Une vieille maîtresse/Partie 2/18

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Alphonse Lemerre (tome 2p. 333-375).


XVIII

L’OPINION DE DEUX SOCIÉTÉS


Il y avait un peu plus d’un an que le manoir de Carteret n’avait revu ses hôtes, et tout y était redevenu triste, inanimé et muet, comme avant l’arrivée de madame de Flers et de ses enfants. Depuis cette époque, le logement des maîtres, comme disaient les fermiers du manoir, qui habitaient dans une des cours, était resté strictement fermé. Seulement quand il brillait un rayon de soleil sur cette plage, on ouvrait les persiennes et les fenêtres, et on donnait un peu d’air aux draperies des appartements. C’est ce qu’on avait fait ce soir-là. On sortait des derniers jours de juin et le temps était digne de cette saison, qui va être l’été et qui est le printemps encore.

Le ciel avait la beauté d’un ciel du Midi. Le soleil, qui se plongeait à mi-corps dans la mer unie, semblait s’y dissoudre, et lui donnait, tant elle était calme, la physionomie d’un lac d’or. Les blanches maisons de Carteret, qui n’ont qu’un étage, étaient teintées de rose, sous les rayons obliques de ce soleil couchant qui, croulant doucement à l’horizon, n’éclairait plus que les objets placés au niveau de la mer, au sein de laquelle, par degrés, il disparaissait. Tout ce qui dépassait ce niveau, la falaise, les pics des dunes, l’église et son clocher en aiguille, pointu et blanc comme les anciennes coiffures des paysannes du Cotentin, les peupliers à la cime frissonnante et verdâtre, plantés sur les fossés du cimetière et qu’on entr’apercevait de la grève, par le chemin qui mène à l’église, s’étaient comme essuyés des lueurs étincelantes qui les avaient noyés longtemps, et avaient repris, dans un ciel clair encore, mais sans prisme, la netteté pure de leur propre couleur. L’air était chaud comme la vapeur d’un four, malgré l’heure avancée et une brise qui commençait de s’élever. Le sable avait gardé l’impression du soleil brûlant qui l’avait frappé toute la journée. Ce soir-là, la grève était plus animée qu’à l’ordinaire. Les enfants du village, à peine vêtus, erraient en différents groupes sur les bords du havre. Les uns jouaient au palet avec le galet plat du rivage, et les autres barbotaient, les jambes nues, dans les trous creusés par eux dans le sable et que l’eau de la mer, qui filtrait partout sous ces arènes, allait bientôt remplir. Les garçons de ferme des terres voisines chassaient devant eux les pesants chevaux de labour, chargés de varech, et les douaniers, qui devaient faire une battue nocturne sur la côte, préparaient, dans l’anse du havre, leur patache, petit bâtiment à voile triangulaire, beaucoup plus poétique que son nom. Assis sur les marches de cet escalier qui conduisait de la cour du manoir à la grève, le vieux Griffon se chauffait à ces derniers rayons d’un beau soir, doré, long, splendide ! Il avait l’immobilité d’une statue, avec ses yeux blancs, sans regard, qui ne voyaient plus la mer, — cet amour ardent de toute sa vie, — la seule chose que, dans cet univers dont il avait vu le dessus et le dessous, il regrettât de ne plus apercevoir encore, du fond ténébreux de sa cécité.

C’était l’heure touchante et solennelle où, tant de fois, sur le pont chancelant du navire, dans les mers où il avait passé, il avait adressé à la Vierge Marie cet Ave Maria du crépuscule qui rappelle aux matelots en mer l’Angelus sonné aux cloches de la patrie. Barneville alors le sonnait d’un ton grave à sa tour carrée, et le clocher aigu de Carteret le répétait d’un timbre chevrotant et clair. L’ancien matelot, perdu dans ses souvenirs de jeunesse, que la vieillesse et la cécité rendent plus distincts par le repoussoir de leurs doubles ombres, écoutait ces bruits d’un jour mourant dont il ne voyait plus la lumière. Tout à coup, il fut tiré de sa rêverie par un pas lourd, qu’il reconnut sur les coquillages dont la grève était parsemée, et le bruit d’un bâton qui frappa contre les marches sur lesquelles il était assis.

— « Bonsoir, père Griffon, — dit la voix traînante du mendiant qu’on a vu errer dans cette histoire, — qué qu’donc que vous faites là, immobile comme un saint de pierre, à bayer aux mouettes par un si biau temps ?

— Eh ! — répondit le matelot, — je réchauffe ma vieille membrure à ce soleil que je ne vois plus et que j’aime à sentir sur mes os. Des mouettes ! ah ! que ne puis-je en voir la queue d’une, à ces pauvres bêtes ! Mais les yeux ont fini leur service ; il n’y a plus de lumière dans le bassinet : c’est fini, mon bonhoumme ! Qui m’aurait dit autrefois que moi, Griffon, le contre-maître de l’Espérance, j’en viendrais à me planter, des heures durant, comme un cul-de-jatte, sur ces chiennes de pierres, sans avoir tant seulement un bout de corde entre les doigts, j’en aurais levé les épaules de mépris, et pourtant, le diable m’emporte ! c’eût été la pure vérité ! — Oui ! c’eût été la pure vérité, — reprit-il après une pause, avec la singulière mélancolie des hommes d’action qui n’agissent plus. — Il était écrit que Jean-François-Nicolas Griffon verrait, de ses deux yeux qu’il n’a plus, périr bien des équipages, mais qu’il échapperait, lui, de tant de braves gens, à l’abordage, à la tempête, à la faim, aux rages du canon et de la vague, pour enfin venir misérablement mourir à terre, comme un saumon charrié par le filet à la rive, et qui n’a plus assez de reins pour ressauter dans les eaux !

— Bah ! — dit le pauvre, qui, comme tous ses pareils, avait son espèce de philosophie. — Qu’importe où l’on meurt ! Qu’importe la fosse où l’on nous pousse, quand le fond du bissac est usé ! Vers ou poissons, c’est tout un quand il s’agit de nos charognes… Mais v’sêtes encore diablement solide, père Griffon, et v’n’allez pas de sitôt lever l’ancre, comme vous dites, vous autres matelots. »

Tout en parlant ainsi, mains et menton appuyés sur sa gaule, il vit que les fenêtres, ordinairement fermées, du grand salon du manoir, étaient ouvertes et que les brises agitaient, par-dessus la rampe, les rideaux de velours ponceau, atteints d’un dernier rayon du soleil.

— « Tiens ! — dit-il avec ce regard de mendiant à qui rien n’échappe ; car qui a besoin d’être dans la vie meilleur observateur qu’un mendiant ? — Tiens ! les fenêtres du manoir sont toutes grandes ouvertes ! Est-ce que les maîtres seraient de retour ou qu’on les attendrait ces jours-ci ?…

— Nenni da ! — fit le père Griffon. — Ils ne sont pas venus et on ne parle pas qu’ils viennent, m’a dit le fermier, l’autre soir. La marquise est morte l’an passé, quand ils s’en allèrent ; c’était son bien, à elle, et qu’elle aimait, que sa terre de Carteret, qui est, après tout, un beau bien ! Mais les enfants n’ont pas toujours le goût des pères : les jeunes gens ne pensent pas comme les anciens. P’t-être qu’on ne verra pas de sitôt de maîtres au manoir.

