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Collectif
Société de Saint-Augustin (p. 5-32).

ILES SANDWICH

Aspect physique de l'archipel. Volcans. Précipices. Mythologie hawaïenne. Cook. Le P. Martial. L'immigration. Les lépreux de Molokai. Le P. Damien. Une sérénade


MBARQUONS-NOUS dans l’un de ces immenses palais flottants qui sillonnent incessamment les grandes eaux du Pacifique et mettent la côte californienne à vingt jours de distance seulement de l’empire japonais.

Sur notre route nous rencontrerons les iles Sandwich ou Hawaii et nous y y ferons relâche. L’archipel hawaien est une terre de volcans. Dans l’île principale, il n’y a guère d’endroits où l’on ne rencontre soit des cratères recouverts, soit des plaines immenses de laves, soit des monticules de formation volcanique. Tout annonce que, dans le passé, cette terre n’a été qu’un vaste embrasement, et que le sol recèle encore des abîmes de feu.

Néanmoins l’île est fertile, elle a de bons pâturages et nourrit sur les flancs du Maunaloa plus de vingt mille bœufs sauvages.

Les Pères des Sacrés-Cœurs, qui évangélisent ce petit royaume, ont souvent déploré les mœurs licencieuses de la population des îles Sandwich et les ravages exercés dans son sein par l’excès du vice. « Nous autres missionnaires, écrit le P. Martial, nous sommes ici comme des gens conviés pour assister aux funérailles d’une nation. La disparition prochaine du peuple hawaïen est probable. Il y avait 300,000 indigènes dans ces îles au temps de Cook (1779), 150,000 du temps de la régente Kahumanu, 108,000


ILES SANDWICH. — PORT D'HILO OU DÉBARQUENT LES VOYAGEURS QUI VEULENT VISITER LE GRAND VOLCAN KILAUEA


en 1836, 78,000 en 1850, 71,000 en 1850, 50,000 en 1872, 40,014 en 1884. »

Voilà des documents officiels. Il n'y a pas d'exemple dans les annales du monde, d'une destruction pareille à celle qui s'opère dans cet archipel.

Le royaume hawaïen se compose d'un petit nombre d’îles dont la superficie réunie atteint à peine 20,000 kilomètres, soit trois ou quatre de nos départements. Les principales sont à Hawaii, où se trouve le plus grand volcan Kilauea, Maui, Molokai, Oahu.

Cette dernière ile possède la capitale. Elle est coupée dans le sens de la longueur par une chaîne de montagnes qui la divise en deux parties à peu égales. Honolulu est située dans la partie sud, la plus aride et la plus battue par les vents alizés : l’autre versant, plus favorisé sous le rapport des pluies, est aussi plus riche et plus fertile. Cette chaîne de montagnes n’offre qu’une ouverture, « le palé » ou le précipice de Nuuanu, qui met seul en communication les deux districts de Koolau et de Kona.

Visitons ce site remarquable. Après avoir cheminé quelques heures le long de crêtes arides, le voyageur étonné et saisi d’admiration voit le palé entr’ouvrir brusquement sous ses pas.


ILES SANDWICH.— GROUPE D'HAWAÏENS PRENANT LEUR REPAS.


Au-dessus de lui et des deux côtés, s’élèvent les pics sourcilleux et dénudés de la montagne. On dirait que l’épée de Roland a fendu la chaîne en deux et créé cet étroit passage. (Voir la gravure, p. 5. )

Si le palé de Nuuanu est célèbre à Honolulu et dans toutes les îles comme un point de vue merveilleux, il ne l’est pas moins dans les traditions indigènes comme localité historique. En 1794, le chef de l’île d’Oahu entreprit de repousser l’invasion de Kaméhaméha Ier, déjà maître et conquérant de toute l’île de Hawaï et de celle de Mauï, et qui affichait hautement l’intention de réunir tout l’archipel sous sa loi. La bataille décisive se livra dans la vallée. Le chef d’Oahu, résolu à vaincre ou à périr, avait adossé son armée au palé, en coupant ainsi volontairement toute retraite en cas de défaite. Ses soldats n’avaient d’autre alternative que de rejeter Kaméhaméha et son armée dans la mer, ou de périr tous jusqu’au dernier. C’est ce qu’ils firent. Après une lutte acharnée qui dura tout le jour, les derniers guerriers d’Oahu, au nombre de trois mille, refoulés jusqu’au palé et sommés de mettre bas les armes et de se rendre à la discrétion du vainqueur, préférèrent la mort et se précipitèrent dans le gouffre. On voit encore au pied même du palé et dans les anfractuosités des rochers les nombreux ossements de ces héros, derniers défenseurs d’une cause perdue.

Mythologie. — Quelques-unes des divinités hawaïennes comme Kame, Ku, Hina, sont communes à plusieurs autres archipels de l’Océanie. Lono était la plus populaire aux Sandwich. Ce Dieu, afin d’oublier d’amers chagrins domestiques, s’était embarqué pour des pays étrangers sur une pirogue triangulaire, en annonçant que plus tard il reviendrait puissant et glorieux à Hawaï. Après avoir longtemps et impatiemment attendu son retour, les indigènes crurent le reconnaître dans la personne du capitaine Cook, lors de son arrivée à Hawaï en 1779.

Pénétrée d’un profond sentiment religieux à l’égard du célèbre voyageur, toute la population le reçut avec le plus grand enthousiasme et le combla, lui et son équipage, de présents pendant plusieurs mois.

Au lieu de profiter de leur grossière erreur à son sujet pour essayer de leur faire connaître le vrai Dieu, le capitaine, par politique, cupidité et vanité


ILES SANDWICH.— PRÉCIPICE PRÈS D'HONOLULU ; d'après une photographie (V. p. 4)


peut-être, se prêta sacrilègement à ces différentes apothéoses idolâtriques et ne craignit pas de siéger dans les temples, au milieu des idoles les plus vénérées et de recevoir les sacrifices. Mais la main du Dieu jaloux qui, dans une circonstance analogue, frappa l’impie Antiochus, ne tarda pas à s’appesantir sur le capitaine anglais. La population, appauvrie par ses dons volontaires et les exactions incessantes des équipages, craignant d’un autre côté les débordements des blancs, changea de disposition. Des démêlés et des luttes survinrent entre les indigènes et les étrangers. Bon nombre périrent victimes de leur audacieuse confiance. Le prétendu dieu Lono lui-même, ayant poussé quelques sourds gémissements arrachés par la douleur après une blessure reçue dans la mêlée, fut aussitôt assommé par un chef qui comprit que le nouveau venu n’était pas celui qu’ils attendaient, puisqu’il était blessé et se plaignait comme un simple mortel. Telle fut la fin malheureuse et tristement tragique de ce fameux voyageur que les indigènes continuent toujours à appeler Lono, et à qui quelques résidents de sa nation ont élevé une petite pyramide sur le lieu même du massacre, dans une vaste baie nommée Kalakekua, au sud de Hawaï.

Le P. Martial. — Dans l'île Maui, nous demandons l'hospitalité au P. Martial, missionnaire catholique. Il nous reçoit à bras ouverts et met à notre disposition les modestes ressources de sa cure ; de la poï, des bananes, des œufs et de la volaille.

Le P. Martial est un vrai type du missionnaire catholique aux îles Sandwich. Il n'y a pas moins de vingt ans qu'il réside dans l'archipel, et il s'est si bien identifié aux indigènes, qu'il a adopté leur manière de vivre. Il parle admirablement leur langue. Constamment mêlé à eux, il est devenu le guide et le conseiller des habitants de son village. C'est à lui qu'ils ont recours dans toutes leurs difficultés. Sa vie est une page détachée du livre de Télémaque. Sage et bon autant que simple dans ses goûts et modeste par nature, il a circonscrit son horizon au petit coin de terre qu'il habite. Un jardin entretenu avec peine lui fournit les légumes et les fruits nécessaires. Un peu de poisson, frais quelquefois, plus souvent séché au soleil à la mode canaque, et quelques voleilles, suffisent à ses besoins. Un Frère, âge et à peu près incapable de tout service actif, mais à qui il laisse


ILES SANDWICH. — BAIE DE KALAKEAKUA OU FUT MASSACRÉ LE CAPITAINE COOK AVEC SON ÉQUIPAGE EN 1779, d'après une photographie. (V. p. 5.)


croire qu’il lui est indispensable, est le seul compatriote avec lequel il puisse échanger quelques mots et parler de la France. Malgré cela il est heureux. Il aime ses ouailles, qui le lui rendent bien ; il aime aussi ce pays, dont il apprécie avec une poésie naïve le beau ciel, le climat admirable et les sites pittoresques. Il a vieilli ici, il y mourra, ayant fait du bien. Ses grandes joies sont l’entretien de sa chapelle, les petites bannières déployées les jours de fête, la pompe primitive de ses cérémonies, qui serait grotesque si elle n’était profondément touchante.

La musique aux îles Sandwich. — La musique est en grand honneur dans l’archipel hawaïen, grâce aux missionnaires catholiques.

Il y a soixante ans à peine, les indigènes menaient une vie des plus sauvages. Quant à leur chant, c’était une psalmodie monotone et lugubre dans laquelle leurs rhapsodes célébraient les exploits et les aventures des anciens chefs. Les premiers missionnaires, heureux de profiter des dispositions de ces insulaires pour la musique, leur apprirent à chanter des cantiques composés par eux-mêmes sur des airs connus. Mais c’est à Mgr Hermann Koëkemann, vicaire apostolique actuel de l’archipel, que revient le mérite de les avoir initiés à la connaissance théorique et pratique de la musique. Après avoir formé un chœur d’élite, le R. P. Hermann fit exécuter, dans la cathédrale de Honolulu, des messes en musique des plus grands maîtres. Par lui fut organisée la première fanfare digne de ce nom. Les musiciens du Père Hermann sont devenus depuis le noyau de la fanfare royale. Le goût pour le chant et la musique se répandit peu à peu et partout on organisa des Sociétés musicales. Ces exercices ont beaucoup contribué à faire abandonner aux Hawaïens leurs anciennes danses (hula) et chants (oli et mele) ou déclamations, qui, en général, sont tout à fait immorales.

L’immigration. — L’état social de ces îles est continuellement en voie de transformation. Dans ces dernières années surtout, les changements ont été plus sensibles que par le passé. Les baleiniers ayant cessé de venir, on a vigoureusement poussé les plantations de canne à sucre, ce qui a eu pour suite l’immigration rapide de toute espèce de monde. Les Chinois sont près de vingt mille, presque tous hommes ; il n’y a pas mille femmes parmi eux. Ils sont païens à l’exception de trois à quatre cents protestants et environ cinquante catholiques. Les Japonais sont environ au nombre de douze cents, dont trente à quarante catholiques et quatre cents protestants, les autres sont païens. Les Portugais (hommes femmes et enfants) sont au-delà de dix mille.

Les lépreux. — Tout un côté, hideux mais caractéristique, de la physionomie du royaume hawaïen nous échapperait, si nous le quittions sans faire une descente dans l’île de Molokai dont toute une vallée est transformée en lazaret. Depuis vingt-cinq ans, la lèpre s’est propagée dans l’archipel d’une manière si effrayante que le gouvernement s’est vu obligé d’exclure de la société des autres insulaires tous ceux qui en étaient infectés. Plusieurs milliers de malheureux ont été ainsi confinés à perpétuité sur une langue de terre de l’île Molokai où ils languissent emprisonnés entre des montagnes infranchissables et le rivage de la mer.

