta alors ses dernières répugnances à s’expliquer. A peine entrée dans cette voie, pour affirmer sa sincérité, elle donna tout le détail de ses machinations plus audacieuses que réfléchies. De Paris, en langage chiffré, Mme la Princesse guidait les aveux de sa fille, d’après les révélations antérieures de ses complices. A certaines phrases convenues, dans la correspondance, était attaché un sens secret. L’une de ces phrases voulait dire par exemple : « Laval ou Malézieux a avoué. » Une autre : « Il n’a rien dit…, » etc. De tout cela, Mme du Maine fit sortir une déclaration en règle. Elle y parlait de son honneur, « infiniment plus précieux que ses intérêts ; » mais, en même temps, craignant de plus graves suites pour son affaire, elle livrait détails et circonstances. Elle mettait dans ses rares aveux moins d’artifice que de faiblesse. Elle avouait de son propre mouvement qu’un parti s’était formé pour elle en Bretagne, au risque d’envoyer à l’échafaud les partisans qui auraient eu son secret.

Cette fois, elle ne fait plus difficulté de déclarer que le projet d’Espagne est véritable. Elle nomme ses complices, en commençant par s’accuser elle-même, et en laissant percer l’incohérence de certaines lignes du plan de conspiration. Elle dit la vérité, en femme impatiente de recouvrer sa liberté, et qui, tout occupée de son propre sort, s’inquiète moins du reste. Tous ceux qui ont tenu les fils de sa trame passent dans sa Déclaration, et cette trame va se dévider sous les yeux investigateurs de Dubois et de ses policiers.

La moindre pudeur exige cependant que la Duchesse s’occupe du sort de ses complices et que le duc du Maine soit disculpé. Elle écrit au Régent : « Trouvez bon, Monsieur, que je vous témoigne encore que je ne suis pas moins sensible à ce qui a rapport aux personnes que je vous ai nommées, qu’à ce qui me concerne personnellement. Vous savez, Monsieur, que je me suis livrée à vous, avec une confiance sans réserve… Ayez donc la bonté, Monsieur, de rendre la liberté à ceux pour laquelle je l’ai demandée. » Quant au duc du Maine, elle ajoute : « Lorsqu’il entrait dans ma chambre, dans le temps que je parlais avec ces messieurs de ces sortes d’affaires, nous changions de discours. » Elle se fût bien gardée de lui dire un mot de nature à effrayer un homme si timide : c’eût été s’exposer à voir le projet « s’écrouler en un instant. » Dans son affolement, il aurait pu « tout révéler au Régent. » Le plus grand embarras de la cause avait été de se cacher de ce mari pusillanime. « Ce fut, dit Saint-Simon, à cette mômerie que s’aiguisa tout l’esprit de la Duchesse, comme celui du duc du Maine, quand il apprit ces aveux, à jurer de son ignorance, de son aveuglement, de son imbécillité. Pure comédie du ménage ! » L’auteur impitoyable des Mémoires porte le fer rouge dans la plaie et la fait fumer.

Le plaisant de la Déclaration de la Heine des abeilles, c’est sa préoccupation littéraire. « L’amour-propre est le mobile de tout, » dit La Rochefoucauld. Chez Mme du Maine, il confinait à la vanité. Même dans ces graves circonstances, où elle tenait entre ses mains la liberté de ses adhérens, elle se montrait préoccupée du style procédurier et souvent incorrect du comité des seigneurs de Sceaux. « Ah ! fi ! ceci n’est pas de moi ! » Elle avait bien soin de le préciser, en soulignant les solécismes de son bureau de conspirateurs.

Pleurez maintenant, nymphes de Sceaux ! Adieu, chimères de gloire ! Trêve aux Grandes Nuits, aux rêves du trône ! L’heure de l’expiation a depuis longtemps sonné pour l’ambition des princes légitimés. La Duchesse a complètement désarmé ; on peut même dire qu’elle a abdiqué. « Mon repentir est fort sincère, écrit-elle au Régent, dans un second message suppliant ; j’ai fait une pénitence très rude et très longue, et je puis vous assurer que le ferme propos de me corriger l’emporte, s’il est possible, sur tout le reste. Je crois, Monsieur, que vous n’aurez pas de peine à vous le persuader, et que vous comprendrez combien m’a coûté l’aveu que je viens de vous faire. »

Le Régent lui promettait une grâce prochaine. Elle reçut en effet, en décembre, une lettre de cachet qui la délivrait, et la renvoyait à Sceaux, en la consignant dans son propre palais. La Billarderie lui annonça sa grâce ; c’était tout pour elle. Elle laissa éclater une joie d’enfant. Quand ses équipages vinrent la chercher à Chamlay, sous la conduite de M. de Sailly, son écuyer, elle ne se doutait pas qu’on lui dissimulait l’objet d’un gros déboire, de peur que, par dépit, elle ne s’obstinât à demeurer en exil. C’était qu’elle ne retrouverait, à Sceaux, ni mari, ni enfans, lorsqu’elle y rentrerait.

