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ESQUISSE D’UNE MÉTHODE
POUR LA
VÉRIFICATION CLINIQUE DES MÉDICAMENTS

AVANT-PROPOS


Un de nos maîtres dans les hôpitaux, M. le professeur Lasègue, avait coutume de dire familièrement dans ses cliniques : « Que celui qui trouverait des moyens faciles pour vérifier cliniquement, au lit même des malades, la plupart des médicaments usuels, que celui-là rendrait un immense service à l’art de guérir et que sa découverte serait surtout utile aux médecins de campagne, qui, n’ayant la plupart du temps, que des médicaments détériorés, impurs ou falsifiés, ne sauraient faire qu’une thérapeutique aveugle et empirique, absolument incompatible avec les données précises de là science moderne ».

Simple médecin, dans une petite ville de province, nous avons eu souvent l’occasion de vérifier l’exactitude des paroles de notre vénéré maître.

Aussi, depuis six ans, nous sommes-nous constamment appliqué à rechercher quelles sont les méthodes les plus simples et les plus expéditives pour permettre à tout médecin, même le moins versé dans les études chimiques, de reconnaître rapidement la bonté ou les falsifications des remèdes qui lui sont livrés par le pharmacien. Nous avons toujours été guidé par cette pensée, que nous croyons juste, que : « Si pour être sûr d’une arme, il faut l’essayer, pour être sûr d’un médicament, il faut absolument le vérifier. »

Après de nombreuses tentatives, plus ou moins heureuses dans cette voie, nous sommes arrivé à un certain nombre de conclusions très simples, que nous soumettons aujourd’hui à l’appréciation de nos confrères. Nous les prions toutefois de regarder ceci, non comme une œuvre didactique complète, mais comme une première ébauche, destinée simplement à fixer l’attention sur le sujet, un premier essai, bien imparfait encore, mais qui, dans l’avenir, peut acquérir une plus grande précision et qui attend, d’eux et de leurs lumières, de nombreux perfectionnements.

Notre petite méthode, par elle-même, se compose d’un ensemble de procédés dont pas un n’est nouveau et qui tous au contraire ont été, dans d’autres buts, proposés et essayés : ce qui en fait la nouveauté et, si nous pouvons ainsi dire, l’originalité, c’est l’application spéciale, c’est l’association raisonnée de tous ces éléments épars pour concourir au même résultat : l’analyse des remèdes par le clinicien lui-même, sans recours nécessaire à un chimiste.

Dans cette étude de chimie, essentiellement dédiée aux médecins praticiens, nous commencerons par établir l’absolue nécessité d’une méthode facile et vraiment clinique pour la vérification des médicaments ; — nous parlerons ensuite des moyens généraux, à la portée de tout le monde, que tout médecin peut employer pour essayer les armes dont il veut se servir ; — enfin, appliquant les principes généraux à chaque cas particulier, nous ferons voir quels sont les procédés qui paraissent les plus simples et les plus expéditifs pour la vérification des principaux médicaments de la thérapeutique.


CHAPITRE PREMIER
nécessité, pour le médecin, d’une méthode générale de vérification simple et facile


I

Dans l’état actuel de la médecine, les médicaments les plus usuels sont souvent falsifiés, les remèdes les plus précieux, comme les plus simples, sont souvent l’objet, dans un but de spéculation, de nombreuses et coupables fraudes portant, soit sur la qualité, soit sur la quantité, soit enfin sur l’introduction dans les médicaments, de substances étrangères ordinairement inertes, quelquefois nuisibles.

1o Voyons d’abord ce qui se fait, sous ce rapport, à Paris.

On a fait beaucoup de bruit, en 1882, à l’Académie de médecine, du traitement de la fièvre typhoïde par le sulfate de quinine aux doses élevées de 3 et 4 grammes. L’épidémie éteinte, l’on s’est aperçu que ce qu’on administrait aux malades des hôpitaux, sous le nom de sulfate de quinine, n’était qu’un mélange de cinchonine et de quinidine, dans lequel la quinine ne figurait que pour un tiers à peine. C’est un physiologiste distingué, le Dr Laborde qui a signalé la sophistication. Or, si ce fait est arrivé à Paris, si la fraude a échappé si longtemps à nos maîtres dans l’art de guérir, à des praticiens dont la réputation est européenne et le zèle au-dessus de toute discussion, n’en faut-il pas chercher la cause dans l’absence complète de moyens de vérification simples et pratiques et à la portée du médecin ? Actuellement le clinicien est forcé de s’en remettre à un tiers sur la bonté et la pureté des produits qu’il emploie et obligé d’accepter de lui, les yeux fermés, sans contrôle, les médicaments dont il se sert au lit des malades. Ce qui est arrivé à l’Assistance publique, où l’art pharmaceutique est cependant exercé par des hommes dont le savoir et l’honorabilité ne sauraient être mis en doute, indique suffisamment ce qui doit se passer dans les pharmacies de la ville, où les garanties sont moindres et le contrôle presque impossible.

En 1883, M. le professeur Léon Le Fort, se plaignant du chloroforme des hôpitaux, à cause des vomissements qui accompagnent son administration, résolut de recourir à l’emploi du chlorure de méthylène, seul anesthésique employé depuis longtemps en Angleterre par M. Spencer Wells. N’ayant pu se procurer, en France, cette préparation à l’état de pureté, le célèbre professeur de médecine opératoire s’adressa au fournisseur même de M. Spencer Wells ; mais il eut bientôt reconnu que le chlorure de méthylène expédié, quoique d’un prix fort élevé, n’était point pur. Néanmoins, l’émoi fut grand quand M. le professeur Regnauld vint affirmer, à l’Académie de Médecine (juin 1883), que, dans le liquide expédié de Londres, sous le nom de chlorure de méthylène, il n’y avait pas trace de ce produit. C’était tout simplement un mélange de quatre volumes de chloroforme, pour un volume d’alcool méthylique.

En 1884, de savants physiologistes ont cherché à fixer l’attention des praticiens sur un nouveau médicament, l’hopéine, principe extrait du houblon. — Deux médecins étrangers, MM. Roberts et Smith, en avaient, disait-on, obtenu d’excellents résultats, comme narcotique ; — M. Williamson avait fait, sur cette substance, un grand nombre d’expériences qui ne laissaient plus aucun doute sur son action éminemment calmante ; — M. le professeur Grasset (de Montpellier) déclarait qu’il regardait les propriétés de l’hopéine comme supérieures à celles de la morphine. — Tous les cliniciens se disposaient donc à employer l’hopéine comme calmant, quand M. Dujardin-Beaumetz reconnût, par l’analyse chimique, que tous les expérimentateurs précédents étaient, en réalité, victimes d’une audacieuse supercherie ; que la soi-disant hopéine n’était autre chose que de la morphine aromatisée au houblon et que la seule différence, séparant ces deux substances, c’est que la morphine se vend 50 centimes le gramme, tandis que la prétendue hopéine est à 3 ou 4 francs le gramme ! (Voir : Semaine médicale, 27 janvier 1886).

Dans la séance du 26 janvier 1886, M. le professeur A. Gauthier a déclaré, à l’Académie de médecine, avoir acheté, en 1884, dans une grande maison de Londres, du venin de copra capello. Or, ce venin n’était autre chose que de l’eau pure, qu’on lui avait vendue à raison de 50 francs le gramme ! Ayant fait des réclamations, pour le remboursement de la somme versée, il ne reçut jamais aucune réponse.

En 1882, ayant voulu nous-même faire quelques essais avec du chloroforme parfaitement pur, nous résolûmes d’en faire venir directement de Paris. Pour cela, nous nous adressâmes successivement à trois maisons bien connues dans la droguerie, leur demandant, avec instance, de nous expédier le produit le plus pur et le mieux rectifié de leurs laboratoires. Or, les trois produits, venus de ces trois sources distinctes, nous présentèrent tous trois, à notre grand étonnement, des réactions différentes. — Le premier échantillon était d’une extrême inflammabilité et brûlait un instant en produisant une grande flamme blanche très fugace. — Le second ne s’enflammait pas : présenté à la flamme d’une bougie, il y brûlait cependant en la colorant en vert et en la faisant fumer. — Quant au troisième échantillon, certifié pur comme les précédents, il donnait lieu à une petite flamme, d’un bleu très pâle, à bords verdâtres et assez persistante. Il était évident que chacun de ces chloroformes avait une composition différente, puisque leur flamme n’était pas identique. L’acide azotique, le crayon de nitrate d’argent, la teinture d’iode, donnaient d’ailleurs des réactions différentes pour chacun d’eux. Aucun ne présentait les qualités réunies d’un bon chloroforme.

Tous les médecins connaissent les incertitudes des préparalions d’opium. Or, les études modernes ont prouvé que les anomalies dans l’action de ce médicament, qu’on a cru souvent pouvoir attribuer à l’état des malades, à leur idiosynérasie, n’ont le plus souvent d’autres causes que des différences dans sa composition, dont on était loin de soupçonner l’étendue. — En effet, on a falsifié l’opium, disent les professeurs Chevallier et Baudrimont[1], avec les extraits de chélidoine, de laitue vireuse, de réglisse, avec le cachou, les huiles de sésame et de lin, la gomme arabique, la gomme adragante, le sable, la terre végétale, la fécule, le plomb, la cire, le galipot, etc. — Il a été vendu, dans le commerce de Paris : 1o des opiums contenant, l’un 20 pour 100, l’autre 31 pour 100 de son poids, de feuilles de pavot hachées ; 2o un produit imitant l’opium et qui, pour 500 grammes, n’a fourni que des traces de morphine ; 3o enfin, un faux opium qui ne contenait pas d’alcaloïdes. — Batka, de Prague, a donné la description d’un opium, fabriqué de toutes pièces, sans la moindre trace de morphine, ni d’acide méconique, et ne contenant pas même une parcelle d’opium. — Finckh, en 1869, ayant eu à sa disposition de nombreux échantillons d’opium, pût reconnaître un opium falsifié avec de l’argile, un autre contenant de la cire, un autre de la gomme, un quatrième de la poix fondue. Parmi eux, il trouva un opium fait presque en entier d’argile et de bouse de vache !

Les laudanums ne sont pas moins frelatés. — À Londres, nous dit M. Chevallier[2], la commission sanitaire a fait acheter du laudanum chez vingt-un droguistes des plus renommés et pas un seul échantillon n’a présenté réunies toutes les conditions d’une préparation conforme au Codex anglais. — En France, on trouve souvent des laudanums mal préparés ; par exemple, des laudanums de Sydenham marquant 2° à 3° au lieu de 8° à 9° à l’aréomètre de Baumé. D’autre fois, la fraude est poussée plus loin. Le laudanum est préparé : soit avec de l’opium d’Égypte ou de Constantinople et un liquide coloré par les fleurs de carthame ; soit avec un mélange d’eau, de sucre et d’alcool ; soit avec du vin blanc ordinaire, édulcoré d’une certaine quantité de sirop de sucre, ou avec des vins blancs du Midi de France ; soit, enfin, avec des opiums extrêmement humides. — Les médecins qui voudraient se faire eux-mêmes une opinion sur le laudanum, n’ont qu’une expérience bien simple à faire : prendre plusieurs échantillons de ce liquide et les essayer, en même temps, par une égale quantité d’ammoniaque. Ils verront certains échantillons donner un précipité abondant de morphine (précipité blanc-jaunâtre), et d’autres ne donner… aucun précipité !

Nous avons eu l’occasion, dans un autre travail, de parler des sophistications qu’on fait subir à Paris, à la digitale, au calomel, à la santonine, au quinquina, aux solutions de salicylate de soude, etc. Le dictionnaire des falsifications de Chevallier et Baudrimont et celui de Soubeiran regorgent d’exemples fameux de fraudes diverses officiellement constatées dans la pratique pharmaceutique parisienne. Ici, c’est de la scammonée qui est additionnée de craie ; là, de la poudre de gentiane qu’on a mariée avec la poudre d’aconit ! etc., etc.