La lèpre, on le sait, est une maladie presque incurable. Elle s’engendre peu à peu par la corruption du sang. Les premiers symptômes sont des taches noirâtres qui apparaissent sur la peau, principalement sur les joues ; les parties qui en sont affectées restent privées de sensibilité. Au bout de quelque temps, ces taches couvrent tout le corps, et des plaies s’ouvrent aux pieds et aux mains ; les chairs se rongent en exhalant une odeur fétide, et l’haleine des lépreux devient tellement infecte que l’air en est empoisonné.

Écoutons le P. Damien Deveuster, qui partage depuis treize ans le triste exil de ces infortunés parias.

« J’ai eu beaucoup de peine à m’habituer à vivre dans cette atmosphère. Un jour, pendant la grand’messe, je me suis trouvé tellement suffoqué, que j’étais sur le point de quitter l’autel pour aller respirer l’air du dehors ; mais je fus retenu par la pensée de Notre-Seigneur faisant ouvrir devant lui le tombeau


R. P. Damien DEVEUSTER, des Sacrés-Cœurs, missionnaire de la léproserie de Molokai.


de Lazare. Maintenant la délicatesse de mon odorat ne m’occasionne plus cette souffrance, et j’entre sans difficulté dans les chambres des lépreux. Quelquefois cependant j’éprouve encore de la répugnance : c’est quand il s’agit de confesser des malades dont les plaies sont remplies de vers semblables à ceux qui dévorent les cadavres. Souvent aussi je me trouve bien embarrassé pour donner l’extrême-onction : car les pieds et les mains ne sont plus qu’une plaie. C’est le signe d’une mort prochaine. »

En dehors de certaines phases critiques de leur maladie, les lépreux n’ont pas de douleurs aiguës à endurer. Leurs membres affectés sont presque morts et privés de sensibilité. « J’en ai vu, raconte le P. Montiton, qui taillaient sans gêne au couteau leurs pied ou leurs mains absolument comme un morceau de bois. Par contre, ils se brûlent souvent assez grièvement à leur insu en s’approchant du feu sans en ressentir les premières atteintes. »

La lèpre ronge et dévore, avec une activité toujours croissante, les parties saillantes de la tête, ainsi que les autres extrémités du corps, mains, pieds, coudes, genoux.. Quelques-uns n'ont plus de nez ; d'autres, au contraire, en ont un excessivement développé. Beaucoup voient tomber, l'une après l'autre, les différentes phalanges de leurs doigts de mains et de pieds au milieu de cruelles souffrances. Pauvres malheureux, ils se font peur à eux-mêmes ; malgré cela, ils ont la manie incroyable, comme tous les autres, lépreux, du reste, d'avoir toujours sous la main une glace pour s'y contempler chaque instant.

De loin en loin l'évêque de la mission vient confirmer les néophytes que le zèle du P. Deveuster a conquis sur l'hérésie ou l'idolâtrie. C'est grande fête alors dans la triste colonie : tous les lépreux encore assez valides pour monter à cheval viennent en cavalcade à la rencontre du prélat ; des arcs de


ILES SANDWICH. — HOPITAL D'HONOLULU, desservi par des religieuses franciscaines.


triomphe sont dressés sur son passage. « Vous parlerais-je, écrivait en 1875, un témoin de ces tournées épiscopales, le P. Bouillon, vous perlerais-je d'une sérénade qui nous a été donnée le jeudi soir, au clair de la lune ? Après souper, nous sortons pour prendre le frais. Nous trouvons près de cent de nos lépreux, avec deux immenses drapeaux, quatre tambours et une douzaine d'instruments de musique. Les musiciens, dont les mains n'ont plus que deux ou trois doigts et dont les lèvres sont toutes gonflées par les excroissances de la lèpre, exécutent avec succès les morceaux les plus variés et nous intéressent pendant deux grandes heures... Le vendredi matin, 11 juin, nous quittons Kalawao. Je n'oublierai jamais cette procession de deux cents lépreux nous accompagnant, pendant plus d'un mille, au son des tambours et des instruments, deux bannières en tête. Je n'oublierai jamais les paroles d'adieu de notre vénérable vicaire apostolique, à cette multitude prosternée pour recevoir sa bénédiction. J'aurai voulu, moi aussi, dire quelques mots ; mais j'étais trop ému. De l'embarcation où nous étions montés, Mgr Maigret bénit une dernière fois cette multitude pleurant, agenouillée sur la plage. »

OCÉANIE CENTRALE

La voie lactée des eaux. Les îles Tokelau. Samoa. Futuna. Le B. Chanel. Wallis. Mort de Mgr Bataillon. L'archipel des Amis.


ATONS-NOUS de reprendre la mer pour fuir ce séjour d’horreur. Là-bas, là-bas, dans l’hémisphère austral, un peu au-dessous de la ligne équatoriale, des milliers et des milliers d’îles, joyeuses et brillantes, nées de l’écume des eaux, émergent du sein des ondes. C’est la voie lactée des eaux, selon l’admirable expression de Reclus. Dans ces pléïades d’étoiles marines, la première nébuleuse qui arrête notre course, sera le groupe des Tokelau.

Il y a quelques centaines d’années, les navires auraient pu facilement naviguer à l’endroit même où se trouve cet archipel ; mais les coquillages, ayant construit leurs innombrables maisons les unes sur les autres, en ont fait un pays pour les humains. Ce même travail des coquillages se remarque actuellement entre Wallis et Samoa ; il est déjà parvenu à deux brasses au-dessous du niveau de la mer ; et dans un certain laps de temps, on verra aussi en cet endroit surgir de la même façon un nouveau pays.

Les îles Tokelau. — Rien de plus curieux que la genèse de ces îles toutes de formation madréporique. Sur la pointe des roches sous-marines, des millions de polypes ont bâti leurs demeures et formé de vastes bancs de corail blanc qui s’est bruni à l’air. En passant et repassant, les vagues ont enlevé les arêtes du corail et apporté sur ces bancs des débris qui s’y sont


ARCHIPEL DES NAVIGATEURS. — JEUNES FILLES SAMOANES.


peu à peu superposés. Le tout est devenu un terrain aride. Pas d’autre terre végétale que ce sable rebelle à toute culture. Pas d’autre verdure que de rares cocotiers qui poussent dans quelque fissure de corail, ou dans quelque coin du sol moins sec et moins dépourvu de sucs nourriciers.

Plusieurs des îles Tokelau sont totalement inhabitées, d’autres renferment soixante, cent, deux cents âmes. Le type, le langage, les traditions de ces indigènes les rattachent aux grands archipels voisins. Égarés sur l’Océan ou poussés par la tempête, quelques Samoans auront rencontré ces îles, s’y seront réfugiés sans plus oser en sortir et les auront peuplées.

Rien de plus misérable que les peuplades de Tokelau. Elles n’ont pas d’autres nourriture que la noix de coco et le poisson. Comme ces îles sont formées de corail, les sources sont rares, et encore l’eau est-elle saumâtre. Plusieurs îles sont même privées complètement de sources d’eau douce.

Les habitants, pour se procurer leur boisson, recourent à une industrie.

Les cocotiers sont tous inclinés par le vent qui souffle presque toujours dans la même direction. Du côté opposé au vent, les indigènes pratiquent des ouvertures allant jusqu’à l’intérieur de l’arbre, sans nuire à son développement. Au-dessus de ces ouvertures et le long du tronc, ils creusent de petits sillons destinés à recevoir et à conduire l’eau de la pluie dans ces citernes en miniature. Quand elles sont pleines, on les entoure de feuilles pour empêcher l'évaporation et pour maintenir la fraîcheur. C'est là que ces malheureux peuples vont chercher l'eau nécessaire, qui, en temps de sécheresse, peut finir par leur manquer. L’eau ainsi recueillie appartient au propriétaire du cocotier, comme l’arbre lui-même, et chacun doit veiller à ne pas mettre la main sur le trésor de son voisin. On se demandera s’il ne serait pas plus simple de creuser des citernes dans le sol. Qu'on n’oublie pas que le sol est madréporique et qu'il laisse suinter l’eau de la mer. Le ciment pourrait bien obvier à cet inconvénient grave, mais le ciment est encore inconnue à Tokelau, et il n'y a que les missionnaires qui le feront connaître à ces pauvres gens.

Deux jours de navigation séparent les Tokelau des îles Samoa.

Samoa. — Apia est le port le plus fréquenté de l'archipel de Samoa. Situé vers le milieu de la côte septentrionale de l'île d'Upolu, il est de facile abord. Les navires y sont en toute sûreté, pendant la saison des vents alisés, c'est-à-dire depuis la fin d'avril jusqu'au mois de novembre. Le port est moins sûr pendant le reste de l'année, quand il y a grande tempête. C'est à Apia que sont établis les principaux commerçants de Samoa et les îles environnantes


APIA. — ÉTABLISSEMENT DES RELIGIEUSES DE N.-D. DES MISSIONS.


comme Viti, Tonga, Wallis et Futuna. Tous les deux ou trois mois, une goëlette part pour visiter ces îles, revient déposer à Apia sa cargaison et recommence le même voyage. Parmi ces trafiquants, il y a des Américains, des Anglais, des Allemands. Les Allemands se sont adjugé la part du lion ; non qu’ils aient fait des conquêtes à coups de canon, mais ils ont pris une position telle que les autres restent à l’arrière-plan. De Samoa leur action rayonne dans toutes les îles de l’Océan Pacifique, et ni les Anglais ni les Américains ne peuvent rivaliser avec les compagnies de Hambourg, qui font le commerce en grand et leur abandonnent seulement le commerce de détail.

« Apia, écrivait Mgr Elloy, est le siège du gouvernement de l’archipel de Samoa et la résidence de l’évêque. Comme tous les autres villages d’Océanie, Apia n’était autrefois qu’une réunion de cases ouvertes, aux toits en feuilles d’arbres ; maintenant ce pauvre village commence à prendre la tournure d’une ville européenne. Les constructions en pierres et en corail étaient, si l’on en excepte quelques résidences, un luxe réservé jusqu’à présent à la maison de Dieu. Pour la maison des hommes, on remplaçait la pierre par le bois, et au lieu de murs, on avait des cloisons. Un grand nombre de constructions européennes indique que la population blanche accroît de jour en jour son influence. »

Tutuila. — Dans l’île voisine d’Upolu, à Tutuila, coupée par le 173e méridien, saluons la belle église, dernière œuvre de Mgr Elloy, que ce grand évêque a fait bâtir sous le vocable significatif de Sainte-Croix in extremis terræ.

Saluons aussi le monument élevé sur la tombe des infortunés compagnons de La Pérouse massacrés.

Futuna. — Une autre île arrosée également de sang français, Futuna, nous appelle. C’est là que le P. Chanel fut égorgé le 28 avril 1841. Le christianisme a totalement transformé le caractère sauvage et irascible de ces insulaires. Jadis redoutés entre toutes les autres peuplades océaniennes pour leur barbarie, ils étaient à juste titre l’effroi des navigateurs. « Si j'excepte les Fidji, raconte le P. Poupinel, je ne reconnais point d'îles dont on puisse citer des horreurs comparables à celles qui ont été commises à Futuna, depuis le commencement de ce siècle. »

De cette île gagnée au Christ par le sang d’un martyr, de cette île sacrée, centre mystérieux de l’Océanie, portons les yeux sur l’horizon. Leva in circuitu oculos tuos et vide.

