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CHRONIQUES DE SAINT DENIS.

AVERTISSEMENT.

Comme il a été résolu dans les assemblées qui se tiennent chez Mr. le Chancelier, qu’il étoit à propos de donner dans notre Collection les Chroniques Françoises de S. Denis, nous imprimons presentement la partie de ces Chroniques, qui regarde la premiere race de nos Rois. M. de la Curne de Sainte Palaye dans un Mémoire, qu’il a lu à l’Académie des Inscriptions, de laquelle il est membre, donne la notice et l’histoire de ces Chroniques : nous ne pouvons mieux faire que de le suivre en l’abregeant.

Le premier Ouvrage, où il soit parlé des Chroniques de S. Denis, est l’Histoire de l’expedition de Charlemagne contre les Sarrasins d’Espagne, attribué à Turpin, mais dont l’Auteur, quel qu’il soit, écrivoit suivant l’opinion la plus commune vers le onziéme siécle. Comme les Manuscrits varient, et que ces mots in Chronicis S. Dionysii ne se trouvent que dans quelques Exemplaires, ils peuvent avoir été ajoutés par des interpolateurs. Quoiqu’il en soit, il est constant que les Chroniques de Saint Denis étoient en grande reputation dans le 13. et dans le 14. siécle, et que les Historiens ne croioient pas qu’il y eût de plus sûr moien de gagner la confiance du Lecteur, que de s’appuier de leur autorité.

Philippe Mouskes qui écrivoit dans le treiziéme siécle, nous apprend au commencenement de son Histoire des Rois de France, qu’il l’avoit tirée du Monastere de S. Denis. Guillaume Guiart, qui florissoit dans les premieres années du quatorziéme siécle, dit dans le Livre intitulé, La Branche aux Royaulx lignages, qu’il rapporte les Histoires des tems passés sur les Chroniques de S. Denis. Il avoue ailleurs qu’il ne commença à marcher sûrement dans es recherches, que lorsqu’il eut connu ces Chroniques, qui lui furent indiquées comme la source la plus pure de l’Histoire ; et il ajoute qu’aiant composé un premier ouvrage sans ce secours, il avoit été oblié de le jetter au feu. Les Poëtes Romanciers, pour accrediter leurs récits, paroient souvent du nom des Chroniques de S. Denis le

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frontispice de leurs Poëmes. J’omets les passages de ces Auteurs, que Mr. de Sainte-Palaye rapporte.

Ces Chroniques étoient conservées dans les Archives de S. Denis, et ces Archives étoient regardées comme un dépôt public, que l’on consultoit dans les affaires les plus considérables. S’agissoit-il de rechercher les usages anciens pour constater le Cérémonial, ou d’éclaircir les Généalogies pour assurer l’état des Princes ? Survenoit-il des contestations sur le point d’honneur, ou des procès entre les grands Vassaux pour la possession de leurs terres ? on ouvroit les Chroniques de S. Denis : les réponses qu’elles rendoient étoient regardées comme des oracles. Mr. de Sainte-Palaye apporte des preuves de tous ces faits.

Il n’appartenoit qu’à un homme d’État, capable des vues les plus étendues, de concevoir le projet d’un si bel établissement. Aussi Mr. de Sainte-Palaye en fait-il honneur à Suger Abbé de S. Denis, qui non content d’avoir formé le plan de ce grand ouvrage, voulut laisser à la postérité le modele qu’il falloit suivre dans l’éxécution. Au milieu de ses grandes occupations, il trouva le tems d’écrire l’histoire de son siécle, et ne crut pas que cet emploi fut au-dessous du rang qu’il tenoit dans l’État. Ce sentiment a beaucoup de vraisemblance, sur-tout si l’on fait attention que la partie des Chroniques, qui précede la Vie de Louis le Gros écrite par Suger, n’est que l’assemblage de plusieurs Historiens compilés par un seul Écrivain, qui n’en a fait qu’un corps ; et que c’est seulement à la Vie de Louis le Gros traduite dans les Chroniques que l’on commence à avoir une suite non interrompue d’Auteurs contemporains, qui ont écrit scucessivement l’histoire des regnes, sous lesquels ils vivoient. Enfin avant Suger il n’est fait aucune mention de l’établissement qui subsista si long-tems pour la promulgation de l’histoire ; et presque immédiatement après lui il en est parlé comme d’un établissement en regle, revêtu même du sceau de l’autorité roiale.