Gracié en même temps que sa femme, le duc du Maine sortit de prison très énervé en janvier 1720, et demanda à se rendre, non dans le domaine où il serait sûr de rejoindre la Duchesse, mais dans son domaine particulier, à Clagny, « le palais d’Armide, » comme l’avait appelé Mme de Sévigné, ce grand château qui lui venait de Mme de Montespan. Là, il espérait échapper au joug de sa terrible épouse. Là aussi, il fit sa paix avec le Régent, et fut rétabli dans la plupart de ses charges. Rentrée à Sceaux, de son côté, la Duchesse n’y trouva qu’un foyer désert, et y apprit en outre que le Régent avait eu le mauvais procédé de lire en plein Conseil l’écrit très humble qu’elle s’était laissé arracher, sous promesse de secret. Elle ne pouvait supporter la pensée que ses ennemis avaient dû entendre l’énoncé de ses excuses. Ce fut la petite vengeance du Régent contre ses parens de Sceaux.

Mais elle oublia tout pour reconquérir son époux. Elle le voulait comme on désire une proie. « Je m’étais flattée, écrivit-elle à Philippe d’Orléans, que la grâce que vous me feriez, serait pleine et entière… et que je serais à Sceaux comme j’y étais après le lit de justice. » Le Régent refusa d’abord de se mêler de ce dissentiment conjugal. Elle insista, obtint une autre audience. « Promettez-moi du moins de ne pas vous opposer à ma réunion avec M. du Maine ! » — « La chose, Madame, répondit Philippe en goguenardant, dépend de vous, plutôt que de moi. J’ai appris de Sganareilo qu’entre l’arbre et l’écorce il ne faut pas mettre le doigt. » Cependant, le 23 mars suivant, Mme du Maine obtint licence de reparaître à Paris et de recevoir son mari, ce qui la mit au comble de la joie. Elle demanda elle-même à aller saluer et remercier le Régent au Palais-Royal. L’entrevue fut assez froide ; mais, en quittant Philippe d’Orléans, si l’on en croit le récit de la princesse de Bavière, la Duchesse se leva de son canapé pour lui sauter au cou et le baiser malgré lui sur les deux joues.

Quant au rapprochement des époux, l’assentiment du chef de l’Etat ne suffisait pas ; il fallait le consentement du mari. Or, le duc du Maine s’obstinait à se confiner à Clagny où il ne voulait pas recevoir celle dont il songeait au contraire à se débarrasser. Il lui proposait une séparation amiable, avec la compensation d’une pension pécuniaire. Mme du Maine refusa. Le Duc resta quelque temps encore à Clagny avec ses deux fils qu’on lui avait renvoyés. La réconciliation conjugale se fit seulement le 29 juillet 1720, dans une entrevue fort cérémonieuse à Vaugirard. Comme tous les caractères faibles, le prince finit par céder devant les prières de sa femme, qui ressemblaient presque à des menaces. Il rentra la tête basse à Sceaux et se tint désormais en garde contre les entreprises de la Duchesse, ne s’occupant plus que de ses travaux littéraires ou de l’administration de ses domaines. Le malheur rend philosophe. Il composa, à l’instar de La Rochefoucauld, des Maximes dont le manuscrit est encore à la Bibliothèque nationale. La Duchesse célébra le retour de son mari, dans une pièce de vers : habile façon de reprendre ses anciennes habitudes littéraires, tout en effaçant la trace d’un passé devenu pour elle un cauchemar. L’héroïne de la conspiration de Cellamare reconstitua péniblement les débris de son ancienne Cour. Bien que plus ou moins victimes de sa déconfiture politique, la plupart de ses anciens hôtes ne demandaient qu’à renouer le fil de leur joyeuse vie de Sceaux. Nicolas de Malézieux, en retrouvant sa Reine, reprit sa plume de poète et lui improvisa le quatrain suivant :


Oui, oui, j’oublie et ma captivité,
Et mes soucis, mes ans et ma colique.
Songer convient à soulas et gaieté,
Quand je revois votre face angélique.


