Utilisateur:SyB~Anicium/Pline/IIbis

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Traduction par Émile Littré.
Dubochet, Le Chevalier et Cie (p. 99-106).
Livre II (bilingue)

LIVRE II.

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I.

1(I.) Le monde, ou, ce que l’on est convenu d’appeler d’un autre nom, le ciel, qui embrasse tout dans ses replis, doit être considéré comme une divinité éternelle, immense, sans commencement et sans fin. Rechercher ce qui est en dehors est sans intérêt pour les hommes, et au-dessus des conjectures de leur esprit. Le monde est sacré, éternel, immense, tout dans tout, et, à bien dire, il est lui-même le tout ; infini, il semble être fini ; possédant la certitude de toutes choses, il semble livré à l’incertitude ; au dehors, au dedans, il renferme tout en soi ; il est à la fois l’œuvre de 2la nature et la nature elle-même. Ce fut une folie à quelques-uns de s’être occupés à en chercher l’étendue, et d’avoir eu la prétention de l’indiquer ; ce fut une folie à d’autres, qui s’appuyèrent de ces essais ou qui y donnèrent lieu, d’assurer qu’il y avait une infinité de mondes ; de sorte qu’il faudrait croire ou à une infinité de natures, ou, si une seule nature présidait à tout, à une infinité de soleils, à une infinité de lunes, et autres astres, qui seraient, comme ils le sont déjà dans notre seul monde, immenses et innombrables. Est-ce que la pensée arrivée au terme ne se fera pas toujours la même question, par le désir de toucher à une limite ? ou, si l’on peut accorder l’infini à la nature artisan de tout, n’est-il pas plus facile de concevoir cet infini dans une seule œuvre, surtout si l’on se représente combien elle est grande ? 3Folie, pure folie, de vouloir sortir du monde et d’en scruter l’extérieur, comme si l’intérieur en était déjà tellement connu ! Et d’ailleurs, comment un être qui ne connaît pas sa propre mesure pourrait-il mesurer quoi que ce soit ? ou l’esprit de l’homme voir des choses que le monde lui-même ne renferme pas ?

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II.

1(II.) Le monde a la forme d’un globe parfait, ce qu’indique d’abord ce nom de globe que les hommes lui ont donné unanimement ; puis les faits le démontrent. En effet, non seulement une telle figure a toutes ses parties convergentes l’une vers l’autre, elle se supporte elle-même, elle se renferme et se contient, n’ayant besoin d’aucun lien, et ne présentant nulle part ni commencement ni fin :2 non seulement elle est la plus appropriée au mode de révolution qui, comme nous le verrons bientôt, lui appartient, mais encore les yeux en rendent témoignage ; car, de quelque point qu’on le regarde, il offre une voûte dont le spectateur occupe le centre, ce qui ne peut être que dans la figure sphérique.

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III.

1(III.) Cette figure, animée d’un mouvement éternel et sans repos, exécute sa révolution avec une vitesse ineffable dans l’espace de vingt-quatre heures : c’est un fait sur lequel le lever et le coucher du soleil n’ont laissé aucun doute. Faut-il croire que le bruit produit par la rotation perpétuelle d’une masse aussi énorme est infini, et par là échappe à notre ouïe ? C’est ce que je ne puis dire, pas plus que je ne dirai si le son produit par les astres qui se meuvent ensemble dans leurs orbes est un concert d’une harmonie et d’une suavité incroyable. 2Pour nous, placés dans l’intérieur, le monde, le jour comme la nuit, chemine silencieusement. Un nombre infini d’images d’animaux et de choses de toute espèce est empreint sur la voûte céleste. En vain des auteurs d’un grand nom ont dit qu’elle était d’un poli uniforme, comme est l’œuf des oiseaux ; les faits montrent le contraire, car de là tombent les germes de toutes choses, qui, se confondant souvent, donnent naissance, surtout dans la mer, à des formes innombrables et monstrueuses : 3en outre, nous y découvrons par la vue, ici un chariot, là un ours, là un taureau, ailleurs la figure d’une lettre, et un cercle blanchâtre qui en traverse le point le plus élevé. (IV.) J’ajouterai que le consentement des hommes me touche ; car ce que les Grecs ont appelé κόσμος, d’un mot qui signifie ornement, nous l’appelons monde, d’un mot qui indique une élégance parfaite et suprême. Le ciel (cœlum), sans aucun doute, tire son nom du mot ciseler (cœlare), d’après l’étymologie de M. Varron, à laquelle l’arrangement de l’univers vient en aide, puisque le cercle appelé zodiaque est marqué de douze figures d’animaux parcourues (1) par le soleil, selon un ordre qui ne se dément pas depuis tant de siècles.

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IV.

1(V.) Quant aux éléments, je remarque qu’il ne s’élève aucun doute ; on en compte quatre : le feu occupe la région supérieure, de là tant d’étoiles qui brillent comme autant d’yeux au haut du ciel. Au-dessous vient l’air, qui porte le même nom dans notre langue et dans celle des Grecs : il est le souffle de vie, il pénètre à travers toutes choses, il n’est rien où il ne soit insinué. Par la force de l’air, la terre, avec l’eau, quatrième élément, est suspendue en équilibre au milieu de l’espace. C’est l’entrelacement mutuel de ces éléments divers qui en constitue le lien ; les substances légères sont retenues par les substances pesantes, qui ne leur permettent pas de s’élever ; et, par compensation, les substances pesantes ne peuvent tomber, tenues en suspension par les substances légères, qui tendent à monter. 2Ainsi un effort égal en sens contraire maintient dans leur place les choses resserrées encore par le mouvement circulaire du monde, que rien n’arrête. Dans cette révolution éternelle de l’univers, la terre est au fond et au milieu de l’ensemble ; elle est le point cardinal du monde, tenant en équilibre ce qui la tient elle-même en suspension. De la sorte, elle est seule immobile, tandis que tout se meut autour d’elle ; elle a des liens dans toute chose, et toute chose s’appuie sur elle. (VI.) 3Entre elle et le ciel, la même force de l’air tient suspendus à des intervalles réglés sept astres que nous appelons errants à cause de leur marche, bien que rien ne soit moins errant que ces corps. Au milieu de ces astres roule le soleil, dont la grandeur et la puissance l’emportent sur tous les autres, et qui gouverne non seulement nos saisons et nos climats, mais encore les astres et le ciel lui-même. Il est la vie ou plutôt l’âme du monde entier ; il est le principal régulateur, la principale divinité de la nature : c’est du moins ce qu’il faut croire, si nous en jugeons par ses œuvres. 4C’est lui qui donne la lumière aux choses, et qui enlève les ténèbres ; c’est lui qui éclipse et qui illumine les autres astres ; c’est lui qui règle, d’après les besoins de la nature, les alternatives des saisons, et l’année toujours renaissante ; c’est lui qui dissipe la tristesse du ciel, et qui même écarte les nuages jetés sur l’esprit humain ; c’est lui qui prête sa lumière aux autres corps célestes. Admirable, sans rival, il voit tout, il entend même tout ; double attribut que je trouve accordé à lui seul par Homère, le prince des lettres (Ib. III, 277).

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V.