— Que le bon Dieu nous protège ! — dit le mendiant. — Ils faisaient du bien, tout jeunes qu’ils fussent, autant que la vieille marquise. Quand elle s’en retourna, les laissant au manoir, on ne s’aperçut pas qu’elle y manquât, ma finguette !… L’ouvrage alla tout de même dans Carteret pour ceux qui travaillent, et l’aumône itou, pour tous ceux qui, comme mai, sont cassés par l’âge et ne peuvent plus tenir un manche de charrue ou un fouet.

— Vère ! — répondit Griffon. — Ils sont de bonne race ; ce sont de braves gens, des gens de vieille roche, bons et sains comme de l’eau de mer. Vous avez, père Loquet, perdu une bonne porte, quand ils sont partis !

— Ce n’est pas mentir, ma finguette ! Avec cha que j’en avais perdu une autre, pour le moins aussi bonne, à la mort de la défunte comtesse de Mendoze, qui s’en est venue tourner l’œil à sa terre de la Haie d’Hectot. Encore une digne dame, celle-là, et morte si jeunette… de la pérémonie[1], à ce qu’ils disent. Ah ! s’il faut que les grandes gens s’en aillent et qu’il n’y ait plus que les fermiers sur les bonnes terres, ce sera un fameux malheur pour le pays ! »

Et comme, malgré l’heure, il faisait chaud sur cette grève et à trois pas de ce mur qui avait répercuté le soleil tout le jour, il ôta son grand chapeau, le planta sur l’extrémité de son bâton, et, du revers de sa main calleuse, il essuya la sueur qui collait ses cheveux gris à son front, labouré de rides.

— « C’est étonnant ! — dit-il. — V’là la demie de sept heures qui sonne partout, à Barneville et à Carteret, et il fait chaud comme à midi. Je viens de loin et je m’en retourne loin ; je prendrais bien un verre de bon cidre pour sécher ma sueur. »

On voyait à son air gaillard et à son bissac posé en baudrier sur son corps et gonflé aux deux bouts par les charités qu’on lui avait faites, que sa journée avait été bonne.

« Si vous n’étiez pas paresseux comme im vieux liron, — reprit-il, — j’vous dirais b’en de v’nir quant et mai jusqu’au Bas-Hamet de la Butte. J’ai récolté quéque mauvais sous dans les presbytères aujourd’hui, et j’pourrions d’viser, en amis, des affaires du temps passé d’vant une chopine ou même un pot. Ça vous va-t-il, mon vieux sabord ?… ajouta-t-il gaiement, de sa voix mordante. — La bonne femme Charline a acheté dernièrement un tonneau fait avec le crû le mieux famé de Barneville. C’est le meilleur baire de la côte : amer à la bouche, doux au cœur !

— Merci !… — fit le contre-maître de l’Espérance, — c’ne serait pas de refus, si le Bas-Hamet n’était pas si loin et si j’avais mes yeux pour en r’venir ce soir, à la tombée. Mais à c’tte heure, aveugle comme je suis, il est bien tard pour naviguer tout seul, sans boussole, dans une lieue de sable, car j’ne suis pas de ces aveugles qui s’orientent d’eux-mêmes, comme j’en ai vu… Et du diable ! si le cidre de la Charline, tout bon qu’il est, serait capable de me faire retrouver mon chemin perdu.

— Si ce n’est que cha, — répliqua le mendiant, qui, ce soir-là, était bon compagnon, — bougez-vous de d’là et vous en venez ! C’est aujourd’hui la veille de la Saint-Jean, le plus long jour de toute l’année ; j’avons le temps de siffler un pot ou deux, et même un coup de gin par-dessus, avant la nuit close. Quoiqu’j’aie tout le chemin de Sortôville à faire, mes quilles ne sont pas tellement lasses qu’j’ne puisse b’en vous reconduire jusqu’au petit pont. Une vieille chouette comme mai ne craint guères de s’attarder en route et marche aussi b’en de nuit que de jour.

— Tope donc ! » dit Griffon, qui se leva de ses marches. Et ils prirent le chemin du Bas-Hamet, en coupant diagonalement la grève pour arriver plus vite au cabaret de la Butte. Le soleil avait disparu dans les flots. Leur miroir, lisse comme un bassin, changeait ses reflets d’or en couleurs violettes qui s’évanouissaient à leur tour dans la couleur accoutumée de cette mer, verte, le soir, comme une prairie. Le plein était superbe et silencieux. Le vent d’ouest n’apportait dans l’étendue que le chant monotone des vachères qui revenaient de traire ou qui y allaient, du côté des terres de Barneville. Arrivés à un petit bras de mer, oublié par le reflux, comme il y en avait tant sur ces grèves, ils ôtèrent leurs chaussures et passèrent à gué, les jambes nues, dans ces eaux tièdes de toutes les fermentations d’un beau soir d’été. Ils avaient tous deux l’habitude de marcher dans ces sables où l’on enfonce jusqu’aux chevilles. Aussi atteignirent-ils bientôt le but de leur course. Quand ils eurent dépassé le houx de la Butte, le jour était haut encore, quoiqu’un mince croissant montrât déjà sa corne pâle dans un ciel foncé, qui devenait de plus en plus gros-bleu… Le varech, étendu devant les quelques maisons qui composaient le Bas-Hamet, exhalait l’odeur marine et forte qu’il conserve, quand le soleil l’a desséché. Avant d’entrer dans la cabane de dame Charline, ils entendirent la voix aigre de cette vénérable commère faire un insupportable dessus à d’autres voix, et le joyeux frémissement d’une friture, alors que le beurre, étendu et bouillonnant sur la poêle, attend le poisson qu’il va pénétrer. Charline Bas-Hamet était, en effet, assise devant un feu vif sur un escabeau. Elle apprêtait un souper pour quelques personnes, parmi lesquelles ils reconnurent le pêcheur Capelin. Une longue table, couverte d’une nappe et de pots d’étain, ornait cette espèce de cuisine, noire, enfumée, mais propre, car l’aire en était lavée et balayée plusieurs fois par jour. Jamais sorcière n’aima tant son balai que la Charline. Quand elle en avait bien joué, d’ici et de là, sur la terre de sa maison, elle passait à d’autres exercices et frottait perpétuellement un petit buffet en noyer et la vaisselle et les tasses anglaises qui le chargeaient, afin, disait-elle, de leur donner un reluisant qui engageât les pratiques à boire et à manger chez elle. Aux deux angles de cette pièce, qui composait, avec la grange cédée, comme on l’a vu, à la señora Vellini, tout le logement des Bas-Hamet, il y avait deux alcôves, l’une en serge verte, pour les deux filles, qui couchaient sororalement ensemble ; l’autre, pour le père et la mère, en serge bleue, avec un galon jaune et des glands. C’était le lit de leur mariage. C’était sous son ciel un peu passé que cette lune de miel, dont l’humeur acariâtre de Charline avait fait souvent une lune rousse, s’était levée et couchée, il y avait bien vingt-huit ans. Une fenêtre étroite, au bout de la table, éclairait cet intérieur, avec une porte basse qui donnait sur un petit jardin potager, et une plus grande qui s’ouvrait sur la grève. Celle-ci — selon la coutume normande — ne se fermait jamais qu’à la nuit et encore au loquet, comme au bon temps du duc Rollon.

