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SUR LE PETIT NOMBRE DES ELUS[modifier]

SERMON

POUR LE LUNDI DE LA TROISIÈME SEMAINE DE CARÊME.

SUR LE PETIT NOMBRE DES ELUS. Multi leprosi erant in Israël sub Elisœo prophela ; et ncmo eorum mundalus est, nisi Naaman Syrus.

Il y avait beaucoup de lépreux en Israël du temps du prophète Elisée, et aucun d'eux ne fut guéri que le seul Naaman le Syrien.

Luc., c. 4, v, 27.

Vous nous demandez tous les jours , mes frères , s'il est vrai que le chemin du ciel soit si difficile , et si le nombre de ceux qui se sauvent est aussi petit que nous le disons. A une question si souvent proposée, et encore plus souvent éclair- cie, Jésus-Christ vous répond aujourd'hui qu'il y avait beaucoup de veuves en Israël affligées de la famine , et que la seule veuve de Sarepta mérita d'être secourue par le prophète Élie ; que le nombre des lépreux était grand en Israël du temps du prophète Elisée , et que cependant Naaman tout seul fut guéri par l'homme de Dieu.

Pour moi , mes frères , si je venais ici vous alarmer plutôt que vous instruire , il me suffirait de vous exposer simplement ce qu'on lit de plus terrible dans les livres saints sur cette grande vérité ; et , parcourant de siècle en siècle l'histoire des justes , vous montrer que dans tous les temps les élus ont été fort rares. La famille de Noé , seule , sur la terre , sauvée de l'inondation générale ; Abraham , seul discerné de tout le reste des hommes, et devenu le dépositaire de l'alliance ; Josué et Caleb , seuls de six cent mille Hébreux , introduits dans la terre de promesse; un Job, seul juste dans la terre de IIus; Lotli, dans Sodome; les trois enfants juifs, dans Babyloue.

A des figures si effrayantes auraient succédé les expressions des prophètes; vous auriez vu dans Isaïe les élus aussi rares que ces grappes de raisin qu'on trouve encore après la vendange, et qui ont échappé à la diligence du vendangeur ; aussi rares que ces épis qui restent par hasard après la moisson , et que la faux du moissonneur a épargnés.

L'Évangile aurait encore ajouté de nouveaux traits à la terreur de ces images : je vous aurais parlé de deux voies , dont l'une est étroite , rude , et la voie d'un très-petit nomhre ; l'autre, large, spacieuse, semée de fleurs , et, qui est comme la voie publique de tous les hommes; enfin, en vous faisant remarquer que partout dans les livres saints la multitude est toujours le parti des réprouvés; et que les élus, comparés au reste des hommes, ne forment qu'un petit troupeau qui échappe presque à la vue, je vous aurais laissés, sur votre salut , dans des alarmes toujours cruelles à quiconque n'a pas encore renoncé à la foi, et à l'espérance de sa vocation.

Mais que ferais-je en bornant tout le fruit de cette instruction à vous prouver seulement que très-peu de personnes se sauvent? Hélas! je découvrirais le danger, sans apprendre à l'éviter ; je vous montrerais , avec le prophète , le glaive de la colère de Dieu levé sur vos têtes , et je ne vous aiderais pas à vous dérober au coup qui vous menace ; je troublerais les consciences, et je n'instruirais pas les pécheurs.

Mon dessein donc aujourd'hui est de chercher dans nos mœurs les raisons de ce petit nombre. Comme chacun se (latte qu'il n'en sera pas exclu, il importe d'examiner si sa confiance est bien fondée. Je veux , en vous marquant les causes qui rendent le salut si rare , non pas vous faire conclure en général que peu seront sauvés , mais vous réduire à vous demandera vous-mêmes si, vivant comme vous vivez, vous pouvez espérer de l'être : qui suis-je? que fais-je pour le ciel? et quelles peuvent être mes espérances éternelles?

Je ne me propose point d'autre ordre dans une matière aussi importante. Quelles sont les causes qui rendent le salut si rare ? Je vais en marquer trois principales , et voilà le seul plan de ce discours : l'art et les recherches seraient ici mal placés. Appliquez-vous, qui que vous soyez : le sujet ne saurait être plus digne de votre attention , puisqu'il s'agit d'apprendre quelles peuvent être les espérances de votre destinée éternelle, implorons, etc. Ave, Maria, etc.


