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Utilisateur:Abecido/Voltaire2

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Abecido
Correspondance, I (1711-1735)GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 102-201).

Les plus grandes plaies, quand aucune partie essentielle n’est offensée, se referment aisément, soit qu’on les suce, soit qu’on les fomente avec du vin et de l’huile, soit qu’on se serve de l’eau de Rabel[1], soit qu’on y applique des emplâtres ordinaires, soit enfin qu’on n’y mette rien du tout. Mais lorsque les ressorts de la vie sont attaqués, alors le secours de toutes ces petites recettes devient inutile, et tout l’art des plus habiles chirurgiens suffit à peine : il en est de même de la petite vérole.

Lorsqu’elle est accompagnée d’une fièvre maligne, lorsque le volume du sang augmenté dans les vaisseaux est sur le point de les rompre, que le dépôt est prêt à se former dans le cerveau, et que le corps est rempli de bile et de matières étrangères, dont la fermentation excite dans la machine des ravages mortels, alors la seule raison doit apprendre que la saignée est indispensable ; elle épurera le sang, elle détendra les vaisseaux, rendra le jeu des ressorts plus souple et plus facile, débarrassera les glandes de la peau, et favorisera l’éruption ; ensuite les médecines, par de grandes évacuations, emporteront la source du mal, et, entraînant avec elles une partie du levain de la petite vérole, laisseront au reste la liberté d’un développement plus complet, et empêcheront la petite vérole d’être confluente ; enfin on voit que le sirop de limon, dans une tisane rafraîchissante, adoucit l’acrimonie du sang, en apaise l’ardeur, coule avec lui par les glandes miliaires jusque dans les boutons, s’oppose à la corrosion du levain, et prévient même l’impression que d’ordinaire les pustules font sur le visage.

Il y a un seul cas où les cordiaux, même les plus puissants, sont indispensablement nécessaires : c’est lorsqu’un sang paresseux, ralenti encore par le levain qui embarrasse toutes les fibres, n’a pas la force de pousser au dehors le poison dont il est chargé. Alors la poudre de la comtesse de Kent, le baume de Vanseger, le remède de M. Aignan[2], etc., brisant les parties de ce sang presque figé, le font couler plus rapidement, en séparant la matière étrangère, et, ouvrent les passages de la transpiration au venin qui cherche à s’échapper.

Mais, dans l’état où je suis, ces cordiaux m’eussent été mortels. Cela fait voir démonstrativement que tous ces charlatans, dont Paris abonde, et qui donnent le même remède (je ne dis pas pour toutes les maladies, mais toujours pour la même), sont des empoisonneurs qu’il faudrait punir.

J’entends faire toujours un raisonnement bien faux et bien funeste. Cet homme, dit-on, a guéri par une telle voie ; j’ai la même maladie que lui, donc il faut que je prenne le même remède. Combien de gens sont morts pour avoir raisonné ainsi ! On ne veut pas voir que les maux qui nous affligent sont aussi différents que les traits de nos visages ; et, comme dit le grand Corneille, car vous me permettrez de citer les poètes :

Quelquefois l’un se brise où l’autre s’est sauvé,
Et par où l’un périt un autre est conservé.

(Cinna, II, i.)


Mais c’est trop faire le médecin : je ressemble aux gens qui, ayant gagné un procès considérable par le secours d’un habile avocat, conservent encore pour quelque temps le langage du barreau.

Cependant, monsieur, ce qui me consolait le plus dans ma maladie, c’était l’intérêt que vous y preniez, c’était l’attention de mes amis, et les bontés inexprimables dont Mme[3] et M. de Maisons m’honoraient. Je jouissais d’ailleurs de la douceur d’avoir auprès de moi un ami, je veux dire un homme qu’il faut compter parmi le très-petit nombre d’hommes vertueux qui seuls connaissent l’amitié, dont le reste du monde ne connaît que le nom : c’est M. Thieriot, qui, sur le bruit de ma maladie, était venu en poste de quarante lieues pour me garder, et qui, depuis, ne m’a pas quitté un moment. J’étais le 15 absolument hors de danger, et je faisais des vers le 16, malgré la faiblesse extrême qui me dure encore, causée par le mal et par les remèdes.

J’attendais avec impatience le moment où je pourrais me dérober aux soins qu’on avait de moi à Maisons, et finir l’embarras que j’y causais. Plus on avait pour moi de bontés, plus je me hâtais de n’en pas abuser plus longtemps. Enfin je fus en état d’être transporté à Paris le 1er décembre. Voici, monsieur, un moment bien funeste. À peine suis-je à deux cents pas du château qu’une partie du plancher de la chambre où j’avais été tombe tout enflammée. Les chambres voisines, les appartements qui étaient au-dessous, les meubles précieux dont ils étaient ornés, tout fut consumé par le feu. La perte monte à près de cent mille livres ; et, sans le secours des pompes qu’on envoya chercher à Paris, un des plus beaux édifices du royaume allait être entièrement détruit. On me cacha cette étrange nouvelle à mon arrivée : je la sus à mon réveil ; vous n’imaginerez point quel fut mon désespoir ; vous savez les soins généreux que M. de Maisons avait pris de moi : j’avais été traité chez lui comme son frère, et le prix de tant de bontés était l’incendie de son château[4]. Je ne pouvais concevoir comment le feu avait pu prendre si brusquement dans ma chambre, où je n’avais laissé qu’un tison presque éteint. J’appris que la cause de cet embrasement était une poutre qui passait précisément sous la cheminée. C’est un défaut dont on s’est corrigé dans la structure des bâtiments d’aujourd’hui ; et même les fréquents embrasements qui en arrivaient ont obligé d’avoir recours aux lois pour défendre cette façon dangereuse de bâtir. La poutre dont je parle s’était embrasée peu à peu par la chaleur de l’âtre, qui portait immédiatement sur elle ; et, par une destinée singulière, dont assurément je n’ai pas goûté le bonheur, le feu, qui couvait depuis deux jours, n’éclata qu’un moment après mon départ.

Je n’étais point la cause de cet accident, mais j’en étais l’occasion malheureuse : j’en eus la même douleur que si j’en avais été coupable ; la fièvre me reprit aussitôt, et je vous assure que, dans ce moment, je sus mauvais gré à M. de Gervasi de m’avoir conservé la vie.

Mme et M. de Maisons reçurent la nouvelle plus tranquillement que moi : leur générosité fut aussi grande que leur perte et que ma douleur. M. de Maisons mit le comble à ses bontés, en me prévenant lui-même par des lettres qui font bien voir qu’il excelle par le cœur comme par l’esprit : il s’occupait du soin de me consoler, et il semblait que ce fût moi dont il eût brûlé le château ; mais sa générosité ne sert qu’à me faire sentir encore plus vivement la perte que je lui ai causée, et je conserverai toute ma vie ma douleur aussi bien que mon admiration pour lui.

Je suis, etc.

102. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES[5].

Décembre.

Je me porte un peu mieux depuis quelques jours, et je n’en attends votre retour qu’avec plus d’impatience. Ce qui me fait croire que j’aurai de la santé, c’est que je passe les journées entières à travailler, sans m’en sentir incommodé. J’ai bien peur que Mlle Lecouvreur ne puisse jouer Mariamne : elle a une perte de sang qui affaiblit furieusement sa misérable machine. Je vous remercie bien de toutes les attentions que vous avez pour le petit bâtard. Les deux mille habits qu’on veut lui faire encore sont très-inutiles : je n’en veux point du tout ; mais j’ai un très-grand désir de le voir arriver vêtu de toile cirée. Je vous demande plusieurs grâces :

1o Que vous vous souveniez de donner…, à un homme sûr la lettre que je vous ai envoyée pour Boulogne, et que vous en accusiez réception par votre première lettre ;

2o Que vous m’informiez sûrement du jour du départ, et de l’arrivée à Boulogne ;

3o Que vous demandiez ou fassiez demander à Viret un mémoire de ce qu’il a reçu de moi, article par article, et que vous ayez la bonté de me l’envoyer ;

4o Que vous disiez à Martel que je ne veux que deux mille habits, lesquels à un sol et demi pièce, prix fait, font cent cinquante livres. Si on en a fait davantage, on payera le surplus ; mais qu’on s’arrête et qu’on emballe.

Voilà à peu près toutes vos instructions ; la plus importante est que vous reveniez incessamment : tous nos amis vous souhaitent et vous aiment aussi tendrement que je vous aime. Adieu, écrivez-moi et revenez, au nom de Dieu, revenez, je vous en conjure.


103. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

20 décembre.

Je reçus votre dernière lettre hier 19, et je me hâte de vous répondre, ne trouvant-point de plus grand plaisir que de vous parler des obligations que je vous ai. Vous, qui n’avez point d’enfants, vous ne savez pas ce que c’est que la tendresse paternelle, et vous n’imaginez point quel effet font sur moi les bontés que vous avez pour mon petit Henri. Cependant l’amour que j’ai pour lui ne m’aveugle pas au point de prétendre qu’il vienne à Paris dans un char traîné par six chevaux ; un ou deux bidets, avec des bâts et des paniers, suffisent pour mon fils. Mais apparemment que votre fourgon vous apporte des meubles, et que Henri sera confondu dans votre équipage. En ce cas, je consens qu’il profite de cette voiture ; mais je ne veux point du tout qu’on fasse ces frais uniquement pour ce marmouset. Je vous recommande instamment de le faire partir avec plus de modestie et moins de dépense ; Martel est surtout inutile pour conduire ce petit garçon. Je vous ai déjà mandé que vous eussiez la bonté d’empêcher qu’on ne lui fît ses deux mille habits[6] : ainsi il sera prêt à partir avec vous, et il pourra vous suivre dans votre marche avec deux chevaux de bât, qui marcheront derrière votre carrosse, et qui vous quitteront à Boulogne, où il faudra que mon bâtard s’arrête.

Le jour de votre départ s’avance, et je crois que vous ne le reculerez pas. Je n’aurai jamais en ma vie de si bonnes étrennes que celles que me prépare votre arrivée pour le jour de l’an.



104. — À M. DE CIDEVILLE.

28 décembre.

Déjà de la Parque ennemie
J’avais bravé les rudes coups ;

Mais je sens aujourd’hui tout le prix de la vie,

Par l’espoir de vivre avec vous.

Les vers que vous dicta l’amitié tendre et pure,
Embellis par l’esprit, ornés par la nature,
Ont rallumé dans moi des feux déjà glacés.


Mon génie excité m’invite à vous répondre ;
Mais dans un tel combat que je me sens confondre !
En louant mes talents, que vous les surpassez !
Je ressens du dépit les atteintes secrètes.
Vos éloges touchants, vos vers coulants et doux,
S’ils ne me rendaient pas le plus vain des poëtes,

M’auraient rendu le plus jaloux.

Voilà tout ce que la fièvre et les suites misérables de la petite vérole peuvent me permettre. Le triste état où je suis encore m’empêche de vous écrire plus au long ; mais comptez, mon cher monsieur, que rien ne peut m’empêcher d’être sensible, toute ma vie, à votre amitié, et que je la mérite par ma tendresse et mon estime respectueuse pour vous.



105. — À M. THIERIOT[7].

1723.

Vous voilà placé, et vous ne m’en dites mot ! Apprenez, monsieur de Fontaine-Martel[8], qu’il ne faut pas oublier ses amis dans sa fortune.

J’ai eu l’impertinence d’acheter les plus beaux tableaux de M. de Nocé, et en revenant dans mon trou, et considérant mes tableaux, mes ouvrages et moi, j’ai dit :

Vous verrez dans ce cabinet
Du bon, du mauvais, du passable :
J’aurais bien voulu du parfait ;
Mais il faut se donner au diable,
Et je ne l’ai pas encor fait.

Adieu.



106. — À M. THIERIOT[9].

1724.

Mon cher Thieriot, envoyez-moi mes lettres dans une enveloppe à Villars ; je reviendrai bientôt vous retrouver. Je crois que Mariamne sera, avec un peu de soin, digne de l’amitié que vous avez pour l’auteur. Je ne souffrirai pas qu’elle soit jouée sans que vous ayez les grandes entrées dans mon Louvre : ce sera une nouvelle facilité de me trouver souvent avec vous, et cette raison est aussi forte pour moi que la petite utilité que vous y pouvez trouver.

Renvoyez les journaux, songez à Henri et aimez François.


107. — À M. CAMBIAGUE[10].
à londres.

Les bontés dont vous m’honorez, monsieur, sont plus d’une fois parvenues jusqu’à moi. Souffrez que je saisisse l’occasion de vous en marquer ma très-humble reconnaissance. Ce sera peut-être diminuer la bonne opinion que vous avez de moi que de vous présenter ma Mariamne. Ne regardez point l’hommage, mais le zèle avec lequel je vous l’offre, et que l’envie de vous plaire me tienne lieu de quelque mérite auprès de vous. Je voudrais avoir incessamment l’honneur de vous envoyer un ouvrage plus important, dont la faible esquisse qui en a paru dans le monde a déjà trouvé grâce devant vous. C’est le poëme de Henri le Grand. Vous le trouverez, monsieur, bien différent de cet échantillon qui en a couru malgré moi. Le poëme est en dix chants, et il y a plus de mille vers différents de ceux que vous avez vus.

J’ai fait graver des estampes qui sont autant de chefs-d’œuvre de nos meilleurs maîtres, et qui doivent embellir l’édition que je prépare ; mais je suis encore fort incertain sur le lieu où je la ferai paraître. La seule chose dont je suis sûr, c’est que ce ne sera pas en France. J’ai trop recommandé dans mon poëme l’esprit de paix et de tolérance en matière de religion, j’ai trop dit de vérités à la cour de Rome, j’ai répandu trop peu de fiel contre les réformés, pour espérer qu’on me permette d’imprimer dans ma patrie ce poëme composé à la louange du plus grand roi que ma patrie ait jamais eu.

C’est une chose bien étrange que mon ouvrage, qui dans le fond est un éloge de la religion catholique, ne puisse être imprimé dans les États du roi très-chrétien, du petit-fils d’Henri IV, et que ceux que nous appelons ici hérètiques en souffrent l’impression chez eux. J’ai dit du mal d’eux, et ils me le pardonnent ; mais les catholiques ne me pardonnent pas de n’en avoir point assez dit. Je ne sais si mon édition se fera à Londres, à Amsterdam ou à Genève. Mon admiration pour la sagesse du gouvernement de cette dernière ville, et surtout pour la manière dont la réforme y fut établie, me fait pencher de ce côté. Ce sera dans ce pays que je ferai imprimer un poëme fait pour un héros qui quitta Genève[11] malgré lui, et qui l’aima toujours. Que je serais charmé, monsieur, de pouvoir y passer quelque temps auprès de vous et d’y profiter de votre conversation !

Je suis avec respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

A. de Voltaire.

108. — À M. DE MAIRAN[12].

… ce mercredi[13].

Vous aviez très-bien deviné, monsieur ; M. le duc de Richelieu voulait un dessinateur plutôt qu’un géomètre ; la place est au-dessous du mérite de M. de Montcarville. Il n’y a que moi qui ai gagné à tout cela, puisque cela m’a valu l’honneur de vous connaître. Le premier usage que je ferai de ma santé sera assurément d’aller vous assurer chez vous de toute l’estime et de toute l’amitié que vous méritez. Vous vous apercevrez par l’assiduité que je porterai à cultiver votre commerce combien j’aime la vérité, la raison et l’esprit.

Comptez, je vous en supplie, sur les sentiments avec lesquels je suis votre très-humble et très-obéissant serviteur.



109. — À M. DE MAIRAN[14].

J’avais, monsieur, une extrême envie de vous connaître, et elle a bien augmenté depuis que j’ai eu l’honneur de vous voir : je n’ai jamais vu personne dont l’esprit et la raison soient si aimables. Les maux continuels que je souffre me sont d’autant plus sensibles qu’ils m’empêchent d’aller chez vous, et de cultiver par mes assiduités un commerce si utile et si agréable. Je n’ose assurément pas exiger que vous veniez perdre votre temps chez moi ; mais je suis bien à plaindre de ne pouvoir mettre à profit le mien chez vous.

Je viens de rendre compte à. M. le duc de Richelieu du soin que vous avez bien voulu prendre de lui chercher un gouverneur pour ses pages. J’ai vu le jeune homme que vous m’avez envoyé : il m’a paru avoir de l’esprit ; je lui ai trouvé une figure assez belle, et en tout sens il me paraît qu’il convient fort à des pages. M. de Richelieu vous a bien de l’obligation ; mais il m’en aurait davantage si je pouvais lui procurer la connaissance d’un homme comme vous. Si M. Benet est toujours dans le même sentiment, ayez la bonté, monsieur, de lui faire dire qu’il vienne incessamment chez moi, afin que je lui fasse prendre possession. J’ai stipulé qu’il aurait la table des gentilshommes, qu’on l’habillerait magnifiquement, et qu’il aurait deux cents écus d’appointements. Si cela ne suffit pas, je les ferai augmenter. On ne peut trop payer un homme présenté de votre main. Je suis, monsieur, avec l’estime que je vous dois, votre très-humble et très-obéissant serviteur.



110. — L’ABBÉ DESFONTAINE À M. DE VOLTAIRE.

Ce 31 mai 1724.

Je n’oublierai jamais, monsieur, les obligations infinies que je vous ai. Votre bon cœur est encore bien au-dessus de votre esprit, et vous êtes l’ami le plus essentiel qui ait jamais été. Le zèle avec lequel vous m’avez servi me fait en quelque sorte plus d’honneur que la malice et la noirceur de mes ennemis ne m’a causé d’affront par l’indigne traitement qu’ils m’ont fait souffrir. Il faut se retirer pendant quelque temps. Fallax infamia terret.

J’ai une lettre de cachet qui m’exile à trente lieues de Paris. C’est avec plaisir que je vais chercher la solitude ; mais je suis bien fâché que cette retraite me soit ordonnée. C’est un reste de triomphe pour les malheureux auteurs de ma disgrâce. Je consens d’aller en province, et j’y vais très-volontiers. Mais tâchez, monsieur, de faire en sorte que l’ordre du roi soit levé par une autre lettre de cachet en cette forme :

« Le roi, informé de la fausseté de l’accusation intentée contre le sieur abbé Desfontaines, consent qu’il demeure à Paris. »

Si vous obtenez cet ordre de M. de Maurepas, c’est un coup essentiel. Au surplus, je promets, parole d’honneur à M. de Maurepas de m’en aller incessamment, et de ne point revenir à Paris qu’après lui en avoir demandé la permission secrètement.

Voilà, mon cher ami, ce que je vous prie à présent d’obtenir pour moi. Je vous aurai encore une obligation infinie de ce nouveau service. C’est, à mon gré, ce qu’on peut faire de plus simple pour réparer le scandale et l’injustice, en attendant que je puisse faire mieux, et que j’aie les lumières nécessaires pour découvrir les ressorts cachés de l’horrible intrigue de mes ennemis. Malgré la noirceur de l’accusation et le penchant du public à croire tous les accusés coupables, j’ai la satisfaction de voir les personnes même indifférentes prendre mon parti. Les Nadal, les Danchet, les Depons, les Fréret, sont les seuls, dit-on, qui traitent ma personne comme toute ma vie je traiterai leurs infâmes ouvrages et leur indigne caractère. Geniis irritabile vatum.

J’ai un plan d’apologie qui sera beau et curieux, et que je travaillerai à la campagne. Je suis trop connu dans le monde pour qu’il convienne à un homme comme moi de me taire après un si exécrable affront ; et je le ferai de façon que j’aurai l’honneur de le présenter à M. de Maurepas, pour le prier de me permettre de le faire paraître. On y verra tout ce qui m’est arrivé de malheureux, et mes malheurs toujours causés par des gens de lettres, surtout l’histoire de ma sortie des jésuites.

Adieu, mon cher ami ; je me recommande à vous.

Desfontaines.



111. — À M. THIERIOT[15].

À Forges, ce 2 juillet.

Les eaux de Forges enivrent. Je viens d’écrire une lettre à Mme de Bernières, et il ne me reste que la force de vous dire que je vous verrai vendredi avec le plus grand plaisir du monde, et que je vous parlerai très au long de toutes les choses dont je ne peux vous rendre compte à présent. La tête me tourne, mon cher ami, et je ne me reconnais qu’à la tendre amitié que j’ai pour vous, que toutes les eaux du monde ne peuvent altérer.



112. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

Forges, juillet.

Je reçois dans ce moment votre lettre avec celle de M. le duc de Richelieu. J’ai écrit sur-le-champ à M. de Maisons et à M. Berthier[16], quoique je ne pense pas que quand M. de Lézeau[17] a un procès il puisse avoir besoin de recommandation. Je crois que les eaux me feront grand bien, puisqu’elles ne me font pas de mal. Mme de Béthune arriva hier à Forges, On attend Mme de Guise[18] et Mme de Prie, qui peut-être ne viendront point. Si vous me promettez de m’envoyer bien exactement les Nouvelles à la main que vous recevez toutes les semaines, je vous dirai pourquoi M. de La Trimouille[19] est exilé de la cour. C’est pour avoir mis très-souvent la main dans la brayette de Sa Majesté très-chrétienne. Il avait fait un petit complot avec M. le comte de Clermont de se rendre tous deux les maîtres des chausses de Louis XV, et de ne pas souffrir qu’un autre courtisan partageât leur bonne fortune. M. de La Trimouille, outre cela, rendait au roi des lettres de Mlle de Charolais[20], dans lesquelles elle se plaignait continuellement de Monsieur le Duc. Tout cela me fait très-bien augurer de M. de La Trimouille, et je ne saurais m’empêcher d’estimer quelqu’un qui, à seize ans, veut besogner son roi et le gouverner. Je suis presque sûr que cela fera un très-bon sujet. Le roi ira sûrement à Fontainebleau, les premiers jours de septembre, et il y aura comédie. M. de Richelieu ira à Vienne, au mois de novembre. Pour moi, j’ai grande envie de passer avec vous tout le mois d’août, et de ne point aller à Vienne.



113. — À M. THIERIOT.

À Forges, 20 juillet.

Plus de Nouvelles à la main, mon cher ami, ni de gazettes ; on est à Forges à la source des nouvelles. Je ne vous conseille point de commencer votre édition[21] au prix que l’on vous propose ; je crois qu’il vaudrait mieux vous accommoder avec un libraire qui se chargerait des frais et des risques, et qui, en vous donnant cinquante ou soixante pistoles, vous conserverait votre tranquillité. Songez, je vous prie, à tous les périls qu’a courus Henri IV. Il n’est entré dans la capitale que par miracle. On a beaucoup crié contre lui ; et, comme la sévérité devient plus grande de jour en jour dans l’inquisition de la librairie, il se pourra fort bien faire qu’on saisisse les exemplaires de l’abbé de Chaulieu, à cause des prétendues impiétés qu’on y trouvera. D’ailleurs, soyez sûr que cela vous coûtera plus de cent pistoles, avant de l’avoir fait sortir de Rouen ; joignez à cela les frais du voyage, de l’entrepôt, et du débit, vous verrez que le gain sera très-médiocre, et que de plus il sera mal assuré ; ajoutez à cela que l’édition ne sera point achevée probablement quand il vous faudra partir de la Rivière, puisque Viret a été cinq mois à imprimer mon poëme. Encore une fois, je crois qu’il vaudrait mieux, pour vous, conclure votre marché à quelque cinquantaine de pistoles, pour vous épargner les embarras et les craintes inséparables de pareilles entreprises. Voilà quelles sont les représentations de votre conseil ; après cela vous en ferez à votre guise. J’ai fait des vers pour la duchesse de Béthune[22] ; mais, comme ils sont faits à Forges, où l’on n’en a jamais fait de bons, je n’ose vous les envoyer.



114. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

Forges, 20 juillet.

Je voudrais bien que vous ne sussiez rien de la nouvelle d’Espagne ; j’aurais le plaisir de vous apprendre que le roi[23] d’Espagne vient de faire enfermer madame son épouse, fille de feu M. le duc d’Orléans, laquelle, malgré son nez pointu et son visage long, ne laissait pas de suivre les grands exemples de mesdames ses sœurs. On m’a assuré qu’elle prenait quelquefois le divertissement de se mettre toute nue avec ses filles d’honneur les plus jolies, et, en cet équipage, de faire entrer chez elle les gentilshommes les mieux faits du royaume. On a cassé toute sa maison, et on n’a laissé auprès d’elle, dans le château où elle est enfermée, qu’une vieille bégueule d’honneur. On assure que, quand la pauvre reine s’est trouvée renfermée avec cette duègne, elle a pris la résolution courageuse de la jeter par la fenêtre, et qu’elle en serait venue à bout si on n’était pas venu au secours. Je crois que cette aventure pourra bien servir à faire renvoyer plus tôt notre petite infante[24]. Vous voyez que je deviens politique avec les ambassadeurs[25]. Jusqu’à présent j’ai borné toute ma politique à ne point aller à Vienne, et à m’arranger pour vous revoir à la Rivière. Les eaux me font un bien auquel je ne m’attendais pas. Je commence à respirer et à connaître la santé ; je n’avais jusqu’à présent vécu qu’à demi. Dieu veuille que ce petit rayon d’espérance ne s’éteigne pas bientôt ! Il me semble que j’en aimerai bien mieux mes amis quand je ne souffrirai plus. Je ne serai plus occupé que de leur plaire, au lieu qu’auparavant je ne songeais qu’à mes maux.

Mandez-moi si on a commencé à planter votre bois, et creuser vos canaux. Je m’intéresse à la Rivière comme à ma patrie.



115. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES[26].

À Forges, fin juillet.

Je vous fais, madame, mon très-sincère compliment sur le gain de votre procès, sur votre éloquence qui a persuadé les juges, et sur la manière dont ils vous ont reçue. À présent que voilà vos affaires contre la chicaneuse douairière en si bon train, trouverez-vous mauvais que je vous amène M. de Richelieu, pour vous consoler un peu de l’ennui que la sollicitation d’un procès a dû vous donner ? Nous comptons, sous votre bon plaisir et sous celui de M. de Bernières, arriver à la Rivière vendredi prochain, au soir. M. le duc de Richelieu compte coucher chez vous, et le lendemain aller chez M. le duc de Brancas, et de là à Paris.

Mais j’ai des propositions à vous faire de sa part, avant d’arranger ce voyage. Voyez si vous pouvez envoyer quatre chevaux de carrosse à Rouen, vendredi, vers six heures du soir, et si, le lendemain, vous pouvez en prêter deux pour nous mener à la Bouille. Quelque chose qui arrive, attendez-nous vendredi, et n’allez pas vous piquer de faire trop grande chère à des gens accoutumés au régime et à qui il ne faut qu’un repas très-frugal. Nous serons quatre de notre bande : M. le duc de Richelieu, l’abbé de Saint-Remi, un médecin et moi. Ayez la bonté de mander sur cela vos intentions. Je vais écrire à M. de Bernières un petit mot. Adieu. J’attends votre réponse, mais j’attends avec bien plus d’impatience le jour où j’aurai l’honneur de vous voir.



116. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.
À Forges, août.

La mort malheureuse de M. le duc de Melun vient de changer toutes nos résolutions. M. le duc de Richelieu, qui l’aimait tendrement, en a été dans une douleur qui a fait connaître la bonté de son cœur, mais qui a dérangé sa santé. Il a été obligé de discontinuer ses eaux, et il va recommencer, dans quelques jours, sur nouveaux frais. Je resterai avec lui encore une quinzaine ; ainsi ne comptez plus sur nous pour vendredi prochain ; pour moi, je commence à craindre que les eaux ne me fassent du mal, après m’avoir fait assez de bien. Si j’ai de la santé je reviendrai à la Rivière gaiement ; si je n’en ai point, j’irai tristement à Paris : car, en vérité, je suis honteux de ne me présenter devant mes amis qu’avec un estomac faible et un esprit chagrin. Je ne veux vous donner que mes beaux jours, et ne souffrir qu’incognito.

Si vous ne savez rien du détail de la mort de M. de Melun[27], en voici quelques particularités :

Samedi dernier il courait le cerf avec Monsieur le Duc ; ils en avaient déjà pris un, et en couraient un second. Monsieur le Duc et M. de Melun trouvèrent dans une voie étroite le cerf qui venait droit à eux ; Monsieur le Duc eut le temps de se ranger. M. de Melun crut qu’il aurait le temps de croiser le cerf, et poussa son cheval. Dans le moment le cerf l’atteignit d’un coup d’andouiller si furieux que le cheval, l’homme, et le cerf, en tombèrent tous trois. M. de Melun avait la rate coupée, le diaphragme percé, et la poitrine refoulée ; Monsieur le Duc, qui était seul auprès de lui, banda sa plaie avec son mouchoir, et y tint la main pendant trois quarts d’heure ; le blessé vécut jusqu’au lundi suivant, qu’il expira[28], à six heures et demie du matin, entre les bras de Monsieur le Duc, et à la vue de toute la cour, qui était consternée et attendrie d’un spectacle si tragique, mais qui l’oubliera bientôt. Dès qu’il fut mort, le roi partit pour Versailles, et donna au comte de Melun le régiment du défunt. Il est plus regretté qu’il n’était aimé : c’était un homme qui avait peu d’agréments, mais beaucoup de vertu, et qu’on était forcé d’estimer.

On nous mande de Paris que Mme de Villette a gagné son procès en Angleterre, et a déclaré son mariage[29]. Voilà toutes les nouvelles que je sais. La plume me tombe des mains. Je vous prie de dire à Thieriot que, dès que j’aurai la tête nette, je lui écrirai des volumes.

117. — À M. THIERIOT.

À Forges, 5 août.

Il faut encore, mon cher Thieriot, que je passe ici douze jours. M. de Richelieu compte prendre des eaux ce temps-là, et je ne peux pas l’abandonner dans la douleur où il est ; pour moi, je ne prendrai plus d’eaux : elles me font beaucoup plus de mal qu’elles ne m’avaient fait de bien. Il y a plus de vitriol dans une bouteille d’eau de Forges que dans une bouteille d’encre, et, franchement, je ne crois pas l’encre trop bonne pour la santé. Je retournerai sûrement à la Rivière, quand M. de Richelieu partira de Forges. J’y retrouverai probablement quelques exemplaires de l’abbé de Chaulieu. Je vous donnerai les vers pour Mme la duchesse de Béthune, et vous montrerai un petit ouvrage[30] que j’ai déjà beaucoup avancé, et dont j’ose avoir bonne opinion, puisque l’impitoyable M. de Richelieu en est content. Vous ne me reverrez pas probablement avec une meilleure santé, mais sûrement avec la même amitié. Faites bien la cour à M. et à Mme de Bernières, et à tous ceux qui sont de la Rivière.



118. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES[31].

À Forges, ce vendredi au soir.

Il ne faut pas trop compter sur nos projets ; notre marche est encore changée : nous partons mardi prochain, quinzième du mois, et nous arriverons le même jour à Paris. Je comptais bien assurément vous revoir à la Rivière et vous y amener M. le duc de Richelieu ; mais j’éprouve depuis longtemps une destinée maligne qui dérange tous mes projets. Vous voyez bien que mon goût ne décide point du tout de ma conduite, puisque je ne reviens point auprès de vous. J’étais si charmé de la vie que je menais à votre campagne que partout ailleurs je me croirai dans un monde étranger. Faites en sorte du moins que le démon, qui m’empêche de coucher mardi à la Rivière, ne me fasse point passer la nuit dans la rue à Paris. Écrivez, je vous en prie, à votre tapissier qu’il me tienne un lit prêt chez vous mardi, sans faute, soit dans votre appartement, soit dans celui de M. de Bernières. Si vous avez quelques ordres à me donner pour Paris, je vous demande en grâce de ne me pas épargner. Je tâcherai d’adoucir le chagrin d’être loin de vous, par le plaisir d’exécuter avec exactitude ce que vous m’aurez ordonné. Le courrier va partir. Je n’ai pas le temps d’écrire à notre cher Thieriot ; dites-lui, je vous en prie, combien je suis fâché de ne le pas voir avant de partir. Je vous écrirai souvent à tous deux. Il n’a qu’à me charger de toutes ses commissions ; il aura en moi un très-fidèle correspondant. Je ne vous parle pas de ma santé ; je ne sais pas encore si elle est bonne ou mauvaise. Je salue M. de Bernières et ceux qui ont le bonheur d’être à la Rivière, à qui je vous assure que je porte envie.



119. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

Paris, 16 août 1724.

J’arrivai hier à Paris, et logeai chez le baigneur, où je suis encore ; mais je compte profiter demain de la bonté que vous avez de me prêter votre appartement ; le mien ne sera prêt que dans huit à dix jours au plus tôt. Je suis obligé de passer ma journée avec des ouvriers qui sont aussi trompeurs que des courtisans : c’est ce qui fait que j’irai très-volontiers à Fontainebleau, et que j’aimerai tout autant être trompé par des ministres et par des femmes que par mon doreur et par mon ébéniste. Puisque vous savez mes fredaines de Forges, il faut bien vous avouer que j’ai perdu près de cent louis au pharaon, selon ma louable coutume de faire tous les ans quelque lessive au jeu.



120. — À M. THIERIOT[32].
À Paris, … ce jeudi, à minuit.

Me si fata meis paterentur ducere vitam
Auspiciis, et sponte mea componere curas,

Virg.Énéide.

je serais avec vous à la Rivière, mon cher Thieriot, et je me ferais un grand plaisir de parler avec vous de Bèlus et de Sèmiramis, et avec Mme de Bernières de Clodion le Chevelu[33]. Me voici replongé avec douleur dans ce maudit gouffre de Paris, accablé d’affaires et de fatigues. Je ferai imprimer ici notre Mariamne, ce qui m’y retiendra quelque temps. J’ai appris qu’on avait réimprimé mon poëme avec quelques autres pièces fugitives de moi. Je vais travailler à les faire saisir. Le soin de faire achever mon appartement et de le faire meubler m’emporte tout mon temps. Je suis entouré d’ouvriers, comme Mme de Bernières. Tout cela altère un peu ma chétive santé. Je vis hier votre frère, qui m’a du moins épargné l’embarras de choisir des étoffes pour m’habiller, et qui m’a, en cela, beaucoup soulagé : car je ne vaux rien pour le détail.

Du reste, je ne sais aucune nouvelle. Je n’ai encore vu personne, et je pourrais bien sortir de Paris sans avoir rien vu que des imprimeurs et des livres. Je vous enverrai un poëme de la nouvelle édition, dès que j’en aurai attrapé un exemplaire, et à votre retour je vous montrerai bien des choses nouvelles qui auront, je crois, le mérite de vous amuser un peu.

P. S. Je ne sais, mon cher Thieriot, si je vous ai mandé que cette nouvelle édition du poëme est accompagnée de beaucoup de pièces fugitives, dont quelques-unes ne sont pas de moi, et dont les autres ne sont pas ce que j’ai fait de mieux. — Adressez votre lettre rue de Beaune, comme à l’ordinaire.



121. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES[34].

À Paris, ce lundi… août.

Je vis hier dimanche M. d’Argenson[35], dont vous recevrez incessamment une réponse ; mais, en attendant, je vous rendrai compte de ce qu’il m’a dit. M. de La Vieuville est près de conclure le mariage de sa fille avec un homme de robe de Paris, qui est pour sa fille un parti avantageux. M. d’Argenson n’a pas pu, dans ces circonstances, lui proposer une autre affaire. Tout ce que vous pouvez attendre de lui, c’est qu’il parle de M. de Lézeau, en cas que le mariage, qui est si avancé, vienne à se rompre ; mais je vous donne avis que M. de La Vieuville pense, sur le mariage de sa fille, d’une façon à désespérer tous ceux qui y prétendront. Comme il ne veut point pour gendre un homme de cour qui pourrait mépriser sa femme et son beau-père, il ne veut pas non plus d’un fils de famille, à qui on assurerait beaucoup et à qui on donnerait peu en le mariant. Il ne veut donner à sa fille que cent mille écus, valant dix mille livres de rente, et il ne voudra jamais d’un gendre qui, n’apportant d’abord que cinq mille livres de revenu, et ne jouissant en tout avec sa femme que de quinze mille livres, aurait besoin de la mort du beau-père pour vivre à son aise. C’est un homme malaisé à guérir de ses fantaisies ; cependant s’il se trouve jour à proposer M. de Lézeau je crois qu’il faudra le faire, et qu’on pourrait peut-être engager M. de Lézeau le père à donner à son fils un revenu plus considérable. Au reste, j’ai très-bien fait mon devoir, et, en vantant M. de Lézeau et sa famille, j’ai eu le plaisir de suivre mon inclination et de dire la vérité[36].

Je suis toujours logé dans votre appartement, où j’ai fait tendre un lit. Je n’ai pu encore m’accoutumer au bruit infernal du quai et de la rue ; il m’est impossible d’y dormir, encore moins d’y travailler. Mais j’espère que le plaisir de demeurer avec vous surmontera tout. Je ne sais aucune nouvelle, sinon que l’on juge à l’heure que je vous parle deux assassins d’un de ces quatre hommes dont il est parlé dans la commission du conseil adressée au parlement, pour juger les criminels de la Bastille. Mais je ne crois pas que ces deux assassins aient aucun rapport avec l’affaire de La Jonchère. Ils sont accusés d’avoir tué un charretier, et il n’y a pas d’apparence que ce meurtre ait aucune relation avec celui de Cendrier.

J’ai eu jusqu’à présent beaucoup d’affaires qui m’ont empêché d’aller par le monde vous chercher des nouvelles ; dès qu’il arrivera quelque chose de curieux dans ce pays-ci, vous aurez en moi un gazetier plus exact que l’abbé Desfontaines.



122. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

Je sors de la mort ; j’ai eu huit accès de fièvre dans un malheureux hôtel garni où je me suis logé. M. le duc de Sully sort de chez moi pour m’emmener à Sully ; mais je vous donnerai la préférence, si vous la voulez. J’ai grande envie d’aller raccommoder ma santé et Henri IV chez vous, et d’y passer des jours tranquilles. Mandez-moi si vous n’avez pas grand monde, car vous savez que je hais la cohue autant que je vous aime. Je ne sais d’autres nouvelles que la petite vérole de Mme de Sens et la maladie du roi d’Espagne ; j’attends des vôtres pour vous aller trouver. Je voulais écrire à l’ami Thieriot, mais je n’en ai pas la force.



123. — À M. THIERIOT.

Paris, 24 août.

Mandez-moi, mon cher ami, si vous avez reçu la lettre que je vous écrivis, il y a huit jours, et si Mme de Bernières a reçu celle où je lui rendais compte de mon entrevue avec M. d’Argenson. Je viens de vous faire une antichambre à votre appartement ; mais j’ai bien peur de ne pouvoir occuper le mien. J’ai resté huit jours dans la maison, pour voir si je pourrais y travailler le jour et y dormir la nuit, qui sont deux choses sans lesquelles je ne puis vivre ; mais il n’y a pas moyen de dormir ni de penser avec le bruit infernal qu’on y entend. Je me suis obstiné à y rester la huitaine pour m’accoutumer : cela m’a donné une fièvre double tierce, et j’ai été enfin contraint de déguerpir. Je me suis logé dans un hôtel garni, où j’enrage et où je souffre beaucoup. Voilà une situation bien cruelle pour moi, car assurément je ne veux pas quitter Mme de Bernières, et il m’est impossible d’habiter dans sa maudite maison, qui est froide comme le pôle pendant l’hiver, où on sent le fumier comme dans une crèche, et où il y a plus de bruit qu’en enfer. Il est vrai que, pour le seul temps qu’on ne l’habite point, on y a une assez belle vue. Je suis bien fâché d’avoir conseillé à M. et à Mme de Bernières de faire ce marché-là ; mais ce n’est pas la seule sottise que j’aie faite en ma vie. Je ne sais pas comment tout ceci tournera ; tout ce que je sais, c’est qu’il faut absolument que j’achève mon poème : pour cela il faut un endroit tranquille, et, dans la maison de la rue de Beaune[37], je ne pourrais faire que la description des charrettes et des carrosses. J’ai d’ailleurs une santé plus faible que jamais. Je crains Fontainebleau, Villars, et Sully, pour ma santé et pour Henri IV ; je ne travaillerais point, je mangerais trop, et je perdrais en plaisirs et en complaisances un temps précieux, qu’il faut employer à un travail nécessaire et honorable. Après avoir donc bien balancé les circonstances de la situation où je suis, je crois que le meilleur parti serait de revenir à la Rivière, où l’on me permet une grande liberté, et où je serai mille fois plus à mon aise qu’ailleurs. Vous savez combien je suis attaché à la maîtresse de la maison, et combien j’aime à vivre avec vous ; mais je crains que vous n’ayez de la cohue. Mandez-moi donc franchement ce qui en est. Adieu, mon cher ami.



124. — À M. THIERIOT.

10 septembre.

Me voilà quitte entièrement de ma fièvre et de mon hôtel garni. Je suis revenu dans l’hôtel Bernières, où le plaisir d’être votre voisin me soulage un peu du bruit effroyable qu’on y entend. Je partirais bien vite pour la Rivière si ma santé était bien raffermie ; mais je ne suis pas encore dans un état à entreprendre des voyages par le coche. Peut-être, malgré mon goût pour la Rivière, faudra-t-il que je reste à Paris ; j’y mène une vie plus solitaire qu’à la campagne, et je vous assure que je n’y perds pas mon temps, si pourtant c’est ne le pas perdre que de l’employer sérieusement à faire des vers et d’autres ouvrages aussi frivoles. Je pourrais bien vous trouver quelques pièces de M. de La Fare, qui sont entre les mains de madame sa fille[38] ; mais je ne sais pas comment le bruit court que ses ouvrages et ceux de M. l’abbé de Chaulieu sont sous la presse ; Mme de La Fare l’a entendu dire, et en est très-fâchée. Vous jugez bien que, si après cela elle allait voir dans le recueil quelques pièces qu’elle m’aurait confiées, je me brouillerais avec elle, et me donnerais un peu trop la réputation de libraire-imprimeur. Je suis ruiné par les dépenses de mon appartement, et, pour surcroît, on m’a volé une bonne partie de mes meubles ; j’ai trouvé la moitié de nos livres égarés. On m’a pris du linge, des habits, des porcelaines, et on pourrait bien avoir aussi un peu volé Mme de Bernières. Voilà ce que c’est que d’avoir un suisse imbécile et intéressé, qui tient un cabaret, au lieu d’avoir un portier affectionné. Mandez-moi, je vous en prie, si vous n’avez prêté à personne un tome de la réponse de Jurieu à Maimbourg sur le Calvinisme. C’est un de nos livres perdus que je regrette le plus, attendu le bien qu’on y dit de la cour de Rome. La solitude où je vis fait que je ne vous manderai pas de grandes nouvelles. J’entends dire seulement par ma fenêtre que le roi d’Espagne est mort de la petite vérole[39]. Cela ne changera rien aux affaires de l’Europe, mais beaucoup aux siennes. Devenez bien savant dans l’histoire, vous me donnerez de l’émulation, et je vous suivrai dans cette carrière. Il me semble que nous en serons tous deux plus heureux quand nous cultiverons les mêmes goûts. J’ai reçu hier une lettre de Mme de Bernières ; dites-lui que je lui suis plus attaché que jamais, et que je donnerai toujours la préférence à son amitié sur toutes les choses dont elle me croit séduit.



125. — À M. DE CIDEVILLE.

1724.

Enfin, je ne suis plus tout à fait si mourant que je l’étais. À mesure que je renais, je sens revivre aussi ma tendre amitié pour vous, et augmenter les remords secrets de ne vous écrire qu’en prose. Je vous verrai bientôt, mon cher Cideville ; j’attends avec impatience le moment où je pourrai partir pour la Normandie, dont je fais ma patrie puisqu’elle est la vôtre. Je vous écris d’un pays bien étranger pour moi : c’est Versailles, dont les habitants ne connaissent ni la prose ni les vers. Je me console ici de l’ennui qu’ils me donnent par le plaisir de vous écrire, et par l’espérance de vous voir. Si vos amis se souviennent encore d’un pauvre moribond, je vous prierais de leur faire mille compliments de ma part. Adieu ; soyez un peu sensible à la tendre amitié que Voltaire aura pour vous toute sa vie.



126. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

Septembre.

Je loge enfin chez vous, dans mon petit appartement, et je voudrais bien le quitter au plus vite pour en aller occuper un à votre campagne ; mais je ne suis point encore en état de me transporter. Les eaux de Forges m’ont tué. Je passe chez vous une vie solitaire ; j’ai renoncé à toute la nature ; je regarde les maladies un peu longues comme une espèce de mort qui nous sépare et qui nous fait oublier de tout le monde, et je tâche de m’accoutumer à ce premier genre de mort, afin d’être un jour moins effrayé de l’autre.

Cependant, par saint Jean, je ne veux pas mourir.

(J. -B. Rousseau, liv. I, épig. x.)

Je me suis imposé un régime si exact qu’il faudra bien que j’aie de la santé pour cet hiver. Si je peux vous aller trouver à la Rivière, je vous avoue que je serai charmé que vous y restiez longtemps ; mais, si je suis obligé de demeurer à Paris, je voudrais de tout mon cœur vous faire haïr la Rivière et vos beaux jardins. Les nouvelles ne sont pas grandes dans ce pays-ci. La mort du roi d’Espagne ne changera rien que dans nos habillements. On dit que le deuil sera de trois mois. M. d’Autrei se meurt[40] ; Mme de Maillebois aussi ; je suis sûr que vous ne vous en souciez guère.



127. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES,
à la rivière-bourdet, près de rouen.

Depuis que je ne vous ai écrit, j’ai gardé le lit presque toujours. Je suis dans un état mille fois pire qu’après ma petite vérole. J’avais besoin assurément d’être consolé par les assurances touchantes que vous me donnez de votre amitié dans vos deux dernières lettres. Puisque vous avez le courage de m’aimer dans l’état où je suis, je vous jure de ne passer qu’avec vous le reste de ma vie. Si j’ai de la santé, ne craignez point que j’en use comme les gens qui, ayant fait fortune, oublient ceux qui les ont assistés dans la pauvreté. Mes amis ne m’ont point abandonné : j’ai eu toujours un peu de compagnie, mais quelle différence de voir des gens qui, quoique amis, ne sont pourtant que des étrangers, ou d’être auprès de vous et de Thieriot, que je regarde comme ma famille ! Il n’y a que vous pour qui j’aie de la confiance, et dont je sois sûr d’être véritablement aimé. Mes souffrances ont augmenté par la douleur que j’ai eue d’apprendre la maladie de M. Thieriot. À présent qu’il est rétabli, revenez avec lui au plus vite, je vous en conjure ; vous me trouverez avec une gale horrible qui me couvre tout le corps. Jugez de l’envie que j’ai de vous voir, puisque j’ose vous en prier dans le bel état où me voilà. Où en serais-je, si je n’avais voulu avoir auprès de vous que le mérite d’une peau douce ? Je suis bien réduit à ne faire plus de cas que des belles qualités de l’âme. Heureusement je vous connais assez de vertu et d’amitié pour souffrir encore un pauvre lépreux comme moi. Nous ne nous embrasserons point à votre retour ; mais nos cœurs se parleront. Il me semble que j’ai de quoi vous parler pendant tout l’hiver. Si vous aimez les vers, je vous montrerai cet essai d’un nouveau chant dont M. d’Argenson vous a parlé. Vous verrez encore une nouvelle Mariamne. Je crois que c’est cette misérable qui m’a tué, et que je suis frappé de la lèpre pour avoir trop maltraité les Juifs. Adieu, ma chère et généreuse amie : c’est trop badiner pour un moribond ; mais le plaisir de m’entretenir avec vous suspend pour un moment tous mes maux. Revenez, je vous en conjure ; ce sera une belle action.



128. — À M. THIERIOT.

20 septembre.

Ma santé ne me permet pas encore de vous aller trouver : je suis toujours à l’hôtel Bernières, et j’y vis dans la solitude et dans la souffrance ; mais l’une et l’autre est adoucie par un travail modéré qui m’amuse et qui me console. La maladie ne m’a pas rendu moins sensible à l’égard de mes amis ni moins attentif à leurs intérêts. J’ai engagé M. le duc de Richelieu à vous prendre pour son secrétaire dans son ambassade. Il avait envie d’avoir M. Champeaux[41] frère de M. de Pouilly ; Destouches[42] même voulait faire avec lui le voyage ; mais j’ai enfin déterminé son choix pour vous. Je lui ai dit que, ne pouvant le suivre si tôt à Vienne, je lui donnais la moitié de moi-même, et que l’autre suivrait bientôt. Si vous êtes sage, mon cher Thieriot, vous accepterez cette place qui, dans l’état où nous sommes, vous devient aussi nécessaire qu’elle est honorable. Vous n’êtes pas riche, et c’est bien peu de chose qu’une fortune fondée sur trois ou quatre actions de la Compagnie des Indes. Je sais bien que ma fortune sera toujours la vôtre ; mais je vous avertis que nos affaires de la chambre des comptes vont très-mal, et que je cours risque de n’avoir rien du tout de la succession de mon père. Dans ces circonstances il ne faut pas que vous négligiez la place que mon amitié vous a ménagée. Quand elle ne vous servirait qu’à faire sans frais et avec des appointements le voyage du monde le plus agréable, et à vous faire connaître, à vous rendre capable d’affaires, et à développer vos talents, ne seriez-vous pas trop heureux ? Ce poste peut conduire très-aisément un homme d’esprit qui est sage à des emplois et à des places assez avantageuses. M. de Morville, qui a de l’amitié pour moi, peut faire quelque chose de vous. Le pis aller de tout cela serait de rester, après l’ambassade, avec M. de Richelieu, ou de revenir dans votre taudis, auprès du mien. D’ailleurs je compte vous aller trouver à Vienne l’automne prochaine ; ainsi, au lieu de vous perdre, je ne fais, en vous mettant dans cette place, que m’approcher davantage de vous. Faites vos réflexions sur ce que je vous écris, et soyez prêt à venir vous présenter à M. de Richelieu et à M. de. Morville, quand je vous le manderai. Si votre édition[43] est commencée, achevez-la au plus vite ; si elle ne l’est pas, ne la commencez point. Il vaut mieux songer à votre fortune qu’à tout le reste. Adieu ; je vous recommande vos intérêts : ayez-les à cœur autant que moi, et joignez l’étude de l’histoire d’Allemagne à celle de l’histoire universelle. Dites à Mme de Bernières les choses les plus tendres de ma part. Dès que j’aurai fini le petit-lait, où je me suis mis, j’irai chez elle. Je fais plus de cas de son amitié que de celle de nos bégueules titrées de la cour, auxquelles je renonce de bon cœur pour jamais, par la faiblesse de mon estomac et par la force de ma raison.



129. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

Octobre

Vous allez probablement achever votre automne sans Thieriot et sans moi. Voilà comme une maudite destinée dérange les sociétés les plus heureuses. Ce n’est pas assez que je sois éloigné de vous, il faut encore que je vous enlève mon substitut. Il ne tiendrait qu’à vous de revenir à la Saint-Martin, mais vos vergers vous font aisément oublier une créature aussi chétive que moi ; et quand on a des arbres à planter, on ne se soucie guère d’un ami languissant.

Je suis très-fâché que vous vous accoutumiez à vous passer de moi ; je voudrais du moins être votre gazetier dans ce pays-ci, afin de ne vous être pas tout à fait inutile ; mais malheureusement j’ai renoncé au monde, comme vous avez renoncé à moi. Tout ce que je sais, c’est que Dufresny est mort[44], et que Mme de Mimeure s’est fait couper le sein. Dufresny est mort comme un poltron, et a sacrifié à Dieu cinq ou six comédies nouvelles, toutes propres à faire bâiller les saints du paradis. Mme de Mimeure a soutenu l’opération avec un courage d’amazone ; je n’ai pu m’empêcher de l’aller voir dans cette cruelle occasion. Je crois qu’elle en reviendra, car elle n’est en rien changée ; son humeur est toute la même. Je pourrai pour la même raison revenir aussi de ma maladie, car je vous jure que je ne suis point changé pour vous, et que vous êtes la seule personne pour qui je veuille vivre.



130. — À M. THIERIOT[45].

Comme je vous écrivis hier avec beaucoup de précipitation, j’oubliai de vous demander le nom et la demeure de ce petit copiste qui transcrivit Mariamne l’année passée. Je veux le donner à M. de Richelieu : il copiera à Vienne les ouvrages utiles que vous y ferez, qui vaudront mieux que les occupations frivoles dont j’ai fait mon capital.

Je vous demandai, il y a quelque temps, ce qu’est devenue la réponse de Jurieu à Maimbourg sur le calvinisme (3 vol. in-4o). Vous ne m’avez point fait de réponse sur cela. Songez qu’il faut de l’exactitude à un secrétaire d’ambassade.



131. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

À Paris, octobre.

Est-il possible que vous n’ayez pas reçu la lettre que je vous écrivis deux jours après le départ de Pignon ? Elle ne contenait rien autre chose que ce que vous connaissez de moi, mes souffrances, et mon amitié. Je fais l’anniversaire de ma petite vérole ; je n’ai point encore été si mal, mais je suis tranquille, parce que j’ai pris mon parti ; et peut-être ma tranquillité pourra me rendre la santé, que les agitations et les bouleversements de mon âme pourraient bien m’avoir ôtée. Il m’est arrivé des malheurs de toute espèce. La fortune ne me traite pas mieux que la nature : je souffre beaucoup de toutes façons ; mais j’ai rassemblé toutes mes petites forces pour résister à mes maux. Ce n’est point dans le commerce du monde que j’ai cherché des consolations ; ce n’est pas là qu’on les trouve ; je ne les ai cherchées que chez moi : je supporte dans votre maison la solitude et la Maladie, dans l’espérance de passer avec vous des jours tranquilles. Votre amitié me tiendra toujours lieu de tout le reste. Si mon goût décidait de ma conduite, je serais à la Rivière avec vous ; mais je suis arrêté à Paris par Bosleduc, qui me médicamente ; par Capron qui me fait souffrir comme un damné tous les jours avec de l’essence de cannelle, et enfin par les intérêts de notre cher Thieriot, que j’ai plus à cœur que les miens. Il faut qu’il vous dise, et qu’il ne dise qu’à vous seule, qu’il ne tient qu’à lui d’être un des secrétaires de l’ambassade de M. de Richelieu. J’ai oublié même de lui dire dans ma lettre qu’il n’aurait personne dans ce poste au-dessus de lui, et que par là sa place en sera infiniment plus agréable. Vous savez sa fortune, elle ne peut pas lui donner de quoi exercer heureusement le talent de l’oisiveté. La mienne prend un tour si diabolique à la chambre des comptes que je serai peut-être obligé de travailler pour vivre, après avoir vécu pour travailler. Il faut que Thieriot me donne cet exemple. Il ne peut rien faire de plus avantageux ni de plus honorable dans la situation où il se trouve, et il faut assurément que je regarde la chose comme un coup de partie, puisque je peux me résoudre à me priver de lui pour quelque temps. Cependant s’il peut s’en passer, s’il aime mieux vivre avec nous, je serai trop heureux, pourvu qu’il le soit : je ne cherche que son bonheur ; c’est à lui de choisir. J’ai fait en cela ce que mon amitié m’a conseillé. Voilà comment j’en userai toute ma vie avec les personnes que j’aime, et, par conséquent, avec vous, pour qui j’aurai toujours l’attachement le plus sincère et le plus tendre.



132. — À M. THIERIOT.

Octobre.

Quand je vous ai proposé la place de secrétaire dans l’ambassade de M. le duc de Richelieu, je vous ai proposé un emploi que je donnerais à mon fils si j’en avais un, et que je prendrais pour moi si mes occupations et ma santé ne m’en empêchaient pas. J’aurais assurément regardé comme un grand avantage de pouvoir m’instruire des affaires sur le plus beau théâtre et dans la première cour de l’Europe. Cette place même est d’autant plus agréable qu’il n’y a point de secrétaire d’ambassade en chef ; que vous auriez eu une relation nécessaire et suivie avec le ministre ; et que, pour peu que vous eussiez été touché de l’ambition de vous instruire et de vous élever par votre mérite et par votre assiduité au travail le plus honorable et le plus digne d’un homme d’esprit, vous auriez été plus à portée qu’un autre de prétendre aux postes qui sont d’ordinaire la récompense de ces emplois. M. Dubourg, ci-devant secrétaire du comte de Luc (et à ses gages), est maintenant chargé, à Vienne, des affaires de la cour de France, avec huit mille livres d’appointements. Si vous aviez voulu, j’ose vous répondre qu’une pareille fortune vous était assurée. Quant aux gages, qui vous révoltent si fort, et pourtant si mal à propos, vous auriez pu n’en point prendre ; et, puisque vous pouvez vous passer de secours dans la maison de M. de Bernières, vous l’auriez pu encore plus aisément dans la maison de l’ambassadeur de France, et peut-être n’auriez-vous point rougi de recevoir de la main de celui qui représente le roi des présents qui eussent mieux valu que des appointements.

Vous avez refusé l’emploi le plus honnête et le plus utile qui se présentera jamais pour vous. Je suppose que vous n’avez fait ce refus qu’après y avoir mûrement réfléchi, et que vous êtes sûr de ne vous en point repentir le reste de votre vie. Si c’est Mme de Bernières qui vous y a porté, elle vous a donné un très-méchant conseil ; si vous avez craint effectivement, comme vous le dites, de vous constituer domestique de grand seigneur, cela n’est pas tolérable. Quelle fortune avez-vous donc faite depuis le temps où le comble de vos désirs était d’être ou secrétaire du duc de Richelieu, qui n’était point ambassadeur, ou commis des Paris ? En bonne foi, y a-t-il aucun de vos frères qui ne regardât comme une très-grande fortune le poste que vous dédaignez ?

Ce que je vous écris ici est pour vous faire voir l’énormité de votre tort, et non pour vous faire changer de sentiments. Il fallait sentir l’avantage qu’on vous offrait ; il fallait l’accepter avidement, et vous y consacrer tout entier, ou ne le point accepter du tout. Si vous le faisiez avec regret, vous le feriez mal ; et, au lieu des agréments infinis que vous y pourriez espérer, vous n’y trouveriez que des dégoûts et point de fortune. N’y pensons donc plus, et préférez la pauvreté et l’oisiveté à une fortune très-honnête et à un poste envié de tant de gens de lettres, et que je ne céderais à personne qu’à vous si je pouvais l’occuper. Un jour viendra bien sûrement que vous en aurez des regrets, car vos idées se rectifieront, et vous penserez plus solidement que vous ne faites. Toutes les raisons que vous m’avez apportées vous paraîtront un jour bien frivoles, et, entre autres, ce que vous me dites qu’il faudrait dépenser en habits et en parures vos appointements. Vous ignorez que, dans toutes les cours, un secrétaire est toujours modestement vêtu, s’il est sage, et qu’à la cour de l’empereur, il ne faut qu’un gros drap rouge, avec des boutonnières noires ; que c’est ainsi que l’empereur est habillé, et que d’ailleurs on fait plus avec cent pistoles à Vienne qu’avec quatre cents à Paris. En un mot, je ne vous en parlerai plus ; j’ai fait mon devoir comme je le ferai toute ma vie avec mes amis. Ne songeons plus, mon pauvre Thieriot, qu’à fournir ensemble tranquillement notre carrière philosophique.

Mandez-moi comment va l’édition de l’abbé de Chaulieu, que vous préférez au secrétariat de l’ambassade de Vienne, et n’éloignez pas pourtant de votre esprit toutes les idées d’affaire étrangère au point de ne me pas faire de réponse sur le nom et la demeure du copiste qui a transcrit Mariamne, et qui ne refusera peut-être pas d’écrire pour M. le duc de Richelieu. Enfin, si l’amitié que vous avez pour moi, et que je mérite, est une des raisons qui vous font préférer Paris à Vienne, revenez donc au plus tôt retrouver votre ami. Engagez Mme de Bernières à revenir à la Saint-Martin ; vous retrouverez un nouveau chant[46] de Henri IV, que M. de Maisons trouve le plus beau de tous ; une Mariamne toute changée, et quelques autres ouvrages qui vous attendent. Ma santé ne me permet pas d’aller à la Rivière ; sans cela je serais assurément avec vous. Je vous gronderais bien sur l’ambassade de Vienne ; mais plus je vous verrais, plus je serais charmé dans le fond de mon cœur de n’être point éloigné d’un ami comme vous.



133. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

Octobre.

