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Timeless Books



PERSONNAGES

PERSONNAGES.

BELVAL, Comédien.

SOPHIE, Comédienne.

LE COMTE DE MOEURSEVILLE.

VERVILLE.

LA FLEUR, Valet de Belval.



Scène I

BELVAL, regardant à la Pendule.

Comment ! Il est dix heures et ma robe de chambre n'est point arrivée ; ce maraud de tailleur est cause que je me lève une heure plutôt qu'à l'ordinaire ; vous verrez que ce sera inutilement ; cependant il n'a point à se plaindre: il est mieux payé qu'aucun de mes fournisseurs ; je ne lui dois pas mille écus, le fat ! En vérité, cela me met hors de moi. La Fleur !... Oh, je le quitterai... Moi qui le mets à la mode... La Fleur ? Je suis plus mal servi que le dernier Bourgeois ; La Fleur, viendras-tu ?


Scène II

Belval, La Fleur.
LA FLEUR

Monsieur ?

BELVAL

Que devenez-vous donc ? Il faut crier pour vous avoir.

LA FLEUR

J'étais à écouter les instances de ce jeune homme que Monsieur veut bien protéger dans son début.

BELVAL

Mais ne se souvient-t-il pas que je lui ai promis de le faire avertir quand il en sera temps ; qu'il ait la bonté de ne pas me fatiguer, car cela me lasserait.

LA FLEUR

C'est ce que je lui ai observé ; cependant il a tant d'inquiétude, tant de véritable admiration pour Monsieur, que je me suis engagé à une audience pour aujourd'hui.

BELVAL

Comment ! Cela ne se peut pas ; vous êtes toujours d'un zèle ?... Vous vendez mon temps.

LA FLEUR

Tranquillisez-vous ; suivant nos conventions il ne doit rester qu'un demi-quart d'heure ; ce déjeuner galant que vous m'avez fait préparer, signifie des projets, et rien ne sera troublé.

BELVAL

Hé bien, à la bonne heure ; ah ça, je t'appelais pour quelque chose...Ah, pour cette robe de chambre ; conçois-tu ce petit Fraquet qui ose me faire attendre ; cours chez lui, et avertis-le de sa ruine, s'il n'est pas plus exact.

LA FLEUR, d'un air de compassion.

Ah ! Monsieur.

BELVAL

Non ; que j'en mettrai un autre en vogue. Signifie-lui mes intentions très sérieusement, et en t'en allant fais donc entrer ce jeune homme que tu me forces de recevoir.

LA FLEUR

Oui, Monsieur.


Scène III

BELVAL, seul

Il est bien médiocre ! Ah, ah, ah, je rirai bien si cela réussit ; quand ce ne serait que pour me venger de cet autre qui prétend voler de ses propres ailes, qui ne s'informe pas même si j'existe pour se présenter ; c'est d'un orgueil...Vous avez du talent, dit-on, tans pis pour vous ; mon protégé n'en a pas, il aura la préférence, il donnera du relief à mon mérite, il apprendra au Public tout ce que je vaux. Vraiment, Monsieur le hautain, je vous remercie de votre impertinence.


Scène IV

BELVAL, à Verville, qui entrouvre la porte avec une espèce de crainte.

Entrez, mon cher ami, entrez ; rassurezvous, je vous veux du bien.

VERVILLE

Pardon, Monsieur, si j'ai osé insister pour avoir l'honneur de vous voir, mais je me trouve forcé de partir dans quinze jours d'après une lettre que j'ai reçue hier, sinon je manque une place très sûre pour une autre qui est encore très-incertaine.

BELVAL, avec hauteur.

Comment donc, incertaine ?

VERVILLE

Sans doute. Je connais combien votre nom a de poids ; cependant daignez réfléchir au peu de temps qui me reste, surtout avec trois Débuts à passer avant moi.

BELVAL

Qu'est-ce que tout cela fait ? Trois Débuts, dites-vous ?

VERVILLE

Trois ; oui, Monsieur.

BELVAL

Dans douze jours vos trois Rivaux seront coulés à fond.

VERVILLE

Quoi !

BELVAL, sans l'écouter.

Le premier, dans trois jours ; le second, quatre jours après ; le troisième, n'en exigera pas d'avantage. Oui, dans douze jours ce sera une affaire faite.

VERVILLE

Mais si l'un d'eux allait plaire.

BELVAL

Que d'inquiétude ? Mais je veux bien vous mettre hors de peine ; ne conviendrez-vous pas que si je vous recevais avec un air froid, que je vous forçasse par l'ascendant que nous avons sur vous autres Messieurs, à choisir des Pièces où je suis supérieur et qui vous soient peu favorables, il me serait facile de vous écraser par la force de mon jeu et de vous exposer dans un jour peu séduisant.

VERVILLE

J'en conviens.

BELVAL

Je ne vous parle pas encore de toutes les menées que je pourrais mettre en œuvre ; elles demanderaient beaucoup de détails ; jugez seulement si de nouveaux venus, rebutés des uns, fatigués des autres, ruinés par leur séjour, par les frais d'un début, dédaignés même par nos valets, peuvent échapper au naufrage ?