— « Bonjour, la compagnie ! — firent nos deux amis en entrant, et ils allèrent s’asseoir sur la bancelle[2] qui entourait la table et dans l’embrasure de la fenêtre ouverte. — La Charline ! apportez-nous une chopine de votre nouveau tonneau, — dit le mendiant, qui semblait être très au courant de toutes les futailles du Bas-Hamet, — et ma finguette ! — ajouta-t-il comme un homme qui se cave de grosses dépenses, — si vous avez un peu de sauticot[3] et un morceau de choine[4] pour mettre avec, baillez-les ! car la brise du soir et la marche nous ont affilé l’appétit, et ce n’est pas tous les jours la veille de la Saint-Jean.

— Va pour le sauticot et le cidre ! — fit Griffon, — mais je veux payer mon écot aussi, comme mon confrère de la besace. Vous avez là de la friture qui sent bon, mère Charline ! donnez-nous-en avec une brave bouteille de ce gin qui a fait la nique aux habits verts[5], et qu’il y en ait pour le camarade Capelin et pour votre homme, quand il va revenir de la marée ; car c’est un vieux matelot comme moi que le père Bas-Hamet, et j’nous sommes rencontrés aux Indes dans un temps où j’n’avions froid ni aux yeux, ni au bout des doigts, mille pavillons ! »

La seconde des infantes de ce cabaret de pêcheurs, petite fille de douze ans, maigre comme une cigale, aux manches retroussées et aux bras plats, dont le chignon, couleur de filasse, tombait sur un cou que le soleil avait plus hâlé que bruni, tant il était naturellement blafard, mit sur la table la friture demandée à sa mère, et Capelin, le preneur de crabes, s’attabla, sans plus de cérémonie, avec les deux amphitryons.

— « Merci pour mon homme, — fit Charline, — mais buvez sans lui, mes braves gens. Il est à Jersey et ne reviendra qu’à la fin de la semaine. Il est parti par la marée d’hier, — au soir.

— A-t-elle été bonne, la marée d’hier soir, camarade Capelin ? — fit le Griffon à son convive.

— Ah ! la mer est meilleure que les hommes, — répondit Capelin, en engloutissant une moque[6] de cidre qu’il avait fait chauffer dans les cendres. — Elle donne toujours, mais les hommes n’achètent plus. Nous mourrons de faim, cette année, ou il nous faudra aller vendre notre poisson jusqu’à Valognes ou à Cherbourg. C’est bon, ça, pour Pierre le Caneillier qui a un bidet, mais c’est enrageant pour mai qui porte à dos mon petit mannequin[7]. Les bonnes maisons de l’an passé n’existent plus. Gn’y a p’us personne aux Eaux de la Taille, si ce n’est de vieux ladres qui marchandent jusqu’à leurs œufs, et le manoir de Carteret est vide ainsi que le château de la Haie d’Hectot.

— Est-ce que les maîtres ne reviendront pas à Carteret ? — dit Charline.

— Gn’y a pas d’apparence, — répondit Griffon.

— Ah ! — reprit Capelin d’un air d’importance, — la belle jeune dame ne s’y plaisait plus. Elle s’y ennuyait. Elle en a fait une maladie. Depuis la mort de la marquise, il y avait de la brouille dans le jeune ménage. Ils ont beau avoir du poisson frais sur leurs tables, les grandes gens ne sont pas toujours heureux.

— Oh ! par exemple, vous vous trompez joliment, père Capelin, — fit de sa voix fraîche la brune Bonine, qui repassait des coiffes sur une table à part, au fond du cabaret, et qui approcha son fer à repasser, bleu et lisse comme l’acier, de sa joue ronde et écarlate. — J’ai vu souvent madame de Marigny à la messe à Carteret, et je puis assurer qu’elle avait l’air bien heureux.

— Oui, oui, — dit Capelin, comme un homme parfaitement sûr de ses informations, — dans les commencements, mais pas sur les fins ! Il paraît qu’il y a eu entre les mariés des affaires que personne ne sait et ne connaît… La fille de chambre, mademoiselle Nathalie, une fameuse délurée tout de même et qui a tourné la tête à plus d’un garçon dans Carteret, le disait assez haut à qui voulait l’entendre. Mai aussi, j’l’ai vue, madame de Marigny, et p’us souvent que vous, mademoiselle Bonine, quand j’allions porter de la crevette et du homard au manoir. Elle descendait parfois à la cuisine, et j’puis vous jurer sur ma part de paradis qu’elle avait l’air aussi triste… que vous, mademoiselle Bonine, quand il fait un gros temps et que Richard le Caneillier est en mer. »

À ce mot, les joues déjà rouges de la pauvre Bonine flambèrent aussi fort que le charbon allumé sous son trépied et qui servait à chauffer son fer.

— « C’est comme je vous le dis ! — reprit Capelin, dont l’importance croissait en raison de l’attention qu’on donnait à ses commérages. — Il y avait queu’que chose entre l’arbre et l’écorce, et la cause de toute cette discorde était chez vous, mère Bas-Hamet !

— Taisez-vous, mauvaise langue ! — s’écria Bonine indignée, en frappant de son fer sur le linon qu’elle repassait et qu’elle roussit dans son impétueuse distraction.

— Qui ? — fit Charline, en montant tout à coup sa voix à des octaves inconnues aux musiques humaines. — Ah ! la Mauricaude, l’Espagnole ? Est-ce que vous en avez entendu causer à Carteret ?

— Pardié ! — dit le pêcheur de crabes, — c’est une histoire assez connue. La jolie Marie Meslin, la Sansonnet et la Lampérière l’ont assez racontée à tous les lavoirs du pays. Il m’est avis, la mère Charline, que vous la savez aussi bien que mai. Elles disaient donc que cette amfreuse[8] petite Mauricaude qui se retirait chez vous, mère Charline, et que j’avons tant rencontrée sur les grèves, était une ancienne de M. de Marigny, qu’il avait laissée là pour épouser sa femme, et qui le persécutait, depuis quelque temps, comme une vraie vision de Bréhat ! Elles ajoutaient qu’elle était un brin sorcière et qu’elle l’avait ensorcelé si bien qu’il ne pouvait se démêler d’elle. C’était là p’t-être des mauvais propos, car j’n’crais pas qu’il y ait des femelles qui chevauchent les hommes, comme le loup-garou chevauche le diable. On a toujours bien un parement de fagot, pas vrai, mère Charline ? dont on peut les régaler, quand elles commencent de viper[9] trop fort. Mais enfin, faux ou vrais, c’étaient là les bruits ! On les crayait, quand on l’avait vue, car sur mon âme, elle avait la mine d’un mauvais Esprit. Sa diable de figure noire ne vous revenait pas. Le soir, quand je la rencontrais rôdant dans les grèves, j’aurais mieux aimé, Dieu me protège ! rencontrer la blanche Caroline. Vous la rappelez-vous, père Griffon ? Un soir, à la brune, elle vint se chauffer avec nous, sous le havre, à un feu de matelots qui goudronnaient leur bâtiment. Vous aviez encore des yeux qui y voyaient dans ce temps-là. La belle madame de Marigny y vint itou. Vous vous souvenez de quel air elle la regarda, tout le temps ! C’est depuis ce soir-là que madame de Marigny a toujours été malade, car on dit qu’il est des yeux dans lesquels il y a des sorts comme dans les herbes, et qui ont le pouvoir de faire mourir.