2o Or, s’il en est ainsi à Paris, au centre même des lumières, que ne doit-on pas observer en province, où nous recevons les médicaments de troisième ou de quatrième main ?

Que mes confrères établis à la campagne ou, comme moi, dans une petite ville, qui voudront se faire une idée nette sur ce sujet, se donnent la peine de répéter les expériences suivantes, toutes d’une extrême simplicité.

Qu’ils présentent, à la flamme d’une bougie quelconque, leur spatule de trousse chargée d’une pincée de toutes les quinines qu’ils emploieront ; ils verront ceci : — Quelques-uns des échantillons coloreront vivement les bords de la flamme en jaune, en violet, en vert ou en rouge, tandis que d’autres laisseront, au contraire, la flamme complètement incolore, ou plutôt avec sa couleur primitive. — Quelques-uns fumeront abondamment, d’autres sembleront n’augmenter en rien la fumée de la bougie.

Quelques quinines répandront une odeur âcre, assez désagréable ; d’autres une odeur douce et de caramel. J’ai vu, sous l’influence de la flamme, des quinines se sécher, se noircir ; d’autres se boursoufler, puis fondre en un liquide blanchâtre, puis brunâtre et finalement se carboniser ; d’autres, enfin, se convertir en un grand nombre de petites perles rosées, puis d’un rouge vif, etc. Ces différentes manières de se comporter vis-à-vis la flamme d’une bougie indiquent nécessairement des modes différents dans la constitution intime des quinines analysées, et il n’est pas admissible que ces quinines aussi dissemblables puissent produire toutes des effets physiologiques identiques.

Qu’on répète la même expérience sur le sous-nitrate de bismuth donné en nature ou en cachet. Ouvrant un des cachets, qu’on place, sur une spatule, une partie du contenu et qu’on approche de la bougie. On verra souvent la flamme se colorer, d’autrefois conserver sa couleur primitive. On verra la poudre blanche quelquefois rougir, d’autrefois noircir, assez souvent pétiller.

La même expérience, faite à propos de la santonine, donne ordinairement lieu aux mêmes résultats ou, pour mieux dire, à des résultats aussi différents.

Le sulfate de magnésie est un remède employé tous les jours en médecine et le clinicien n’a pas idée qu’il soit falsifié. Qu’il en approche cependant un grain de la flamme d’une bougie toutes les fois qu’il lui arrivera d’en trouver chez ses malades et il verra que, dans l’immense majorité des cas, la flamme sera immédiatement colorée en beau jaune, tandis qu’il est certain que la coloration jaune de la flamme est le propre des sels de soude, non des sels de magnésie qui eux, ne lui font éprouver aucune modification. Si donc la flamme est colorée, c’est que le sulfate de magnésie contient du sulfate de soude, qu’on lui substitue souvent ou du chlorure de sodium. Il en résulte ceci : c’est que le praticien croit avoir purgé son malade avec un sel et l’a, en réalité, purgé avec un autre.

L’essence de térébenthine est souvent ordonnée en capsules et le médecin, la plupart du temps, n’a garde de la vérifier. Cependant, il suffit d’ouvrir une des capsules et de verser son contenu à la surface d’un verre d’eau ordinaire pour voir si l’essence est pure ou non. Presque toutes les capsules térébenthinées du commerce, que nous avons essayées, ont un contenu qui gagne rapidement le fond du verre, ou se mêle au liquide en le blanchissant. Cependant, il est certain, que l’essence de térébenthine pure, est plus légère que l’eau (0,86), insoluble dans ce liquide et doit rester à sa surface.

L’innocente teinture d’iode n’est pas à l’abri des falsifications. J’ai l’habitude, toutes les fois qu’il m’en tombe sous la main, chez mes malades, d’en verser un peu sur une soucoupe et de l’enflammer avec une allumette. Ce médicament, à l’usage externe, s’enflamme facilement et brûle jusqu’à épuisement de l’alcool qu’il contient ; mais quelles différences dans la flamme ! Quelles variétés dans les résidus ! — Certaines teintures d’iode brûlent avec une flamme peu éclairante, d’un bleu pâle (ce sont celles de bonne qualité) ; d’autres, au contraire, avec une flamme aussi claire que celle d’une bougie ! J’ai vu les bords de la flamme se colorer fortement en rouge, en jaune, en violet et même en vert. — Quelques teintures donnent lieu à beaucoup de fumée ; on se demande cependant qu’elle est la substance, dans la teinture d’iode (iode et alcool) qui peut laisser un résidu charbonneux ? — Quant au dépôt qui demeure au fond de la soucoupe après la combustion de l’alcool, il est très variable. C’est assez souvent un liquide rougeâtre très fluide ; quelquefois un liquide sirupeux coulant très difficilement ; parfois l’on n’obtient qu’une grande tache d’iode brillante et parfaitement sèche. Enfin, il m’est arrivé de trouver du sable, une sorte de corps huileux et surtout une poussière noire très fine qui semble être de la plombagine.

Les teintures plus actives, employées en pharmacie, telles que celles de belladone, de digitale, d’aconit, de noix vomique, de colchique, etc., présentent aussi des flammes et des résidus d’une extrême variabilité pour le même liquide essayé : autant d’échantillons, autant de résultats !


II

S’il est vrai que la plupart des médicaments sont falsifiés, il n’est pas moins vrai que nous n’avons, nous médecins, aucune méthode pratique pour découvrir la falsification. Nous sommes désarmés vis-à-vis le pharmacien et obligés d’accepter, en confiance, les remèdes qu’il délivre à nos malades.

1o Les quelques expériences que nous venons de rapporter incidemment, pour prouver les sophistications médicamenteuses, outre qu’elles nous sont personnelles (et nous nous proposons de les développer plus loin) ne sont, croyons-nous, imitées par aucun de nos confrères. Nous ne connaissons aucun praticien, même des plus en vue, qui se soit adonné à ces recherches, en se plaçant sur un terrain vraiment pratique et exclusivement médical.

Ce qui s’est passé à Paris, à propos de la quinine, en est une preuve évidente. C’est un physiologiste, non un médecin, qui a trouvé la fraude. L’expérimentation a ouvert les yeux à la clinique.

En 1883, classiques et dosimètres se sont attaqués, par l’organe de MM. Dujardin-Beaumetz et Burggraëve, à propos d’une malade à laquelle le docteur Duchêne avait fait prendre, dans les vingt-quatre heures, sans intoxication, 100 granules (5 centigrammes) d’aconitine, 100 granules (5 centig.) de vératrine, et 100 granules (10 centig.) de digitaline. — Le célèbre thérapeutiste de Paris, parlant de ce fait, en tirait cette sage conclusion, que les granules dosimétriques ne doivent renfermer que du sucre, car il est bien certain que si l’on dépasse 4 milligrammes d’aconitine par jour, on obtient des accidents toxiques. — Le grand maître de la dosimétrie n’était point de cet avis. Pour lui, « de pareilles doses, qui paraissent énormes, démontrent péremptoirement la tolérance à l’égard des alcaloïdes dans les maladies aigues et l’impossibilité de toute intoxication avec les granules dosimétriques, même à des doses qui seraient sans doute toxiques si l’on employait d’autres préparations des mêmes substances. » — Les journaux médicaux ont parlé quelque temps de ce fait ; les uns beaucoup plus nombreux se rangeant de l’avis de M. Dujardin-Beaumetz, d’autres, en très petit nombre, soutenant la cause de M. Burggraëve. Tous accumulaient, à l’appui de leur thèse, raisonnements, observations cliniques, sarcasmes, etc. Cependant, toute la discussion pouvait se résumer, en fin de compte, à cette question bien simple : « Les granules dosimétriques contiennent-ils, oui ou non, et en quantité voulue, les alcaloïdes indiqués ? » Or, à pareille question, c’est à la chimie à répondre, non à la clinique, ni au raisonnement. Cependant, c’est la chimie seule que l’on a oublié d’interroger ! Les médecins sont si peu chimistes et ont si peu l’habitude des vérifications !

2o Il est certain que les études médicales actuelles préparent assez incomplètement aux recherches chimiques. Nos livres classiques, en effet, en raison des exigences des programmes, se contentent habituellement de nous tracer les grandes lignes, de nous faire entrevoir les grandes théories et dédaignent descendre des hauteurs du spéculatif aux bassesses de la pratique.

Les livres de chimie, à propos de chaque corps en particulier, nous parlent des propriétés physiques et chimiques de ce corps, de sa composition, de sa préparation, de sa provenance, de ses usages, etc., mais ne nous apprennent point les différents genres de falsifications des produits les plus usités en thérapeutique et les moyens de les reconnaître. Ils nous lancent dans les magnifiques et attrayantes théories de la chimie organique, et cependant, étant donné par exemple, du sous-nitrate de bismuth, du calomel ou du sulfate de soude, nous ne savons point quelles sont les sophistications qu’on fait subir à ces corps. Placé au lit du malade, en face d’une de ces substances qu’on vient d’apporter de la pharmacie, il nous est difficile, au milieu des nombreuses réactions que nous signalent les auteurs, de choisir immédiatement celle qui doit nous apprendre de suite, sans tâtonnements, s’il y a, oui ou non, falsification. En admettant, cependant, que nous soyons fixés sur ce point, tout n’est pas fini. Il nous faut un laboratoire, des cornues, une source de chaleur, des réactifs que le médecin n’a pas : il nous faut recourir à des manipulations compliquées et délicates, qui demandent souvent beaucoup de temps ; il nous faut une habitude et une certaine dextérité que nous n’avons pas acquises dans les hôpitaux. Aucun traité de chimie nous prenant, pour ainsi dire, par la main, et se pliant aux exigences de la pratique médicale, n’enseigne au clinicien des moyens simples, faciles, expéditifs pour reconnaître immédiatement si tel corps est fraudé ou ne l’est pas ; si tel éther est pur ou renferme de l’alcool ; si tel sel de potassium renferme, oui ou non, un sel de soude, etc.

Les Traités de matière médicale et d’histoire naturelle insistent beaucoup sur l’historique, le lieu d’origine, les espèces, les variétés, la description des racines, des tiges, des fleurs, des semences, etc., mais parlent à peine du sujet qui nous occupe. Ils nous enseignent que « les cinchonas végètent sur différentes ramifications de la chaîne des Andes dans l’Amérique du sud ; que l’altitude à laquelle ils prospèrent est comprise entre 1 200 et 3 270 mètres ; qu’ils croissent dans une zone offrant une longueur d’environ 800 lieues et une largeur qui ne dépasse guère 18 lieues : que cette bande territoriale s’étend du 10e degré de latitude boréale au 19e degré de latitude australe, etc. » Cependant, sachant tout cela, le médecin, au lit du malade, se trouve très embarrassé pour distinguer la cinchonine de la quinine, pour savoir si celle-ci n’est pas falsifiée, pour vérifier si telle pilule quinique renferme vraiment de la quinine ! Les détails, partageant l’attention, font oublier le point principal, la seule chose qu’il faille savoir, et nous n’avons jamais compris que les programmes officiels, au lieu de nous lancer dans les plus fines subtilités de la botanique, ne nous aient pas enseigné de simples notions, ce que nous appellerons les données terre à terre, si négligées et cependant si utiles dans la pratique. Les livres d’histoire naturelle renferment, il est vrai, une foule de renseignements précieux pour le médecin ; mais ces renseignements sont tellement épars, tellement perdus au milieu de détails purement théoriques, tellement noyés, pour ainsi dire, dans la masse spéculative, que le praticien de province ne trouve jamais le temps de fouiller dans cette masse, n’a presque jamais la patience de pêcher en eau trouble dans cet océan scientifique.