1(VII.) Aussi c’est, je pense, le fait de la faiblesse humaine, que de chercher l’image et la forme de Dieu. Quel que soit Dieu, si tant est que ce n’est pas le soleil, et en quelque région qu’il réside, il est tout sensation, tout œil, tout oreille, tout âme, tout vie, tout lui-même. Croire qu’il y en a un nombre infini, et quelques-uns même imaginés d’après les vertus et les vices des hommes, tels que la Pudicité, la Concorde, l’Intelligence, l’Espérance, l’Honneur, la Clémence, la Foi, ou croire avec Démocrite qu’il n’y en a que deux, la Peine et le Bienfait, c’est passer les bornes de la stupidité. 2L’humanité débile et souffrante, se souvenant de sa faiblesse, a établi ces divisions, et voulu que chacun pût adorer celle dont il avait le plus besoin. Aussi voyons-nous les noms des dieux changer avec les nations, et chacune avoir des divinités innombrables. Les divinités infernales elles-mêmes sont divisées en classes, ainsi que les maladies et beaucoup de fléaux qui épouvantent, et qu’on voudrait par là détourner. Ainsi l’État a consacré un temple à la Fièvre sur le mont Palatin, un autre à la déesse Orbona (2) auprès de celui des dieux Lares, et un autel à la Mauvaise Fortune dans les Esquilies. 3On peut croire que la population des êtres divins est plus considérable que celle des hommes, car d’une part chaque individu se fait pour lui un dieu, adoptant un Génie, une Junon qui n’est qu’à lui ; d’autre part les nations ont pour divinités certains animaux, même des animaux immondes, et bien d’autres choses plus honteuses à rapporter ; et l’on y jure (3) par l’oignon fétide (XIX, 32), l’ail, et objets semblables. Quant à croire qu’il y a des mariages entre les dieux, sans qu’il en naisse personne depuis un si long espace de temps ; quant à s’imaginer que les uns sont âgés et toujours en cheveux blancs, les autres jeunes, enfants, noirs, ailés, boiteux, issus d’un œuf, vivant et mourant alternativement, ce sont là des rêveries presque puériles. 4Mais ce qui passe toute impudence, c’est de supposer des adultères entre eux, puis des querelles et des haines, et même de se figurer des divinités protectrices du larcin et du crime. L’homme devient dieu pour l’homme en le secourant ; ce chemin est celui de la gloire éternelle. C’est dans cette voie qu’ont marché les héros de Rome ; c’est dans cette voie que d’un pas divin marche maintenant avec ses fils le plus grand souverain de tous les âges, Vespasien, dont les mains soutiennent l’empire affaissé. 5La plus ancienne coutume de rendre grâce à des bienfaiteurs, c’est de les mettre au rang des dieux. En effet, les noms de toutes les divinités et ceux des astres, que j’ai rapportés plus haut, sont ceux de personnages bienfaisants pour l’humanité. Ira-t-on dire qu’il y a un Jupiter ou un Mercure, des dieux désignés par des noms à eux, et une liste de personnages célestes ? qui ne voit que l’explication de la nature rend digne de risée une pareille imagination (4) ? 6Quant à la cause suprême, quelle qu’elle soit, lui attribuera-t-on le soin des choses humaines ? ou supposera-t-on qu’elle ne se souille pas par un ministère aussi triste et aussi minutieux ? Lequel croire ou lequel rejeter ? On ne sait vraiment ce qui vaut le mieux pour le genre humain, puisque les hommes ou n’ont aucun souci des dieux, ou n’en ont que des idées honteuses. Les uns se font esclaves de superstitions étrangères, portent leurs dieux au doigt, adorent (5) jusqu’à des monstruosités, proscrivent ou imaginent des mets, et s’imposent des lois dures, qui ne laissent pas même le sommeil tranquille ; ni mariages, ni adoption, rien enfin ne se passe des cérémonies sacrées. Les autres trompent dans le Capitole, et se parjurent devant Jupiter et sa foudre. Ceux-ci trouvent un appui dans leurs crimes ; ceux-là rencontrent un supplice dans l’objet de leurs adorations.

7Entre ces deux opinions opposées, l’humanité s’est créé une divinité intermédiaire, comme pour embarrasser encore les conjectures sur la Divinité. Dans le monde entier, en tous lieux, à toute heure, une voix universelle n’implore que la Fortune ; on ne nomme qu’elle, on n’accuse qu’elle, ce n’est qu’elle qu’on rend responsable ; seul objet des pensées, de louanges, des reproches, on l’adore en l’injuriant ; inconstante, regardée même comme aveugle par la plupart, vagabonde, fugitive, incertaine, changeante, protectrice de ceux qui ne méritent pas ses faveurs ; on lui impute la perte et le gain. Dans le compte des humains, elle seule fait l’actif et le passif ; et tel est sur nous l’empire du sort, qu’il n’y a plus d’autre divinité que ce même Sort, qui rend incertaine l’existence de Dieu.

8D’autres expulsent aussi la Fortune, ils assignent les ornements à leur étoile, la nativité fait tout ; Dieu décrète une fois pour toutes le destin des hommes à venir, et du reste demeure dans le repos. Cette opinion commence à se fixer dans les esprits ; le vulgaire lettré et le vulgaire ignorant s’y précipitent également. Voici venir les avertissements donnés par les éclairs, les prévisions des oracles, les prédictions des aruspices ; et l’on va même jusqu’à tirer pronostic de circonstances insignifiantes, des éternuements, et des objets que heurte le pied. Le dieu Auguste a rapporté que malheureusement il avait mis son soulier gauche le premier le jour où il faillit périr dans une sédition militaire. 9Tout cela embarrasse l’humanité imprévoyante ; et une seule chose est certaine, c’est que rien n’est certain, et que l’homme est ce qu’il y a de plus misérable ou de plus orgueilleux. Les autres animaux n’ont qu’un soin, celui de leur nourriture, et la bénignité de la nature y pourvoit spontanément ; condition bien préférable (6) à tous les biens, quand elle ne le serait que par ne penser jamais à la gloire, à la richesse, à l’ambition, et surtout à la mort.

10Toutefois il est bon dans la société de croire que les dieux prennent soin des choses humaines ; que des punitions, quelquefois tardives à cause des occupations de la Divinité dans un si vaste ensemble, ne manquent jamais cependant d’atteindre le coupable, et que l’homme n’a pas été créé aussi voisin d’elle, pour ne pas être estimé plus haut que les bêtes. 11Ce qui nous console surtout de l’imperfection de notre nature, c’est que Dieu lui même ne peut pas tout ; il ne peut se donner la mort, quand même il le voudrait, la mort, qui est ce qu’il a fait de mieux pour l’homme au milieu des douleurs si grandes de la vie ; il ne peut rendre un mortel immortel, ni ressusciter les trépassés, ni faire que celui qui a vécu n’ait pas vécu ; que celui qui a géré les charges ne les ait pas gérées ; il n’a sur les choses passées aucun droit, si ce n’est celui de l’oubli : et, pour montrer même par des arguments moins sérieux notre conformité avec Dieu, il ne peut pas faire que deux fois dix ne soit pas vingt, et beaucoup d’autres choses semblables, ce qui témoigne indubitablement la puissance de la nature et son identité avec ce que nous appelons Dieu. Cette digression sur un sujet si familier, à cause des controverses continuelles dont Dieu est l’objet, n’aura pas paru hors de propos.

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VI.

1(VIII.) Revenons aux astres, que nous avons dits fixés au monde (II, 4, no 3). Il ne s’agit pas de ces étoiles auxquelles a foi le vulgaire, attribuées à chacun de nous, brillantes pour les riches, moindres pour les pauvres, obscures pour les vies qui s’éteignent, d’un éclat proportionné à la condition des mortels à qui elles sont assignées. Ils ne naissent ni ne meurent avec un individu humain ; et quand ils tombent ils n’indiquent la mort de personne. Nous ne sommes pas tellement associés aux choses du ciel, qu’à notre destinée soit attachée l’éclipse de brillantes étoiles. 2Lorsqu’on croit voir tomber ces astres, c’est que, trop alimentés par les liquides qu’ils aspirent, ils les rendent en abondance par l’effet du feu ; c’est aussi ce que nous voyons l’huile produire dans une lampe allumée. Du reste, les corps célestes sont d’une nature éternelle ; ils forment le tissu du monde, et sont engagés dans ce tissu ; l’influence s’en fait sentir puissamment sur la terre. Ce que les effets qu’ils produisent, leur clarté et leur grandeur ont pu, malgré la difficulté du sujet, faire connaître de cette influence, sera (7) démontré en lieu et place (XVII, XVIII). 3Quant à la théorie des cercles célestes, elle sera plus convenablement expliquée quand il sera question de la terre, à laquelle cette théorie appartient complètement. Seulement je ne renverrai pas plus loin la mention de ceux (8) qui ont découvert le zodiaque. L’obliquité en fut, dit-on, comprise ; c’est-à-dire que la porte des choses fut ouverte par Anaximandre de Milet, dans la 58e olympiade. Cléostrate y signala ensuite les constellations, et d’abord celle du Bélier et du Sagittaire. Longtemps auparavant la sphère elle-même avait été trouvée par Atlas. Maintenant laissons le corps même du monde, et occupons-nous de ce qui est entre le ciel et la terre.

4Il est certain que l’astre le plus élevé est celui de Saturne ; aussi paraît-il être le plus petit, et décrit-il la plus longue révolution ; ce n’est qu’au bout de trente ans qu’il revient à son point de départ. La marche de toutes les planètes, du soleil et de la lune, est contraire à celle du monde, c’est-à-dire qu’elle est dirigée à gauche (9), tandis que celle du monde est dirigée à droite ; et quoique la rotation quotidienne, dont la rapidité est extrême, les enlève et les précipite vers le couchant, ils n’en ont pas moins un mouvement annuel et contraire, qu’ils accomplissent pas à pas. C’est afin que l’air, au lieu d’être roulé dans la même partie par la révolution éternelle du monde, et d’y former une masse sans mouvement, soit atténué (10) par le choc opposé des astres qui le divisent et l’étendent. 5Saturne est un astre d’une nature froide et glaciale. Beaucoup au-dessous est le cercle de Jupiter, dont la révolution, par conséquent plus rapide, s’accomplit en douze ans. En troisième est Mars, appelé par quelques-uns Hercule : cette planète, d’une couleur de feu, est ardente à cause du voisinage du soleil ; sa révolution est d’environ deux ans. Aussi Jupiter, placé entre la trop grande chaleur de Mars et le froid de Saturne, participe de la nature de l’un et de l’autre, et est salutaire. 6Suit le soleil ; son orbite est, il est vrai, de 360 degrés ; mais pour que l’ombre qu’il projette revienne au point qui a été marqué au départ, il faut ajouter à l’année, outre les cinq jours, un quart en sus : c’est en raison de ce quart que tous les cinq ans on place un jour intercalaire, afin que l’ordre des saisons soit conforme à la marche du soleil.