Je suis bien charmé de toutes les marques d’amitié que vous me donnez dans votre lettre, mais nullement des raisons que vous avez apportées pour empêcher notre ami de faire la fortune la plus honnête où puisse prétendre un homme de lettres et un homme d’esprit. Je consentais à le perdre quelque temps pour lui assurer une fortune le reste de sa vie. Si je n’avais écouté que mon plaisir, je n’aurais songé qu’à retenir Thieriot avec nous ; mais l’amitié doit avoir des vues plus étendues, et je tiens que non-seulement il faut vivre avec nos amis, mais qu’il faut, autant qu’on le peut, les mettre en état de vivre heureux, même sans nous ; mais surtout il ne faut point les faire tomber dans des ridicules. C’est rendre un bien mauvais service à Thieriot que de le laisser imaginer un moment qu’il y ait du déshonneur à lui à être secrétaire de M. le duc de Richelieu, dans son ambassade. Je serai longtemps fâché qu’il ait refusé la plus belle occasion de faire fortune qui se présentera jamais pour lui ; mais je ne le serais pas moins, si c’était par une vanité mal entendue, et hors de toute bienséance, qu’il perdît des choses solides. Je me flatte que vos bontés pour lui le dédommageront de ce qu’il veut perdre ; mais qu’il songe bien sérieusement qu’il doit mener la véritable vie d’un homme de lettres ; qu’il n’y a pour lui que ce parti, et qu’il serait bien peu digne de l’estime et de l’amitié des honnêtes gens s’il manquait sa fortune pour être un homme inutile. Je lui écris sur cela une longue lettre que je mets dans votre paquet : du moins il n’aura pas à me reprocher de ne lui avoir pas dit la vérité.

Je voudrais, de tout mon cœur, être avec vous : vous n’en doutez pas ; il faut même que je sois dans un bien misérable état pour ne vous pas aller trouver. Je me suis mis entre les mains de Bosleduc, qui, à ce que j’espère, me guérira du mal que les eaux de Forges m’ont fait. J’en ai encore pour une quinzaine de jours. Si ma santé est bien rétablie dans ce temps-là, j’irai vous trouver ; mais si je suis condamné à rester à Paris, aurez-vous bien la cruauté de rester chez vous le mois de décembre, et de donner la préférence aux neiges de Normandie sur votre ami Voltaire ?



134. — À M. THIERIOT.

Octobre.

Mon amitié, moins prudente peut-être que vous ne dites, mais plus tendre que vous ne pensez, m’engagea, il y a plus de quinze jours, à vous proposer à M. de Richelieu pour secrétaire dans son ambassade. Je vous en écrivis sur-le-champ, et vous me répondîtes, avec assez de sécheresse, que vous n’étiez pas fait pour être domestique de grand seigneur. Sur cette réponse je ne songeai plus à vous faire une fortune si honteuse, et je ne m’occupai plus que du plaisir de vous voir à Paris, le peu de temps que j’y serai cette année. Je jetai en même temps les yeux d’un autre côté pour le choix d’un secrétaire dans l’ambassade de M. le duc de Richelieu. Plusieurs personnes se sont présentées ; l’abbé Desfontaines[47], l’abbé Mac-Carthy[48], enviaient ce poste, mais ni l’un ni l’autre ne convenaient, pour des raisons qu’ils ont senties eux-mêmes. L’abbé Desfontaines me présenta M. Davou, son ami, pour cette place : il me répondit de sa probité. Davou me parut avoir de l’esprit. Je lui promis la place de la part de M. de Richelieu, qui m’avait laissé la carte blanche, et je dis à M. de Richelieu que vous aviez trop de défiance de vous-même et trop peu de connaissance des affaires pour oser vous charger de cet emploi. Alors je vous écrivis une assez longue lettre dans laquelle je voulais me justifier auprès de vous de la proposition que vous aviez trouvée si ridicule, et dans laquelle je vous faisais sentir les avantages que vous méprisiez. Aujourd’hui je suis bien étonné de recevoir de vous une lettre par laquelle vous acceptez ce que vous aviez refusé, et me reprochez de m’être mal expliqué. Je vais donc tâcher de m’expliquer mieux, et vous rendre un compte exact des fonctions de l’emploi que je voulais sottement vous donner, des espérances que vous y pouviez avoir, et de mes démarches depuis votre dernière lettre. Il n’y a point de secrétaire d’ambassade en chef. monsieur l’ambassadeur n’a, pour l’aider dans son ministère, que l’abbé de Saint-Remi, qui est un bœuf, et sur lequel il ne compte nullement ; un nommé Guiry, qui n’est qu’un valet ; et un nommé Bussy, qui n’est qu’un petit garçon. Un homme d’esprit, qui serait le quatrième secrétaire, aurait sans doute toute la confiance et tout le secret de l’ambassadeur.

Si l’homme qu’on demande veut des appointements, il en aura ; s’il n’en veut point, il aura mieux, et il en sera plus considéré ; s’il est habile et sage, il se rendra aisément le maître des affaires sous un ambassadeur jeune, amoureux de son plaisir, inappliqué, et qui se dégoûtera aisément d’un travail journalier. Pour peu que l’ambassadeur fasse un voyage à la cour de France, ce secrétaire restera sûrement chargé des affaires ; en un mot, s’il plaît à l’ambassadeur, et s’il a du mérite, sa fortune est assurée.

Son pis-aller sera d’avoir fait un voyage dans lequel il se sera instruit, et dont il reviendra avec de l’argent et de la considération. Voilà quel est le poste que je vous destinais, ne pouvant pas vous croire assez insensé pour refuser ce qui fait l’objet de l’ambition de tant de personnes, et ce que je prendrais pour moi de tout mon cœur.

La première de vos lettres qui m’apprit cet étrange refus me donna une vraie douleur ; la seconde, dans laquelle vous me dites que vous êtes prêt[49] d’accepter, m’a mis dans un embarras très-grand, car j’avais déjà proposé M. Davou. Voici de quelle manière je me suis conduit. J’ai détaché de votre lettre deux pages qui sont écrites avec beaucoup d’esprit ; j’ai pris la liberté d’y rayer quelques lignes, et je les ai lues ce matin à M. le duc de Richelieu, qui est venu chez moi : il a été charmé de votre style, qui est net et simple, et encore plus de la défiance où vous êtes de vous-même, d’autant plus estimable qu’elle est moins fondée. J’ai saisi ce moment pour lui faire sentir de quelle ressource et de quel agrément vous seriez pour lui à Vienne. Je lui ai inspiré un désir très-vif de vous avoir auprès de lui. Il m’a promis de vous considérer comme vous le méritez, et de faire votre fortune, bien sûr qu’il fera pour moi tout ce qu’il fera pour vous. Il est aussi dans la résolution de prendre M. Davou. Je ne sais si ce sera un rival ou un ami que vous aurez. Mandez-moi si vous le connaissez. Je voudrais bien que vous ne partageassiez avec personne la confiance que M. de Richelieu vous destine ; mais je voudrais bien aussi ne point manquer à ma parole.

Voilà l’état où sont les choses. Si vous pensez à vos intérêts autant que moi, si vous êtes sage, si vous sentez la conséquence de la situation où vous êtes ; en un mot, si vous allez à Vienne, il faut revenir au plus tôt à Paris, et vous mettre au fait des traités de paix, M. le duc de Richelieu m’a chargé de vous dire qu’il n’était pas plus instruit des affaires que vous, quand il fut nommé ambassadeur ; et je vous réponds qu’en un mois de temps vous en saurez plus que lui. Il est d’ailleurs très-important que vous soyez ici quand M. l’ambassadeur aura ses instructions, de peur que, les communiquant à un autre, il ne s’accoutume à porter ailleurs la confiance que je veux qu’il vous donne tout entière. Tout dépend des commencements. Il faut, outre cela, que vous mettiez ordre à vos affaires ; et, si vos intérêts ne passaient pas toujours devant les miens, j’ajouterais que je veux passer quelque temps avec vous, puisque je serai huit mois entiers sans vous voir. Je vous conseille ou de vendre le manuscrit de l’abbé de Chaulieu, ou d’abandonner ce projet. Vous savez que les petites affaires sont des victimes qu’il faut toujours sacrifier aux grandes vues.

Enfin c’est à vous à vous décider. J’ai fait pour vous ce que je ferais pour mon frère, pour mon fils, pour moi-même. Vous m’êtes aussi cher que tout cela. Le chemin de la fortune vous est ouvert ; votre pis-aller sera de revenir partager mon appartement, ma fortune, et mon cœur.

Tout vous est bien clairement expliqué : c’est à vous à prendre votre parti. Voilà le dernier mot que je vous en dirai.

135. — À M. THIERIOT,
à la rivière-bourdet

Octobre.

Vous m’avez causé un peu d’embarras par vos Irrésolutions. Vous m’avez fait donner deux ou trois paroles différentes à M. de Richelieu, qui a cru que je l’ai voulu jouer. Je vous pardonne tout cela de bon cœur, puisque vous demeurez avec nous. Je faisais trop de violence à mes sentiments, lorsque je voulais m’arracher de vous pour faire votre fortune. Votre bonheur m’aurait coûté le mien ; mais je m’y étais résolu malgré moi, parce que je penserai toute ma vie qu’il faut s’oublier soi-même pour songer aux intérêts de ses amis. Si le même principe d’amitié, qui me forçait à vous faire aller à Vienne, vous empêche d’y aller, et si, avec cela, vous êtes content de votre destinée, je suis assez heureux, et je n’ai plus rien à désirer que de la santé. On me fait espérer qu’après l’anniversaire de ma petite vérole je me porterai bien ; mais, en attendant, je suis plus mal que je n’ai jamais été. Il m’est impossible de sortir de Paris dans l’état où je suis. Je passe ma vie dans mon petit appartement ; j’y suis presque toujours seul, j’y adoucis mes maux par un travail qui m’amuse sans me fatiguer, et par la patience avec laquelle je souffre. Je fis l’effort, ces jours passés, d’aller à la comédie du Passé, du Présent, et de l’Avenir[50] : c’est Legrand qui en est l’auteur. Cela ne vaut pas le diable ; mais cela réussira, parce qu’il y a des danses et de petits enfants. Jamais la comédie n’a été si à la mode. Le public se divertit autant de la petite troupe qui est restée à Paris que le roi s’ennuie de la grande qui est à Fontainebleau.

Dites un peu à Mme de Bernières qu’elle devrait bien m’écrire. Je sais qu’on peut se lasser à la fin d’avoir un ami comme moi, qu’il faut toujours consoler. On se dégoûte insensiblement des malheureux. Je ne serai donc point surpris quand, à la longue, l’amitié de Mme de Bernières s’affaiblira pour moi ; mais dites-lui que je lui suis plus attaché qu’un homme plus sain que moi ne le peut être, et que je lui promets pour cet hiver de la santé et de la gaieté.

Il n’y a nulles nouvelles ici ; mais à la Saint-Martin je crois qu’on saura de mes nouvelles dans Paris.

136. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.
à la rivière, près de rouen.

De Paris, novembre.

Je viens de recevoir votre lettre dans le temps que je me plaignais à Thieriot de votre silence. Il faut que vous aimiez bien à faire des reproches pour me gronder d’avoir été rendre une visite à une pauvre mourante qui m’en avait fait prier par ses parents. Vous êtes une mauvaise chrétienne de ne pas vouloir que les gens se raccommodent à l’agonie. Je vous assure qu’Étéocle aurait été voir Polynice, si on lui avait fait l’opération du cancer[51]. Cette démarche très-chrétienne ne m’engagera point à revivre avec Mme de Mimeure : ce n’est qu’un petit devoir dont je me suis acquitté en passant. Vous prenez encore bien mal votre temps pour vous plaindre de mes longues absences. Si vous saviez l’état où je suis, assurément ce serait moi que vous plaindriez. Je ne suis à Paris que parce que je ne suis pas en état de me faire transporter chez vous à votre campagne. Je passe ma vie dans des souffrances continuelles, et n’ai ici aucune commodité. Je n’espère pas même la fin de mes maux, et je n’envisage pour le reste de ma vie qu’un tissu de douleurs qui ne sera adouci que par ma patience à les supporter, et par votre amitié, qui en diminuera toujours l’amertume. Sans cette amitié, que vous m’avez toujours témoignée, je ne serais pas à présent dans votre maison ; j’aurais renoncé à vous comme à tout le monde, et j’aurais été enfermer les chagrins dont je suis accablé dans une retraite, qui est la seule chose qui convienne aux malheureux ; mais j’ai été retenu par mon tendre attachement pour vous. J’ai toujours éprouvé que c’est dans les temps où j’ai souffert le plus que vous m’avez marqué plus de bonté, et j’ai osé croire que vous ne vous lasseriez pas de mes malheurs. Il n’y a personne qui ne soit fatigué, à la longue, du commerce d’un malade. Je suis bien honteux de n’avoir à vous offrir que des jours si tristes, et de n’apporter dans votre société que de la douleur et de l’abattement ; mais je vous estime assez pour ne vous point fuir dans un pareil état, et je compte passer avec vous le reste de ma vie, parce que je m’imagine que vous aurez la générosité de m’aimer avec un mauvais estomac et un esprit abattu par la maladie, comme si j’avais encore le don de digérer et de penser. Je suis charmé que Thieriot nous donne la préférence sur l’ambassade ; je sens que son amitié et son commerce me sont nécessaires : c’était avec bien de la douleur que je me séparais de lui ; cependant je serais très-affligé s’il avait manqué sa fortune. Tout le monde le blâme ici de son refus ; pour moi, je l’en aime davantage, mais j’ai toujours quelques remords de ce qu’il a négligé à ce point ses intérêts.

Vous savez que M. de Morville est chevalier de la Toison. Il y avait longtemps que le roi d’Espagne lui avait promis cette faveur. Je viens d’être témoin d’une fortune plus singulière, quoique dans un genre fort différent, La petite Livry, qui avait cinq billets à la loterie des Indes, vient de gagner trois lots[52], qui valent dix mille livres de rente, ce qui la rend plus heureuse que tous les chevaliers de la Toison.

La petite Lecouvreur réussit à Fontainebleau comme à Paris. Elle se souvient de vous dans sa gloire, et me prie de vous assurer de ses respects. Adieu ; je n’ai plus la force d’écrire.



137. — À M. DE CIDEVILLE,
conseiller au parlement de rouen.

À quel misérable état faut-il que je sois réduit de ne pouvoir répondre que de méchante prose aux vers charmants que vous m’avez envoyés ? Les souffrances dont je suis accablé ne me donnent pas un moment de relâche, et à peine ai-je la force de vous écrire, Laudantur ubi non sunt, cruciantur ubi sunt[53]. Vous me prenez à votre avantage, mon cher Cideville ; mais si jamais j’ai de la santé, je vous réponds que vous aurez des épîtres en vers à votre tour. L’amitié et l’estime me les dicteront, et me tiendront lieu du peu de génie poétique que j’avais autrefois, et qui m’a quitté pour aller vous trouver. Adieu, mon cher ami ; feu ma muse salue très-humblement la vôtre, qui se porte à merveille. Pardonnez à la maladie si je vous écris si peu de chose, et si je vous exprime si mal la tendre amitié que j’ai pour vous. Je salue les bonnes gens qui voudront se souvenir de moi.

Voltaire.

138. — À M. THIERIOT[54].

Enfin, je crois que vous m’aimez autant qu’autrefois, puisque vous vous remettez à être malade quand je le suis. Ne me donnez plus cette marque d’amitié, mon cher ami. Vous êtes la moitié de moi-même, la plus saine et la plus vivante ; conservez cette moitié si chère dans le temps que l’autre dépérit tous les jours. J’ai eu assez de courage jusqu’ici pour supporter mes maux ; il me semble que je ne pourrais pas tenir contre les vôtres et les miens mêlés ensemble. Vous avez un fond de tempérament assez bon ; vous n’êtes sûrement malade que pour avoir trop mangé : soyez persuadé que la sobriété vous donnera de la santé, et qu’il n’est pas permis à tout le monde d’être intempérant. Achevez vite votre édition[55], et revenez. Comment voulez-vous que je vous envoie du Chaulieu ou du La Fare ? Je n’ai presque bougé de mon lit depuis quinze jours. Me voilà condamné à ne sortir de l’hiver. Je ne vois plus de fin à mes maux, je n’en espère plus. J’ai renoncé à avoir de la santé, comme Lamotte à faire de bons vers. Que je commence à vous savoir bon gré d’avoir résisté aux, efforts que j’ai faits pour vous séparer de moi[56] ! Je vois plus que jamais que je n’aurais pu me consoler de votre perte. Vous avez préféré mon bonheur à votre fortune, et vous n’avez songé qu’à moi lorsque je ne songeais qu’à vous. Couronnez tout cela par un prompt retour. Adieu, je n’ai pas la force d’écrire davantage.



139. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

28 novembre.

Je vous écris d’une main lépreuse aussi hardiment que si j’avais votre peau douce et unie ; votre lettre et celle de notre ami m’ont donné du courage ; puisque vous voulez bien supporter ma gale, je la supporterai bien aussi. Je voudrais bien n’avoir à exercer ma constance que contre cette maladie ; mais je suis, au fumier près, dans l’état où était le bonhomme Job, faisant tout ce que je peux pour être aussi patient que lui, et n’en pouvant venir à bout. Je crois que le pauvre diable aurait perdu patience comme moi, si la présidente de Bernières de ce temps-là avait été jusqu’au 28 novembre sans le venir voir. On a préparé aujourd’hui votre appartement : venez donc l’occuper au plus tôt ; mais si vos arrêts sont irrévocables, et qu’on ne puisse pas vous faire revenir un jour plus tôt que vous ne l’avez décidé, du moins accordez-moi une autre grâce, que je vous demande avec la dernière instance. Je me trouve, je ne sais comment, chargé de trois domestiques que je n’ai pas le pouvoir de garder, et que je n’ai pas la force de renvoyer. L’un de ces trois messieurs est le pauvre La Brie, que vous avez vu anciennement à moi. Il est trop vieux pour être laquais, incapable d’être valet de chambre, et fort propre à être portier.

Vous avez un suisse qui ne s’est pas attaché à votre service pour vous plaire, mais pour vendre, à votre porte, de mauvais vin à tous les porteurs d’eau qui viennent ici tous les jours faire de votre maison un méchant cabaret ; si l’envie d’avoir à votre porte un animal avec un baudrier, que vous payez chèrement toute l’année pour vous mal servir pendant trois mois, et pour vendre de mauvais vin pendant douze ; si, dis-je, l’envie d’avoir votre porte décorée de cet ornement ne vous tient pas fort au cœur, je vous demande en grâce de donner la charge de portier à mon pauvre La Brie. Vous m’obligerez sensiblement ; j’ai presque autant d’envie de le voir à votre porte que de vous voir arriver dans votre maison : cela fera son petit établissement ; il vous coûtera bien moins qu’un suisse, et vous servira beaucoup mieux. Si, avec cela, le plaisir de m’obliger peut entrer pour quelque chose dans les arrangements de votre maison, je me flatte que vous ne me refuserez pas cette grâce, que je vous demande avec instance. J’attends votre réponse pour réformer mon petit domestique. La poste va partir ; je n’ai ni le temps ni la force d’écrire davantage. Thieriot n’aura pas de lettre de moi cette fois-ci ; mais il sait bien que mon cœur n’en est pas moins à lui[57].



140. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES[58].

1725.

La première chose que j’ai faite, madame, en arrivant à Paris, a été d’aller trouver le seigneur du lieu[59] où j’ai passé des jours si aimables. Je lui ai fait, selon que portaient mes instructions, le détail des embellissements que vous faites à votre terre, et lui ai exagéré le bonheur d’avoir une femme comme vous. Mais quelque chose que je lui aie dite de sa femme et de sa maison, je ne crois pas qu’il vienne si tôt les voir. Il me paraît fort occupé des affaires et des plaisirs qu’il a dans ce pays-ci. Je l’ai trouvé beau, brillant, et paré comme un jeune petit-maître à bonnes fortunes […][60]

Voilà tout ce que je sais de vos affaires. Pour les miennes, elles sont un peu plus mauvaises. J’ai perdu sans ressource mes deux mille livres de rente viagère pour avoir trop tardé à en payer le fonds. Les affaires de ma famille commencent à tourner mal. M. de Nicolaï n’a pas voulu me faire accorder de provision. Ainsi j’ai plus besoin que jamais de la philosophie, dont je veux faire profession. Je vais regarder la fortune comme un avantage qui n’est nécessaire qu’aux gens remplis de désirs. Les richesses sont des emplâtres pour les blessures que nous font nos passions. Mais un philosophe est un homme bien sain, qui n’a pas besoin d’emplâtres. Je me mets donc dans la tête d’être heureux dans la pauvreté. […]



141. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

Ce lundi au soir, juin.

Je vins hier à Paris, madame, et je vis le ballet des Éléments, qui me parut bien joli. L’auteur[61] est indigne d’avoir fait un ouvrage si aimable. Je compte apporter une nouvelle lettre de cachet qui rendra la liberté à notre pauvre abbé Desfontaines. Je verrai samedi Mariamne avec vous, et je vous suivrai à la Rivière. Tous ces projets-là sont bien agréables pour moi, s’ils vous font quelque plaisir.

Je suis d’ailleurs assez content de mon voyage de Versailles ; et, sans votre absence et quelques indigestions, je serais plus heureux qu’à moi n’appartient. J’apprends que vous n’avez jamais eu tant de santé. Vous auriez bien dû me faire le plaisir de me l’apprendre. Mes respects à M. de Bernières. Ayez la bonté de faire tenir à l’abbé Desfontaines la lettre[62] que je lui écris.

J’embrasse notre ami Thieriot.

142. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[63].

1725.

Je répondrai à nosseigneurs les comédiens le beau mot que le duc d’Orléans dit aux députés du parlement : « Allez vous… » J’aime mieux Mariamne qu’eux. Je veux qu’elle soit bonne avant que d’être jouée. Je me suis corrigé de mes précipitations, et Inès me fait voir qu’on ne fait rien de bien en peu de temps. Je travaille donc nuit et jour ; je fais peu de vers et j’en efface beaucoup : sans cela, mon cher monsieur, vous me verriez souvent chez vous et chez Mme de Ferriol, à qui je vous prie de le dire.

Je ne puis donc répondre précisément à votre lettre ; tout ce que je puis vous dire, c’est que je commence à retravailler le second acte. Soyez, je vous en prie, plus sévère que moi ; n’ayez d’indulgence que pour mes défauts ; n’en ayez point pour mes vers. En fait d’amitié, votre indulgence me sera inutile.

Je pars demain pour votre Ablon avec milord. Je pourrai bien, dimanche, envoyer à ces faquins une mauvaise pièce qui sera encore assez bonne pour eux.



143. — À M. THIERIOT,
chez madame de bernières, a la rivière-bourdet.

Paris, 20 juin.

J’ai toujours bien de l’amitié pour vous, grande adversion pour les tracasseries, et beaucoup d’envie d’aller jouir de la tranquillité chez Mme de Bernières ; mais je n’y veux aller qu’en cas que je sois sûr d’être un peu désiré. Je ferais mille lieues pour aller la voir, si elle a toujours la même amitié pour moi ; mais je ne ferais pas un stade, si son amitié est diminuée d’un grain. Je devine que le chevalier des Alleurs[64] est à la Rivière, et que vous y passez une vie bien douce. Je ne sais si M. de Bernières se dispose à partir : il n’entend pas parler de moi, ni moi de lui. Nous ne nous Rencontrons pas plus que s’il demeurait au Marais, et moi aux Incurables. Je saurai probablement de ses nouvelles par Mme de Bernières. Mandez-moi comment elle se porte, si elle est bien gourmande, si Silva lui a envoyé son ordonnance, si elle est bien enchantée du chevalier des Alleurs, si ledit chevalier, toujours bien sain, bien dormant, et bien… se dit toujours malade ; enfin si on veut me souffrir dans l’ermitage. Je ne sais aucune nouvelle, ni ne m’en soucie ; j’attends des Vôtres, et vous embrasse de tout mon cœur.



144. — À MADAME LA PRESIDENTE DE BERNIÈRES.

Ce mercredi, 27 juin.

Je sors de chez Silva, à qui j’ai envoyé quatre fois inutilement demander votre ordonnance : il m’a paru aussi difficile d’en avoir une de médecin que du roi. Enfin Silva vient de me dire que les morceaux d’une boule de fer étaient aussi bons que la boule en entier. Mais, pour moi, je puis vous assurer que le régime vaut mieux que toutes les boules de fer du monde. Je ne me sers plus que de ce remède, et je m’en trouve si bien que je serais déjà chez vous par le coche ou par les batelets, sans la lettre que M. Thieriot m’a écrite. Il m’a mandé que vous et lui seriez fort aises de me recevoir, mais qu’il ne me conseillait pas de venir sans avoir auparavant donné de l’argent[65] à M. de Bernières. Je n’ai jamais plus vivement senti ma pauvreté qu’en lisant cette lettre. Je voudrais avoir beaucoup d’argent à lui donner, car on ne peut payer trop cher le plaisir et la douceur de vivre avec vous. J’envie bien la destinée de M. des Alleurs, qui a porté à la Rivière-Bourdet son indifférence et ses agréments. Je m’imagine que vous avez volontiers oublié tout le monde dans votre charmante solitude, et que qui vous manderait des nouvelles de ce pays-ci, fût-ce des nouvelles de votre mari, vous importunerait beaucoup.

Je ne sais autre chose que le risque où le roi Stanislas a été d’être empoisonné. On a arrêté l’empoisonneur, et on attend de jour en jour des éclaircissements sur cette aventure. Les dames du palais partiront, je crois, le 10 pour aller chercher leur reine[66]. Je crois M. de Luxembourg parti pour Rouen. Voilà tout ce que je sais. Tout le monde dit dans Paris que je suis dévot et brouillé avec vous, et cela parce que je ne suis point à la Rivière, et que je suis souvent chez la femme au miracle[67] du faubourg Saint-Antoine. Le vrai pourtant est que je vous aime de tout mon cœur, comme vous m’aimiez autrefois, et que je n’aime Dieu que très-médiocrement, dont je suis très-honteux.

Je ne sais point du tout si M. de Bernières ira vous voir, et vous savez si j’y dois aller. Mandez-moi ce que vous souhaitez : ce sont vos intentions qui règlent mes désirs. Adieu ; soit à la Rivière, soit à Paris, je vous suis attaché pour toujours, avec la tendresse la plus vive.



145. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

2 juillet.

Me voici donc prisonnier dans le camp ennemi, faute d’avoir de quoi payer ma rançon pour aller à la Rivière, que j’avais appelée ma patrie. En vérité je ne m’attendais pas que jamais votre amitié pût souffrir que l’on mît de pareilles conditions dans le commerce. J’arrive de Maisons, où j’ai enfin la hardiesse de retourner. Je comptais de là aller à la Rivière, et passer le mois de Juillet avec vous. Je me faisais un plaisir d’aller jouir auprès de vous de la santé qui m’est enfin rendue. Vous ne m’avez vu que malade et languissant. J’étais honteux de ne vous avoir donné jusqu’à présent que des jours si tristes, et je me hâtais de vous aller offrir les prémices de ma santé. J’ai retrouvé ma gaieté, et je vous l’apportais ; vous l’auriez augmentée encore. Je me figurais que j’allais passer des journées délicieuses. M. de Bernières même pourrait bien ne pas venir à la Rivière sitôt. En vérité, je suis plus fait pour vivre avec vous que lui, et surtout à la campagne ; mais la fortune arrange les choses tout de travers. Je ne veux pourtant pas que notre amitié dépende d’elle : pour moi, il me semble que je vous aimerai de tout mon cœur, malgré toutes les guenilles qui nous séparent, et malgré vous-même. J’apprends, en arrivant à Paris, que d’Entragues[68] vient de s’enfuir en Hollande ; c’est une affaire bien singulière, et qui fait bien du bruit. On parle de Mme de Prie, de traitants, de quatorze cent mille francs, de signatures ; mais on prétend qu’on va le faire revenir pour tenir le biribi. La reine d’Espagne et Mme de Beaujolais arrivèrent avant-hier[69]. La reine d’Espagne vit à Vincennes à l’espagnole, et Mme de Beaujolais vivra au Palais-Royal à la française, et peut-être à la d’Orléans. Les dames du palais partent le 18. Voilà les nouvelles publiques. Les particulières sont que Mme d’Egmont partage avec Mme de Prie les faveurs du premier ministre, sans partager le ministère. On dit aussi que vous n’avez plus d’amitié pour moi, mais je n’en crois rien. Je me soucie très-peu du reste. Je vous aime de tout mon cœur, et vous prie instamment de m’écrire souvent. Mandez-moi si vous vous portez bien, si la boule de fer vous fait digérer, si vous devenez bien savante ; pour moi, j’ai presque fini mon poème[70] ; j’ai achevé la comédie de l’Indiscret ; je n’ai plus d’autre affaire que celle de mon plaisir, et, par conséquent, je serais à la Rivière si vous étiez encore pour moi ce que vous avez été.



146. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

Paris, ce 23 juillet.

Depuis que je ne vous ai écrit, une foule d’affaires m’est survenue. La moindre est le procès que je renouvelle contre le testament de mon père. Les peines que je me donne tous les jours m’ont bientôt ôté le peu de santé que l’espérance de vous voir m’avait rendu. Je mène ici une vie de damné, tandis que Thieriot et vous vous avez l’air d’être dans les limbes, à votre campagne. Il n’y a plus d’apparence que je revoie la Rivière-Bourdet. Voilà qui est fait ; il n’y a point de repos pour moi jusqu’à l’impression de Henri IV. Je ne vous dirai point combien la situation où je me trouve est douloureuse. Vous n’êtes pas assez fâchée de vivre sans moi pour que je vous montre toute mon affliction. Je vous prie seulement de me rendre un petit service dans votre ville de Rouen. Un de vos coquins d’imprimeurs a imprimé, depuis peu, Mariamne ; j’en ai un exemplaire entre les mains. Si, par le moyen de M. Thieriot, je pouvais savoir quel est l’imprimeur qui m’a joué ce tour, j’en ferais incessamment saisir les exemplaires. Il peut mieux que personne être informé de cela. Je ne lui écris point pour l’en prier, car je compte que c’est tout un d’écrire à vous ou à lui ; et d’ailleurs, en vérité, je n’ai pas un moment de temps. Qu’il me pardonne donc ma négligence, et qu’il ait la bonté, quand il ira à Rouen, de dénicher un peu le faquin qui a donné ma Mariamne. Elle est pleine de fautes grossières et de vers qui ne sont point de moi ; j’en suis dans une colère de père qui voit ses enfants maltraités, et cela m’oblige de faire imprimer ma Mariamne plus tôt que je ne l’avais résolu, et dans un temps très-peu favorable. Il pleut des vers à Paris. M. de Lamotte veut absolument faire jouer son Œdipe[71] ; M. de Fontenelle fait des comédies tous les jours. Tout le monde fait des poèmes épiques ; j’ai mis les poèmes à la mode, comme Langlée y avait mis les falbalas. Si vous voulez des nouvelles, messieurs du clergé refusent de payer le cinquantième, et je m’imagine que, sur cela, la noblesse et le tiers état pourront bien penser de même. Les dames du palais partent demain, à l’exception de Mme la maréchale de Villars, qui est retenue par une perte de sang. Mme de Prie[72] a pris les devants avec Mme de Tallard, et, avant de partir, m’a donné un ordre pour le concierge de sa maison de Fontainebleau, où j’ai un appartement cet automne. Je verrai le mariage de la reine ; je ferai des vers pour elle[73], si elle en vaut la peine. J’en ferais plus volontiers pour vous si vous m’aimiez. Voilà le papier qui me manque. Adieu ; je vous aime de tout mon cœur.