Les traités de pharmacie (faudrait-il le leur reprocher ?) sont faits presque exclusivement par les pharmaciens. Ils mettent ceux-ci à couvert des fraudes de la grande industrie, leur enseignent des procédés de vérification qu’ils peuvent très bien employer dans leurs laboratoires, ayant à leur disposition tous les réactifs et tous les appareils nécessaires aux recherches chimiques, mais ils ne s’adressent que rarement aux médecins et n’indiquent jamais à ces derniers des moyens simples et faciles de reconnaître les falsifications opérées par le pharmacien. Ils s’adressent à des chimistes non à des cliniciens. L’ouvrage des professeurs Soubeiran et Regnauld renferme çà et là des données très pratiques et très cliniques, sur lesquelles nous aurons plusieurs fois l’occasion de revenir, et cependant, la plupart du temps, les procédés décrits sont encore trop compliqués pour des médecins. Pour l’essai de la quinine, il faut de l’éther sulfurique alcoolisé et de l’ammoniaque à seule fin de découvrir la cinchonine ; il faut dissoudre dans de l’alcool ordinaire pour connaître les additions de gomme, de fécule, de sulfates alcalins ; il faut de l’eau de baryte pour reconnaître le sucre et la mannite etc. etc.

Les ouvrages traitant des falsifications sont quelquefois excellents, mais s’adressent exclusivement aux chimistes. Le dictionnaire de MM. Baudrimont et Chevallier, que tout médecin devrait consulter, est dans ce cas. M. le professeur Baudrimont nous le dit lui-même : « La publication de ce dictionnaire, nous dit-il, a toujours eu pour but de permettre aux pharmaciens : 1o de repousser de leurs officines les substances altérées et les médicaments qui auraient été sophistiqués ; 2o de donner leur avis, lorsqu’ils sont consultés par l’administration, sur la valeur, soit des substances alimentaires, soit des substances commerciales ; 3o de faire connaître aux négociants, chefs de fabrique et à tous ceux qui achètent des substances alimentaires et commerciales, les moyens d’en connaître les falsifications et de s’y soustraire. » Les médecins ne sont pas nommés. D’ailleurs les procédés indiqués dans cet immense ouvrage, au moins pour la plupart, sont des procédés de laboratoire et non des moyens cliniques que le médecin puisse employer au lit du malade. On s’en convaincra facilement si, ouvrant le livre (édition de 1882 page 22), on vient à jeter les yeux sur la liste des réactifs dont les chimistes, disent les auteurs, ont le plus souvent besoin dans les recherches des falsifications. Le nombre de ces réactifs les plus usuels ne monte pas à moins de 57 ! Je ne parlerai point des ballons, des cornues, des fioles, des alambics, etc., etc., qui sont également indispensables. Toutes ces choses, qui constituent le mobilier ordinaire d’un laboratoire, ne sauraient trouver place ni dans le cabinet, ni dans la trousse d’un clinicien. En résumé, dans l’état actuel de la pratique médicale, les médecins n’ont ordinairement pas l’habitude de songer aux falsifications des substances médicamenteuses et leurs livres classiques ne leur donnent pas des moyens faciles de découvrir ces falsifications.


III

Cependant la pureté des médicaments est d’une absolue nécessité, en clinique, sous peine de tomber dans l’empirisme.

Il est bien évident que si l’on a cru administrer 1 gramme de sulfate de quinine pour couper court à un accès pernicieux, et si, en réalité, l’on a donné que 50 centigrammes (le reste n’étant que du sucre ou de la craie), il est bien évident, dis-je, que l’accès peut ne pas être enrayé et emmener le malade. Il est bien certain, comme cela m’est arrivé, que si, au lieu d’administrer 2 grammes d’ergot de seigle en poudre, pour arrêter une perte post partum, l’on n’administre que 2 grammes d’une poudre inerte (mélange de sucre, de fécule, de poudre de réglisse, etc.), médecin et malade peuvent se trouver dans une position assez critique ; l’on peut se demander ce que seraient devenus les typhiques des hôpitaux auxquels on faisait absorber 4 grammes de quinine, si cette quinine eût été bonne, etc.

La sophistication des substances actives peut avoir des conséquences extrêmement graves. « Une fraude sur la strychnine, nous dit M. Baudrimont, est un crime. Elle peut être la cause de la mort des malades et le pharmacien, qui s’en rend coupable, commet le crime d’homicide volontaire ». En effet, supposons qu’un médecin fasse prendre, dans une officine, une préparation de strychnine ; si les effets de cet alcaloïde sont peu marqués, le médecin est porté à en augmenter la dose ; la dose étant augmentée, il peut se faire que, pour une raison quelconque, on vienne à prendre l’alcaloïde dans une autre officine, où il est livré pur ; la dose, quoique la même, produit alors d’autres effets qui peuvent être tels que le malade est empoisonné et succombe, quoiqu’il n’ait pris que la quantité de strychnine ordonnée par le médecin ; seulement dans un cas le médicament était falsifié, et dans l’autre il ne l’était pas. Cette hypothèse, suivant Chevallier, s’est malheureusement réalisée deux fois. Elle s’est réalisée plusieurs fois à propos d’autres substances, telles que le laudanum, l’aconit, la belladone, etc.

Quelquefois les médicaments sont falsifiés avec d’autres substances très actives qui peuvent donner lieu à des effets tout opposés à ceux que l’on attend. Nous avons eu déjà l’occasion de parler de la sophistication de la poudre de gentiane par la poudre d’aconit. Hoeger a trouvé de la strychnine dans la santonine. Nous avons vu une pharmacie de campagne, n’ayant point de calomel, comme vermifuge, délivrer, à la place, une même dose de santonine.

Les médecins, en ne vérifiant pas les médicaments peuvent arriver à se faire une fausse idée de la valeur de ceux-ci. — L’on a failli proclamer le chlorure de méthylène comme un anesthésique supérieur au chloroforme, sans MM. les professeurs Léon Le Fort et Regnauld qui ont démontré que le soi-disant chlorure de méthylène essayé n’était qu’un mélange de chloroforme et d’alcool méthylique. — Dans l’épidémie typhoïde de Paris, en 1882, on a signalé les convulsions comme suivant l’emploi de la quinine à hautes doses ; or, le docteur Laborde a expérimentalement démontré, non-seulement que ce que l’on croyait être de la quinine, n’était qu’un mélange de cinchonine et de quinidine, mais encore que la cinchonine seule jouit de propriétés convulsivantes. Sans les observations de ce savant physiologiste, la quinine se serait vue dotée, de par la clinique, des propriétés convulsivantes de sa congénère et les livres classiques l’auraient à l’envi enregistré. La science aurait ainsi fait fausse voie, grâce à une fraude habilement dissimulée.

Les falsifications médicamenteuses peuvent être cause que plusieurs médecins, ayant employé les mêmes médicaments, dans des conditions paraissant identiques, ne s’entendent pas sur les résultats obtenus. Il est probable que beaucoup de discussions sur les propriétés de tel ou tel corps n’ont pas d’autre origine. Je crois voir un exemple de cela dans la pilocarpine. On sait qu’à propos des propriétés curatives de ce médicament, il y a autant d’opinions que d’auteurs différents ; il me semble utile de faire remarquer ici que j’ai trouvé, dans mes recherches, autant de variétés différentes de pilocarpine que j’ai essayé d’échantillons. — Les médicaments sur lesquels on s’accorde le mieux, au point de vue clinique, sont précisément ceux qui sont le moins sujets à être falsifiés. Il est certain que les résultats cliniques ne peuvent être concordants que quand les médecins se servent de la même substance pour expérimenter.

Se faisant une fausse idée de la valeur d’un médicament, les praticiens peuvent à tort admettre ce médicament ou le rejeter de leur arsenal pharmaceutique. Le clinicien, en effet, a l’habitude de juger la valeur d’une substance médicamenteuse par les résultats qu’il en obtient, et si ceux-ci sont mauvais, il se hâte de rejeter cette substance sans s’informer si ces résultats tiennent à l’essence même du remède ou à sa préparation défectueuse. Une grande et importante règle de toute thérapeuthique rationnelle nous semble être cependant la vérification préalable de la substance médicinale au moyen des réactifs. Comment, en effet, savoir si un médicament est efficace ou non : 1o Si l’on n’est pas assuré d’avoir fait absorber ce médicament au malade (histoire de la cinchonine donnée pour la quinine) ; 2o si l’on n’est pas sûr qu’il ait été absorbé en quantité voulue ; 3o enfin, si l’on n’est pas absolument certain qu’il n’a été falsifié par aucune matière étrangère capable d’augmenter, diminuer ou modifier son action ? Le médicament a-t-il été réellement pris, en quantité voulue et non fraudé ? Telles sont les trois questions que tout médecin doit se faire, avant de se prononcer définitivement sur la valeur des substances médicamenteuses : les résultats cliniques ne peuvent venir qu’en seconde ligne.

On parle beaucoup en médecine, de l’idiosynchrasie. — Un médecin, voyant qu’un tel remède a fait dans un cas et a échoué dans un autre absolument semblable, se contente habituellement, pour expliquer ce phénomène, d’invoquer ce grand mot tiré du grec, de même qu’autrefois avant la découverte de l’ophtalmoscope, on employait, à tout propos, le terme amaurose pour expliquer doctement ces nombreux cas de cécité dans lesquels les médecins… ne voyaient pas plus clair que leurs malades. — Je ne veux pas nier absolument que chaque individu n’ait vis-à-vis des médicaments une susceptibilité particulière, mais je suis fortement porté à croire que, la plupart du temps, on attribue à tort à une idiosynchrasie individuelle ce qu’il faudrait mettre sur le compte d’une idiosynchrasie pharmaceutique. Depuis cinq ans que j’emploie la méthode des vérifications, je vois diminuer singulièrement ces idiosynchrasies inexplicables et toujours, à l’administration d’un médicament pur, je vois succéder, d’une façon invariable, presque mathématique, les effets attendus.

Un autre inconvénient des falsifications médicamenteuses, en donnant lieu à des résultats variables selon chaque cas particulier, est de dégoûter le médecin et de le rendre sceptique à l’endroit des remèdes. Or, le praticien sceptique, n’ayant point foi en ses armes, tâtonne, hésite, cesse d’avoir de la résolution et devient expectant. Il est dès lors à peu près perdu pour l’art médical.


IV

Beaucoup de médecins de province, désirant donner à leurs malades des médicaments moins impurs, prennent l’habitude de ne prescrire que des spécialités. Or, l’on peut faire, au sujet de ces préparations, les deux questions suivantes : — Les spécialités offrent-elles aux cliniciens des garanties suffisantes et sont-elles des armes sûres auxquelles on puisse se confier ? — À quels caractères reconnaît-on celles qui sont véritables, sérieuses et qu’on peut employer ?

I. Nous croyons, d’une façon générale, que les spécialités, dans l’immense majorité des cas, offrent peu de garanties et sont des armes, sinon à rejeter complètement, du moins très suspectes.

1o Les spécialités, à composition inconnue, qui encombrent les pharmacies et remplissent la quatrième page des journaux, sont des produits fabriqués dans un but de spéculation, et qui ne savent que mentir à leurs pompeuses promesses.

Aujourd’hui, cependant, ces sortes de spécialités pullulent, foisonnent, et tendent à envahir toute la thérapeutique. Il n’est pas une feuille périodique qui n’en pare son recto et son verso, pas une salle de gare qui n’en soit tapissée, pas une colonne du boulevard qui ne nous en offre intus et extra. Le papier supporte tout, dit le proverbe, et on lui fait tout supporter effrontément.

« Comptez, si vous pouvez, dit le professeur Diday, tous les vins, cigares, farines, pâtes, mixtures, tous les robs, sirops, thés, topiques, toutes les rinçures de fioles et raclures de bassines qui émergent du néant à chaque aurore nouvelle. Comptez : la besogne est peu alléchante, mais le texte instructif ! Oh ! le texte ! L’un a trouvé l’injection « seule infaillible, la seule qui guérisse en trois jours » ; l’autre, le croiriez-vous, vient à bout, sans mercure, des blénorrhagies ! — L’on me crie de gauche que deux pilules de X… prises le matin, sans aucun régime, guérissent la masse du sang, corrigent les humeurs, expulsent la corruption, les acides, la bile, les glaires, les matières âcres, vicieuses, muqueuses, corrosives, sources de toutes les maladies,… Mais l’on me répond de droite : « un potage, un simple potage (la douce et bienfaisante Révalescière) guérit les dyspepsies, gastralgies, phtisies, dyssenteries, vomissements, insomnie, constipation et diarrhée, l’anémie, le manque d’appétit et l’énergie vitale ». — Guérit l’énergie vitale !