— J’l’ai ouï dire en Sicile et en Corse, — dit le vieux Griffon, — mais jamais j’n’en ai eu la preuve par devers moi, et l’aumônier de l’Espérance disait que c’était un péché mortel de croire à ces sornettes, répandues dans l’esprit des hommes par leur vieux ennemi, le démon.

— Péché ou bonne œuvre, — répondit Capelin, — c’était la dirie sur la côte[10]. À toutes les portes où j’allais vendre mon poisson, on en causait. Y a p’us, mère Charline. D’aucuns prétendaient que vous en saviez plus long que vous ne vouliez en conter, et que, bien des nuits, M. de Marigny était venu voir la Mauricaude au Bas-Hamet.

— Ceux qui disent cela en ont menti ! — s’écria l’innocente Bonine, dont la voix monta presque au niveau de celle de sa mère.

— Oh ! oh ! mademoiselle Bonine, — reprit le pêcheur de crabes avec une très remarquable intonation d’ironie, — il ne faut pas monter, comme un lait qui bout, au moindre mot qu’on dit en riant ! Parce que la Mauricaude vous a donné les deux bagues que vous avez aux doigts, et qu’elle vous faisait regarder queuque fois dans son miroir charmé où vous voyiez si votre amoureux contait fleurette à d’autres, quand il dansait à la foire de Portbail, ce ne sont pas des raisons, voyez-vous ! pour jurer si fort de sa vertu. »

Bonine baissa sur son fer, moins brûlant que sa tête, un front que l’obscurité qui venait peu à peu empêchait de bien distinguer. Il était vrai que Vellini lui avait donné les deux bagues qui ornaient ses mains potelées et roses, et qu’un jour Capelin, qui passait dans le sentier du champ, au bout du jardin, avait vu l’Espagnole montrer son petit miroir d’étain à l’ignorante jeune fille, et l’avait entendue lui souffler ses superstitions.

— « Eh bien, après ? — dit la Charline, qui mit ses deux poings sur ses flancs évidés et secs, et qui vola tout à coup au secours de sa pauvre fille confondue, — quéqu’ça vous regarde, vieux endurci, les bagues de Bonine et ses amoureux ? Votre abominable langue en veut donc à tout le monde, ce soir, vieux bottier du diable, dont les paroles malavisées feraient tourner et pourrir le poisson sur la paille de son panier ! Qué qu’ça vous regarde, je vous le demande, la conduite de la Mauricaude ? Vous devait-elle quelque chose qu’elle ne vous a pas payé, pour que vous en disiez les horreurs de la vie ? Et ne v’là-t-il pas une fameuse garantie des débordements d’une femme qui vaut mieux à l’ongle de son petit daigt[11] que vous à tout votre vilain corps, que la langue de pierre-à-couteau d’un bavard comme vous, et pour mettre le beconage à prix[12] à même la réputation de toutes les honnêtes femmes, depuis Carteret jusqu’à Portbail ! »

Tous nos soupeurs, qui sirotaient leur gin, se mirent à rire à l’explosion retentissante de la colère maternelle de Charline. Sans doute, ils étaient accoutumés aux cris perçants de cette glotte d’acier qui avait les vibrations d’un gong chinois, car ils continuèrent de rigoler et de boire, pendant que le dominateur de la situation, le pêcheur de crabes, répliquait avec une insouciante tranquillité :

— « V’là b’en du bruit pour rien, mère Bas-Hamet ! mais des paroles, comme on dit, ne sont pas des raisons ! Vous avez p’t-être les vôtres pour ne pas parler de c’tte coureuse de Mauricaude, qui est partie sans qu’on sût même d’où elle venait. Mais, t’nez ! demandez à votre voisine, la petite veuve Montmartin, si elle n’a pas vu, toutes les nuits, le cheval noir de M. de Marigny attaché à la porte à côté, pendant que vous dormiez, vous, votre homme et vos filles, sans vous douter du maudit sabbat que la Mauricaude faisait dans votre grange avec son ancien amoureux ! Les fers du cheval — qui s’amusait moins que le maître, et qui piaffait en l’attendant, — ne faisaient pas grand bruit sur la litière de varech étendue à votre porte. Mais la Montmartin, qui depuis la mort de feu son homme, pris sous sa charrette, ne dormait pas, et se relevait la nuit pour rallumer son grasset[13], a vu, elle, plus d’une fois, M. de Marigny, et elle en a été si saisie qu’elle me le dit dans le temps et qu’elle ne l’aura pas oublié ! »

La Charline se taisait. Au fond, elle était friande de commérages. Qu’on ne s’y trompe pas ! Elle n’avait défendu l’Espagnole que pour couvrir Bonine attaquée. Mais elle ne haïssait pas les détails donnés par Capelin, et elle les écoutait avec un plaisir d’autant plus profond qu’elle le cachait.

— « Enfin, — dit le pêcheur de crabes, comme un orateur qui garderait la meilleure de ses preuves pour la dernière, — me nierez-vous aussi ce que j’ai vu moi-même, la mère ! et mieux que je ne vous vois, car la nuit tombe et il ne fait pas mal noir cheuz vous ? Les mauvais propos sont les mauvais propos. Mais il ne s’agit plus de la langue des autres. C’est moi, Capelin, assis à cette table, aussi vrai que je s’is vivant et que Dieu est Dieu, qui ai rencontré cet hiver M. de Marigny revenant du Bas-Hamet. Certes ! il n’en r’venait pas, à cette heure-là et dans cette saison-là, comme on dit, pour des prunes ; car il faisait un temps terrible, qu’on n’eût pas mis un chien dehors, et la bise soufflait dans la grève à vous couper la figure en trente-six morceaux.

— Vous aviez p’t’être trop bu d’un coup ?… — dit l’hôtesse du cabaret de la Butte, comme un cavalier allonge un coup d’éperon, en serrant la bride à son cheval.