147. — À M. THIERIOT[74].

À Paris, 25 juillet.

Je vous enverrai la Recherche de l’amitié au lieu de celle de la vérité, car je me soucie bien plus de l’une que de l’autre, et fais plus de cas de Thieriot, mon ami, que de Thieriot philosophe. Voilà encore une autre édition de Mariamne qui paraît d’hier, et une troisième dont on me menace. Vous voyez que l’honneur qu’on a fait à Lamotte d’écrire son Inès dans les représentations n’est pas un honneur si singulier qu’il le prétend. Je n’y sais à cela que de donner ma pièce et d’y corriger le plus de choses que je pourrai afin que l’air de la nouveauté soit joint à la correction dont elle avait besoin. On vient de me dire qu’il va aussi paraître une nouvelle édition du poème de la Ligue ; mais que mon poème sera différent de celui que vous avez vu ! Je commence à en être content : c’est beaucoup dire, car vous savez que je suis plus difficile sur mes ouvrages que sur ceux des autres. Je vous remercie de tout mon cœur des perquisitions faites à Rouen. Ce n’est plus la peine d’en faire, puisque je suis assassiné d’éditions de tous les côtés.

Mandez-moi, je vous en prie, sur-le-champ la demeure de M. de Gourdon de Mirabelle. Adieu ; je fais mille compliments à Mme de Bernières et au chevalier, et à mes anciens amis de Rouen. Je vous enverrai Mariamne dès qu’elle sera imprimée. Je sors dans le moment pour la faire jouer et pour la faire imprimer.

J’ai un procès, un poëme épique, une tragédie et une comédie sur les bras. Si j’ai de la santé, je soutiendrai tous ces fardeaux gaiement ; si je n’en ai point, que tout aille au diable ! Bonsoir.



148. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

À Paris, à la Comédie, ce 20 août.

Depuis un mois entier, je suis entouré de procureurs, de charlatans, d’imprimeurs et de comédiens. J’ai voulu tous les jours vous écrire, et n’en ai pas encore trouvé le moment. Je me réfugie actuellement dans une loge de comédienne pour me livrer au plaisir de m’entretenir avec vous pendant qu’on joue Mariamne et l’Indiscret pour la seconde fois. Cette petite pièce fut représentée avant-hier samedi avec assez de succès ; mais il me parut que les loges étaient encore plus contentes que le parterre. Dancourt et Legrand ont accoutumé le parterre au bas comique et aux grossièretés, et insensiblement le public s’est formé le préjugé que de petites pièces en un acte doivent être des farces pleines d’ordures, et non pas des comédies nobles où les mœurs soient respectées. Le peuple n’est pas content quand on ne fait rire que l’esprit ; il faut le faire rire tout haut, et il est difficile de le réduire à aimer mieux des plaisanteries fines que des équivoques fades, et à préférer Versailles à la rue Saint-Denis. Mariamne est enfin imprimée de ma façon, après trois éditions subreptices qui en ont paru coup sur coup.

Au reste, ne croyez pas que je me borne dans Paris à faire jouer des tragédies et des comédies. Je sers Dieu et le diable tout à la fois assez passablement. J’ai dans le monde un petit vernis de dévotion que le miracle du faubourg Saint-Antoine m’a donné. La femme au miracle est venue ce matin dans ma chambre. Voyez-vous quel honneur je fais à votre maison, et en quelle odeur de sainteté nous allons être ? M. le cardinal de Noailles a fait un beau mandement, à l’occasion du miracle ; et, pour comble ou d’honneur ou de ridicule, je suis cité dans ce mandement[75]. On m’a invité, en cérémonie, à assister au Te Deum qui sera chanté à Notre-Dame, en action de grâces de la guérison de Mme Lafosse. M. l’abbé Couet[76], grand-vicaire de Son Éminence, m’a envoyé aujourd’hui le mandement. Je lui ai envoyé une Mariamne, avec ces petits vers-ci :

Vous m’envoyez un mandement,
Recevez une tragédie,
Afin que mutuellement
Nous nous donnions la comédie.

Ah ! ma chère présidente, qu’avec tout cela je suis quelquefois de mauvaise humeur de me trouver seul dans ma chambre, et de sentir que vous êtes à trente lieues de moi ! Vous devez être dans le pays de Cocagne. M. l’abbé d’Amfreville, avec son ventre de prélat et son visage de chérubin, ne ressemble pas mal au Roi de Cocagne[77]. Je m’imagine que vous faites des soupers charmants ; que l’imagination vive et féconde de Mme du Deffant[78], et celle de M. l’abbé d’Amfreville, en donnent à notre ami Thieriot, et qu’enfin tous vos moments sont délicieux. M. le chevalier des Alleurs est-il encore avec vous ? Il m’avait dit qu’il y resterait tant qu’il y trouverait du plaisir : je juge qu’il y demeurera longtemps.

Adieu ; je pars incessamment pour Fontainebleau ; conservez-moi toujours bien de l’amitié. Adieu, adieu.



149. — À M. THIERIOT[79].

À Paris, ce vendredi 25 août.

C’est au coche qui partit mercredi dernier que je fis mettre un paquet de Mariamne à l’adresse de Mme la présidente de Bernières. Vous en ferez des présents à ceux de nos amis qui ont le plus d’indulgence pour mes vers. Je pars dans deux jours pour Fontainebleau. Mon adresse est chez Mme de Prie. Écrivez-moi, mon cher Thieriot, et aimez-moi. On joue toujours Mariamne et l’Indiscret. Je vais faire imprimer cette petite comédie. J’ai été obligé de faire imprimer Mariamne à mes dépens. Il a fallu rompre le marché que j’avais fait avec les libraires, parce que les éditions contrefaites leur coupaient la gorge ; ainsi je me la suis coupée moi-même par bonté, et j’ai fait tous les frais : il n’en sera pas de même de l’Indiscret. Je suis las du métier d’imprimeur. Mandez-moi comment vous vous en trouvez, et si Mahomet[80] est en bon train d’aller. Adieu, je vous souhaite son paradis dans ce monde et un grand débit de son histoire.



150. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES[81].

À Versailles, à l’hôtel de Villeroi, ce mercredi. …septembre.

Vous imagineriez-vous que j’étais dans le grand monde quand j’habitais dans votre maison, et que je suis en retraite à Versailles ? Je n’ai vu personne depuis que j’y suis. J’avais affaire à quelques commis soi-disant ministres ; mais j’ai pris le parti de leur écrire, pour éviter la peine de leur parler.

Ayez la bonté de me mander si vous êtes aussi philosophe que moi. J’ai bien peur que vous ne soyez devenue très-mondaine dans mon absence, et je crois qu’à mon retour je vous trouverai bien changée, et que j’aurai bien à vous gronder. Mais je vous attends à la Rivière pour vous y donner mes grandes leçons de philosophie. J’aime encore mieux être ermite chez vous qu’à Versailles. Adieu ; je vous pardonne de ne point songer à moi au milieu des plaisirs de Paris.



151. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

À Versailles, septembre.

Hier, à dix heures et demie, le roi déclara qu’il épousait la princesse de Pologne, et en parut très-content. Il donna son pied à baiser à M. d’Épernon[82], et son cul à M. de Maurepas, et reçut les compliments de toute sa cour, qu’il mouille tous les jours à la chasse, par la pluie la plus horrible. Il va partir, dans le moment, pour Rambouillet, et épousera Mme Leczinska à Chantilly. Tout le monde fait ici sa cour à Mme de Besenval[83], qui est un peu parente de la reine. Cette dame, qui a de l’esprit, reçoit avec beaucoup de modestie les marques de bassesse qu’on lui donne. Je la vis hier chez M. le maréchal de Villars. On lui demanda à quel degré elle était parente de la reine ; elle répondit que les reines n’avaient point de parents. Les noces de Louis XV font tort au pauvre Voltaire. On ne parle de payer aucune pension, ni même de les conserver ; mais, en récompense, on va créer un nouvel impôt pour avoir de quoi acheter des dentelles et des étoffes pour la demoiselle Leczinska. Ceci ressemble au mariage du soleil, qui faisait murmurer les grenouilles[84]. Il n’y a que trois jours que je suis à Versailles, et je voudrais déjà en être dehors. La Rivière-Bourdet me plaira plus que Trianon et Marly, et je ne veux dorénavant d’autre cour que la vôtre. Mandez-moi des nouvelles de votre santé. Digérez-vous bien ? Allez-vous souvent aux spectacles ? Avez-vous fait dire à Dufresne et à la Lecouvreur de jouer Mariamne ? L’abbé Desfontaines est-il en liberté ? Thieriot est-il toujours bien sémillant ? Conservez-moi votre amitié, dont je fais plus de cas que d’une pension et de ceux qui la donnent.



152. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

À Fontainebleau, ce vendredi 17 septembre.

Pendant que Louis XV et Marie-Sophie-Félicité de Pologne sont, avec toute la cour, à la comédie italienne, moi, qui n’aime point du tout ces pantalons étrangers, et qui vous aime de tout mon cœur, je me renferme dans ma chambre pour vous mander les balivernes de ce pays-ci, que vous avez peut-être quelque curiosité d’apprendre. 1o M. de La Vrillière vient de mourir, cette nuit, à Fontainebleau, et M. le maréchal de Gramont[85] est mort à Paris, à la même heure. Ils ont assurément pris bien mal leur temps tous deux, car, au milieu de tout le tintamarre du mariage du roi, leurs morts ne feront pas le moindre petit bruit.

Ces jours passés, le carrosse de M. le prince de Conti[86] renversa, en passant, le pauvre Martinot, horloger du roi, qui fut écrasé sous les roues, et mourut sur-le-champ. On ne prendra pas plus garde à la mort de MM. de La Vrillière et de Gramont qu’à celle de Martinot, à moins que quelqu’un n’ose demander, malgré les survivances, la place de secrétaire d’État et celle de colonel des gardes. Cependant on fait tout ce qu’on peut ici pour réjouir la reine.

Le roi s’y prend très-bien pour cela. Il s’est vanté de lui avoir donné sept sacrements, pour la première nuit ; mais je n’en crois rien du tout. Les rois trompent toujours leurs peuples. La reine fait très-bonne mine, quoique sa mine ne soit point du tout jolie. Tout le monde est enchanté ici de sa vertu et de sa politesse. La première chose qu’elle a faite a été de distribuer aux princesses et aux dames du palais toutes les bagatelles magnifiques qu’on appelle sa corbeille : cela consistait en bijoux de toute espèce, hors des diamants. Quand elle vit la cassette où tout cela était arrangé : « Voilà, dit-elle, la première fois de ma vie que j’ai pu faire des présents. » Elle avait un peu de rouge le jour du mariage, autant qu’il en faut pour ne pas paraître pâle. Elle s’évanouit un petit instant dans la chapelle, mais seulement pour la forme. Il y eut le même jour comédie. J’avais préparé un petit Divertissement[87] que M. de Mortemart[88] ne voulut point faire exécuter. On donna à la place Amphitryon et le Médecin malgré lui : ce qui ne parut pas trop convenable. Après le souper il y eut un feu d’artifice avec beaucoup de fusées, et très-peu d’invention et de variété ; après quoi le roi alla se préparer à faire un dauphin. Au reste, c’est ici un bruit, un fracas, une presse, un tumulte épouvantable. Je me garderai bien, dans ces premiers jours de confusion, de me faire présenter à la reine ; j’attendrai que la foule soit écoulée, et que Sa Majesté soit un peu revenue de l’étourdissement que tout ce sabbat doit lui causer. Alors je tâcherai de faire jouer Œdipe et Mariamne devant elle ; je lui dédierai l’un et l’autre[89] : elle m’a déjà fait dire qu’elle serait bien aise que je prisse cette liberté. Le roi et la reine de Pologne, car nous ne connaissons plus ici le roi Auguste, m’ont fait demander le poëme de Henri IV, dont la reine a déjà entendu parler avec éloge ; mais il ne faut ici se presser sur rien. La reine va être fatiguée incessamment des harangues des compagnies souveraines : ce serait trop que de la prose et des vers en même temps. J’aime mieux que Sa Majesté soit ennuyée par le parlement et par la chambre des comptes que par moi.

Vous, qui êtes reine à la Rivière, mandez-moi, je vous en prie, si vous êtes toujours bien contente dans votre royaume. Je vous assure que je préfère bien dans mon cœur votre cour à celle-ci, surtout depuis qu’elle est ornée de Mme du Deffant et de M. l’abbé d’Amfreville. Je vous aime tendrement, et vous embrasse mille fois. Adieu.



153. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

À Fontainebleau, le 8 octobre.

Je viens de recevoir une lettre sans date de notre ami Thieriot, par laquelle il me mande que vous avez été malade, sans m’en spécifier le temps. Je vous assure que je me trouve bien malheureux de n’avoir pu être auprès de vous. Ce qu’on appelle si faussement les plaisirs de la cour ne vaut pas la satisfaction de consoler ses amis. Soyez sûre qu’il m’est plus doux de partager vos souffrances que de faire ici ma cour à notre nouvelle reine. J’ai été quelque temps sans vous écrire, parce que je n’ai pas ici un moment à moi. Il a fallu faire jouer Œdipe, Mariamne, et l’Indiscret. J’ai été quelque temps à Bélébat[90] avec Mme de Prie. D’ailleurs je me suis trouvé presque toujours en l’air, maudissant la vie de courtisan, courant inutilement après une petite fortune qui semblait se présenter à moi, et qui s’est enfuie bien vite dès que j’ai cru la tenir, regrettant à mon ordinaire vous, vos amis, et votre campagne, ayant bien de l’humeur et n’osant en montrer, voyant bien des ridicules et n’osant les dire, n’étant pas mal auprès de la reine, très-bien avec Mme de Prie, et tout cela ne servant à rien qu’à me faire perdre mon temps et à m’éloigner de vous. Je vais dans ce moment chercher M. de Gervasi ; et, s’il va à la Rivière-Bourdet, je vais bien envier sa destinée. Je vous avertis d’avance, ma chère reine, que M. de Gervasi et tous les médecins de la faculté vous seront inutiles si vous n’avez pas un régime exact, et qu’avec ce régime vous pourrez vous passer d’eux à merveille. Mettez la main sur la conscience, et avouez que vous avez été quelquefois un peu gourmande. C’est un vilain vice auquel je vous ai vue très-adonnée, et je vous dirai, comme Voiture,

Que vous étiez bien plus heureuse,
Lorsque vous étiez autrefois
Je ne veux pas dire amoureuse,
La rime le dit toutefois[91] !

Aimez et mangez un peu moins : l’école de Salerne ne peut vous donner de meilleurs conseils. Mandez-moi donc, je vous en conjure, comment vous vous portez. Thieriot m’a écrit que votre maudit rhumatisme vous a quittée ; mais n’a-t-il laissé nulle impression ? Vos yeux ont-ils beaucoup souffert ? Êtes-vous parfaitement guérie ? Pourquoi faut-il que vous me négligiez assez pour me laisser ignorer l’état où vous avez été, et celui où vous êtes ? Je passai hier tout le soir avec Mme de Lutzelbourg[92] à parler de vous. Elle vous aime de tout son cœur ; elle pense comme moi ; elle aimerait bien mieux être à la Rivière qu’à Fontainebleau, La pauvre femme sèche ici sur pied. On a brûlé sa maison, et on ne parle pas encore de la dédommager. Cela doit apprendre aux particulières à se piquer un peu moins de loger chez elles des reines. Mme de Lutzelbourg demande justice, et ne l’obtient point. Jugez ce qu’il arrivera de moi, chétif, qui ne suis ici que pour demander des grâces. Ah ! madame, je ne suis pas ici dans mon élément ; ayez pitié d’un pauvre homme qui a abandonné la Rivière-Bourdet, sa patrie, pour un pays étranger. Insensé que je suis ! Je pars dans deux jours, avec M. le duc d’Antin[93], pour aller à Bellegarde voir le roi Stanislas ; car il n’y a sottise dont je ne m’avise. De là je retourne à Bélébat, une seconde fois, avec Mme de Prie. Ce sera dans ce temps-là, à peu près, que mes affaires seront finies ou manquées. Je ne vous promets plus de venir à la Rivière ; mais seriez-vous bien étonnée si vous m’y voyiez arriver les premiers jours de novembre ? Je vous jure que je n’ai jamais eu plus envie de vous voir. Je songe à vous au milieu des occupations, des inquiétudes, des craintes, des espérances, qui agitent tout le monde en ce pays-ci ; mais vous m’oubliez dans votre oisiveté ; vous avez raison : quand on est avec Mme du Deffant et M. l’abbé d’Amfreville, il n’y a personne qu’on ne puisse oublier. Je les assure de mes très-humbles respects, aussi bien que le maître de la maison. Adieu, ma chère reine ; comptez sur ma respectueuse et tendre amitié pour toute ma vie.



154. — À M. THIERIOT.

À Fontainebleau, ce 17 octobre.

Je mérite encore mieux vos critiques que Mariamne, mon cher Thieriot. Un homme qui reste à la cour, au lieu de vivre avec vous, est le plus condamnable des humains, ou plutôt le plus à plaindre. J’ai eu la sottise d’abandonner mes talents et mes amis pour des fumées de cour, pour des espérances imaginaires. Je viens d’écrire sur cela une longue jérémiade à Mme de Bernières. Vous auriez bien dû ne pas attendre si tard à m’informer des nouvelles de sa santé. Réparez cela en m’écrivant souvent, et, surtout, en l’empêchant de manger trop.

En vérité, mon cher Thieriot, si Mme de Bernières veut garder un régime exact, je suis sûr qu’elle se portera à merveille. Mettez-lui bien cela dans la tête, et qu’elle renonce à la gourmandise et à la médecine. J’ai déjà abandonné tout à fait la dernière, et m’en trouve bien. Si je puis prendre sur moi de me passer de tourtes et de sucreries, comme je me passe de Gervasi, d’Helvétius et de Silva, je serai aussi gras et aussi cochon que vous incessamment.

J’ai vu ici un moment le chevalier des Alleurs, qui vint monter sa garde, et qui s’enfuit bien vite après. Je ne me portais pas trop bien dans ce temps : à peine eus-je le temps de lui demander des nouvelles de la Rivière ; il m’échappa comme un éclair. Mandez-moi s’il est encore avec vous autres, et s’il jouit de la béatitude tranquille où vous êtes depuis trois mois.

J’ai été ici très-bien reçu de la reine. Elle a pleuré à Mariamne, elle a ri à l’Indiscret ; elle me parle souvent : elle m’appelle mon pauvre Voltaire. Un sot se contenterait de tout cela ; mais malheureusement j’ai pensé assez solidement pour sentir que des louanges sont peu de chose, et que le rôle d’un poëte à la cour traîne toujours avec lui un peu de ridicule, et qu’il n’est pas permis d’être en ce pays-ci sans aucun établissement. On me donne tous les jours des espérances dont je ne me repais guère. Vous ne sauriez croire, mon cher Thieriot, combien je suis las de ma vie de courtisan. Henri IV est bien sottement sacrifié à la cour de Louis XV. Je pleure les moments que je lui dérobe. Le pauvre enfant devrait déjà paraître in-4o en beau papier, belle marge, beau caractère. Ce sera sûrement pour cet hiver, quelque chose qui arrive. Vous trouverez, je crois, cet ouvrage un peu autrement travaillé que Mariamne. L’épique est mon fait, ou je suis bien trompé, et il me semble qu’on marche bien plus à son aise dans une carrière où on a pour rival un Chapelain, Lamotte, et Saint-Didier, que dans celle où il faut tâcher d’égaler Racine et Corneille. Je crois que tous les poètes du monde se sont donné rendez-vous à Fontainebleau. Saint-Didier a apporté son Clovis[94] à la reine, avec une épître en vers du même style. Roi vient se proposer pour des ballets. La reine est tous les jours assassinée d’odes pindariques, de sonnets, d’épîtres, et d’épithalames. Je m’imagine qu’elle a pris les poètes pour les fous de la cour, et, en ce cas, elle a grande raison, car c’est une grande folie à un homme de lettres d’être ici. Ils ne donnent du plaisir ni n’en reçoivent. Adieu. Savez-vous que M. le duc de Nevers[95] s’est battu avec M. le comte de Brancas, dans la salle des gardes de la reine d’Espagne ? Voilà les seules nouvelles que je sache. Tout ce qui se passe ici est si simple, si uni, si ennuyeux, qu’il n’y a pas moyen d’en parler. Adieu ; je vous embrasse, et vous aime.



155. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

À Fontainebleau, ce 18 octobre.

Gervasi va partir pour vous aller voir : j’en voudrais bien faire autant ; mais jamais mon goût n’a décidé de ma conduite. Je me flatte qu’il vous trouvera en bonne santé, et que ce sera un voyage d’ami plutôt que de médecin. Il vous dira toutes les petites nouvelles de la cour, dont je ne vous parle point. Ne m’en sachez pas mauvais gré. J’aime bien mieux, quand je vous écris, vous parler de vous que de ce qui se passe ici. Je suis bien plus inquiet de votre santé, et plus occupé de ce qui vous regarde, que de toutes les tracasseries de Fontainebleau. Je vais demain à Bellegarde ; je vous en prie, que je retrouve une lettre de vous à mon retour. Mlle Lecouvreur, qui, je crois, vous écrit souvent, me charge de vous assurer de ses respects. Elle réussit ici à merveille. Elle a enterré la Duclos. La reine lui a donné hautement la préférence. Elle oublie, au milieu de ses triomphes, qu’elle me hait. N’allez pas oublier, au milieu de vos rhumatismes, que vous m’avez aimé, et rompez un peu le silence que vous gardez avec moi, ou du moins faites-moi écrire par votre chancelier ; surtout faites-moi savoir combien de temps vous resterez encore à la Rivière. Permettez-moi de saluer tous ceux qui y sont, et d’envier leur destinée : je n’ose dire de venir la partager, car vous ne m’en croiriez pas ; mais si vous restez encore un mois ou six semaines, je viendrai assurément. Mais, au nom de Dieu, conservez votre santé : elle dépend de vous, je vous le répète encore, beaucoup plus que de tous les médecins du monde. Soyez sobre, et votre santé sera aussi bonne qu’elle m’est chère.



156. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

À Fontainebleau, 13 novembre.

La reine vient de me donner, sur sa cassette, une pension de quinze cents livres, que je ne demandais pas : c’est un acheminement pour obtenir les choses que je demande. Je suis très-bien avec le second premier ministre, M. Duverney[96]. Je compte sur l’amitié de Mme de Prie. Je ne me plains plus de la vie de la cour : je commence à avoir des espérances raisonnables d’y pouvoir être quelquefois utile à mes amis ; mais si vous êtes encore gourmande, et si vous avez encore vos maux d’estomac et vos maux d’yeux, je suis bien loin de me trouver un homme heureux. S’il est vrai que vous restiez à votre campagne jusqu’à la fin de décembre, ayez la bonté de m’en assurer, et de ne pas donner toutes les chambres de la Rivière. Les agréments que l’on peut avoir dans le pays de la cour ne valent pas les plaisirs de l’amitié, et la Rivière, à tous égards, me sera toujours plus chère que Fontainebleau. Permettez-moi d’adresser ici un petit mot à mon ami Thieriot.


À M. THIERIOT.

Ne croyez pas, mon cher Thieriot, que je sois aussi dégoûté de Henri IV que vous le paraissez de Mariamne. Je viens de mettre en vers, dans le moment, feu M. le duc d’Orléans et son système avec Lass. Voyez si tout cela vous paraît bien dans son cadre, et si notre sixième chant[97] n’en sera point déparé. Songez qu’il m’a fallu parler noblement de cet excès d’extravagance, et blâmer M. le duc d’Orléans, sans que mes vers eussent l’air de satire.

Je dis, en parlant de ce prince :

D’un sujet et d’un maître il a tous les talents ;
Malheureux toutefois, dans le cours de sa vie,
D’avoir reçu du ciel un si vaste génie.
Philippe, garde-toi des prodiges pompeux
Qu’on offre à ton esprit trop plein de merveilleux.
Un Écossais arrive et promet l’abondance ;
Il parle, il fait changer la face de la France.
Des trésors inconnus se forment sous ses mains :
L’or devient méprisable aux avides humains.
Le pauvre, qui s’endort au sein de l’indigence,
Des rois, à son réveil, égale l’opulence.
Le riche en un moment voit fuir devant ses yeux
Tous les biens qu’en naissant il eut de ses aïeux.
Qui pourra dissiper ces funestes prestiges ?

Je crois que l’on ne pouvait pas parler plus modérément du système ; mais je ne sais si j’en ai parlé assez poétiquement : nous en raisonnerons, à ce que j’espère, à la Rivière. La cour m’a peut-être ôté un peu de feu poétique. Je viendrai le reprendre avec vous. Soyez toujours moins en peine de mon cœur que de mon esprit. Je cesserai plutôt d’être poëte que d’être l’ami de Thieriot.

À L’ABBÉ DESFONTAINES.

Et vous, mon cher abbé Desfontaines, j’ai bien parlé de vous à M. de Fréjus[98] ; mais je sais, par mon expérience, que les premières impressions sont difficiles à effacer. Je n’ai point encore vu votre dernier journal[99]. Je vous suis presque également obligé pour Mariamne et pour le Héros de Gratien[100]. Je suis fâché que vous soyez brouillé avec les révérends pères ; mais, puisque vous l’êtes il n’est pas mal de s’en faire craindre. Peut-être voudront-ils vous apaiser, et vous feront-ils avoir un bénéfice par le premier traité de paix qu’ils feront avec vous. Je ne sais aucune nouvelle de M. l’abbé Bignon. Je serais bien fâché de sa maladie, s’il vous avait fait du bien.

Le pauvre Saint-Didier est venu à Fontainebleau avec Clovis, et tous deux ont été bien bafoués. Il sollicita M. de Mortemart, et l’importuna pour avoir une pension. M. de Mortemart lui répondit que quand on faisait des vers, il les fallait faire comme moi. Je suis fâché de la réponse. Saint-Didier ne me pardonnera point cette injustice de M. de Mortemart. Il y a ici des injustices plus véritables qui me font saigner le cœur. Je ne peux pas m’accoutumer à voir l’abbé Raguet[101] dans l’opulence et dans la faveur, tandis que vous êtes négligé. Cependant n’aimez-vous pas encore mieux être l’abbé Desfontaines que l’abbé Raguet ?

Je présente mes respects au maître de la maison, à M. l’abbé d’Amfreville, à tutti quanti qui ont le bonheur d’être à la Rivière.

Buvez tous à ma santé : et vous, madame la présidente, soyez bien sobre, je vous en prie.



157. — À M. POTET[102].

Que vous êtes heureux, mon cher Potet ! Vous comparaîtrez lundi, à dix heures, devant les juges consuls de la bonne ville de Paris, à la requête de dame Pissat, qui a déclaré devant les juges que vous êtes mon ami. Je ne crois pas que votre témoignage la désavoue en cela. Elle prétend de plus que vous êtes témoin qu’elle ne me doit rien ; vous rendrez donc gloire à la vérité devant Dieu, Chauvin et Thieriot, votre frère, votre juge et le mien. Souvenez-vous de faire un beau discours éloquent, où ces messieurs entendront peu de chose. En attendant, ne pourrait-on vous voir ?



158. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES[103].

1726.

J’ai été à l’extrémité ; je n’attends que ma Convalescence pour abandonner à jamais ce pays-ci[104]. Souvenez-vous de l’amitié tendre que vous avez eue pour moi ; au nom de cette amitié, informez-moi par un mot de votre main de ce qui se passe, ou parlez à l’homme que je vous envoie, en qui vous pouvez prendre une entière confiance. Présentez mes respects à Mme du Deffant ; dites à Thieriot que je veux absolument qu’il m’aime, ou quand je serai mort, ou quand je serai heureux ; jusque-là, je lui pardonne son indifférence. Dites à M. le chevalier des Alleurs que je n’oublierai jamais la générosité de ses procédés pour moi. Comptez que tout détrompé que je suis de la vanité des amitiés humaines[105], la vôtre me sera à jamais précieuse. Je ne souhaite de revenir à Paris que pour vous voir, vous embrasser encore une fois, et vous faire voir ma Constance dans mon amitié et dans mes malheurs.



159. — AU MINISTRE DU DÉPARTEMENT DE PARIS[106].

Le sieur de Voltaire remontre très-humblement qu’il a été assassiné par le brave chevalier de Rohan, assisté de six coupe-jarrets, derrière lesquels il était hardiment posté ; qu’il a toujours cherché, depuis ce temps-là, à réparer, non son honneur, mais celui du chevalier, ce qui était trop difficile. S’il est venu de Versailles, il est très-faux qu’il ait été demander ni qu’il ait fait demander le chevalier de Rohan-Chabot chez M. le cardinal de Rohan.

Il lui est très-aisé de prouver le contraire, et il consent de rester toute sa vie à la Bastille s’il en impose. Il demande la permission de manger avec M. le gouverneur de la Bastille et de voir du monde. Il demande avec encore plus d’instance la permission d’aller incessamment en Angleterre. Si on doute de son départ, on peut l’envoyer avec un exempt jusqu’à Calais[107].



160. — À M. THIERIOT[108].
chez madame la présidente de bernières.

De la Bastille, avril 1726
.

J’ai été accoutumé à tous les malheurs, mais pas encore à celui d’être abandonné de vous entièrement.

Mme de Bernières, Mme du Deffant, M. le chevalier des Alleurs, devraient bien me venir voir. Il n’y a qu’à demander permission à M. Hérault, ou à M. de Maurepas.



161. — À M. THIERIOT.

Ce mardi, 1726.

On doit me conduire demain, ou après-demain, de la Bastille à Calais. Je vous attends, mon cher Thieriot, avec impatience. Venez au plus tôt. C’est peut-être la dernière fois de ma vie que nous nous verrons.



162. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES[109].

On doit me conduire demain ou après-demain de la Bastille droit à Calais. Pouvez-vous, madame, avoir la bonté de me prêter votre chaise de poste ? Celui[110] qui m’aura conduit vous la ramènerait. Demain mercredi, ceux qui voudront me venir voir peuvent entrer librement. Je me flatte que j’aurai l’occasion de vous assurer encore une fois en ma vie de mon véritable et respectueux attachement.