7 Au-dessous du soleil tourne une grande planète appelée Vénus, qui a un mouvement alternatif, et qui, par ses surnoms, est la rivale du soleil et de la lune. Car, prévenant l’aurore et paraissant dès le matin, elle reçoit le nom de Lucifer, et, comme un autre soleil, hâte l’arrivée du jour ; d’autre part, brillant après le soir, elle est appelée Hespérus, prolonge la durée du jour, et remplace la lune. Pythagore de Samos est le premier qui ait reconnu cette particularité vers la 42e olympiade, qui répond à la 142e année de Rome (11) : 8par sa grandeur elle dépasse tous les autres astres, et l’éclat en est tel, qu’elle est la seule des étoiles qui produise de l’ombre ; aussi lui a-t-on à l’envi donné des noms, appelée par les uns Junon, par les autres Isis, par d’autres Mère des dieux. 9C’est par son influence que tout s’engendre sur la terre : répandant, à son lever du matin comme à son lever du soir, une rosée féconde, non seulement elle fertilise la terre, mais encore elle stimule la fécondation des animaux. Elle parcourt le zodiaque en 348 jours, et ne s’écarte jamais du soleil de plus de 46 degrés, suivant Timée.

10 Semblable par la marche, mais non par la grandeur ou par l’influence, Mercure, appelé par quelques-uns Apollon, vient après Vénus, et parcourt un cercle inférieur dans une révolution plus courte de neuf jours ; il brille tantôt avant le lever du soleil, tantôt après le coucher, et ne s’en éloigne jamais de plus de 23 degrés, comme l’enseignent le même Timée (11*) et Sosigène. 11Aussi la théorie de ces deux planètes est spéciale, et n’a rien de commun avec celle des planètes précédentes ; car ces dernières s’éloignent du soleil de quart et même du tiers du ciel, et souvent on les voit en opposition. Au reste, toutes les planètes ont de plus grandes révolutions, dont il doit être traité dans la théorie de la grande année.

12(IX.) Mais le plus admirable de tous est l’astre dont il me reste à parler, celui qui est le plus familier aux habitants de la terre, celui que la nature a créé pour remédier aux ténèbres, la lune. Elle a mis à la torture, par sa révolution compliquée, l’esprit de ceux qui la contemplaient, et qui s’indignaient d’ignorer le plus l’astre le plus voisin. Croissant toujours ou décroissant, tantôt recourbée en arc, tantôt divisée par moitié, tantôt arrondie en cercle lumineux ; pleine de taches, puis brillant d’un éclat subit ; immense dans la plénitude de son disque, et tout à coup disparaissant ; tantôt veillant toute la nuit, tantôt paresseuse, et aidant pendant une partie de la journée la lumière du soleil ; s’éclipsant, et cependant visible dans l’éclipse ; puis invisible à la fin du mois, sans toutefois être éclipsée. 13Ce n’est pas tout : tantôt elle s’abaisse et tantôt elle s’élève, sans uniformité même en cela, car parfois elle touche au ciel, parfois aux montagnes, parfois au haut dans le nord, parfois au bas dans le midi. Le premier qui reconnut ces différents mouvements fut Endymion ; et aussi dit-on qu’il en était épris. Certes, nous ne sommes pas assez reconnaissants envers ceux qui, par leurs travaux et leurs efforts, ont jeté de la lumière sur cette source de lumière : par un singulier travers de l’esprit humain, on se plaît à consigner dans les annales les meurtres et le carnage, afin que les crimes des hommes soient connus de ceux qui ne connaissent pas le monde qu’ils habitent.

14 La plus voisine du centre, et ayant par conséquent le moins d’espace à parcourir, elle accomplit en vingt-sept jours et un tiers la même révolution que Saturne, la plus élevée des planètes, accomplit, comme nous avons dit, en trente années ; puis demeurant en conjonction avec le soleil pendant deux jours au plus, ce n’est qu’au bout du trentième qu’elle recommence la série de ses mouvements. Je ne sais si ce n’est pas elle qui a enseigné tout ce qu’on connaît sur le ciel. Elle a conduit à diviser l’année en douze mois, elle-même atteignant douze fois le soleil avant son retour au point de départ ; elle est, comme les autres astres, régie par la lumière du soleil, puisque elle-même emprunte à cet astre toute la lumière dont elle brille, et qui est semblable à celle que l’eau renvoie par réflexion : n’ayant qu’une lumière d’emprunt, elle n’a aussi qu’une influence faible et imparfaite, qui résout seulement et même augmente les humidités destinées à être consumées par le soleil ; 15par la même raison, elle est vue sous des aspects différents, car, pleine lorsqu’elle est en opposition, les autres jours elle ne montre de son globe que ce que le soleil en illumine ; et en conjonction elle est invisible, parce que, nous tournant le dos, elle renvoie tout le flot de lumière à la source d’où il lui vient. Elle a appris encore que les astres sont alimentés par les humidités terrestres, car à demi-pleine elle paraît couverte de taches, n’ayant pas encore toutes les forces qu’il lui faut pour les faire disparaître en les absorbant ; or, ces taches ne sont que des souillures enlevées à la terre en même temps que les humidités. Quant à ses éclipses et à celles du soleil, le phénomène le plus merveilleux qu’offre la contemplation de la nature entière et qui a quelque chose de miraculeux, elles sont les indices de la grandeur de ces astres et de l’ombre projetée.

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VII.

1 Il est manifeste que le soleil est caché par l’interposition de la lune, et la lune par l’interposition de la terre ; effets réciproques dans lesquels la lune enlève à la terre les mêmes rayons que la terre enlève à la lune. L’interposition de la lune amène de soudaines ténèbres, et à son tour l’interposition de la terre obscurcit la lune ; la nuit elle-même n’est pas autre chose que l’ombre de la terre. La figure de l’ombre est semblable à un cône renversé, dont la pointe seule atteint la lune sans dépasser la hauteur de cet astre, car nul autre astre n’éprouve d’éclipse en même temps ; or, une figure de cette espèce va toujours en s’effilant davantage, et l’espace diminue les ombres : on peut s’en convaincre par les oiseaux qui s’élèvent à une grande hauteur. 2Donc la limite de l’ombre est la fin de l’air et le commencement de l’éther ; au-dessus de la lune tout est pur, et rempli par une lumière durable. Quant à nous, nous voyons les astres la nuit, comme les autres lumières qui se détachent dans les ténèbres. C’est aussi pour cela que la lune s’éclipse pendant la nuit. Les éclipses du soleil et de la lune ne sont pas réglées et mensuelles, à cause de l’obliquité du zodiaque et des sinuosités que j’ai dit compliquer la

révolution de la lune ; d’où il résulte que les mouvements de ces deux astres ne se correspondent pas toujours dans les fractions de degrés.

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VIII.

1(XII.) De telles considérations emportent l’intelligence humaine dans les cieux, et de là, comme du haut d’un observatoire, nous découvrons les dimensions des trois plus grands corps de la nature. En effet, le soleil tout entier ne pourrait pas être caché à la terre par l’interposition de la lune, si la terre était plus grande que celle-ci. 2L’immensité du troisième corps, du soleil, ressort par la comparaison, et il n’est pas nécessaire d’en demander les dimensions au témoignage des yeux ou aux conjectures de l’intelligence, ni de dire : Il est immense, car une ligne d’arbres plantés dans l’étendue d’autant de milles qu’on voudra donnera des ombres parallèles, comme si l’astre répondait à tous les points de cette ligne. 3Il est immense, car à l’équinoxe il paraît, au même moment, vertical pour tout l’espace qui s’étend d’un tropique à l’autre. Il est immense, car pour ceux qui habitent en deçà du tropique l’ombre est projetée à midi vers le nord, à l’heure du lever vers le couchant ; ce qui ne pourrait se faire s’il n’était beaucoup plus grand que la terre. Il est immense, car à son lever il dépasse en largeur le sommet du mont Ida, qu’il déborde amplement à gauche et à droite, malgré la distance énorme qui l’en sépare. 4Mais ce qui démontre indubitablement la dimension du soleil, ce sont les éclipses de lune, de même que les éclipses du soleil ont démontré la petitesse de la terre. En effet, il y a trois figures d’ombres : si le corps opaque est égal au corps éclairant, l’ombre a la forme d’un cylindre prolongé indéfiniment ; si le corps opaque est plus grand que le corps éclairant, l’ombre a la forme d’un cône droit, dont la partie inférieure est la plus étroite, et qui se prolonge également indéfiniment ; si le corps opaque est plus petit que le corps éclairant, l’ombre a la forme d’un cône qui se termine par une pointe, et telle est l’apparence de l’ombre de la terre dans l’éclipse de lune. Il ne reste donc aucune raison de douter que le soleil ne l’emporte en grandeur sur la terre, 5et la nature même semble l’indiquer par des témoignages muets : pourquoi, en effet, pendant une moitié de l’année, le soleil s’éloigne-t-il de nous ? C’est pour refaire par la fraîcheur des nuits la terre, qu’il embraserait sans aucun doute, et que même il embrase en certaines parties, tant sont grandes ses dimensions.