Wallis. — Au levant, Wallis encore embaumée des souvenirs de Mgr Bataillon. C’est là que le premier vicaire apostolique de l’Océanie centrale


FUTUNA. — ÉGLISE DE SAINT-JOSEPH A SIGAVE, d'après un croquis de M. Aube, alors capitaine du vaisseau, commandant du Seignelay.


termina son héroïque carrière, le 11 avril 1877 Nous ne pouvons résister à l’envie de mettre sous les yeux du lecteur la dernière page de la vie du vaillant évêque, dévoré jusqu’à la fin du zèle de la maison de Dieu. Elle est tout à la gloire du pasteur et du troupeau.

De l’église de Mua où il avait reçu les derniers sacrements devant tout le peuple assemblé, Mgr Bataillon s’était fait transporter dans son cher collège de Lano. Depuis plusieurs mois, on était occupé à la construction de l’église. Quelques heures avant de mourir, il s’aperçut qu’il n’entendait plus le bruit ordinaire des ouvriers, il dit à un des chefs qui se trouvait près de lui :

« — Je n’entends plus les coups de marteau. Est-ce qu’on ne travaille pas à l’église ?

« — Évêque, répondit le chef, nous craignons de vous troubler à vos derniers moments, et nous avons suspendu tout travail.

« — Non, non, reprit avec énergie Mgr Bataillon, ne vous arrêtez pas. Je veux mourir en entendant ce bruit de marteau ; il me fait tant de bien ! Travaillez, mes enfants. C’est pour le bon Dieu. »

Et les ouvriers recommencèrent ce bruit de


ARCHIPEL DES NAVIGATEURS. — ÉGLISE DE L'IMMACULÉE-CONCEPTION A APIA, ET RÉSIDENCE ÉPISCOPALE, d'après une photographie (Voir p. 10.)


ARCHIPEL DES NAVIGATEURS. — VUE DU PORT D'APIA ET DU MONT VAÉA, d'après une photographie. (Voir p. 10.)


travail que le missionnaire voulait écouter jusqu’à sa dernière heure. Lorsqu’elle fut proche, l’évêque commanda de le porter dehors, sous un arbre à pain. Là, il se fit étendre sur une natte, le visage tourné vers l’église, et il expira en présence de son peuple, et aussi en présence de cette église et de ce collège, où il avait placé les dernières affections de son cœur et les dernières sollicitudes de sa vie.

Une pierre a été élevée sous cet arbre. Elle indiquera au peuple de Wallis que là est mort celui dont Dieu s’est servi pour les appeler à son admirable lumière.

Rotuma. — Au couchant, Rotuma, l’île aux sept royaumes. Chacun d’eux a un roi. Au-dessus des sept potentats qui gouvernent, est un huitième chef qui porte le titre de roi des rois. La population des sept minuscules empires de Rotuma ne dépasse pas 2,400 âmes.

Tonga. — Au sud, l'Archipel des Amis, où l'abordèrent en 1837 les premiers missionnaires catholiques. Les trois groupes qui composent cet archipel sont ceux de Tonga, de Hapai et de Vavau.

L’île capitale du royaume est Tonga-Tabou, c’est-à-dire Tonga la Sainte ou la Sacrée, île basse, dont la plus grande élévation ne dépasse pas 70 pieds. Elle n’a pas la plus petite source d’eau courante ; néanmoins c’est une terre très fertile, très bien boisée, et couverte d’une brillante végétation. Les courses que l’on y fait sont comme des promenades à l’ombre de bosquets touffus. Sa forme est demi-circulaire ; une ceinture d’îlots verdoyants qui l’entourent vers le nord, et la chaîne de récifs qui la protègent contre les tempêtes de la mer, lui donnent un aspect riant et plein de charmes pour l’étranger. Tonga a de belles baies dans l’intérieur des récifs ; mais les palétuviers qui parent ses rives, le corail et les madrépores qui poussent sous les eaux, remplissent petit à petit


ANAA (Iles Paumotous). — PREMIÈRE DEMEURE DES MISSIONNAIRES A TÉMARIÉ. (Voir p. 24.)


ces rades si gracieuses. Telle baie, où les navires de fort tonnage pouvaient venir mouiller, il y quelques années, n’est plus accessible, même aux chaloupes, lorsque la marée est basse. La longueur de l’île est à peu près de dix lieues, et sa largeur de deux à trois ; sa population, autrefois considérable, ne dépasse guère 7,000 âmes aujourd’hui.

Depuis quelques années, les immigrants envahissent Tonga ; la moitié du littoral est déjà occupée par les trafiquants. Un mouvement irrésistible entraîne Tonga vers les usages européens. « Les constructions, écrivait en 1876 le R. P. Lamaze, aujourd’hui évêque et vicaire apostolique de la mission, surgissent comme par enchantement sur notre rivage. Le palais du roi Georges est vraiment beau ; celui de son fils Uga ne lui cède guère. J’en dirai autant de ceux de nos commerçants ; mais tous sont éclipsés par le palais de Misi Beka, le Révérend Baker. On va construire trois grands temples aux ports de Tonga, de Vavau et de Haapaï. Nous sommes entraînés ; aussi, je suis sûr que, quelque belle que soit notre future église, nous regretterons de ne pas l’avoir faite plus belle. Je dispose tout pour sa construction. Il me faut un char pour les gros transports. Et, lorsque j’aurai les harnais, qui me donnera le cheval ? On m’avait fait cadeau, à Sydney, d’un bon cheval de trait, et on l’avait embarqué sur un trois-mâts. Je le voyais déjà attelé à mon char et traînant les gros bois de mon église. Hélas ! la traversée fut longue, les vents furent mauvais ; la pauvre bête fut blessée, prit le mal de mer, finit par périr, et il fallut la jeter à l’eau. Elle était belle, forte, docile, sans défauts, à ce que l’on m’en a dit pour me consoler. Ce qui est hors de doute, c’est que, au lieu de recevoir ce précieux cadeau, j’ai dû débourser 600 fr. pour le transport, la boîte et les vivres du cheval. »

L'ÉPISCOPAT OCÉANIEN


ES ARCHIPELS du Grand Océan Pacifique sont évangélisés par trois Sociétés différentes.

Aux Maristes appartiennent l’Océanie centrale et l’Océanie méridionale ;

Aux Pères des Sacrés-Cœurs, l'Océanie septentrionale et l’Océanie orientale ;

Aux Pères d’Issoudun, l’Océanie occidentale.




ÉVÊQUES MARISTES.
Mgr BATAILLON (Pierre-Marie),
de la Société de Marie,
évêque titulaire d’Enos,
premier vicaire apostolique de l’Océanie centrale.
(1810-1877.)

Le R. P. Bataillon fut un des vingt-et-un premiers Maristes qui firent leur profession, le 24 septembre 1836, et qui élurent le même jour, le T. R. P. Colin pour leur supérieur général. Quatre d’entre eux, les PP.Chanel, Bret, Servant et Bataillon, s’embarquèrent au Havre, le 24 décembre de la même année, sous la conduite de Mgr l’évêque de Maronée. Le P. Bret mourut trois mois plus tard, pendant la traversée ; le 28 avril 1841, le P. Chanel recevait la couronne du martyre à Futuna ; le P.Servant termina paisiblement sa vie dans la même île, le 8 janvier 1860.

Cette courageuse troupe de missionnaires arriva en face de Wallis, le Ier novembre 1837. Le R. P. Bataillon accepta pour sa part cette île inconnue. Après bien des épreuves et des dangers, le zèle du missionnaire fut couronné de succès. Comme les rapports de ces îles avec la Nouvelle-Zélande étaient trop difficiles, on crut nécessaire de grouper en une mission séparée les îles du centre. Le Saint-Siège érigea, le 23 août 1842, l’Océanie centrale en vicariat apostolique ; le même jour, le R. P. Bataillon fut nommé évêque d’Enos et chargé de ce nouveau vicariat. Il n’apprit sa nomination que par l’arrivée à Wallis de Mgr Douarre, évêque d’Amata, qui lui conféra la consécration épiscopale, le 3 décembre 1843.

Mgr Bataillon conduisit l'année suivant deux missionnaires à Lakemba, île de l'archipel des Fidji, en 1845, il en envoyait d'autres s'établir dans l'archipel de Samoa. En 1846, deux nouveaux missionnaires occupaient l'île de Rotuma. D'autres missionnaires s'étaient établis en Nouvelle-Calédonie, dès la fin de 1843. Le Vicariat de l'Océanie centrale s'étendait de l'Équateur aux tropiques du Capricorne, et comptait quarante degrés en longitude. Aussi, en 1847, la Propagande fit-elle de la Nouvelle-Calédonie et des Nouvelles-Hébrides, un nouveau vicariat. En 1863, l'archipel des Fidji a été érigé en préfecture apostolique.

En 1856, Mgr Bataillon, dont le zèle n’avait point tenu compte des fatigues et des privations, fut forcé de revenir en France. Après deux années, pendant lequelles le prélat avait obtenu des secours considérables, il retourna dans sa chère mission ; le nombre de ses prêtres était plus que doublé.

Sur sa demande, Pie IX daigna, en 1863, lui accorder pour coadjuteur le R. P. Louis Elloy. Mgr Bataillon le sacra évêque de Tipasa, le 30 novembre 1864, à Apia, dans l’archipel de Samoa.

Le 9 février 1874, le T. R. P. supérieur général de la Société de Marie écrivait aux missionnaires de l’Océanie :

« Mgr Bataillon est, sinon le doyen des vicaires apostoliques, au moins un des plus anciens. Voilà plus de trente ans qu’il travaille, comme évêque, à défricher les îles de l’Océanie centrale pour y implanter le christianisme. Il y a deux ans, nous avons vu ce vénérable vieillard venir du bout du monde, malgré son âge et les fatigues d’un si long voyage, faire sa visite ad limina Apostolorum et rendre compte de sa mission au Souverain Pontife. Il n’a demandé à Sa Sainteté qu’une faveur avec sa bénédiction apostolique, c’était de retourner au plus tôt dans son vicariat. Il aurait pu cependant, à juste titre, prendre un repos bien mérité par tant d’années de travaux ; mais il ne pouvait se résigner à vivre loin de son troupeau, loin de cette Wallis bien-aimée, toute convertie par ses soins, et qui est aujourd’hui sa joie et sa couronne. Il est donc reparti pour consacrer les dernières années de sa vie à ses néophytes, pour mourir et reposer au milieu d’eux. »

Ces vœux, souvent manifestés par le vaillant évêque, reçurent leur accomplissement trois ans après.

Le 26 mars 1877, le prélat ayant eu une faiblesse, les missionnaires crurent prudent de l’inviter à recevoir les derniers sacrements, dans la nuit, pour ne pas effrayer la population. « — Oh ! pas du tout, reprit-il, vous m’administrerez en plein jour, à l’église, et, autant que possible, devant toute la population. »

Le lendemain donc, on se prépara à cette triste cérémonie. Mgr Bataillon était seul calme et sans tristesse. Comme on l’aidait à s’habiller : « — Allons, Père Ollivaux, dit-il en souriant, arrangez-moi bien ; faites que je sois beau ; c’est un grand jour pour moi. Il y a des jours solennels dans la vie ; celui-ci est un de mes plus grands jours, c’est le jour de ma dernière communion. »

Les préparatifs terminés, on porta Monseigneur à l’église, où il entendit la sainte messe. Il reçut ensuite, avec la plus grande piété, les derniers sacrements des mains du P. Bouzigue, son confesseur. Après chaque onction,le pieux prélat répétait cinq ou six fois : Amen ! Il voulut qu’on lui appliquât l’indulgence de la bonne mort. Lorsque, la cérémonie terminée, Mgr Bataillon fut reporté au presbytère, il bénissait en pleurant la foule de ses enfants rassemblés.

