Une sacrée noce/08

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Éditions Prima (Collection gauloise ; no 86p. 44-48).

viii

Le sacrifice



Mme Bouldemou, l’estimée mère de l’exquise Josépha avait, peu d’instants avant le départ de sa fille, appelé celle-ci dans un coin. Elle lui donnait illico les conseils d’usage. Les larmes aux yeux, elle détaillait en mots innocents tout ce que sa fille devait s’engager à souffrir pour devenir femme.

— Tu entends, Josépha, s’il veut ceci, tu diras oui. Mais, s’il désire cela tu refuseras. Oh ! un refus élégant, craintif et un peu timide, mais cependant très net. Toutefois, ne crains pas qu’il agisse mal en réclamant telle autre chose. Tu pourras y consentir…

Mme Bouldemou entrait ainsi dans des précisions troublantes. Josépha écoutait sans donner signe de fatigue mais, en son for, elle pensait que ce fût vraiment la barbe.

— Oui, maman, répondait-elle en condensant une dernière fois tout son stock d’ingénuité.

— Tu comprends, ma fille, qu’il te faudra accepter la douleur s’il te fait mal, car cela te fera mal…

« Compte là-dessus » pensa Josépha…

— Mais, reprenait madame sa mère, tu auras des dédommagements. Là-dessus, ne t’en fais pas…

— Oui, maman !

Et la conversation s’éternisait, quant Hector, tout bouillant fit signe à sa femme et Josépha remarqua :

— Maman, Hector me fait signe.

Mme Bouldemou dut se résigner à voir partir sa fille avec un homme. C’était la troisième fois que pareille aventure lui advenait, et chaque fois elle pleurait comme si c’était la disparition d’un exemplaire unique…

Hector et Josépha se trouvèrent dans une vis d’escalier merveilleusement silencieux.

— Embrasse-moi ! dit goulument le mari.

Josépha lui posa un baiser sur la joue.

— Mieux que ça, dit l’époux en prenant d’une étreinte brutale les seins de sa femme.

Il aurait envahi d’autres détails de sa personne si tous deux ne s’étaient trouvés devant la porte.

La voiture les attendait, portière symboliquement ouverte. Ils s’y placèrent tranquillement. Une inquiétude serrait le cœur de Josépha à l’idée que dans peu d’instants un événement, qu’elle tenait d’ailleurs, pour insignifiant mais qu’on s’entendait autour d’elle pour juger considérable, allait advenir…

Le taxi roula, dans son borborygme de moteur. Hector, que le mouvement rendit soudain sentimental, s’exclama :

— Josépha, je t’aime !

Elle répondit, bandant toutes ses pudeurs.

— Moi aussi, Hector.

Il reprit.

— Josépha, tu es à moi.

Elle laissa couler cinq secondes, pour mettre sa réponse en valeur.

— Oui, Hector !

Et entre ses paupières un rien disjointes, elle regardait son mari, subitement intimidé, à l’heure même où elle avait pris le parti de ne plus rien lui refuser.

Tout rougissant, il continua :

— Josépha, bientôt, vous serez à moi.

Elle ne répondit point, devinant que les règles du jeu de chasteté lui faisaient un devoir de paraître ne pas comprendre. Il passa une main précautionneuse sur les genoux de sa femme.

— Josépha, tout le jour, j’ai failli vous saisir et vous violer…

Elle prit au passage la délicate occasion offerte, de couper cette conversation sans faste :

— Ne me dites plus vous, Hector.

Il fut surpris.

— Mais vous…

Elle frissonna de colère contre ce bélître qui ne comprenait décidément rien. Il ne semblait pas supposer qu’à cette minute tous deux jouaient une comédie. Elle ne devrait le tutoyer qu’après la défloraison ou du moins ce qu’on nomme ainsi, mais lui, avait droit de principe à tous les tutoiements.

Et le taxi, par chance, stoppa. Ils étaient arrivés.

Ils descendirent lentement, gênés par leurs désirs, leurs intentions contenues et un flot de réflexions complexes. La porte les absorba et ils gravirent lentement, dans un silence compact, un escalier à tapis rouge. En haut, ce fut l’appartement, puis la chambre à coucher, luisante de ses meubles neufs qui sentaient un peu le vernis. Par la fenêtre, un coin de Paris manifestait sa douceur bruyante. Des étoiles dessinant sur le ciel des arabesques mystérieuses, des lampes à arc violâtre, des becs de gaz verts, et des autos à respiration poussive, qui se hâtaient vers on se demandait quels labeurs ou plaisirs urgents.

Hector, déconcerté par la nouveauté d’une circonstance qui rompait trop avec celles dont il avait l’habitude, vint regarder un instant le sombre paysage. Derrière lui, Josépha, après une hésitation, se dévêtit en hâte.

Elle était belle. L’usage, d’ailleurs discret et modéré, qu’elle avait jusqu’alors fait de ses charmes lui donnait à cette heure une liberté et un sang-froid subtils dont sa grâce physique était rehaussée. Elle resta une minute à admirer le dos de son époux, demi-nue, les seins levés, la poitrine un rien haletante, et les jambes raides. Sa chemise, ouverte en bas plaquait sur un corps robuste et propre au plaisir. Elle s’étira comme un félin, levant vers le plafond ses bras polis et découvrant ses aines qui encadraient l’ombre fauve où Éros est généralement tapi.

Hector se tourna soudain. Les deux époux se trouvèrent face à face. Il y eut deux réactions fort différentes. Elle connut un instant de courte honte, baissa les mains devant ses yeux, hésita, puis courut vers le lit.

Lui, fut d’un trait étreint par la seule volonté amoureuse. Elle passa dans ses nerfs comme un courant électrique. En deux secondes, il arda soudain comme un bûcher. Il s’élança. À ce moment exact, la nouvelle épouse gravissait le lit, d’ailleurs bas, mais dans un jeu de croupe si saisissant et évocateur qu’Hector perdit d’un trait toutes ses hésitations et ses craintes. Il retint Josépha, par les hanches, posa un baiser au hasard sur la chair étalée, et quand il voulut parler, il constata avoir perdu le sens de la parole. Une autre volonté que celle de l’orateur le tenait tout entier.

Il abandonna enfin sa femme qui disparut en riant dans les draps. Il revit, ensuite, la jolie face narquoise qui l’appelait. Alors, quittant ses vêtements avec fureur, il les lança au hasard dans la pièce.

Le veston chût à terre. Le gilet fit voler des monnaies qui roulèrent à terre, le pantalon, à la volée, coiffa un guéridon, mais il fallut aussi enlever le reste qui est plus minutieux. Quel supplice |

Enfin, libéré de ses vêtures, il s’élança lui aussi au lit. Lorsque le corps de Josépha fut contre le sien, il crut que le sang lui sortait par les yeux et les narines, tant l’apoplexie l’envahit. Il n’y avait plus qu’un moyen de vaincre l’éclatement dont il se crut menacé : il le prit.

C’est-à-dire qu’il prit Josépha.

FIN