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IX.

1(XII.) Le premier Romain qui exposa publiquement la théorie des éclipses du soleil et de la lune est Sulpicius Gallus, qui fut consul avec Marcellus, mais qui alors était tribun militaire. La veille du jour où Persée fut défait par Paul-Émile il parut par ordre du général, afin de prévenir les alarmes de l’armée, devant les troupes assemblées pour annoncer l’éclipse qui allait survenir ; peu de temps après, il composa un livre sur ce sujet. Le premier qui s’en occupa chez les Grecs fut Thalès de Milet, dans la quatrième année de la quarante-huitième olympiade (an 585 av. J. C), l’an 170 de la fondation de Rome, et prédit une éclipse de lune qui arriva sous le roi Alyatte. 2Après eux, Hipparque dressa pour six cents ans la table du cours du soleil et de la lune, déterminant les mois des divers calendriers, les jours, les heures, les localités et les aspects, suivant les entrées. Le cours des ans ne lui a donné aucun démenti, et il semble avoir été admis aux conseils de la nature. Génies puissants et élevés au-dessus de l’humanité, ils ont découvert la loi qui régit ces grandes divinités, et ils ont délivré de ses craintes l’esprit misérable des hommes, qui dans les éclipses, tantôt croyaient voir une influence malfaisante ou une espèce de mort des astres, crainte qui, comme on sait, a, pour l’éclipse du soleil, troublé Stésichore et Pindare, poëtes sublimes, et tantôt attribuaient l’obscurcissement de la lune à des maléfices, et lui venaient en aide par un bruit dissonant. 3Redoutant ce phénomène, dont il ignorait la cause, Nicias, général des Athéniens, n’osa pas faire sortir la flotte du port de Syracuse, et ruina la puissance de sa patrie. Redoublez de génie, interprètes du ciel, vous dont l’intelligence, embrassant la nature, a inventé des théories qui ont créé un lien entre les dieux et les hommes (12) ! À la vue de ce spectacle, à la vue des labeurs (puisque c’est le nom qu’on a voulu donner aux éclipses), des labeurs réguliers auxquels les astres sont soumis, quel mortel ne pardonnerait à la nécessité sous laquelle il est né ? Maintenant je vais parler, d’une manière brève et sommaire, des points sur lesquels on est d’accord en cette matière. Je ne donnerai que de courtes explications, et là où il sera tout à fait nécessaire ; car les explications n’entrent pas dans le plan de cet ouvrage, et il n’y a pas moins de mérite à énumérer les causes de toutes choses qu’à s’appesantir sur quelques-unes.

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X.

1(XIII.) Les éclipses se reproduisent dans le même ordre après deux cent vingt-trois mois, cela est certain ; le soleil ne s’éclipse que lorsque la lune finit ou commence son cours, c’est-à-dire aux conjonctions ; la lune, que quand elle est pleine, et toujours en deçà du lieu où elle s’est éclipsée la dernière fois. Chaque année il y a, à des jours et à des heures fixes, des éclipses de ces deux astres ; elles ne sont pas visibles partout quand elles arrivent de l’autre côté de la terre [dans l’hémisphère austral] (13), ni même quand elles arrivent de ce côté-ci [dans l’hémisphère boréal], quelquefois les nuages nous empêchant de les voir, plus souvent la convexité du globe terrestre y mettant obstacle. 2Grâce à la sagacité d’Hipparque, depuis moins de deux cents ans il est établi que la lune peut s’éclipser cinq mois après une éclipse précédente, et le soleil sept mois ; que le soleil peut être caché deux fois en trente jours pour notre côté de la terre, mais que ces éclipses ne sont pas vues toutes deux des même points ; que (circonstance particulièrement merveilleuse dans ce phénomène si merveilleux) l’ombre de la terre, qui va éclipser la lune, l’entame tantôt par la partie occidentale de son disque, tantôt par la partie orientale ; et que, ce qui est déjà arrivé une fois, la lune peut s’éclipser à son couchant au moment du lever du soleil, les deux astres étant sur l’horizon, quoique l’ombre qui cause l’éclipse doive être au-dessous. 3Quant à deux éclipses, l’une de lune et l’autre de soleil, se succédant dans un intervalle de quinze jours, cela s’est vu de notre temps sous le règne des deux Vespasien, le père et le fils étant en même temps consuls (14).

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XI.

1(XIV.) La lune a toujours son croissant tourné à l’opposite du soleil, regardant l’orient quand elle croît, l’occident quand elle décroît : cela n’est pas douteux. À partir du second jour après la néoménie, la durée du temps pendant lequel elle luit augmente de dix-neuf vingt-quatrièmes d’heure (47 min. ½), jusqu’à ce qu’elle soit pleine, et diminue ensuite d’autant. Elle est invisible dès qu’elle est à moins de quatorze degrés du soleil : 2ce fait prouve que les planètes sont plus grandes que la lune, puisqu’elles font leur émersion, même parfois à sept degrés ; c’est l’éloignement où elles sont qui nous les fait paraître plus petites. Les étoiles fixes sont invisibles aussi pendant le jour, à cause de l’éclat du soleil, bien qu’elle brillent comme lui pendant la nuit : on en a la preuve lors des éclipses du soleil, et dans les puits très profonds.

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XII.

1(XV.) Parmi les planètes, trois que nous avons dites supérieures au soleil (II, 6) sont cachées quand elles entrent en conjonction avec lui ; elles le quittent à une distance d’au plus onze degrés, et font leur émersion le matin ; puis ses rayons les arrêtent lorsqu’elles sont en trine aspect, c’est-à-dire, à cent vingt degrés, et elles font leur station matinale ou première station ; ensuite en opposition, c’est-à-dire, à cent quatre-vingts degrés, elles font leur lever du soir ; enfin de l’autre côté, à cent vingt degrés, elles font leur station du soir ou seconde station, jusqu’à ce que le soleil, n’en étant plus qu’à douze degrés, les rende invisibles, ce qui est appelé leur coucher du soir. 2Mars étant plus près ressent l’action des rayons du soleil dès la quadrature, c’est-à-dire, dès quatre-vingt-dix degrés ; d’où le nom de premier et second nonagésimal, suivant qu’il s’agit de l’un ou de l’autre lever. Quand il est stationnaire il emploie six mois à parcourir un signe ; hors de là, il parcourt un signe en deux mois ; les deux autres planètes supérieures, au contraire, ne mettent pas quatre mois pleins à parcourir le signe où elles font leur station. 3Les deux planètes inférieures sont invisibles dans la conjonction du soir, de la même façon ; puis, abandonnant le soleil, elles font leur lever du matin à la distance d’autant de degrés que les planètes précédentes. Quand elles sont à leur plus grand éloignement du soleil, elles rétrogradent vers lui ; l’ayant atteint, elles deviennent invisibles au coucher du matin, et dépassent cet astre ; puis, à la même distance qu’au lever du matin, elles font leur lever du soir, et atteignent la limite dont nous venons de parler ; de ce point elles rétrogradent vers le soleil, et disparaissent au coucher du soir. Vénus fait (15) ses deux stations l’une le matin et l’autre le soir, séparées chacune par un lever, quand elle est le plus loin du soleil. Les stations de Mercure sont trop courtes pour pouvoir être appréciées.

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XIII.

