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Une voix dans la foule/De l’amour et de la mort

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Une voix dans la fouleMercure de France (p. 128-130).

DE L’AMOUR ET DE LA MORT

Laisse-moi, puisque la mort se mêle au plaisir,
Pleurer de trop d’amour, toi qui ris de désir !
Mes larmes te seront douces comme la pluie
Sur la chaleur des fleurs en la belle saison.
Et laisse, avant que l’Amour à jamais s’enfuie
Du silence et de l’ombre de notre maison,
Une nuit où la Mort, malgré notre anathème,
S’en viendra choisir de nous deux celui qu’elle aime,
Ah ! laisse nos cœurs, tels des nids, s’emplir de chants
Qui mourront dans l’aurore où respirent les anges,
Et d’ailes qui, pour avoir fui trop loin des fanges,
Saigneront de là-haut sur les chemins des champs.


Trop tôt à notre gré, pour ne pas les maudire,
Nous entendrons tomber les corolles sur l’eau,
Les soirs où l’on se tait de peur de trop se dire.
Les miroirs ne réfléchiront plus ce tableau
D’aube, de verdure et d’eau rose dans leurs cadres,
Et les jours pencheront bientôt vers le sommeil,
Cachant sous les brouillards le trésor du soleil,
Tels, manteau serré sur leur or, des vieillards ladres.
Mais puisque, des fleurs du sol aux astres du ciel,
La Terre, frais fleurant le lilas et la menthe,
Est belle aujourd’hui comme à Pâques un autel,
Nous ne songerons plus que l’Amour est mortel
Ni que seule la Mort est la fidèle amante.

Donc, feignant de croire que tout est éternel,
Aimons-nous, malgré le glas des heures avides,
Par nos bouches en fleur se cherchant chaque soir,
Par nos yeux heureux, le matin, de se revoir,
Par nos mains qui s’étreignent de peur d’être vides,
Et pour mieux te tromper, Sournoise qui nous guides
Vers tes jardins ombreux de pins et de cyprès,
Aimons-nous par les mots magiques des poèmes,
Et les dieux nous ouvrant leurs royaumes secrets.
Et nos âmes en quête de nouveaux baptêmes.


Et lorsqu’au temps futur de deuil et de clarté,
L’un de nous, pour frayer vers Dieu la route à l’autre,
S’en ira, pleurant dans ses mains comme un apôtre,
Combien doux sera-t-il, à l’amant déserté
Qui, debout sur le seuil, regardera les heures
Du jour et de la nuit passer sur les demeures,
De sourire à la croix sanglante que le Sort
Sera venu tracer, assassin, sur sa porte,
Parce qu’il aura su t’évoquer à voix forte,
Amour qui ris encor dans les bras de la Mort !