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Une voix dans la foule/Pour chanter l’amour

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Une voix dans la fouleMercure de France (p. 111-113).

POUR CHANTER L’AMOUR

L’Amour a passé dans ma vie
En riant comme un enfant fou.
Il rougissait de chaude envie
Et portait des chaînes au cou,

Chaînes de lilas et de roses
Qu’il allait suspendre en festons,
Du soir à l’aube, aux portes closes
Où sa main frappait à tâtons.


Il buvait à toutes les coupes
Et s’endormait dans tous les bras,
Ce prince des mauvaises troupes
D’ivrognes et de scélérats.

Mais voici qu’un matin d’automne
Le méchant vit sur le chemin
Venir à lui, belle et si bonne,
Celle dont il baisa la main.

Elle avait brune chevelure
Et les yeux couleur de la mer ;
Douce aux fleurs était son allure
Et ses lèvres embaumaient l’air.

Parmi les danses des vendanges,
L’Amour, faisant son pas léger,
La poursuivit, le cœur plein d’anges,
Du noir vignoble au clair verger.

Il la suivit jusqu’au village
Dont les toits fument dans le soir,
À l’heure où l’angelus propage
Du ciel aux champs un peu d’espoir.


Et depuis, tandis qu’elle chante
En filant le lin pur des jours,
Il cherche, pour que Dieu les tente,
Ceux qui pleurent aux carrefours ;

Et, leur prenant la main, les mène
Au seuil béni de sa maison
D’où volent, conjurant la haine,
L’hymne de joie et l’oraison.