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Une voix dans la foule/La Triste Église

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Une voix dans la fouleMercure de France (p. 181-184).

LA TRISTE ÉGLISE

À Numa Gillet.

J’entends dans le vent tinter la cloche
De la petite éçlise des champs
Où l’on ne va, du village proche,
Que pour des enterrements d’enfants.

Son cimetière est plein d’herbes folles
Qui frémissent sur tous les tombeaux ;
Son portail est vert de mousses molles,
Dans ses deux tours gîtent des corbeaux.


Son seuil, toute l’année, est sans roses
Et son autel sans cierges la nuit.
Parfois un prêtre aux gestes moroses
Y rôde avec des clefs et s’enfuit.

À son ombre, la route où ne passe
Personne du printemps à l’hiver
Vient d’on ne sait où, là-bas, puis, lasse,
Meurt quelque part au bord de la mer.

La pluie est grise pendant l’automne
Sur le pays jaune d’alentour.
C’est la saison mortelle où frissonne,
Au cœur lourd de la terre, l’amour.

Nul bruit, sauf celui du vent des dunes
Ou des larmes autour d’un cercueil.
Que luisent les soleils ou les lunes,
La cloche n’a voix que pour le deuil.

T’ouvriras-tu jamais à la joie,
Pauvre petite église des champs,
Quand de chaque jardin qui verdoie
Monteront des ailes et des chants ?


Viendra-t-elle au tournant de la route,
Sur des airs légers de violons,
La noce aux belles toilettes, toute
Folle de rubans et de galons ?

Ou verra-t-on, lançant des dragées,
La bonne marraine et le parrain
Mener jusqu’à tes marches rongées
Les gens du baptême et tout leur train ?

Hélas ! C’en est fini. Nul n’adore
Ton pâle Christ aux jeux sépulcraux ;
Ton encens à jamais s’évapore,
La poussière ternit tes vitraux.

Les saisons peuvent mourir ou naître,
L’on ne portera plus au saint lieu,
Comme une offrande qu’on doit au maître,
Les prémices des bontés de Dieu.

L’on épandra sur l’aire des granges
Tout le blé pour notre seule faim ;
C’est pour notre soif qu’après vendanges
Dans les cuves fumera le vin.


Lance ton appel sur la contrée !
Nul, de ton clocher à l’horizon,
Ne s’arrêtera, cette vêprée,
Pour murmurer la vieille oraison.

Nous ne te porterons en cortège
Que nos enfants trépassés sans foi,
Puis, dans la poussière ou dans la neige
Nos pas s’effaceront loin de toi.

Que l’herbe voile ton cimetière
Et que les corbeaux souillent tes tours !
Meurs solitaire, pierre par pierre,
De la morsure lente des jours,

Jusqu’à ce que tu sois devenue
La ruine maudite qu’on fuit
Dans le vent obscur et sous la nue,
Demeure des morts et de la nuit !