Le prélat languit encore une dizaine de jours. Il mourut le 10 avril à une heure du soir.

Le prélat défunt fut revêtu de ses ornements pontificaux, et, ainsi paré, son corps fut d’abord exposé dans la chapelle des Sœurs. Vers le soir, il fut transféré dans l’église de Notre-Dame à Matautu ; les fidèles de cette paroisse et ceux de Hihifo y passèrent la nuit en prières. D’heure en heure, chaque village, en signe de deuil, faisait entendre une détonation de coups de fusil. Mgr Bataillon avait fait connaître sa volonté expresse d’être enterré à Mua, dans l’église de Saint-Joseph. N’est-ce pas là qu’il avait tant travaillé et tant souffert pour la conversion de l’île ? N’est-ce pas là qu’il avait reçu la consécration épiscopale, à l’endroit même où s’élève aujourd’hui la belle église ? Pendant la nuit elle fut tendue de noir ; on improvisa un catafalque, tandis que les meilleurs ouvriers creusaient et préparaient un tombeau.

Le lendemain, 11 avril, le cortège funèbre arrivait à Mua vers huit heures. Après l’absoute solennelle, le corps de Mgr Bataillon fut placé dans un cercueil que la reine Amélia voulut orner de nattes fines. Son tombeau est dans le sanctuaire, à l’endroit même où le prélat avait son trône. Les habitants de Mua possèdent, comme un précieux trésor, le corps de l’apôtre de l’Océanie centrale.

Mgr Bataillon était né à Saint-Cyr-les-Vignes (diocèse de Lyon), le 6 janvier 1810.




Mgr ELLOY (Louis),
de la Société de Marie,
évêque titulaire de Tipasa, deuxième vicaire
apostolique de l’Océanie centrale.
(1829-1878.)

Nous venons de voir dans quelles circonstances ce vaillant missionnaire fut élevé à l’épiscopat.

Mgr Elloy était né le 29 novembre 1829 à Servigny-lès-Raville (diocèse de Metz). Il avait fait profession dans la Société de Marie, le 17 décembre 1852, puis enseigné la philosophie au collège de Langogne (diocèse de Mende) et rempli les fonctions de sous-directeur au noviciat de Lyon.

Au mois de mai 1856, il lui fut enfin permis de faire voile vers cette Océanie qui avait ravi son cœur ; le 24 novembre suivant, il abordait à Apia, capitale de l’archipel de Samoa. Cette mission, qui eut les prémices de son zèle, eut aussi les préférences de son affection. Tous ceux qui ont approché Mgr Elloy, l’ont entendu parler avec une complaisance vraiment maternelle de ces peuplades dont il vantait le doux idiome et les mœurs relativement polies. Devenu évêque, il redoubla de zèle et de dévouement ; il évangélisa successivement plusieurs archipels ; sa parole ardente et l’exemple de ses vertus apostoliques mirent partout en honneur notre sainte religion et lui gagnèrent une foule de prosélytes.

Cependant, au milieu de ses travaux, les intérêts de la mission appelèrent en Europe Mgr Elloy ; il arriva en France au mois de janvier 1868. Son grand désir était de partir au plus tôt. La terre de notre continent, disait-il, lui brûlait les pieds. Mais Dieu en disposa autrement ; les affaires traînèrent en longueur et le retinrent deux ans, non sans mettre sa patience à l’épreuve.

Au moment où le saint prélat se disposait à retourner en Océanie, le Concile du Vatican allait ouvrir ses solennelles assises que le monde catholique attendait

avec une espérance mêlée d’anxiété. Il répondit à la

Les évêques maristes


Mgr. BATAILLON, de la Société de Marie, vicaires apostolique de l'Océanie centrale. (Voir p. 11 et 14.)


Mgr. ELLOY, de la Société de Marie, vicaires apostolique de l'Océanie centrale. (Voir p. 14.)


Mgr. LAMAZE, de la Société de Marie, vicaires apostolique de l'Océanie centrale. (Voir p. 13 et 17.)


La Vénérable Pierre CHANEL, de la Société de Marie, martyrisé à Futuna, le 28 avril 1844. (Voir p. 18.)
convocation de Pie IX. Puis le Concile interrompu,

il se hâta de partir, car la guerre commençait rapide et terrible. D’immenses armées avaient envahi la France et menaçaient d’intercepter le chemin des ports et de couper les voies maritimes ; déjà la Lorraine était en feu ; les journaux avaient même apporté à Mgr Elloy la douloureuse nouvelle de l’incendie de son village natal, et il devait, en quittant la patrie en proie à des désastres inouïs, garder au fond du cœur le souci cuisant d’ignorer le sort de sa famille et de son vieux père, âgé de quatre-vingt-sept ans.

De retour au milieu de ses bien-aimés insulaires, l’apôtre, n’écoutant que l’héroïsme de son zèle, se remit à l’œuvre avec un nouveau courage. Il devait y succomber. Aussi, lorsque, vers la fin de 1877, Mgr Elloy revint en Europe, en le revoyant tel que l’avaient fait ses travaux, ses sollicitudes et les difficultés contre lesquelles il avait eu à lutter, ses frères en religion ne purent se faire d’illusion sur la gravité de son état.

Mgr Elloy vécut encore une année. I] mourut le 22 novembre 1878. Le diocèse d’Agen a reçu son dernier soupir, et garde sa dépouille mortelle dans la basilique de N.-D. de Bon-Encontre ; mais son cœur a traversé l’Océan et est allé reposer sur cette terre de Samoa qu’il trouva barbare et qu’il a faite chrétienne à force de l’aimer.




Mgr LAMAZE (Amand),
de la Société de Marie,
évêque titulaire d’Olympe, troisième vicaire apostolique de l’Océanie centrale.

Il y avait seize ans que ce missionnaire évangélisait l’archipel des Amis lorsqu’il fut appelé à succéder aux deux pontifes dont nous venons d’esquisser la biographie.

Né à Saint-Michel (Vosges), le 27 mars 1833, Mer Lamaze fut ordonné prêtre le 1er mai 1857. Après quatre ans de ministère dans le diocèse de Saint-Dié, il entra chez les Pères Maristes avec l’ardent désir d’être appelé un jour à évangéliser les infidèles. Destiné par ses supérieurs aux missions lointaines de l’Océanie, il quitta la France en novembre 1863 et arriva l’année suivante à Tonga.

Nous avons montré, p. 13, le P. Lamaze en train de bâtir à Maofaga une église digne de rivaliser avec les temples protestants. C’était en 1876. Hélas ! une épreuve amère lui était réservée.

« C’est du milieu des ruines, écrivait-il le 29 mars 1879, que je vous écris ces quelques lignes ; j’ai le cœur navré. Le premier vendredi de mars, nous venions de célébrer la messe et de faire la communion réparatrice, lorsqu’éclata une horrible tempête. Le soir, il fut impossible de réunir les fidèles pour la bénédiction du T. S. Sacrement. Nous étions blottis dans notre case tongienne, qui craquait de toutes parts et menaçait à chaque instant de nous écraser ; à dix heures et demie du soir, la nef de l’église, battue dans toute sa longueur par le vent d’est, céda et entraîna le chœur. La façade et les deux clochers tinrent bon jusqu’à quatre heures et demie du matin ; mais le vent, tournant au sud, s’engouffra dans le côté laissé ouvert par la chute de la nef et emporta le tout. C’est merveille qu’aucun de nous n’ait été tué ou blessé au milieu de cette grêle de branches d’arbres, de noix de cocos, de feuilles de zinc arrachées aux toitures et poussées de tous côtés par la violence du vent.

« Vous ne pouvez vous faire une idée de la destruction générale. J’estime que les pertes subies par la seule station de Maofaga peuvent s’élever à près de 60,000 fr. Mais surtout comment ne pas pleurer notre magnifique église, notre joie, l’orgueil du pays ? Du mieux que je puis, j’essaie de dire avec le saint homme Job : « — Dieu me l’avait donnée, il « me l’a ôtée : que son saint nom soit béni !» Nos néophytes ont été admirables de résignation, et sont les premiers à nous dire : « — Il faut refaire l’église, « et la refaire en pierre. » C’est un gros travail au moment où nous pensions nous reposer... Et puis où trouver des ressources ? »

Quand il écrivait ces lignes, l’humble et zélé religieux ignorait encore que le Souverain Pontife avait jeté les yeux sur lui pour remplacer Mgr Elloy.

Ce n’est que quelques mois plus tard qu’il reçut le premier avis de sa nomination comme évêque d’Olympe, vicaire apostolique de l’Océanie centrale et administrateur du vicariat de l’archipel des Navigateurs. Il revint aussitôt en France.

Mgr le cardinal Caverot, archevêque de Lyon, voulut sacrer lui-même dans l’église primatiale de Saint-Jean, le dimanche 22 décembre 1870, le prélat, auquel il avait conféré autrefois, à Saint-Dié, tous les ordres, depuis la tonsure jusqu’à la prêtrise. Son Éminence était assistée de Mgr Marchal, alors évêque de Belley, et de Mgr Bonnet, évêque de Viviers.




Le Vénérable CHANEL (Pierre-Marie- Louis)
de la Société de Marie,
premier martyr de l'Océanie centrale
(1802—1841.)


A côté des portraits des pontifes de la Société de Marie qui régissent l’Église de Dieu dans ces lointains archipels, on nous permettra de placer la sereine et angélique figure du premier missionnaire mariste qui eut le bonheur d’y verser son sang pour la foi.

C’est le 28 avril 1841 que le P. Chanel consomma son sacrifice.

Le roi de Futuna, irrité des progrès du catholicisme dans ses États, et excité par Musumusu, premier ministre, tint, le 27 avril 1841, un conseil dans lequel on résolut de faire la guerre aux catéchumènes dans leur sommeil, en blesse un grand nombre et court assouvir sa haine contre celui que les païens appelaient l’auteur de la religion nouvelle.

Le P. Chanel était seul ; depuis quelques jours il ne pouvait guère s’éloigner de sa demeure ; ses pieds meurtris, à la suite de courses nombreuses sur les routes semées de corail aigu, le faisaient beaucoup souffrir. Il avait envoyé ses catéchistes ordinaires, J. Marie-Nizier et Thomas Boog, baptiser quelques enfants en danger de mort.

Apercevant Musumusu, le P. Chanel, qui connaissait les complots tramés contre sa vie, se dirigea vers lui :

« — D’où viens-tu ? lui demanda-t-il.

« — D’Asoa, répondit Musumusu.

« — Quel est le motif de ta visite ?

« — Je veux un remède pour une contusion que j’ai reçue.

« — Comment as-tu été blessé ?

« — En abattant des cocos.

« — Reste ici, je vais te chercher un remède et panser ta blessure. »

Pendant cet entretien, Filitika et Ukuloa, deux sauvages qui s’étaient joints à Musumusu, étaient entrés dans la case du missionnaire.

Le Père les rencontra comme ils sortaient chargés de linge.

« — Pourquoi, leur dit-il, venez-vous ici ? Qui vous a donné le droit d’agir en maîtres dans ma maison ? »

Ils gardèrent le silence et jetèrent le linge loin d'eau. Le reste de la troupe étant alors accouru, la scène prit un caractère plus alarmant.

