Utilisateur:George Barbentane/Brouillon

La bibliothèque libre.
Imprimerie de la Société typographique (p. 1-16).
LETTRES.

– À la Reine.
– Aux Généraux de l’armée.
– Aux Amis de la Constitution.
– Et aux Françaises citoyennes.

DESCRIPTION
DE LA FÊTE DU 3 JUIN,
Par madame DEGOUGES.
À LA REINE.


Madame,

Je suis l’auteur d’une pétition, faite au nom des femmes, pour la fête que l’assemblée nationale a décrété en la mémoire du maire d’Étampes.

Ce jour, madame, sera le triomphe de la loi, de cette loi à laquelle vous êtes soumise ; de cette loi qui défend vos droits. Cette loi, soutien de l’opprimé, terrible aux méchans, va prendre le caractère imposant que doit lui donner la force publique.

Quelle époque, madame, plus favorable que celle-ci pour manifester hautement votre attachement à la constitution ? Le moment est arrivé de confondre les malveillants, et de dissiper les nuages qui nous dérobent la bienfaisante vérité. Je ne puis vous le dissimuler, madame, les bons citoyens voyent des deux côtés, le despotisme et l’esclavage, sous des formes très-différentes ; mais la masse des bons citoyens est trop imposante, pour qu’aucune action puisse jamais lui faire retracter le serment qu’elle a fait de maintenir le monument qu’elle a élevé pour la postérité. C’est à vous, madame, qu’il appartient de donner à la fête décrétée tout l’éclat dont elle est susceptible. Le peuple français, juste, généreux, vous verra avec reconnaissance répandre sur des citoyennes indigentes cette bienfaisance qu’une reine peut orner de tant de grâces ; je crois, madame, prévenir vos vœux, en vous indiquant la manière d’appliquer vos bienfaits dans cette occasion : ce seroit de charger le département de faire distribuer deux cents voiles, ceintures et couronnes, pour des demoiselles qui vivroient chez leurs père et mère, et qui seroient admises au cortège par un billet de la section qui attestera la régularité de leurs mœurs. Il appartient plus particulièrement à la beauté, ornée du diadème, d’encourager les vertus de son sexe. Me permettrez-vous, madame, de finir par quelques réflexions philosophiques ? Puissent-elles vous rappeler à cette popularité si touchante, qui vous caractérisoit, lorsque vous montiez le premier trône du monde ! Rappellez-vous, madame, qu’à cette époque le peuple français n’étoit pas seulement asservi, mais condamné aux fers des esclaves ; en vain le noble cultivateur arrosoit le champ de ses sueurs et de ses larmes ; il nourrissoit les hommes et il manquoit lui-même de pain ; les anciennes déprédations de la cour avoient comblé la mesure des calamités publiques : la révolution germoit dans toutes les ames, et le soulèvement général s’est produit comme l'éclair, qui brise dans un instant les nuages qui couvrent l’astre du jour ! Le tonnerre lui succède rapidement, la foudre éclate et le ciel devient pur et serein.

Au nom de vos plus chers intérêts, madame, rapprochez-vous de la consolante philosophie ; au nom de la patrie ne consultez plus que sa morale qui vous instruira mieux que moi de tout ce qui vous reste à faire, pour régner sur un peuple libre.

Tels sont les vœux d’une citoyenne qui ne cherche point l’éclat, et qui vivra trop heureuse dans l’obscurité, si son dévouement pour la cause publique, peut assurer votre bonheur et celui de l’empire.

Je n’ai point un esprit de cour, madame ; mais si le hasard avoit voulu me placer dans le nombre des femmes qui vous entourent, et qu’il m’eût conservé le caractère qu'il m'a donné, vous ne seriez point dans l’affreuse position où vous vous trouvez, où je ne serois plus. Je vous aurois dit, madame, les abeilles se divisent comme les hommes, et quand l’insurrection s’opère dans une ruche, les efforts de leur souveraine sont impuissans. Elle perd son autorité, et, l’on ne peut ramener l’ordre qu’en alléchant par le moyen du miel l’essaim dispersé. Ah ! madame, si la noblesse avoit professé cette morale, elle n’auroit jamais tourné les armes contre son pays et contre vous-même ; pardonnez, madame, la loyauté que m’inspirent les intérêts sacrés de ma patrie ; si je poursuivois, je pourois vous dire de plus grandes vérités à l’égard de cette perfide noblesse, qui depuis 15 ans n’a cessé de vous livrer à la censure et à la persécution publique ; et vous la soutiendriez ? Non, madame, je ne puis le croire, et l’on vous calomnie ; ouvrez les yeux sur le passé, et voyez l’avenir.