— Non ! foi d’homme ! — reprit le narrateur. — Il était plus de minuit et je m’en r’venais de la pêche aux crabes. J’n’avais rien pris. Ma hotte était vide. La nuit avait été mauvaise comme quand la Caroline ou le Criard sont sous les dunes. Justement, je l’avais aperçue, la Caroline, qui rôdait aux environs du manoir. J’aurais même juré en justice qu’elle était entrée dans les cours ; et je m’dis, l’ayant vue de loin et ne la trouvant plus lorsque je passai devant les portes : « Est-ce qu’il y a queuque malheur qui menace les gens du manoir, que la Caroline hante chez eux, la nuit ? » Et je passai sans me détourner, car j’n’aime pas à la rencontrer, c’est la vérité ! quand, au bout du petit pont dont je t’nais la rampe, v’là que j’entends, patraflas ! et que j’avisai le cheval de M. de Marigny, qui entrait dans l’eau des quatre pieds. « Bon ! — me dis-je encore, en pensant à tous les propos de la fille de chambre, — bien sûr qu’il revient de voir la Mauricaude au Bas-Hamet. » I’me r’connut comme j’l’reconnaissais, et j’nous parlâmes. Mais p’t-être b’en qu’au fond de son cœur il n’en était pas plus content qu’il ne fallait et qu’il eût souhaité que je fusse à cent lieues de là… I’ne s’arrêta pas, et quand j’fus passé je le regardai qui filait, comme s’il y avait eu un diable assis sur la croupe de son cheval. C’tte Mauricaude, c’tte Caroline, le temps, la male heure qu’il était, tout me faisait venir des idées étranges à la tête… Pour se promener dans les grèves par ce froid de loup, quand on était riche comme M. de Marigny et qu’on n’avait pas sa pitance à gagner comme mai, et, par-dessus tout, pour quitter, à une pareille heure, une femme comme la sienne, la perle des femmes, qu’on n’en a jamais vu une pareille dans tout le pays ! il fallait bien que le diable s’en mêlât, et toutes les histoires des lavoirs me revinrent. Il s’en est tellement mêlé, Dieu m’ait en aide ! que pas plus tard que le lendemain, — j’ai marqué ça dans ma mémoire et par une entaille sur le manche du couteau que v’là, — la pauvre madame de Marigny était à la mort et qu’elle n’a jamais repris, depuis c’tte époque, la joie de ses yeux et les couleurs de la santé ! »

Et il frappa de son couteau — ce couteau, monument dont il invoquait le témoignage, — sur la table devant laquelle il était assis. Quand il se tut, il y eut un moment de silence : la Charline et Bonine étaient domptées par cette histoire, racontée avec une impression sincère. La nuit était enfin venue. Par la fenêtre ouverte, on voyait des lueurs de lune qui se jouaient dans le houx de la Butte, mais le profil de la maison projetait son ombre sur le varech. L’intérieur du cabaret plongeait dans l’obscurité. Il n’y rayonnait plus qu’un peu de braise dans l’âtre, et le feu de charbon qui chauffait les fers de Bonine. Superstitieux comme ils l’étaient tous, sur cette côte d’où le merveilleux ne s’est pas envolé encore, ils restaient sous l’empire du récit passionné de Capelin. La pauvre Bonine était la plus troublée. Elle sentait ses bagues tortiller autour de ses doigts comme de petites et sibilantes vipères, à la langue de flamme, et elle tremblait de s’être trop attachée à quelque favorite de Satan.

— « Eh bien, — dit Charline, qui était au fond une virago de cœur et de courage, — que le diable y fût ou n’y fût pas pour quelque chose, ce n’était pas, après tout, une mauvaise créature que la Mauricaude ! Elle avait ses idées et ses nivelleries[14], mais toutes les grandes gens ont les leurs. Si elle a fait de la peine à madame de Marigny, c’est un malheur, oui ! et je ne l’excuse pas ; car il faut laisser les maris aux femmes. Mais pour nous qui l’avons hébergée, j’n’avons rien à lui reprocher. Bien loin de là ! J’l’ons vue b’en des fois donner aux pauvres qui venaient lamenter à la porte. Elle était généreuse plus que b’en des riches qui ont de belles terres dans le pays.

— Ah ! pour cha, ch’est la vérité, — dit le mendiant Loquet qui s’était tu jusque-là, s’occupant à manger et à boire, au moins pour deux jours. — Ch’est la vérité qu’elle était charitable et pas fière ! Je n’sais pas si elle avait signé queuq’mauvais pacte avec Grille-Pieds, mais c’que j’sais bien, c’est que l’argent qu’elle m’a bouté n’a pas brûlé ma pouquette[15] et qu’elle m’en a donné, à plusieurs reprises, plus que personne depuis que j’rôde dans les environs… Un jour, surtout, que je la rencontrai avec M. de Marigny, qui sortaient tous deux du Tombeau du Diable… Vère ! du Tombeau du Diable !… ce qu’ils y avaient fait, j’n’en sais rien ! mais ils en sortaient. M. de Marigny, qui est grand aussi avec les pauvres, me vida tout son boursicot dans mon grand capet, ma finguette ! ils parlaient grimoire entr’eux, mais elle, la Mauricaude, m’dit qu’elle s’en r’viendrait avec mai au Bas-Hamet, et ma finguette ! elle y revint de son pied mignon, légère comme une bergeronnette, parlant et riant avec un vieux homme comme mai, et quand j’fûmes sous le chemin de Barneville, elle me donna itou tout ce qu’elle avait sur elle, si bien que, ce jour-là, je fis une journée comme j’n’en ai pas fait depuis et comme le bon Dieu ne m’en renverra peut-être jamais ! »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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C’est ainsi que sur cette côte sauvage et retirée de la Manche, au fond de ce cabaret de bouviers, de pêcheurs, de mendiants, on s’entretenait, un soir, de Vellini. Elle n’avait vécu que bien peu de temps sur ce rivage, et déjà tous ces gens simples, qui l’avaient connue, étaient pleins d’elle, ne parlaient que d’elle. La Mauricaude, comme ils l’appelaient, défrayait leurs conversations et s’imposait à leurs souvenirs. Elle allait peut-être bientôt entrer dans les légendes de la veillée comme cette blanche Caroline qui revenait aussi dans leur vie et dans leurs discours. Elle avait saisi l’imagination de ces êtres spontanés et primitifs, comme elle saisissait l’imagination des hommes les plus développés dans leurs facultés, les plus exigeants et les plus blasés dans leur goût, les plus hautains en sensation, en appréciation les plus difficiles. Les uns et les autres concluaient de la même manière, quand ils parlaient de l’Espagnole. Les hommes ont presque tous les mêmes pensées quand il s’agit des mêmes mystères, et il y en avait un en Vellini dont on pouvait bien décrire l’effet et la puissance, mais que l’observation humaine dépaysée était impuissante à expliquer.