Musumusu pousse un cri féroce et interrompt le missionnaire qui représente à ses agresseurs la grandeur du crime qu'ils méditent :

« — Pourquoi tarde-t-on à tuer l'homme ? »

A l'instant même, Umutauli, l'un des sauvages, brandit une énorme massue sur la tête du Père, qui, en parant le coup, a le bras fracassé. Filitika, qui se trouvait derrière le missionnaire, le repousse violemment en criant :

« — Fai motake mote. » (Frappez promptement, qu'il meure !)

Aussitôt Umutauli assène un second coup et lui fait à la tempe gauche une horrible blessure. Filitika attesta plus tard que le P. Chanel s'écria à plusieurs reprises : « Malie fuai ! » (Très bien !) Un troisième bourreau, nommé Fraséa, armé d'une baïonnette adaptée à une lance, se précipite sur le saint prêtre ; la baïonnette glisse, mais le bois de la lance frappe le P. Chanel et le renverse par terre. Ukuloa décharge sur lui plusieurs coups de bâton.

Puis, oubliant d'achever leur victime, ces furieux mettent au pillage la case du missionnaire et se disputent le linge, le mobilier, les images, les tableaux, les ornements sacrés, le calice et le saint ciboire.

Le P. Chanel se relève et se met à genoux ; l'épaule appuyé contre une paroi de bambous, la tête baissée, il essuie de la main gauche le sang qui ruisselle sur son visage, et offre à Dieu le sacrifice de sa vie pour le salut de ses chers Futuniens et en particulier de ses bourreaux.

Un catéchumène, dont la conversion était peu convenue, s'approche du martyr :

« — Kua pakia a Pétélo, » dit-il. (Pierre est meurtri.)

Le Père, le regardant avec bonté :

« — Où est Maligi ? « demande-t-il d'une voix presque éteinte.

C'était un vieillard qui lui était particulièrement dévoué.

« — Il est à Alofi.

« — Tu lui diras, ainsi qu'à mes autres amis, que ma mort n'est pour eux et pour moi qu'un grand bien (Malie fuaï loku mate). »

Cependant Musumusu, le seul qui ne perde pas de vue le but principal de l'expédition, s'adressant aux pillards :

« — N'êtes-vous venus ici que pour prendre des richesses ? »

Et, montrant, le missionnaire couvert de sang :

« — Pourquoi ne pas le frapper à mort ? »

Comme on tarde à remplir cet ordre, il saisit une herminette, s’élance vers le missionnaire, et lui fend le crâne. Le martyr, qui, de l’aveu même de ses bourreaux, n’a laissé échapper aucune plainte, tombe la face contre terre et rend son âme à Dieu. A l’instant, bien que l’air fût calme et le ciel sans nuages, un coup de tonnerre retentit et fut entendu dans l’île entière. Suivant la Sacrée Congrégation des Rites, c’était une voix divine qui reprochait à l’île de Futuna le crime qu’elle venait de commettre : « Deus ipse, aere sereno, intonuit, omnemque insulam patrati criminis admonuisse visus est. »

Pierre-Marie-Louis Chanel était né le 24 juillet 1802, à Montrevel (Ain). Sa vie apostolique avait duré trois ans, cinq mois et vingt jours (du 8 novembre 1837 au 28 avril 1841). Il a été déclaré Vénérable le 24 septembre 1857.




ÉVÊQUES DE LA CONGRÉGATION
DES SACRÉS-CŒURS.
Mgr MAIGRET (Louis-Désiré),
évêque titulaire d’Arathie, vicaire apostolique
des îles Sandwich.
(1804— 1882.)

Né à Maillé, diocèse de Poitiers, le 14 septembre 1804, Louis Maigret annonça dès l’enfance les plus heureuses dispositions. À dix-huit ans, il entra dans la Congrégation des Sacrés-Cœurs, et reçut le nom de Désiré, le jour de sa profession.

Ayant été élevé au sacerdoce, il professa la philosophie au grand séminaire de Rouen. Peu d’années après, il demanda avec instance et obtint, le 24 octobre 1834, d’être envoyé aux missions de l’Océanie.

Il travaillait depuis deux ans à la conversion des îles Gambier, dans le calme et la joie, lorsqu’il reçut du vicaire apostolique de l’Océanie orientale une délicate et difficile mission : il s’agissait d’aller porter des instructions et des consolations au Père Alexis Bachelot, qui le premier avait prêché la foi aux îles Sandwich, et qui était à la veille d’en être banni une seconde fois. Le P. Maigret partit ; mais, signalé d’avance aux ennemis de la religion catholique, il ne put mettre pied à terre. Forcé de passer immédiatement sur un autre navire avec le Père Bachelot, il eut encore la douleur, dès les premiers jours de la traversée, de recevoir le dernier soupir du zélé confrère dont il devait plus tard reprendre et compléter l’œuvre.

En effet, au mois de mai 1840, le Père Maigret revint aux îles Sandwich avec Mgr Rouchouze et quelques autres missionnaires. Ils furent reçus avec enthousiasme par trois à quatre cents chrétiens, qui avaient généreusement.confessé la foi durant la persécution. Malgré leur petit nombre, les missionnaires s’établirent en même temps dans l’île d’Oahu et dans la grande île, appelée Hawaii, qui donne quelquefois son nom à l’archipel. L’année suivante, en quittant ces îles, Mgr Rouchouze chargea le Père Maigret du soin de diriger la mission.

Par la dignité de son caractère et par ses manières douces et engageantes, il ne tarda pas à conquérir l’estime et l’affection des indigènes. En quelques années, il instruisit et baptisa des milliers d’infidèles, bâtit à Honolulu une belle église en pierre de taille, et fonda de nombreux établissements pour contrebalancer l’influence des protestants.

Ce n’était pas assez pour le Père Maigret de ses travaux multipliés à Honolulu et dans les districts environnants : il se plaisait à encourager ses confrères de la grande île. En 1845, il leur fit une visite qui dura deux mois.

De nouveaux ouvriers arrivèrent l’année suivante, ce qui permit au Père Maigret d’établir la mission dans les îles de Maui et de Kauai et de faire visiter l’île de Molokai.

Cependant le Saint-Siège avait érigé les îles Sandwich en vicariat apostolique ; et le 11 août 1846, Pie IX avait choisi le P. Maigret pour remplir la charge de vicaire apostolique, en le nommant évêque d’Arathie. La consécration épiscopale, retardée par suite de la difficulté des communications, se fit à Santiago (Chili), le 31 octobre 1847.

Salué à son retour par d’unanimes acclamations, le nouvel évêque commença aussitôt la visite des différentes îles pour administrer le sacrement de confirmation. À peine l’avait-il terminée, qu’une cruelle épidémie éclata dans l’île d’Oahu, et particulièrement à Honolulu. Le vicaire apostolique et ses missionnaires étaient nuit et jour au chevet des malades. Trois fois, dans l’espace de sept ans, le fléau sévit avec violence, et emporta des milliers de victimes.

Son dévouement, son zèle, sa charité lui avaient attiré l’estime universelle et, quand il mourut le 11 juin 1882, le gouvernement hawaïen s’associa au deuil de la chrétienté d’Honolulu ; le roi et la reine le visitèrent sur son lit funèbre ; les princes de la famille royale, les hauts fonctionnaires et tous les membres du corps diplomatique honorèrent ses funérailles de leur présence.

Il a été remplacé par son coadjuteur Mgr Hermann Koeckmann, évêque titulaire d'Olba.




Mgr DORDILLON (Ildephonse-René
de la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Picpus,
évêque titulaire de Cambysopolis,
vicaire apostolique des îles Marquises.

La mission des Marquises doit les grands de ces dernières années à ce vénérable prélat qui la gouverne depuis 1855.

« Depuis plusieurs années déjà, écrit ce prélat, le gouvernement de nos îles favorise les écoles en obligeant à les fréquenter tous les enfants,qu’ils soient chrétiens ou issus de parents païens,depuis l’âge de six ans jusqu’à douze ans. Nous nous sommes empressés d’établir des classes dans tous nos principaux postes. À Taiohaé, l’école, tenue par quatre Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, est fréquentée par 65 filles ; celle de Hatibue,dirigée par le Frère Florent, a 75 garçons ; à Puamau (Ile de la Dominique) nous comptons 25 garçons, 25 filles ; à Hanaiïapa, 20 garçons, 24 filles ; à Ataona, 25 garçons, 20 filles ; à Vaitaha, 25 garçons, 30 filles ; à Hanavava, 20 garçons, 23 filles ; à Napou, 15 garçons, 18 filles.

« Tous ces enfants sont internes. Les parents fournissent la nourriture et le vêtement. Le reste est à la charge de la mission, qui bien souvent doit suppléer à l’impuissance des familles.

« On apprend dans nos écoles à aimer et servir Dieu, à lire et à écrire le français et le marquisien ; on enseigne aussi le calcul. Les filles apprennent en outre à coudre à l’aiguille et à la machine, et d’autres petits travaux convenables à leur sexe. J’aurais voulu


Mgr NAVARRE, de la Société du Sacré-Cœur d'Issoudun, vicaire apostolique de la Mélanésie et de la Micronésie.


vous voir le 15 juillet dans notre belle église de Taiohaé écoutant avec ravissement le chant mélodieux de dix-sept de ces petites filles.

« Un avantage que produisent ici les écoles et qu'il ne faut pas oublier, c'est que tous les enfants qui les fréquentent et aussi les parents, se disposent au baptême à peu d'exceptions près. Presque partout même on fait baptiser les petits enfants aussitôt après la naissance. Ces enfants et les grandes personnes aussi, veulent avoir des chapelets, des médailles. Pour ces dépenses et plusieurs autres, nous comptons sur la Providence. Témoin des besoins de ces enfants, le Frère Florent me disait hier en retournant à son poste :

« Pour que mes enfants soient passablement, j'aurai besoin d'avoir deux sous de plus chaque jour pour chacun d'eux : un sou pour la nourriture et un sou pour le vêtement. »

« Cette demande parait fort modeste. Mais comme il n'est pas seul, et que, pour réaliser ses désirs, il me faudrait augmenter notre dépense de plus de dix mille francs, je n'ai pu que lui souhaiter de trouver quelques âmes généreuses. »




Mgr JAUSSEN (Florentin-Étienne
de la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Picpus,
évêque titulaire d'Axieri, vicaire apostolique des îles
Tahiti et Paumotous.

Ce prélat est le doyen d'âge et d'épiscopat de tous les évêques missionnaires d'Océanie.

Il aura, le 9 mai prochain (1888}}, quarante ans qu'il a été nommé évêque d'Axieri, et le 28 août, quarante ans qu'il a été sacré.

Chacun de ces anniversaires est pour les peuple chrétien de Papeete l'occasion de fêtes touchantes.

Nous résumons d'après la lettre d'un missionnaire les détails de l'une de ces solennités.

« La réception des Européens avait eu lieu, la veille (27 août), à l’évêché, en présence des missionnaires de Tahiti et des îles Paumotous, des Frères de Ploërmel, de leurs élèves et des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Outre les catholiques, parmi lesquels se trouvait M. le capitaine d’artillerie français, nommons M. Miller, consul anglais, et madame Miller, et le consul américain. M. Wilkens, consul d’Allemagne, retenu par la maladie, avait exprimé, dans une lettre, son regret de ne pouvoir se rendre à la fête.