Je suis avec respect,
Madame,
Votre très-humble et très-

obéissante servante,

Marie-Olimpe DEGOUGES
PÉTITION À LA MUNICIPALITÉ.

Monsieur le Maire,

Marie-Olimpe Degouges, infatigable pour servir la bonne cause, isolée de la société depuis longtemps, vient seule, avec confiance, faire part d’un projet à la municipalité sur la fête en mémoire du maire d’Étampes. Elle ne sait pas calculer avec les préjugés qui sont attachés à toutes les démarches de son pauvre sexe ; elle s’est fait homme pour la patrie, et elle en soutiendra le caractère, et mettra seule, sous les yeux de la municipalité, la pétition que les femmes doivent présenter à l’assemblée nationale, persuadées qu’elle l’appuyera de tout son crédit ; sa haine pour les assassins, son amour pour les vertus héroïques, et son dévouement pour les lois, tout lui assure que les magistrats du peuple ne rejetteront point son vœu.

Cette fête solennelle n’est point une fête privée, où la confusion et le désordre puissent y régner ; c’est la réunion de tous les corps administratifs, de la garde nationale, et de tous les bons citoyens que la loi rallie autour d’elle. Il faut donc, messieurs, indiquer aux femmes un cortège particulier, imposant, et une marche directe. Puisse mon vœu pénétrer le cœur et l’esprit de mes concitoyennes, et montrer aux rebelles coalisés avec l’étranger, pour tourner les armes contre leur patrie, que les citoyennes réunies défendront les lois et la constitution ? d’eussent-elles périr comme le maire d’Étampes, victime des factieux.

PÉTITION DES FEMMES À L’ASSEMBLÉE NATIONALE.

Représentans d’un peuple qui n’est plus asservi, nous venons partager vos regrets sur la mort du vertueux maire d’Étampes ; notre sexe, trop foible pour vous égaler en courage, mais aussi, plus sensible à votre perte quand vous succombez sous les fers des meurtriers, embrasse, avec transport, les monumens que vous élevez à la gloire des victimes du patriotisme. Simonneau est mort à son poste, martyr de la loi, du véritable honneur. Cet assassinat atroce nous livre à des larmes éternelles : qu’il nous soit permis, messieurs, d’assister à sa pompe funèbre ; mais que dis-je, dis-je pompe funèbre ! ce sera le triomphe de la loi. Vous lui avez vous-mêmes imprimé ce sacré caractère, nous devons donc tâcher d’y marquer en même temps, et les regrets que nous avons de la perte de ce vertueux magistrat, et du courage doit exciter son triomphe, que toutes les femmes, couvertes de crêpes, précèdent le sarcophage, et qu’une bannière, où sera représenté l’action héroïque de ce grand homme avec cette inscription : À Simonneau, maire d’Étampes, les femmes reconnaissantes, soit déposée par elles, en sa mémoire, au Panthéon Français.

Législateurs, si la porte du champ de Mars nous est fermée, souvenez-vous que chez les peuples les plus fameux, c’étoient les femmes qui couronnoient les héros, et qui assistoient à la pompe funèbre de ceux qui mouroient, les armes à la main, pour la défense de la patrie. La Grèce avoit des sages, la France a des philosophes et des hommes libres ; ouvrez-nous la barrière de l’honneur, et nous vous montrerons le chemin de toutes les vertus.

Les femmes, à la tête de ce cortège national, confondront les partis destructeurs, et les factieux frémiront.

Ce tableau intéressant apprendra à tous les peuples que les francaises sont dignes de marcher à côté des romaines ; laissez-nous jetter des fleurs et brûler des parfums à cette apothéose. Voila, messieurs, le vœu des françaises régénérées, et qui veulent mourir, ou vivre libres ; nous le jurons.

Cortège des dames françaises pour la fête du triomphe de la loi, et l’encouragement au champ de Bellonne.