VERVILLE

Vous me persuadez plus que jamais.

BELVAL

Ils arrivent sur la scène accablés d'inquiétudes ; la mémoire leur manque ; le Public murmure, en vain le Souffleur se consume en efforts, la tête n'y est plus, pendant tout le spectacle, ils sont dans le même état ; personne qui les rassure, et vous pouvez croire que le lendemain ils sont peu tentés de reparaître ; aussi quand je vous dis douze jours avant vous, c'est beaucoup.

VERVILLE

Il est vrai que si j'avais à craindre le même sort, je renoncerais bientôt.

BELVAL

Je conviendrai avec vous, si vous voulez, que tout cela n'est pas trop régulier, que des rigoristes regarderaient cette conduite comme une espèce de cabale, mais c'est pourtant le seul moyen de faire voir la gradation des talents. Hé puis, d'ailleurs, pourquoi cette police suscite-t-elle parmi nous ? En voici la raison : c'est que ce serait agir contre soi-même que de souffrir un concurrent en état par ses talents d'enlever à un ancien, ou même de balancer la faveur du Public dont il est en possession.

VERVILLE

Il est vrai que cela est embarrassant, et que les spectateurs sont obligés d'entrer dans ces intérêts particuliers.

BELVAL

À n'en point douter.

VERVILLE

Mais oserais-je vous demander pourquoi vous voulez que je ne débute que le dernier ?

BELVAL

Pour votre avantage. Écoutez-moi bien, nous devons faite croire que nous faisons tous les efforts possibles pour remplacer les sujets qui nous manquent.

VERVILLE

Cela paraît naturel.

BELVAL

Voilà trois débutants dont vous connaissez le sort futur, on en sera dégoûté.

VERVILLE

Cela est probable.

BELVAL

C'est charmant, comme vous voyez. Vous succéderez à ces trois victimes ; mais comment ? Soutenu, dirigé par moi d'abord, sûr de la bonne volonté de mes camarades que je vous obtiendrai, prôné adroitement quelques jours d'avance, tout se réunira pour vous, un certain nombre de billets distribués à des gens dont je vous donnerai la liste, assurera votre succès ; vous paraîtrez avec confiance ; votre mémoire ne vous trahissant pas, on jugera que vous avez une connaissance parfaite de la scène ; vous serez applaudi unanimement par le Public, et par là vous remporterez le prix auquel vous aspirez, et voilà, en un mot, Monsieur, pourquoi il est essentiel que vous ne débutiez que le dernier.

VERVILLE

Et si un jour les spectateurs, s'apercevaient de leur méprise !...

BELVAL

Alors, Monsieur, alors avec mille louis de rente vous vous consoleriez de leur mauvaise humeur ; d'ailleurs, on s'y habitue, et beaucoup de mes camarades m'ont avoué qu'à peine si cela faisait sur eux la moindre impression.

VERVILLE

Il vous fera toujours facile de trouver des gens qui valent moins que vous ; mais moi comment par la suite pourrais-je...

BELVAL

J'ai quelquefois réfléchi sur les conséquences de cette habitude, mais, pour votre tranquillité, sachez que quand vous aurez été quelque temps parmi nous, vous ne douterez plus de votre mérite. C'est à la lettre ; tenez, j'ai vu des gens maigres comme des os, grimaciers à l'excès, petits, mal faits, qui avoient à peine le souffle, jouer des rôles d'Hercule ; des gens sans aucun talent réel, n'ayant tout au plus que deux ou trois grimaces, parasites, impertinents au dernier point, dignes tout au plus des tréteaux, ils étaient applaudis ; des barbouilleurs, déclamer avec emphase ce qu'ils ne sentaient pas, ils étaient supportés ; des gens enfin qui savaient à peine lire, juger des Pièces, présentés, donner hardiment,et de bonne-foi même, des leçons à un auteur qui avait travaillé trente ans ; voilà, je crois pour vous, des motifs de consolation et de courage.

VERVILLE

Tout ce que vous me dites me rassure extrêmement ! Cependant il me reste des remords par rapport à ces pauvres diables qui me seront sacrifiés...

BELVAL, sans l'écouteur, d'un air protecteur.

Adieu ; je voudrais vous retenir plus longtemps, mais persuadez vous que vous faites corps avec nous ; ces jours-ci nous ferons les visites nécessaires, adieu.

VERVILLE, en le saluant très profondément.

Comment vous exprimer tout ce que je vous dois ?

Il sort.

Scène V

BELVAL

Me voilà engagé ; allons, il n'y a pas à reculer ; arrive ce qui voudra, je ne peux plus m'en dédire. Au reste, il est docile,et c'est ce qu'il me faut à moi.

À La Fleur qui rentre avec la robe de chambre.

Ah, te voilà avec ce que j'attendais ; allons vite, essayons-la.