« Le lendemain, Mgr Jaussen, en cappa magna, accompagné des prêtres et des Frères de la mission, de tous les catéchistes du vicariat et d’une foule de catholiques et de protestants, s’est rendu, au son des cloches, à l’église de Papeete. Après la messe pontificale, il retourna à l’évêché, accompagné du même cortège. Il y reçut les hommages, les fleurs et les dons en nature des peuplades des différents districts. Le district de Papeete offrit à Mgr le vicaire apostolique une nouvelle cappa magna en papyrus jauni de terra merita et ornée de fines fleurs blanches provenant de l’écorce intérieure de la tige du giraumont.

Arii-Ané, fils de la reine et héritier présomptif de la couronne, fit, quoique protestant, et avec le consentement de la reine, une visite à Mgr Jaussen, qui l’invita à dîner. Arii-Ané accepta l’invitation, ainsi qu’un catholique, son parent, et le chef ministre protestant de Faau.

Le dîner fut servi en plein air, à l’ombre de feuilles de cocotiers disposées sur une charpente. Arii-Ané était à la droite de l’évêque. En même temps, les Tahitiens et Paumotous, catéchistes et autres, prirent aussi leur repas sous les arbres de l’évêché. La fête s’est terminée par des jeux et des himenés chantés en l’honneur de Mgr Jaussen.

À cause de son grand âge, ce prélat a obtenu en 1882 un coadjuteur, Mgr Verdier, évêque titulaire de Mégare.




ÉVÊQUES DE LA SOCIÉTÉ DU SACRÉ-CŒUR D’ISSOUDUN.
Mgr Navarre (André),
évêque titulaire de Pentacomie, vicaire apostolique de
la Mélanésie et administrateur du vicariat apostolique
de la Micronésie.

Le 30 novembre 1887, fête de saint André, apôtre et patron de Mgr Navarre, avait lieu dans l’église paroissiale d’Issoudun, le sacre de ce zélé missionnaire par Mgr Marchal, archevêque de Bourges.

Nous détachons de la circulaire par laquelle Mgr Marchal faisait part à son clergé de l’auguste cérémonie, les lignes suivantes tout à l’honneur du nouvel évêque et de la vaillante Société dont il est le premier membre élevé à l’épiscopat.

« Au mois de septembre 1881, je bénissais le R. P. Navarre, ainsi que ses trois coopérateurs, et je les voyais avec confiance partir sous la protection de Notre-Dame du Sacré-Cœur. Le voyage dura treize mois, et ce fut au prix de fatigues inouïes et à travers des périls qui font penser à ceux qu’énumérait saint Paul, que ces missionnaires abordèrent enfin à la Nouvelle-Bretagne, et ensuite à la Nouvelle-Guinée.

« Je ne puis vous faire un récit, même abrégé, des débuts de leur ministère dans ces contrées étrangères à tout enseignement religieux.

L’avenir de la mission paraît assuré. Elle se développe rapidement et c’est pourquoi le Saint-Père vient de donner à cette mission un évêque, c’est-à-dire un centre qui en reliera toutes les parties, et d’où s’étendront jusqu’aux extrémités du royaume qu’il faut soumettre à JÉSUS-CHRIST, l’impulsion, la direction et la surveillance.

« C’est un des nôtres que le doigt de Dieu a désigné pour ce poste avancé de son royaume ici-bas ; c’est un fils de Notre-Dame du Sacré-Cœur que votre archevêque va sacrer de l’huile sainte qui fait les pontifes.

« Le R. P. Navarre est membre de la Société des missionnaires d’Issoudun, et, s’il est né dans un autre diocèse, il appartient à celui de Bourges par son éducation cléricale et par son ordination. La voix de Dieu l’a fait sortir des rangs du clergé séculier, pour l’attirer, semble-t-il, plus près du cœur de Jésus, en le faisant entrer dans une société qui lui est plus spécialement dévouée. Là, dans l’austérité et les travaux de la vie religieuse, il a préludé aux travaux plus pénibles et plus glorieux auxquels le destinait la Providence.

« Le choix du Vicaire de JÉSUS-CHRIST est allé surprendre le R. P. Navarre au milieu de ses travaux, et il le ramène au berceau de sa vocation ecclésiastique et religieuse. C’est avec émotion que je l’ai revu, épuisé déjà par les fatigues d’un apostolat pour lequel tout est à créer, et où l’existence même du missionnaire est rarement assurée pour plus d’un jour. Il est revenu, pour retourner bientôt à son poste d’honneur et de dévouement, avec un caractère plus élevé et des grâces nouvelles. »

OCÉANIE ORIENTALE

TAHITI. — PAUMOTOUS. — FIDJI.


L'EST des des iles Samoa, mais bien dispersé à plusieurs jours de distance, voici Tahiti, et les Marquises, et les Paumotous.

Nous pénétrons dans le domaine spirituel des Pères de la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Picpus.

Tahiti. — Tahiti est située par 17° 39 de latitude sud, et 151° 48, de longitude ouest. Sa superficie est de 104,215 hectares. L'île est de forme ronde, montagneuse au centre, avec des côtes assez basses sur plusieurs points.

A l’est de l’île est la pointe de Vénus, garnie de pics élevés qu'on aperçoit de quatre-vingt-dix kilomètres en mer ; près de cette pointe, la rade de Matavaï, avec son phare, dont la portée n'est que de dix kilomètres.

Une hauteur considérable, appelée le Diadème, marque le centre de l’île et se détache de loin sur le ciel, flanquée du pic de l’Orohéna découpé en deux pitons de plus de 2,000 mètres de hauteur, et des pitons de l’Aoraï et de Pithoiti, qui ne sont guère plus bas.

Nous avons nommé la vallée Fatahoua. Elle est commandée par un pic de ce nom et présente un défilé des plus pittoresques avec une admirable cascade de deux cents mètres de chute, dont le bassin n’a pas moins de quatre cent vingt mètres d’altitude.

Les rivières qui arrosent Tahiti ont un cours peu étendu, mais elles sont pour ainsi dire innombrables, et leurs eaux, fort belles, forment des cascades à chaque pas.

Au point de vue géologique, Tahiti ne présente pas moins d’intérêt. C’est un soulèvement qui l’a fait sortir de l’Océan : l’action volcanique s’y peut constater encore, car les inégalités du sol ne sont autre chose que les ondulations d’une lave refroidie dans sa course.

D’immenses colonnades basaltiques encadrent aussi ses vallées.

Cependant nul pays n’est plus pauvre en minerais. A peine y a-t-on découvert quelques parcelles de fer à l'état de sulfure.

La flore y est, en revanche, des plus riches et des plus luxuriante, car le sol est excessivement fertile. Les arbres y sont magnifiques, surtout les cocotiers, les pandanus, les orangers et les arbres à pain, qui couvrent les plages. Les forêts sont pleines d'arbres précieux pour la construction et l'ébénisterie.

Avec une si riche nature, les mammifères étaient peu nombreux à Tahiti. A l'exception du cochon et du rat qui y sont fort communs, tous les animaux y ont été importés. Les oiseaux y sont encore extrêmement rares. Il y a peu de serpents dangereux et peu de poissons et d'insectes.

Les Tahitiens ont embrassé le christianisme en 1797. Quarante-huit églises ou chapelles et cinquante-deux écoles ont été élevées par les missionnaires dans les principales îles de l'archipel. Un évêque et vingt-deux prêtres de la Congrégation des Sacrés-Cœurs évangélisent actuellement les indigènes.

Paumotous. — A l'est de l'île Tahiti se trouve l'île Anaa, l'une des Paumotous où le zèle des missionnaires s'est exercé avec le plus de succès.

Anaa ou l'île de la Chaîne était encore, en 1849, plongée dans les ténèbres de l’infidélité ou de l'hérésie, ainsi que l'archipel paumotou dont elle est la métropole. Presque tous les habitants étaient païens. Un petit nombre avaient reçu des bibles de prédicants anglais calvinistes ; quelques-uns avaient embrassé la morale prêchée par des matelots américains appartenant à la secte des Mormons. La conduite des Mormons ne différait guère de celle des plus débauchés d'entre les païens. Les Mormons prêchaient la polygamie qui, chez ces peuplades sauvages, n'avait jamais existé. Cet excès d'immoralité a formé le plus grand obstacle à la conversion et à la moralisation des îles Paumotous. Les missionnaires catholiques n'ont pas reculé devant les difficultés de la tâche, et aujourd'hui Anaa est, en grande majorité, catholique.

L'île d'Anaa est divisée en six districts principaux,
TAHITI. — NATURELS, CASES, ANIMAUX DOMESTIQUES, d'après des croquis (Voir p. 22.)

qui possèdent chacun une belle église en pierres.

Tuuhora, chef-lieu d'Anaa, est aussi la résidence du régent de l'archipel. Placé à l'entrée du lac, autour duquel l'île s'étend comme une ceinture, et dominant la passe du lac, Tuuhora tient la clef de cette mer intérieure. Il est le débarcadère et l'entrepôt général des Paumotous.

Le supérieur de la mission a choisi Tuuhora pour sa résidence ordinaire, pour le centre de l'administration ecclésiastique de l'archipel et pour le rendez-vous des missionnaires et des fidèles à certaines solennités religieuses. En 1851, Mgr Jaussen baptisa dans


OCÉANIE. — ÇAKOBAU, DERNIER ROI DE FIDJI ; d'après une photographie (Voir p. 24)


l’église de Tuuhora Auguste Teina, alors régent des îles Paumotous, dont l’exemple entraîna la conversion de plusieurs autres dignitaires du pays. Cette église est en chaux ; elle a été bien des fois recrépie et badigeonnée à neuf. Depuis la construction de l’église en pierre, elle sert de chapelle pour les catéchismes.

La case en branches de cocotier, que représente la gravure page 13, fut la première demeure des missionnaires catholiques à Témarié.

C’est dans ce presbytère primitif que fut inaugurée la mission d’Anaa ; c’est à l’ombre de ces cocotiers baignés par les flots de l’océan Pacifique,que la Bonne Nouvelle fut annoncée, pour la première fois, aux habitants d'Anaa. Le grain de sénevé a été jeté là ; il s'est développé bientôt, et il couvre maintenant l'île toute entière. En quelques mois, les RR. PP. Clair Fouqué et Benjamin Pépin eurent gagné une soixantaine de néophytes. Le R. P. Albert Montinon, aujourd'hui à Molokai, qui est représenté, p. 13, debout, sous un cocotier, exerça aussi son zèle dans ce district. La chapelle était alors située à une centaine de mètres derrière le presbytère, dans un bois de cocotiers. Comme celle de Tuuhora, elle était en chaux et recouverte en feuilles de cocotier. Le district de Témarié n'est séparé de celui de Tuuhora que par la passe du lac et une bande de récif longue d'environ un mille et demi. C'est le premier village que les navires venant de Tahiti aperçoivent à Anaa.

Dans ce district de Témarié, d'où ils sont partis pour entreprendre la conquête religieuse de l'île, les missionnaires poursuivent aujourd'hui les restes du mormonisme réfugiés au fond des bois de cocotiers.

Iles Fidji. — De ces lointains parages de l'Océanie orientale, portons-nous maintenant au nord-ouest. Nous traversons, sans nous y arrêter, la préfecture apostolique des îles Fidji administrée par les RR. PP. Maristes, îles célèbres par la barbarie de leurs habitants et par le génie de leur roi Çakobau.