Venez, je vous en prie, avec Mme du Deffant ; je compte aussi que je verrai notre ami Thieriot.



163. — À M. THIERIOT[111].

À Calais, ce 5 mai 1726, chez M. Dunoquet.

Mon cher Thieriot, je n’ai que le temps de vous dire que je suis à Calais, où je compte rester quatre ou cinq jours, que je vous aime réellement, que je regrette Mme de Bernières plus qu’elle ne pense, que je serais consolé si je pouvais trouver en Angleterre quelque imagination comme Mme du Deffant, et quelque malade comme le chevalier des Alleurs, que je suis très fâché d’avoir connu si peu Mme de Godefroy, et qu’il faut que vous m’écriviez tout à l’heure quelque longue lettre où il y ait bien des nouvelles et bien des amitiés de votre part et de celle de Mme de Bernières, à laquelle je serai attaché toute ma vie.



164. — À MADAME DE FERRIOL[112]
.

Calais, 6 mai.

N’auriez-vous point, madame, quelques ordres à me donner pour M. ou pour Mme de B***[113] ? j’attends à Calais que vous daigniez me charger de quelques commissions. Je suis ici chez M. Dunoquet[114], et je sens bien à la réception qu’il me fait qu’il croit que vous m’honorez d’un peu d’amitié. La première chose que je fais dans ce pays-ci est de vous écrire. C’est un devoir dont mon cœur s’acquitte. Vos bontés pour moi sont aussi grandes que mes malheurs, et sont bien plus vivement ressenties. Vous avez toujours été constante dans la bienveillance que je vous ai vue pour moi, et je vous assure que vous êtes ce que je regrette le plus en France, Si j’avais pu vivre selon mon choix, j’aurais assurément passé ma vie dans votre cour ; mais ma destinée est d’être malheureux, et par conséquent loin de vous. Permettez-moi de saluer et d’embrasser M. de Pont-de-Veyle[115] et M. d’Argental. Ayez la bonté d’assurer Mme de Tencin qu’une de mes plus grandes peines, à la Bastille, a été de savoir qu’elle y fût[116]. Nous étions comme Pyrame et Thisbé : il n’y avait qu’un mur qui nous séparât, mais nous ne nous baisions point par la fente de la cloison. Et vous, la nymphe de Circassie[117], et surtout celle de M. Dunoquet, dont vous avez rendu la femme jalouse, je vous jure que s’il y avait seulement en France trois personnes comme vous, je me pendrais de désespoir d’en sortir. Si vous voulez mettre le comble aux consolations que je reçois dans mon Malheur, faites-moi l’honneur de me donner de vos nouvelles et de m’envoyer vos ordres.


165. — À M. THIERIOT.

Le 12 août 1726.

J’ai reçu bien tard, mon cher Thieriot, une lettre de vous, du 11 du mois de mai dernier. Vous m’avez vu bien malheureux à Paris. La même destinée m’a poursuivi partout. Si le caractère des héros de mon poëme est aussi bien soutenu que celui de ma mauvaise fortune, mon poëme assurément réussira mieux que moi. Vous me donnez par votre lettre des assurances si touchantes de votre amitié qu’il est juste que j’y réponde par de la confiance. Je vous avouerai donc, mon cher Thieriot, que j’ai fait un petit voyage à Paris, depuis peu. Puisque je ne vous y ai point vu, vous jugerez aisément que je n’ai vu personne. Je ne cherchais qu’un seul homme[118], que l’instinct de sa poltronnerie a caché de moi, comme s’il avait deviné que je fusse à sa piste. Enfin la crainte d’être découvert m’a fait partir plus précipitamment que je n’étais venu. Voilà qui est fait, mon cher Thieriot ; il y a grande apparence que je ne vous reverrai plus de ma vie. Je suis encore très-incertain si je me retirerai à Londres. Je sais que c’est un pays où les arts sont tous honorés et récompensés, où il y a de la différence entre les conditions, mais point d’autre entre les hommes que celle du mérite. C’est un pays où on pense librement et noblement, sans être retenu par aucune crainte servile. Si je suivais mon inclination, ce serait là que je me fixerais, dans l’idée seulement d’apprendre à penser. Mais je ne sais si ma petite fortune, très-dérangée par tant de voyages, ma mauvaise santé, plus altérée que jamais, et mon goût pour la plus profonde retraite, me permettront d’aller me jeter au travers du tintamarre de Whitehall et de Londres. Je suis très-bien recommandé en ce pays-là, et on m’y attend avec assez de bonté ; mais je ne puis pas vous répondre que je fasse le voyage. Je n’ai plus que deux choses à faire dans ma vie : l’une, de la hasarder avec honneur dès que je le pourrai ; et l’autre, de la finir dans l’obscurité d’une retraite qui convient à ma façon de penser, à mes malheurs, et à la connaissance que j’ai des hommes.

J’abandonne de bon cœur mes pensions du roi et de la reine ; le seul regret que j’aie est de n’avoir pu réussir à vous les faire partager. Ce serait une consolation pour moi dans ma solitude de penser que j’aurais pu, une fois en ma vie, vous être de quelque utilité ; mais je suis destiné à être malheureux de toutes façons. Le plus grand plaisir qu’un honnête homme puisse ressentir, celui de faire plaisir à ses amis, m’est refusé.

Je ne sais comment Mme de Bernières pense à mon égard.

Prendrait-elle le soin de rassurer mon cœur
Contre la défiance attachée au malheur[119] ?

Je respecterai toute ma vie l’amitié qu’elle a eue pour moi, et je conserverai celle que j’ai pour elle. Je lui souhaite une meilleure santé, une fortune rangée, bien du plaisir, et des amis comme vous. Parlez-lui quelquefois de moi. Si j’ai encore quelques amis qui prononcent mon nom devant vous, parlez de moi sobrement avec eux, et entretenez le souvenir qu’ils veulent bien me conserver.

Pour vous, écrivez-moi quelquefois, sans examiner si je fais exactement réponse. Comptez sur mon cœur plus que sur mes lettres.

Adieu, mon cher Thieriot ; aimez-moi malgré l’absence et la mauvaise fortune.

166. — À MADEMOISELLE BESSIÈRES[120].
À Wandsworth[121], le 15 octobre.

Je reçois, mademoiselle, en même temps une lettre de vous, du 10 septembre, et une de mon frère, du 12 août. La retraite ignorée où j’ai vécu depuis deux mois, et mes maladies continuelles, qui m’ont empêché d’écrire à mon correspondant de Calais, sont cause que ces lettres ont tardé si longtemps à venir jusqu’à moi. Tout ce que vous m’écrivez m’a percé le cœur. Que puis-je vous dire, mademoiselle, sur la mort de ma sœur[122], sinon qu’il eût mieux valu pour ma famille et pour moi que j’eusse été enlevé à sa place ? Ce n’est point à moi à vous parler du peu de cas que l’on doit faire de ce passage si court et si difficile qu’on appelle la vie : vous avez sur cela des notions plus lumineuses que moi, et puisées dans des sources plus pures. Je ne connais que les malheurs de la vie, mais vous en connaissez les remèdes, et la différence de vous à moi est du malade au médecin.

Je vous supplie, mademoiselle, d’avoir la bonté de remplir jusqu’au bout le zèle charitable que vous daignez avoir pour moi en cette occasion douloureuse : ou engagez mon frère à me donner, sans différer un seul moment, des nouvelles de sa santé, ou donnez-m’en vous-même. Il ne vous reste plus que lui de toute la famille de mon père, que vous avez regardée comme la vôtre. Pour moi, il ne faut plus me compter. Ce n’est pas que je ne vive encore pour le respect et l’amitié que je vous dois : mais je suis mort pour tout le reste. Vous avez grand tort, permettez-moi de vous le dire avec tendresse et avec douleur, vous avez grand tort de soupçonner que je vous aie oubliée. J’ai bien fait des fautes dans le cours de ma vie. Les amertumes et les souffrances qui en ont marqué presque tous les jours ont été souvent mon ouvrage. Je sens le peu que je vaux ; mes faiblesses me font pitié et mes fautes me font horreur. Mais Dieu m’est témoin que j’aime la vertu, et qu’ainsi je vous suis tendrement attaché pour toute ma vie.

Adieu ; je vous embrasse, permettez-moi ce terme, avec tout le respect et toute la reconnaissance que je dois à Mlle Bessières.



167. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

À Londres, 10 octobre.

Je n’ai reçu qu’hier, madame, votre lettre du 3 de septembre dernier. Les maux viennent bien vite, et les consolations bien tard. C’en est une pour moi très-touchante que votre souvenir. La profonde solitude où je suis retiré ne m’a pas permis de la recevoir plus tôt. Je viens à Londres pour un moment ; je profite de cet instant pour avoir le plaisir de vous écrire, et je m’en retourne sur-le-champ dans ma retraite.

Je vous souhaite, du fond de ma tanière, une vie heureuse et tranquille, des affaires en bon ordre, un petit nombre d’amis, de la santé, et un profond mépris pour ce qu’on appelle vanité. Je vous pardonne d’avoir été à l’Opéra avec le chevalier de Rohan pourvu que vous en ayez senti quelque confusion.

Réjouissez-vous le plus que vous pourrez à la campagne et à la ville. Souvenez-vous quelquefois de moi avec vos amis et mettez la constance dans l’amitié au nombre de vos vertus. Peut-être que ma destinée me rapprochera un jour de vous. Laissez-moi espérer que l’absence ne m’aura point entièrement effacé dans votre idée, et que je pourrai retrouver dans votre cœur une pitié pour mes malheurs qui du moins ressemblera à l’amitié,

La plupart des femmes ne connaissent que les passions ou l’indolence ; mais je crois vous connaître assez pour espérer de vous de l’amitié.

Je pourrai bien revenir à Londres incessamment, et m’y fixer. Je ne l’ai encore vu qu’en passant. Si, à mon arrivée, j’y trouve une lettre de vous, je m’imagine que j’y passerai l’hiver avec plaisir, si pourtant ce mot de plaisir est fait pour être prononcé par un malheureux comme moi. C’était à ma sœur à vivre, et à moi à mourir : c’est une méprise de la destinée. Je suis douloureusement affligé de sa perte : vous connaissez mon cœur, vous savez que j’avais de l’amitié pour elle. Je croyais bien que ce serait elle qui porterait le deuil de moi. Hélas ! madame, je suis plus mort qu’elle pour le monde, et peut-être pour vous. Ressouvenez-vous du moins que j’ai vécu avec vous. Oubliez tout de moi, hors les moments où vous m’avez assuré que vous me conserveriez toujours de l’amitié. Mettez ceux où j’ai pu vous mécontenter au nombre de mes malheurs, et aimez-moi par générosité si vous ne pouvez plus m’aimer par goût.

Mon adresse : chez milord Bolingbroke, à Londres.



168. — À M. ***[123].

1726.

Dear sir, I received lately two letters of your’s one directed to lord Peterborough's and the other to lord Bolingbroke’s : both happening to be in the country just whilst I was in town, hindered me from receiving your orders so soon as I should, and as I wished. I have sent this morning by the packet-boat, a bundle of three copies of the Henriade, with your direction upon it, to be conveyed to you by the means of M. Dunoquet, who lives at Calais, and who will take care of sending them to you by the public coach. If they are left at the custom-house, at Paris, you may claim them, and they will be delivered to you : but I hope proper care shall be taken of conveying them to your lodgings without giving you the trouble of asking for them.

One of the books is for Tiriot, though he bas utterly forgot me, and does not write one single word either in French or in English.

He may get a good deal of money by printing it in France. But in case he attempts it I must at least be acquainted with his design, and I will send him many alterations and corrections which will do good to the work and more to him.

You will see by some annotations tacked to my book, and fathered upon an English lord, that I am here a confessor of catholic religion. Though the poem is written in a language not much admired here in regard to poetry, yet three editions have been made in less than three weeks, which I assure you I attribute entirely to the lucky subject I have pitched upon, and not at all to the performance. I do not send you yet my great edition, because I am really afraid of having not copies enough to answer the calls of the subscribers. I have given notice to many a bookseller in France that my Henriade in-quarto was ready to be delivered to the subscribers at a place which I have appointed in London. It is at messieurs Simon and Benezet’s, merchants, by the Royal-Exchange. They are so kind as to consent the book should be delivered at their house to anybody who will send some of my receipts. I desire you to tell Tiriot of it, that he may acquaint the world I am ready to satisfy the subscribers.

I have been tempted to send you an essay of mine which I have been bold enough to print in English above two months ago : but I dare not send any thing of that kind into France before I have settled my affairs in that country. I have the misfortune to have lost all my annuities upon the town-house for want of a formality ; and now, as I am struggling for their recovery, I think I am not to let the French court know that I think and write like a free Englishman. I heartily wish to see you and my friends, but I had rather to see them in England than in France. You, who are a perfect Briton, you should cross the channel and come to us. I assure you again, that a man of your temper would not dislike a country where one obeys to the laws only and to one’s whims. Reason is free here and walks her own way. Hypochondriacs especially are welcome. No manner of living appears strange. We have men who walk six miles a day for their health, feed upon roots, never taste flesh, wear a coat in winter thinner than your ladies do in the hottest days : all that is accounted a particular reason, but taxed with folly by nobody.

Let us return to the Henriade again. Of those three volumes which are in a packet directed to you, I charge Tiriot to send one to my former friend miss Livry ; Mme de Bernières will read that of Tiriot : I intend hereafter to send her one for her library at la Rivière.

But I desire Tiriot not to attempt any thing about the printing of my book without acquainting me with it : I shall take it as a proof of his friendship to me.

Farewell, I love you sincerely without any compliment or ceremony[124].

March Last.

169. — À M. THIERIOT.

2 février (vieux style[125]) 1727.

Je reçus hier votre lettre du 26 janvier (n. s.) ; je vous avoue que je ne comprends pas comment vous n’avez reçu qu’un tome des Voyages de Gulliver[126] ; il y a près de trois mois que je chargeai M. Dussol des deux tomes pour vous. Vous étiez en ce temps-là en Normandie.

Ayant été trois mois sans recevoir de vous aucun signe de vie, je m’imaginais que vous traduisiez Gulliver, et je me consolais de votre silence par l’espérance d’une bonne traduction, qui, selon moi, vous aurait fait beaucoup d’honneur et de profit.

Vous me mandez que vous n’avez reçu de M. Dussol que le premier volume, et que vous n’avez pas voulu le traduire, dans l’incertitude d’avoir le second. À cela, mon cher ami, je vous répondrai que je vous aurais pu envoyer tous les livres d’Angleterre en moins de temps que vous n’en pouviez mettre à traduire la moitié de Gulliver. Mais comment se peut-il faire que vous n’ayez différé votre traduction qu’à cause de ce second volume, qui vous manque, puisque vous me dites que vous n’avez lu que trois chapitres du premier tome ? Si vous voulez remplir les vues dont vous me parlez, par la traduction d’un livre anglais, Gulliver est peut-être le seul qui vous convienne. C’est le Rabelais de l’Angleterre, comme je vous l’ai déjà mandé ; mais c’est un Rabelais sans fatras, et ce livre serait amusant par lui-même, par les imaginations singulières dont il est plein, par la légèreté de son style, etc., quand il ne serait pas d’ailleurs la satire du genre humain.

J’ai à vous avertir que le second tome n’est pas à beaucoup près si agréable que le premier, qu’il roule sur des choses particulières à l’Angleterre et indifférentes à la France, et qu’ainsi j’ai bien peur que quelqu’un plus pressé que vous ne vous ait prévenu[127], en traduisant le premier tome, qui est fait pour plaire à toutes les nations, et qui n’a rien de commun avec le second.

À l’égard de vous envoyer des livres pour une somme d’argent considérable, j’aimerais mieux que vous dépensassiez cet argent à faire le voyage.

Vous savez peut-être que les banqueroutes sans ressources que j’ai essuyées en Angleterre[128], le retranchement de mes rentes, la perte de mes pensions, et les dépenses que m’ont coûté les maladies dont j’ai été accablé ici, m’ont réduit à un état bien dur. Si Noël Pissot voulait me payer ce qu’il me doit, cela me mettrait en état, mon cher ami, de vous envoyer une partie de la petite bibliothèque dont vous avez besoin.

Si vous avez quelques heures de loisir, pourriez-vous vous transporter chez M. Dubreuil, cloître Saint-Merry, dans la maison de M. l’abbé Moussinot[129] ? Il est chargé de plusieurs billets de Ribou[130], de Pissot, et de quelques autres, que j’ai mis entre ses mains. Il vous remettra lesdits billets sur cette lettre. Vous pouvez mieux que personne tirer quelque argent de ces messieurs, que vous connaissez. Si cela est trop difficile, et si ces messieurs profitent de mes malheurs et de mon absence pour ne me point payer, comme ont fait bien d’autres, il ne faut pas, mon cher enfant, vous donner des mouvements pour les mettre à la raison : ce n’est qu’une bagatelle. Le torrent d’amertume que j’ai bu fait que je ne prends pas garde à ces petites gouttes.

Si vous avez envie de voir des vers écrits avec quelque force, donnez-vous la peine d’aller chez M. de Maisons : il vous montrera une petite parcelle de morceaux détachés de la Henriade, que je lui envoyai, il y a quelque temps, en dépôt, parce que vous étiez au diable, et qu’on n’entendait point parler de vous.

Adieu, mon très-cher Thieriot ; je vous embrasse mille fois.

170. — À M. THIERIOT[131].

À … mars 1727.

Je vous envoie, mon cher Thieriot, les livres que je vous ai promis ; vous les recevrez par la voie de M. Dunoquet, trésorier des troupes, à Calais, à qui je les adresse, et qui les mettra au coche de Calais pour Paris, adressés à vous, chez Mme de Bernières.

It was indeed a very hard task formed to find that damned book, which, under the title of Improvement of human reason, is an example of nonsense from one end to the other, and which besides, is a tedious nonsense, and consequently very distasteful to the french nation, that detests madness itself, when madness is languishing and flat. The book is scarce, hecause it is bad, it being the fate of all wretched books never to be printed again. So, I spent almost a fortnight in the search of it, till at last I had the misfortune to find it.

I hope you will not read throughout, that spiritless nonsense romance, though indeed you deserve to read it, to do penance fort the trouble you gave me to inquire after it, for the tiresome perusal I made of some parts of this whimsical, stupid performance, and for your credulity in believing those who gave you so great an idea of so mean a thing.

You will find in the same parcel the second volume of M. Gulliver, which (by the by, I don’t advise you to translate) strikes at the first ; the other is overstrained. The reader’s imagination is pleased and charmingly entertained by the new prospect of the lands which Gulliver discovers to him ; but that continued séries of new fangles, follies of fairytales, of wild inventions pall at last upon our taste. Nothing unnatural may please long ; it is for this reason that commonly the second parts of romances are so insipid.

Farewell ; my services tho those who remember me, but I hope I am quite forgot here[132].


171. — À M. SWIFT.

1727.

Monsieur, l’autre jour j’envoyai une cargaison de sottises françaises au vice-roi. Milady Bolingbroke s’est chargée de vous procurer un exemplaire de la Henriade : elle souhaite de faire cet honneur à mon ouvrage, et j’espère que le mérite de vous être présenté par ses mains lui servira de recommandation. Cependant si elle ne l’a pas fait encore, je vous prie d’en prendre un dans la cargaison qui se trouve à présent dans le palais du vice-roi.

Je vous souhaite l’ouïe bonne. Dès que vous l’aurez, rien ne vous manquera. Je n’ai point vu M. Pope cet hiver, mais j’ai vu le troisième volume des Miscellanea, et plus je lis vos ouvrages, plus j’ai honte des miens.

Je suis avec respect, estime, et la plus parfaite reconnaissance, votre, etc.



172. — À M. SWIFT.

Vendredi 16[133].

Monsieur, je vous envoie ci-joint deux lettres, l’une de M. de Morville[134], secrétaire d’État, et l’autre pour M. des Maisons, désirant et dignes tous les deux de faire votre connaissance. Ayez la bonté de me faire savoir si vous avez dessein de prendre la route de Calais ou celle de Rouen. Si vous prenez la résolution de passer par Rouen, je vous donnerai des lettres pour une bonne dame qui vit à sa terre, près de Rouen[135]. Elle vous recevra comme vous le méritez. Vous y trouverez deux ou trois de mes amis intimes, qui sont vos admirateurs, et qui ont appris l’anglais depuis que je suis en Angleterre. Tous vous témoigneront les égards, et vous procureront les plaisirs qui seront en leur pouvoir. Ils vous donneront cent adresses pour Paris, et vous fourniront toutes les commodités convenables. Daignez me faire part de votre résolution : je me donnerai assurément toutes les peines possibles pour vous rendre service, et pour faire connaître à mon pays que j’ai l’honneur inestimable d’être de vos amis. Je suis avec le plus grand respect et estime, etc.



173. — À M. LE COMTE DE MORVILLE[136],

ministre des affaires étrangères.
1727.

Monseigneur, je me suis contenté jusqu’ici d’admirer en silence votre conduite dans les affaires de l’Europe ; mais il n’est pas permis à un homme qui aime votre gloire, et qui vous est aussi tendrement attaché que je le suis, de demeurer plus longtemps sans vous faire ses sincères compliments.

Je ne puis d’ailleurs me refuser l’honneur que me fait le célèbre M. Swift de vouloir bien vous présenter une de mes lettres. Je sais que sa réputation est parvenue jusqu’à vous, et que vous avez envie de le connaître ; il fait l’honneur d’une nation que vous estimez. Vous avez lu les traductions de plusieurs ouvrages qui lui sont attribués. Eh ! qui est plus capable que vous, monseigneur, de discerner les beautés d’un original, à travers la faiblesse des plus mauvaises copies[137] ?

Je crois que vous ne serez pas fâché de dîner avec M. Swift et M. le président Hénault ; et je me flatte que vous regarderez comme une preuve de mon sincère attachement à votre personne la liberté que je prends de vous présenter un des hommes les plus extraordinaires que l’Angleterre ait produits, et le plus capable de sentir toute l’étendue de vos grandes qualités.

Je suis, pour toute ma vie, avec un profond respect et un attachement rempli de la plus haute estime, monseigneur, etc.

Voltaire.

174. — À M. THIERIOT[138].

Near London, 27 may (n. s.), 1727.

Mon cher Thieriot, j’ai reçu bien tard, à la campagne où je suis retiré, votre aimable lettre du 1er avril. You cannot imagine with what sense of sorrow I have read the account you gave me of your sickness. I have carried my concern for you further than an ordinary friendship could allow. Remember the time when I was used to write to you, that I believed you had a fever upon you whenever I had an ague. That time is come again. I was very ill in England while you suffered so much in France. An year absence added a new bitterness to my sufferings. Now I hope you are better, since I begin to revive.

I hear that M. Gulliver is now translated and takes pretty much. I wish the translation could be your’s : but I am afraid the abbot has outrun you, and reaped the benefit which such a book should have procured to you.

You must have received the two books addressed to Mme de Bernières, from Calais, and conveyed by the stage-coach. If you intend seriously to make a translation of some valuable book, I advise you to sit still for a month or two, to take care of your health, and to improve your English till the book of Mr Pemberton comes out. This book is an easy, clear and regular explanation of sir Isaac Newton’s philosophy, which he undertakes to make palatable to the most unthinking man. It seems the man intends to Write chiefly for your nation.

If I am in England when the book shall be published, I will not fail of sending it to you with the utmost speed. If I am abroad, as I will be in all likelihood, I will order my bookseller to send you the book by the first opportunity. I fancy it will be an easy task to translate it, the language being very plain, and all the terms of philosophy being just the same in French and in English. Take care only not to be outvied for the future by any priest : be cautious in the choice of those you will consult about your translation. I fancy the bishop of Rochester is more amiable an acquaintance and a less dangerous one than the priest you speak of. But I believe you are now in Normandy, mending your health, loitering with Mme de Bernières, and talking of physic with des Alleurs. I must acquaint you, my dear, that there is an engine in England to take a clyster, which is a master-piece of art, for you may carry it in your fob and make use of it whenever and in what place you please. If ever I enjoy the pleasure of seeing you again, be sure to have half a dozen of those delightful engines. Farewell, do not talk of the occasional writer. Do not say it is not of my lord Bolingbroke ; do not say it is a wretched performance : you cannot be judge neither of the man nor of this writing. Adieu, mon très-cher ami.

Je viens d’écrire un thème anglais au chevalier des Alleurs. J’ai adressé la lettre quai des Théatins ; s’il ne l’a pas reçue, il faut l’en avertir, et qu’il ne la perde point, car j’y ai mis toute ma médecine. Adieu, portez-vous bien.

Non vivere, sed valere vita.

If you want to enter into a course of strict diet, begin soon and keep it long.

To morrow I will live, the fool does say.
To day’s too late, the wise liv’d yesterday.

I am the fool, be the wise and farewell[139].


175. — À M. THIERIOT[140].

Wandsworth, 14 juin (n. s.), 1727.

I have received, by an unknown hand, my English essay’s translation ; I suppose it came from you, and I thank you for it. It is but a slight performance in English, but it is a ridiculous one in French ; for the articles relating to Milton, to sir John Denliam, Waller, Dryden, must needs be altogether out of the way of a French reader : besides abbot Desfontaines has been very far from doing one justice in many passages : he has mistaken the West-Indies for the East-Indies ; he has translated the cakes, which young Ascanius takes notice of being eaten by his countrymen, for la faim dévorante de Cacus. So he mistakes des assiettes et de la croûte de pâté for a giant and a monster. I have not the book by me at présent, and cannot remember all his oversights : but sure I am this little pamphlet did not at all deserve the trouble he has been at of putting it in the French language. I told you already, and I désire you to apprize your friends of it, that the English essay was but the sketch of a very serious work which I have almost finished in French, with all the care, the liberty and the impartiality I am capable of. I have done the like with the Henriade ; and since you have declined the printing of the copy of the Mariamne, which you have, and you advise me to print a new corrected édition of it, I intend to make use of your advice, and to give the public, as soon as possible, the best édition I can of the Henriade, together with my True Essay on Poetry. The printing of them both is a duty I must discharge before I think of other duties less suitable with the life of a man of letters, but becoming a man of honour, and from which you may be sure I shall never départ as long as I breathe.

Now I want to know when and where I could print secretly the Henriade ? It must be in France, in some country town. I question whether Rouen is a proper place ; for methinks the bookish inquisition is so rigorous that it has frightened all the booksellers in those parts. If you know any place where I may print my book with security, I beseech you to let me know of it : but let nobody be acquainted with the secret of my being in France. I should be exceedingly glad, my dear Tiriot, of seeing you again, but I would see nobody else in the world ; I would not be so much as suspected of having set my foot in your country, nor of having thought of it[141] ; my brother, especially, is the least proper person to be trusted with such a secret, not only on account of his indiscreet temper, but also of the ill usage I have received from him since I am in England : I have tried all sorts of means to soften, if I could, the pedantic rudeness and the selfish insolence with which he has crushed me these two years. I own to you, in the bitterness of my heart, that his insufferable usage has been one of my greatest grievances. Your kind friendship is a real comfort to me against so many troubles. I hope the perverseness of the world will never harden a heart so good as I have thought always your’s to be ; therefore I hope you will promote, to the utmost of your abilities, the undertaking you have advised me to. If you can propose the thing to a bookseller, I had rather strike up a bargain in ready money and give the copy, than to be myself at the trouble of printing it : but I am afraid no bookseller will attempt now to print any unlicenced book ; or, if he does it, he will not give much money for so ticklish an attempt ; therefore the more I think on it, the more I conceive the necessity of being my own printer : I expect an answer from you about this affair. In the mean time I shall not fail sending to your brother as many Englishmen as I can : but I am very sorry I can be but very little serviceable to him that way, being almost ever in the Country, and living in England with few friends.

In the mean time let me know what is the sense of the public of the Henriade and the Essay ? But especially I must know your opinion, Methinks it would not be unpleasant to you, and sure it would be a charming pleasure for me, to chat together privately and friendly upon that and about so many other things, of which I never writ to you, but of which I must disburthen my heart when I can enjoy the satisfaction of embracing you secretly[142].



176. — À M. SWIFT[143].
londres, à la perruque blanche.

Cowent-Garden, 14 décembre 1727.

Vous serez surpris, monsieur, de recevoir d’un voyageur français un Essai, en anglais, sur les Guerres civiles de France, qui font le sujet de la Henriade. Ayez de l’indulgence pour un de vos admirateurs, qui doit à vos écrits de s’être passionné pour votre langue, au point d’avoir la témérité d’écrire en anglais.

Vous verrez, par l’Avertissement, que j’ai quelques desseins sur vous, et que j’ai dû parler de vous, pour l’honneur de votre pays et pour l’avantage du mien ; ne me défendez pas d’orner ma narration de votre nom.

Laissez-moi jouir de la satisfaction de parler de vous de la même manière que la postérité en parlera.

Me sera-t-il permis, en même temps, de vous supplier de faire usage de votre crédit en Irlande pour procurer quelques souscripteurs à la Henriade, qui est achevée, et qui, faute d’un peu d’aide, n’a pas encore paru ?

La souscription n’est que d’une guinée, payée d’avance.

Je suis, avec la plus haute estime et la plus parfaite reconnaissance, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

Voltaire.



177. — À MADAME LA DUCHESSE DU MAINE.

1727.

Toutes les princesses malencontreuses, qui furent jadis retenues dans les châteaux enchantés par des nécromans, eurent toujours beaucoup de bienveillance pour les pauvres chevaliers errants à qui même infortune était advenue. Ma Bastille, madame, est la très-humble servante de votre Châlons[144] ; mais il y a une très-grande différence entre l’une et l’autre :

Car à Châlons les Grâces vous suivirent,
Les Jeux badins prisonniers s’y rendirent ;

Et tous ces enfants éperdus
Furent bien surpris quand ils virent

La Fermeté, la Paix, et toutes les vertus,

Qui près de vous se réunirent.

Cet aimable assemblage, si précieux et si rare, vous asservit les cœurs de tous les habitants.

On admira sur vos traces
Minerve auprès de l’Amour.

Ah ! ne leur donnez plus ce Châlons pour séjour ;

Et que les Muses et les Grâces

Jamais plus loin que Sceaux n’aillent fixer leur cour.

Vous avez, dit-on, madame, trouvé dans votre château le secret d’immortaliser un âne.

Dans ces murs malheureux votre voix enchantée
Ne put jamais charmer qu’un âne et les échos :

On vous prendrait pour une Orphée ;

 
Mais vous n’avez point su, trop malheureuse fée,

Adoucir tous les animaux.

