Utilisateur:Andre315/Dum1

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Andre315
Revue des Deux Mondes, période initialetome 32 (p. 677-682).



APRÈS UNE LECTURE.

I.

Ton livre est ferme et franc, brave homme, il fait aimer.
Au milieu des bavards qui se font imprimer,
Des grands noms inconnus dont la France est lassée,
Et de ce bruit honteux qui salit la pensée,
Il est doux de rêver avant de le fermer,
Ton livre, et de sentir tout son cœur s’animer.

II.

L’avez-vous jamais lu, marquise ? et toi, Lisette ?
Car ce n’est que pour vous, grande dame ou grisette,
Sexe adorable, absurde, exécrable et charmant,
Que ce pauvre badaud qu’on appelle un poète,
Par tous les temps qu’il fait s’en va le nez au vent,
Toujours fier et trompé, toujours humble et rêvant.

III.

Que nous font, je vous prie, et que pourraient nous faire
À nous autres rimeurs de qui la grande affaire

Est de nous consoler en arrangeant des mots,
Que nous font les sifflets, les cris ou les bravos ?
Nous chantons à tue-tête ; il faut bien que la terre
Nous réponde, après tout, par quelques vains échos.

IV.

Mais quel bien fait le bruit, et qu’importe la gloire ?
Est-on plus ou moins mort quand on est embaumé ?
Qu’importe un écolier, sachant trois mots d’histoire,
Qui gratte son bonnet devant une écritoire
Et salue en passant un marbre inanimé ?
Être admiré n’est rien ; l’affaire est d’être aimé.

V.

Vive le vieux roman, vive la page heureuse
Que tourne sur la mousse une belle amoureuse !
Vive d’un doigt coquet le livre déchiré
Qu’arrose dans le bain le robinet doré !
Et, que tous les pédans frappent leur tête creuse,
Le mélodrame est bon, où Margot a pleuré.

VI.

Oh ! oh ! dira quelqu’un, la chose est un peu rude.
N’est-ce rien de rimer avec exactitude ?
Et pourquoi mettrait-on son fils en pension,
Si, pour unique juge, après quinze ans d’étude,
On n’a qu’une cornette au bout d’un cotillon ?
J’en suis bien désolé, c’est mon opinion.

VII.

Les femmes, j’en conviens, sont assez ignorantes.
On ne dit pas tout haut ce qui les rend contentes ;
Et comme, en général, un peu de fausseté
Est leur plus grand plaisir, après la vanité,

On en peut, par hasard, trouver qui sont méchantes.
Mais qu’y voulez-vous faire ? Elles ont la beauté.

VIII.

Or, la beauté, c’est tout. Platon l’a dit lui-même,
La beauté, sur la terre, est la chose suprême.
C’est pour nous la montrer qu’est faite la clarté.
Rien n’est beau que le vrai, dit un vers respecté ;
Et moi je lui réponds, sans crainte d’un blasphème :
Rien n’est vrai que le beau, rien n’est vrai sans beauté.

IX.

Quand le soleil entra dans sa route infinie,
À son premier regard, de ce monde imparfait
Sortit le peu de bien que le ciel avait fait ;
De la beauté l’amour, de l’amour l’harmonie ;
Dans ce rayon divin s’élança le génie ;
Voilà pourquoi je dis que Margot s’y connaît.

X.

Et j’en dirais bien plus si je me laissais faire.
Ma poétique, un jour, si je puis la donner,
Sera bien autrement savante et salutaire.
C’est trop peu que d’aimer, c’est trop peu que de plaire.
Le jour où l’Hélicon m’entendra sermonner,
Mon premier point sera qu’il faut déraisonner.

XI.

Celui qui ne sait pas, quand la brise étouffée
Soupire au fond des bois son tendre et long chagrin,
Sortir seul, au hasard, chantant quelque refrain,
Plus fou qu’Ophélia de romarin coiffée,
Plus étourdi qu’un page amoureux d’une fée,
Sur son chapeau cassé jouant du tambourin :

XII.