LA FLEUR

Elle est superbe, magnifique ; la couleur est charmante. Ce qu'il y a de plaisant, c'est que des coupons, Fraquet a fait à son petit bonhomme un habit de matelot très joli et sans couture.

BELVAL

Sans couture ? Plaisants coupons ; écoute, n'oublie pas de me faire déduire cet habit de Matelot sur le mémoire. Ce fripon ! Nous verrons cela dans un autre moment. Laisse-moi, j'ai besoin d'être seul, et tiens-toi dans l'antichambre pour recevoir une personne qui doit arriver dans peu.

LA FLEUR

Oui Monsieur.


Scène VI

BELVAL, en robe-de-chambre superbe, se regardant dans sa glace.

Ma foi, de telle manière que je me mette, je suis toujours bien. C'est une folie pourtant que cette robe de chambre ; mais il serait si ridicule d'être surpris sans une certaine élégance... Elle me va très-bien ; mes cheveux, quoique retroussés, flottent avec grâce ; le col agréable, du linge fin, parfumé délicieusement, bien chaussé : qu'une femme vous surprenne dans cet état, elle n'y tient pas. Sophie vient déjeuner avec moi ; je veux qu'elle s'en aille subjuguée. C'est une petite écervelée qui ne croit pas à ces goûts subits et charmants, qui ont fait les délices de nos femmes aimables. Nous verrons.... Ah çà, récapitulons ma journée. Premièrement, Sophie, tout-à-l'heure, dans l'instant ; à midi, rendez-vous chez Monsieur le Duc de Volnay ; ensuite dîner chez ce Prince étranger : à quatre heures et demi, je m'évade et cours dans ma loge m'écraser la tête de mon rôle dans cette Pièce nouvelle. C'est le déplaisant. Pourquoi ne s'en pas tenir à ce que nous avons ? Ce n'est pas ma faute ; je fais tout ce que je puis pour faire renoncer aux Nouveautés. Mais mes camarades se laissent entraîner,et moi je suis la victime de ces complaisances mal entendues. Ce qu'il y a de cruel, c'est que ne pouvant mal jouer, je soutiens seul l'ouvrage auquel je donne un mérite dont le pauvre Auteur ne s'était pas douté... J'entends du bruit ; c'est ma belle et mutine Sophie : ne songeons qu'au plaisir de la voir.


Scène VII

Sophie, Belval.
SOPHIE

En vérité, Belval, il faut que je sois la complaisance même pour venir chez vous au milieu de la pluie, du tonnerre et des éclairs, par le temps le plus affreux.

BELVAL

À voir vos célestes appas, on a dû vous prendre pour une immortelle, qui marche suivie du brillant cortège de la Divinité.

SOPHIE

Oh ! Trêve de galanterie !

BELVAL

Non. Regardez-vous ;et ne me croyez pas assez simple pour louer une femme quand elle ne le mérite pas.

SOPHIE

Ah !... Savez vous que vous me ferez tourner la tête, si vous continuez.

BELVAL

J'aimerais bien autant vous la voir perdre.

SOPHIE

Vous êtes logé avec une magnificence...

BELVAL

Assez bien ; mais il faut que je quitte malgré moi cet appartement.

SOPHIE

Pourquoi donc ? Il est peut être trop cher.

BELVAL

Non, je n'en ai que pour cent louis ; mais je n'ai pas de salon d'été, de cabinet de bains, ni de boudoir.

SOPHIE

Ni de boudoir ? Oh ! Il faut avoir un boudoir.

BELVAL

Vous m'excuserez donc de ne pouvoir vous en présenter un.

SOPHIE, étonnée.

Pour moi, il n'en faut pas.

BELVAL

Ah ! Nous n'en sommes pas encore là. Je vois bien que vous voulez me mettre dans la longue liste de vos conquêtes ; mais, mon cher ami, je ne succomberai pas. Élégance, propos aimables, figure intéressante ; vous avez tout, j'en conviens ;et moi, je suis insensible. Voilà bien des choses perdues, n'est-ce-pas ?

BELVAL

Comment, vous me supposez des apprêts. Non, je vous jure, mon coeur n'a pas de détours. Jugez par d'autres. Est-il un seul homme qui, vous possédant comme moi en tête-à-tête, ne soit tombé à vos pieds.

SOPHIE, avec fierté.

Je ne l'ai jamais souffert. Et où prenez-vous, Monsieur, que ces soit un tête-à-tête que je vous accorde...

BELVAL

Ah ! Sophie, ne m'accablez pas de votre disgrâce.

SOPHIE

Eh bien ! Quittez donc ce ton déjà conquérant que vous prenez avec moi.

BELVAL

Quel petit démon de vertu ! En vérité, Sophie, je vous croyais plus de conduite ; une femme charmante, belle comme vous êtes... Ah ! Profitez de vos beaux jours.

SOPHIE

Vous verrez que je passerai mes beaux jours à aimer Monsieur ; cela serait fort réjouissant. Non, je vous le répète, laissons à nos tragédies cet amour romanesque. Je n'y crois pas,et n'y croirai de ma vie : tenez-vous le pour dit.