1 Telle est la théorie des apparitions et des disparitions des planètes, théorie compliquée, et pleine de choses merveilleuses. En effet, elles changent de dimension et de couleur, elles s’approchent du septentrion, elles s’écartent vers le midi ; tout à coup on les trouve voisines tantôt de la terre, tantôt du ciel. Nous allons sans doute, sur beaucoup de points, nous éloigner des explications données par les anciens, mais nous avouons que le pas que nous allons faire est dû aussi à ceux qui les premiers ont montré la voie des recherches ; c’est une raison pour ne pas désespérer du progrès indéfini des siècles. 2Ces phénomènes sont le résultat de causes nombreuses. La première est dans les cercles que les Grecs appellent (car il faudra nous servir de noms grecs) apsides. Chacune des planètes a ses cercles particuliers, qui sont différents de ceux du monde ; car la terre, avec ses deux sommets qu’on appelle pôles, est le centre du monde, ainsi que du zodiaque, situé obliquement entre ces pôles. Tout cela se démontre par le compas, dont la certitude est irrécusable. 3Donc, d’un centre différent pour chaque plante, s’élèvent les apsides (16), condition qui fait que les astres ont des révolutions et des mouvements dissemblables, parce que de toute nécessité les apsides intérieurs ont le plus de brièveté. (XVI.) À partir du centre de la terre les apsides les plus hauts sont, pour Saturne dans le Scorpion, pour Jupiter dans la Vierge, pour Mars dans le Lion, pour le Soleil dans les Gémeaux, pour Vénus dans le Sagittaire, pour Mercure dans le Capricorne, au milieu de chacun de ces signes ; les plus bas et les plus voisins du centre de la terre seul à l’opposite. 4Aussi les astres paraissent-ils se mouvoir plus lentement au moment de leur plus grande élévation : ce n’est pas qu’ils accélèrent ou qu’ils ralentissent leur mouvement fixe et indépendant pour chacun, mais c’est que les lignes menées du haut de l’apside vont en se rapprochant nécessairement vers le centre, comme les rayons des roues, et que le même mouvement semble ou plus rapide ou plus lent, selon la distance au centre.

5 La seconde cause des hauteurs, c’est quand les planètes ont, par rapport à leur propre centre, les apsides le plus élevés ; ce qui arrive dans d’autres signes, pour Saturne au vingtième degré de la balance, Jupiter au quinzième de l’Écrevisse, Mars au vingt-huitième du Capricorne, le soleil au dix-neuvième du Bélier, Vénus au vingt-septième des Poissons, Mercure au quinzième de la Vierge, la lune au troisième du Taureau.

6 La troisième raison des hauteurs est dans la dimension du ciel et non d’un cercle, dimension qui fait qu’à la vue les planètes paraissent s’enfoncer ou descendre dans les profondeurs de l’air.

7 À cette théorie se rattache celle des latitudes et de l’obliquité du zodiaque. Ce cercle est parcouru par les astres que nous appelons planètes ; et il n’y a sur la terre d’habité que les parties qui lui sont sous-jacentes ; le reste, vers les pôles, est frappé de stérilité. Vénus seule s’en écarte de deux degrés, ce qui explique pourquoi certains animaux naissent, même dans les parties désertes du monde. La lune en parcourt toute la largeur, sans toutefois jamais en sortir. Après ces planètes, celle dont la marche a le plus d’amplitude est Mercure ; cependant, sur les douze degrés qui font la largeur du zodiaque, il n’en parcourt pas plus de huit, et il ne les parcourt pas également ; mais il en parcourt deux quand il est au milieu, quatre quand il est au-dessus, et deux quand il est au-dessous. Puis le soleil marche, entre les deux du milieu, d’un mouvement inégal, semblable au mouvement tortueux des dragons. 8Mars s’écarte de l’écliptique de deux degrés ; Jupiter d’un degré et demi, Saturne d’un (17). Telle est la théorie des latitudes pour les planètes, quand elles descendent vers le midi ou montent vers le nord. La plupart des auteurs ont pensé que cette troisième hauteur des planètes, qui s’élèvent de la terre vers le ciel, dépendait de leur latitude et y correspondait ; c’est une erreur. Pour démontrer la fausseté de cette opinion, il faut exposer une théorie générale de ces causes, œuvre d’une sagacité infinie.

9 Il est reconnu que les planètes, à leur coucher du soir, se trouvent par rapport à la terre dans le plus grand rapprochement ; et quant à leur latitude et quant à leur élévation, que les levers du matin se font à l’origine de leur latitude et de leur élévation, et les stations dans les nœuds moyens des latitudes, appelés écliptique. Il est reconnu aussi que le mouvement des planètes s’accroît quand elles sont dans le voisinage de la terre, et qu’il diminue quand elles s’en éloignent. Cela se voit surtout dans les élévations de la lune. Il n’est pas non plus douteux qu’il ne s’augmente au lever du matin, et qu’à partir des premières stations les trois planètes supérieures ne diminuent de rapidité jusqu’aux secondes stations. 10Cela étant, il est manifeste qu’à partir du lever matinal elles s’élèvent en latitude, parce que c’est dans cette position qu’elles commencent à accélérer de moins en moins leur mouvement, mais que dans la première station elles prennent de la hauteur, parce qu’alors seulement on commence à soustraire un nombre de degrés et à voir la planète rétrograder. Il faut rendre en particulier raison de ce phénomène : frappées dans la position dont nous avons parlé, c’est-à-dire en trine aspect, elles sont à la fois empêchées par les rayons du soleil de suivre la route directe, et soulevées en haut par la force du feu. Cela n’est pas immédiatement perçu par nos regards ; aussi pensons-nous qu’elles sont stationnaires, d’où est venu le nom de stations.

11 Puis l’intensité des mêmes rayons fait des progrès, et la chaleur répercutée les force à rétrograder. Ce phénomène est encore plus frappant dans leur lever du soir, au moment où elles sont en opposition complète avec le soleil ; alors elles sont chassées au sommet des apsides, et elles sont le moins visibles, étant placées à la plus grande hauteur et animées du plus petit mouvement, d’autant plus petit que l’astre se trouve dans les signes les plus élevés des apsides. À partir du lever du soir, les planètes descendent en latitude, le mouvement commence déjà à subir une moindre diminution, mais il ne s’accroît pas avant la seconde station ; c’est alors que leur hauteur diminue, les rayons du soleil les atteignant par l’autre côté, et les abaissant vers la terre avec la même force qui à leur premier trine aspect les avait élevées dans le ciel, tant il y a de différence dans l’action qu’exercent les rayons, selon la direction qu’ils suivent. 12Les mêmes phénomènes se manifestent, et avec beaucoup plus de force, dans le coucher du soir. Telle est la théorie des planètes supérieures ; celle des autres est plus difficile, et avant nous aucun Romain n’en a rendu compte.

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XIV.

1(XVII.) Disons d’abord pourquoi Vénus ne s’éloigne jamais de plus de 46 degrés du soleil, et Mercure de 23, et que souvent ces deux planètes commencent leur retour vers le soleil avant de s’être autant écartées. Étant inférieures au soleil, elles ont la convexité de leurs apsides tournée vers cet astre ; et de ces cercles il en passe au-dessous (18) autant que de ceux des planètes supérieures il en passe au-dessus : elles ne peuvent donc pas s’écarter davantage, attendu que la courbure de leurs apsides n’a pas là une longueur plus grande. Ainsi chacune des deux planètes inférieures est semblablement limitée par l’extrémité de son apside ; et elle compense ce qui lui manque en longitude par la digression en latitude. 2Mais pourquoi ces deux planètes ne parviennent-elles pas toujours l’une à 46 degrés, et l’autre à 23 ? Elles y parviennent sans doute, mais la théorie est ici en défaut ; car il est manifeste que leurs apsides se meuvent aussi, attendu qu’ils ne dépassent jamais le soleil : c’est pourquoi, lorsque leurs orbites rencontrent par l’un ou l’autre côté le degré où est le soleil, alors les planètes sont censées être parvenues aussi loin qu’elles le peuvent ; et lorsque leurs orbites restent en deçà du soleil d’autant de degrés, ces mêmes planètes sont alors censées rétrograder trop vite, quoique dans l’un ou l’autre cas elles aient atteint également l’extrémité de leur écartement. 3Ce qui doit faire comprendre que le mouvement y est en sens opposé des autres : car dans les supérieures il s’accélère à leur coucher du soir, tandis qu’alors il se ralentit dans les planètes inférieures ; c’est à la plus grande hauteur qu’a lieu là le ralentissement, ici l’accélération. En effet, l’accélération de vitesse est pour les unes au voisinage du centre, pour les autres dans la plus grande hauteur de leur cercle. Arrivées au lever matinal, les supérieures perdent de leur rapidité, les inférieures en acquièrent davantage. 4Les premières rétrogradent de la station du matin à celle du soir ; au contraire, Vénus rétrograde de celle du soir à celle du matin, monte en latitude au lever matinal, suit le soleil et prend de la hauteur à partir de la première station, atteint à l’instant du coucher du soir le plus de hauteur et le plus de vitesse, puis au lever du soir descend en latitude et diminue de mouvement, enfin rétrograde et s’abaisse à partir de la station du soir. 5De son côté, Mercure au lever matinal prend de la latitude et de la hauteur, et décroît en latitude au lever du soir ; arrivé à quinze degrés du soleil, il reste là environ quatre jours immobile, décroît de hauteur et rétrograde, depuis le coucher du soir jusqu’au lever du matin. Seul avec la lune, il met à descendre le même temps qu’à monter ; Vénus en met quinze fois autant à monter. La digression coûte à Saturne et à Jupiter deux fois, à Mars quatre fois, le temps de l’ascension, tant est grande la variété de la nature. Mais la raison en est évidente : ce qui fait effort vers les rayons brûlants du soleil descend aussi à regret (19).