Il est très-difficile de déterminer au juste le tems au quel les Chroniques de S. Denis ont été traduites en François. Le Moine Rigord avoit inseré dans la Vie de Philippe Auguste la suite des Rois de France jusqu’à ce Prince. La traduction Françoise de Rigord dans l’imprimé et dans le ms. de S. Germain des Près pousse cette suite depuis Philippe Auguste jusqu’à Philippe le Hardi. On lit dans l’imprimé après le nom de ce Prince ces paroles, qui regnoit en 1274. d’où il s’ensuivroit que l’année 1274. seroit antérieure à la traduction Françoise. Le ms. de S. Germain au lieu du mot regnoit porte ceux-ci, qui or regne en 1274. Mr. de Sainte-Palaye pretend que ces paroles fixent d’une maniere incontestable à la cinquéme année du regne de Philippe le Hardi l’epoque de la traduction Françoise des Chroniques de S. Denis : et il lui paroît vraisemblable que Guillaume de Nangis en fut le premier auteur : car d’une part, dit-il, on y retrouve presque mot à mot la traduction qu’il avoit donnée de sa propre Chronique Latine, et d’autre part le Prologue des Chroniques de S. Denis ressemble en plusieurs endroits à celui qu’il avoit mis lui-même à la tete de sa Chronique Françoise.

Les paroles du ms. de S. Germain prouveroient seulement que la traduction Françoise de Rigord a été faite en 1274. mais je ne crois pas qu’on en puisse inferer que le Traducteur de Rigord ait aussi traduit le commencement des Chroniques jusqu’à Philippe Auguste, ni qu’il soit Auteur des Traductions des Vies suivantes. J’avois même cru d’abord qu’on ne devoit faire aucun fond sur le ms. de S. Germain ; et je conjecturois qu’il pouvoit y avoir faute, et qu’au lieu de ces paroles qui or regne, il falloit lire qui ot regné. Je ne voulois pas cependant

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proposer ma conjecture, que je n’eusse vû auparavant d’autres mss. J’en ai consulté un beau qui appartient à Mr. l’Abbé de Rothelin, et qu’il m’a prêté avec la politesse que tout le monde lui connoît. Ce ms. porte, qui ores regne en 1274. ce qui renverse tout à fait ma conjecture. Ainsi on ne peut s’empêcher de fixer l’époque de la traduction Françoise de Rigord à l’an 1274.

Quoique les paroles des deux mss. que je viens de citer, ne prouvent pas que le Traducteur François de Rigord ait aussi traduit toutes les Chroniques de S. Denis jusqu’à Philippe Auguste, ces deux mss. cependant le prouvent invinciblement un peu plus haut. Car cet Auteur passe l’endroit, où Rigord fait la généalogie des premiers Rois de France, et en apporte cette raison : Ci endroit, dit-il, fu descripte la genealogie des Roys ; mais nous n’en voulons pas autrement tretier, que nous en avons traitié au commencement des Croniques. Mais toutes voies peut-on bien ci endroit mettre le nombre et le descendement de la genealogie. Ces paroles se trouvent aussi dans l’imprimé : mais elles ne sont pas dans le ms. du roi, qui porte toute autre chose, quoiqu’il omette aussi l’endroit où Rigord parle des premiers Rois. Il est même surprenant que ce ms. qui est au moins aussi ancien que celui de S. Germain et celui de Mr. l’Abbé de Rothelin, poussa la suite des Rois de France jusqu’à Philippes le Biau qui trespassa l’an de grace 1314. et fu fils Philippes le Hardi. Il se presente encore une autre difficulté. Si les Chroniques de S. Denis étoient traduites en François en 1274. jusques à la vie de Philippe Auguste inclusivement, pourquoi Philippe Mouskes à la fin du 13. siécle, et Guillaume Guiart au commencement du 14. disent-ils qu’ils ont travaillé sur les Auteurs Latins des Chroniques, et qu’ils ont été obligés de les traduire en François ? On peut répondre à cela, que dans ce tems-là on ne presentoit encore dans l’Abbaye de S. Denis que les Auteurs Latins, c’est-à-dire les Originaux, à ceux qui venoient consulter les Chroniques, et non pas les traductions Françoises, qui en avoient été faites.