BELVAL

Non ; vous reviendrez de cette erreur ;et vous verrez qu'un jour...

SOPHIE

Encore. Ah ! Vous m'impatientez. Brisons là dessus, ou je pars.

BELVAL

Ah ! Trop charmante incrédule ! Allons, sot, je me tais.

SOPHIE

Oui, parlons de choses plus sérieuses.

BELVAL

Heureuse tranquillité ! Vous faites de l'amour un joujou.

Voyant que Sophie paraît vouloir se lever.

Parlons donc de choses sérieuses avec vous, Sophie.

SOPHIE

Vous partez dans quinze jours pour Londres.

BELVAL

Oui, j'ai obtenu un mois de vacances.

SOPHIE

Eh bien ! J'ai la même permission.

BELVAL

Ô Ciel ! Est-il possible ? Ma belle amie : nous ferons route ensemble. Que de triomphes nous allons avoir ! Que de joie nous allons répandre ! Que d'argent nous gagnerons réunis. Ah qu'ils seront heureux ces pauvres Anglais, la tête va leur tourner.

SOPHIE

On dit pourtant qu'elle ne leur tourne pas aisément, c'est une nation froide, sérieuse.

BELVAL

Eh bien, tant mieux : ce sera le plus beau de notre triomphe ; croyez vous, de bonne foi, ma tendre amie, que je sois bien flatté des applaudissements ridicules qu'on nous accorde souvent en France, pour les choses qui le méritent le moins ? engouement pour tout ce qui a un air de nouveauté, voilé le vrai motif de la plus grande partie des éloges que nous recevons, car les ouvrages que nous offrons au public depuis long temps ne sont par faits pour les mériter, c'est donc nous, nous seuls à qui ces pauvres auteurs ont toute l'obligation de leurs succès, et je pourrais dire encore que c'est plus à notre réputation qu'à nous mêmes ; car souvent, ma chère Sophie, je me néglige, je joue d'une manière réellement pitoyable : c'est au point que je le fais quelque fois exprès, pour essayer jusqu'où peut aller la prévention du public, et je suis touté tonné de me voir applaudi à tout rompre, lorsque je pourrais moi les siffler des applaudissements qu'ils me donnent.

SOPHIE

Il est certain que leurs transports sont le plus souvent bien mal placés ; mais c'est un secret qu'il ne faut par leur dire.

BELVAL

Non certainement ; il nous est trop avantageux, mais voila pourquoi je serais bien plus flatté d'être applaudi en Angleterre, faire rire ces braves, roast-beefs, ces John Bulls, comme on les appelle. Pour un comédien Français qu'elle victoire : ce sera le plus beau fleuron de ma couronne.

SOPHIE

Je ne suis pas tout à fait aussi tranquille que vous, mon cher Belval.

BELVAL

Que pourriez-vous craindre, ma bonne amie, ce sont des gens de goût qui se connaissent parfaitement aux bonnes choses et qui par conséquent, nous trouveront charmants vous et moi.

SOPHIE

Oui je sais qu'ils jugent à merveille ; mais j'aime mieux les voir me juger à Paris qu'à Londres.

BELVAL

Et pourquoi ?

SOPHIE

Pourquoi... Les Anglais qui voyagent en France savent comme tous les étrangers possibles qu'ils doivent se soumettre aux moeurs nationales, à nos usages, à nos amusements ; soit qu'ils leur plaisent, soit qu'ils ne leur plaisent pas, mais aller chez eux pour leur faire croire que nous devons leur plaire, c'est avoir la prétention de leur prouver que nos spectacles valent mieux que les leurs, et voilà, je crois, ce que nous aurons quelque peine à leur persuader.

BELVAL

C'est pourtant très vrai.

SOPHIE

D'accord... Que vous et moi pensions comme cela, rien de plus naturel ; mais d'exiger que la nation anglaise préfère notre langue à la sienne, les moeurs, les usages, l'uniformité souvent ennuyeuse de notre théâtre aux libertés, à la licence même qui règne quelquefois sur le sien, nos grands et longs vers sont si difficiles à comprendre, notre ennuyeuse rime est si fatigante pour des oreilles qui n'y sont par faites : en un mot, mon cher ami. Je crois qu'il y a de la présomption à nous croire si sûrs des avantages que nous espérons retirer de ce voyage.

BELVAL

Point du tout, ma chère, on me mande par les dernières lettres que j'ai reçues qu'il y a déjà une souscription remplie de deux ou trois mille guinées, sans un bon bénéfice que nous aurons chacun suivant l'usage charmant de cet excellent pays, je vous dis, ma chère Sophie, nous reviendrons cousus d'or et comblés des applaudissements des trois royaumes.

SOPHIE

Oui je crois bien que pas curiosité les gens comme il faut voudront bien se réunir pour nous entendre, mais ce n'est pas là ce que j'appelle la nation, et je sais qu'elle est sévère pour les novateurs.

BELVAL

Bon, bon, que craignez vous ?

SOPHIE

Ce que je crains... Les pommes cuites, et les oranges...