Celui qui ne voit pas, dans l’aurore empourprée,
Flotter, les bras ouverts, une ombre idolâtrée ;
Celui qui ne sent pas, quand tout est endormi,
Quelque chose qui l’aime errer autour de lui ;
Celui qui n’entend pas une voix éplorée
Murmurer dans la source, et l’appeler ami ;

XIII.

Celui qui n’a pas l’ame à tout jamais aimante,
Qui n’a pas pour tout bien, pour unique bonheur,
De venir lentement poser son front rêveur
Sur un front jeune et frais, à la tresse odorante,
Et de sentir ainsi d’une tête charmante
La vie et la beauté descendre dans son cœur ;

XIV.

Celui qui ne sait pas, durant les nuits brûlantes
Qui font pâlir d’amour l’étoile de Vénus,
Se lever en sursaut, sans raison, les pieds nus,
Marcher, prier, pleurer des larmes ruisselantes,
Et devant l’infini joindre des mains tremblantes,
Le cœur plein de pitié pour des maux inconnus ;

XV.

Que celui-là rature et barbouille à son aise.
Il peut, tant qu’il voudra, rimer à tour de bras,
Ravauder l’oripeau qu’on appelle antithèse,
Et s’en aller ainsi jusqu’au Père-Lachaise,
Traînant à ses talons tous les sots d’ici-bas ;
Grand homme, si l’on veut, mais poète, non pas.

XVI.

Certes, c’est une vieille et vilaine famille
Que celle des frelons et des imitateurs ;
Allumeurs de quinquets, qui voudraient être acteurs.
Aristophane en rit, Horace les étrille ;
Mais ce n’est rien auprès des versificateurs.
Le dernier des humains est celui qui cheville.

XVII.

Est-il, je le demande, un plus triste souci
Que celui d’un niais qui veut dire une chose
Et qui ne la dit pas, faute d’écrire en prose ?
J’ai fait de mauvais vers, c’est vrai, mais, Dieu merci,
Lorsque je les ai faits, je les voulais ainsi,
Et de Wailly ni Boiste, au moins, n’en sont la cause.

XVIII.

Non, je ne connais pas de métier plus honteux,
Plus sot, plus dégradant pour la pensée humaine
Que de se mettre ainsi la cervelle à la gêne,
Pour écrire trois mots quand il n’en faut que deux,
Traiter son propre cœur comme un chien qu’on enchaîne,
Et fausser jusqu’aux pleurs que l’on a dans les yeux.

XIX.

Ô toi qu’appelle encor ta patrie abaissée,
Dans ta tombe précoce à peine refroidi,
Sombre amant de la Mort, pauvre Léopardi[1],
Si, pour faire une phrase un peu mieux cadencée,
Il t’eût jamais fallu toucher à ta pensée,
Qu’aurait-il répondu, ton cœur simple et hardi ?

XX.

Telle fut la vigueur de ton sobre génie,
Tel fut ton chaste amour pour l’âpre vérité,
Qu’au milieu des langueurs du parler d’Ausonie,
Tu dédaignas la rime et sa molle harmonie,
Pour ne laisser vibrer sur ton luth irrité
Que l’accent du malheur et de la liberté.

XXI.

Et pourtant il s’y mêle une douceur divine.
Hélas ! c’est ton amour, c’est la voix de Nérine,
Nérine aux yeux brillans qui te faisaient pâlir,
Celle que tu nommais ton éternel soupir.
Hélas ! sa maison peinte, au pied de la colline,
Resta déserte un jour, et tu la vis mourir ;

XXII.

Et tu mourus aussi. Seul, l’ame désolée,
Mais toujours calme et bon, sans te plaindre du sort,
Tu marchas quelque temps dans ta route isolée.
L’heure dernière vint, tant de fois appelée.
Tu la vis arriver sans crainte et sans remord,
Et tu goûtas enfin le charme de la mort.


Alfred de Musset.

  1. L’un des poètes les plus remarquables de l’Italie moderne, mort en 1837.