PREMIÈRE PARTIE. Peu de gens se sauvent , parce qu'on ne peut comprendre dans ce nombre que deux sortes de personnes , ou celles qui ont été assez heureuses pour conserver leur innocence pure et entière , ou celles qui , après l'avoir perdue , l'ont retrouvée dans les travaux de la pénitence : première cause. Il n'y a que ces deux voies de salut; et le ciel n'est ouvert, ou qu'aux innocents ou qu'aux pénitents. Or, de quel côté êtes-vous? êtes-vous innocent? êtes-vous pénitent? Rien de souillé n'entrera dans le royaume de Dieu : il faut donc y porter ou une innocence conservée ou une innocence recouvrée. Or , mourir innocent est un privilège où peu d'âmes peuvent aspirer; vivre pénitent est une grâce que les adoucissements de la discipline et le relâchement de nos mœurs rendent presque encore plus rare. En effet, qui peut prétendre aujourd'hui au salut par un titre d'innocence ? Où sont ces âmes pures en qui le péché n'ait jamais habité, et qui aient conservé jusqu'à la fin le trésor sacré de la première grâce que l'Église leur avait confié dans le baptême, et que Jésus-Christ leur redemandera au jour terrible des vengeances? Dans ces temps heureux où toute l'Église n'était encore qu'une assemblée de saints , il était rare de trouver des fidèles qui , après avoir reçu les dons de l'Esprit saint , et confessé Jésus-Christ dans le sacrement qui nous régénère , retombassent dans le dérèglement de leurs premières mœurs. Auanie et Saphire furent les seuls prévaricateurs de l'Église de Jérusalem ; celle de Corinthe ne vit qu'un incestueux ; la pénitence canonique était alors un remède rare ; et à pei ne parmi ces vrais Israélites se trouvait-il un seul lépreux qu'on fut obligé d'éloigner de l'autel saint , et de séparer de la communion de ses frères.

Mais depuis , la foi s'affaiblissant en commençant à s'étendre, le nombre des justes diminuant à mesure que celui des fidèles augmentait , le progrès de l'Évangile a , ce semble , arrêté celui de la piété ; et le monde entier devenu chrétien a porté enfin avec lui dans l'Église sa corruption et ses maximes. Hélas ! nous nous égarons presque tous dès le sein de nos mères : le premier usage que nous faisons de notrecœur est un crime ; nos premiers penchants sont des passions , et notre raison ne se développe et ne croît que sur les débris de notre innocence. La terre , dit un prophète , est infectée par la corruption de ceux qui l'habitent ; tous ont violé les lois , changé les ordonnances, rompu l'alliance qui devait durer éternellement; tous opèrent l'iniquité , et à peine s'en trouve-t-il un seul qui fasse le bien; l'injustice , la calomnie, le mensonge, la perfidie, l'adultère , les crimes les plus noirs, ont inondé la terre : Mendacium, et furtum , et adullerium, inundavenmt.

Le frère dresse des embûches au frère ; le père est séparé de ses enfants , l'époux de son épouse ; il n'est point de lien qu'un vil intérêt ne divise; la bonne foi n'est plus que la vertu des simples ; les haines sontéternelles; les réconciliations sont des feintes , et jamais on ne regarde un ennemi comme un frère : on se déchire, on se dévore les uns les autres; les assemblées ne sont plus que des censures publiques ; la vertu la plus entière n'est plus à couvert de la contradiction des langues; les jeux sont devenus ou des trafics , ou des fraudes , ou des fureurs ; les repas , ces liens innocents de la société , des excès dont on n'oserait parler ; les plaisirs publics , des écoles de lubricité : notre siècle voit des horreurs que nos pères ne connaissaient même pas ; la ville est une Ninive pécheresse ; la cour est le centre de toutes les passions humaines ; et la vertu , autorisée par l'exemple du souverain , honorée de sa bienveillance , animée par ses bienfaits , y rend le crime pi us circonspect, mais