Une voix du Père-Lachaise/Préface

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Une voix du Père-Lachaise ou ses inscriptions jusqu’en 1853
Chez l’auteur, rue de la Roquette, 136, et chez les concierges et les conducteurs du cimetière (p. v-ix).

PRÉFACE.

Après avoir parcouru dix-neuf ans ce vaste champ de repos, il me sera peut-être permis d’en parler. La tâche que je m’impose me sera donc rendue facile par ce long laps de temps qui doit m’avoir familiarisé avec son site pittoresque, et ce qui est de quelque intérêt pour les visiteurs ; mais une chose à montrer aux étrangers dont ils sont souvent avides, les inscriptions les plus remarquables, m’a toujours été impossible, ce que l’on comprendra facilement.

Le but que je désire atteindre en publiant ce petit ouvrage n’est rien moins que de vouloir reproduire fidèlement les épitaphes que je jugerai dignes de quelque attention, de mentionner tous les noms qui se sont illustrés dans les sciences, les arts, la magistrature, le commerce, etc. ; enfin tous ceux qui se sont distingués d’une manière honorable. Si parfois j’en oubliais, je leur en demande pardon d’avance, et à ceux dont il m’a été impossible de citer, « Que la terre leur soit légère. »

Beaucoup de gens croient que ce Cimetière date de plusieurs siècles, que le Père Lachaise y est enterré, ce qui est une erreur très-grande. Ce n’est que le 1er mai 1804 que l’on a inhumé le premier corps[1] dans ce lieu, autrefois appelé Folie-Regnault, nom d’un épicier, propriétaire de ce terrain, qui y fit construire une petite maison de campagne.

Le docteur François Lachaise, confesseur de Louis XIV, avait choisi cet endroit pour sa demeure favorite ; on y rencontrait alors Mmes de Montespan, de Lavallière, de Maintenon, à cette époque séjour de la distraction, aujourd’hui celui du deuil. La ville de Paris sentant le besoin de créer de nouveaux cimetières extrà-muros, acheta les cinquante-deux premiers arpents pour sa destination actuelle, appelé alors Mont-Louis, maintenant cimetière de l’Est, et généralement Père Lachaise ; avec les dernières acquisitions que l’on vient de faire, ce lieu à jamais célèbre couvrira près de deux cents arpens de terrain.

Depuis son ouverture, que de larmes ont été répandues ! Que de sanglots se sont échappés ! Que de gémissements se sont fait entendre ! Il faut être comme nous témoins de ces peines, lorsque nous conduisons pour la première fois les plus proches parents à la tombe des leurs ; que de fois ai-je partagé ces chagrins ! le souvenir m’inonde encore les yeux !

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Si on doutait de ce que j’avance, que l’on demande si cela est exact à la sœur de M. Cantzeler, ex-consul, qui est venu de bien loin à la tombe de son frère, plusieurs fois ce fut la même scène ; à la famille du comte de Mörner de Stockohlm ; à la princesse Galitzin de Russie, dont le mari lui a été enlevé en 1842 ; à Mme Avrial de Paris, 1848 ; à Mme Lafuente, si la veille de son départ en 1851, elle n’est pas venue avec une autre personne porter des couronnes à son époux, et n’a pas baisé la pierre du caveau provisoire où se trouvaient déposés les restes précieux de son mari ! Tous vous répondront affirmativement. Oui ! nous y avons pleuré… Il faut que l’on soit séparés pour toujours pour se regretter à jamais. À peine sommes-nous hors de vue que notre cœur demande un soulagement qui est celui de verser des pleurs ; n’est-ce pas l’expression lumineuse d’une révélation de l’âme, le doigt de la religion dont Dieu se sert pour nous tracer l’itinéraire de notre salut ? La sensibilité n’est-elle pas inhérente à la civilisation ? quel que soit le culte que l’on professe, y a-t-il des croyants sans croyance ? Sans foi, que deviendrait le cercle qui nous protège contre le barbarisme ? il serait immédiatement brisé, et les lois du paganisme entreraient en foule au milieu de nous avec toutes les horreurs de la malveillance ; la terreur, fille de la cruauté, s’y promènerait avec sa torche incendiaire, semant partout la désolation, l’épouvante. En 1831, un orateur distingué s’écrie au milieu d’une discussion chaleureuse : « L’accomplissement du devoir est une obligation de la vie. » Rien n’est plus vrai, car devoir et religion sont synonymes, l’un est le corollaire de l’autre, l’évidence peut en ressortir dans tout ce que nous faisons. Est-ce que ce que l’on fait religieusement, consciencieusement, n’est pas beaucoup mieux que ce que l’on produit avec indifférence ?

Revenons au sujet de ma petite entreprise, parlons un peu de ceux qui s’assignent un rendez-vous dans les cieux ; sont-ils sûrs d’y être admis ? là est la question. Pour y entrer il faut en être digne, cette clef ne se confie pas à tout le monde, au premier venu ; puisque nous invoquons les prières des passants pour les autres, qui en ont peut-être moins besoin que nous-mêmes, c’est que nous reconnaissons déjà quelques difficultés ; c’est un demi-aveu de notre impuissance. Si nous ne sommes pas suffisamment instruits, lisons Bossuet, parcourons Fléchier, consultons les prônes de Massillon ou de Bourdaloue, nous y trouverons à chaque ligne l’inspiration des grandes et sublimes pensées d’une conviction vraie, irrécusable. Que nous dit l’Évangile ? La mémoire du juste sera éternelle ; n’est-ce pas la foi ? Un savant étranger connu par ses sermons, que les royaumes unis de la Grande-Bretagne admirent et honorent, Blair, nous dit aussi :[2] Celui qui cherche la sagesse la trouvera ! N’est-ce pas l’Espérance ? Enfin Fénélon, dont l’autorité n’est point douteuse, nous prêche cette belle maxime : Heureux sont ceux qui peuvent faire le bien et qui le font ! N’est-ce pas la Charité ? Pratiquons ces sages conseils, n’oublions point le Christianisme. Évitons les querelles, ne faisons jamais de mal, mais faisons tout le bien que nous pouvons.



  1. 1er Prairial an XII. Beaumais Nicole, âgée de 2 mois.
  2. « He who seeks after wisdom shall find it »