Çakobau est la grande figure historique de l'archipel des Fidji ; c'est le Louis XI en raccourci, à la fois violent et rusé, de ces contrées lointaines. Par une politique souvent habile, toujours cruelle, mais dont les missionnaires protestants anglais ont absous les excès par le baptême, Çakobau réussit à étendre sa souveraineté sur la presque totalité des trois cent soixante îles, flots ou rochers qui composent l’archipel et sur 150,000 insulaires qui le peuplent.

Les faits d’anthropophagie et de barbarie abondent dans la vie de ce roi cannibale ; pendant plus de trente ans, il ne passa peut-être pas de semaine sans festin de chair humaine. Aussi n’est-il pas étonnant de l’entendre répondre aux capitaines de navire de guerre, anglais ou américains, qui visitaient de temps à autre ces îles, et qui le sommaient de mettre fin à ses repas d’anthropophages :

« — Vous autres papalagis, vous avez des bœufs, voilà pourquoi vous ne mangez pas les hommes ; pour moi, les hommes sont mes bœufs. »

Jusqu’en 1850 et plus tard encore, telle fut l’existence de Çakobau, qui était roi de fait, quoique son vieux père Tanoa en retint le titre. Les ministres hérétiques eurent à employer toutes leurs ruses et toutes leurs menaces pour s’introduire à Bau, dont le nom commençait à devenir redoutable dans tout l’archipel. Le tigre grinçait des dents contre ceux qui osaient essayer de le faire renoncer au cannibalisme. La gueule des canons qu’il avait l’occasion de voir quelquefois à bord des vaisseaux, l’intimidait cependant, et leurs voix sonores parlèrent hautement en faveur des ministres.

En 1851, Mgr Bataillon, visitant cet archipel, ne put avoir une entrevue avec Çakobau, pour l’engager à recevoir des missionnaires. Les wesleyens n’avaient pas encore pu obtenir cette faveur, et Mgr d’Énos ne fut pas plus heureux. Les premiers parvinrent enfin à pénétrer dans la citadelle en 1853. Il se déclara wesleyen, et tout son royaume eut à le suivre.

Depuis lors, des relations continuelles avec les Européens finirent par lui donner une certaine teinte de civilisation et les Anglais surent s’insinuer si bien dans ses bonnes grâces qu’il finit par leur abandonner en 1874 la souveraineté de son archipel.

Hercules Robinson, gouverneur de la Nouvelle-Galles du Sud, muni des pleins pouvoirs de la Reine, se rendis à Fidji, pour conclure cette affaire.

L'acte de cession pure et simple fut dressé, le 30 septembre, au palais du gouvernement. Il ne serait pas exact de dire qu'il fut signé par Çakobau. Pour cause, il dut se contenter de faire écrire son nom, fit appliquer son sceau et dit : « — Ceci est ma signature et mon acte. »

Tous les grands chefs présents signèrent le document.

L'acte solennel de cession eut lieu le 10 octobre. La nuit précédente et toute la matinée de ce jour, la tempête faisait rage, la pluie tombait par torrents. A une heure, le temps se rasséréna quelque peu, et les préparatifs interrompus se terminèrent en toute hâte. A deux heures vingt minutes, sur Hercules Robinson arrivait, accompagné d'un brillant état major, salué par dix-sept coups de canon et les hourrahs des matelots montés sur des vergues. L'infanterie de marine et les troupes indigènes l'acclamèrent à son débarquement. Çakobau, entouré des chefs et de ses ministres, l'attendait au palais. Il s'assit ayant à sa droite sir Hercules et à sa gauche le commodore Goodenough ; tout le reste de l'assistance se tenait debout. On lut de nouveau en fidjien et en anglais le traité de cession, auquel les chefs, absent le 30 septembre, apposèrent leur signature.

À ce moment, le premier ministre du roi qui abdiquait présenta au gouverneur un énorme casse-tête et lui fit le discours suivant :

« En cédant Fidji à la reine Victoria, le roi désire envoyer à Sa Majesté, par l'entremise de Votre Excellence, le seul objet auquel il tienne encore et qui puissent l'intéresser, sa vieille et favorite massue de guerre. Le casse-tête avait été, jusqu'à ces dernières années, la seule loi dans les Fidji. En abandonnant cette loi de la force pour adopter les principe des nations civilisées, le roi fait de sa vieille arme de guerre la masse du parlement de Fidji. Comme Votre Excellence le voit, on y a gravé dans ce but les emblèmes de la paix et de l’amitié. Le roi me charge de dire à Votre Excellence que, sous cette vieille loi de force, beaucoup de ses sujets, des tribus entières, ont disparu ; mais il reste encore des centaines de mille Fidjiens pour jouir des bienfaits d’un ordre de choses meilleur. Avec cette arme de guerre, le roi envoie aussi à la reine d’Angleterre l’assurance de son amitié et de son respect. Il compte que Sa Majesté et ses successeurs veilleront au bien-être de ses enfants et de son peuple, qui renoncent à leurs coutumes anciennes pour accepter, sous le drapeau anglais, une civilisation plus élevée. »

Ce casse-tête, vieille arme de guerre, était enrichi de divers dessins et décorations en argent.

Le gouverneur signa l'acte de cession et la copie qui en avait été préparée ; puis il se rendit sur le perron du palais. Il déclara à l'assemblée qu'à dater de ce jour Fidji était une possession de la couronne britannique. On amena en silence le drapeau fidjien, et aussitôt apparut l'étendard des royaume unis de la Grande-Bretagne et l'Irlande. Toute la foule le salua par des applaudissements ; la musique de la frégate joua le chant national : God save the Queen, tandis que l'on tirait une salve de vingt-et-un coup de canon. Parmi les réjouissances de cette soirée, les journaux mentionnent le joyeux carillon de l'église du Sacré-Cœur .

Sir Hercules, avant de quitter Fidji, décréta que Çakobau recevrait annuellement une pension de 900 livres sterling (22,500 fr.).




Mais passons. La terre immense des Papous et les innombrables archipels éparpillés sur cette partie de l'Océan pacifique nous attendent. Que de points obscurs, que d 'îles inexplorées, que des terres vierges dans ces myriades de petits royaumes polynésiens !

BORNÉO

Mission chez les Dyaks. Usages et préjugés des indigènes.


i l'on excepte l'Australie, Bornéo est la plus grande île du monde : elle est plus étendue en superficie que la France entière. Le sud appartient à la Hollande ; le nord est gouverné par des sultans indépendants : Sarawak, notamment, a pour souverain un Anglais, Rajah Brooke. Une compagnie anglaise vient de se former dans le but d'exploiter le nord de l'île. La population se compose de Dyaks, de Malais et de Chinois.

Les missionnaires anglais de Mill - Hill ont repris en 1881 l'évangélisation de cette contrée qui, depuis une vingtaine d'années, n'avait pas eu d'apôtres catholiques. C'est dans le nord de l'île, dans les États du Rajah Brooke, roi du Sarawak, qu'ils ont établi leurs premières stations. Les sauvages Dyaks de l'intérieur, voisins de ce royaume, ont également reçu la Bonne Nouvelle.

Les Dyaks. — Le P. Dunn, qui a été chargé de la première mission chez ces indigènes, donne de curieux détails sur leurs usages :

« Entrer dans l'intérieur de la partie nord de Bornéo, n'était pas la moindre de nos difficultés. Presque tout le pays est couvert de forêts et de jungles impénétrables, le pauvre voyageur est souvent obligé


BORNÉO. — INTÉRIEUR D'UN VILLAGE DYAK


de traverser des fleuves remplis de crocodiles, des terrains marécageux. Il doit encore supporter la faim, la soif et autres privations inévitables sous les tropiques.

« Les races de l'intérieur vivent isolées et séparées les unes des autres, sans domicile fixe ; car elle aiment beaucoup le changement.

« Quelques peuples ont conservé l'habitude des sacrifices humains, et un très grand nombre sont head hunters, c'est-à-dire « chasseurs de têtes ». Ce nom leur est donné parce qu'ils tuent les gens pour le plaisir de garder leurs crânes ; ces crânes sont conservés comme des trésors ; j'en ai vu plus de cinquante suspendus dans une seul demeure.

« D'autres coutumes sont trop horribles pour que les énumères ici.

« Leurs constructions sont forts originales. Chaque village se compose seulement de quatre ou cinq maisons, soutenues par de longs poteaux à vingt pieds du sol. On monte à ces habitations aériennes au moyen d'une perche inclinée offrant des entailles qui tiennent lieu de marches. Pour augmenter la sécurité, deux autres perches à portée des mains remplacent les rampes. Arrivés au sommet, nous trouvâmes une plate-forme de bambous disjoints, offrant de distance en distance de larges ouvertures béantes par lesquelles on risquait de tomber dans le vide. « Un long bâtiment, construit en planches brutes de toutes grandeurs et mal assemblées, recouvert de feuilles de palmiers cousues ensembles, occupe toute la longueur ; il est partagé en une quarantaine de petits appartements de 12 à 15 pieds carrés et habité par un nombre égal de familles. Au-dessus du plafond, un grenier contient toutes les richesses du ménage. Un ou deux lits, dressés à quelques pouces de terre, un dais d'étoffe de couleur et, le long des murs, des anneaux de bronze, des ornements de plomb, enfin de larges, hautes et vieilles urnes de terre : voilà tout l'ameublement. A propos de ce dernier article, je ferai remarquer que les Dyaks y attachent le plus grand prix. Imitant à leur insu les collectionneurs européens, qui se disputent, à coups de billets de banque, les vieilles porcelaines de la Chine et du Japon, ces sauvages consacrent des sommes considérables, 200, 300 dollars (1,000, 1,500 fr.) à l’achat d’une seule de ces urnes : plus elles sont anciennes, plus elles sont appréciées.

« Dans chaque maison où nous entrâmes, on nous fit le meilleur accueil. La plus neuve et la plus belle natte était étendue en notre honneur et nous nous asseyions à la mode orientale. On plaçait devant nous, dans des boîtes en métal délicatement ouvrées, du bétel, noix dont les Dyaks et les Malais font une consommation incessante : nous nous contentions d’admirer les boîtes. Le capitaine du fort, un Singalais, nous servait d’interprète.

« Les femmes confectionnent, avec des lamelles de rotin finement fendu, des corbeilles de différentes couleurs ; on nous en montra de jolis échantillons. Les hommes s’occupent de culture, de pêche et recueillent la gutta-percha ; ils fabriquent aussi leurs ornements de bronze et leurs armes. Le costume des hommes se réduit à une pièce d’étoffe de couleur brillante, enroulée autour de la taille et descendant jusqu’aux jambes, les deux extrémités de la pièce pendant devant et derrière. Du poignet à l’épaule, le bras est couvert d’anneaux de cuivre : la cheville du pied l’est également. Un collier et une coiffure de couleur complètent le costume. Rien de beau comme un équipage de Dyaks pagayant sur la rivière ! À chaque mouvement des rameurs, les anneaux métalliques, qui ornent leurs bras, miroitent aux feux du soleil, les riantes nuances de leurs vêtements, le léger bateau. qui file rapidement entre les rives verdoyantes, tout cela offre un spectacle d’un pittoresque achevé.

« Ces indigènes ont une étrange coutume, c’est de tailler leurs dents en pointe, de les peindre en noir, parfois de les percer et de combler le trou avec de l'or ou du cuivre. Leur habitude de mâcher du bétel rend leur salive rouge et fait croire à tout instant qu'ils ont la bouche pleine de sang...