Or, précisément le même soir où nos Bas-Normands devisaient chez la Charline de la Butte, — car dans ce jeu de la vie, il est de singuliers carambolages de circonstances, — le vicomte de Prosny se trouvait à Paris chez madame d’Artelles, avec la ponctuelle exactitude d’une montre dont elle était le grand ressort depuis quarante ans. Il avait dîné au café Anglais, son restaurant ordinaire, seul, avec lui-même pour tout convive, comme Lucullus chez Lucullus. C’était sa coutume de dîner seul. Il avait observé que la conversation — ce charmant hors-d’œuvre pour les oisifs à table, qui goûtent dédaigneusement du bout des lèvres les ailes de faisan piquées de crêtes ou les coulis d’ortolans truffés, — était une distraction et une duperie pour ceux qui, réellement, savent manger. Aussi, comme les Ascètes, qui redoublent au désert leur tête-à-tête avec Dieu, — comme les amoureux, ces autres Ascètes, qui emportent leurs maîtresses dans la solitude pour que les rayons les plus indifférents de leurs yeux ne soient à personne, — il avait appliqué aux sensations de la table cette concentration solitaire qui multiplie l’intensité du plaisir par l’isolement de tout ce qui n’est pas la jouissance elle-même. Quand il eut achevé sa tasse de café à Tortoni, dans ce petit salon bleu qu’avait aimé le prince de Talleyrand, il avait traîné sa lambine personne à l’Opéra, car il était un des plus vieux anecdotiers à lorgnettes du Coin de la Reine, puis il en était sorti et s’en était allé chez madame d’Artelles, après avoir fait un grand coude par la rue de Provence, où il avait pris une petite voiture basse qui l’avait charrié au faubourg Saint-Germain. C’était bien toujours le même homme qu’Éloy de Bourlande-Chastenay, vicomte de Prosny. Son maigre et grand corps, que les plaisirs de sa jeunesse n’avaient pu dissoudre et qu’un égoïsme de premier ordre avait fini par durcir dans ses eaux pétrifiantes, avait la solidité d’une pyramide, sous sa jaune et sèche enveloppe de papyrus. Depuis sa première apparition dans cette histoire, il n’avait pris (comme on dit) ni un jour ni une heure. Si notre corps ne pensait plus, peut-être, qui sait ? serions-nous immortels ! À ce compte-là, ce vide ambulant d’idées, le vieux Prosny, devait momifier la vieillesse. Son œil de faucon pour l’éclat étonné toujours, quand il n’était pas implacablement curieux, — n’avait pas plus perdu sa flamme verte qu’une émeraude d’un siècle n’a perdu la sienne, pour être enchâssée dans une gothique monture et vue sur le fond d’un bras de vieille femme, ridé et grenu. Il avait presque assisté à la mort assoupie de la marquise de Flers, de cette femme qui, mieux que Mirabeau, avait emporté, en mourant, les lambeaux de la monarchie et une bonté digne de durer toujours. Quoiqu’elle fût sa contemporaine et son amie, sa mort ne lui avait coûté ni un coup de dent ni un quart d’heure de sommeil. De longue main, il se préparait à soutenir le choc redoublé d’une perte plus cruelle encore, dans la personne de madame la comtesse d’Artelles, cette sœur Siamoise de la marquise, qui traînait sa vie au lieu de vivre, depuis la mort de sa moitié. La comtesse d’Artelles, il est vrai, était liée à lui par des intimités que le temps avait soudées dans toutes les habitudes de leur existence ; mais c’était un homme à enterrer toute une race d’amis et d’anciennes maîtresses avec l’impassibilité d’un fossoyeur. Routinier, tous les jours le voyaient, vers la même heure, dans le salon de madame d’Artelles. Ce petit salon de forme ovale et très drapé où se tenait la dolente comtesse, dans une bergère devant laquelle il s’établissait en vis-à-vis, était comme un temple consacré à l’Amitié et au Souvenir. Le soir, il était baigné des lueurs nageantes d’une lampe d’argent, chef-d’œuvre de ciselure et d’art, donné à la comtesse par la marquise, dont le portrait se répétait sur les lambris en plusieurs éditions, à différentes époques de sa vie. Des profusions de scabieuses et de violettes des bois emplissaient les vases des consoles ; car madame d’Artelles ne voulait autour d’elle que des fleurs de deuil, versant aux imaginations par les sens des inspirations mélancoliques. D’ordinaire, quand M. de Prosny entrait dans cet asile crépusculaire des brunes pensées, comme disait madame de Sévigné, ce vieux et souple praticien des convenances, qui connaissait le chagrin de la reine douairière de ses sentiments, avait la courtisanerie d’une tristesse qu’il raccordait à la sienne. Il se mettait au diapason des soupirs. Pour les besoins de cette situation de tous les soirs, il stéréotypait sur son visage cette phrase qu’il avait répétée longtemps sur la mort de sa femme. Médaille frappée à l’honneur de sa mémoire, à elle, et commémorative de ses débarras, à lui ! usée à force de l’exhiber. La comtesse lui savait gré de cette tristesse, revêtue à son seuil, et qu’elle prenait pour une éternelle sympathie. Mais ce soir, il était entré chez elle, et elle l’avait remarqué, d’un air presque scandaleusement dégagé. Une expression d’ironie retenue circulait dans le rictus de ses lèvres.

— « Eh bien, ma chère comtesse, — lui avait-il dit sans lui demander de ses nouvelles, et en lui baisant la main avec autant de distraction que si c’eût été une bague d’évêque et non la main d’une femme qu’il avait aimée autrefois, — prendrez-vous maintenant de mes almanachs ?

— Que voulez-vous dire avec vos almanachs ? — répondit madame d’Artelles, qui travaillait à son éternel filet, — et quelle mouche vous a piqué, monsieur de Prosny ? Vous dansez comme si c’était une tarentule ! On dirait que vous allez vous envoler.

— Pour vous prouver que non, je m’assieds, » fit-il, en s’affaissant dans une bergère. Sa badine, cette canne de muscadin, qui survivait à tous les badinages de sa trop badine jeunesse, vibrait entre ses jambes qu’il croisa, mais avec un mouvement qui sentait la superbe d’un triomphateur.

— « Ce que je veux dire, comtesse, c’est que mes prédictions sont accomplies ! — reprit-il d’un air solennel, mettant des pauses entre chaque mot comme s’il eût acclamé sa gloire, et poussant sa joue avec sa langue, en étudiant l’effet qu’il produisait sur madame d’Artelles. — Après dix-huit grands mois d’incertitudes, je viens à l’instant même d’acquérir la preuve d’une chose que j’avais depuis bien longtemps prévue et calculée, comme on calcule une éclipse. Au fait, c’est une éclipse aussi ! Le parangon des maris, M. de Marigny…

— M. de Marigny ?… — fit la comtesse, la tête levée et avec un point d’interrogation dans le regard.

— A fait comme le chien de la Bible, comtesse ! — dit de Prosny. — Il est retourné… vous savez bien où.

— Mais c’est fort malpropre, ce que vous dites là, vicomte ! — répondit madame d’Artelles, qui savait sa Bible et qui allait parfois au sermon.

— Mais dire n’est pas faire ! — dit le vieux cynique ; — et moi je ne me charge que de vous apprendre une chose que vous caractériserez, quand vous la saurez, comme il vous plaira. Voyons ! — ajouta-t-il en tirant sa montre et en la comparant à la pendule, — il est juste dix heures trois quarts. Où croyez-vous qu’est à cette heure M. de Marigny, ce génie de l’amour conjugal, éclos, par miracle ! dans la peau sulfurique d’un libertin ?…

— Ah ! mon Dieu ! — fit madame d’Artelles, — ma pauvre amie, la marquise de Flers, aura donc bien fait de mourir ?…

— Il est — continua M. de Prosny, qui passa sur le mot touchant de la comtesse, sans plus l’entendre que la roue d’un char n’entend les cris de ceux qu’elle broie, — rue de Provence, no 46, chez la señora Vellini.

— Est-ce bien sûr, cela ? — repartit la comtesse, qui voulait douter.

