Une révolution dans la République argentine
UNE RÉVOLUTION
C’était en 182…, au plus fort de l’admiration qu’excitait en Europe la lutte non terminée encore des colonies espagnoles contre leur mère-patrie. Comme tant d’autres, je m’étais insensiblement échauffé l’imagination en faveur des nouvelles républiques, et j’étais parti pour cet Eldorado de la liberté. Je me trouvais à Buenos-Ayres ; on y jouissait effectivement de la plus grande somme de liberté possible. Chacun voulait être président, et chacun l’était à son tour ; de temps à autre personne ne l’était, et la république, accoutumée à ces intermèdes, n’en allait pas plus mal. Fatigué des merveilleuses proclamations de chaque arrivant au pouvoir, des quatre révolutions que j’avais vues coup sur coup depuis mon arrivée, et menacé d’une cinquième qu’on annonçait pour le mois suivant, je résolus d’aller chercher momentanément le repos dans une province voisine. Il me sembla que l’Entre-Rios, et en particulier la Bajada, sa capitale, étaient bien ce qu’il me fallait. Ce n’était ni trop près, ni trop loin, à quatre-vingts lieues tout au plus de Buenos-Ayres, et quatre-vingts lieues ne sont rien en Amérique. Autrefois les dix mille habitans de cette province, épars sur une surface immense de terrain, vivaient dans une aisance passable, de leur bétail et de quelque culture ; mais, à l’époque dont je parle, la plupart se tiraient d’affaire comme il plaisait à Dieu. Une moitié de l’année ils se nourrissaient de pastèques et d’oranges, et l’autre moitié, du bien d’autrui, de lo ageno, comme ils le disaient eux-mêmes. Je crains qu’en ce moment leur régime alimentaire ne se soit pas sensiblement amélioré. Quelques-uns des petits bâtimens qui s’en vont commerçant entre Buenos-Ayres et Corrientes s’arrêtent parfois devant la Bajada, située sur la rive gauche du Parana, en face de Santafé, et laissent quelques piastres dans le village ; aussi les Bajadenos sont-ils les heureux de la province, et ils n’ont que rarement recours à la chair coriace des autruches, comme le font souvent leurs concitoyens moins fortunés de la campagne.
La veille de mon départ, je fus chargé, par le ministre de l’intérieur que je connaissais, de remettre une lettre officielle au gouverneur de l’Entre-Rios, don Geronimo B… ; et muni d’un passeport, je m’embarquai sur une goëlette qui faisait voile le jour même. Nous remontâmes lentement le majestueux Parana, et le neuvième jour, dans la matinée, nous jetâmes l’ancre devant la capitale de l’Entre-Rios.
Une demi-douzaine d’enfans en guenilles, et quelques groupes de gauchos drapés dans leurs ponchos, et fumant gravement leur cigare de papier, se tenaient sur le rivage pour nous voir débarquer. Ils nous laissèrent passer avec indifférence et recommencèrent à regarder l’eau couler pendant que nous gravissions la falaise peu élevée sur laquelle est bâtie la Bajada. C’était l’heure de la sieste, et suivant l’usage, les rues étaient désertes. Deux ou trois têtes engourdies de vieilles femmes, attirées par le bruit de nos pas, se montrèrent seules aux fenêtres et disparurent après avoir satisfait leur curiosité. J’arrivai seul sur l’inévitable grande place des villages de l’Amérique espagnole, suivi de quelques chiens que j’avais mis de mauvaise humeur en les troublant dans leur sommeil, et qui, la queue entre les jambes, tâchaient de me surprendre en défaut pour me mordre les talons. Là, je cherchai à m’orienter : sur un des côtés de la place, je reconnus le cabildo, au luxe inaccoutumé d’un étage ajouté après coup au rez-de-chaussée, et à son balcon, théâtre des harangues et des autres exhibitions gouvernementales les jours de fêtes patriotiques ; vis-à-vis était une petite église d’une architecture si insolite, qu’il me serait impossible d’en donner une idée tant soit peu fidèle ; sur les deux autres côtés, des maisons et des jardins ombragés d’orangers, d’oliviers et de nopals. Un gaucho vint à passer : je le priai de m’indiquer où je trouverais le gouverneur. Sans jeter les yeux sur moi, il fit un geste du menton du côté du cabildo, et continua son chemin. Je me dirigeai vers le cabildo.