Une bannière, à laquelle flotteront des rubans tricolores, que tiendront de jeunes personnes, ouvrira la marche ; elle sera postée par une femme vêtue dans le costume suivant : entourée de cent jeunes femmes, qui porteront des corbeilles de fleurs et de vases remplis de parfums. Une couronne civique soutenue par des guirlandes de fleurs, sera portée par une jeune demoiselle, et entourée d’un grand nombre de personnes de son âge.

Un autre groupe de femme portera trois couronnes de lauriers, entrelacées de mirthe, suspendues à une branche de laurier et soutenues par la Renommée qui tiendra à sa main cette inscription : Aux trois généraux, défenseurs de la liberté, s’ils méritent. Ensuite les veuves entoureront le sarcophage. Le cortège marchera sur deux colonnes.

Les jeunes demoiselles seront vêtues de blanc, voile de linon, couronne blanche, ceinture et souliers blancs.

Les femmes mariées, robe blanche, voile noir, couronne de roses, ceinture tricolore.

Si le pouvoir exécutif accepte les vœux des femmes, et qu’il charge le département des détails de cette fête, je lui proposerai d’inviter les dames des spectacles de Paris. Ce sont elles qui connoissent la régularité du costume. Cette régularité imprimera à cette auguste cérémonie l’appareil imposant et tout l’intérêt dont elle est susceptible. Ce spectacle neuf, simple et majestueux à-la-fois, ne paraîtroit-il pas devoir être embelli du charme de quelque chant martial ? Un chœur exécuté par les femmes artistes dramatiques de l’opéra, de la comédie italienne, du théâtre de la rue du Feydeau, etc., sur l’Autel de la patrie, dans lequel on invoqueroit le Dieu Mars à la défense de la liberté, produiroit, sans doute, un effet qui porteroit à l’ame le feu du pins pur civisme, calmeroit les passions factieuses, et rapprocheroit ainsi les partis divisées. Une sensation belliqueuse doit enivrer nos jeunes guerriers ; cette sensation, produite par la beauté, en sera d’autant plus redoutable qu’il n’y a pas un Français qui se combatte pour sa patrie et pour sa dame.

Les momens sont précieux ; il faudroit donc que les poëtes et les musiciens des deux sexes, s’empressassent, sur-le-champ, de la composition du morceau de poësie et de musique que doit consacrer les vœux de la nation à cette fête mémorable.

Si le temps ne permet point de remplir cet objet, ne pourroit-on pas employer des paroles et de la musique connue ? je me rappelle à ce sujet les premiers du chœur d’un opéra qui fût représenté, il y a dix à douze ans, à là comédie Italienne, et dont la musique de M. Gretry, d’un effet vraiment pittoresque et tout-à-fait analogue aux sons guerriers et mélodieux d’une fête telle que celle qui doit être exécutée dans la circonstance mémorable. Je me suis permis de parodier les quatre premiers vers ; mais de crainte de ne pas arriver à mon but, je me suis arrêté à la moitié du chemin ; et voici la strophe.

Les hommes chanteurs

Air : Dieu d’amour en ce jour, etc.

 Ô Dieu Mars,
Tes hasards
N’ont rien qui nous épouvante ;
Et nos droits,
Et nos lois,
Guideront nos exploits. 

On peut encore ajouter à ce cortège des emblèmes plus intéressans et plus imposans. Une femme, sous le costume de la liberté telle que la dépeint M. David dans son tableau, seroit à la tête du peuple qui ouvriroit la première marche.

Ensuite viendroit Bellone avec son costume guerrier à la tête de la garde nationale.

Troisièmement une femme qui représenteroit la justice, seroit à la tête du département et de la municipalité qui précéderoit le sarcophage.

Quatrièmement, on verroit arriver la France à la tête de l’assemblée nationale, et si le roi, avec le président de l’assemblée pouvoient être à ses côtés, cette cérémonie deviendroit la première du monde.

Mon enthousiasme me porte peut-être trop loin pour cette fête ; le deuil doit s’y marquer, mais elle doit aussi nous laisser l’espérance de la victoire et la certitude de célébrer sous peu le triomphe de la patrie.