— Par Dieu ! si cela est sûr ! — fit le vicomte. — Je l’y ai vu entrer moi-même, et sa voiture, plantée à la porte, atteste le fait suffisamment à ceux qui passent. Américaine noire, attelage Isabelle, rosettes de rubans jaunes à la têtière des chevaux, avec l’écusson écartelé des Marigny et des Polastron aux portières, comme si nous n’étions pas en bonne fortune. Rien n’y manque, en fait d’étiquettes ! Marigny n’aime pas l’incognito. Ce que j’aime de lui, c’est que s’il devient ministre un jour, il mettra sa gloire à être impopulaire. Je ne connais pas d’être qui jette le gant à l’Opinion mieux que lui. »

La comtesse laissa tomber son filet sur ses genoux, muette, humiliée, consternée ; car, on l’a vu, elle avait cru à la conversion de M. de Marigny, par la vertu du grand orviétan de l’amour conjugal.

— « Il était à l’Opéra avec sa femme, — reprit M. de Prosny. — Il en est sorti presque avec moi, et je l’ai vu monter dans sa voiture sous le péristyle ; c’était après le deuxième acte. Il a laissé madame de Marigny dans une loge de face avec madame de Spaur et madame de Vanvres, et il s’en est allé, comme un prisonnier délivré, retrouver sa vieille maîtresse, comme s’il n’avait pas pour femme la plus belle et la plus intéressante personne de Paris !

— Voilà donc les hommes ! — dit madame d’Artelles ; — et pourtant, vous ne me croirez pas si vous voulez, monsieur de Prosny, mais je vous jure qu’il a aimé Hermangarde, que j’ai été témoin de cet amour et que je ne l’oublierai jamais !

— Et vous ferez bien, comtesse, — répliqua le Prosny, — pour que quelqu’un s’en souvienne ; car lui, probablement, ne s’en souvient plus ! »

Ici, il y eut une pause entre les deux septuagénaires. Mais Belzébuth et Belphégor, qui sont les diables du mariage, dansaient leurs danses dans les pensées du vieux Prosny ; car il reprit philosophiquement, avec un sourire comme doivent en avoir tous les genres de diables en gaieté :

— « Après tout, qu’y a-t-il d’étonnant à cette fin, qui est une reprise ? Est-ce que le Marigny dont nous avons jaugé les passions pouvait éternellement rester dans la solitude de Carteret, en vis-à-vis des perfections de madame sa femme, et passer ses jours à se mirer dans Son bonheur, — comme un fakir de l’Inde se mire dans le bout de son nez et passe quarante ans de sa vie à méditer sur la syllabe Boum ?…

— Si, monsieur de Prosny, c’est étonnant ! — dit mélancoliquement la comtesse. — De pareilles dépravations étonnent toujours. Voilà maintenant — reprit-elle après un silence — la tristesse d’Hermangarde expliquée ! Il n’y a donc pas que la mort de sa grand’mère qui ait jeté cette profonde pâleur sur son beau visage, et donné à son regard cette navrante expression qu’on comprend si peu et qui fait si mal ! La marquise de Cagny me le disait l’autre soir : « Pourquoi donc cette belle madame de Marigny, dont le mariage a tourné la tête à toutes les jeunes filles, qui ne veulent plus faire maintenant que des mariages d’inclination, a-t-elle dans le monde une si grande tristesse ?… On la dirait atteinte d’un chagrin qu’elle cache ou de quelque secrète et douloureuse maladie ? Est-ce la mort de sa grand’mère qui lui donne cet air-là ? Ou bien les suites de sa fausse-couche ?… Dans tous les cas, il n’est guères possible d’avoir moins que cette jeune femme, qui devrait être si heureuse, la physionomie de son bonheur. »

— Vous pourrez maintenant faire la réponse, — dit le vicomte, — et renseigner les curiosités de madame de Cagny. Hermangarde est sacrifiée à une ancienne maîtresse, et, quoiqu’elle s’en taise, elle le sait. Voilà toute l’histoire, et cette histoire n’est pas nouvelle. La Vellini ne se trompait guères quand elle me dit un soir, en gaminant avec sa pantoufle qu’elle faillit me jeter à la tête, que sa liaison avec M. de Marigny n’aurait jamais de dénouement. Elle savait la force de ses nœuds. Elle connaissait le pouvoir infaillible de ses amorces et comment on repêchait, toujours avec le même hameçon, dans le fond des bras d’une femme neuve et charmante, le poisson qu’on a fricassé, depuis dix ans, dans la poêle de tous les plaisirs ! Qu’on dise, après cela, que les hommes manquent de fidélité et de constance ! — ajouta M. de Prosny, en ouvrant somptueusement sa tabatière, comme si elle eût renfermé tous les arcanes de l’âme humaine.

— Taisez-vous, vicomte ! — fit madame d’Artelles impatientée. — Allez-vous appeler fidélité ou constance de pareilles abominations ?

— Ce sont des abominations, — dit M. de Prosny qui se dessina tout à coup en moraliste, — parce que cette Vellini n’est pas de votre faubourg, ma chère comtesse ; car vous avez fini par trouver très touchante, au faubourg Saint-Germain, la liaison, consacrée par des années de communauté, de madame d’Hénoës et de M. de Fargirens, dont le sentiment est définitivement et officiellement accepté… Ce sont des abominations, parce que c’est cette Vellini qui a cousu M. de Marigny à sa jupe. Mais supposez que ce fût madame de Marigny, par exemple, qui entraînât, au bout de dix ans, le señor Vellino, secrétaire de l’ambassadeur d’Espagne, marié et retournant, malgré son mariage, au pigeonnier de ses amours de dix ans, vous autres femmes, qui dirigez l’opinion dans ce pays, vous formeriez un bataillon carré d’amazones de moralité attendrie pour couvrir et défendre une si périlleuse situation, et vous êtes si spirituelles que probablement vous réussiriez !

— Et nous aurions raison ! — fit madame d’Artelles, qui, comme toutes les femmes, avait la grande solidarité de son sexe, et voyait la moralité des actions humaines moins dans le fond des choses que dans une certaine plastique de sentiments et d’attitudes. — Allez-vous comparer à une femme comme il faut, à un ange comme madame de Marigny, cette vieille macaque de Vellini, qui n’a pas dans sa personne l’ombre d’une excuse à offrir pour tous les torts dont Marigny se rend coupable envers une femme qui est vraiment une perfection ?…

— Ce n’est donc plus qu’une simple question de forme, — fit le Prosny, qui se retrouvait parfois avocat de sept heures, et qui avait des lucidités de logique ; — mais que savez-vous si la Vellini n’a pas, sous sa basquine d’Espagnole, des justifications à l’usage de M. de Marigny ?… Madame de Staël, qui avait la peau de nos bottes à revers, quand nous en portions, disait que ce n’était pas sur sa figure que Dieu avait mis son vrai visage. Et ne vous rappelez-vous pas la fameuse chute de cheval de la maîtresse du duc d’York, dans les mémoires de Grammont, laquelle retourna, bout pour bout, l’opinion d’une cour anglaise, délibérée et discutée comme un acte du parlement ? La Vellini, qu’on prendrait pour la femelle d’un Centaure, et qui monte à cheval comme la plus habile écuyère du Cirque, ne nous édifiera pas sur ce point de la question autant que l’est M. de Marigny. Mais, comtesse, quand je vous accorderais qu’elle est laide comme… tout ce qu’il y a de plus laid, n’êtes-vous pas des spiritualistes, dans votre faubourg Saint-Germain ? Et la constance de Marigny n’est-elle donc pas plus méritoire que si on l’expliquait avec des idées… avec des idées…

— Allons donc, vicomte ! — fit madame d’Artelles, interrompant les ricanements du vieux roué qui se permettait l’ironie. — Vous savez fort bien avec quoi on l’expliquerait, et vous, tout le premier ! sans qu’il en résultât beaucoup de gloire pour M. de Marigny, qui mourra, sans doute, dans l’impénitence finale d’un goût enragé.