J’entrai, sans rencontrer personne, au rez-de-chaussée, dans une chambre obscure où le jour ne pénétrait que par la porte ; en face de celle-ci était une longue table adossée au mur, et autour des trois côtés de cette table trois personnages silencieux occupés à rouler dans du papier du tabac haché qu’ils prenaient en commun dans une boîte de fer-blanc moiré. Pêle-mêle, sur la table, gisaient quelques feuilles de papier blanc, une écritoire sans plumes, un maté, des débris de cigares à demi-consumés, et une lettre sale qui probablement était l’objet de la réunion ; une chaise délabrée composait le reste de l’ameublement. Dans l’un des trois personnages, grand homme sec à figure osseuse et imperturbable, vêtu d’une veste à liseré rouge, brodée en soie sur toutes les coutures, et séparée du pantalon par une intervalle notable, je reconnus, au portrait qu’on m’en avait fait, son excellence don Geronimo B…, gouverneur de la province ; le second, à cheveux plats, couvert d’une redingote à collet gras, de forme et de couleur sans nom, était son excellence le ministre des relations extérieures ; et le dernier, petit avorton sournois, en costume ecclésiastique, avec un léger poncho jeté sur les épaules, le père Las Piedras, ex-franciscain de Buenos-Ayres, ex-rédacteur ou directeur de sept journaux, réfugié à la Bajada à la suite de je ne sais quelle révolution à laquelle il avait pris part. J’étais en présence de toutes les autorités de la province.
Don Geronimo prit mon passeport que je lui présentai tout ouvert, resta un instant en contemplation devant les armes de la république qui étaient en tête, puis devant le timbre de la police, le regarda de l’autre côté, le tint ensuite obliquement pendant deux minutes et finit par le passer à son ministre, en lui disant : Lisez.
Le ministre se mit à lire assez couramment : nation, Français ; — couleur, blanc ; — état, célibataire ; — âge, vingt-cinq ans ; — yeux, noirs…
— Assez, s’écria don Geronimo ; yeux noirs ! cela suffit : l’identité est reconnue ; — et il m’offrit le cigare qu’il venait de préparer.
Je le pris d’une main, et lui remis de l’autre, en échange, la lettre du gouvernement dont j’étais porteur pour lui. Elle passa, comme le passeport, dans celles du ministre, qui l’ouvrit et la lut à haute voix. C’était une sorte de proclamation, rédigée dans le style diplomatique le plus recherché et avec toute la pompe espagnole ; la lecture tirait à sa fin.
— Que quiere decir eso ? Vaya ! s’écria don Geronimo. Croient-ils qu’un chrétien est capable de comprendre ce diable de baragouin ? Ce sont les étrangers qui leur apprennent toutes ces patranas del demonio.
— Il y a un post-scriptum, dit le ministre ; attendez : « Mon cher gouverneur, ne vous amusez pas à lire ce qui précède ; le gouvernement veut simplement vous dire qu’il compte sur votre patriotisme et sur votre aide au besoin. Vivez mille années. »
— À la bonne heure, voilà qui se comprend, s’écria don Geronimo comme soulagé d’un poids énorme.
Nous entrâmes alors en conversation. La nullité du digne gouverneur était au-dessus de toute expression, quoiqu’il ne manquât pas d’une certaine finesse, qui est au talent ce que l’instinct est à l’intelligence. Il avait su se maintenir à son poste dans un temps où, peut-être, un plus habile eût échoué. La position géographique de sa province, placée entre Santafé d’une part et Buenos-Ayres de l’autre, c’est-à-dire entre les deux foyers du fédéralisme et de l’unitarisme, le mettait, pour ainsi dire, sans cesse entre l’enclume et le marteau. Dans cette situation perplexe, une espèce de juste-milieu de son invention avait été l’unique ressource de don Geronimo. Si Buenos-Ayres lui demandait vingt recrues, il en envoyait six, et s’excusait sur la rareté des hommes de guerre dans sa province. Si pareille réquisition lui venait de Santafé qu’il craignait davantage, il en envoyait douze, et promettait le reste sous le plus bref délai. Donnant ainsi des deux côtés, il avait fini par vivre en paisible intelligence avec ces incommodes voisins.
Il me parla d’abord de Napoléon ; puis le style de la proclamation qu’il venait d’entendre le conduisit naturellement à exprimer son avis sur les étrangers qui arrivaient sans cesse dans le pays. Don Geronimo voyait dans cette affluence la perdition de la république : « Le pays est bon, me dit-il, mais il n’est plus à nous, il est aux étrangers. (J’étais le seul à la Bajada.) Les étrangers sont les sauterelles qui dévorent la substance de la patrie ; avant que les hérétiques vinssent enlever nos cuirs et notre bétail, un bœuf valait une demi-piastre : aujourd’hui il vaut sept piastres, et qui sait où cela s’arrêtera ? »
Le ministre des relations extérieures et le père Las Piedras approuvèrent d’un signe de tête cette réflexion d’économie politique. Une crainte bien autrement vive les préoccupait tous trois. L’apparition future de la fameuse comète de 1832 leur était connue, ainsi que la fin du monde qu’elle devait amener à sa suite. Cette prédiction, née, je crois, en Allemagne, d’almanachs en almanachs, avait fini par arriver dans les journaux de Buenos-Ayres, et de là dans tous les recoins de la république, où elle a causé des angoisses inexprimables. J’en ai entendu parler avec terreur dans des hameaux perdus de l’intérieur, dont les géographes ne soupçonnent pas même l’existence, et j’ai cherché vainement à les rassurer. Les astronomes allemands ne se doutent pas des malheureux qu’ils font avec leurs prédictions biscornues.