C’était finir par une scène de comédie. Le complot n’avait été qu’un intermède ennuyeux, venant interrompre les fêtes de Sceaux. Maintenant la vallée de la Bièvre était rendue à sa gaieté coutumière. Incorrigible, la petite Duchesse n’avait retiré d’autre enseignement de sa mésaventure, qu’un peu plus de dégoût pour les côtés sérieux de la vie, un peu plus d’attrait pour le plaisir et les amusemens.

Elle renoua en même temps, avec ses habitués, ses traditions de bel esprit, de protectrice des gens de lettres. Une certaine gêne, causée par une surveillance occulte, ne cessa toutefois de régner quelque temps encore parmi les hôtes de son palais, devenus aisément des suspects. La plus légère imprudence pouvait être de nouveau fatale au duc et à la duchesse du Maine. A une reprise de leurs projets, ils pouvaient jouer leur tête, et avec moins de chance encore de réussir que la première fois. Ils préférèrent s’abstenir désormais de toute opposition au pouvoir, de toute manifestation politique, et, en cela du moins, ils furent sages.

Malgré la police de Dubois, il s’en fallut bien que tous les coupables de la conspiration fussent punis. « Je tiens la tête et la queue du monstre, disait le Régent en plaisantant, mais je ne tiens pas le corps. » La plupart des prisonniers furent du reste relâchés au bout de quelques mois. Le Régent leur avait fait grâce, en faveur de leurs aveux.

La découverte du complot et le coup frappé sur le duc et la duchesse du Maine achevèrent d’éparpiller ce que Saint-Simon appelle dédaigneusement « la prétendue noblesse. » Beaucoup d’arrestations eurent lieu dans les provinces. De toutes, c’est la Bretagne qui fut la plus châtiée. A la suite de la conspiration de Poncalec, conséquence de celle de Cellamare, un certain nombre de gentilshommes bretons, que le comte de Laval avait intéressés au triomphe problématique de la duchesse du Maine, furent condamnés à mort, le 26 mars 1720, par une chambre ardente installée à Nantes, et décapités sur la place du Bouffay de cette ville : « grande leçon, écrit Marmontel, pour les hommes privés qui ont la faiblesse et la folie de se mêler des querelles des grands ! »

Personne n’éleva la voix pour prendre le parti des victimes que le caprice ou l’ambition des princes avait fait immoler en Bretagne. C’est que cent lieues séparaient Sceaux de Nantes, et puis l’égoïsme était devenu si général ! Des grands, il descendait jusque dans le peuple. L’idée de la confraternité humaine était loin de s’être emparée des esprits. Ce qui les passionnait alors, c’étaient le système de Law et les jouissances matérielles. Pendant l’automne de 1720, on publia les qualités des vins de la Cour. Voyant plaquée sur les murs de la capitale cette affiche engageante : « Le vin du duc du Maine est de bonne garde, » les amateurs ne pouvaient-ils chuchoter entre eux, qu’à côté de ce vin, les du Maine venaient de faire couler du sang !

L’opinion jugea très sévèrement la désinvolture avec laquelle la Duchesse avait dénoncé ses partisans. Rendons-lui cette justice, qu’elle pressa Mme la Princesse d’obtenir du Régent l’exécution de ses paroles, pour la mise en liberté des derniers prisonniers de la Bastille dont quelques-uns, comme le duc de Richelieu, y étaient restés fort peu de temps. Le Régent avait dit cependant de cet élégant, mais dangereux personnage : « J’aurais trouvé matière à lui faire couper quatre têtes, s’il les avait eues. »

Dans les premiers mois de sa rentrée à Sceaux, Mme du Maine n’y jouit que d’une demi-liberté, et sa situation y demeurait assez pénible. Elle regrettait surtout l’absence de ses fidèles serviteurs et amis, Mlle de Launay, Malézieux, encore incarcérés, Polignac, exilé à son abbaye d’Anchin. La Duchesse avait toujours tenu ses enfans à l’écart de sa vie de fête, et, chose triste à dire, leur éloignement semble lui avoir été moins sensible que celui des anciens compagnons de ses plaisirs.