LETTRE AU PRÉSIDENT DU CLUB DES JACOBINS,

Monsieur le Président,

Toute entière au bien public, je ne vois plus que lui et le rapprochement de tous les citoyens. Le salut de l’empire ne dépend que de cette réunion ; puisse la fête qui se prépare l’opérer. Haine, vengeance, orgueil doivent s’étouffer dans un si beau jour. Puissent toutes les petites passions s’évanouir à l’aspect de l’étendue du bien qu’elle peut produire pour faire place au noble orgueil de faire triompher la vérité.

C’est dans cet espoir que j’ai conçu le projet que j’adresse à la société, elle s’empressera sans doute, d’y applaudir et d’en encourager son exécution.

Je suis, Monsieur le Président, avec tous les sentiments de l’égalité, etc.

Invitation aux dames françaises, pour la fête du maire d’Etampes.

Mes concitoyennes, ne seroit-il pas le temps qu’il se fit aussi parmi nous une révolution ? les femmes seront-elles toujours isolées les unes des autres, et ne feront-elles jamais corps avec la société, que pour médire de leur sexe, et faire pitié à l’autre ?

Françaises, le moment est venu d’imiter les Romaines et d’abjurer l’aristocratie de la beauté qui semble encourager celle des ennemis de la patrie.

Notre régne est comme celui de la rose, il passe rapidement ; mais celui des vertus nous accompagne jusqu’à nos derniers momens, et nous vivons l’avenir. Mon lengage jadis auroit paru étranger à mon sexe, aujourd’hui il doit lui être familier ; les femmes timides doivent s’enhardir ; les femmes et les mères éclairées doivent encourager les jeunes demoiselles, et remplir le vœu que j’ai fait au nom des femmes à la mémoire du maire d’Etampes ; c’est en vain qu’on auroit voulu me persuader que les françaises sont incapables de cet héroïsme, et que le nombre des femmes qui assisteront à se cortège ne sera pas considérable. Voudroit-elle dans cette époque se convrir d’une éternelle ignominie, et à la place de cette inscription générale, voir imprimer par les malveillants à Simonneau, maire d’Etampes, une seule femme reconnoissante ? Non, non mes concitoyennes, vous ne perdrez pas le fruit de la révolution, vous imprimerez à cette fête la plus distinguée que la nation et le roi vous à donné, en vous plaçant au rang des corps administratifs ; vous y impprimerez à-la-fois votre amour pour les actions héroïques, pour les lois et pour la constitution ; voyez le péril éminent qui nous menace, et restez, si vous le pouvez, dans une coupable indifférence, les pouvoirs méconnus, la violation des lois, l’insubordinalion de l’armée, les propriétés menacées, les talens et les arts près à rentrer dans les ténèbres et le renversement total du plus beau des royaumes. Quel triomphe pour les Françaises, si, prennant part à la cause publique, elles détournent les fléaux de l’humanité !

LETTRE AUX GÉNÉRAUX DE L’ARMÉE.

Généraux de l’armée française, guerriers intrépides, défenseurs d’un peuple libre ! Braves soldats fermez l’oreille à l’intrigue, à la calomnie, et gardez-vous d’un découragement coupable.

Que l’honneur qui a pétri vos ames tous serve de bouclier, et les tiennent toujours dans la sécurité de l’innocence. Il s’est point aisé d’inculper des héros, tels que vous ; l’univers a les yeux ouverts ! Mars et Bellonne vous préparent des moissons de lauriers, qui serviront un jour de liens fraternels, pour unir tous les peuples aux chars de la liberté que vous défendez.

Triumvirats intéressants d’un empire régénéré, soyez, comme Bayard, au champ de Mars, sans peur et sans réproches ; le beau sexe vous prépare déjà des couronnes. Les ennemis d’une si belle cause tenteront en vaîn la dissolution de l’armée et la dissention entre le chef et te soldat ; le point d’honneur sur le champ de bataille, les réunira sans cesse. Quand vous combattrez pour la liberté pour la patrie, quel est le soldat qui n’obéira point à son chef ? Puisse votre gloire, après cette expédition passer chez nos derniers neveux, et effacer des pages de notre histoire ces tableaux horribles de conspirations de trahisons et de forfaits.