L’heure de la sieste était venue depuis long-temps. Don Geronimo, qui sentait sa langue s’empâter, prit la lettre sale qui était sur la table, la mit dans sa poche et se leva pour aller dormir dans sa maison. Le ministre des relations extérieures et le père Las Piedras en firent autant de leur côté. J’avais compté intérieurement sur une invitation de leur part, suivant l’usage hospitalier du pays. Trompé dans mon attente, et resté seul, sans asile, je fus m’installer sous un arbre, à côté de quelques gauchos étendus à terre, et ronflant dans leurs ponchos. La sieste passée, je trouvai, non sans peine, une petite chambre, donnant sur la place, pour quelques réaux par semaine.
J’eus bientôt à ma disposition, suivant l’expression du pays, toutes les maisons de la Bajada, et il me fut loisible de mettre ma tête à toutes les fenêtres et d’entrer par toutes les portes avec la certitude d’être accueilli de confianza, c’est-à-dire sans cérémonie, en ami. Il n’est pas hors de propos de dire ici la marche à suivre pour se rendre l’ami de tout le monde dans les petites villes de la République Argentine : elle est simple et d’un usage facile. Vous commencez, je suppose, par l’extrémité d’une rue, et vous vous arrêtez devant une maison qui ne donne aucun signe de vie ; alors vous criez, en grossissant votre voix : Ave Maria purissima ! — sin pecado concebida ! Pase Vind adelante[1], répond une voix de l’intérieur ; la porte s’ouvre, et une créature humaine paraît sur le seuil ; vous entrez, et comme le temps n’a pas l’ombre d’une valeur quelconque pour les habitans de la maison, vous restez quatre heures avec eux à fumer, à bavarder, et à manger des pastèques, si la saison le permet. Voilà déjà une maison à votre disposition. À la suivante, vous apercevez à la fenêtre une jeune fille qui regarde voler les mouches dans la rue. — Peut-on entrer, précieuse jeune fille (style espagnol) ? — Y porque no, senor ? pourquoi non, seigneur ? — Heureuse simplicité de l’âge d’or ! en effet, pourquoi pas ? Quel motif peut-il y avoir de refuser la porte à un homme qui a envie d’entrer ? Dans le cours de la conversation, faites-lui une de ces propositions hasardées qu’ailleurs on entoure de circonlocutions sans fin. — Pourquoi pas, seigneur ? répondra-t-elle encore. Vous continuez ainsi jusqu’à l’autre bout de la rue ; puis vous passez à une autre : et si vous mettez quelque zèle dans votre tournée, il est probable que vous l’aurez terminée en moins de deux jours.
Certes, j’avais en apparence toutes les garanties désirables de repos dans ce paisible village, sur lequel une influence soporifique semblait s’être étendue ; mais il était écrit que les révolutions m’y poursuivraient encore. La sage politique de don Geronimo avait en vain conjuré les orages qui se formaient au loin ; il en devait naître et éclater à ses côtés.
Parmi ses administrés se trouvait momentanément un mauvais garnement de Buenos-Ayres, dont le désordre paraissait être l’élément naturel, et qui avait pris part à tous les troubles politiques des derniers temps. Sa famille, assez influente, l’avait vingt fois tiré des mauvais pas où il se mettait sans cesse et avait fini par l’abandonner. La police, pour n’avoir plus à veiller sur lui, l’avait prié d’aller habiter la Bajada jusqu’à nouvel ordre, en le recommandant particulièrement au gouverneur.
Aguirre s’ennuyait sur un théâtre trop étroit pour ses talens, et ne cherchait que l’occasion de mal faire. Je lui avais parlé deux ou trois fois à Buenos-Ayres, et le hasard ou plutôt l’étroitesse de la Bajada fit que je le rencontrai le soir même de mon arrivée, en me rendant à mon cabaret pour dîner. Du plus loin qu’il m’aperçut, il accourut à moi, et m’étreignant dans ses bras, la tête passée derrière mon épaule, et me frappant à coups redoublés dans le dos :
— Amigo ! enfin voici un chrétien à qui on peut adresser la parole ! quelles nouvelles dans le Gran Pueblo ?
— Mais, lui dis-je hors d’haleine, et rajustant ma cravate, la république vient de gagner une bataille contre les Brésiliens.
— Viva ! les Fidalgos ont été rossés d’importance, n’est-ce pas ? Combien y avait-il d’hommes à la bataille ?
— Quinze cents d’un côté, et deux mille de l’autre.