La longue incarcération de Mlle de Launay à la Bastille nous a révélé, par ses mémoires, la faiblesse du cœur de cette romanesque et très littéraire jeune femme. La future Mme de Staal y raconte dans un style inimitable de netteté, de simplicité et en même temps de finesse spirituelle, les amours croisés avec ses compagnons d’infortune, les chevaliers du Ménil et de Maison-Rouge. Ce qui rend l’aimable auteur féminin indissolublement lié à l’histoire de la duchesse du Maine et de la conspiration de Cellamare, c’est la fermeté de caractère dont son âme fortement trempée fit preuve à la Bastille. Elle opposa, devant ses inquisiteurs, une résistance obstinée à la pression que le ministre Le Blanc cherchait à exercer sur elle pour lui arracher des aveux. Faisant bon marché de sa propre liberté, uniquement préoccupée du sort des malheureux dont la leur était aussi menacée, elle resta constamment bouche close ; et quand Le Blanc ou d’Argenson agitaient sous ses yeux la perspective de la prison perpétuelle, elle répondait avec une charmante ironie : « Eh bien ! monsieur, la Bastille est un établissement pour une fille comme moi, qui n’a pas de bien. »

Se souvenant un peu tard du si complet dévouement de Mlle de Launay, la duchesse du Maine daigna écrire un jour à la prisonnière de la Bastille, qui y était enfermée depuis près de dix-huit mois, la louant de sa fidélité, l’assurant des « marques d’amitié » qui lui seraient prodiguées à sa sortie. Vaines promesses, qui faisaient dire plus tard à Mlle de Launay devenue Mme de Staal : « A la Bastille, ma vie était douce et tranquille, j’y trouvais même plus de liberté qu’à fa Cour de Sceaux. » Lorsqu’elle franchit de nouveau le seuil de ce palais enchanté, que devait-elle y trouver ? L’ingratitude ! Il faut l’entendre raconter sa première entrevue avec sa maîtresse : « Ah ! voilà Mlle de Launay : je suis bien aise de vous revoir ! Je m’approchai ; la Duchesse était à la promenade. Elle m’embrassa, poursuivit son chemin et ce fut tout… On me fit veiller et lire comme auparavant. » Une fenêtre et une cheminée dans sa chambre, telles furent les seules récompenses qu’obtint la pauvre fille pour sa longue prison. Ce n’est que plus tard que Mme du Maine l’éleva, par un mariage convenable, de la situation subalterne de simple femme de chambre, à la dignité de dame d’honneur que son éducation et ses qualités lui méritaient à tous égards.

Les lettres de Mme de Staal ne sont pas moins spirituelles que ses mémoires. Si elles dénotent parfois une certaine amertume, c’est que le sort d’une personne qui se sent au-dessus de sa condition est toujours pénible. La Duchesse, en lui faisant épouser un officier de fortune de son choix, n’avait-elle pas aussi envisagé la possibilité quelque peu égoïste de garder auprès d’elle une personne dont elle avait depuis si longtemps l’habitude : elle qui disait sans vergogne : « J’ai le malheur de ne pouvoir me passer des choses dont je n’ai que faire ! » S’il y a eu réellement ce calcul intéressé, il lui aurait réussi, car Mme de Staal devait mourir à Sceaux, trois ans avant sa maîtresse, toujours rivée à sa chaîne et ayant depuis longtemps renoncé au bonheur.

La Bruyère semble avoir prédit la bonne fortune de la duchesse du Maine, la maîtresse de cette fine et intelligente suivante, lorsqu’il envie la chance réservée aux grands de sentir « à leur service des gens qui les égalent par le cœur et par l’esprit, qui les passent même quelquefois. »


VII

Bien piteusement avait avorté la nouvelle Fronde de 1718. Elle n’avait pas eu les mêmes ressorts que la précédente. Au temps de l’ancienne Fronde, l’intrigue tenait à des mœurs plus fortes. Les femmes elles-mêmes mêlaient la guerre civile à l’amour. Si elles étaient les premiers instrumens de l’intrigue, l’amour prenait chez elles une sorte d’éclat imposant, et s’ennoblissait, en se mêlant aux grands intérêts de l’ambition. Elles avaient pour amans, non seulement des penseurs, mais des soldats comme La Rochefoucauld, qui s’était battu au faubourg Saint-Antoine et pouvait écrire, en parlant de sa maîtresse la duchesse de Longueville :


Pour mériter son cœur, pour plaire à ses beaux yeux,
J’ai fait la guerre aux rois… je l’aurais faite aux dieux.