Puissiez-vous mener désormais une vie toujours heureuse, et que la tranquillité de votre séjour de Sceaux ne soit jamais interrompue que par de nouveaux plaisirs ! Les agréments seuls de votre esprit peuvent suffire à faire votre bonheur.

Dans ses écrits le savant Malezieu
Joignit toujours l’utile à l’agréable ;
On admira dans le tendre Chaulieu
De ses chansons la grâce inimitable.
il nous fallait les perdre un jour tous deux[145],
Car il n’est rien que le temps ne détruise ;
Mais ce beau dieu qui les arts favorise
De ses présents vous enrichit comme eux,
Et tous les deux vivent dans Ludovise[146].



178. — À M. THIERIOT[147].

London, 21 april (n. s.), 1728.

My dear Tiriot, I write to you in English for the same reason that abbot Boileau wrote in Latin ; I mean, that I should not be understood by many over-curious people.

That I love you is very certain ; that I never received a letter from you these ten months, and that I should have received them, had you written any, is equaly true. I pardon your neglect, you lazy créature, but I do not forgive your telling me you have written ten letters when you have write none.

I thank you extremely for your having drudged and danced many an attendance, for my sake, at Bologni’s and at the Treasury. I do not wonder at your kindness, nor at the bad success, since misfortune attends me every where.

As to the Henriade. I think you may easily get a private licence of printing it : I intend in about a fortnight to ask that licence. In the mean time you must go to M. Hérault, the lieutenant de police. I have already sent one copy of the Henriade to him, and intreated him to seize all the copies which might steal into France till I had leave from the government to publish the book. I have assured him I would never send into France any thing without the consent of the ministry ; therefore it will be very proper for you to speak to him in the same manner, and to inform him that the person you speak of undertakes an édition of the Henriade, contrary to my honour, to my interest and to the laws. Surely M. Hérault will send for him and forbid him to meddle with such an undertaking. The lieutenant de police will do it the more readily the more you shall inform him of the man’s behaviour, and of his having been already guilty once of the like. Depend upon it the man will be terrified from his undertaking. In the mean time we will get our private license, and, in case the license is granted, I advise you to make a bargain with notable bookseller : then I will send you my plates, with sheets of a quarto édition, large paper, begun in London, with the Essai on Epic Poetry in French, and calculated for the French meridian. The bookseller must make two éditions : one in quarto, for my own account, and another in octavo for your benefit. But nothing can succeed to our advantage and to my honour, unless you go to M. Hérault, and implore his assistance against the interloper.

However, I think you should see the interloper, and tell him only you have acquainted me with his design ; that he should do nothing about the poem without consulting me about many altérations I have made since the publication : tell him besides, I disapprove entirely his design of translating my English essay, since I have translated it myself. That little pamphlet could not succeed in France without being dressed in quite another manner. What I say of Milton cannot be understood by the French unless I give a fuller notion of that author. The style besides is after ²the English fashion ; so many similies, so many things which appear but easy and familiar here, would seem too low to your wits of Paris. In short, I know nothing so impertinent as to go about to translate me in spight of my teeth. In fine your business must be to gain time with him, to terrify him by M. Hérault’s means, and to obtain of M. Hérault that he will hinder not only the man, but every body else from publishing the book.

I advise you to go to M. de Maison’s, and to lay the case before him : he is very great with the keeper of the seals, and may easily in a few days help us to a private license. You must direct for the future all your letters to messieurs Simon and Benezet, merchants, Nicholas-street, London.

Take care of your health, use much exercise, keep your body open, your mind easy, eat little, despise the world, love me, and be happy. Farewell.

My services to any body who will remember me. How does madame de Bernières ? I shall send her my great édition by the next opportunity.

The silly criticism[148], which is prefixed to one of the éditions I have sent to you, is written by one Faget, an enthusiastic refugee who knows neither good English nor French. I hear some of your impertinent wits in Paris have fathered it upon me[149].


179. — À M. ***[150]

À Wandsworth, 11/22 juillet.

Monsieur, j’ai reçu votre obligeante lettre, et peu de jours après Mme la comtesse de La Lippe m’a remis la médaille dont Sa Majesté[151] a bien voulu m’honorer. Je la garderai toute ma vie bien précieusement, puisqu’elle me vient d’une si grande reine, et qu’elle représente la reine d’Angleterre, laquelle, par ses vertus et ses grandes qualités, fait aisément songer à la reine de Prusse.

Je vous supplie, monsieur, de vouloir bien présenter à Sa Majesté mes très-humbles remerciements. Je suis honteux d’être si peu digne de ses bontés. Je voudrais pouvoir un jour avoir l’honneur de lui faire ma cour ; il me semble que mes ouvrages en vaudraient mieux si j’avais de pareils modèles à peindre.

Je prends la liberté, monsieur, de vous envoyer dans ce paquet, que j’adresse à M. Ostemback, résident de Prusse à Londres, un exemplaire d’une des éditions qu’on a faites à Londres de la Henriade. Elles sont toutes très-incorrectes ; je vous demande pardon pour les fautes de l’imprimeur et pour celles de l’auteur. Je n’ai aucun exemplaire de la grande édition in-4o ; sans cela je ne manquerais pas d’avoir l’honneur de vous l’envoyer.

Rien ne me flatte plus que votre approbation. La récompense la plus noble de mon travail est de trouver grâce devant des reines comme la vôtre, et d’être estimé de lecteurs comme vous : car en fait de goût et de sciences, il ne faut point mettre de différence entre les têtes couronnées et les particuliers. Je suis avec respect, etc.

Voltaire.



180. — À M. THIERIOT.

À Londres, 4 août 1728.

Voici qui vous surprendra, mon cher Thieriot : c’est une lettre en français. Il me paraît que vous n’aimez pas assez la langue anglaise, pour que je continue mon chiffre avec vous. Recevez donc, en langue vulgaire, les tendres assurances de ma constante amitié. Je suis bien aise d’ailleurs de vous dire intelligiblement que si on a fait en France des recherches de la Henriade chez les libraires, ce n’a été qu’à ma sollicitation. J’écrivis, il y a quelque temps, à M. le garde des sceaux[152] et à M. le lieutenant de police de Paris, pour les supplier de supprimer les éditions étrangères de mon livre, et surtout celle où l’on trouverait cette misérable Critique[153] dont vous me parlez dans vos lettres. L’auteur est un réfugié[154] connu à Londres, et qui ne se cache point de l’avoir écrite. Il n’y a que Paris au monde où l’on puisse me soupçonner de cette guenille : mais

Odi profanum vulgus, et arceo ;

(Hor., lib. III, od. I.)

et les sots jugements et les folles opinions du vulgaire ne rendront point malheureux un homme qui a appris à supporter les malheurs réels : et qui méprise les grands peut bien mépriser les sots. Je suis dans la résolution de faire incessamment une édition correcte du poëme auquel je travaille toujours dans ma retraite. J’aurais voulu, mon cher Thieriot, que vous eussiez pu vous en charger, pour votre avantage et pour mon honneur. Je joindrai à cette édition un Essai sur la Poésie épique, qui ne sera point la traduction d’un embryon anglais[155] mal formé, mais un ouvrage complet et très-curieux pour ceux qui, quoique nés en France, veulent avoir une idée du goût des autres nations. Vous me mandez que des dévots, gens de mauvaise foi ou de très peu de sens, ont trouvé à redire que j’aie osé, dans un poème qui n’est point un colifichet de roman, peindre Dieu comme un être plein de bonté et indulgent aux sottises de l’espèce humaine. Ces faquins-là feront tant qu’il leur plaira de Dieu un tyran, je ne le regarderai pas moins comme aussi bon et aussi sage que ces messieurs sont sots et méchants.

Je me flatte que vous êtes, pour le présent, avec votre frère. Je ne crois pas que vous suiviez le commerce comme lui ; mais, si vous le pouviez faire, j’en serais fort aise : car il vaut mieux être maître d’une boutique que dépendant dans une grande maison. Instruisez-moi un peu de l’état de vos affaires, et écrivez-moi, je vous en prie, plus souvent que je ne vous écris. Je vis dans une retraite dont je n’ai rien à vous mander, au lieu que vous êtes dans Paris, où vous voyez tous les jours des folies nouvelles, qui peuvent encore réjouir votre pauvre ami, assez malheureux pour n’en plus faire.

Je voudrais bien savoir où est Mme de Bernières, et ce que fait le chevalier anglais des Alleurs ; mais, surtout, parlez-moi de vous, à qui je m’intéresserai toute ma vie avec toute la tendresse d’un homme qui ne trouve rien au monde de si doux que de vous aimer.



181. — AU P. PORÉE.

À Paris, rue de Vaugirard, près de la porte Saint-Michel[156].

Si vous vous souvenez encore, mon révérend père, d’un homme qui se souviendra de vous toute sa vie avec la plus tendre reconnaissance et la plus parfaite estime, recevez cet ouvrage avec quelque indulgence, et regardez-moi comme un fils qui vient, après plusieurs années, présenter à son père le fruit de ses travaux dans un art qu’il a appris autrefois de lui. Vous verrez par la préface quel a été le sort de cet ouvrage, et j’apprendrai, par votre décision, quel est celui qu’il mérite. Je n’ose encore me flatter d’avoir lavé le reproche que l’on fait à la France de n’avoir jamais pu produire un poëme épique ; mais si la Henriade vous plaît, si vous y trouvez que j’ai profité de vos leçons, alors sublimi feriam sidéra vertice[157]. Surtout, mon révérend père, je vous supplie instamment de vouloir m’instruire si j’ai parlé de la religion comme je le dois : car, s’il y a sur cet article quelques expressions qui vous déplaisent, ne doutez pas que je ne les corrige à la première édition que l’on pourra faire encore de mon poëme. J’ambitionne votre estime non-seulement comme auteur, mais comme chrétien.

Je suis, mon révérend père, et je ferai profession d’être toute ma vie, avec le zèle le plus vif, votre très-humble et très-obéissant serviteur,

Voltaire



182. — À M. ***[158].

La quadrature du cercle et le mouvement perpétuel sont des choses aisées à trouver en comparaison du secret de calmer tout d’un coup une âme agitée d’une passion violente. Il n’y a que les magiciens qui prétendent arrêter les tempêtes avec des paroles. Si une personne blessée, dont la plaie profonde montrerait des chairs écartées et sanglantes, disait à un chirurgien : « Je veux que ces chairs soient réunies, et qu’à peine il reste une légère cicatrice de ma blessure ; » le chirurgien répondrait : « C’est une chose qui dépend d’un plus grand maître que moi ; c’est au temps seul à réunir ce qu’un moment a divisé. Je peux couper, retrancher, détruire ; le temps seul peut réparer. »

Il en est ainsi des plaies de l’âme ; les hommes blessent, enveniment, désespèrent ; d’autres veulent consoler, et ne font qu’exciter de nouvelles larmes ; le temps guérit à la fin.

Si donc on se met bien dans la tête qu’à la longue la nature efface dans nous les impressions les plus profondes ; que nous n’avons, au bout d’un certain temps, ni le même sang qui coulait dans nos veines, ni les mêmes fibres qui agitaient notre cerveau, ni par conséquent les mêmes idées ; qu’en un mot, nous ne sommes plus réellement et physiquement la même personne que nous étions autrefois ; si nous faisons, dis-je, cette réflexion bien sérieusement, elle nous sera d’un très-grand secours ; nous pourrons hâter ces moments où nous devons être guéris.

Il faut se dire à soi-même : J’ai éprouvé que la mort de mes parents, de mes amis, après m’avoir percé le cœur pour un temps, m’a laissé ensuite dans une tranquillité profonde ; j’ai senti qu’au bout de quelques années il s’est formé dans moi une âme nouvelle ; que l’âme de vingt-cinq ans ne pensait pas comme celle de vingt, ni celle de vingt comme celle de quinze. Tâchons donc de nous mettre par la force de notre esprit, autant qu’il est en nous, dans la situation où le temps nous mettra un jour ; devançons par notre pensée le cours des années.

Cette idée suppose que nous sommes libres. Aussi la personne qui demande conseil se croit sans doute libre : car il y aurait de la contradiction à demander un conseil dont on croirait la pratique impossible. Nous nous conduisons, dans toutes nos affaires, comme si nous étions bien convaincus de notre liberté : conduisons-nous ainsi dans nos passions, qui sont nos plus importantes affaires. La nature n’a pas voulu que nos blessures fussent en un moment consolidées, qu’un instant nous fît passer de la maladie à la santé ; mais des remèdes sages précipitent certainement le temps de la guérison.

Je ne connais point de plus puissant remède pour les maladies de l’âme que l’application sérieuse et forte de l’esprit à d’autres objets.

Cette application détourne le cours des esprits animaux : elle rend quelquefois insensible aux douleurs du corps. Une personne bien appliquée, qui exécute une belle musique, ou pénétrée de la lecture d’un bon livre qui parle à l’imagination et à l’esprit, sent alors un prompt adoucissement dans les tourments d’une maladie ; elle sent aussi les chagrins de son cœur perdre petit à petit leur amertume. Il faut penser à tout autre chose qu’à ce qu’on veut oublier ; il faut penser souvent, et presque toujours, à ce qu’on veut conserver. Nos fortes chaînes sont, à la longue, celles de l’habitude. Il dépend, je crois, de nous de désunir des chaînons qui nous lient à des passions malheureuses, et de fortifier les liens qui nous enchaînent à des choses agréables.

Ce n’est point que nous soyons les maîtres absolus de nos idées : il s’en faut beaucoup ; mais nous ne sommes point absolument esclaves, et, encore une fois, je crois que l’Être suprême nous a donné une petite portion de sa liberté, comme il nous a donné un faible écoulement de sa puissance de penser.

Mettons donc en usage le peu de forces que nous avons. Il est certain qu’en lisant et en réfléchissant on augmente sa faculté de penser ; pourquoi n’augmenterions-nous pas de même cette faculté qu’on nomme liberté ? Il n’y a aucun de nos sens, aucune de nos puissances, à qui l’art n’ait trouvé des secours. La liberté sera-t-elle le seul attribut de l’homme que l’homme ne pourra augmenter ?

Je suppose que nous soyons parmi des arbres chargés de fruits délicieux et empoisonnés, qu’un appétit dévorant nous porte à cueillir : si nous nous sentons trop faibles pour voir ces fruits sans y toucher, cherchons, et cela dépend de nous, des terrains où ces beaux fruits ne croissent pas.

Voilà des conseils qui sont peut-être, comme tant d’autres, plus aisés à donner qu’à suivre ; mais aussi il s’agit d’une grande maladie, et la personne qui est languissante peut seule être son médecin[159].



183. — À M. THIERIOT[160],

à l’empereur, rue du roule, a paris.
1729.

Je pars samedi mâtin[161]. Je vous demande la permission d’emporter le père Lelong[162], qui me sera très-nécessaire pour m’indiquer à mesure les livres dont j’aurai besoin, et que je ferai venir de Paris. J’écris à M. Bernard, maître des requêtes, pour obtenir qu’on me prête les Généralités de M. de Boulainvilliers. Mais je ne sais pas seulement s’il s’appelle Bernard, si on lui écrit sous ce nom : ayez donc la bonté de mettre le dessus, et de m’obtenir une réponse très-prompte et très-favorable.

Souvenez-vous donc du catalogue que vous m’avez promis. Je vous demande au nom de l’amitié de m’écrire souvent, et de joindre à toutes les bonnes qualités qui m’ont attaché à vous celle d’un correspondant un peu exact. — Farewell, my friend.



184. — À M. THIERIOT[163].

1729.

Gratissima nobis fuit epistola tua, amice carissime : but again and again do not babble out you have any correspondance with me ; our private intercourse will be the more friendly the more it is kept secret. I write to nobody in the world. The duke of Richelieu is angry at me for having left off scribbing to him. Should he know I write to you he would not pardon me, and would have reason to complain : but I am sensible I owe to a friend more than to a duke. You are the only man upon earth with whom I converse by letters : and when I am in Paris you will be the only one whom I shall see. Since you love confidences I will tell you I hope to be there about the fifteenth of March. I had, two years ago, snatched from your court a short leave to come to Paris for three months[164]. If I am smoked out this bout, I will plead that former leave for my excuse, though it is perhaps good for nothing. When you see me you shall see and hear things which will please you, recommended to you by the graces of novelty and by your friendship to me : but, my dear Tiriot, the kind pleasure I expect from our next interview is too much embittered by hearing of your bad health[165].

Sur l’article de votre santé, je ne puis vous parler trop intelligiblement ; j’ai éprouvé bien des malheurs ; je sais par une triste expérience que la maladie est le pire de tous. Avoir la fièvre ou la petite vérole en passant, ce n’est rien ; mais être accablé de langueur des années entières, voir tous ses goûts s’anéantir ; avoir encore assez de vie pour souhaiter d’en jouir, et trop peu de force pour le faire ; devenir inutile et insupportable à soi-même, mourir en détail, voilà ce que j’ai souffert et ce qui m’a été plus cruel que toutes les autres épreuves. Si vous êtes dans cet état de langueur, vous ne trouverez dans la médecine aucun remède : j’y en ai cherché en vain, je n’en ai trouvé que dans la nature. Si je vis encore après tout ce que j’ai souffert, et après les chagrins qui ont empoisonné le peu de sang qui restait à ma triste machine, je le dois uniquement à l’exercice et au régime. L’air où je suis ne vaut rien : j’y ai été très-mal ; j’y suis arrivé très-faible. Je suis né d’ailleurs de parents malsains et morts jeunes ; vous savez par-dessus tout cela les peines d’esprit qui me rendent la vie si cruelle ; mais, grâce au régime et à l’exercice, j’existe, et c’est beaucoup pour moi. Vous donc qui êtes né de parents robustes, et qui avez naturellement une forte constitution, si vous embrassez le même genre de vie que moi, vous êtes sûr de vivre longtemps et sainement. Croyez-moi, il n’y a de bonheur dans ce monde pour notre corps que d’avoir ses cinq sens en bon état, et, pour notre âme, que d’avoir un ami : tout le reste n’est que chimères. J’ai peur que l’homme chez qui vous demeurez n’ait appris de feu M. le duc d’Orléans à aimer trop la bonne chère : si les hommes ne vivaient que comme les pauvres, on n’aurait pas besoin de médecins. Je vous ai vu manger beaucoup et aimer à boire du vin longtemps sur le soir, en chantant de mauvais couplets des chansonniers modernes : vous n’avez jamais été malade que par cette raison. Encore un coup, mon ami, il n’y a que la diète qui puisse vous rendre de la santé et de la vigueur. Vous trouverez le sermon bien long, mais comme c’est pour le bien de votre corps, il faut bien que vous l’excusiez : et mundum victum, non déficiente crumena. Horace ne dit pas lautum victum. À l’égard de la crumena, je suis bien charmé qu’un aussi mauvais livre que celui de M. *** vous ait procuré de l’argent.

Comment est reçue l’histoire de l’Académie française par mon ancien préfet[166] ?

What did you hint about il buggerone abbate ?

Pray in what did that true woman use you like la Rabodanges ?

What news concerning you ? Write me all and often : I have nothing to say to you from the place where I am.

Malaffaire does not know me : I am here upon the footing of an English traveller[167].

185. — À M. THIERIOT[168].

Saint-Germain-en-Laye, 2 mars 1729.

We fall out for ever if you do not take five hundred French livres from the arrears which the Queen owes to me, and of which Pallu[169] promises the payment. You must have an hundred crowns beside from Bernard, and as much from the hookseller who will bargain for the priviledge of the Swedish king’s life : that must be so or we are no friends.

I will write to Pallu in a few days to thank him. But I would know before whether he knows of my concealment here, and what he thinks upon it. You ought not to discover any thing to him ; but let him discover to you what he knows.

Before I went out of Paris I received, at M. Cavalier’s house, a letter written to me by cardinal Fleury, which was sent to London, and back from London to Paris. The priest is very civil : he vouchsafes to write to me most obligingly that he has taken away my rents without mercy.

I hope M. de Brancas will instruct me on the particularities which he knows concerning the late king of Sweden : but there are many more curious things relating to that history, which I conjure you earnestly to enquire of.

You may go to the Swedish ambassador, or to his secretary, or his chaplain, or his whore ; ask any of them :

1o Whether it is true count Piper had so great a band in engaging the states to declare the king major at sixteen.

What part the queen-grandmother had in the affairs since her grandson’s majority.

What sort of government was established in Sweden after the king’s arrival on the Turkish dominions.

I beg of you too to see M. de Croissy, of whom I have made a very honourable mention in my history ; and whose family I have much commended, as I think it deserves.

Ask him in what tongue the king did speak with him in Stralsund.

But especially sift him about the Pretender’s interest with that monarch at that time. Endeavour to know whether France had any design to help the Pretender together with the king of Sweden.

Ask him if he knew the famous baron de Görtz, and how far lie believes Görtz had carried his vast designs about the Pretender and the Empire. Do not forget to ingratiate me with M. de Croissy, whom I esteem very much.

When you see M. de Maisons, tell him you do not know where I am at present : but desire him to forward his remarks, and to restore the manuscript as soon as he can.

There is another query more weighty than all the rest.

Two or three historiens, or rather, compilers of gazettes, have confidently reported, that king Augustus of Poland, at his restoration, caused to be beheaded one Fengsten, his privy-counsellor, for having signed the shameful peace of Altranstadt, in order to let the world believe that he (the king) bad been imposed upon by Fengsten and to load an innocent subject with the whole odium and shame of that treaty. I have many reasons to question the beheading of that Fengsten. Pray talk to M. de Brancas about it. Enquire who may give you a true account of that affair ; you will oblige very much your friend. Farewell.

Do not forget the abbot Dubos. I love thee, by God[170]


186. — À M. THIERIOT[171].

10 mars 1729.

Noli amico tuo erranti amplius scribere quia ad te quam primum properabit. Priusquam in Lutetia latere possim ; in uno e vicinis pagis stabo aliquot dies. In all likelihood I will stay at Saint-Germain, and there I intend to arrive before the fifteenth ; therefore, if you love me, be ready to meet me in that place against the first call. You can borrow a chaise from your Nocé ex Timonis familia oriundo, and steal away with your old friend for three or four days. Primitias veris in alter utriusque sinu fruemur et sacra amicitiæ vincula stringemus. Farewell, be healthy, expect me and love me[172].



187. — À M. THIERIOT[173].

25 mars 1729.

If you can forget a few days your golden palace, your feasts, and fumum et opes strepitumque Romæ, come hither, you will find a homely frugal fare, a bard bed, a poor room ; but here is a friend who expects you. You should come on horseback if your M. Nocé has one to lend to you : I will take care of him[174].

C’est chez Châtillon, perruquier à Saint-Germain, rue des Récollets, vis-à-vis des révérends pères récollets, facchini zoccolanti. Il faut demander Sansons ; il habite un trou de cette baraque, et il y en a un autre pour vous. Vale, veni.



188. — À M. THIERIOT[175].

29 mars 1729.

Ecce nunc tempus acceptabile, ecce nunc dies salutis, car voici le saint jubilé ; venez donc voir vos anciens amis en bon chrétien. Expecto te dans le cloître du bienheureux saint Médéric, chez Dubreuil. Expecto te, inquam. Rescribe ergo quota hora potes ægrum amici animum suavi confabulatione reficere.

Die jovis hora 8a.



189. — À M. THIERIOT[176].

1729.

Enfin je suis votre voisin : je vins hier pour vous le dire. Si vous pouvez sortir ce matin, je vous prie de venir dans la rue Traversière, vis-à-vis un vitrier : c’est, vers les dernières maisons à gauche du côté de la fontaine, une des plus vilaines portes. La maison est à un conseiller-clerc nommé M. de Mayenville, homme qui ne se soucie pas des dehors apparemment. Si vous voulez, nous causerons. Je vous embrasse. J’ai quelque chose à vous dire.

Samedi matin.



190. — À M. THIERIOT[177].

1er avril 1729.

I saw last night the duke of R.

He begged of me so earnestly to have leave to apprize Pallu of my appearing to him like a hobgoblin, that I could not refuse.

Therefore I do not think it proper to show my letter of yesterday to Pallu. Speak to him as if you did it of your own accord, and the thing will succeed as well, and better.

I beg of you to désire M. Maisons, to restore the Swedish manuscript.

Do not forget to write to Bernard.

I will return, in two hours hence, to Saint-Germain.

Write to me often, and love me.

Remember to talk with M. Guebriant when you see him[178].



191. — À M. THIERIOT[179],
chez m. de nocé, cloitre saint-germain-l’auxerrois.

À huit heures du matin, 4 avril 1729.

J’ai, mon cher Thieriot, quelque chose de conséquence à vous communiquer. Je vous attends chez Germain Cassegrain, dit Dubreuil, rue et cloître Saint-Médéric, à moins que vous ne vouliez me donner un autre rendez-vous. Je mène la vie d’un rose-croix, toujours ambulant et toujours caché, mais ne prétendant point à sagesse. Quanquam ô[180] !



192. — À M. THIERIOT.

Die Jovis, quem barbari Galli nuncupant jeudi (7 avril) 1729.

Je ne peux pas résister davantage à vos remontrances, à celles de M. de Richelieu et de M. Pallu. Puis donc que vous voulez tous que je sois ici avec un warrant signé Louis, go to Saint-Germain ; I write to the vizier Maurepas, in order to get leave to drag my chain in Paris[181]. [182]Je vous renvoie Quinte-Curce et les Diètes de Pologne. Je demande les deux autres tomes de la Géographie. Si vous pouviez me dénicher quelque bon mémoire touchant la topographie de l’Ukraine et de la Petite-Tartarie, ce serait une bonne affaire. Je vous ai manqué ces jours-ci. Farewell, tell M. Nocei thank him heartily for his opéra ; and whip the lady Liset for lier foolish sauciness : in case she has a pretty arse, forgive her[183].


193. — À M. THIERIOT.

Avril.

Mon cher Thieriot, vous me faites songer à mes intérêts, que j’ai trop négligés. J’avoue que j’ai eu tort de tout abandonner comme j’ai fait. Je me souviens que Marc-Tulle Cicéron, dans ses bavarderies éloquentes, dit quelque part : Turpe est rem suam deserere. Muni donc du sentiment d’un ancien, et rendu à la raison par vos remontrances, je vous envoie la patente de la pension que me fait la reine ; il est juste qu’elle m’en daigne faire payer quelques années, puisque monsieur son mari m’a ôté mes rentes, contre le droit des gens. La difficulté n’est plus que de faire présenter à la reine un placet ; je ne sais ni à qui il faut s’adresser, ni qui paye les pensions de cette nature. Je soupçonne seulement que M. Brossoré, secrétaire des commandements, a quelque voix en chapitre ; mais je lui suis inconnu. Je crois que M. Pallu est de ses amis, et pourrait lui parler.

Mais, mon cher Thieriot, les obligations que j’ai déjà à M. Pallu me rendent timide avec lui. Irai-je encore importuner, pour des grâces nouvelles, un homme qui ne devrait recevoir de moi que des remerciements ? La vivacité avec laquelle il s’intéresse à ma malheureuse affaire[184] ne sortira jamais de mon cœur. Cependant j’ai été trois ans sans lui écrire, comme à tout le reste du monde. On n’a pu arracher de moi que des lettres pour des affaires indispensables. Je me suis condamné moi-même à me priver de la plus douce consolation que je puisse recevoir, c’est-à-dire du commerce de ceux qui avaient quelque amitié pour moi.

Ma misère m’aigrit, et me rend plus farouche. Irai-je donc, après trois ans de silence, importuner, pour une pension, des personnes à qui je suis déjà si redevable ?

C’est à vous, mon cher enfant, à conduire cette affaire comme vous le jugerez convenable. Je vous remets entre les mains des intérêts que j’aurais entièrement oubliés sans vous.

Si vous savez des nouvelles de M. de Maisons, de M. de Pont-de-Veyle, de M. Bertier[185], de M. de Brancas, mandez-moi comment ils se portent. C’est toujours une consolation pour moi de savoir que les personnes que j’honore le plus sont en bonne santé.

Surtout, quand vous verrez M. Pallu, assurez-le que ma reconnaissance n’en est pas moins vive pour être muette.

Vos Mémoires de Mademoiselle[186] ne font pas d’honneur au style des princesses. Adieu.



194. — À M. THIERIOT[187].

À … 15 mai.

Mon cher Thieriot, en vous remerciant de vos cartes, non cartes de piquet, mais bien de Tartarie, si vous pouvez joindre à cela une très-ample, très-détaillée et très-correcte mappemonde, vous m’obligerez beaucoup. Vous m’avez parlé aussi d’une histoire de Pierre le Grand ; si vous me dénichez cela, vous serez plus que jamais animæ dimidium meæ. Adieu, caillette, suivant opéra et bégueule[188], je vous aime de tout mon cœur.



195. — À M. THIERIOT[189].

Paris, 12 août 1729.

Continuez dans vos belles résolutions, et n’oubliez pas les mémoires de M. des Alleurs ; assurez Timon[190] de mon goût pour lui ; j’irai quelque jour dîner chez lui, si ma misanthropie convient à la sienne. Je ne puis sitôt aller chez Mlle Lecouvreur ; les papiers que je devais montrer au comte de Saxe sont encore chez l’ambassadeur de Suède.

Adieu. Voici la première prose que j’ai écrite depuis huit jours, les alexandrins me gagnent. Adieu, mon ami.

Mandez-moi s’il est bien vrai que Bonneval soit musulman. J’ai mes raisons, parce que j’écris demain à Constantinople, où j’ai plus d’amis qu’ici, car j’y en ai deux, et ici qu’un, qui est vous ; mais vous valez deux Turcs en amitié. Adieu.



196. — À M. THIERIOT[191].

Voltaire est homme d’honneur et de parole, s’il n’est pas homme de plaisir. Il ne pourra pas se mettre à table, mais il arrivera sur la fin de votre orgie, lui deuxième avec ce fou de Charles XII. Vale, amice, omnium leporum judex exquisite.

Sunday morning.



197. — À M. THIERIOT.

Décembre.

Vous êtes prié, demain jeudi, de venir dîner dans mon trou[192]. Je fais demain le rôle de Ragotin. Je donne à dîner aux comédiens, et je récite mes vers. Vous trouverez des choses nouvelles dans Brutus, qu’il faut que vous entendiez. D’ailleurs il n’est pas mal que vous buviez, with those who gave you your entrance free[193].

M. de La Faye, que je rencontrai ces jours passés à la Comédie, me dit qu’il voulait bien en être. J’ai donné une lettre au porteur pour lui ; mais je ne sais pas son adresse : je vous prie de l’écrire.



198. — À M. THIERIOT.