BELVAL

Ah... La bonne folie... Et moi je les aime de passion, ne craignez rien, ma chère Sophie, notre tournure seule en imposera, vous êtes jeune et jolie, je ne suis... pas mal... Tous les hommes seront pour vous, les femmes voudront bien me témoigner quelques bontés, d'après cette réunion d'intérêts vous voyez clairement que nous voilà à l'abri de toute catastrophe, et que nous ne pouvons mieux faire que de partir : mais comment, mon bel ange, avez-vous pu obtenir ?...

SOPHIE

Prétexte de santé. Vous savez, il y a trois jours, que nous nous quittâmes à sept heures du matin, après avoir passé la nuit à faire mille folies. Le soir, je ne pus jouer ; ce qui hâta par hasard le début de cette nouvelle Actrice qui, je vous réponds, n'eut point parue devant six semaines. Vous me trouvâtes la physionomie d'une langueur assez intéressante : ma glace me dit que vous aviez raison. Je fis mettre sur le champ mes chevaux à la voiture. La crainte de ne pas réussir ajouta à ma pâleur. On me plaignit ; mais je revins vive, animée ; car j'obtins ce que je demandai.

BELVAL

Que peut-on vous refuser ? Vous conviendrez que le Spectacle sera fort ennuyeux pendant votre absence.

SOPHIE

Ah ! Dites pendant la nôtre, Monsieur Belval ; je suis juste.

BELVAL

Julie doit être au désespoir.

SOPHIE

Elle ne le sait pas encore ; j'aurai le plaisir de lui dire ce soir.

BELVAL

Vous jouez, sans doute.

SOPHIE

Non sûrement. On ne me verra qu'après mon retour ; c'est le seul moyen de se faire désirer.

BELVAL

C'est une assez bonne méthode : il y a déjà quelque temps que vous vous en servez ; car cette année-ci...

SOPHIE

Cette année... Mais j'ai joué dix à douze fois au moins.

BELVAL

Cela est différent. Aujourd'hui, cependant, je comptais bien sur vous. Je vous avertis que je serai d'un maussade ; prenez garde avec qui vous me laissez... Il me vient une idée.

SOPHIE

Quoi ?

BELVAL

Vous ne connaissez pas ma petite campagne.

SOPHIE

Qui vous coûte tant d'argent.

BELVAL

Précisément.

SOPHIE

Non, je ne la connais pas.

BELVAL

Eh bien ! Allons-y ce soir : c'est un bijou dont vous serez enchantée.

SOPHIE

Avec vous seul ?

BELVAL

Oui ; vous me craignez si peu.

SOPHIE

Soit ; à condition que vous ne vous en vanterez pas.

BELVAL

Je vous le proteste.

SOPHIE

Allons,

j'y consens donc ; je le veux bien.
BELVAL

Que de grâces !

SOPHIE

Ainsi vous ne jouerez pas non plus : Fierville sera détestable dans votre rôle.

BELVAL

Je l'imagine bien ; mais vous ne sauriez croire comme le pauvre garçon aime à se faire siffler. Il n'en est que plus ferme : il semble que cela le réjouit, il sera pour moi d'une reconnaissance...

SOPHIE

Eh bien ! Vous avez vos fantaisies, j'ai les miennes aussi. J'ai celle, d'aller voir comment nos doubles seront reçus, de voir la grosse humeur du Public ; cela sera très réjouissant.

BELVAL

Mais notre partie.

SOPHIE

Bon, ne croyez-vous pas que je me donne la douleur de voir toute la Pièce : les trois premières Scènes, à la bonne heure ; dans le moment de la grosse crise, voilà tout.

BELVAL

Mais si on nous voyait.

SOPHIE

Eh ! N'ai-je pas cette loge grillée qu'on me prête quand je veux. J'irai bien empaquetée ; vous, le mouchoir sur les dents, chapeau détroussé, costume étranger.

BELVAL

Vous êtes miraculeuse.

SOPHIE

Pour qui donc ces préparatifs ?

BELVAL

Pour vous, pour votre déjeuner.

SOPHIE

Tant pis, car je ne déjeunerai pas.

BELVAL

Pourquoi donc ?

SOPHIE

Je prends les eaux de Vichy.

BELVAL

Je ne vous savais pas malade. Depuis quand ?

SOPHIE

Depuis quinze jours. Je retournais chez moi avec assez de rapidité : ma voiture écrasa le plus joli petit épagneul possible tout pareil à mon bibi. Cette ressemblance, les cris de douleur de ce charmant animal...

BELVAL

Vous ont causé une révolution.

SOPHIE

Oui, très violente.

BELVAL

Ce sera donc pour le premier survenant. Voici justement la Fleur qui vient annoncer quelqu'un. Qui est-ce, La Fleur ?


Scène VIII

La Fleur, Belval, Sophie.
LA FLEUR

C'est un Monsieur qui revient au moins pour la sixième fois.

BELVAL

Le connais-tu ?

LA FLEUR

Non, Monsieur.