La mesquine galanterie du XVIIIe siècle dégradait l’ambition et les ambitieux. L’amour du cardinal de Polignac et de Nicolas de Malézieux pour la duchesse du Maine, s’il a existé réellement, n’avait rien de très relevé. Il s’affirmait en petits vers et non en estocades. Ces deux personnages n’ont défendu sa cause qu’à coups de plume et ne se sont jamais battus pour la fière et spirituelle princesse : ils ont risqué seulement pour elle quelques mois de prison ou l’exil. Et encore le galant et bel auteur de l’Anti-Lucrèce ne pouvait-il pardonner à sa « reine » un an de pénitence à l’abbaye d’Anchin, où Dubois l’avait envoyé, dans le Nord. La conspiration de Cellamare eut pour principaux leviers la vanité et la fortune. Si l’on ne peut nier que ce plan ait été hardiment conçu, et que, de la part d’une femme, il ait révélé une force de volonté, une fertilité de ressources remarquables, il faut avouer aussi qu’il fit plus d’honneur à l’imagination qu’au jugement de la conspiratrice.

A comparer l’utilisation de ses moyens d’action et les résultats obtenus, on peut supposer que, mieux conduite, cette aventure eût apporté bien du trouble dans l’Etat et mis le Régent dans de terribles extrémités. Tous les documens soi-disant secrets, tombés entre les mains du gouvernement, prouvèrent l’inexpérience des conjurés : « Que dites-vous du choix que l’ambassadeur d’Espagne avait fait de ses auxiliaires ? écrivait Caumartin à la marquise de Balleroy. Je n’en ai jamais vu de si ridicules[20]. » La duchesse du Maine était une femme d’infiniment d’esprit ; mais elle eût dû rester dans sa sphère, la république des lettres. Pour avoir méconnu l’adage éternellement vrai de La Fontaine :


Ne forçons point notre talent :
Nous ne ferions rien avec grâce,


elle abaissa plutôt qu’elle ne rehaussa sa maison, après avoir tant ambitionné ce relèvement du rang. Son prestige de princesse y perdit par l’humiliation de la défaite, et combien elle eut à faire ensuite, pour reprendre son ancien règne de reine de Sceaux ! Il est indéniable que sa demeure fut l’officine de toutes les correspondances, de tous les mémoires relatifs à la conspiration. Il est démontré, par la saisie des pièces et par les aveux des conjurés, que l’original de la fameuse lettre du roi d’Espagne à Louis XV[21]fut écrite sur le bureau même de la Duchesse. Une note de Dubois, conservée aux archives des Affaires étrangères, s’en explique nettement. On y lit ces mots caractéristiques : « Il y a plusieurs ratures et différentes corrections de la main d’une personne beaucoup plus élevée par sa naissance et par sa dignité. En sorte que la lettre du roi d’Espagne n’est effectivement et mot pour mot que la copie de celle qui avoit esté composée à Paris : d’où l’on peut présumer avec vraisemblance que ce n’est pas l’ouvrage de la main de ce prince, et non point l’expression et les sentimens de son cœur… Il en est de même de toutes les autres pièces, lettres, mémoires et projets, qui ont esté saisis en différens lieux, et qu’on devoit distribuer dans le royaume pour exciter une sédition générale. La plupart des originaux en ont esté composés à Paris ; les copies sont venues d’Espagne.. ; La conjuration étant découverte, les moyens qu’on vouloit employer pour la faire réussir ne peuvent plus imposer à personne… On n’aperçoit désormais que l’horreur d’un projet infâme et les effets sanglans de la guerre civile, qu’on vouloit ajouter aux dangers que la France a courus et aux maux qu’elle vient de souffrir pour l’intérêt de l’Espagne. »

Ce n’était pas le bien de la chose publique qui avait servi de premier mobile au plan de conspiration. La nation comptait encore pour si peu dans les combinaisons des hommes d’Etat ! Après Richelieu et Mazarin, après Colbert, de Lyonne et Louvois, qui donc avait, dans le gouvernement, le sentiment national ? Le Régent peut-être, quand son sens politique n’était pas oblitéré par les plaisirs ; peut-être aussi Dubois, quand il pouvait surnager au-dessus de la boue où s’enlizait son triste personnage. Ce n’étaient certes ni M. le Duc ni le duc du Maine. Leur disgrâce, très méritée d’ailleurs, justifia bien ce poétique pronostic adressé par le duc de Nevers au fils aîné de Mme de Montespan, au moment des Grandes Nuits de Sceaux, des fêtes retentissantes de la Duchesse :


Tout homme audacieux qui prend un si grand vol,
Quoique son bonheur se soutienne,
Qu’il songe à lui… qu’il se souvienne
Que la fête de Vaux se chôme à Pignerol !