Fin de décembre.

Mon cher ami, je vous dis d’abord que j’ai retiré Brutus. On m’a assuré de tant de côtés que M. de Crébillon avait été trouver M. de Chabot, et avait fait le complot de faire tomber Brutus, que je ne veux pas leur en donner le plaisir. D’ailleurs, je ne crois pas la pièce digne du public ; ainsi, mon ami, si vous avez retenu des loges, envoyez chercher votre argent.

M. Josse, qui vous rendra ce billet, imprime actuellement le Bélier, de feu M. Hamilton. Il voudrait avoir quelques pièces, fugitives du même auteur. Si vous en avez quelques-unes, vous me ferez plaisir de les communiquer.

J’ai montré vos papiers à M. de Maisons ; il dit qu’il faut qu’il vous parle. Je ne sais point de pays où les bagatelles soient si importantes qu’en France. Adieu, mon cher enfant. Vale.



199. — À M. LE PRÉSIDENT HÉNAULT[194].

1729.

Ô vous ! l’un des meilleurs suppôts
Du dieu que le buveur adore,
Vous qu’Amour doit compter encore
Au rang de ses zélés dévots ;
Hénault, convive infatigable,
Que j’aime ta vivacité,
Et ce tour d’esprit agréable,
Qui font goûter la volupté ;
Lorsque, versant à pleines tasses,

Vous répétez le soir à tous vos auditeurs
Ces contes, ces chansons, ces discours enchanteurs,

Dictés le matin par les Grâces !

Depuis mon départ de Paris, que je fis assez solennellement en buvant à votre santé, j’ai cru qu’il était inutile de vous écrire que je m’ennuie beaucoup en ce séjour, et que j’y étais arrivé en assez mauvais état. Deux amis m’emballèrent à minuit, sans avoir soupé, dans une chaise de poste ; et après avoir couru pendant deux nuits pour aller prendre des actions, nous entrâmes dans la Lorraine[195], par la route de Metz, qui est un pays d’un très-petit commerce, fort ingrat, et très-peu peuplé :

Car, après de fort longues plaines.
L’on atteint des petits hameaux,
Et quelques huttes fort vilaines,
Faites de planches de bateaux.
Là de modernes Diogènes,
Dans leurs futailles de tonneaux,
Vivant de pain d’orge et de faînes,

Se croient exempts de tous maux
Quand ils sont exempts de travaux.

Jugez, mon cher monsieur, de la bonne chère avec laquelle nous fûmes régalés par ces coquins, qui préfèrent leur oiseuse stupidité aux commodités qu’un peu de peine et d’industrie fournit à nous autres Français. Une pareille misère ne me fit pas augurer en faveur des actions ; et comme j’étais fort mal en arrivant à Nancy, je remis à deux ou trois jours pour souscrire. Nous trouvâmes à l’hôtel de la Compagnie du commerce plusieurs bourgeois et quelques docteurs qui nous dirent que Son Altesse royale avait défendu très-expressément de donner des actions à tous les étrangers, et nous raillèrent en disant dans leur patois lorrain :

Vous voulez être nos confrères,
Messieurs, soyez les bienvenus ;
Vous êtes des actionnaires
Dépouillés de vos revenus :
Sans doute avec quelques pistoles,
Que vous avez pour tout débris,
Vous venez exprès de Paris
Pour emporter nos léopoles.

En effet ils disaient la vérité, et malgré leur turlupinade, après de pressantes sollicitations, ils me laissèrent souscrire pour cinquante actions, qui me furent délivrées huit jours après, à cause de l’heureuse conformité de mon nom avec celui d’un gentilhomme de Son Altesse royale : car aucun étranger n’en a pu avoir. J’ai profité de la demande de ce papier assez promptement ; j’ai triplé mon or, et dans peu j’espère jouir de mes doublons avec gens comme vous. Faites-en part à ceux que vous croyez s’intéresser à ce qui me regarde.

Salut au bon père Finot,
À qui vous lirez ma légende,
À Faucheur, Douville, en un mot,
À toute la bachique bande :
Pour l’aimable et galant de Trois,
Qui me réduit presque aux abois
Quand il exerce sa critique,
Dites-lui donc, quand quelquefois,
Après réplique sur réplique,
Sans savoir bonnement pourquoi,
Je m’emporte et je me lutine.
Pour Dieu, qu’il ait pitié de moi
Et de ma petite poitrine.

À l’égard de l’illustre papa Gueton, avec qui l’esprit et la santé ont fait un traité de société inaltérable, on peut fort bien lui appliquer, sans que la comparaison cloche,

Ce qu’on disait de Desbarreaux,
Que les anciens ni les nouveaux,
N’ont encore jamais vu naître
Homme qui sût si bien connaître.
La nature des bons morceaux.

Vous pouvez lui dire, comme une chose de son ressort et à laquelle il s’intéresse, que de Bourgogne et des autres pays vignobles

Nouvelle nous est arrivée
Que nous avons pleine vinée ;
Mais que Bacchus, dans ces beaux lieux,
Par de trop fréquentes rosées,
Avait ses tonnes épuisées ;
Qu’ainsi je crois que pour le mieux
Il faut se préparer sans peine,
En ménageant votre vin vieux,
À goûter celui de Surène.



200. — AU P. PORÉE[196].

Paris, 7 janvier 1730.

Je vous envoie, mon cher père, la nouvelle édition qu’on vient de faire de la tragédie d’Œdipe. J’ai eu soin d’effacer, autant que je l’ai pu, les couleurs fades d’un amour déplacé, que j’avais mêlées malgré moi aux traits mâles et terribles que ce sujet exige.

Je veux d’abord que vous sachiez, pour ma justification, que, tout jeune que j’étais quand je fis l’Œdipe, je le composai à peu près tel que vous le voyez aujourd’hui : j’étais plein de la lecture des anciens et de vos leçons, et je connaissais fort peu le théâtre de Paris ; je travaillai à peu près comme si j’avais été à Athènes. Je consultai M. Dacier, qui était du pays ; il me conseilla de mettre un chœur dans toutes les scènes, à la manière des Grecs : c’était me conseiller de me promener dans Paris avec la robe de Platon. J’eus bien de la peine seulement à obtenir que les comédiens de Paris voulussent exécuter les chœurs qui paraissent trois ou quatre fois dans la pièce ; j’en eus bien davantage à faire recevoir une tragédie presque sans amour. Les comédiennes se moquèrent de moi quand elles virent qu’il n’y avait point de rôle pour l’amoureuse. On trouva la scène de la double confidence entre Œdipe et Jocaste, tirée en partie de Sophocle, tout à fait insipide. En un mot, les acteurs, qui étaient dans ce temps-là petits-maîtres et grands seigneurs, refusèrent de représenter l’ouvrage.

J’étais extrêmement jeune ; je crus qu’ils avaient raison : je gâtai ma pièce, pour leur plaire, en affadissant par des sentiments de tendresse un sujet qui le comporte si peu. Quand on vit un peu d’amour, on fut moins mécontent de moi ; mais on ne voulut point du tout de cette grande scène entre Jocaste et Œdipe : on se moqua de Sophocle et de son imitateur. Je tins bon ; je dis mes raisons, j’employai des amis ; enfin ce ne fut qu’à force de protections que j’obtins qu’on jouerait Œdipe.

Il y avait un acteur nommé Quinault (Dufresne), qui dit tout haut que, pour me punir de mon opiniâtreté, il fallait jouer la pièce telle qu’elle était, avec ce mauvais quatrième acte tiré du grec. On me regardait d’ailleurs comme un téméraire d’oser traiter un sujet où Pierre Corneille avait si bien réussi. On trouvait alors l’Œdipe de Corneille excellent ; je le trouvais un fort mauvais ouvrage, et je n’osais le dire ; je ne le dis enfin qu’au bout de dix ans, quand tout le monde est de mon avis.

Il faut souvent bien du temps pour que justice soit rendue : on l’a faite un peu plus tôt aux deux Œdipes de M. de Lamotte. Le révérend P. de Tournemine a dû vous communiquer la petite préface dans laquelle je lui livre bataille. M. de Lamotte a bien de l’esprit : il est un peu comme cet athlète grec qui, quand il était terrassé, prouvait qu’il avait le dessus.

Je ne suis de son avis sur rien ; mais vous m’avez appris à faire une guerre d’honnête homme. J’écris avec tant de civilité contre lui que je l’ai demandé lui-même pour examinateur de cette préface, où je tâche de lui prouver son tort à chaque ligne ; et il a lui-même approuvé ma petite dissertation polémique. Voilà comme les gens de lettres devraient se combattre : voilà comme ils en useraient s’ils avaient été à votre école ; mais ils sont d’ordinaire plus mordants que des avocats, et plus emportés que des jansénistes. Les lettres humaines sont devenues très-inhumaines : on injurie, on cabale, on calomnie, on fait des couplets. Il est plaisant qu’il soit permis de dire aux gens par écrit ce qu’on n’oserait pas leur dire en face ! Vous m’avez appris, mon cher père, à fuir ces bassesses, et à savoir vivre comme à savoir écrire.

Les Muses, filles du ciel,
Sont des sœurs sans jalousie :
Elles vivent d’ambrosie,
Et non d’absinthe et de fiel ;
Et quand Jupiter appelle
Leur assemblée immortelle
Aux fêtes qu’il donne aux dieux,
Il défend que le satyre
Trouble les sons de leur lyre
Par ses sons audacieux.

Adieu, mon cher et révérend père : je suis pour jamais à vous et aux vôtres, avec la tendre reconnaissance que je vous dois, et que ceux qui ont été élevés par vous ne conservent pas toujours, etc.



201. — À M. DODINGTON[197].

À Londres.

Sir, I took lately the liberty to send you the History, or rather an Essay on the History of king Charles the Twelfth. Now I beg leave to make you a better présent. M. Tiriot, who will render you this, is a friend of mine who travels for his pleasure, and learns English for his instruction. I have so often spoken to him of all the favours you honoured me with, that I could not forbear charging him with the thanks I must return to your kindness. I will never let slip an opportunity of making you sensible of my gratitude, not only to you but to England ; and I cannot better express my love to your country, than by procuring to my friend the honour of your acquaintance ; for travellers judge of a country by the men they have seen : and certainly, by that highest esteem which I profess for the English nation, one may easily perceive I had the honour once to enjoy Mr Dodington’s conversation.

I am, with respect and gratitude, sir, Your most humble obedient faithful servant[198],

Voltaire.

202. — À M. THIERIOT.
à londres.

Novembre 1730.

… Lectori me credere malim,
Quam spectatoris fastidia ferre superbi.

(Hor., lib. II, épist. i, v. 214.)

Je vous envoie la Henriade, mon cher ami, avec plus de confiance que je ne vais donner Brutus[199]. Je suis bien malade ; je crois que c’est de peur.

Je vous envoie aussi une cargaison de lettres, dont je prie Mlle Sallé[200] de vouloir bien se charger. Toutes les autres qu’elle a eues sont des lettres de recommandation ; mais pour moi, je la prie de me recommander, et je n’ai point trouvé de meilleur expédient, pour faire ressouvenir les Anglais de moi, que de supplier Mlle Sallé de leur rendre mes lettres. Je vous prie cependant de lui dire qu’elle ne manque pas de voir M. Gay[201], dont M. Kich lui apprendra sans doute la demeure. Il faut que M. Gay la présente à la duchesse de Queensbury, qui est sans contredit la personne de Londres la plus capable de lui ameuter une faction considérable. Mme la duchesse de Queensbury n’est pas trop bien à la cour ; mais Mlle Sallé est faite pour réunir tous les partis. Mme de Bolingbroke pourrait aussi la servir vivement, et

  1. Aqua rabelliana, ainsi appelée du nom d’un empirique nommé Rabel, qui mit ce médicament en vogue. (Cl.)
  2. François Aignan, né à Orléans, mort au commencement de 1709 ; capucin connu dans son ordre sous le nom de P. Tranquille, et médecin inventeur d’un remède contre la petite vérole, ainsi que d’une préparation huileuse encore nommée en pharmacie baume tranquille. ( Cl.)
  3. Marie-Charlotte Roque de Varangeville, morte en 1727 ; sœur aînée de la maréchale de Villars, et mère de M. de Maisons. (Cl.)
  4. Ce château, situé ; à trois lieues de Paris, sur les bords de la Seine, au bout de la forêt de Saint-Germain, a appartenu depuis à M. J. Laffitte.
  5. Éditeurs, de Cayrol et François.
  6. C’est-à-dire qu’on ne fit pas brocher ou relier les deux mille exemplaires de la Ligue (Henriade) imprimés par Viret. (Cl.)
  7. Pièces inédites de Voltaire, 1820.
  8. Thieriot était logé chez Mme de Fontaine-Martel.
  9. Éditeurs, Bavoux et François.
  10. On doit cette lettre à un savant distingué, M. Gaullieur, professeur de philosophie à Genève. Isaac Cambiague, dit-il, qui a joué un rôle politique assez important dans la République genevoise, qui fut appelé à la représenter en France et ailleurs dans des occasions difficiles, était connu aussi par son opulence et par son goût très-vif pour les arts et les lettres. Il est mort en 1728. »
  11. C’est-à-dire le calvinisme. (G. A.)
  12. Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences.
  13. Éditeurs, de Cayrol et François.
  14. Éditeurs, de Cayrol et François.
  15. Éditeurs, de Cayrol et François.
  16. Louis-Bénigne Berthier de Sauvigny, président en la cinquième chambre des enquêtes ; mort en 1745.
  17. Jean-Baptiste Ango, marquis de La Motte Lu, petit marquis ridicule.
  18. La princesse de Guise, dont le duc de Richelieu épousa la fille, en 1734. Morte en 1730.
  19. Charles-René-Armand de La Trimouille. Il fut pair de France, membre de l’Académie française, et mourut en 1741.
  20. Louise-Anne, née le 23 juin 1695, morte le 8 avril 1758, était sœur de Marie-Anne, née le 10 octobre 1697, morte le 11 août 1741, connue sous le nom de Mlle de Clermont ; voyez la note 1, page 281 du tome II.
  21. Il s’agit d’une édition des Œuvres de Chaulieu, que Thieriot voulait donner et que Launai, auteur d’une comédie intitulée le Paresseux, publia en 1733. Voyez plus bas la lettre du 15 mai 1733, à Thieriot.
  22. Julie-Christine d’Entraigues, mariée, en 1709, au duc de Béthune-Charost ; morte en 1737. C’est à cette dame, un peu mondaine et trop dévote, que Voltaire adressa l’épitre qui commence par ce vers :

    Tu sortais des bras du sommeil.

  23. Louis Ier, proclamé roi le 17 janvier 1724, avait épousé, deux ans auparavant, une des filles du Régent, Louise-Elisabeth. Louis étant mort le 31 auguste suivant, sa veuve fut promptement renvoyée à Paris, où elle mourut, selon l’Art de vérifier les dates, dans les exercices de la plus haute piété, le 16 juin 1742. (Cl.)
  24. Marie-Anne Victoire, infante d’Espagne, née en 1718, fut mariée, en 1729, au prince de Brésil, depuis roi de Portugal sous le nom de Joseph Ier.
  25. Allusion à son intimité avec Richelieu, qui avait été nommé ambassadeur extraordinaire à Vienne, en mai 1724.
  26. Éditeurs, de Cayrol et François.
  27. C’est ce duc de Melun qui est l’un des personnages de l’ouvrage de Mme de Genlis intitulé Mademoiselle de Clermont.
  28. Louis de Melun, duc et pair, mourut effectivement, le lundi 31 juillet 1724, à Chantilly, chez le duc de Bourbon.
  29. Avec Bolingbroke.
  30. L’Indiscret, comédie ; voyez tome II, page 241.
  31. Éditeurs, de Cayrol et François.
  32. Éditeurs, de Cayrol et François.
  33. À la Rivière-Bourdet, on se livrait alors à l’étude de l’histoire. (G. A.)
  34. Éditeurs, de Cayrol et François.
  35. Le comte d’Argenson, chancelier du duc d’Orléans.
  36. Les Lézeau étaient alliés à la famille Bernières.
  37. Cette maison, à l’un des coins de la rue de Beaune et du quai des Théatins, nommé depuis quai Voltaire, occupait probablement l’emplacement de l’hôtel où le philosophe est mort plus de cinquante ans après. (Cl.)
  38. Mme de La Fare de Montclar. La première édition des Poésies de Chaulieu et de La Fare est de 1724, in-8o.
  39. Louis Ier, roi d’Espagne, le 17 janvier 1724, par l’abdication de Philippe V, mourut le 31 août de la même année.
  40. Henri Fabry de Moncault, comte d’Autrei, mort encore jeune, en 1730 ; père de Henri Fabry, comte d’Autrei, auquel est adressée la lettre du 6 septembre 1765
  41. Lévesque de Champeaux (et non Champot), frère de Louis-Jean Lévesque de Pouilly, et de Lévesque de Burigny, avec lesquels Voltaire fut en correspondance.
  42. Néricault, qui n’avait encore donné aucun de ses chefs-d’œuvre dramatiques, mais qui avait été chargé de plusieurs négociations diplomatiques.
  43. Thieriot, paresseux et parasite, ne donna pas l’édition des Œuvres de Chaulieu, et il refusa la place de secrétaire d’ambassade du duc de Richelieu. (Cl.)
  44. Le 6 octobre 1724.
  45. Éditeurs, de Cayrol et François.
  46. Formant aujourd’hui le VIe chant.
  47. Pierre-François Guyot-Desfontaines, né à Rouen en 1685, mort en 1745 ; voyez tome XXII, page 371 ; tome XXIII, pages 25, 27.
  48. Irlandais, fils d’un chirurgien de Nantes. Il escroqua de l’argent à Voltaire, et s’en alla à Constantinople, où il fut circoncis, et même empalé. Voyez la lettre du 2 décembre 1737, à Berger.
  49. Voyez la note, tome XIV, page 418.
  50. Le Triomphe du Temps, comédie en trois actes, représentée, pour la première fois, le 18 octobre 1724. Legrand, quelques mois auparavant, avait donné le Mauvais Ménage, parodie de Mariamne.
  51. Voyez la lettre 129. Il paraît que, depuis sa liaison avec Mme de Bernières, Voltaire s’était brouillé avec Mme de Mimeure.
  52. Julie de Livry ; voyez, tome X, pages 269-270, une note de lÉpitre connue sous le nom des Vous et des Tu.
  53. Pensée de saint Augustin souvent employée par Voltaire. Voyez tome IX, les vers 169-70 du chant V de la Pucelle.
  54. Éditeurs, de Cayrol et François.
  55. Celle des œuvres de Chaulieu.
  56. En lui conseillant d’accepter la place de secrétaire d’ambassade.
  57. Après cette lettre vient, dans quelques éditions, une lettre à l’abbé Nadal, sous le nom de Thieriot, qui est placée dans les Mélanges, tome XXII, page 13.
  58. Éditeurs, Baveux et François.
  59. M. de Bernières.
  60. La fin et le milieu de cette lettre manquent. (Note de M. de Cayrol)
  61. Roi, cité plus haut, lettre 88.
  62. Elle n’a pas été recueillie.
  63. Éditeurs, de Cayrol et François.
  64. Roland Puchot des Alleurs, connu d’abord sous le titre de chevalier, et ensuite sous celui de comte. Après avoir servi comme capitaine dans le régiment des gardes françaises, il fut nommé envoyé extraordinaire en Pologne, en 1741, et ambassadeur à Constantinople, où il mourut, à la fin de 1754, ou en janvier 1755. C’est à lui qu’est adressée la lettre du 26 novembre 1738. Il avait un frère que Voltaire, dans cette même lettre, appelle philosophe mondain. (Cl.)
  65. Voyez tome XXIII, pages 38 et 61.
  66. Marie Leczinska, fille du roi de Pologne Stanislas, mariée à Louis XV le 5 septembre 1725. On avait voulu faire périr son père avec du tabac empoisonné.
  67. Voyez tome XV, page 61.
  68. Probablement Georges d’Entragues ou d’Entraigues, duc de Phalaris, mari de la duchesse de ce nom. (Cl.)
  69. Le 30 juin. (B.)
  70. La Henriade.
  71. Voyez tome II, page 47, note 3.
  72. Voyez la note 2, tome XVI, page 71.
  73. Voyez, tome X, page 250, l’Épitre à la Reine, en lui envoyant la tragédie de Mariamne.
  74. Éditeurs, de Cayrol et François.
  75. Dans son Voyage littéraire, page 160, Jordan raconte que Voltaire est cité dans ce mandement sans y être nommé : il n’y est que désigné.
  76. Voyez, tome XXVI, une des notes sur le Diner du comte de Boulainvilliers.
  77. Comédie de Legrand, jouée en 1718.
  78. Marie de Vichy Champ-Rond, ou Chamrond, marquise du Deffant, née en 1697, morte le 24 septembre 1780.
  79. Éditeurs, de Cayrol et François.
  80. Thieriot préparait une Histoire du prophète, qui n’a jamais paru.
  81. Éditeurs, de Cayrol et François. — Mme de Bernières était de retour à Paris.
  82. Louis de Pardaillan de Gondrin, d’abord duc d’Epernon et ensuite duc d’Antin, né en 1707, mort en 1743 ; fils de M. de Gondrin à qui Voltaire adressa une épître en 1746.
  83. Catherine de Bielenska, fille du comte de Bielenski, grand-maréchal de Pologne ; mariée, en 1718, à Jean-Victor de Besenval, dont elle eut, en 1721, le baron de Besenval, mort en 1794. On prononce ordinairement Bèseval. (Cl.)
  84. La Fontaine, livre VI, fable xii.
  85. Le maréchal de Gramont mourut le 16 septembre 1725, et le marquis de La Vrillière, dans la nuit du 16 au 17.
  86. Louis Armand de Bourbon, prince de Conti, mort en 1727 ; le même qui adressa des vers à Voltaire, en 1718, à l’occasion d’Œdipe. Louis-François de Bourbon-Conti, son fils, né en 1717, tua aussi, par accident, le P. Du Cerceau, en 1730. (Cl.)
  87. Ce Divertissement est dans les Pièces inédites de Voltaire, publiées par M. Jacobsen, en 1820. Nous le donnons dans le Supplément aux Poésies de Voltaire, tome XXXII.
  88. Louis de Rochechouart, duc de Mortemart, premier gentilhomme de la chambre, mort en 1740.
  89. Œdipe avait été dédié à Madame (femme du Régent). Mariamne est sans dédicace ; mais Voltaire, en l’envoyant à la reine, y joignit une épître ; voyez, tome X, Vl’Épitre à la reine en lui envoyant la tragédie de Mariamne.
  90. Voyez tome II, page 277.
  91. Ces vers font partie d’une pièce de Voiture que nous avons donnée, tome XIV, page 143.
  92. Marie-Ursule de Klinglin, mariée à Walter de Lutzelbourg, ou Luzbourg, duquel elle devint veuve en 1736 ; morte âgée de quatre-vingt-deux ans, en son château de l’IIe-Jard, près de Strasbourg, le 23 janvier 1765. Elle était fille de Jean-Baptiste de Klinglin, préteur royal de Strasbourg, et sœur de Christophe de Klinglin, premier président du conseil supérieur d’Alsace. (Cl.)
  93. Louis-Antoine de Pardaillan de Gondrin, seigneur de Bellegarde, premier duc d’Antin, né en 1665 ; aïeul du duc d’Épernon cité dans une note de la lettre 151.
  94. 1725, in-8o, contenant huit chants : le reste n’a pas paru.
  95. Philippe-Jules-François Mazarini-Mancini, mort en 1768 ; père du duc de Nivernais. Son adversaire, Louis-Toussaint baron de Villeneuve, comte de Brancas, était capitaine des gardes de Louise-Elisabeth, reine d’Espagne. (Cl.)
  96. Pâris-Duverney. Voyez la note de la page 91.
  97. Ces vers n’ont jamais été imprimés dans le texte du poëme.
  98. André-Hercule de Fleury, évêque de Fréjus, de 1698 à 1715 ; cardinal le 11 septembre 1720.
  99. De 1725 à 1727, Desfontaines a travaillé au Journal des Savants.
  100. Balthasar Gracian, jésuite espagnol désigné aussi sous le nom de Gratian, Gratien, ou Gracien, publia à Huesca, en 1037, sous le nom de son frère Laurent, l’ouvrage intitulé el Heroe, de Lorenço Gracian infanzon. Le Héros a été traduit en français par le P. Courbeville, et cette traduction ayant paru en 1725, c’est à elle que Voltaire doit faire allusion. (Cl.)
  101. Gilles-Bernard Raguet, protégé par Fleury, avait obtenu plusieurs bénéfices. Il fut directeur spirituel de la compagnie des Indes, et mourut âgé de quatre-vingt-un ans, en 1748. (Cl.)
  102. Éditeurs, de Cayrol et François.
  103. Éditeurs, de Cayrol et François. — Il est à croire que cette lettre fut écrite après l’affaire de Voltaire avec le chevalier de Rohan-Chabot. Voyez, tome Ier, sur cette affaire, la Vie de Voltaire par Condorcet.
  104. Sans doute la cour.
  105. Allusion à la conduite du duc de Sully.
  106. Envoyé (du 18 au 28 avril) de la Bastille même, où Voltaire avait été mis le 17 avril 1726.
  107. Voltaire sortit de la Bastille le 2 mai.
  108. Éditeurs, de Cayrol et François.
  109. Éditeurs, de Cayrol et François.
  110. L’agent Condé.
  111. Éditeurs, Bavoux et François.
  112. Éditeurs, de Cayrol et François.
  113. Sans doute M. et Mme de Bolingbroke.
  114. Trésorier des troupes.
  115. Antoine de Ferriol, comte de Pont-de-Veyle, frère aîné de d’Argental.
  116. Elle y était entrée le même jour que Voltaire (17 avril).
  117. Mlle Aissé.
  118. Le chevalier de Rohan.
  119. Le second de ces vers est, de Racine, Mithridate, acte II, scène iv.
  120. Voltaire cite cette demoiselle dans sa lettre du 8 janvier 1756 à Mme de Fontaine.
  121. Chez M. Falkener, à qui Voltaire dédia Zaïre, et où il esquissa Brutus en prose anglaise.
  122. Marie Arouet (Mme Mignot).
  123. Pièces inédites de Voltaire, 1820. — Cette lettre est probablement adressée à M. Dussol, dont il est question dans le premier alinéa de la lettre suivante.
  124. Traduction : Mon cher monsieur, j’ai reçu dernièrement deux lettres de vous, l’une adressée à milord Peterborough et l’autre à milord Bolingbroke, tous les deux venant de partir pour la campagne, tandis que j’étais en ville : ce qui m’a privé de recevoir vos ordres aussitôt que je l’aurais dû, et que je l’aurais souhaité. J’ai envoyé ce matin, par le paquebot, un paquet renfermant trois exemplaires de la Henriade, avec votre adresse, pour vous être remis par la voie de M. Dunoquet, qui habite Calais, et qui prendra le soin de vous les envoyer par la voiture publique. S’ils étaient déposés à la douane à Paris, vous pouvez les réclamer, et ils vous seront rendus ; mais j’espère qu’on aura fait en sorte qu’ils vous soient envoyés directement, sans vous donner la peine d’en faire la demande.

    Un des livres est pour Thieriot, quoiqu’il m’ait entièrement oublié, et qu’il ne m’ait pas écrit un seul mot soit en français, soit en anglais. Il pourrait gagner beaucoup d’argent en les faisant imprimer en France ; dans le cas qu’il l’entreprenne, je dois au moins en être instruit, et je lui enverrai plusieurs corrections et changements aussi avantageux pour l’ouvrage que profitables pour lui.

    Vous verrez par quelques notes ajoutées à mon livre, et appuyées sur le témoignage d’un lord anglais, que je suis ici défenseur de la religion catholique. Quoique le poëme soit écrit dans une langue qui n’est pas appréciée ici relativement à la poésie, cependant trois éditions en ont été faites en moins de trois semaines, ce que, je vous assure, j’attribue entièrement au sujet heureux que j’ai choisi, et point du tout au mérite de l’exécution. Je ne vous envoie point encore ma grande édition, parce que j’ai réellement peur de n’avoir pas assez d’exemplaires pour répondre aux demandes des souscripteurs. J’ai fait savoir à plusieurs libraires en France que ma Henriade in-4o était prête à être délivrée aux souscripteurs, à l’adresse que j’ai fixée à Londres : c’est celle de MM. Simon et Benezet, négociants près de la Bourse. Ils sont assez obligeants pour consentir à ce que l’ouvrage soit délivré chez eux à tous ceux qui se présenteront avec ma quittance. Je désire que vous vouliez bien dire à Thieriot qu’il peut faire connaître au public que je suis prêt à satisfaire les souscripteurs.

    J’ai été tenté de vous envoyer un essai que j’ai été assez hardi pour imprimer en anglais, il y a environ deux mois ; mais je n’ose envoyer rien de ce genre en France avant d’y avoir terminé mes affaires. J’ai eu le malheur de perdre toutes mes rentes sur l’Hôtel de Ville, faute d’une formalité. Comme je fais maintenant tous mes efforts pour les recouvrer, je crois qu’il ne serait pas prudent de faire connaître à la cour de France que je pense et que j’écris comme un libre Anglais. Je désire ardemment vous revoir, ainsi que mes amis ; mais j’aimerais mieux que ce fût en Angleterre plutôt qu’en France. Vous qui êtes un parfait Breton, vous devriez passer le canal et venir nous trouver. Je vous assure de nouveau qu’un homme de votre trempe ne se déplairait pas dans un pays où chacun n’obéit qu’aux lois et à ses propres fantaisies. La raison est libre ici et n’y connaît point de contrainte ; les hypocondriaques y sont surtout bien venus. Aucune manière de vivre n’y paraît étrange. On y voit des hommes qui font six milles par jour pour leur santé, se nourrissent de racines, ne mangent jamais de viande, portent en hiver un habit plus

    léger que le costume de vos dames dans les jours les plus chauds. Tout cela est ici regardé comme une singularité, mais n’est taxé de folie par personne.

    Revenons à la Henriade. De ces trois volumes que renferme le paquet à votre adresse, je charge Thieriot d’en envoyer un à mon ancienne amie Mlle de Livry ; Mme de Bernières lira celui de Thieriot ; je compte cependant lui en adresser un pour sa bibliothèque de la Rivière. Mais je prie Thieriot de ne rien entreprendre pour l’impression de mon ouvrage sans m’en informer ; je regarderai cela comme une preuve de son amitié pour moi.

    Adieu, je vous aime sincèrement, sans compliment ni cérémonie.