« Nous avons beaucoup de peine à obtenir que les parents nous confient leurs enfants. leurs idées sur les résultats de l'éducation sont des plus primitives. Ainsi un père de famille nous amena un jour son fils et nous pria de l’instruire. Nous lui promîmes de faire de notre mieux. Deux semaines après, le brave indigène nous adressait des reproches.

« — Comment ? disait-il tout mécontent, vous avez
« mon fils depuis quinze jours et sa peau est aussi
« noire qu’auparavant ! »

« Ce ne fut pas sans difficulté que nous lui fîmes comprendre notre impuissance absolue à opérer une telle transformation. Le père, malgré cette déconvenue, consentit pourtant à nous laisser encore le petit élève ; mais il revint bientôt, désireux de juger de ses progrès :

« — Dis-moi, mon garçon, maintenant que tu es
« savant : tardera-t-il beaucoup à pleuvoir ?

« L’enfant naturellement restait sans réponse. Le père passait à une autre question :

« — J’ai perdu mon sabre la semaine dernière ;
« sais-tu qui l’a trouvé ? .

« Après deux ou trois interrogations du même genre, le pauvre sauvage déconcerté déclara qu’il n’y avait décidément plus d’espoir et que nos leçons n’étaient bonnes à rien.

« C’est cependant par l’éducation des jeunes Dyaks que nous pourrons convertir ce peuple. Car, si nous réussissons à former quelques enfants, ils nous serviront de catéchistes et d’auxiliaires.

« Bien des points offriraient à l’évangélisation un terrain favorable,comme j’ai pu m’en assurer dans une exploration que je fis au mont Nado, chez les Dusans, à 125 milles de Labouan. La tribu est gouvernée par une vieille femme nommée Dintas ; c’est dans sa hutte que se réunit la population pour entendre mes communications. J’exposai par interprète le but de ma visite. Lorsque j’eus terminé,les Dusans délibérèrent quelque temps ; plusieurs paraissaient inquiets, et hochaient la tête. Leur décision fut qu’ils trouvaient mes propositions excellentes ; mais qu’ils me rendraient réponse plus tard. La conversion de cette peuplade me paraît facile à obtenir ; elle produirait un effet immense sur les tribus voisines.

MICRONÉSIE ET MÉLANÉSIE

Origines, Abandon, reprise de la mission. La Nouvelle-Guinée. Port-Léon.


L y a quelques années à peine, les ouvriers apostoliques ont enfin réussi à défricher une ou deux coins du champ immense de la Mélanésie et de la Micronésie. Plusieurs tentatives héroïques faites dans l'archipel Salomon ou dans celui des Carolines échouèrent successivement. Les vaillants apôtres à qui le Saint-Siège confia ces îles, y mirent pied à terre aux prix d'efforts inouïs ; mais l'heure de Dieu n'avait pas encore sonné ! Ils durent bientôt les abandonner, à la suite des coups rapides et multipliés qui vinrent frapper ces premiers missionnaires. On n'a pas perdu le souvenir de Mgr Epalle débarquant


MÉLANAISIE. — MAISON DES MISSIONNAIRES A BERIDNI (Nouvelle-Bretagne), d'après un croquis de Mgr Navarre.


sur ces rives inhospitalières, et massacré à son arrivée dans l'île Isabelle (archipel Salomon). Son successeur Mgr Collomb, le suivait au bout de quelques mois dans la tombe où les avaient déjà précédés les PP. Pages et Jacquet, victimes de la férocité des insulaires à San-Christoval. Bientôt après, les PP. Crey et Villien, tombaient dévorés par la fièvre et la brûlante ardeur de ces climats. Les autres missionnaires, épuisés de fatigues et poursuivie par les naturels, de qui quelques-uns reçurent même de graves blessures, abandonnèrent à regret ces îles infortunées où ils n'avaient pas trouvé d'épis mûrs pour la moisson ; mais ils conservèrent l’espoir d’y retourner, sitôt que la bénédiction divine, attirée par le sang des martyrs aurait disposé ces peuples à recevoir la bonne nouvelle du salut.

Mais le sang généreux de ces Martyrs a crié miséricorde et attiré sur ces infortunées populations des grâces de salut. Les efforts tentés récemment ont enfin abouti ; la croix est maintenant arborée sur plusieurs points de ces archipels inhospitaliers.

C’est hier que les PP. Capucins espagnols abordaient aux îles Carolines, le P, Navarre dans la Nouvelle Bretagne, et le P. Vérius dans la Nouvelle Guinée. Notons les impressions de ces hardis apôtres en mettant le pied sur ces terres dévorantes.

La prise de possession de la Nouvelle Guinée par les missionnaires catholiques est de date trop récente (4 juillet 1885) pour que les annales de l’apostolat puissent nous offrir sur ce monde nouveau autre chose que de rapides croquis.

On nous permettra, à raison de l’intérêt qu’elles offrent, de détacher du journal de bofd du P.Vérius, les pages relatant les émouvantes péripéties des dernières journées de sa traversée et de sa première installation dans la grande île.


MÉLANÉSIE. — HABITATION D'UN CANAQUE A LA NOUVELLE GUINÉE, d'après un croquis de Mgr. Navarre. (Voir p. 31.)


Le missionnaire partit, le 19 juin, de Thursday Island, l’une des îles du détroit de Torrès, sur une petite barque de pêche. L’océan était furieux, aussi la navigation fut elle des plus pénibles.

« Vers le soir du 20 juin, raconte le P. Vérius, la mer devint tellement grosse que nous dûmes ancrer derrière l’Ile-Double. Nous en profitâmes pour descendre à terre et faire nos exercices de piété ; car, à bord, impossible de lire ou de parler, on ne peut songer qu’à une chose : se tenir ferme aux mâts et aux cordages, sous peine de prendre un bain forcé et de faire une visite aux poissons. La soirée fut belle ; après nous être reposés un peu à terre, nous plantâmes une croix dans cette île déserte, nous y fîmes notre lecture spirituelle, notre prière, et, après une courte réfection, nous retournâmes à bord. Le lendemain la mer fut meilleure, le surlendemain aussi, mais la nuit venant, nous étions toujours obligés de chercher un refuge derrière une île quelconque. L’île Jorke parut enfin à l’horizon et près d’elle, au mouillage, le « Gordon » grosse barque de pêche mise pour quatre mois à notre disposition. Le lendemain, nouvelles difficultés. Je croyais trouver le bateau tout prêt et tout armé. Il n'a point de boussole. Comment faire ?... retourner à Thursday pour en acheter une ?... Mais pour y aller il m'en faut une. heureusement arrive un bateau qui en a une de reste et qui nous la cède. Enfin, le 25 juin au matin, après avoir célébré le saint sacrifice de la messe dans notre cabane de paille, nous levâmes l'ancre pour la Nouvelle-Guinée.

« La journée fut terrible ; juste au moment de traverser deux bancs de coraux, la pluie se mit à tomber, la mer passait par-dessus le bateau et j'eus mille peines à rassurer mes compagnons de voyage et à me tenir cramponné à l'avant pour examiner la route. Le soir, mouillés jusqu'aux os, nous ancrâmes derrière l'île Darnley, dont l'Albertis parle longuement dans son voyage à Jule-Island. Nous dressâmes la tente sur le pont pour y passer la nuit, mais tout était mouillé. Impossible de sa réchauffer. Pour comble, le vent, agissant sur la tente, fit chasser le bateau sur son ancre et nous renvoya au large. Il nous fallut une bonne heure pour revenir. Le lendemain, impossible de partir. Mais le 27, vers trois heures du matin, le vent étant favorable, nous levâmes l'ancre pour ne plus la jeter qu'en Nouvelle-Guinée. Nous entrions en pleine mer, plus d'îlots pour s'abriter, il fallait marcher. En avant donc, il n'arrivera que ce que le bon Dieu voudra pour sa gloire !

« Toute la journée du 27, la nuit et journée du 28, nous eûmes la mer la plus affreuse : les vagues étaient deux fois plus hautes que les mâts de notre barque. Par trois fois nous faillîmes tous être balayés. Comme l'ont se sent petit dans ces terribles occasions !... Les bons Frères étaient pâles d'effroi, ils me regardaient pour savoir ce qu'ils devaient penser. Enfin, le 28, vers si heures du soir, le ciel s'ouvrit et devint tout à coup serein, du côté de la Nouvelle-Guinée. Une pauvre petite colombe nous avait annoncé la terre ; fatiguée du chemin, elle cherchait à se reposer sur nous voiles. J'en fus touché, tout le monde disait : « C'est de bon augure. »

« Vers le soir, au moment où nous ne pensions qu'à prier, le Frère Gasbarra s'écria :

« La Nouvelle-Guinée !... La Nouvelle-Guinée!... »

« Elle était là, en effet, cette chère Terre Promise. Les larmes nous vinrent aux yeux à tous, larmes de joie et de reconnaissance.

« Deux jours furent employés à reconnaître les lieux. En louvoyant le long de la côte, nous vîmes deux grands villages. Ayant jeté l'ancre devant l'un d'eux, vite les sauvages vinrent à notre bord avec des cocos qu'ils troquèrent pour du tabac.

« Enfin, le 30 juin au soir, nous ancrâmes dans Hall-Sound, en face de l'île Jule ou Roro, but de notre voyage, et où nous devons établir une station qui sera comme la mère de toutes les stations subséquentes de la Nouvelle-Guinée.

« Le lendemain 1er juillet, fut le jour de descente.

« Arrivé dans une baie fort jolie qui se trouve au sud de l'île, le capitaine de notre barque me dit :

« Je vois des maisons..., des plantations..., je vois
« un sauvage, puis deux, puis trois... »

« Arrière donc, lui dis-je, et jetez l'ancre au centre
« de la baie, c'est là que le bon Dieu nous veut. Cette
« baie sera Port-Léon, en perpétuelle mémoire de
« Sa Sainteté Léon XIII' qui nous a confié l’évangélisation
« de la Nouvelle-Guinée, et la colline que voilà
« sera notre future résidence »

« A peine eûmes-nous ancré, que les sauvages se montrèrent en foule sur le rivage. Ils sortaient de toutes parts. Je leur fis signe de venir. Aussitôt une vingtaine d'entre eux se précipitèrent dans leurs pirogues qu'ils tenaient cachées, et se dirigèrent vers nous.

« C'était plus que n'en voulait notre capitaine ; il eut un peu de frayeur et chargea son révolver. Je défendis aux hommes de tirer sans mon ordre. Les sauvages arrièrent, bons, presque timides. Je fis monter les plus âgés et leur donnai un peu de galette de mer. Ils ne se firent pas prier, je vous assure. J'avisai alors l'un d'eux qui se nomme Raouma, et je lui fis entendre que je voulais descendre dans son île près de sa maison. Il comprit mes gestes, et fît éclater sa joie d'une manière extraordinaire. Il voulut savoir qui j'étais :

« Missionary, Missionnaire, » lui répondis-je.

« Le pauvre homme prit cela pour mon nom et depuis, tout le monde m'appelle : « Mitsinary ».

« Quand je vis ces pauvres gens en de si bonnes dispositions, je dis au capitaine :

« Battons le fer pendant qu'il est chaud ; suivez-moi
« avec Frère Nicolas et allons de suite acheter
« un terrain »

« Je pris le paquet préparé d'avance pour cet achat et nous voilà partis sur une pirogue de sauvage. L'affaire fut conclue en un quart d'heure. Raouma, Colva, sa femme, toute sa famille et nous, fîmes le tour de