Et toi la Fayette, qui dans ton aurore t’es signalé pour la liberté chez un peuple étranger ; héros, chéri de deux mondes, redoute l’adulation plus que la calomnie ; la haine te sert, et la flatterie te trompe ; le civisme et la valeur, voilà tes guides.

Lukner, la Fayette, combattes, triomphes ! Et toi, Rochambeau, reprends le commandement ; le salut de l’empire dépend de grandes combinaisons de vous trois ; il faut vaincre ou mourir, voilà votre devise. La Renommée portera vos exploits chez tous les peuples, et les retracera dans les siècles les plus reculés : mourez comme vous avez vécu. Quelques années de plus peuvent-elles être calculées par des véritables guerriers, et mises en comparaison avec des siècles de gloire ? Combattez et mourez pour la liberté, sur les débris de nos adversaires. Votre courage belliqueux enflammera le cœur de tous nos jeunes guerriers ; ne voyez que la patrie trône, amis, parens de Coblentz, tous vous êtes étrangers. Si le roi des français seconde véritablement votre entreprise, comme tout bon citoyen doit le croire, son peuple saura bien détruire ses ennemis du dedans : chargez-vous de ceux du dehors, et ça ira.

Les vrais amis du bien public m’accorderont, sans doute l’indulgence que mérite mon attachement pour la bonne cause. Si je ne possède pas l’art d’écrire, je possède du moins la vertu de bien penser, en dépit de l’envie et de la persécution dont on m’abreuve journellement ; le temps ne me permet pas d’achever ; les méchans me poursuivent : ils ont bien poursuivi l’auteur de l’auguste contract social ; mais les méchans périssent et l’innocence triomphe.

Je me permettrai d’ajouter que, menacée d’une fluxion de poitrine, j’ai quitté mon lit pour m’occuper de ma patrie. Ah, le bon médecin que la patrie pour une ame civique ! d’une maladie sérieuse, je suis passée rapidement à une santé robuste ; cependant je crois que cette production se ressent de la foiblesse de mes esprits ; c’est l’effet de ma létargie. Puisse mon délire devenir épidémique, et enfiévrer tous les frauçais de l’amour de la patrie.

Les émigrans disent que nous ne sommes déjà que trop fous. Oui, malheureusement pour nous divisier : il est bien nécessaire que je dise deux mots à ce suget, sur la rencontre que j’ai fait d’un ex-marquis, jeudi 23 mai 1792.

Ah ! vous voilà, madame Degouges, s’écria-t-il de loin ? et comment vous portez-vous ? cahin caha, n’est-ce-pas ? Qu’appelez-vous cahin caha ! me prenez-vous pour un aristocrate ? apprenez que je suis solide dans ma marche est ferme sur mes pieds. Est-il possible qu’une femme d’esprit, ajouta-t-il, ait embrassé un si mauvais parti ? oui, certes, la raison, les droits de la nature, et tout ce qui caractérise le jugement de l’homme, ne sont point dignes d’intéresser le sage. Mais voyez, voyez, dit-il, votre armée, vos citoyens ; point de chef, point de subordination, point de général, point de réunion de citoyens, et vous seriez perdus si nous l’avions déjà voulu ; nous avons pour nous la combinaison, la prudence et des soldats consommés. Je bouillois et je lui aurois donné volontiers un soufflet de bon cœur si je n’avois pas craint de justifier cette crannerie sur laquelle le ci-devant noble compte si fort ; mais, reprenant mon sang froid, je lui dis en le laissant, si l’insubordination est dans l’armée française, c’est un grand malheur ; si les citoyens ne se réunissent pas, sans doute c’en est encore un plus grand, toutes vos espérances sont fondées sur la dissension et la division ; mais si la réunion s’opère, vous vous regardez comme perdus : elle s’opérera, c’est moi qui vous l’assure. Il s’en fut en ricannant, et moi en haussant les épaules ! D’après cette conversation, guerriers mes concitoyens, songez que la victoire ne dépend entièrement que de la subordonnation de l’armée, et de l’harmonie du royaume ; et si nous la perdons, ce sera de notre faute. Nous serons dignes du mépris de la postérité, quand nous pouvons en être éternellement le modèle.

Marie-Olimpe DEGOUGES
À PARIS, de l’Imprimerie de la Société Typographique, aux Jacobins Saint-Honoré.