  125. L’ancien calendrier ne fut abandonné des Anglais qu’en 1752.
  126. Ce roman satirique avait paru l’année précédente.
  127. Desfontaines, qui en effet devança Thieriot.
  128. Un juif, nommé d’Acosta, sur lequel il avait une lettre de change, venait de faire faillite.
  129. Moussinot « était un chanoine de Saint-Merry, un homme de bien, un homme simple et vertueux, attaché à ses devoirs d’ecclésiastique, de chanoine, et d’ami… Le chapitre de Saint-Merry lui confia sa caisse, les jansénistes le firent dépositaire de la leur ; Voltaire lui remit la sienne : elle ne pouvait être en de meilleures mains. C’était une singularité de voir un même ecclésiastique trésorier, en même temps, d’un chapitre, d’une secte, et d’un philosophe ; remplissant, avec exactitude et un secret religieux, les devoirs de ce triple état ». (Note de Duvernet.)
  130. Pierre Ribou, libraire qui donna, en 1719, la première édition d’Œdipe.
  131. Éditeurs, de Cayrol et François.
  132. Traduction : J’ai eu vraiment une peine incroyable à trouver ce maudit livre, qui, sous le titre de Perfectionnement de la raison humaine*, est un modèle d’absurdités d’un bout à l’autre. Ajoutez que ces absurdités sont très-ennuyeuses, et dès lors insupportables aux Français, qui détestent la folie elle-même lorsqu’elle est fade et glacée. Ce livre est rare, parce qu’il est mauvais, le sort de tous les mauvais livres étant de n’être jamais réimprimés. Ainsi, j’ai passé près de quinze jours à le chercher jusqu’à ce qu’enfin j’aie eu le malheur de le trouver.

    J’espère que vous ne lirez pas jusqu’au bout ce sot et absurde roman, quoiqu’en vérité vous méritiez de le lire, pour vous punir de la peine que vous m’avez donnée de le chercher, de l’ennui que j’ai eu de lire quelques morceaux de cet ouvrage ridicule et insensé, enfin de votre admirable facilité à croire les gens qui vous ont donné une si grande opinion d’une pareille pauvreté.

    Vous trouverez dans le même paquet le second volume de Monsieur Gulliver, qu’en passant je ne vous conseille pas de traduire. Le premier volume saisit vivement ; le second est outré. L’esprit du lecteur est charmé d’abord, et agréablement captivé par le spectacle nouveau des pays que Gulliver lui découvre ; mais cette suite non interrompue d’imaginations folles, de rêves, de contes de fées, d’inventions extravagantes, finit par rassasier. Rien de surnaturel ne plaît longtemps : c’est pour cela qu’ordinairement la seconde partie des romans parait insipide.

    Adieu ; mes compliments à ceux qui se souviennent de moi, mais je compte que je suis tout à fait oublié ici.

    *. Ouvrage traduit de Taralie. Thioriot préparait toujours un travail sur Mahomet. (G. A.)

  133. Je crois cette lettre du 16 avril. (B.)
  134. Nous croyons qu’il faut lire : pour M. de Morville.
  135. Mme de Bernières.
  136. Charles Jean-Baptiste Fleurian, comte de Morville, fils du garde des sceaux d’Armenonville, né le 30 octobre 1686, fut chargé, après la mort du cardinal Dubois, du portefeuille des affaires étrangères, qu’il conserva jusqu’au 19 août 1727. Mort en février 1732.
  137. La traduction des Voyages de Gulliver, par Desfontaines, venait de paraître.
  138. Pièces inédites, 1820.

  139. Traduction :

    Près de Londres, le 27 mai (nouveau style) 1727.


    Mon cher Thieriot, j’ai reçu bien tard, à la campagne où je suis retiré, votre aimable lettre du 1er avril. Vous ne sauriez imaginer avec quel chagrin j’ai lu le compte que vous me rendez de votre maladie ; mon amitié, pour ce qui vous regarde, passe les limites d’une amitié ordinaire. Rappelez-vous du temps où je vous écrivais que je pensais que vous deviez avoir la fièvre parce que je sentais le frisson, ce temps est revenu. J’étais très-malade en Angleterre tandis que vous souffriez tant en France, et votre absence ajoutait encore plus d’amertume à mes souffrances. À présent j’espère que vous êtes mieux, puisque je commence à revivre.


    J’apprends que Monsieur Gulliver vient d’être traduit, et qu’il réussit passablement. Je souhaite que cette traduction soit de vous, mais j’ai bien peur que l’abbé* ne vous ait devancé, et qu’il ne vous ait enlevé le profit qu’un tel ouvrage vous eut rapporté. Vous devez avoir reçu deux exemplaires adressés à Mme de Bernières, de Calais, et envoyés par la voiture publique. Si vous êtes sérieusement dans l’intention de traduire quelque ouvrage qui en vaille la peine, je vous conseille d’attendre encore un mois ou deux, de prendre soin de votre santé, de vous fortifier dans la langue anglaise et de donner le temps à l’ouvrage de M. Pemberton de paraître. Cet ouvrage est une explication claire et précise de la philosophie de sir Isaac Newton, qu’il entreprend de rendre intelligible aux hommes les plus irréfléchis et les moins exercés dans ce genre. Il semblerait que l’auteur ait voulu principalement écrire pour votre nation.


    Si je suis encore en Angleterre quand l’ouvrage sera publié, je ne perdrai pas un moment pour vous l’envoyer ; si j’en suis parti à cette époque, comme cela est vraisemblable, j’ordonnerai à mon libraire de vous envoyer le livre à la première occasion. Je pense qu’il sera facile de le traduire, le style en étant fort simple et


    tous les termes de philosophie les mêmes en français et en anglais. Prenez garde seulement de n’être pas prévenu par quelque prêtre ; soyez scrupuleux dans le choix de ceux que vous consulterez sur votre traduction. Je pense que l’évêque de Rochester est une connaissance plus aimable et beaucoup moins dangereuse que le prêtre dont vous me parlez ; mais j’imagine que vous êtes actuellement en Normandie fortifiant votre santé, passant le temps avec Mme de Bernières et causant médecine avec des Alleurs. Il faut que vous sachiez, mon cher, qu’on a en Angleterre une machine pour prendre un lavement, qui est un chef-d’œuvre de l’art, car vous pouvez la mettre dans votre gousset et en faire usage quand et partout où il vous plaît. Si jamais j’ai le plaisir de vous revoir, soyez sûr que vous aurez une demi-douzaine de ces instruments délicieux.

    Adieu, ne parlez point de l’écrivain anonyme, ne dites pas que ce n’est point du milord Bolingbroke, ne dites pas que c’est un méchant ouvrage ; vous ne pouvez juger ni de l’homme ni de cet écrit. Je viens d’écrire un thème anglais au chevalier des Alleurs. J’ai adressé la lettre quai des Théatins. S’il ne l’a pas reçue, il faut l’en avertir, et qu’il ne la perde pas, car j’y ai mis toute ma médecine. Adieu, portez-vous bien.

    Non vivere, sed valere vita.

    Si vous avez besoin de vous mettre au régime de la diète, commencez vite et observez-le longtemps. Je vivrai demain, dit le fou, aujourd’hui c’est trop tard ; le sage vécut hier ; je suis le fou, soyez le sage, et adieu.

    *. Desfontaines.

  140. Pièces inédites, 1820.
  141. Voltaire obtint, le 29 juin 1727, une permission datée de Versailles et signée Phélypeaux, qui l’autorisait à venir à Paris, vaquer à ses affaires pendant trois mois à compter du jour qu’il y arriverait, mais contenant injonction, les trois mois écoulés, de retourner en exil sous peine de désobéissance.
  142. Traduction :
    Wandsworth, 14 juin (n. s.), l727.

    J’ai reçu d’un inconnu la traduction de mes Essais anglais ; je suppose qu’elle venait de vous, et je vous en remercie. C’est un ouvrage passable en anglais, mais tout à fait ridicule en français. Les articles concernant Milton, sir John Denham, Waller et Dryden, sont absolument hors de la portée d’un lecteur français. D’ailleurs l’abbé Desfontaines a été loin de me rendre avec exactitude dans plusieurs passages. Il a confondu les Indes occidentales avec les Indes orientales. Il a traduit les gâteaux que le jeune Ascanius dit avoir été mangés par ses compatriotes, par la faim dévorante de Cacus ; de sorte qu’il prend des assiettes et de la croûte de pâté pour un géant et un monstre. Je n’ai pas le livre près de moi maintenant, et ne puis me rappeler toutes ses bévues. Ce dont je suis certain, c’est que ce petit écrit ne méritait pas du tout la peine qu’il a prise de le mettre en français. Je vous ai déjà dit, et je vous prie d’en instruire vos amis, que l’Essai anglais n’était que l’ébauche d’un ouvrage très-sérieux que j’ai presque achevé en français avec tout le soin, toute la liberté et toute l’impartialité que je possède. J’ai fait de même de la Henriade, et puisque vous avez refusé de faire imprimer la copie que vous avez de cet ouvrage, et que vous me conseillez de mettre sous presse une édition revue et corrigée, je compte suivre votre avis, et donner au public, le plus tôt possible, la meilleure édition que je pourrai de la Henriade, ainsi que mon véritable Essai sur la Poésie.

    L’impression de ces deux livres est un devoir que je dois remplir avant de penser à d’autres devoirs moins convenables à la vie d’un homme de lettres, mais indispensables pour un homme d’honneur, et dont vous pouvez être sûr que je ne m’écarterai jamais tant que je vivrai.

    J’ai à présent besoin de savoir quand et où je pourrai faire imprimer secrètement la Henriade ; il faut que ce soit en France, dans quelque ville de province. Je doute si Rouen serait un endroit convenable, car il me semble que l’inquisition de la presse y est si rigoureuse qu’elle a épouvanté tous les libraires de cette ville. Si vous connaissiez quelque endroit où je pusse publier mon livre en sûreté, je vous conjure de me le faire savoir. Ne dévoilez à personne le secret de mon séjour en France. Je serais ravi de vous revoir, mon cher Thieriot, mais vous seulement : il ne faut pas qu’on me soupçonne d’avoir mis le pied dans votre pays, ou même d’y avoir pensé. Mon frère, surtout, est le dernier homme à qui on pourrait confier un tel secret, autant à cause de son caractère indiscret que pour la vilaine manière dont il a agi avec moi depuis que je suis en Angleterre. J’ai essayé par toutes sortes de moyens d’adoucir la grossièreté pédantesque et l’insolent égoïsme dont

    il m’a accablé ces deux dernières années. Je vous avoue dans l’amertume de mon cœur que son insupportable conduite envers moi a été une de mes plus vives afflictions. Votre tendre amitié est une douce consolation au milieu de tant de chagrins. J’espère que la perversité du monde n’endurcira jamais votre bon cœur, et que par conséquent vous ferez tous vos efforts pour assurer la réussite de l’entreprise à laquelle vous m’avez engagé. Si vous pouviez proposer la chose à un libraire, j’aimerais mieux faire un marché argent comptant et livrer le manuscrit, que d’avoir la peine de le faire moi-même imprimer. Mais je crains qu’aucun libraire ne veuille imprimer un livre sans permission ; ou s’il le fait, il ne donnera que peu d’argent pour un essai si périlleux. Donc, plus j’y pense et plus je vois la nécessité de l’imprimer moi-même. J’attendrai votre réponse sur ce sujet. Je ne manquerai point en même temps d’envoyer à votre frère autant d’Anglais que je le pourrai ; je suis fâché de ne pouvoir lui être fort utile de ce côté-là, étant toujours à la campagne et ne voyant en Angleterre qu’un petit nombre d’amis.

    Apprenez-moi, je vous prie, quel est le sentiment du public sur la Henriade et sur l’Essai ; mais donnez-moi surtout votre propre opinion. Je crois qu’il ne vous serait point désagréable, et certainement ce serait un bien grand plaisir pour moi, de pouvoir jaser ensemble secrètement et amicalement de cela, et de beaucoup d’autres choses dont je ne vous ai jamais parlé par écrit, mais qui me pèseront sur le cœur jusqu’au moment où je pourrai goûter la satisfaction de les épancher dans le vôtre et de venir secrètement vous embrasser.

  143. Voyez ce que Voltaire a dit de Swift dans ses Lettres philosophiques, tome XXII, page 175 ; et dans la cinquième de ses Lettres à S. A. le prince de ***, tome XXVI, page 489.
  144. Ce fut en mai 1719 que la petite-fille du grand Condé, Anne-Louise-Bénédicte de Bourbon, fut transférée du château de Dijon à Châlons. Voltaire était en correspondance avec cette princesse, à qui il dédia Oreste.
  145. Nicolas de Malezieu, après avoir survécu près de sept ans à Chaulieu, mourut le 4 mars 1727.
  146. Surnom poétique de la duchesse.
  147. Pièces inédites de Voltaire, 1820.
  148. Voyez La note 2 de la page 181.
  149. Traduction :
    Londres, 21 avril (vieux style) 1728.

    Mon cher Thieriot je vous écris en anglais pour la même raison que l’abbé Boileau écrivait en latin, c’est-à-dire afin de n’être point compris par les gens trop curieux.

    Il est très-certain que je vous aime, et il est également vrai que depuis dix mois je n’ai pas reçu une seule de vos lettres, et que si vous en eussiez écrit, elles me fussent parvenues. Je puis pardonner votre négligence, paresseux ; mais je ne vous pardonne pas de m’assurer que vous m’avez adressé dix lettres quand vous n’en avez pas écrit une seule.

    Je vous remercie infiniment de toutes les peines que vous avez prises pour moi auprès de Bologni, et des courses inutiles que vous avez faites à la trésorerie. Je ne m’étonne point de votre bonté ni du mauvais succès qu’elle a eu, puisque le malheur me suit partout.

    Quant à la Henriade, je suppose que vous pourrez aisément obtenir une licence particulière pour la faire imprimer ; je compte dans une quinzaine de jours demander moi-même cette permission. Il faut aussi que vous alliez chez M. Hérault lieutenant de police ; je lui ai déjà envoyé un exemplaire de la Henriade en le priant de faire saisir tous ceux qui pourraient se glisser en France avant que j’aie eu du gouvernement la permission de publier ce livre. Je l’ai assuré que je n’enverrais jamais rien en France sans le consentement du ministère ; il serait donc à propos que vous lui parlassiez dans le même sens, et que vous l’instruisissiez du dessein qu’a certaine personne de faire paraître une édition de la Henriade sans mon consentement, ce qui serait également contraire à mon honneur à mon intérêt et aux lois. M. Hérault l’enverra sûrement chercher et lui défendra de se mêler d’une telle entreprise. Le lieutenant de police le fera d’autant plus promptement si vous l’instruisez de la conduite de cet homme et de ce qu’il s’est déjà rendu coupable de la même chose. Comptez que l’homme aura peur, et laissera tout là : nous en profiterons pour demander notre licence particulière, et en cas qu’on nous l’accorde, je vous conseille de faire prix avec un libraire en réputation : je vous enverrais alors mes gravures et quelques feuilles d’une édition in-4o, sur grand papier, commencée à Londres ; j’y joindrais un Essai sur la Poésie épique, en français, et calculé pour le méridien français. Il faut que le libraire fasse deux éditions, l’une in-4o pour mon propre compte et une autre in-8o à votre profit. Mais rien ne peut réussir à notre avantage et à mon honneur, à moins que vous n’alliez chez M. Hérault implorer son assistance contre l’usurpateur de mes droits.

    Quoi qu’il en soit, je crois que vous feriez bien de voir ce dernier, et de lui dire seulement que vous m’avez appris son intention, afin qu’il n’entreprît point d’imprimer ce poëme sans me consulter sur plusieurs changements que j’y ai faits depuis sa publication. Dites-lui de plus que je désapprouve tout à fait son dessein de traduire mon Essai anglais, puisque je l’ai traduit moi-même. Cet opuscule ne pouvait réussir en France sans être rédigé d’une tout autre manière. Ce que je dis de Milton ne peut être compris par des Français, à moins que

    je ne donne une plus ample notion de cet auteur. Le style est d’ailleurs d’après le genre anglais ; tant de comparaisons, tant de choses, qui paraissent ici simples et familières, sembleraient trop vulgaires à vos beaux esprits de Paris. En un mot, je ne connais rien d’aussi impertinent que de vouloir me traduire en dépit de mes dents. Votre affaire à vous doit être d’essayer de gagner du temps, d’effrayer ce traducteur par le moyen de M. Hérault, et d’obtenir de celui-ci que non-seulement il empêche cet homme, mais aussi toute autre personne, de publier mon livre.

    Je vous conseille d’aller chez M. de Maisons et de lui exposer le cas. Il est très-bien avec le garde des sceaux, et peut aisément, en peu de jours, nous procurer une licence particulière.

    Adressez à l’avenir toutes vos lettres chez MM. Simon et Benezet, négociants, près la Bourse, rue Nicolas, à Londres.

    Soignez votre santé, prenez beaucoup d’exercice, tenez-vous le ventre libre et l’esprit tranquille, mangez peu, méprisez le monde, aimez-moi, et soyez heureux. Adieu.

    Mes compliments à tous ceux qui se rappellent de moi. Comment se porte Mme de Bernières ? Je lui adresserai une grande édition par la prochaine occasion.

    La sotte critique qui sert de préface à une des éditions que je vous ai envoyées est écrite par un nommé Faget ; c’est un réfugié enthousiaste, qui ne sait ni anglais ni français. J’ai ouï dire que quelques-uns de vos impertinents beaux esprits de Paris me l’avaient attribuée.

  150. Peut-être à milord Hervey. — Éditeurs, de Cayrol et François.
  151. Caroline, femme de George IV, à qui la Henriade est dédiée.
  152. Germain-Louis Chauvelin, né en 1685 ; garde des sceaux le 17 août 1727, mort en 1762.
  153. Des Pensées sur la Henriade, en vingt-trois pages, se trouvent à la suite de l’édition de ce poëme, Londres, chez Woodman et Lyon, 1728, in-8o. Dans une édition in-12 de la Haye, chez P. Gosse et J. Néaulme, on les imprima aussi ; mais on les intitula Critique. C’est sur un exemplaire de l’édition hollandaise que Voltaire écrivit des réponses à la critique. Ces réponses ont été imprimées, en 1826, dans une réimpression faite à Paris dans le format in-8o de l’édition de Gosse et Néaulme. (B.)
  154. Faget. Voltaire l’a déjà nommé, à la fin de la lettre 178.
  155. Voyez cet Essai sur la Poésie épique, dans le tome VIII.
  156. Luchet, dans son Histoire littéraire de Voltaire, tome VI, page 34, date cette lettre de 1729. Le rédacteur de l’Année littéraire, en la publiant en 1769, tome VII, page 141, dit qu’il la croit de 1728. (B.)
  157. Horace, livre Ier, ode ire, vers dernier.
  158. Cette lettre, comprise jusqu’à ce jour dans les Mélanges littéraires, ne portait pas de date, et était intitulée Lettre de consolation. Elle doit avoir été écrite après la treizième des Lettres philosophiques (voyez tome XXII, page 121) ; j’ai donc cru pouvoir la placer en 1728. (B.)
  159. Dans quelques éditions on trouve ici une lettre à M.*, qui est placée dans les Mélanges (1727), tome XXII, page 25.
  160. Éditeurs, Bavoux et François.
  161. Voltaire, rentré en France, vivait caché à Saint-Germain, et venait de temps à autre passer quelques jours à Paris.
  162. Auteur de la Bibliothèque historique de France.
  163. Pièces inédites. 1820.
  164. Voyez la note de la page 173.
  165. Traduction : Mon très-cher ami, votre lettre m’a été fort agréable ; mais, encore une fois, n’allez point jaser sur la correspondance que vous avez avec moi. Plus notre commerce sera secret, plus il sera intime. Je n’écris à personne au monde. Le duc de Richelieu est fâché contre moi de ce que j’ai cessé de lui écrire. S’il savait que je vous écris, il ne me pardonnerait pas, et il aurait raison de se plaindre ; mais je dois plus à un ami qu’à un duc. Vous êtes le seul homme sur la terre avec lequel je m’entretiens par lettre, et quand je serai à Paris, vous serez le seul que je verrai. Puisque vous aimez les confidences, je vous dirai que j’espère y être le 15 mars. Il y a environ deux ans que j’arrachai de votre cour une permission de venir à Paris pour trois mois. Si je n’en ai pas profité jusqu’à présent, je m’en servirai comme d’une excuse, ce qui peut-être ne sera bon à rien. Quand vous me verrez, je vous montrerai et vous entendrez des choses qui vous plairont, et qui auront les grâces de la nouveauté et quelque prix par votre amitié pour moi. Mais, mon cher Thieriot, l’extrême plaisir que j’attends de notre prochaine entrevue est trop corrompu par ce que vous me mandez de votre mauvaise santé.
  166. L’abbé d’Olivet. Son Histoire de l’Académie paru en 1729.
  167. Traduction : Que savez-vous du menteur d’abbé ?

    Prière de dire en quoi cette vraie femme vous a traité comme la Rabodanges.

    Quelles nouvelles avez-vous à me donner qui vous intéressent ? Écrivez-moi tout, et souvent. Je n’ai rien à vous mander du lieu où je suis actuellement.

    Malaffaire ne me connaît point. Je suis ici comme voyageur anglais.

  168. Pièces inédites, 1820.
  169. Bertrand-René Pallu, nommé maître des requêtes en 1720, passa à l’intendance de Moulins en 1734, et de là à celle de Lyon en 1738.
  170. Traduction : Nous rompons pour toujours si vous ne prenez pas cinq cents livres de France sur l’arriéré que la reine me doit, et dont Pallu me promet le payement.

    En outre, vous devez recevoir cent écus de Bernard, et autant du libraire qui sollicitera le privilège de la Vie du roi de Suède. Il faut que cela soit ainsi, ou nous ne sommes plus amis.

    J’écrirai à Pallu sous peu de jours pour le remercier, mais je voudrais savoir avant s’il est instruit de ma retraite ici, et ce qu’il en pense ; ne lui découvrez rien, et tâchez seulement de lui faire dire ce qu’il sait.

    Avant de quitter Paris je reçus, chez M. Cavalier, une lettre du cardinal de Fleury, elle avait été envoyée à Londres, et de Londres à Paris. Ce prêtre est très-poli ; il daigne m’écrire fort obligeamment qu’il m’a enlevé mes rentes sans miséricorde.

    J’espère que M. de Brancas voudra bien m’instruire des particularités qu’il sait touchant le dernier roi de Suède ; mais il y a beaucoup d’autres choses curieuses, relatives à cette histoire, dont je vous conjure vivement de vous informer.

    Vous n’avez qu’à aller trouver l’ambassadeur suédois, ou bien son secrétaire, son chapelain, ou sa maîtresse, et leur demander :

    1o S’il est vrai que le comte Piper ait autant contribué qu’on le dit à engager les états à déclarer le roi majeur à seize ans ;

    Quelle part la reine mère eut dans les affaires depuis la majorité de son petit-fils ;

    Quelle espèce de gouvernement fut établie en Suède après l’arrivée du roi dans les États de Turquie.

    Je vous prie aussi de voir M. de Croissy, dont j’ai fait une mention très-honorable dans mon histoire, et dont j’ai beaucoup loué la famille, comme je pense qu’elle le mérite. Demandez-lui dans quelle langue le roi lui parla à Stralsund.

    Mais surtout sondez-le sur le crédit du Prétendant près de ce monarque à cette époque. Tâchez de savoir si la France avait le dessein de se joindre au roi de Suède pour aider le Prétendant.

    Demandez-lui s’il connaissait le fameux baron Gortz, et jusqu’où il pense

    que Görtz eût poussé ses vastes desseins sur le Prétendant et sur l’Empire.

    N’oubliez pas de me mettre en faveur auprès de M. de Croissy, que j’estime beaucoup.

    Lorsque vous verrez M. de Maisons, dites-lui que vous ne savez pas où je suis à présent ; mais priez-le de s’occuper à finir ses remarques, et de rendre le manuscrit aussitôt qu’il pourra.

    Voici une autre question plus importante que tout le reste :

    Deux ou trois historiens, ou plutôt des compilateurs de gazettes, ont rapporté confidentiellement que le roi Auguste de Pologne, lors de son rétablissement sur le trône, fit décapiter un nommé Fengsten son conseiller particulier, pour avoir signé la paix honteuse d’Altranstadt, afin de faire croire au monde que Fengsten lui en avait imposé, et pour charger un sujet innocent de tout l’odieux et de toute la honte de ce traité. J’ai plusieurs raisons de douter de la véracité de ce fait. Parlez-en, je vous prie, à M. de Brancas, et informez-vous à lui s’il ne connaîtrait pas une personne qui pût donner des renseignements positifs sur cette affaire, vous obligerez beaucoup votre ami. Adieu.

    N’oubliez pas l’abbé Dubos. Je t’aime, de par Dieu !

  171. Pièces inédites, 1820.
  172. Traduction. N’écrivez plus à votre ami errant, parce qu’au premier moment vous le verrez paraitre. Avant que je puisse me cacher à Paris, je m’arrêterai quelques jours dans un des villages voisins de la capitale : il est vraisemblable que je m’arrêterai à Saint-Germain, et je compte y arriver avant le 15. C’est pourquoi, si vous m’aimez, préparez-vous à venir m’y trouver au premier appel. Vous pouvez emprunter une voiture de Nocé ex Timonis familia oriundo, et vous pourrez demeurer avec votre ancien ami trois ou quatre jours. Nous jouirons des premiers jours du printemps, et nous resserrerons les liens sacrés de l’amitié. Adieu, portez-vous bien, Attendez-moi et aimez-moi.
  173. Pièces inédites, 1820.
  174. Traduction : Si vous pouvez oublier quelque jour votre palais doré, vos fêtes et fumum et opes, strepitumque Romæ, venez ici, vous trouverez une chère simple et frugale, un mauvais lit, une pauvre chambre, mais il y a un ami qui vous attend.

    Vous devriez venir à cheval, si votre M. Nocé en a un à vous prêter ; j’en ferai prendre soin.

  175. Pièces inédites, 1820.
  176. Ibid.
  177. Ibid.
  178. Traduction : J’ai vu hier au soir le duc de Richelieu et il m’a prié en grâce de lui permettre de dire à M. Pallu que je lui avais apparu comme un fantôme, ce que je n’ai pu lui refuser.

    C’est pourquoi je ne crois pas convenable de montrer ma lettre d’hier à Pallu. Parlez-lui seulement comme de vous-même, et la chose réussira bien, et même mieux.

    Je vous prie d’engager M. de Maisons à rendre le plus tôt possible le manuscrit suédois.

    N’oubliez pas d’écrire à Bernard. Je vais retourner à Saint-Germain.

    Écrivez-moi souvent, aimez-moi. Souvenez-vous de parler à M. de Guebriant, quand vous le verrez.

  179. Editeurs, Bavoux et François.
  180. Quanquam ô ! exclamation de regret d’un lutteur dans Virgile, Énéide, V, 105.
  181. « Allez à Saint-Germain : j’écris au vizir Maurepas pour qu’il me laisse traîner ma chaîne à Paris. »
  182. Ceci forme, dans Bavoux et François, un nouveau billet daté du 8 mai, sans les lignes en anglais et avec ceci en plus : « Je suis obligé d’aller ce soir, à cinq heures, chez Mme la duchesse du Maine. Voyez si vous pouvez me donner un rendez-vous au sortir de chez elle. »
  183. Traduction : Adieu, dites à M. Nocei que je lui fais beaucoup de remerciements de son opéra, et fouettez Mlle Lisette pour sa petite impertinence ; mais si le c.l est joli, pardonnez-lui.
  184. Avec le chevalier de Rohan-Chabot.
  185. Le Bertier cité ici est probablement Berthier de Sauvigny, président en la cinquième chambre des enquêtes, mort en 1745.
  186. La première édition des Mémoires de mademoiselle de Montpensier, dont Voltaire parle, tome XIV, page 108, est de 1728. L’expression de Voltaire donne à penser que Thieriot devait coopérer à cette édition.
  187. Éditeurs, de Cayrol et François.
  188. Mlle Sallé.
  189. Pièces inédites, 1820.
  190. M. de Nocé.
  191. Éditeurs, de Cayrol et François.
  192. Rue Traversière-Saint-Honoré, dans une maison appartenant au conseiller M. de Mayenville.
  193. « Avec ceux qui vous donnent votre entrée libre. »
  194. Cette lettre est de 1729, mais nous ne savons de quel mois.
  195. La Lorraine n’était pas encore française.
  196. Cette lettre a été imprimée, pour la première fois, en 1748, dans le tome IV de l’édition faite à Dresde des Œuvres de Voltaire. Une note ajoutée en 1752 était ainsi conçue : « Cette lettre a été trouvée dans les papiers du P. Porée après sa mort. » Charles Porée était mort en 1741 (voyez tome XIV, page 116). Jusqu’à présent cette lettre a été imprimée en tête d’Œdipe, et sous la date du 7 janvier 1729. D’après son contenu, il me semble qu’elle doit être non de cette année, mais de 1730. (B.)
  197. Pièces inédites, 1820.
  198. Traduction : Monsieur, j’ai pris dernièrement la liberté de vous envoyer l’histoire, ou plutôt un essai sur l’histoire de Charles XII. Je demande maintenant la permission de vous faire un meilleur présent. M. Thieriot, qui vous remettra celle-ci, est un de mes amis qui voyage pour son plaisir, et apprend l’anglais pour son instruction. Je lui ai si souvent parlé de toutes les faveurs dont vous m’avez honoré que je n’ai pu résister à l’envie de le charger des remerciements que je vous dois pour toutes vos bontés. Je ne laisserai jamais échapper l’occasion de vous témoigner ma reconnaissance, ainsi qu’à toute l’Angleterre, et je ne puis mieux prouver mon affection pour votre pays qu’en procurant à mon ami l’honneur de faire votre connaissance : car les voyageurs jugent d’un pays par les hommes qu’ils y ont vus ; et d’après la haute estime que je professe pour la nation anglaise, il est facile de s’apercevoir que j’ai eu l’honneur de jouir de la conversation de M. Dodington.

    Je suis avec respect et reconnaissance, monsieur, votre très-humble, obéissant et fidèle serviteur,

    Voltaire.
  199. Voyez tome II, page 299.
  200. Danseuse de l’Opéra, dont Thieriot était amoureux, et contre laquelle il finit par colporter des vers satiriques. (Cl.)
  201. Fabuliste anglais. Il allait tous les soirs, avec Pope et Swift, chez la duchesse de Queensbury, femme d’une beauté remarquable, dont l’hôtel était à Londres le centre des whigs courtisans, du monde élégant et des beaux esprits.