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XV.

1Il y aurait encore beaucoup à dire sur ces mystères de la nature, et les lois auxquelles elle s’est assujettie elle-même. Par exemple, Mars, dont le cours échappe le plus à l’observation, n’est jamais stationnaire quand Jupiter est en trine aspect, et ne l’est que rarement quand cet astre est à 60 degrés, nombre qui donne au monde la forme hexagone ; les deux planètes ne se lèvent en même temps que sous les signes de l’Écrevisse et du Lion. Le lever du soir de Mercure est rare dans les Poissons, il est très fréquent dans la Vierge ; le lever du matin se fait dans la Balance, aussi bien que dans le Verseau ; 2en revanche, il est extrêmement rare dans le Lion. Mercure ne rétrograde jamais dans le Taureau et les Gémeaux, et sa rétrogradation dans l’Écrevisse ne commence qu’au vingt-cinquième degré de ce signe. Deux conjonctions de la lune avec le soleil ne se rencontrent que dans le signe des Gémeaux ; le Sagittaire est le seul qu’elle passe quelquefois sans conjonction. Dans le Bélier seulement, on apercevra, le même jour ou la même nuit, le dernier quartier et la nouvelle lune ; encore est-il donné à peu d’hommes d’apercevoir ce phénomène, et de la fable de la vue de Lyncée. 3Saturne et Mars ne sont jamais invisibles dans le ciel plus de cent soixante et dix jours ; Jupiter s’absente trente-six ou du moins vingt-six jours ; Vénus, de soixante-neuf à cinquante-deux au moins ; Mercure, de treize à dix-huit au plus.

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XVI.

1(XVIII.) La couleur des planètes se modifie suivant leur altitude : elles prennent une ressemblance avec les hauteurs dont elles ont traversé l’air, et en approchant elles se teignent, suivant le côté par où elles viennent, de la teinte du cercle qui ne leur appartient pas. Un cercle plus froid les rend plus pâles, un cercle plus chaud les rend plus rouges, un cercle venteux leur donne un aspect sinistre. Le soleil, les nœuds des apsides et l’extrémité de leur orbite leur ôtent leur éclat. Chaque planète a pourtant sa couleur, blanche pour Saturne, claire pour Jupiter, ignée pour Mars, blanchissante pour l’étoile du matin, flamboyante pour l’étoile du soir, radieuse pour Mercure, douce pour la lune, ardente pour le soleil quand il se lève, puis rayonnante. 2À ces causes se rattache la contemplation des étoiles fixes que renferme le ciel : tantôt on les voit former une multitude pressée autour de l’orbe à demi plein de la lune, à la douce lueur d’une nuit paisible ; tantôt, comme si elles avaient pris la fuite, elles deviennent rares, cachées qu’elles sont par la pleine lune, ou lorsque les rayons du soleil ou des autres planètes ont ébloui nos regards. La lune elle-même éprouve, sans aucun doute, des différences, suivant la manière dont elle reçoit les rayons du soleil. La convexité du monde les détourne et les amortit dans tous les cas, excepté quand ils la frappent à angle droit. 3Ainsi en quadrature elle est demi-pleine, en trine aspect elle offre un orbe à demi vide, qui se remplit en opposition ; puis, dans son décours, elle présente les mêmes phases aux mêmes intervalles : la théorie en est semblable à celle qui régit les trois planètes supérieures.

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XVII.

1(XIX.) Le soleil lui-même éprouve quatre différences, faisant deux fois la nuit égale au jour, au printemps et à l’automne ; époques auxquelles il répond au milieu de la terre, dans le huitième degré du Bélier et de la Balance, et revenant deux fois sur ses pas, l’une pour augmenter le jour, au solstice d’hiver, dans le huitième degré du Capricorne, l’autre pour augmenter la nuit, au solstice d’été, dans le huitième degré de l’Écrevisse. 2La cause de cette inégalité est l’obliquité du zodiaque : une partie égale du monde est, il est vrai, à tout moment au-dessus et au-dessous de la terre ; mais les signes qui montent perpendiculairement gardent la lumière pendant un plus long espace : au contraire, les signes qui montent obliquement passent avec plus de rapidité.

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XVIII.

1(XX.) On ignore généralement que, par une observation attentive du ciel, les maîtres de la science ont établi que les trois planètes supérieures projettent des feux qui, tombant sur la terre, ont le nom de foudres. Ces feux proviennent surtout de la planète intermédiaire, peut-être parce que, recevant un excès d’humidité du cercle supérieur, et un excès de chaleur du cercle inférieur, elle se débarrasse de cette façon ; c’est pour cela que l’on a dit que Jupiter lançait la foudre. 2Ainsi, de même qu’un bois enflammé projette un charbon avec bruit, de même l’astre projette un feu céleste qui apporte en même temps des présages, les opérations divines ne cessant même pas dans la partie ainsi rejetée. C’est surtout lorsque l’air est agité que survient ce phénomène, parce que les humidités retenues dans l’atmosphère provoquent l’émission d’un feu abondant, ou parce que la perturbation est due à une sorte d’enfantement de la planète.

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XIX.

1(XXI.) Beaucoup ont essayé de déterminer la distance des astres à la terre ; et ils ont dit que le soleil lui-même est dix-neuf fois plus éloigné de la lune, que la lune elle-même ne l’est de la terre. Pythagore, homme d’un génie sagace, a conclu qu’il y avait de la terre à la lune 126 mille stades, de la lune jusqu’au soleil le double : 2cette opinion a été celle du Romain Gallus Sulpicius.

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XX.

1(XXI.) Mais Pythagore appelle parfois, d’après des rapports musicaux, un ton la distance qui sépare la lune de la terre ; de celle-ci à Mercure, il compte un demi-ton ; de lui à Vénus à peu près autant, de Vénus au soleil un ton et demi, du soleil à Mars, un ton, c’est-à-dire autant que de la lune à la terre ; de Mars jusqu’à Jupiter un demi-ton, de Jupiter jusqu’à Saturne un demi-ton, et de là jusqu’au zodiaque un ton et demi. 2Cela fait sept tons, dont l’ensemble est appelé diapason, c’est-à-dire accord universel. Dans ce concert, Saturne se meut suivant le mode dorien, Jupiter suivant le mode phrygien, et ainsi des autres : subtilités plus amusantes qu’utiles.

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XXI.

1(XXIII.) Un stade fait 125 de nos pas, ou 625 pieds (184 mètres) (20). Posidonius prétend qu’il n’y a pas moins de 40 stades de la terre à la région d’où proviennent les nuages, les vents et les brouillards ; que, à partir de là, l’air est pur, limpide, et rempli d’une lumière que rien ne trouble ; mais que de l’air trouble à la lune il y a deux millions de stades, et de là au soleil 500 million de stades : c’est grâce à cette distance que, malgré son volume énorme, il n’embrase pas la terre. 2Plusieurs auteurs ont rapporté que les nuages s’élèvent à une hauteur de 900 stades. Ces choses sont ignorées et insolubles ; mais il faut en parler, parce qu’on en a parlé. Dans ces problèmes l’argumentation géométrique est la seule qui ne trompe jamais, et à laquelle il faut recourir si l’on se complaît à aller plus loin dans ces recherches, sans toutefois songer à mesurer (le vouloir ce serait user de son loisir avec folie) de pareilles dimensions, mais en se bornant à des évaluations approximatives. 3D’après la révolution du soleil, on reconnaît que le cercle qu’il parcourt comprend environ 366 parties ; or, le diamètre est le tiers et un peu moins du 21e de la circonférence ; donc, si on retranche la moitié de ce diamètre à cause de la situation centrale de la terre, on trouve que la distance qui la sépare du soleil est la sixième partie de l’espace immense que parcourt cet astre dans sa révolution, et que la distance de la terre à la lune est la douzième partie de cet espace, parce qu’elle décrit son orbite dans un intervalle de temps douze fois plus court, et que c’est de la sorte qu’elle chemine entre le soleil et la terre. 4Jusqu’où ne va pas l’audace de l’esprit humain, encouragée, comme dans les problèmes précédents, par quelque petit succès ! La raison fournit un prétexte à l’impudence : on n’ose deviner la distance de la terre au soleil, et l’on double cette distance pour trouver celle du ciel, sous le prétexte que le soleil est juste au milieu, de sorte que la dimension du ciel lui-même peut se mesurer sur les doigts. Le rapport du diamètre à la circonférence est comme 7 à 22, et il ne faut plus qu’un fil à plomb pour mesurer le ciel.

5 Le calcul égyptien enseigné par Pétosiris et Necepsos montre que dans l’orbite lunaire, qui, comme nous l’avons dit, est la plus petite, chaque degré comprend un intervalle d’un peu plus de 33 stades, le double dans l’orbite de Saturne qui est la plus grande ; dans celle du soleil qui est intermédiaire, la moitié de la somme de ces deux mesures. Ce calcul est plein de retenue ; car si au cercle de Saturne on ajoutait l’intervalle qui le sépare du zodiaque lui-même, on arriverait à une multiplication infinie.