Il n’y a gueres d’apparence, quoique cela ne soit pas absolument impossible, que l’Auteur qui traduisoit la Vie de Philippe Auguste en 1274. ait aussi traduit plus de 26. ans après la Vie de S. Louis et celle de son fils Philippe le Hardi. Car Guillaume de Nangis auteur de ces deux Vies ne les presenta en latin au Roi Philippe le Bel qu’en 1300. Rien ne nous porte à croire que Guillaume de Nangis ait traduit ces deux Vies en François, ni même qu’il soit Auteur de toute la traduction des Chroniques : tout ce que nous savons, c’est qu’il a traduit sa Chronique Latine. Si le Prologue des Chroniques de S. Denis a quelque ressemblance avec celui que Guillaume de Nangis a mis à la tête de sa Chronique Françoise ; de Nangis peut avoir imité le Traducteur des Chroniques ; ou l’on peut avoir ajouté un Prologue aux Chroniques : aussi bien ne peut-on pas rendre raison pourquoi il s’en trouve deux. Il n’y a aucun lieu de s’étonner que les Chroniques Françoises donnent à Louis IX. la qualité de Saint, puisque Guillaume de Nangis, dont l’ouvrage est postérieur à la Canonisation de ce Saint, lui donne lui-même cette qualité. Je remarquerai en passant que la Vie de S. Louis dans le ms. du Roi est différente de celle qui se trouve dans le ms. de S. Germain, dans celui de Rothelin et dans l’imprimé. C’est ce que nous examinerons plus amplement, lorsque nous en serons là.

Le premier Historien traduit dans les Chroniques de S. Denis est Aimoin. Mr. de Sainte-Palaye rend raison de ce qu’on a plutôt choisi cet Historien que Gregoire de Tours et Fredegaire, qui sont des Auteurs plus dignes de foi et plus

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voisins des tems, dont ils parlent. Le Traducteur en traduisant Aimoin et les autres Auteurs n’a eu d’autre raison, ni d’autre intention que de suivre les Chroniques Latines qu’il avoit devant les yeux, et que de les traduire comme il les trouvoit. En effet dans les Chroniques Latines on n’a pas suivi le IV. Livre d’Aimoin ; on s’est contenté d’en conserver quelques Chapitres, qu’on a insérés, et même assez mal, dans les Gestes de Dagobert, que l’on donne en entier. C’est aussi ce que le Traducteur a observé. Ainsi on ne doit pas être en peine de savoir pourquoi l’on a traduit en François la Chronique fabuleuse de l’Archevêque Turpin, ni pourquoi l’on a omis l’Histoire composée par Glaber : la raison en est très-claire ; c’est que le Traducteur a trouvé l’une dans les Chroniques Latines, et qu’il n’y a pas trouvé l’autre. Toutes les questions qu’on pourroit agiter à ce sujet, regarderoient le Compilateur des Chroniques Latines, et non pas le Traducteur, qui ne s’est proposé que de suivre son original Latin. Le manuscrit de la Bibliotheque du Roi, que j’ai cité ci-dessus page 20, et sur lequel j’ai collationné Aimoin, du moins pour les trois premiers Livres, renferme ces Chroniques Latines de S. Denis depuis le commencement de la Monarchie jusqu’à la mort de Philippe le Hardi.

Ces Chroniques contiennent donc pour la premiere race l’Histoire d’Aimoin, qui ne va que jusqu’à la XVI. année du regne de Clovis II (653. de J. C.) les Gestes de Dagobert, les Gestes des Rois de France, le troisiéme Continuateur de Fredegaire et quelques autres Auteurs.

Elles renferment pour la seconde race le quatriéme Continuateur de Fredegaire, les Annales d’Eginhard depuis 769. jusqu’en 813. la Vie de Charlemagne par ce même Historien, la Chronique de Turpin sur l’expédition de cet Empereur en Espagne contre les Sarrazins, la Vie de Louis le Debonnaire par l’Auteur anonyme, qui lui étoit attaché à titre d’Astronome. A l’égard des tems qui suivent jusqu’à Louis le Gros, ce sont différentes Piéces, dont on a fait fort mal à propos le cinquiéme Livre d’Aimoin. Quand nous imprimerons cette partie des Chroniques, nous aurons soin de marquer d’où ont été pris ces differens morceaux d’Histoire, et de les restituer à leurs véritables Auteurs.

Nous avons dans nos Chroniques pour la troisiéme race, oultre les petites Pieces, dont nous venons de parler, les Ouvrages suivans : la Vie de Louis le Gros par Suger ; les Gestes de Louis VII, que Mr. de Sainte-Palaye attribue au même Auteur ; une partie de l’Ouvrage intitulé, Histoire de Louis VII. l’Histoire de Philippe Auguste par Rigord, continuée par Guillaume le Breton ; les Gestes de Louis VIII. dont le même Guillaume est peut-être Auteur ; les Vies de S. Louis et de son fils Philippe le Hardi par Guillaume de Nangis ; la Chronique du même depuis l’an 1285. jusqu’en 1300. et sa premiere continuation depuis 1301. jusqu’en 1340. On ne sait si ce que nous trouvons dans nos Chroniques depuis 1340. jusqu’en 1380. a été traduit sur le Latin, ou si c’est l’ouvrage d’un ou de plusieurs Auteurs originaux qui ont écrit en François. Comme le Moine anonyme de S. Denis, qui a écrit en Latin la Vie de Charles VI, dit en termes formels qu’il avoit composé celle de Charles V. et qu’il donne à entendre qu’il avoit aussi fait celle du Roi Jean, (deux Ouvrages qui sont perdus), il y a grande apparence que ce que nous avons, du moins depuis 1350. jusqu’en 1380. aura été traduit sur l’original Latin de ce Moine.