Souvent les malades qui veulent se médicamenter eux-mêmes (ils sont nombreux) n’ont que l’embarras du choix ; il est vrai de dire que parfois cet embarras n’est pas mince, surtout quand, dans une série de préparations du même genre, on veut se procurer la meilleure. Les ferrugineux et les vins fortifiants sont de ce nombre ; sur la même page, il ne s’en étale jamais moins de quatre ou cinq, tous prônés comme seul efficace par des Académies, des Facultés, des professeurs, des comités de toutes sortes.

Les journaux de médecine eux-mêmes sont envahis, débordés par l’annonce. En vain, dira-t-on : « l’annonce est moins dangereuse dans les journaux de médecine ; les médecins sont assez éclairés pour corriger l’exagération ; ils ont assez de tact pour distinguer l’article payé au directeur, et savent démêler si une guérison de dyspepsie ou de chlorose a été publiée dans l’intérêt de la science ou dans l’intérêt d’une industrie ». Tout ceci est très bien ; les médecins ont du flair, en effet, et ne se laissent pas prendre aux mensonges grossiers, effrontément encadrés et numérotés à la file. « Ce ne sont pas eux, dit le professeur Diday, qui avaleront facilement l’hameçon artistement suspendu à la dernière page d’un journal ; cependant, pensez-vous qu’ils puissent résister longtemps à la conspiration générale ourdie contre leur intelligence et leur discernement ? Croit-on qu’ils ne se laissent pas prendre, de temps en temps, à cet appât si onctueusement emmiellé, surtout quand la réclame se met à revêtir des formes scientifiques ? Leur conviction ne finit-elle pas par être ébranlée quand ils lisent, dans les plus décentes colonnes de leur journal favori, les merveilles de tel iodure, l’irrésistible action de tel crénate, le pouvoir souverain de tel succinophosphite ? Le docteur X… l’a expérimenté ; l’honorable professeur Z… l’atteste avec ses titres divers, sa signature, en toutes lettres, et son adresse non moins visible. Oh ! pour le coup, dira le moins ingénu de nous, le plus en garde contre de telles surprises, oh ! pour le coup, l’on ne peut là soupçonner la réclame. Mais c’est de belle et bonne clinique, c’est de la science pure. Essayons donc. — Ainsi la commande s’enlève, commande dont, en somme, les frais sont toujours au compte du malade… ou de ses héritiers. »

Que doit faire le médecin en face de tous ces genres d’entraînement ? Demander, exiger la formule. Nous avons toujours cru, pour notre part, que ces remèdes à composition inconnue ou peu connue, qui suppriment d’un trait la science et l’étude pour ne s’adresser qu’à la crédulité publique, doivent être tenus pour suspects et être rejetés, pour les raisons que nous avons données dans un autre travail, à propos des remèdes secrets. Basé sur ce principe, nous n’ordonnons aucun, absolument aucun de ces médicaments, et observons cette règle avec une rigueur absolue et toute l’inflexibilité d’un parti pris.

2o Il est un certain nombre de spécialités qui se présentent avec un caractère plus sérieux et dont les préparateurs indiquent, avec soin, sur le flacon ou dans les prospectus, la composition, voire même la préparation. À ces spécialités l’on peut reprocher de ne pas contenir toujours les principes indiqués sur l’étiquette ou de ne pas les contenir en quantité voulue.

Il me serait facile de citer des exemples, pris parmi les médicaments les plus en vogue, et que je vois employés journellement ; mais je ne veux accuser personne.

Mes confrères, qui voudront se former une opinion sur ce sujet, n’ont qu’à essayer toutes les spécialités qui leur tomberont sous la main, au moyen des simples procédés que j’indique dans la seconde partie de ce mémoire. Ils arriveront, comme moi, à des résultats surprenants et complètement inattendus.

Ils verront des granules d’acide arsénieux, fort prônés d’ailleurs, répandus, en grand nombre, sur des charbons ardents, ne donner lieu à aucune odeur alliacée.

Ils verront du sulfate de quinine, déclaré d’une extrême pureté, noircir sous l’influence de la flamme d’une bougie, colorer les bords mêmes de cette flamme d’une belle teinte jaune, et répandre, en même temps, une odeur manifeste de caramel. Il est certain cependant que le vrai sel quinique rougit, mais ne noircit pas sous l’influence de la chaleur, ne donne lieu à aucune coloration de la flamme et répand une odeur âcre, qui ne ressemble en rien à celle du sucre qui brûle.

Ils trouveront telle préparation d’iodure de potassium, chimiquement pur (c’est le prospectus qui le dit), colorer fortement en jaune la flamme d’une bougie, ce qui indique, sinon l’absence complète d’un sel de potasse, au moins la prépondérance extrême d’un sel de soude.

Il leur sera donné de voir des vins de quina ne renfermant presque pas de principes actifs, des préparations phosphatées ne contenant presque point de phosphates, des granules de toutes sortes, et cependant très vantés, ne contenant aucun atome de la substance indiquée ; des sels de lithine, ne contenant pas trace de lithine !!

Il est certain que beaucoup de fabricants de médicaments escomptent, outre mesure, le peu d’empressement qu’ont ordinairement les médecins pour les vérifications et les recherches chimiques. Je dénonce ce fait à l’attention de mes collègues.

3o Un grand inconvénient des spécialités, inconvénient qui s’accuse d’autant plus que celles-ci sont meilleures, est la contrefaçon.

On voit, en effet, journellement lancer dans le commerce, par des intermédiaires peu scrupuleux, une foule de préparations, de provenance suspecte, que le médecin doit absolument connaître pour en préserver ses malades. Ce sont des contrefaçons serviles ou des imitations habilement calculées des marques et des étiquettes auxquelles le public a donné justement sa confiance. On croit avoir affaire aux pilules de la pharmacie X***, dont le renom est mérité ; le flacon, le cachet, le mode de bouchage, tout est reproduit avec une entière vérité ; il n’est pas jusqu’aux mots : évitez les contrefaçons, qui ne s’y trouvent en toutes lettres. Vous pensez avoir, devant vous, la spécialité authentique, provenant de véritable source, et vous n’avez cependant qu’une indigeste composition dont les effets sont souvent nuis, quelquefois désastreux.

Il est une expérience bien simple que mes confrères incrédules peuvent tenter facilement. Tout médecin peut organiser sans frais, chez lui, un véritable musée des médicaments spéciaux, qu’il prescrit habituellement, en se les faisant adresser gratuitement par les fabricants. Toutes les principales drogueries, Blancard, Fumouse, Labélonye, etc., envoient franco, les produits principaux sortant de leurs laboratoires, et, en conservant les flacons et les boîtes vides, avec leurs étiquettes, le médecin a, par devers soi, des types qui permettent de contrôler facilement les médicaments fournis aux malades, toutes les fois qu’on prescrit une de ces marques. — Or, en employant ce mode de vérification, il m’est arrivé, maintes fois, de saisir, au vol, des falsifications, véritables chefs-d’œuvre d’imitation : marque, cachet, signature, tout s’y trouve, sauf certaines particularités secondaires, qui ne frappent point l’œil d’abord et auxquelles on ne s’arrête jamais, si l’on n’a devant soi le véritable médicament ; je n’assurerais même pas que, quelquefois, les falsificateurs n’emploient les flacons vrais eux-mêmes, lorsqu’ils ont été vidés, quitte à refaire les cachets. J’ai vu des granules de digitaline cristallisée, enfermés dans un flacon sortant certainement d’une maison hors de tout soupçon, ne contenir aucune trace sensible de l’alcaloïde. Les granules, dissous dans une très faible quantité d’eau, ne donnaient, en effet, aucune teinte verte par l’acide sulfurique, aucune teinte jaune par l’acide azotique, aucune teinte violette par les deux acides réunis, comme doit le faire la véritable digitaline.

Malheureusement ce genre de vérification des spécialités, par comparaison des flacons, n’est pas très pratique, car il est impossible au médecin d’emporter avec lui tous les flacons spéciaux. C’est une expérience de cabinet, qu’on peut faire avec profit, mais qu’il n’est pas possible de répéter chez les malades eux-mêmes.

Cependant la vérification des médicaments spécialisés est d’absolue nécessité, car leurs imitations sont généralement composées de matières premières du dernier choix, et, la plupart du temps, sont revendues néanmoins au public, au même prix que les spécialités authentiques avec lesquelles l’acheteur, qui n’est pas tenu de connaître tous les cachets, les confond très facilement.

Que doit faire le médecin pour se mettre à l’abri de ces supercheries et savoir les reconnaître ! La vérification des flacons n’est pas tout : s’assurer si les cachets sont intacts, se souvenir de leur couleur, du ficelage, etc., n’est pas tout encore ; nous verrons, plus loin, que le seul et véritable moyen est l’analyse chimique pure et simple, qui, elle, ne trompe jamais et peut se faire souvent par des moyens d’une simplicité toute primitive.

4o Un autre inconvénient des spécialités est de forcer les médecins à attacher toute leur attention à la façon de formuler, de manière à spécifier, aussi exactement que possible, la nature du médicament et le nom de l’inventeur, de façon à ne laisser place à aucun prétexte de méprise.

Toute spécialité en vogue et réputée bonne voit naître, en effet, autour d’elle, une foule de contrefaçons, différentes de celles de tout à l’heure et d’autant plus dangereuses et difficiles à reconnaître, qu’elles portent le nom de l’imitateur avec adjonction de celui de l’inventeur, précédé des locutions captieuses : Procédé de…, imité de…, dit… comme…

Je me suis plu à faire une nomenclature de toutes les préparations qui portent, plus ou moins directement, le nom de Blancard. Or, j’ai trouvé : — les pilules de Blancard à l’iodure ferreux inaltérable ; — les pilules dites de Blancard ; — les pilules de Blancard, à l’iodure de fer ; — pilules à l’iodure de fer, procédé de Blancard ; — les véritables pilules de Blancard de chez M. X***. On sait bien que la justice se montre sévère pour ces coupables pratiques, témoins deux arrêts rendus par la cour d’appel d’Aix contre des pharmaciens convaincus d’avoir mis en vente des capsules glutineuses procédé Raquin et des pilules dites de Blancard ; mais les tribunaux ne sont pas toujours à même de punir ce genre de délit, et puis, les arrêts judiciaires après coup ne ressuscitent pas les victimes de ces drogues, ni ne réhabilitent la réputation entamée du médecin.

Les préparations, que recouvrent ces indications savamment réfléchies en vue d’échapper à la loi : « Procédé de… formule de… système de… » sont généralement des produits de dernière qualité sur lesquels il n’est permis de compter en aucun cas. J’ai vu des dragées de proto-iodure de fer présenter, à la section, une surface jaunâtre (couleur du biodure), au lieu d’offrir la teinte verte caractéristique du iodure ferreux.

On conçoit, après cela, comme nous le disions plus haut, avec quelle attention soutenue le médecin, partisan à outrance des spécialités, doit faire ses ordonnances. La moindre inadvertance, la moindre virgule mal placée, peut faire donner un médicament à la place d’un autre. Voulant ordonner un jour les pilules de Blancard (j’entends les vraies), je formulai simplement : les véritables pilules de Blancard au proto-iodure de fer. Je ne pensai pas qu’on pût s’y tromper. Le pharmacien délivra les véritables pilules de Blancard de chez M. X***, et comme je lui en faisais la remarque, il me répondit : « Les vraies pilules de M. Blancard se formulent : Pilules de Blancard à l’iodure ferreux inaltérable. Ayant trouvé, sur votre ordonnance, les véritables pilules de Blancard, sans indication du nom du préparateur, je vous ai donné celles de M. X*** qui se formulent ainsi ; il vous fallait spécifier ». Il était évident que la méprise était possible… pour un pharmacien ayant intérêt à se méprendre.