BELVAL

Eh bien ! Dis lui que j'y suis. Non, non, que je n'y suis pas.

SOPHIE

Il faut croire qu'il ne vient pas inutilement.

BELVAL

Ah ! Si vous plaidez pour lui, vous obtiendrez tout.

A la Fleur.

A-t-il paru s'impatienter dans les différentes fois ?

LA FLEUR

Il a toujours été d'une patience comme Monsieur l'exige ; et il s'en est allé bien souvent, sachant que vous y étiez, sans marquer la moindre humeur.

BELVAL

À la bonne heure... Fais-le entrer.

LA FLEUR

Oui, Monsieur.

BELVAL

À propos, écoute ; quelle tournure a-t-il ?

LA FLEUR

Il n'en a pas.

BELVAL

Il ne t'a pas dit son nom.

LA FLEUR

Non, Monsieur.

SOPHIE

Il faut croire qu'il en a un.

LA FLEUR

Mais, Monsieur, oserais-je vous prier de le recevoir dans votre antichambre.

BELVAL

Pourquoi ?

LA FLEUR

Ah ! C'est qu'il est si crotté !...

BELVAL, , riant.

Là, bien crotté.

LA FLEUR, riant aussi.

Il est venu à pied par le temps qu'il fait.

BELVAL, , à part.

Ah ! C'est un auteur.

Haut à la Fleur

Qu'importe ; fais ce que je te dis.

Bas à Sophie.

C'est à cause de cela qu'il faut le recevoir.

La Fleur sort.
SOPHIE

Vous êtes un peu méchant. Voyez quelle comparaison ce pauvre malheureux sera obligé de faire.

BELVAL

Bon ! Il fera une satyre ; c'est dans l'ordre ; chacun son rôle... Mais le voici ; taisons-nous.


Scène IX

Le Comte de Moeurseville, Sophie, Belval.
BELVAL

Voilà plusieurs fois, Monsieur, que vous m'avez fait l'honneur de venir chez moi. Je suis désespéré de ne m'y être pas trouvé. Pourrais-je savoir à quoi je puis vous être utile ?

LE COMTE

Différents billets que je vous ai laissés ont pu vous rappeler que vous avez daigné me promettre vos soins, pour une Pièce que je vous ai remise, il y a à peu près trois mois.

BELVAL

Une Pièce... Ah ! Pardonnez-moi... Vous l'appelez.

LE COMTE

L'Oubli de soi-même.

BELVAL

Daignez donc vous seoir ; je ne faisais pas attention...

SOPHIE, au Comte.

C'est un caractère qui promet.

LE COMTE

Oui, Madame ; on ne manque pas d'originaux.

BELVAL

Oui, je crois que je l'ai lu... Je m'en souviens très bien. Mais je vous l'avouerai franchement : elle ne vous convient pas. Ce n'est pas qu'elle ne soit fort bien écrite : au contraire, elle montre aussi que vous avez infiniment d'esprit ; mais le sujet de Morale...

LE COMTE

Déplaît.

BELVAL

Eh bien ! Je ne vous le cache pas.

LE COMTE

Je l'ai toujours craint.

BELVAL

Ne m'en voulez pas de ma franchise.

LE COMTE

Je l'ai toujours trop estimé, pour qu'elle me fit quelque peine.

BELVAL

Cette résignation annonce des talents peu communs : exercez-les, Monsieur, sur un autre sujet, et vous verrez avec combien de zèle je m'emploierai.

LE COMTE

Ah ! Combien de reconnaissance !Je vous quitte, Monsieur ; et ne veux point abuser de vos moments.

BELVAL

Quoi ?Par un temps aussi mauvais.

LE COMTE

Je le prends comme il vient, et sais me faire à tout.

BELVAL

Ah ! Je ne souffrirai pas que vous retourniez à pied : mes chevaux sont à ma voiture ; daignez les accepter.

LE COMTE

Mille obligations, Monsieur ; je ne puis ni ne dois accepter ces offres obligeantes.


Scène X

Le Comte de Moeurseville, Belval, Sophie, La Fleur.
LA FLEUR

Monsieur a sonné.

BELVAL, à La Fleur

Monsieur veut bien prendre ma voiture.

LE COMTE

En vérité, Monsieur.....

BELVAL

Daignez ne pas me refuser...

LE COMTE

J'accepte donc, puisque vous le voulez,et sors pénétré de tout ce que vous faites pour moi. Adieu, Monsieur : Madame, je vous présente mon respect.

Sophie, fait une révérence à la mode ; c'est-à-dire, fait un encensoir de ses reins.

Scène XI

Belval, Sophie.
BELVAL

Est-il sorti donc ? Oui. Il doit être furieux, il va sécher de jalousie.

SOPHIE

Ah ! Je serais curieuse de voir la mine qu'il fait maintenant dans votre équipage.

BELVAL

La mine qu'il fait dans mon équipage ! Ah ! la Fleur m'en rendra bon compte. Fiez-vous à lui ; il est bon Peintre ; il a le mérite de la description.