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XXII.

1(XXIV.) Il reste peu de chose à dire du monde. Dans le ciel même, des étoiles naissent soudainement ; il y en a plusieurs espèces. Les Grecs appellent comètes, les Romains étoiles chevelues, des astres qui inspirent la terreur par une crinière couleur de sang, et qui semblent hérissés sur le sommet. On appelle pogonies ceux dont la crinière est disposée à la partie inférieure sous la forme d’une longue barbe. Les aconties sont lancées comme un javelot ; elles indiquent des événements d’un accomplissement très prochain : 2telle est celle dont le César Titus Imperator, dans son cinquième consulat (an de J. C. 77), a fait le sujet d’une pièce de vers admirable. C’est la dernière de ce genre qu’on ait vue. Les comètes plus courtes et allongées en pointe ont été appelées xiphies ; et ce sont les plus pâles de toutes ; elles ont le reflet d’un glaive, et sont dépourvues de rayons. Les discoïdes, d’une forme indiquée par leur nom, ont la couleur de l’ambre, et ne projettent que peu de rayons par leurs bords. Les pithées ont la figure de tonneaux, et présentent dans leur partie concave une lueur fumeuse. Les cératies ont l’apparence d’une corne : telle fut celle qui apparut quand la Grèce coalisée livra la bataille de Salamine (av. J. C. 480). 3Les lampadies imitent les torches ardentes. Les hippées imitent la crinière d’un cheval, vivement agitée, et tournoyant sur elle-même. Il y a aussi des comètes blanches, à chevelure argentée, d’un éclat tellement radieux que l’on peut à peine y fixer les yeux ; elles offrent, sous une apparence humaine, l’image d’un dieu. 4Il y en a aussi qui sont comme hérissées de poils et enveloppées d’une espèce de nuage. Il est arrivé une fois que la chevelure s’est changée en lance ; ce fut dans la 108e olympiade, l’an 398 de Rome (21). Le plus court espace de temps noté durant lequel elles ont été visibles est de 7 jours, le plus long de 80 (22).

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XXIII.

1 Parmi les comètes les unes se meuvent comme les planètes, les autres demeurent immobiles. Presque toutes sont dans la région septentrionale du ciel ; elles en occupent une partie qui n’est pas fixe, et surtout la partie blanche, qui a reçu le nom de voie lactée. Aristote (23) rapporte qu’on en voit souvent plusieurs à la fois, observation que personne autre n’a faite, à ma connaissance ; et il ajoute que ce phénomène indique des vents violents et de fortes chaleurs. Les comètes se montrent aussi dans les mois d’hiver et vers le pôle du midi, mais là sans aucun éclat. 2Il y a eu une comète fatale aux peuples de l’Éthiopie et de l’Égypte, et connue sous le nom de Typhon, qui fut un roi de ces temps anciens ; d’une apparence ignée, d’une forme contournée en spirale, d’un aspect effrayant, moins une étoile qu’une espèce de nœud enflammé. Quelquefois les planètes et les autres astres se montrent garnis de cheveux. Les comètes n’apparaissent jamais à l’occident (24). Ce sont des astres pleins de présages funestes, et qui ne se contentent pas de légères expiations, témoin les troubles civils sous le consul Octavius (an de Rome 678 ; avant J. C. 76.), et derechef la guerre de Pompée et de César (avant J. C. 49); témoin encore, de notre temps, l’empoisonnement qui fit succéder Néron à l’empereur Claude (an de Rome 707, de J. C. 54) ; témoin enfin le règne de ce prince, durant lequel l’influence en fut presque continuelle et funeste. On pense que la diversité des effets qu’elles produisent dépend des parties vers lesquelles elles s’élancent, de l’étoile dont elles ressentent l’action, des formes qu’elles imitent, et des lieux où elles font éruption. On assure que, présentant la forme d’une flûte, elles sont un signe d’art musical ; de mœurs infâmes, paraissant dans les parties honteuses des constellations ; d’esprit et de science, quand elles sont en trine aspect ou en quadrature avec quelqu’un des astres permanents ; et qu’elles versent des poisons, étant dans la tête du Dragon du nord ou du midi. 4Rome est le seul lieu de l’univers qui ait élevé un temple à une comète, celle que le dieu Auguste jugea de si bon augure pour lui. Elle apparut lors des débuts de sa fortune, pendant les jeux qu’il célébrait en l’honneur de Vénus Genitrix, peu de temps après la mort de son père César, et dans le collège institué pour cela par ce dernier ; il exprima en ces termes la joie qu’elle lui causait : « Pendant la célébration de mes jeux, on aperçut durant sept jours une comète dans la région du ciel qui est au Septentrion. Elle commençait à paraître vers la onzième heure (cinq heures du soir); elle eut beaucoup d’éclat, et fut visible de toutes les parties de la terre. Suivant l’opinion générale, cet astre annonça que l’âme de César avait été reçue au nombre des divinités éternelles ; c’est à ce titre qu’une comète fut ajoutée à sa statue, que peu de temps après nous consacrâmes dans le forum. » 5Tel fut du moins son langage public ; mais dans l’intimité il se félicitait de l’apparition de cette comète, née, disait-il, pour lui, et dans laquelle il naissait à son tour : à vrai dire, ce fut un bonheur pour la terre. Il y a des auteurs qui pensent que les comètes sont des astres durables, qui ont leur propre orbite, mais qui ne sont visibles que lorsque le soleil les a abandonnés ; d’autres, au contraire, supposent qu’elles sont le produit du concours fortuit de l’humidité et de la force ignée, et que, en conséquence, elles se dissolvent.

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XXIV.

1(XXVI.) Hipparque, dont nous avons déjà parlé (chap. 9 et 10), Hipparque, qu’on ne louera jamais assez, car personne plus que lui n’a fait sentir que l’homme a des affinités avec les astres et que nos âmes sont une partie du ciel, a observé une étoile nouvelle différente des comètes, et née de son temps. Le jour où il la vit briller, le mouvement qu’il y aperçut excita des doutes dans son esprit ; il se demanda si cela n’arrivait pas souvent, et si les étoiles que nous croyons fixes n’étaient pas mobiles elles-mêmes : 2alors il osa, chose audacieuse même pour un dieu, dresser pour la postérité le catalogue des étoiles, et en faire, pour ainsi dire, l’appel nominal. À cet effet, il inventa des instruments pour déterminer avec précision la position et la grandeur de chacune ; il donna ainsi les moyens de reconnaître non-seulement si elles mouraient ou naissaient, mais encore si quelques-unes traversaient le ciel ou s’y mouraient, et semblablement si elles croissaient ou diminuaient, laissant à tous le ciel en héritage, s’il se trouvait quelqu’un capable de recueillir la succession.

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XXV.

1 Il y a aussi des torches flamboyantes, visibles seulement quand elles tombent, comme celle qui, en plein midi, traversa le ciel aux yeux du peuple pendant les combats de gladiateurs donnés par le César Germanicus. On en distingue deux espèces : les lampades, qui sont tout simplement des torches, et les bolides, comme on en vit lors des désastreux événements de Modène. 2La différence est que les torches, allumées par leur partie antérieure, laissent de longues traînées, tandis que les bolides, brûlant dans toute leur longueur, occupent un plus grand espace.

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XXVI.

1 On voit aussi flamboyer des poutres, doques en grec, telles qu’il en apparut lorsque les Lacédémoniens, vaincus sur mer, perdirent l’empire de la Grèce. (Ol. 96, 2 ; 395 av. J. C.) Il se fait aussi dans le ciel lui-même des crevasses qu’on appelle Chasma.

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XXVII.

1(XXVII.) On a encore observé des incendies couleur de sang, se dirigeant vers la terre. Rien de plus terrible que ce phénomène aux yeux des mortels épouvantés ; on en vit un semblable l’an III de la cent septième olympiade, lorsque le roi Philippe ébranlait la Grèce. 2Pour moi, je crois que ces météores se manifestent, comme le reste, à des époques réglées, et qu’ils sont indépendants des causes variées, fruit d’une imagination subtile, auxquelles la plupart les attribuent. Ils furent, sans doute, le présage de grandes catastrophes ; mais, je pense, que ces catastrophes ne surviennent pas à cause des météores ; les météores apparurent parce qu’elles étaient prochaines. Ce qui cache la loi de leur reproduction, c’est qu’ils sont rares ; cela empêche qu’ils ne soient connus comme le sont les levers des planètes ci-dessus indiqués, les éclipses, et beaucoup d’autres phénomènes.

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XXVIII.