5o Un inconvénient, encore, des spécialités est de mettre à couvert tous les intermédiaires qui les délivrent, et de les rendre irresponsables. Ceci se voit pour tous les médicaments spécialisés, en général, de même que pour les produits préparés en grand, mais vendus en vrac aux pharmaciens.

Le seul but du fabricant en grand est naturellement de vendre beaucoup ; pour cela il abaisse ses prix et souvent, en même temps, la qualité de sa marchandise. C’est son moyen le plus sûr de réussir ; il n’a point, en effet, de responsabilité envers le médecin ou le malade ; quant aux pharmaciens, il est sûr qu’alléchés par le bon marché, ils lui feront de nombreuses commandes. D’autre part, ceux-ci ne peuvent se fâcher s’ils viennent à rencontrer des produits défectueux ; le fabricant en grand leur répond qu’il tient à leur disposition des produits d’une pureté parfaite, mais d’un prix supérieur, et les pharmaciens en détail (règle générale) n’ont garde de faire des commandes d’un plus haut prix.

D’ailleurs, les pharmaciens eux-mêmes sont souvent désarmés vis-à-vis du fabricant en grand et inhabiles à reconnaître les falsifications. Ils ne font qu’endosser aveuglément un produit dont la préparation leur échappe. Je demandai, un jour, à un pharmacien de mes amis comment il s’y prenait pour vérifier les produits à lui délivrés par l’industrie. — « Je ne les vérifie pas, me répondit-il naïvement ; je me fie à la marque ». Et comme je lui demandai comment il s’y prendrait si on l’attaquait jamais sur des produits défectueux : « Les médecins, me dit-il, ne savent pas la chimie (sic) et ne vérifient pas ; d’ailleurs nous renverrions au fabricant en grand ». — Et si, lui dis-je, le fabricant disait qu’il a donné une qualité inférieure parce vous lui avez demandé une qualité inférieure, que répondriez-vous ? — « Ces choses-là, me répondit-il, ne sont jamais arrivées et n’arriveront jamais en province. Les médecins se fient toujours aux résultats cliniques. Si ceux-ci sont bons, malgré que le médicament soit de mauvaise qualité, ils ne recherchent pas. S’ils sont mauvais, ils l’attribuent autant à une idiosyncrasie du malade ou à une erreur de diagnostic qu’à la défectuosité du remède, et s’ils viennent, par hasard, à suspecter le médicament, on n’a qu’à leur assurer qu’aucune erreur n’a été commise ; la difficulté des analyses chimiques, l’inconvénient d’avoir recours à des experts, les tracas et soucis d’un procès, l’impossibilité d’atteindre le fabricant en grand, les font toujours reculer. On ne pourrait attaquer qu’en cas d’empoisonnement, mais il ne s’en produit jamais, car les produits pêchent plutôt par faiblesse que par excès de force. »

Il est certain que le raisonnement de mon ami le pharmacien était assez juste. En réalité, la valeur des médicaments de cette catégorie réside uniquement dans la pureté des sources auxquelles un tiers inconnu a recours. Le médecin ne peut, en aucun cas, exercer aucun contrôle sur la valeur de la marque du fabricant, connue seulement du pharmacien. De plus, celui-ci peut changer de fabricant ou en avoir plusieurs pour la fourniture des mêmes produits. Ceci explique les différences, en apparence si extraordinaires, qu’on observe entre les médicaments fournis à des époques différentes par un même pharmacien ou, à la même époque, par des pharmaciens différents.

Quant au malade, quel est son recours en cas de mauvais médicament ? Il accuse son médecin de n’avoir pas connu sa maladie, et tout est dit. Le résultat final, suite d’une médication défectueuse, est que le malade meurt ; le médecin voit son prestige diminué ; le pharmacien continue son trafic de courtier en remèdes, et le fabricant en grand, à l’abri de tout, persiste à préparer des médicaments à tous prix et de toutes les qualités.

6o La spécialité a un autre défaut, c’est qu’elle porte presque toujours, sur son étiquette, le nom de la maladie à laquelle elle s’adresse.

La solution X*** porte, en tête de son prospectus : « Remède souverain contre la phtisie ».

Les capsules de créosote de *** sont également présentées comme remède efficace contre toutes les maladies pulmonaires incurables.

Le vin de Z*** est également d’une haute efficacité contre la tuberculose ; et le prospectus ne se gêne pas pour indiquer à quoi l’on reconnaît un tuberculeux, quels sont les gros symptômes de la maladie, quelle est la terminaison habituelle de l’affection, etc.

La pommade de *** est un spécifique contre le cancer, etc… Quelle est la conséquence de tout cela ?

Un phtisique vient consulter le médecin, et celui-ci ordonne telle préparation phosphatée ou créosotée, qui porte sur le flacon, en grosses lettres : « Remède contre la phtisie et les maladies pulmonaires incurables ». Que fait le médicament ? Il indique au pauvre malade le nom de son mal, lui enlève le reste d’illusion qu’il pouvait conserver, le plonge dans le découragement et hâte la terminaison fatale !

7o Les spécialités engagent encore les personnes souffrantes à se soigner elles-mêmes, ce qui n’est pas un de leurs moindres inconvénients. Combien de malades, en effet, ne viennent trouver le médecin qu’après s’être médicamentés, depuis longtemps, à tort et à travers, sur la foi du prospectus !

Le malade est le premier à souffrir de cet état de choses. Une révulsion énergique, sur une ou sur les deux épaules, au début de sa maladie, aurait débarrassé de son rhume le pauvre phtisique, aujourd’hui destiné à mourir, et dont les pâtes de jujube et de lichen, les sirops pectoraux, les tisanes béchiques n’ont fait que laisser prospérer les lésions et ont consolé son imagination sans combattre son mal ! La maladie aiguë est devenue chronique et incurable ! Que de cancéreux, sous l’influence des pompeuses promesses des pommades fondantes, laissent paisiblement arriver à une période inopérable des tumeurs qu’il aurait été si facile d’extirper au début ?

Le médecin lui-même se fait tort en ordonnant toujours des spécialités. On parle, sans cesse, de la médecine illégale : n’est-ce pas la permettre, l’encourager, la propager que de mettre entre les mains de tous les malades des médicaments qui se disent bons à tous maux, qui sont accompagnés de prospectus les plus universels, et qui tendent à engager à se médicamenter soi-même, à l’aveuglette et sans conseils médicaux ? Le médecin est-il obligé de se faire le propagateur zélé des pompeuses réclames des spécialistes ? Doit-il être, en même temps, dupe et complice ?

8o Nous n’avons point parlé encore du prix, parfois exorbitant, des médicaments spécialisés. C’est cependant une question très pratique sur laquelle l’attention du corps médical n’est peut-être pas assez fixée. Le médecin ne s’occupe qu’à formuler : c’est le malade qui paie. Cependant, rien ne doit échapper au praticien. Il y a la question d’humanité pour les familles peu fortunées ; il y a aussi l’inconvénient des reproches adressés, par les malades, pour un traitement par trop coûteux. Il est certain, et la pratique le démontre, que, toutes choses égales, certaines catégories de malades reviennent de préférence chez le médecin qui leur occasionne les plus faibles dépenses.

Les spécialités, tout le monde en convient, sont les médicaments les plus chers. Il faut bien payer la réclame et le luxe des flacons ! Aussi les inventeurs ne se font-ils pas faute d’élever leurs prix ?

Le moindre flacon de vin de quina (40 centilitres) est à 5 ou 6 francs.

Seize capsules tœnifuges de *** (la dose pour un jour), contenant 8 grammes d’extrait de fougère mâle et 80 centigrammes de calomel, coûtent 6 francs.

Le vin anti-hydropique du Dr Bouyer est simplement coté vingt francs la bouteille (90 centilitres) !

Cependant le Dr Burggraeve a renchéri sur tout cela. Lui seul a trouvé le moyen de vendre 10 francs 1 gramme de calomel, 15 francs 1 gramme d’iodoforme ! Que les incrédules lisent l’avant-dernière page de tous les numéros du Répertoire de médecine dosimétrique parus jusqu’en mars 1882, et ils verront ce fait inouï : une boîte renfermant 10 tubes de 20 granules d’un milligramme de calomel, c’est-à-dire contenant en tout (le calcul est facile) 2 décigrammes de cette substance, vendue au prix de 2 francs ! Quelle que soit l’éloquence du Dr Burggraeve et le soin qu’il ait mis en parlant de boîtes, de tubes, de milligrammes, à masquer l’énormité de ses prix, il ne parviendra jamais à prouver que 2 décigrammes de calomel à 2 francs, ne font pas 10 francs le gramme, et 2 décigrammes d’iodoforme à 3 fr. 50, 15 francs le gramme !! Et nunc erudimini !

9o Nous appuierons encore sur deux inconvénients que semblent présenter les spécialités.

Elles ne se vendent jamais au détail, et le malade qui veut 1 ou 2 grammes d’un médicament est quelquefois obligé d’en acheter le double ou le triple. Les perles de Clertan au sulfate de quinine sont en flacon contenant 3 grammes de sel quinique. Comme on ne les détaille pas, un malade qui a besoin d’un seul gramme de quinine est obligé d’en acheter 3 gr. ! Les pilules de Bosredon purgent très bien à la dose de 4, cependant, qui voudrait se purger avec ce médicament est obligé d’acheter une boîte contenant 60 pilules, soit 56 pilules de reste : de quoi médicamenter encore 14 malades !… Veut-on administrer le chloral une fois en passant : le médecin prescrit habituellement le sirop de Follet, qui contient une dose pour 8 ou 10 jours de maladie. Le malade absorbe une ou deux cuillerées à bouche, et le reste demeure… sur sa table de nuit.

D’autre part, on tend de plus en plus, de nos jours, à faire la médecine des symptômes. Or comment la faire avec les spécialités, à moins d’ordonner autant de spécialités que de symptômes différents ?

10o Le seul avantage des spécialités est censé résider dans le meilleur mode de préparation. Mais, dans la plupart des cas, le pharmacien consciencieux, et qui veut avoir des clients, ne peut-il pas, avec un peu de soin, arriver au même degré de cette perfection prétendue ? Faut-il être un génie pour préparer des solutions de salicylate de soude, de bi-phosphate de chaux ou bien des granules de substances actives ? J’ai souvent, dans mes ordonnances, reproduit les formules de spécialités bien connues, et, quelquefois, le produit sorti de simples officines m’a paru, par le goût, la force et les effets, rivaliser très avantageusement avec la spécialité dont il n’était qu’une copie. Le prix, d’autre part, s’est presque toujours trouvé trois fois moindre.

II. Nous avons tâché de faire ressortir quelques-uns des inconvénients que présentent les spécialités, dans la pratique médicale en province. Il faut avouer, cependant, que quelques-unes d’entre elles sont excellentes, d’un prix très modéré, ne présentent aucun des inconvénients précités, et que, d’autre part, le pharmacien se trouve souvent dans l’impossibilité, avec ses faibles ressources, de pouvoir préparer des produits aussi purs et qui puissent les remplacer. Malheureusement ces spécialités modèles constituent l’exception et se trouvent perdues, noyées au milieu du nombre immense d’autres produits, plus que douteux, que la réclame cependant met au jour et fait prospérer. Pour pouvoir distinguer les spécialités véritablement recommandables de ces innombrables produits du mercantilisme, pour séparer le bon grain de l’ivraie, nous avons coutume de nous appuyer sur les deux règles suivantes, qui, depuis quatre ans, n’ont cessé de diriger notre conduite et que nous n’avons pu trouver en défaut :

1o N’accepter que les spécialités à composition parfaitement connue et à formule indiquée sur l’étiquette. Se basant sur cette règle, que nous avons eu déjà occasion d’indiquer, le médecin se débarrasse immédiatement de la plupart des spécialités, annoncées à la 4e page des journaux, et qui ne sont ordinairement que des remèdes secrets ; il se délivre de ces « injections seules infaillibles », de ces pilules « de longue vie », de ces « baumes divins », de la Révalescière, des crénates, des succinoplatinates, et autres produits à dénomination sonore, et qui ne répondent habituellement à aucune entité chimique distincte et n’ont de scientifique que leurs noms.