Les manuscrits de nos Chroniques ne vont pas plus loin que cette année 1380. La premiere édition faite par Pasquier Bonhomme en 1476. en 3. Vol. in-fol. y ajoute les Vies de Charles VI. et de Charles VII. La seconde faite en 1493.

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par Antoine Verard ne contient rien davantage. La troisiéme faite en 1514. par Guillaume Eustache continue les Chroniques jusqu’en 1513.

Mr. de Sainte-Palaye remarque que toutes ces éditions copiées les unes sur les autres sont remplies de fautes : mais il est convaincu que par le secours de deux seuls manuscrits il n’y a point de difficulté dans le texte des Chroniques qui ne disparoisse, et point de leçon si corrompue que l’on ne puisse restituer aisément. Il en excepte cependant les noms propres et les noms de lieux, qui ont été défigurés par les diverses façons dont on les a prononcés dans des tems et des pays differens : et ce défaut même est encore aisé à réparer en confrontant le texte François sur les originaux Latins traduits dans les Chroniques. Il donne la notice de ces deux manuscrits.

Le premier est de la Bibliothèque du Roi, No. 8305. 5. 5. il avoit appartenu à Mr. Colbert No. 350. c’est un grand in-folio relié en bois couvert de velours rouge, écrit à deux colonnes sur velin, en partie dans le commencement du quatorziéme siécle, et en partie sur la fin du même siécle. Il contient 425. feuillets ou 850. pages. La premiere main ne va que jusqu’en 1316. le reste depuis le feuillet CCLXXX. jusqu’à la fin, c’est-à-dire jusqu’à la mort de Charles V. en 1380. est d’une main differente, et même de plusieurs : les chiffres n’y sont plus écrits en rouge au haut des feuillets comme auparavant. Les miniatures y sont d’un autre gout, mais plus instructives ; car elles sont plus variées, et représentent les habillemens du tems auquel elles ont été faites, au lieu que celles de la premiere partie ne représentent pour la plupart que des couronnemens, et presque de la même maniere, et que d’ailleurs elles ont été faites dans un tems fort éloigné des choses qu’elles décrivent.

Le manuscrit de S. Germain des Prez No. 1462. est un petit in-folio relié en bois couvert de peau : il a été écrit dans le milieu du 14. siécle sur velin et à deux colonnes : il contient 418. feuillets d’écriture, ce qui fait 836. pages : il est orné de quelques miniatures dessinées fort proprement pour le tems. Il a appartenu à Messire Tannegui du Chastel Visconte de la Belliere, et Seigneur de Chastillon sur Yndre ; et il appartenoit en 1601. à Philippes Desportes Abbé de Thiron, comme il est marqué à la fin. Il a passé depuis dans la Bibliotheque de Mr. le Chancelier Seguier, et ensuite dans celle de Mr. le Duc de Coislin Evêque de Metz, qui l’a legué avec ses autres mss. à l’Abbaye de S. Germain des Prez. Il ne va que jusqu’à la mort de Philippe de Valois, arrivée l’an 1350.

Mr. de Sainte-Palaye ne donne la notice que de ces deux mss. il se contente d’indiquer les Bibliotheques et les cabinets des curieux où il s’en trouve d’autres. Il indique sur-tout la Bibliotheque du Roi, qui en contient jusqu’à 18. dont il rapporte les Numeros, et celle de l’Abbaye de S. Germain des Prez, où il y en a cinq.

Le ms. de Mr. l’Abbé de Rothelin, No. 1223. doit être mis au rang des plus beaux et des plus rares : il ne le cede gueres aux deux dont nous venons de parler. C’est un grand in-folio relié en veau fauve, écrit très-élégamment vers la fin du 14. siécle sur velin et à deux colonnes, et contient 456. feuillets, c’est-à-dire 912. pages. On y trouve un grand nombre de miniatures très-diversifiées et fort curieuses pour les habillemens et les armures qu’elles representent, sur tout quand on approche du tems où elles ont été dessinées. Ce ms. finit à la mort de Charles V, comme celui du Roi, mais il a deux petits Chapitres de plus ; l’un du couronnement du Roi Charles VI. l’autre des Juifs pillés, de même que dans l’Imprimé.

Il n’y a aucun titre dans le ms. du Roi : il commence par une miniature, où

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