SOPHIE

À propos, avez-vous remarqué qu'à travers la simplicité de sa mise, il a un certain air d'assurance,et qu'il est d'une figure assez distinguée.

BELVAL, malignement.

Comment, vous avez fait cette remarque ?

D'un air de dédain.

Oui, oui, il est assez bien, pas mal.

SOPHIE

Mais, le connaissez-vous un peu ce Monsieur l'Auteur ?

BELVAL

Ma foi non, pas plus que son ouvrage.

SOPHIE

Comment, vous ne l'auriez pas lu ?

BELVAL

Ah ! Je vous le proteste. Je l'ai jeté avec une vingtaine d'autres qui ont eu le même sort.

SOPHIE

Ah ! Ah ! Ah ! Rien n'est plus plaisant, en vérité. Comment, ces conseils, cet air de persuasion avec lequel vous l'engagiez ?

BELVAL

Il fallait bien dire quelque chose. Je me rappelle qu'il y a trois mois, le jour de cette pièce où nous fûmes l'un et l'autre tant applaudis, je fus entouré après le spectacle d'une trentaine de personnes qui venaient me réitérer les remerciements du plaisir que je leur avais fait éprouver. Dans le nombre était ce Monsieur qui me suivit jusqu'à ma loge. Il m'accabla de nouveaux compliments que je fis semblant de ne pas entendre, parce que je voulais être tranquille : enfin il me remit cette Pièce en question que je fus obligé de prendre. Je lui promis tout ce qu'il voulut ; mais, d'honneur, je n'y ai plus pensé. La Fleur m'a dit qu'il était déjà venu plusieurs fois, et ce n'est que d'aujourd'hui que j'ai consenti à le recevoir, encore en connaissez-vous le motif ?

SOPHIE, devenant subitement sérieuse.

Oui, j'en suis édifiée.

BELVAL

Mais vos beaux yeux se rembrunissent. Quoi ! Une plaisanterie qui, dans le fait, nous délivre d'un mauvais ouvrage ?

SOPHIE

Mauvais ! Il fallait le lire au moins.

BELVAL

Ah ! Je m'aperçois de ce que c'est : vous lui trouvez des qualités que je n'ai pas aperçues : d'ailleurs, il est assez bien fait. Ah, Sophie ! Sous mes yeux un nouveau penchant ; convenez donc que c'est humiliant pour moi.

SOPHIE

Ne vous guérirez-vous pas de ce persiflage ridicule. Je vous répète que votre conduite envers ce Monsieur, est très leste, l'est beaucoup trop.

BELVAL

Mais, réfléchissez donc, ma belle amie ; que s'il fallait lire tout ce qu'on nous présente, nous n'aurions pas le temps d'exister.

SOPHIE

Quand on connaît l'homme pour un méchant auteur, c'est fort bien ; mais quand vous ne pouvez savoir quel est son mérite, pourquoi donc le rebuter aussi durement ?...Je parirais qu'il se doute que vous n'avez pas lu sa pièce.

BELVAL

Oh ! Vous le faites bien pénétrant. Allons, faisons la paix : je vous promets de me faire rendre compte de cette production : j'entre dans vos raisons... Oui, je conçois ce que vous me dites.

SOPHIE

Ah ! Belval, Belval, votre conduite est bien légère ! Si elle n'est pas...

BELVAL

En vérité, ce sont des vapeurs au moins que vous avez. Ne parlons plus de cela, Sophie,et pensons à notre voyage, où nous devons moissonner de l'or et des lauriers. Que cette idée là vous réjouisse : car, je vous l'avouerai, vingt-mille francs ne me suffisent pas : j'avais réellement besoin de ce congé pour arranger mes affaires ; cette campagne, ces meubles, ma voiture et mille autres folies.

SOPHIE

Il est vrai que l'argent me fond dans les mains : je ne sais comment ; une femme est pillée par tout le monde. Eh puis ! N'ai je pas ma famille entière à nourrir. Je suis bien loin de regretter cette dépense ; mais elle abuse un peu de ma complaisance. Que faire à cela ?

BELVAL

Renvoyez-moi la dans la province avec une petite pension, où en leur faisant obtenir quelque place, rien ne vous sera plus facile.

SOPHIE

Vous avez raison. Je garderai seulement ma pauvre mère, car je mourrais, je crois, de douleur, d'en agir avec elle comme tant d'autres femmes. Cette ingratitude, cet orgueil m'inspirent pour elles le mépris et la haine la plus violente.

BELVAL

Cœur excellent ! Combien vous vous attachez ceux qui vous connaissent à fond ? Mais voilà déjà la Fleur de retour.


Scène XII

Sophie, Belval, La Fleur.
BELVAL

Eh bien, La Fleur ! Ce Monsieur l'as tu conduit à son cinquième ?

LA FLEUR

À son cinquième, Monsieur ? C'est, je vous assure, quelqu'un de grande importance.

BELVAL

Bon !

SOPHIE, à Belval.

Eh bien ! Ne m'en étais-je pas douté ?