2o N’admettre, parmi ces spécialités, que celles que le médecin peut soumettre lui-même à une vérification chimique facile et à sa portée.

Cette règle, beaucoup plus précise que la précédente, me semble le critérium infaillible des spécialités. — Elle délivre de l’expérimentation clinique ; car pourquoi essayer cliniquement un médicament, si les essais chimiques ont démontré que la composition ne répond, pas à la formule ? — Elle empêche le médecin d’être obligé de croire sur les attestations de MM. X. Y. Z. et autres, qu’il ne connaît pas, et lui évite ainsi des actes de foi qui répugnent souvent à son scepticisme. — Elle remet la sentence entre les mains d’un juge (le réactif chimique) qui ne trompe jamais, car il est bien certain qu’un même médicament, semblablement préparé, doit toujours donner lieu à la même réaction. — Enfin elle permet d’éviter sûrement les contrefaçons de toutes sortes (de nom, d’étiquette, de flacon, etc.) dont nous avons parlé plus haut, et qui rendent si périlleux l’usage des spécialités.

Les partisans de ces dernières croient que celles-ci réunissent la plus grande somme possible de garanties quand elles présentent : le nom, la signature, le cachet et la marque déposée du préparateur. En effet, disent-ils, « en recouvrant de ses marques et de son nom les médicaments qui sortent de ses laboratoires, le spécialiste va au devant de toutes les responsabilités. À l’égard du médecin, du pharmacien, du public et de la justice, au point de vue légal, moral ou commercial, l’excellence de son produit peut seule lui donner la sécurité et lui assurer, à long terme, la fidélité de sa clientèle »… Pour notre part, nous préférons les épreuves chimiques à ces raisons d’ordre sentimental ; les réactions nous semblent plus convaincantes, et nous verrons plus tard, qu’elles sont toujours d’une extrême facilité ; les raisons des intéressés, au contraire, pour être acceptées, ont besoin de croyants : sunt verba et voces.

On peut objecter qu’il existe un certain nombre de spécialités, jugées très consciencieuses par tout le monde, considérées comme très efficaces par tous les médecins et qui cependant ne sauraient être vérifiées cliniquement. — À cela je réponds que l’attention des spécialistes, n’ayant pas jusqu’ici été attirée sur cette question, il est certain que beaucoup de bonnes spécialités sont invérifiables, parce que précisément leurs préparateurs n’ont pas cherché à les rendre telles ; mais je suis persuadé aussi (et je le démontrerai plus loin) que la plupart de ces médicaments pourraient être rendus faciles à vérifier, en modifiant légèrement leur préparation, en les dépouillant de certains excipients qui ne font que voiler leurs réactions, sans augmenter leurs propriétés et qu’il serait aisé de les présenter sous un tel état que le médecin puisse les analyser promptement et s’assurer ainsi, non seulement de leur bonne préparation, mais de leur bonne conservation. Les sirops d’iodure et de bromure de potassium, les solutions de phosphates de chaux, d’hypophosphite de soude, de salicylate de soude, tous les médicaments chimiques présentés en cachets, en perles, en capsules, en poudre, etc., les dragées de perchlorure de fer, de iodure de fer, etc., etc., toutes ces spécialités pourraient être rendues facilement vérifiables par le médecin lui-même au lit de son malade.


V

Étant bien établi : — que, dans l’état actuel de la médecine, les médicaments les plus usuels sont souvent falsifiés[3] ; — que nous n’avons cependant, nous médecins, aucun moyen pratique pour découvrir les falsifications[4] ; — que, cependant, il est absolument impossible de faire de la clinique scientifique sans être bien sûr de la pureté des substances que nous employons[5] ; — que les spécialités actuelles ne sont point des armes sûres et offrant toute garantie[6] ; — une conclusion, qui s’impose, est l’absolue nécessité, pour le praticien, de la recherche d’une méthode générale de vérification simple, facile et à sa portée.

I. Or, cette méthode de vérification qui, autrefois, eût parue irréalisable, devient parfaitement possible avec la nouvelle pharmacie.

Un fait d’une grande importance, qui se dégage, en effet, des innombrables études de thérapeutique contemporaine, est, à notre humble avis, « une tendance constante à remplacer les médicaments galéniques de l’ancienne pharmacie, par les médicaments chimiques qu’on découvre chaque jour. » — Les anciens maîtres de la science médicale, Laënnec, Broussais, Andral, Louis, Piorry, Trousseau, Béhier, Bouillaud, etc., guérissaient leurs malades avec l’opium, le quinquina, la noix vomique, l’aconit, la digitale, la belladone, le semen-contra, etc., qu’ils ordonnaient sous forme d’infusions, d’extraits, de potions, de teintures, d’alcoolatures, etc. — Nos nouveaux maîtres, au contraire, Vulpian, Charcot, G. Sée, Péter, Jaccoud, Dujardin-Beaumetz, etc., ne se servent couramment, dans leur clinique, que de bromure de potassium, d’hydrate de chloral, de chlorhydrate de morphine ou de pilocarpine, de sulfate de quinine, de santonine, d’atropine, d’aconitine, de digitaline, de cocaïne, etc., etc., qu’ils prescrivent en granules, en cachets, en perles, en capsules, en poudres granulées, en solutions ou qu’ils administrent, eux-mêmes, séance tenante, en injections sous-cutanées. — Les médicaments sont changés, non seulement dans leur nature, mais encore dans leur mode d’administration.

Chacun a fait ressortir, à sa manière, les nombreux avantages de cette sorte de révolution thérapeutique, et cependant il est un point qu’il nous semble que les auteurs ont laissé dans l’ombre et qui est pourtant d’une grande importance au point de vue de la médecine pratique : C’est la facilité extrême avec laquelle les nouveaux médicaments se prêtent à une vérification clinique, ce que ne faisaient pas les anciens remèdes.

Tous les médicaments chimiques ont ceci de caractéristique : c’est qu’ils présentent tous des réactions qui les font immédiatement reconnaître. Il suffit à un médecin de plonger, dans une solution d’un arséniate quelconque, le crayon de nitrate d’argent qu’il a dans sa trousse, pour voir naître instantanément un beau précipité rouge-brique d’arséniate d’argent absolument caractéristique. Une solution d’un arsénite, donne un précipité jaune, celle d’un bromure (bromure de potassium), un précipité blanc. Une pilule renfermant quelques milligrammes de morphine, délayée dans un peu d’eau et touchée avec une goutte de perchlorure de fer, prend une magnifique couleur bleue ; un granule de brucine, traité par l’acide azotique, devient d’un rouge sang. Une pincée de quinine, présentée à la flamme d’une bougie, fond en un liquide d’un très beau rouge ; des pilules, pastilles, dragées ou pommades, contenant un sel mercuriel quelconque, frottées contre un sou fraîchement décapé avec l’acide azotique, recouvrent immédiatement la surface du métal d’une belle couche argentée, etc.

Il n’est pas un seul médicament chimique qui n’ait à son actif une réaction très simple, très sensible, qui ne puisse de suite le faire distinguer, alors même qu’il serait à l’état de mélange.

Il n’en est point de même des anciens médicaments de la pharmacie. Habituellement composés d’un grand nombre de substances, lesquelles se trouvaient en eux en quantité variable, ils n’offraient jamais aucune réaction absolument caractéristique. Témoin, le diascordium, la thériaque, l’électuaire diaphœnix, l’élixir de Garus, etc., etc. Ces médicaments étant d’une composition complexe, chacun de leurs éléments, selon sa quantité, sa qualité, imprimait à la réaction générale des modifications en plus ou en moins qui la gênaient et la changeaient quelquefois complètement. Il était difficile au praticien d’exiger une réaction quelle qu’elle fut, parce qu’il était dans le propre de ces remèdes de ne pas en avoir de précise. Lorsque ceux-ci étaient mélangés dans des potions, des mixtures, des pilules, des pommades, on conçoit facilement que, perdant leurs caractères organoleptiques et ne possédant déjà, par eux-mêmes, que des réactions douteuses, ils fussent dès lors impossibles à reconnaître.

Dans l’emploi des nouveaux médicaments, les conditions sont toutes différentes. Avec les médicaments chimiques, en effet, on peut soupçonner la fraude ou l’altération, quand la réaction cherchée ne se montre pas ou n’existe pas complète, parfaite : le praticien a toujours le droit de l’exiger. Il peut rejeter de la morphine qui ne colore pas en bleu par le perchlorure de fer, de la brucine qui ne devient pas rouge par l’acide nitrique, de la quinine qui, en brûlant, dégage une odeur de caramel. Le médecin peut, s’il le veut, refuser de l’arséniate de soude qui teint en violet la flamme d’une bougie, parce que cette teinte est le caractère des sels de potasse et non des sels de soude ; il peut rejeter de l’alcool qui brûle avec une flamme blanche éclairante, attendu qu’il est certain que la flamme de combustion du véritable alcool vinique est d’un bleu pâle, uniforme dans toutes ses parties, etc. En un mot, les réactions des médicaments chimiques sont positives, certaines, toujours les mêmes et d’une extrême sensibilité.

D’autre part, les formes pharmaceutiques sous lesquelles on présente au malade ces nouveaux médicaments se prêtent bien mieux que les anciens mélanges et les anciennes potions à une vérification faite par le médecin. Dans les cachets, les perles, les capsules, les dragées, les poudres granulées et les granules de la nouvelle pharmacie, dans les solutions pour injections sous-cutanées, le remède se trouve soit à l’état de pureté, soit mélangé à certains excipients qu’on peut toujours choisir tels qu’ils ne puissent imprimer aucune modification à la réaction. De cette façon, l’analyse clinique est rendue, non seulement possible, mais relativement facile.

En résumé, une distance immense sépare les nouveaux médicaments de l’école moderne, de ceux employés jadis par les anciens praticiens. — Les médicaments d’autrefois avaient une composition complexe, des réactions peu précises, et n’étaient présentés au malade qu’à l’état de mixtures et de mélanges dans lesquels il n’était possible de distinguer leur présence qu’au moyen de manipulations très compliquées. — Les nouveaux médicaments, au contraire, sont pour la plupart des produits chimiques, à composition bien connue, à réactions précises et déterminées et qui sont susceptibles d’être donnés au malade sous des formes simples laissant presque le remède à découvert et à l’état de pureté. — Les anciens médicaments étaient absolument invérifiables pour le médecin ; les nouveaux sont vérifiables par le clinicien lui-même au lit de ses malades.

II. Cela étant posé, nous avons cherché, dans l’étendue de nos faibles ressources, à nous créer, pour notre usage personnel, un système d’essais le plus simple possible.

1o Ce système a au moins pour avantage :

a : D’être composé d’un petit nombre de procédés très simples, je dirai même d’une simplicité toute primitive, ne demandant aucune habileté manuelle, ni presque aucune connaissance chimique ;

b : De ne nécessiter aucun laboratoire, aucun appareil, aucun instrument, quel qu’il soit ;

c : De pouvoir s’exécuter souvent chez le malade lui-même, avec des objets qui se trouvent partout ;

d : De ne demander que quelques secondes pour l’essai de chaque médicament, quelques minutes suffisant à la vérification d’un grand nombre de substances médicamenteuses ;

e : De n’employer que quelques rares réactifs, réactifs que le médecin a déjà, à divers titres, dans son cabinet, pour la vérification des urines ou en qualité de caustiques ;

f : Enfin, de permettre d’opérer sur de très petites quantités de matières (1 à 10 milligrammes au plus), les procédés étant quelquefois assez sensibles, pour révéler la présence d’un quart de milligramme de la substance essayée.