— Diable ! l’affaire a dû être chaude… et combien de morts ?
— Dix chez les Fidalgos, et trois blessés parmi les troupes de la patrie ; toute la ville était dans les fêtes à mon départ.
— Ah ! cela devait être superbe !
— Magnifique ; mais je ne me rappelle que les inscriptions dont on avait décoré les côtés de l’autel de la patrie. Sur l’un il y avait : « Rentrez dans l’oubli, batailles de Marengo et d’Austerlitz ; un seul jour des fils de la liberté a mis vos noms au néant ; » sur l’autre : « Europe, tu es fière de tes siècles de civilisation, et tu te dis la reine du monde ; mais, ô Amérique, tu l’emportes sur l’Europe autant que les sommets éternels des Andes l’emportent sur les humbles cimes des monts de l’Helvétie. » — Je vous demande la permission d’aller dîner.
— Je ne vous quitte pas ; je dîne avec vous, de confianza, hein ? Entre amis on ne fait pas tant de façons.
Aguirre dîna donc avec moi ce jour-là ; le lendemain je le vis reparaître à déjeuner : le soir du même jour, il amena un ami, le surlendemain deux autres, de sorte que je courais le risque de voir mon bill s’accroître dans une progression arithmétique indéfinie, lorsqu’une nouvelle folie de sa part me délivra de sa personne.
Ce soir-là il y avait un bal auquel assistaient don Geronimo et sa femme, encore jeune et passable ; bal de confianza, cela va sans dire. La salle était vaste et remplie ; pour toute toilette, les hommes avaient fait leur barbe, quoiqu’on ne fût qu’au milieu de la semaine, et fumaient en faisant tapisserie. Les femmes, pour la plupart jeunes et jolies, avaient acheté des souliers français neufs et des bas bien propres qu’elles chaussaient dans une pièce voisine d’où elles sortaient par petits groupes pour prendre place dans la salle du bal. Aux portes et aux fenêtres se pressaient toutes les personnes non invitées qui jouissaient du droit, sanctionné par l’usage, de regarder ce qui se passait dans l’intérieur. De temps en temps, la maîtresse de la maison, voulant faire honneur à l’une d’elles, se levait et l’invitait à entrer, non sans des peines inouies pour la dégager de la foule. L’orchestre se composait d’un vieux nègre blotti dans un coin, sous une table, et raclant avec une fureur tout africaine les cordes d’une guitare que les femmes accompagnaient en chantant des cielitos et en battant la mesure des mains. Plusieurs menuets avaient déjà été dansés aux murmures flatteurs de l’assemblée ; un nouveau couple se présentait, et le vieux nègre allait préluder, quand Aguirre, qui jusque-là n’avait dit mot, lui prit son instrument, et s’avança au milieu de la salle.
— En avant la joie ! vaya de broma ! voici une chanson nouvelle qui a obtenu les suffrages du président de la république : écoutez bien ; et fixant des regards effrontés sur la femme du gouverneur, il chanta :
Para una noche sola,
Me pediste cuatro reales.
Ay ! que noche tan cara,
Poniendo los materiales !
En toute autre circonstance, ce couplet licencieux eût obtenu un succès d’enthousiasme ; mais la présence de don Geronimo, et l’application insolente faite de ce quatrain à sa femme, provoquèrent un mouvement d’indignation général. Seul contre tous, Aguirre fut pris après une brillante résistance, et fut coucher en prison.
Le lendemain je déjeunai seul. Deux jours après, je partis pour me rendre sur les bords de l’Uruguay, et la première personne que je vis à mon retour fut encore Aguirre. Cette fois il se contenta de s’informer de ma santé sans me prendre à la gorge.
— Je viens vous demander une faveur, me dit-il en s’étendant de son long dans mon hamac. Que faites-vous ce matin ?
— Je reste chez moi, j’ai des lettres à écrire.
— C’est que je m’occupe en ce moment d’une révolution.
— D’une révolution ! m’écriai-je avec effroi.
— Oui, ce matin même, et si vous n’aviez rien de mieux à faire, vous m’obligeriez infiniment de me donner un coup de main. En pareille occasion vous pouvez compter…
— Et à qui en avez-vous ? Don Geronimo est la meilleure pâte de gouverneur qui soit dans toute la république.
— Je ne dis pas le contraire ; mais il y a je ne sais combien de temps qu’il est à son poste, et il ne parle pas de faire place à un autre ; si on lui en laisse prendre l’habitude, le jour du jugement dernier l’y trouvera encore ; c’est un scandale intolérable dont je veux délivrer ces bonnes gens qui n’entendent rien au gouvernement représentatif. Je vais leur donner une représentation d’une pièce qui se joue tous les six mois à Buenos-Ayres, avec le plus grand succès : mon futur gouverneur est tout prêt, voulez-vous être des nôtres ? Voyons.