1(XXVIII.) On voit des étoiles apparaître des journées entières avec le soleil ; le plus souvent elles entourent cet astre d’une espèce de couronne d’épis et de cercles de diverses couleurs. Ce phénomène arriva lors de l’entrée à Rome d’Auguste dans sa première jeunesse, venant, après la mort de son père, prendre l’héritage d’un grand nom. (XXIX) De semblables couronnes se font voir autour de la lune, et des étoiles fixes qui ont un grand éclat.

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XXIX.

1 Le soleil parut avec un arc sous le consulat de Lucius Opimius et de Quintus Fabius (an de Rome 623) ; avec un cercle, sous le consulat de Porcius et de Manius Acilius (an de Rome 640); avec un cercle de couleur rouge sous le consulat de Lucius Julius et de Publius Rutilius (an de Rome 664).

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XXX.

1(XXX.) Le soleil éprouve des éclipses dont la longueur est un prodige : ainsi, lors du meurtre du dictateur César et durant la guerre d’Antoine, il fut pâle, presque sans interruption, pendant toute l’année.

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XXXI.

1(XXXI.) On a vu aussi plusieurs soleils à la fois (25), non au-dessus ni en-dessous du soleil lui-même, mais sur les côtés, et non près de la terre, ni à l’opposite, ni la nuit, mais le matin ou le soir ; on en a vu, dit-on, même à midi, une fois, sur le Bosphore ; ils avaient paru dès le matin, et durèrent jusqu’au soir. 2Les anciens ont observé plusieurs fois trois soleils : par exemple, sous les consulats de Sp. Postumius, de Q. Mucius (an de Rome 580) ; de Q. Marcius, de M. Porcius (an de Rome 631) ; de Marc-Antoine, de P. Dolabella (an de Rome 710) ; de M. Lepidus, de L. Plancus (an de Rome 712). Ce phénomène s’est montré aussi de notre temps, durant le règne du dieu Claude lorsqu’il était consul, ayant Cornelius Orfitus pour collègue (après J.-C. 51). Aucun document ne parle de l’apparition de plus de trois soleils à la fois.

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XXXII.

1(XXXII.) Trois lunes ont été observées, comme sous le consulat de Cn. Domitius et de C. Fannius (an de Rome 632). On les a généralement appelées soleils nocturnes.

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XXXIII.

1(XXXIII.) On a vu pendant la nuit, sous le consulat de C. Caecilius et de Cn. Papirius (an de Rome 641), et d’autres fois encore, une lumière se répandre dans le ciel, de sorte qu’une espèce de jour remplaçait les ténèbres.

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XXXIV.

1(XXXIV.) Un bouclier ardent, jetant des étincelles, a traversé le ciel de l’occident à l’orient, au moment du coucher du soleil, sous le consulat de L. Valerius et de C. Marius (an de Rome 654).

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XXXV.

1(XXXV.) Sous le consulat de Cn. Octavius et de C. Scribonius (an de Rome 678), phénomène mentionné une seule fois, une étincelle étant tombée d’une étoile s’accrut à mesure qu’elle approchait de la terre, atteignit la grandeur de la lune, et donna une clarté pareille à un jour nuageux ; puis, regagnant le ciel, prit la forme d’une torche. Le proconsul Silanus, avec sa suite, en fut témoin.

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XXXVI.

1(XXXVI.) Il arrive aussi que des étoiles semblent se détacher : cela n’est pas sans signification, et il ne manque jamais de s’élever de ce côté des vents formidables.

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XXXVII.

1 Il se montre des étoiles dans la mer et sur la terre. (XXXVII.) J’ai vu, la nuit, pendant les factions des sentinelles devant les retranchements, briller à la pointe des javelots des lueurs à la forme étoilée. Les étoiles se posent sur les antennes et sur d’autres parties des vaisseaux avec une espèce de son vocal, comme des oiseaux allant de place en place. Cette espèce d’étoile est dangereuse quand il n’en vient qu’une seule ; elle cause la submersion du bâtiment ; et si elle tombe dans la partie inférieure de la carène, elle y met le feu. Mais s’il en vient deux, l’augure en est favorable ; elles annoncent une heureuse navigation : l’on prétend même que, survenant, elles mettent en fuite Hélène, c’est le nom de cette étoile funeste et menaçante. Aussi attribue-t-on cette apparition divine à Castor et à Pollux, et on les invoque comme les dieux de la mer. 2La tête de l’homme est quelquefois, pendant le soir, entourée de ces lueurs, et c’est un présage de grandes choses. La raison de tout cela est un mystère caché derrière la majesté de la nature.

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XXXVIII.

1(XXXVIII.) Jusqu’à présent nous avons parlé du monde lui-même et des astres ; je passe à ce qui reste de remarquable dans le ciel. En effet, le nom de ciel a été aussi donné par nos ancêtres à cet espace qui semble vide, et qui, sous le nom d’air, répand le souffle de vie. Cette région est au-dessous de la lune, et de beaucoup ; telle est du moins l’opinion à peu près générale : faisant un immense emprunt et à l’éther supérieur et aux exhalaisons terrestres, elle participe de ces deux natures. 2De là les nuages, les tonnerres et les éclairs ; de là les grêles, les brouillards, les pluies, les tempêtes, les tourbillons ; de là de nombreux désastres pour les mortels, et une lutte intestine de la nature avec elle-même. Des choses terrestres, qui tendent vers le ciel, sont repoussées par la force des astres ; d’autres, qui spontanément n’y montent pas, sont entraînées par elles. Les pluies tombent, les nuages montent, les rivières se dessèchent, la grêle se précipite, les rayons embrasent, et de toutes parts ils poussent la terre dans l’espace ; réfléchis, ils rebroussent chemin, emportant avec eux ce qu’ils peuvent. La chaleur vient d’en haut, et elle y retourne. Les vents fondent à vide sur la terre, et ils remontent chargés de butin. 3La respiration d’innombrables animaux attire l’air des hautes régions ; l’air fait résistance, et la terre épanche le souffle de vie dans le ciel qui s’est épuisé. Ainsi la nature a des mouvements alternatifs, le monde est emporté avec une grande vitesse comme par une machine de guerre, et la discorde s’en accroît. Nulle pause n’est possible dans le combat, mais une rotation perpétuelle l’entraîne, et montre successivement à la terre la sphère infinie où siègent les causes des choses. Parfois même, en interposant les nuages, elle jette au-devant du ciel un autre ciel ; c’est le royaume des vents. Là résident surtout leurs principes, dans lesquels les causes des autres phénomènes sont implicitement comprises, car on attribue généralement à leur violence la foudre et les éclairs ; on leur attribue aussi les pluies de pierre, attendu que les pierres sont enlevées par le vent ; et beaucoup d’autres choses semblables. En conséquence, il faut entrer dans quelques détails.

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XXXIX.

1(XXXIX.) Il est évident que parmi les causes des saisons et des choses les unes sont fixes, les autres fortuites, ou du moins régies par des lois encore ignorées. Qui doute, en effet, que les étés, les hivers, et toutes les vicissitudes périodiques, ne soient déterminées par le mouvement des astres ? De même que l’influence du soleil se manifeste dans les modifications de l’année, de même chacun des autres astres a sa force spéciale, et produit en conséquence des effets spéciaux. Les uns sont fertiles en humidités versées sous forme de pluies, les autres en humidités solidifiées sous forme de givre, agglomérées sous forme de neige, congelées sous forme de grêle ; d’autres le sont en vents, en chaleur tiède, en chaleur brûlante, en rosée, en froid. Et il ne faut pas en estimer la grandeur d’après le volume apparent ; car à en juger d’après leur immense hauteur, évidemment aucun d’eux n’est plus petit que la lune. 2Donc, ils exercent une action conforme à leur nature, chacun dans sa révolution ; cela est manifeste surtout dans les passages de Saturne, qui s’accompagnent de pluie. Et cette influence n’appartient pas seulement aux planètes, elle appartient aussi à plusieurs étoiles fixes, toutes les fois qu’elles sont excitées par l’ascension de planètes, ou stimulées par le jet de rayons ; c’est ce que nous voyons arriver dans les Sucules, que pour cela les Grecs ont appelées Hyades, d’un mot qui signifie pluvieuses. Quelques-unes même agissent spontanément et à des époques fixes, comme (26) les Chevreaux (XVIII, 74) à leur lever. Arcturus ne se lève presque jamais sans une grêle accompagnée d’orage.

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XL.

1(XL.) Quant à la Canicule, qui ignore que, se levant, elle allume l’ardeur du soleil ? Les effets de cet astre sont les plus puissants sur la terre : les mers bouillonnent (XVIII, 68) à son lever, les vins fermentent dans les celliers, les eaux stagnantes s’agitent. 2Les Égyptiens donnent le nom d’oryx à un animal qui, disent-ils, se tient en face de cette étoile à son lever, fixe ses regards sur elle, et l’adore, pour ainsi dire, en éternuant. Les chiens aussi sont plus exposés à la rage (VIII, 61) durant tout cet intervalle de temps ; cela n’est pas douteux.

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