LA FLEUR

D'ici à votre voiture il m'a suivi en ricanant.

BELVAL, avec hauteur.

Comment, faquin, en ricanant.

LA FLEUR

Eh ! Oui, ma foi, je vous dis la vérité.

BELVAL, du même ton.

Ensuite.

LA FLEUR

Arrivé à votre voiture, je lui en ai ouvert la portière ; il l'a regardé avec admiration.

BELVAL

Ah !

LA FLEUR, à part.

C'est-à-dire, en haussant les épaules.

BELVAL

Que dis-tu ?

LA FLEUR

Ah ! Rien, Monsieur... Je toussais.

BELVAL

Oui...

LA FLEUR

Oui, Monsieur.

BELVAL

Achève.

LA FLEUR

Enfin il est monté,et s'est fait conduire à deux pas d'ici dans un hôtel superbe ;et la preuve qu'il en est le maître, c'est que le Suisse est venu avec son baudrier lui remettre des lettres. Comme il m'avait dit d'attendre, j'ai vu tout cela : ensuite il en a tiré une de sa poche qu'il a ouverte,et à laquelle il a ajouté quelque chose, il m'a recommandé de vous la donner, avec deux louis qu'il m'a prié d'accepter, vous sentez, Monsieur, avec quel plaisir je m'acquitte de cette commission.

BELVAL

Que peut-il me dire ? Voyons.

En ouvrant la Lettre.

Elle était écrite avant de se rendre chez moi...

SOPHIE

Oui, c'est à quoi je réfléchis ; je suis bien curieuse...

BELVAL

Vous allez le savoir.

Il lit.

"Il semble, Monsieur, que vous devriez vous défaire de l'habitude d'offrir des services que secrètement vous vous promettez bien de ne pas rendre." Ce n'est que du verbiage que tout cela ; je l'achèverai dans un autre moment.

SOPHIE

Non pas, s'il vous plaît, je veux l'entendre entièrement.

BELVAL

Mais...

SOPHIE

Je le veux absolument.

BELVAL

Vous le voulez, à la bonne heure.

Il continue.

"Ne me croyez pas votre dupe ; vous n'avez pas lu " ma Pièce." Ah j'aime bien qu'il doute.

SOPHIE

Mais, achevez.

BELVAL, continue

"Car je ne vous en ai point remise. C'est un cahier blanc sous enveloppe que vous avez reçu de moi."

Belval étonné.
SOPHIE

Eh bien !... Voyons, voyons la fin.

BELVAL

Quoi ! Je serais...

A Sophie qui le presse d'achever.

Je continue. " J'ai voulu vérifier si les plaintes que j'ai entendu faire à un jeune homme de ma connaissance avoient quelques fondements. Vous devez croire que je n'ai pas besoin d'autres preuves que les conseils que vous avez bien voulu me donner ce matin, sur ce qui n'existe pas, pour être convaincu qu'il a raison. Comme ma lettre était écrite avant de me rendre chez vous, sachant à point nommé votre réception, et mon dessein étant de la laisser en sortant. Je n'ajouterai que deux mots. Je vous remercie de votre voiture qui est fort douce et plus élégante qu'aucune des miennes : je vous dois cet aveu pour vous prouver ma reconnaissance" Le Comte DE MOEURSEVILLE. Ô Dieu ! C'est moi qui suis complètement sa dupe. Ah, Sophie ! Combien je suis piqué, son persiflage m'accable.

SOPHIE

En vérité, Belval, on le serait à moins : vous avez cru le jouer,et c'est lui qui s'est donné ce plaisir.

BELVAL

S'il allait répandre cette aventure, que je serais humilié ! Un homme de son rang sera cru. Oui, je ne sens que trop que ce caractère léger auquel je me suis abandonné conduit insensiblement à la fatuité et à l'oubli de soi-même. Et je me le rappelle ; c'est le reproche qu'il m'a fait. Je veux désormais qu'on n'ait plus à se plaindre de moi : Je profiterai de mon congé, parce que je ne veux pas passer pour inconséquent ; mais une fois de retour, cabales, intrigues, jalousies, j'oublie tout pour me livrer à mon état. Je n'abuserai plus de mes talents pour accabler mes camarades, étant bien convaincu que la modestie et la franchise me procureront plus de satisfaction que les défauts que je me reconnais ne m'ont donné de plaisirs.

SOPHIE

Votre exemple m'entraîne ; ce retour sur vous-même achève ma conquête ;et réellement ne sentez-vous pas, Belval, qu'il vaut mieux la devoir au sentiment, qu'à ce luxe et à cette coquetterie ridicule qui n'auraient pu me séduire.

BELVAL

Oui, Sophie, oui, vous avez raison.

LA FLEUR, à part.

Le voilà revenu à lui-même. Cela paraissait assez difficile : on voit qu'il ne faut jurer de rien. Les Auteurs ont eu bien souvent la bonhomie de se faire jouer par les Comédiens. Quand ceux-ci se joueraient eux-mêmes à leur tour, quel mal y aurait-il ?

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