— Cela m’est impossible ; je suis étranger.
— En ce cas, donnez-moi un cigare, et adieu !
Je me mis à écrire en maudissant toutes les républiques de l’Amérique. — Vers midi, j’entendis sur la place des cris de viva la patria ! à bas le gouverneur ! vive la liberté ! Je courus à ma fenêtre, et j’aperçus Aguirre débouchant sur la place un grand sabre à la main, et se dirigeant sur le cabildo à la tête d’une quinzaine de coquins, qui marchaient sans ordre à sa suite. À ce bruit, une douzaine de curieux comme moi se montrèrent sur les portes, aux fenêtres et aux coins des rues donnant sur la place.
Arrivé à quinze pas du cabildo, Aguirre fit faire halte à sa troupe, et, d’une voix de stentor, leur donna un nouveau signal de crier : À bas le gouverneur !
Après quelques minutes d’attente, la longue personne de don Geronimo parut sur le balcon. — À sa vue, les cris redoublèrent ; il fit signe de la main qu’il voulait parler, et obtint un instant de silence :
— Que demande, dit-il, le peuple héroïque (el pueblo heroico) de la Bajada ?
— Viva la patria ! crièrent tous les conjurés à la fois.
— Viva la patria ! soit ; est-ce tout ce que vous voulez ?
— Non, non, à bas le gouverneur ! nous voulons un autre gouverneur !
— Mais, peuple héroïque, vous n’êtes que quinze, et que dira l’Europe, si…
— À bas l’Europe ! au diable les étrangers ! mort aux hérétiques ! — Et le vacarme devint effroyable. Don Geronimo commençait à devenir blême autant que la couleur de sa peau le permettait ; il tenait bon cependant, et semblait attendre que les poumons des conjurés eussent besoin de repos.
Les cris commençaient à s’affaiblir, lorsqu’un petit mulâtre, prenant plaisir à la chose, s’avança entre les conjurés et le cabildo, et, ramassant une pierre, la lança à tour de bras au malheureux gouverneur ; mais elle n’atteignit pas le balcon et fut mourir contre la muraille.
En voyant partir le projectile, don Geronimo avait fait un plongeon dans l’intérieur du cabildo, et ne reparaissait pas. Enfin, après quelques instans, on vit poindre sa tête, puis son corps, et il reprit son poste sur le balcon. Il était tout effaré.
— Cessez d’attenter à mes jours, cria-t-il d’une voix altérée, je me rends aux vœux du peuple. Si vous avez un chef, qu’il se présente : j’ai à lui parler.
Aguirre s’avança fièrement sous le balcon.
— Voici encore une des vôtres, seigneur Aguirre ! lui dit le gouverneur : mais parlons raison. Que vous ai-je fait ? et pourquoi voulez-vous en mettre un autre à ma place ? voyons.
À défaut de raisons, Aguirre ne manquait jamais de grands mots.
— L’opprobre de ta tyrannie a souillé trop long-temps ce peuple infortuné ; il brise enfin ses fers. Tes forfaits ne te permettent plus de remplir…
— Assez, assez, qui voulez-vous pour gouverneur ?
— Le digne père Las Piedras, cet intrépide soutien du peuple, ce vertueux ami de la liberté.
— C’est bien : je vais lui dire de se montrer. Puis-je me retirer en sûreté chez moi ?
— Tu le peux, lui répondit majestueusement Aguirre, le peuple a obtenu justice, et n’a pas soif de ton sang.
— Vive le père Las Piedras ! vivent les franciscains, crièrent les conjurés, et tous entrèrent avec Aguirre dans le cabildo.
Pendant cette scène, les portes et les fenêtres des maisons de la place s’étaient fermées, et l’on ne voyait plus que quelques têtes de curieux qui se montraient à la dérobée au coin des rues. Les conjurés parurent bientôt sur le balcon du cabildo, avec le père Las Piedras au milieu d’eux. En ce moment, le gouverneur tombé filait le long des maisons pour gagner son logis. Son successeur allait ouvrir la bouche, quand Aguirre lui coupa la parole.
— Carajo ! mais il me semble que la place est déserte. Allons, vous autres, suivez-moi. Rengainez un instant votre harangue, père Las Piedras, jusqu’à ce que nous soyons en bas pour vous répondre. Vous nous chanterez ensuite tout ce que vous voudrez. Mais soyons bref, les momens sont précieux.
De retour sur la place avec les siens, Aguirre s’adressant au nouveau gouverneur :
— Allons, en avant, père Las Piedras, parlons peu, mais parlons bien.
Le père Las Piedras prit la parole.