2o Aux confrères qui objecteront que ces procédés n’indiquent pas toujours le genre de falsification aussi bien que les analyses plus compliquées et plus scientifiques des vrais chimistes, je répondrai :

a : Que le médecin n’a nullement besoin de savoir au juste la nature de la falsification, mais seulement d’être assuré de la présence de celle-ci :

b : Qu’une fois la présence de la falsification bien constatée, il a toujours le droit de rejeter le médicament, quelle que soit la fraude, les pharmaciens étant forcés de donner des médicaments purs et tels qu’ils sont indiqués dans le Codex ;

c : Qu’en cas de contestation sur la nature même de la sophistication, ce n’est pas aux médecins à se prononcer, mais aux experts chimistes ;

d : Qu’enfin, souvent nos procédés indiquent le genre même de la fraude, ce qui a lieu pour les médicaments les plus usuels et les plus journellement employés.




CHAPITRE DEUXIÈME
moyens généraux pour vérifier les médicaments


Il est un certain nombre de moyens généraux que le médecin peut employer pour l’essai de beaucoup de médicaments et qui sont applicables dans une foule de cas. Ces moyens peuvent se diviser en : 1o moyens physiques : 2o moyens chimiques.


§ IMoyens physiques de vérification

Ces moyens sont au nombre de trois : 1o les essais à la flamme d’une bougie : 2o l’inflammation des médicaments combustibles ; 3o la recherche de la solubilité dans l’eau.


I. essai à la flamme d’une bougie ordinaire

La flamme d’une simple bougie (et, à son défaut, d’une lampe quelconque), peut devenir, entre les mains du médecin, un instrument d’une extrême utilité, capable de mettre, à lui seul, sur la voie d’une foule de falsifications. On m’accordera que c’est un moyen simple, peu coûteux et facile à se procurer partout. Je m’étonne qu’aucun clinicien, jusqu’ici, n’ait parlé de cela et n’ait essayé d’en faire son profit. C’est, en somme, sous une forme simplifiée, l’instrument appelé chalumeau dont se servent les chimistes et les minéralogistes. Le médecin n’ayant pas besoin d’une température aussi élevée que celle du chalumeau, la simple flamme d’une bougie commune, sans autre accessoire, lui suffit amplement pour tous les cas de sa pratique. Les rares médicaments, qui résistent à cette flamme, offrent tous d’autres réactions qui permettent de les reconnaître par une voie différente.

Le procédé opératoire que j’emploie est extrêmement simple. Je prends une spatule de trousse, je charge une de ses extrémités d’une parcelle de la substance à essayer et je porte cette extrémité, ainsi chargée, au bord ou au centre même de la flamme, selon la nature de la substance à analyser.

La flamme de la bougie peut renseigner le médecin de quatre façons différentes : 1o par la couleur que prennent ses bords, pendant la combustion du médicament essayé ; 2o par l’odeur qui se dégage ; 3o par l’aspect que revêt, sous l’influence de la chaleur, le corps en expérience ; 4o enfin, par certains phénomènes divers qui se produisent quelquefois et sont propres à certaines substances.

A. Coloration des bords de la flamme. — Un grand nombre de substances médicamenteuses jouissent, comme on sait, de la propriété de colorer les bords de la flamme (ce que les chimistes appellent la flamme extérieure ou d’oxydation) d’une manière particulière et plus ou moins intense.

Qu’on présente, à la flamme d’une bougie, une parcelle d’un sel de soude quelconque, un milligramme, par exemple, d’arséniate de soude ou de borax, une miette à peine appréciable de sulfate de soude ou de salicylate et l’on voit immédiatement la flamme s’entourer d’une belle auréole jaune très persistante.

Qu’à la place d’un sel de soude, on mette un sel de potasse, tel qu’un grain d’iodure ou de bromure de potassium, un atome de salpêtre, une goutte de la solution officinale de silicate de potasse et, à l’auréole jaune des sels de soude, l’on voit succéder brusquement une auréole violette.

Une foule de corps, journellement employés en médecine, teignent la flamme en vert : je citerai : l’hydrate de chloral, le chloroforme, l’acide borique, le chlorhydrate d’ammoniaque, les phosphates et les hypophosphites, le bromure de camphre, le chlorure d’antimoine etc., etc.

Quelques principes médicamenteux colorent en bleu : exempies, les acétates de plomb, de morphine, d’ammoniaque, l’acide acétique, l’acide prussique, les sulfures, le soufre doré d’antimoine etc.

D’autres communiquent aux bords de la flamme une belle coloration rouge : les sels de chaux et les sels de lithine sont dans ce cas.

Un fait très important à noter et surtout très intéressant à retenir, au point de vue médical, est que les solutions très étendues des corps que nous venons d’indiquer, sont susceptibles, elles aussi, de communiquer à la flamme la coloration spéciale et caractéristique de la substance qu’elles tiennent en dissolution. Ceci permet au clinicien de vérifier facilement ses potions. Il suffit, en effet, de prendre, à l’extrémité de la spatule, une seule goutte du liquide suspect et de la porter au niveau de l’extrémité libre de la mèche, pour voir immédiatement se produire, dans la flamme, de violentes trépidations accompagnées de l’apparition de l’auréole colorée spéciale à la substance essayée.

Tous les médicaments cependant ne colorent pas la flamme. Il en existe, au contraire, un grand nombre qui ne donnent lieu à aucune coloration de ses bords : le sous-nitrate de bismuth, le sulfate de magnésie, la santonine, le sulfate de quinine, les nombreux alcaloïdes employés en médecine, etc., restent absolument muets au point de vue de la coloration.

Or, ces faits étant bien établis, il est facile d’en tirer, dès maintenant, des conclusions très pratiques au point de vue de la clinique pure : on peut, en effet, poser déjà les trois règles générales suivantes :

1o Tout principe non colorant, qui colore, doit être considéré comme additionné de substances colorantes et, par suite, frelaté ;

2o Tout médicament colorant, qui ne donne pas à la flamme la teinte qu’il devrait donner, doit être regardé comme additionné de substances étrangères ;

3o Enfin, le genre de coloration de la flamme doit mettre lui-même sur la voie de la falsification.

Nous venons de voir que les colorations que produisent, sur les bords de la flamme, les diverses substances médicamenteuses, sont au nombre de cinq : le jaune, le violet, le vert, le rouge et le bleu. Donnons un aperçu succinct sur chacune de ces teintes.

1o Coloration jaune. — Cette coloration est le propre des sels à base de soude : c’est le signe distinctif ou, comme dirait un médecin, le caractère pathognomonique de ce genre de sels. Il suffit d’approcher, avec la spatule ou l’extrémité d’une lancette, une très petite partie du corps à essayer près des bords de la flamme, pour voir immédiatement apparaître la coloration. L’auréole est d’un beau jaune pâle, mesure de 1 à 3 millimètres d’épaisseur, se montre au premier contact du corps essayé et tend ensuite à persister presque indéfiniment. Il n’est pas rare de voir des bougies touchées, dès leurs débuts, conserver, jusqu’à consomption complète, l’auréole jaune de leur flamme. La production de cette auréole caractéristique constitue un moyen très simple pour vérifier l’identité et la pureté de tous les sels de soude employés en pilules, en granules, en cachets, en nature ou en solutions. En chimie, l’on se sert, pour reconnaître ces sels, du bi-méta-antimoniate de potasse en solution récente, les autres réactifs généralement usités dans les laboratoires donnant lieu, avec eux, à des réactions complètement négatives. Or, il est certain que l’essai à la flamme est autrement pratique, pour établir ce diagnostic chimique, que la recherche avec le méta-antimoniate de potasse et bien plus à la portée du médecin. J’ajouterai qu’il m’a paru énormément plus sensible.

Un granule ou une pilule, contenant un seul milligramme d’arséniate de soude, teint immédiatement les bords de la flamme en jaune et la coloration est encore appréciable, quoique très faible, quand on ne présente à la flamme qu’un quart du granule ou de la pilule. Il m’est arrivé assez souvent, en faisant cet essai, de rencontrer des granules du commerce, cependant fort vantés, ne contenant pas la moindre trace d’un sel de soude. Quelquefois les pharmaciens, ainsi que l’a signalé de Letter, en 1881, remplacent l’arséniate de soude par un mélange d’acide arsénieux et d’azotate de potasse. Cette substitution frauduleuse est immédiatement reconnue à l’essai à la bougie. La pilule, dans ce cas, brûle avec beaucoup de vivacité, comme tout corps renfermant du salpêtre et colore la flamme en violet au lieu de la colorer en jaune. Il est impossible de s’y tromper.

Le silicate de potasse, employé en chirurgie pour les appareils inamovibles, renferme très souvent du silicate de soude qui, au dire des auteurs, nuit énormément à la solidité des appareils. Pour découvrir ce mélange, il suffit de prendre un peu de la colle silicatée à l’extrémité d’une spatule et de la porter à la flamme d’une bougie. Comme la moindre quantité de silicate de soude a la propriété de masquer la coloration spéciale au sel de potasse, il en résulte que, si le mélange existe, on voit les bords de la flamme se teindre en jaune, absolument comme si l’on avait affaire à un sel de soude. L’on est alors en droit de rejeter le médicament comme n’étant pas d’une pureté satisfaisante.

Le sulfate de soude est souvent donné aux malades pour du sulfate de magnésie : cette substitution est extrêmement fréquente au dire de M. le professeur Régnauld. Si l’on approche un des cristaux suspects de la flamme, la coloration jaune des bords de celle-ci indique immédiatement la substitution, car les sels de magnésie ne donnent lieu à aucune coloration.

Le borax (borate de soude), qu’il soit en collutoire, en pastilles, en pommade ou en cachets, peut être essayé au moyen de la bougie. L’on n’a qu’à présenter une parcelle de ces substances à la flamme, pour voir bientôt les bords de celle-ci devenir d’un très beau jaune. Il m’est arrivé de voir des pastilles boratées du commerce ne donner lieu à aucune coloration et un échantillon me présenta, un jour, une magnifique couleur violette !

Le bicarbonate de soude, la soude caustique elle-même, dont on se sert pour rétablissement des cautères, se reconnaissent aussi à la coloration jaune de la flamme. C’est un moyen facile de distinguer la soude caustique de la potasse caustique, que les pharmaciens donnent presque toujours quand on demande de la soude.

Le salicylate de soude, ordonné en cachets, en granules, en pommade, etc., est susceptible du même genre de vérification. La coloration jaune des bords de la flamme, qui devrait se produire, est quelquefois remplacée par du violet, ce qui est l’indice de la présence d’une forte proportion d’un sel de potasse. Il va sans dire que, dans ces conditions, le salicylate est à rejeter.

Le moindre petit cristal de chlorure de sodium ou sel de cuisine, présenté à la flamme, colore immédiatement ses bords en beau jaune ; ce corps n’est généralement pas usité comme médicament, mais sert à falsifier un grand nombre de substances médicamenteuses. La plupart du temps c’est à lui qu’il faut penser quand on trouve la couleur jaune de la flamme en essayant une substance qui ne doit donner aucune couleur ou une coloration toute autre.

Quelques autres sels de soude, rarement employés en thérapeutique (acétate et benzoate), peuvent être encore vérifiés de la même façon. On s’assure ainsi rapidement de la nature de la base du sel et habituellement il est très facile, par un quelconque des moyens qu’il nous reste à indiquer, de déterminer aussi très exactement la nature de l’acide.

2o Coloration violette. — Tous les sels à base de potasse colorent en beau violet les bords de la flamme, mais cette teinte est masquée par la présence d’une très petite quantité d’un sel de soude. Il résulte de ce fait que, les falsifications les plus ordinaires des sels de potasse se faisant au moyen de l’adjonction d’un sel de soude, le médecin a un moyen facile de les découvrir immédiatement. Quelquefois il arrive qu’en essayant un sel potassique, on obtient d’abord une coloration jaune, puis, au bout de quelques instants, une couleur violette ; le jaune est dû au sel sodique surajouté, le violet au sel de potasse. — La coloration violette des bords de la flamme constitue, pour les sels de potasse, une réaction extrêmement sensible ; une parcelle du corps suffit pour un essai et la coloration apparaît aussitôt. C’est un moyen autrement simple et facile, pour le médecin, que l’emploi des réactifs (bi-chlorure de platine, perchlorate ou bi-tartrate de soude), que les chimistes sont obligés d’employer, dans leurs laboratoires, pour l’identification de ces sels.

