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Une voix dans la foule/Écrit dans la tristesse

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Une voix dans la fouleMercure de France (p. 49-53).
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ÉCRIT DANS LA TRISTESSE

I

Les heures passent sous la pluie
Et dans le bruit du vent d’hiver.
Ma joie est à jamais enfuie
Sur les ailes des oiseaux d’hier.

L’été rouge et le jaune automne
Ont donné leurs fleurs et leurs fruits.
Sur mon toit la tempête tonne,
Et mes beaux jardins sont détruits.


Amour, la trace est effacée
De tes derniers pas sur mon seuil
Où naguère s’était dressée
La folle à qui je fis accueil.

Ô nuits futures, quel silence
Envahira cette maison
Si triste après la turbulence
De la danse et de la chanson ?

Entendre mon pas solitaire
Dans les chambres et les couloirs,
Ouvrir les portes et me taire
Devant le vide des miroirs,

Quelle douleur ! Puis à chaque heure
Que l’horloge ne sonne plus,
Quelle ombre accrue en la demeure
Où mon deuil oiseux s’est reclus !

Je ne vis plus qu’avec des rêves
Qui craignent le jour et le bruit.
Mon âme, est-ce que tu t’achèves
Dans la poussière de la nuit ?


Qui viendra jeter la poignée
De bois dans l’âtre désempli
Où frissonne au vent l’araignée,
Grise tisseuse de l’oubli ?

Hélas ! Il ne viendra personne.
Je suis délaissé des humains.
Sans moi l’on sème et l’on moissonne.
Mort, mon cœur, et mortes, mes mains !


II



La tempête tonne. Qu’importe
Son vacarme à ce moribond
Qui, sans pitié, laisse à sa porte
Frapper les poings du vagabond ?

J’écoute, le front dans mes paumes
Et les coudes sur mes genoux,
Le chuchotement des fantômes
Qui vont rôdant autour des fous.


Femme, ne reviens pas épandre
Ta chevelure sur mon seuil,
Ni lancer au ciel de la cendre
En murmurant des chants de deuil.

Ta voix, je l’ai bien oubliée
Comme la couleur de tes yeux.
Après t’avoir tant suppliée
Je t’abandonne au soin des dieux.

À toi, sous des cieux moins moroses,
D’autres chansons par les chemins,
D’autres danses parmi les roses,
Et d’autres lèvres sur tes mains.

Ainsi soit-il ! Moi je demande
Aux ténèbres leur réconfort,
Car les seuls baisers que j’attende
Sont ceux, maternels, de la Mort.

N’ayant plus espoir qu’en les songes
Qui font oublier, sans retour,
Tous les masques et les mensonges
Dont se leurre le pauvre amour,


Je sentirai sur moi descendre
L’ombre où nulle étoile ne luit,
Sans crainte ni désir d’entendre,
Ô toi, ton appel dans la nuit.

Car je sais que veille à ma porte
L’ange qui n’aime ni ne hait,
Celui dont la mémoire est morte
Et qui, les yeux vides, se tait.