— Quelle douce récompense, mes bons amis, quel moment délicieux pour le cœur d’un vieil athlète de la liberté que celui où il voit le peuple briser enfin sa chaîne et faire usage de sa raison pour s’élever au bonheur d’être gouverné par un délégué de son choix, c’est-à-dire par un autre lui-même ! Un jour, du sommet glacé des Andes aux ondes argentines de la Plata, et de l’équateur à… à…
— À quoi ?… allons donc, lui cria Aguirre.
— De l’équateur, dis-je, à…
— C’est bon, le peuple comprend : vive le gouverneur Las Piedras ! cria Aguirre, et toute la bande en fit autant.
Il ne restait plus, pour compléter l’élection du nouveau gouverneur, qu’une formalité de rigueur, une proclamation. Aguirre se chargea encore de ce soin ; il composa un morceau d’éloquence dans le genre de celui qui précède, et le lut lui-même à la tête de sa troupe dans tous les carrefours de la Bajada, ce qui ne fut pas long. Sur sa route, il recruta tout ce qu’il rencontra de vauriens, de sorte qu’en revenant au cabildo, il se trouvait suivi d’une bande assez respectable. Les autorités furent ensuite l’objet d’une épuration sévère. Dans cette circonstance, Aguirre se montra plus grand que la révolution qu’il avait faite ; il ne voulut d’aucune place ; son œuvre lui suffisait. L’ancien ministre des relations extérieures fut maintenu à son poste ; ce fut sa récompense pour avoir livré la caisse de la province dans laquelle il se trouvait quarante piastres en papier, valant chacune 75 centimes de notre monnaie. L’alcade et son lieutenant furent seuls renvoyés, et leurs fonctions remises en d’autres mains. Enfin, pour compléter cette grande journée, Aguirre employa les quarante piastres du trésor public à acheter, chez le pulpero de la place, des chandelles et du tafia, pour donner au cabildo un bal patriotique qu’il intitula bal des hommes libres. Afin de rendre la chose plus solennelle, il voulut faire des billets d’invitation, ce qui l’occupa une partie de l’après-midi, ainsi que le père Las Piedras, qui se chargea d’écrire les adresses.
L’ex-franciscain, qui ne valait pas mieux que son associé, était au fond l’auteur de la révolution, et s’était servi d’Aguirre pour se frayer la route au poste de don Geronimo ; mais il s’était tristement trompé dans son calcul, et n’avait pas prévu que le génie révolutionnaire de son associé le dominerait lui-même et lui rendrait l’exercice de son autorité impossible.
Le bal des hommes libres eut lieu avec tout l’éclat que comportait la capitale de l’Entre-Rios. Aucun des invités ne manqua à l’appel, et Aguirre chanta sans opposition tous les couplets de son répertoire. Cependant don Geronimo, laissant le champ libre à son successeur, s’embarquait dans un canot à la faveur de la nuit et traversait le Parana. Où allait-il ?
Rien n’indiquait le lendemain matin les grands événemens qui s’étaient passés la veille. La Bajada était retombée dans son apathie ordinaire ; on voyait seulement un des conjurés se promenant de long en large devant le cabildo, un sabre à la main, et ayant l’air de monter la garde. Les membres du nouveau gouvernement étaient en séance depuis huit heures du matin ; après avoir passé deux heures à prendre du maté et à faire des cigares avec le tabac de don Geronimo, la discussion s’était ouverte sous la présidence du père Las Piedras. Deux avis avaient été ouverts, et se partageaient les opinions. Aguirre proposait de rallier d’avance tous les partis futurs en donnant dans la soirée un second bal des hommes libres, et de continuer ainsi jusqu’à fusion parfaite des factions qui pourraient surgir. Le ministre des relations extérieures voulait, au contraire, qu’on profitât d’un vieux tambour et d’une demi-douzaine de fusils qui se trouvaient dans l’arsenal de la province, pour armer les habitans, et se préparer à une vigoureuse défense en cas d’attaque. Le père Las Piedras, voyant les deux orateurs s’échauffer, prit la parole. Après avoir insisté sur la conduite modérée à tenir, afin de se concilier les puissances de l’Europe, il entreprit un résumé de la discussion dont il ne put jamais sortir ; mais il était facile de voir que le bal d’Aguirre lui paraissait un puissant moyen gouvernemental. L’heure de la sieste le tira heureusement d’embarras ; le conseil se sépara, et pendant trois heures, la Bajada fut plongée dans un sommeil profond.
Au réveil, la discussion fut reprise après qu’on eut encore fumé quelques cigares, mais sans qu’il en sortît aucune résolution. La nouvelle de la révolution s’était répandue dans la campagne, et les gauchos ravis commençaient à accourir de toutes parts, bien déterminés à vivre aux dépens des Bajadenos, tant qu’on les laisserait faire. Le cabaret du coin se remplissait de nouveaux arrivans qui attachaient leurs chevaux aux poteaux de la galerie, et le son de deux ou trois guitares, partant de l’intérieur, annonçait que leur nombre allait croissant de minute en minute ; des groupes d’individus drapés jusqu’aux yeux dans leur ponchos se formaient sur la place ; une abondance inaccoutumée de carago et de hijo de una grandissima porra sortait de toutes les bouches. Cependant rien n’avançait dans le conseil ; les gauchos, qui commençaient à s’impatienter, poussaient des cris au dehors, et Aguirre était obligé de paraître de temps en temps sur le balcon pour les haranguer. Le père Las Piedras avait perdu la tête et était pâle de frayeur ; de funestes pressentimens l’agitaient.