— Un goût enragé et passé à l’état chronique, sans cesser, pour cela, d’être à l’état aigu, — repartit M. de Prosny, — c’est peut-être la meilleure définition qu’on puisse donner de l’amour. Ce qu’il y a de sûr, c’est que Marigny aurait dans le cœur un de ces sentiments dont vous autres femmes composez des religions, et qui contiennent les sept sacrements de l’amour, qu’il n’agirait pas autrement qu’il ne fait, à cette heure, avec sa señora Vellini.

— Elle lui a empoisonné l’âme ! — dit madame d’Artelles, échauffée par les indignations qu’elle couvait en écoutant le résumé du vieux Prosny.

— Je ne dis pas non, — reprit le vicomte, — mais avec quel poison, madame la comtesse ? Tout est là. Elle a créé en lui des besoins d’elle, infinis, éternels, que les plus ravissantes personnes avant Hermangarde, et Hermangarde par-dessus le marché, n’ont pu assoupir, ni faire oublier. En amour, même conjugal, comme en politique, y a-t-il autre chose que le résultat ? Et le résultat, comme pour les empires, n’est-il pas de briller et de durer ? Eh bien, voilà l’œuvre de cette Vellini que vous méprisez si fort, comtesse ! Nous serions au temps d’Éléonora Galigaï, dont elle a bien quelque chose, avec sa maigreur de brûlée et le feu cabalistique de ses yeux noirs, qu’on pourrait, ma foi ! très bien croire qu’elle a passé quelque pacte avec le Démon. Heureusement, nous sommes au xixe siècle ; et d’ailleurs, l’âme de Marigny ne ressemble guères à celle de la faible Marie de Médicis. Vous le dites vous-même : c’est avec les femmes un homme bien plus gouvernant que gouverné, de manière que… de manière que… on doit conclure que le Démon, c’est elle, en personne, avec tout son cortège de tentations ! »

Et il se tut, pensant à ces tentations dont il parlait, et que lui, le vieux épuisé des orgies du Directoire, avait parfois senties, comme des petites langues de feu, frétiller dans les veines de son sang croupi… Il poussait sa joue avec sa langue, ce tic qui lui était familier, et il rêvassait… Les idées, sans traduction possible, qui avaient souvent hanté son cervelet très corrompu, s’entrelacèrent dans sa pensée et y tournèrent, en se tenant par la main, comme les douze belles Heures du Guide, auxquelles elles ne ressemblaient pas. Ses distractions l’emportaient… on ne savait où ! Où se croyait-il ? Il ressemblait, dans son fauteuil, au duc de Brancas, le Ménalque de La Bruyère, étalé dans son fossé comme dans son carrosse, et s’y regardant trotter, sans bouger de la fondrière. Madame d’Artelles, la Validé de sa vie, qui n’avait pas perdu l’habitude de lire dans le parchemin de cette âme qui pouvait encore grésiller sur les réchauds du vice, pour peu qu’ils fussent bien allumés, fut piquée sans doute de voir son ancien cavalier-servant s’abandonner près d’elle à des distractions malséantes. Elle lui rendit piqûre pour piqûre. Avec cette malice de pensionnaire, originelle à la femme, et qu’on retrouve sous la peau de la plus majestueuse, quand on la gratte bien, elle prit son aiguille à filet et elle darda le genou de l’antique muscadin de toute sa force. Féroce plaisanterie, qui était tout ensemble une petite vengeance et une leçon.

— « Est-ce que vous dormez, monsieur de Prosny ? » fit-elle, hypocrite comme on ne l’est pas.

Il sauta comme une grenouille qu’on galvanise, malgré ses gouttes et le poids de sa digestion.

— « Diable ! — s’écria-t-il, — mais non, comtesse, je ne dormais pas. Vertu de femme ! vous avez là une atroce manière de réveiller les gens ! — ajouta-t-il, se frottant le genou de la main droite. — Vous piquez comme un picador !

— Cela vous rappellera le pays de cette Vellini ! » fit madame d’Artelles.

Et comme il redressait les vertèbres de son long buste et qu’il se levait :

— « Est-ce que vous me quittez ? — reprit-elle. — Mon aiguille à filet vous met-elle en fuite ?

— Non, — répondit-il, — mais il est onze heures ; l’heure du whist au Cercle de la rue de Grammont. Il doit y faire joli, ce soir, si quelque indiscret a vu stationner la voiture de M. de Marigny, rue de Provence, à la porte de la señora. Vous vous rappelez ces paris que les amis de Marigny ont engagés sur son mariage ? Les voilà perdus et gagnés ! Le tour est fait. C’est le jour des comptes. Rupert a solennellement promis que, s’il gagnait ses trois cents louis, il donnerait un souper sterling à tout le Cercle, et que j’en dicterais le menu. Ces jeunes gens se sont souvenus que j’avais été le convive des soupers de Cambacérès, et ils ont voulu honorer ma vieillesse de cette dernière marque de considération… de manière que…

— Elle est flatteuse ! — interrompit ironiquement madame d’Artelles. — Quelle horreur ! Souper ainsi du bonheur d’une femme !

— Ma foi ! ce n’est pas nous qui l’avons jetée aux murènes, — fit le vicomte. — Que Marigny s’arrange comme il pourra avec sa conscience ! Nous n’avons, nous, à nous occuper que de souper ! »

Et, sur ce mot, il salua la comtesse d’Artelles et s’en alla au Cercle de la rue de Grammont.



FIN



  1. Pulmonie (patois).
  2. Bancelle, — petit banc.
  3. Espèce de crevette bâtarde (expression populaire).
  4. Comme choine pour pain blanc, pain de choix, probablement.
  5. Les douaniers.
  6. Espèce de tasse à fond large et à une seule anse.
  7. Panier d’osier qui a la forme d’un cône renversé.
  8. Affreuse.
  9. Onomatopée de génie. Vibrer n’exprime qu’un son. Mais il y a le sifflement suraigu des colères de la vipère dans viper, mot digne de faire une entrée triomphale dans la langue, si la porte n’en était pas si basse et si étroite.
    (Note de l’auteur.)
  10. La dirie, — ce qu’on dit.
  11. Pour doigt.
  12. Mettre le béconage à prix, — mettre à prix l’action de se servir du bec, probablement. Tout ce dont l’auteur répond, c’est qu’une pareille locution est employée dans les basses classes de Normandie.
  13. Petite lampe à bec, qu’on attache par un crochet à la muraille et qui contient de l’huile en réserve dans un double fond.
  14. Mot patois, — synonyme à manies et à bagatelles, tout ensemble.
  15. Pouquette pour pochette. On l’écrit ici comme les paysans normands le prononcent.