C’est comme une simple citoyenne que Mme du Maine a été punie de sa rébellion, mise au secret, traitée en prisonnière. Elle a connu la souffrance humaine qui a cessé d’être à ses yeux « une chose vague et lointaine. » Telle est la morale de la mésaventure d’une princesse du sang, qui se crut supérieure à tous les autres mortels. Par malheur, les esprits frivoles, sans portée morale ni religieuse, profitent rarement des enseignemens de la mauvaise fortune : ils se contentent d’en avoir souffert.


GENERAL DE PIEPAPE,


  1. Il fut rasé il y a un vingtaine d’années, par le caprice d’une municipalité avide d’effacer jusqu’à la trace d’un monument féodal. L’archéologie et l’histoire y ont perdu, les sociétés savantes le déplorent. Il n’en reste que quelques dessins et un plan conservé aux Archives de la ville de Dijon. Il n’était pas sans intérêt cependant, ayant servi de fortification au moyen âge et de bastille ensuite, ayant subi des sièges et abrité à différentes époques des détenus politiques.
  2. Mémoires de Saint-Simon.
  3. Journal de Buvat, t. I, p. 291 ; Marais, t. I, p. 164.
  4. La cabale de Sceaux fit croire à la duchesse d’Orléans, que, si le Régent venait à mourir, elle serait déclarée régente et assistée des conseils du duc du Maine, pour lui donner à jouer un rôle prépondérant en Europe. On ne ferait point de mal au Régent ; mais on lui ferait entendre (et non sans raison) qu’il ne pourrait vivre longtemps, à cause de la vie déréglée qu’il menait. (Mémoires de la Palatine, p. 118.)
  5. A. E., 63, f° 51, 317 et 326 ; Saint-Simon, 6 juin 1717 ; Buvat, t. I, p. 284.
  6. Maintenon à Caylus, 6 Juillet 1717.
  7. Surnom qu’elle s’était donné à elle-même.
  8. Mémoires de Mme de Stael.
  9. Le duc de Bourbon.
  10. Antoine Giudice duc de Giovenazzo, prince de Cellamare (1657-1733), neveu du cardinal del Giudice, arrivé à Paris en 1715, avant la mort de Louis XIV, en qualité d’envoyé extraordinaire de Philippe V. « Cellamare… de beaucoup de sens et d’esprit, dit Saint-Simon, s’employait depuis longtemps à préparer bien des brouilleries… Le cardinal Alberoni avait cette affaire dans la tête, et, avec empressement. Cellamare y répondit pour lui plaire. »
  11. Mémoires de Mme de Stael.
  12. Idem.
  13. Jean Buvat, Journal de la Régence (1713-1723), éd. Campardon, Paris, 1865 ; et Jean Buvat, Mémoire Journal (1697-1729), éd. Omont. — B. N. Mss. (cote des imprimés, 995).
  14. Mémoires de Mme de Staal.
  15. Saint-Simon, Mémoires.
  16. Mémoires de Mme de Staal ; Duclos, Mémoires secrets ; Saint-Simon, Mémoires.
  17. « Il n’en dit et n’en montra que ce qu’il voulut [des papiers] et ne se dessaisit jamais d’aucun entre les mains du Régent. » Saint-Simon, Mémoires.)
  18. Mémoires de Mme de Staal.
  19. Toutes les lettres de cachet sont conservées aux manuscrits de la Bibliothèque de l’Arsenal, dans un dossier très réduit par une ancienne expurgation sans doute, mais encore très curieux, de la conspiration de Cellamare.
  20. Correspondance de la marquise de Balleroy, par Ed. de Barthélémy (1883) t. I, p. 894.
  21. « Lettre autographe de Philippe V à Louis XV, l’Escurial, 16 mars 1718. «… On veut que V. M. s’unisse à mon plus mortel ennemi (l’Empereur) et me fasse la guerre, si je ne consens à livrer la Sicile à l’archiduc. … Je ne souscrirai jamais à ces conditions : elles me sont insupportables. … Je me renferme à prier instamment V. M. de convoquer incessamment les États Généraux du royaume, pour délibérer sur une affaire de si grande conséquence. (Arch. Aff. étrang.)