Une pareille perturbation dans les habitudes de la Bajada était trop violente pour être durable. À la nuit tombante, une chaloupe pontée, venant de Santafé, débarqua secrètement au pied de la falaise vingt-cinq individus à figures patibulaires, vêtus de ponchos rouges, et armés jusqu’aux dents ; l’officier qui les commandait les fit mettre en rangs en silence et se plaça à leur tête ; au milieu d’eux était don Geronimo dans son costume officiel, c’est-à-dire avec sa veste à liseré rouge, et brodée sur toutes les coutures, auquel il avait ajouté un immense chapeau à cornes, surmonté d’une touffe de plumes aux couleurs nationales, bleu et blanc ; il tenait à la main un sabre aussi long que sa personne dont la lame portait ces mots magnifiques : no me saques sin razon y no me envaynes sin honor[2] ; le fourreau fuyait derrière lui en lui battant les talons. Cette petite troupe gravit la falaise au pas de charge, elle arriva bientôt sur la place, et se mit à crier : Vive Santafé ! vive le gouverneur légitime ! mort aux rebelles !
À ces cris redoutables, la guitare du cabaret se tut subitement ; les gauchos montèrent sur leurs chevaux, et disparurent avec la rapidité de l’éclair ; les curieux s’évanouirent dans l’ombre, et l’on n’entendit plus sur la place déserte que le bruit des portes et des volets qui se fermaient précipitamment ; le cabildo était également silencieux. Une ombre seule était sur le balcon, qui paraissait regarder tranquillement ce qui se passait.
La troupe entra avec précaution dans le cabildo, pénétra dans la chambre du conseil, au rez-de-chaussée, et n’y trouva que la boîte de fer-blanc, à sa place, sur la table, mais vide. Prenant courage, elle s’élança au pas de course, parvint au premier étage, et aperçut l’ombre, qui se promenait à pas comptés sur le balcon.
— Qui vive ! cria l’officier.
— Aguirre, répondit l’ombre.
— En joue !…
— Carajo ! seigneur officier, n’allons pas si vite en besogne… N’est-ce pas son excellence le seigneur Geronimo que j’ai l’honneur de voir au milieu de vos rangs, dans son grand costume ? Excellence, je vous attendais ; votre successeur n’était qu’un imbécille, et si vous n’aviez pas disparu hors de propos pour aller chercher ces vingt-cinq écrevisses, demain je faisais une révolution en votre faveur. Du reste, vous trouverez la province dans le même état que vous l’avez laissée, si ce n’est qu’il manque dans le trésor public une faible somme dépensée dans un but patriotique, et pour laquelle le ministre des relations extérieures vous donnera toutes les garanties désirables. En ce moment, il me serait difficile…
— Picaro ! répondit don Geronimo, un autre que moi te mettrait en capilla et te ferait fusiller dans les trois jours ; mais je te fais grâce de la vie. Demain, tu partiras pour Buenos-Ayres sous bonne escorte.
— Excellence, à Buenos-Ayres ! y songez-vous ? Mais ils sont capables de prendre mal la chose… D’ailleurs je me plais singulièrement sous vos ordres…
L’officier Santafesino regarda Aguirre de travers et d’un air formidable :
— Chien de porteno[3] ! aimes-tu mieux venir trouver le gouverneur Lopez à Santafé ? Tu ne serais pas le premier qui y serait entré pour n’en jamais sortir.
— Eh bien ! reprit Aguirre, soit. N’en parlons plus ; j’irai où vous voudrez. Seulement, comme il me faut un compagnon pendant la traversée, je crois, seigneur don Geronimo, que, si vous faisiez fouiller les broussailles qui sont derrière le cabildo, vous y trouveriez votre successeur ; et, si vous ne le trouvez pas dans les broussailles, n’oubliez pas de faire chercher dans les trous de biscacha[4] ; le père Las Piedras est de taille à entrer partout. On ne sera pas fâché de voir sa figure à Buenos-Ayres.
Six soldats se détachèrent et revinrent, une demi-heure après, avec le père Las Piedras, qu’ils avaient trouvé dans un terrier, d’où sa tête seule passait au dehors. Aussi était-il tout fangeux et pitoyable à voir. Et tu quoque ! eût pu s’écrier don Geronimo, s’il eût connu l’histoire romaine ; mais il n’avait jamais fait ses études, et il se contenta de tourner le dos au prisonnier.
La restauration de la Bajada étant ainsi terminée, par des armes étrangères, il est vrai, ainsi que quelques autres restaurations, mais sans effusion de sang, une amnistie générale fut proclamée le soir même. Don Geronimo, comme il venait de le dire, n’avait rien de cruel dans le caractère ; d’ailleurs ce n’était pas la première fois que pareil accident lui arrivait. Deux ans auparavant, s’étant absenté pendant huit jours, il avait, à son retour, trouvé sa place prise, et s’était contenté, en attendant des jours meilleurs, d’être le ministre des affaires étrangères de l’usurpateur. Il fit grâce au sien dont il avait besoin pour l’aider dans les mystères de la diplomatie et la lecture des passeports : toutefois, il l’obligea à combler le déficit qui existait dans la caisse de la province. Cette magnanimité fut généralement admirée. Les femmes seules soupirèrent en songeant aux bals des hommes libres que leur promettait l’administration d’Aguirre.
Le lendemain, celui-ci, au milieu d’un peloton de soldats, ainsi que le père Las Piedras, était sur le rivage près de s’embarquer. La foule les regardait aller avec compassion. Au moment de monter à bord, Aguirre se tourna vers l’officier Santafesino, qui commandait le peloton.
— Je ne partirai pas, lui dit-il, sans témoigner ma reconnaissance à son excellence le gouverneur ; qu’il me fasse la grâce de venir, au nom du ciel !
Don Geronimo vint sur le rivage.
— Excellence, lui dit Aguirre, je vous ai tenu en mon pouvoir, et pas un cheveu n’est tombé de votre tête, vous en souvient-il ?
— Il est vrai, répondit don Geronimo,
— J’aurais pu m’opposer à votre retour et vous le faire acheter au prix de quelques dangers ; mais je m’en suis abstenu. Vous en souvient-il encore ?
— J’en conviens également.
— S’il en est ainsi, vous ne refuserez pas une dernière faveur à un homme qui peut-être va être fusillé en arrivant là-bas.
— Nous verrons ; quelle est cette grace ?…
— Faites-moi donner une guitare pour la traversée… Vous tirerez sur moi pour le remboursement quand je serai à Buenos-Ayres.
— Va-t-en à tous les diables, s’écria don Geronimo ; cependant… qu’on lui donne sa guitare, et qu’il aille se faire pendre ailleurs !
Je m’embarquai avec les deux prisonniers pour revenir à Buenos-Ayres. Don Geronimo les avait remis à la garde de quatre de ses plus fidèles administrés, à qui il avait confié quatre fusils des six qui composaient son arsenal.
À leur arrivée à Buenos-Ayres, tous deux furent mis en prison ; Aguirre n’y passa qu’un mois, au bout duquel il fut rendu à sa famille, qui ne jugea pas à propos de le laisser fusiller. Le père Las Piedras, moins heureux et n’étant pas réclamé par son couvent, y passa une année en attendant que le procès s’instruisît, et malheur peut-être lui serait arrivé, si une révolution, dans le genre de celle de la Bajada, n’eut porté ses amis aux affaires.
Cinq mois après, un bâtiment venant du Hâvre apporta les derniers journaux de Paris. Dans tous, ou à peu près, sous la rubrique Extérieur, on lisait ce qui suit :
Des lettres particulières de Buenos-Ayres annoncent qu’un mouvement insurrectionnel formidable a éclaté récemment dans l’Entre-Rios, l’une des plus florissantes provinces de la république. Les insurgés, ayant à leur tête le colonel Aguirre et le célèbre franciscain Las Piedras, se sont emparés, malgré la plus vive résistance, de la capitale de la province. On s’est battu avec acharnement des deux côtés pendant un jour et une nuit. Les morts, dont on ne savait pas exactement le chiffre au départ du bâtiment porteur de cette nouvelle, étaient, disait-on, extrêmement nombreux. Enfin, grâce à l’énergie du gouverneur don Geronimo B… et des habitans, la cause de l’ordre a triomphé, et les factieux ont été mis en fuite. Le colonel Aguirre et son complice, abandonnés par leurs partisans dans leur retraite, ont été arrêtés et envoyés sous escorte à Buenos-Ayres, où leur procès allait s’instruire. Le congrès national était occupé à prendre les mesures les plus vigoureuses pour empêcher que ce mouvement ne s’étendît aux autres provinces, etc., etc.
- ↑ Je vous salue, Marie très pure, — Conçue sans péché. Entrez.
- ↑ Ne me tire pas sans raison et ne me remets pas dans le fourreau sans honneur.
- ↑ Porteno de puerto, port ; nom des habitans de la ville de Buenos-Ayres.
- ↑ Animal ressemblant un peu à un lapin, mais trois fois plus gros, et creusant de profonds terriers.