Nous avons eu déjà l’occasion de parler de la sophistication du silicate de potasse, au moyen du silicate de soude et nous avons fait voir que la fraude est immédiatement reconnue au moyen de la bougie.

Le bromure de potassium, qu’il soit en nature, en pommade, en poudres granulées, ou en dragées, donne immédiatement lieu à la belle teinte violette des bords de la flamme. Il est très souvent additionné d’un sel de soude. Sur vingt-sept préparations bromurées, que nous avons essayées, nous avons trouvé : cinq fois une coloration jaune persistante (signe de la présence d’une très forte proportion d’un sel de soude) : — seize fois une coloration jaune passagère laissant sa place, au bout de quelques instants, à la couleur violette : — six fois seulement, il nous a été donné de voir le violet apparaître dès le début. — Dans un des cas, où la coloration jaune des bords de la flamme était persistante, nous essayâmes le bromure, qui était en nature, au moyen de l’acide azotique ; il se produisit une très vive effervescence, accompagnée d’une odeur très nette d’acide chlorhydrique ; il était certain que le bromure de potassium renfermait un carbonate et une forte proportion de chlorure de sodium.

L’iodure de potassium, nous disent MM. les professeurs Baudrimont et Chevallier, est souvent adultéré par l’addition du chlorure de calcium, du chlorure de sodium ou du bi-carbonate de soude. Dans le cas de sophistication au moyen du chlorure calcique, l’essai des flammes donne du rouge à la place du violet et rend la fraude évidente et tangible. — Dans le cas d’un sel de soude, au lieu du violet, on a du jaune. J’ai vu des dragées d’un iodure de potassium, certifié chimiquement pur, jaunir très fortement et d’une façon persistante les bords de la flamme et donner lieu à une très vive crépitation sous l’influence de la chaleur. J’ai vu également des tablettes d’iodure faire, sous l’influence de quelques gouttes d’acide azotique, une effervescence aussi forte que des pastilles de Vichy ! Les granules d’arséniate de potasse, ne contiendraient-ils qu’un demi milligramme de ce sel, suffisent pour donner lieu à la coloration violette des bords de la flamme. L’acide arsénieux, qu’on substitue souvent à l’arséniate, ne donne lieu à rien de semblable. Une goutte de la liqueur classique de Fowler (à base d’arsénite de potasse), portée à la bougie, colore également la flamme en violet pâle.

Le cyanure de potassium, le bi-chromate de potasse, et l’alun (sulfate double d’alumine et de potasse), colorent aussi la flamme en violet. L’alun à base de soude, qu’on trouve dans quelques pharmacies, colore en jaune et se reconnaît tout de suite.

Le carbonate de potasse qu’on emploie quelquefois, quoique rarement en médecine, est habituellement mêlé de carbonate de soude, de carbonate, de phosphate ou silicate de chaux, de chlorure de sodium, de soude ordinaire etc. Il teint la flamme en jaune, dans le cas d’une addition de sel de soude, en rouge dans celui de sel de chaux et en violet pur, s’il est d’une pureté parfaite. L’essai à la bougie nous semble beaucoup plus pratique pour les médecins que les procédés qui ont été proposés successivement par Anthon, Pèsier, Henry, Pagenstacher, Groeger, Carnot, Coulamine, Balard etc., pour reconnaître les sels de potasse falsifiés avec ceux de soude. Le clinicien n’a nullement besoin de doser la quantité du sel sodique surajouté ; il lui suffit de pouvoir distinguer si la fraude existe, ayant toujours le droit, dans ce cas, de rejeter le médicament fourni. — Les falsifications de la potasse caustique, se reconnaissent de la même manière ; mais ce produit, n’étant employé que comme escharrotique, n’a nullement besoin d’une pureté parfaite.

3o Coloration verte — Plusieurs substances médicamenteuses donnent lieu à cette coloration des bords de la flamme.

Le chloroforme pur, présenté à la bougie, s’enflamme difficilement et brûle en colorant en vert. Nous verrons plus loin qu’il en est tout autrement quand il renferme de l’alcool ou de l’éther, corps qui brûlent avec leur coloration propre.

Les sels de cuivre colorent également en vert ; ils ne sont guère employés en médecine que comme médicaments externes. Quelquefois, on emploie le sulfate en pilules. Dans ce cas, un petit morceau de pilule, quelque petit qu’il soit, présenté à la bougie, suffit pour donner lieu à la réaction cherchée.

L’acide borique est presque inusité en thérapeutique, mais sert à falsifier une foule de substances médicamenteuses, telles que le sulfate de quinine, le chlorate de potasse, etc. En approchant une parcelle de ces substances de la flamme de la bougie, la belle couleur verte qui se produit immédiatement, sur les bords de celle-ci, indique de suite au clinicien la présence et la nature de la fraude.

Nous avons vu plus haut que le borax (borate de soude) colore la flamme en jaune, comme tous les sels de soude. Il suffit, lorsqu’on a obtenu cette première coloration, de l’imbiber d’une goutte d’acide fort et de le représenter à la flamme, pour voir succéder à la couleur jaune, caractéristique de la base, la belle couleur verte, caractéristique de l’acide. Quelques secondes suffisent ainsi pour l’analyse complète du sel.

D’autres principes médicamenteux, très usités en thérapeutique, possèdent également la propriété de verdir la flamme, l’hydrate de chloral, le calomel, le bromure de camphre, le chlorhydrate d’ammoniaque, le chlorure d’antimoine, les hypophosphites, les phosphates, etc., etc., donnent lieu à des teintes vertes qu’il est bien difficile de ne pas reconnaître quand on les a vues une fois.

4o Coloration rouge. — On obtient cette teinte avec les sels de chaux et ceux de lithine.

Les sels de chaux (carbonate, sulfate, etc.) sont presque inusités en médecine, mais servent, vu leur bas prix, à falsifier un nombre immense de médicaments : calomel, quinine, santonine, sous-nitrate de bismuth, etc., etc. L’essai à la bougie montre la falsification en faisant voir les bords de la flamme fortement teintés en rouge. Le chlorure de chaux et le chlorure de calcium, qu’emploient quelques médecins, teignent également en beau rouge les bords de la flamme, ce qui peut servir à les faire connaître.

Les sels de lithine, qui tendent de plus en plus à pénétrer dans la thérapeutique, donnent naissance à une magnifique teinte groseille. Il est très facile, à cette teinte, absolument caractéristique, de s’assurer de la présence de la lithine dans une préparation pharmaceutique quelconque, granules, pilules, dragées, solutions, etc.

5o Coloration bleue. — Le soufre doré d’antimoine, le soufre en poudre, l’acide acétique, la plupart des acétates, l’acide prussique, etc., colorent la flamme en bleu. Dans le chapitre suivant, où je m’occupe des falsifications de chaque médicament en particulier, je m’appuie souvent sur cette propriété, que présentent ces corps, pour arriver sûrement et facilement à la découverte de la sophistication.

En résumé, d’après ce qui précède, le clinicien peut voir tout le parti qu’il pourrait tirer de la flamme d’une bougie comme moyen de vérification de ses médicaments. Beaucoup de principes immédiats organiques (santonine, quinine, strychnine, etc.), n’étant composés que d’oxygène, d’hydrogène, d’azote et de carbone, n’ont pas le droit de colorer la flamme ; s’ils la colorent, c’est qu’ils sont falsifiés et le genre de coloration indique le genre de falsification.

B. Odeurs dégagées par la flamme. — Quelquefois il se produit, sous l’influence de la haute température de la flamme, des odeurs absolument caractéristiques, qui indiquent immédiatement la nature du corps essayé. Il peut se faire que ces odeurs ne se produisent pas, ou se produisent modifiées, ou bien encore il peut se faire qu’elles se manifestent quand elles n’ont aucune raison d’être. Dans toutes ces circonstances, le médecin est mis sur la voie de la falsification et quelquefois exactement renseigné sur sa nature.

Un granule d’acide arsénieux, porté dans la partie éclairante de la flamme d’une bougie (flamme de réduction des chimistes) où il existe une grande quantité de carbone incandescent, brûle en répandant une odeur d’aïl très prononcée, absolument comme si on le plaçait sur des charbons ardents. Nous avons eu l’occasion de dire qu’il nous est arrivé une fois de voir des granules arsénieux, portés en grand nombre à la flamme, ne déterminer aucune odeur sensible.

Les préparations de phosphore donnent lieu aussi, en brûlant, à une odeur alliacée très vive, mais se distinguent de l’acide arsénieux par l’extrême énergie de leur combustion. Des granules et des pilules de phosphore sont immédiatement reconnus de cette façon.

Le salicylate de soude, qu’il soit en nature, en cachets, en pilules, en dragées, en pommade, etc., développe, aussitôt qu’on l’approche de la flamme, l’odeur caractéristique de l’acide phénique. La chaleur a, en effet, la propriété de le transformer en acide phénique et en carbonate neutre de soude.

L’acide salicylique, que l’on préconise contre la fièvre typhoïde, dégage également à la flamme une odeur de phénol.

La poudre de sucre sert à falsifier une foule de substances médicamenteuses (quinine, santonine, calomel, etc.) : il suffit d’approcher ces substances falsifiées de la flamme, pour sentir bientôt une forte et pénétrante odeur de caramel.

L’acide tartrique et les nombreux tartrates à base de soude, de potasse, etc., qu’on emploie journellement en médecine, répandent également à la flamme une forte odeur de sucre brûlé. Ils indiquent ainsi la nature de leur acide, tandis que la coloration de la flamme indique elle-même la nature de la base. On a, de cette façon, l’analyse complète du sel, par un simple essai à la bougie. D’autre part, il est difficile de confondre un tartrate avec de la poudre de sucre, car celle-ci rougit en fondant, tandis que les tartrates noircissent et se carbonisent, sans passer par aucune teinte rouge intermédiaire.

Les acétates usités en thérapeutique dégagent, sous l’influence de la chaleur, une vive odeur de vinaigre. Les acétates de plomb, de cuivre, de potasse, de soude, de fer, de morphine, etc., sont dans ce cas.

Les sels ammoniacaux, quelquefois complètement inodores, à l’état de pureté, dégagent immédiatement une forte odeur d’ammoniaque, sitôt qu’on les approche de la bougie.

Les sulfures produisent l’odeur du soufre qui brûle (acide sulfureux). On les reconnaît facilement de cette façon quand ils sont en granules ou en pilules.

Quelques cyanures, complètement inodores quand ils sont granulés ou sous forme pilulaire, dégagent à la flamme une vive odeur d’amande amère qui suffit pour les caractériser.

Un grand nombre d’autres principes médicamenteux se découvrent d’eux-mêmes, à l’essai de la flamme, par les odeurs vives et particulières auxquelles ils donnent naissance sous l’influence de l’élévation de la température ; le bromure de camphre, le benzoate de soude, des hypophosphites de chaux et de soude, les valérianates, etc., sont dans ce cas.

C. Aspect pris par le corps essayé, sous l’influence de la température élevée. — Il n’est peut-être pas un moyen plus puissant de s’assurer de la bonté ou de la falsification d’un principe médicamenteux, que d’examiner attentivement la manière dont il se comporte vis-à-vis la flamme d’une bougie. Il y aurait d’immenses études à faire sur ce sujet, au point de vue de la médecine pratique. Malheureusement, il nous a été souvent impossible de nous procurer des principes purs, et, par conséquent, d’arriver à des résultats absolument certains. Nous signalons le fait à nos confrères mieux placés que nous, pour qu’ils étudient la question à leur tour et en déduisent des conclusions inattaquables. Pour notre part, présentant à la flamme de la bougie l’extrémité de notre spatule de trousse, chargée d’une pincée de la substance à essayer, nous nous sommes attaché à examiner la façon de se comporter de chaque substance médicamenteuse et en avons déduit quelques règles générales destinées à nous éclairer dans notre pratique médicale.

1o Les poudres organiques, telles que la farine, l’amidon, la fécule, etc., se carbonisent à la chaleur et noircissent. Or, il arrive très souvent qu’on les ajoute frauduleusement à des substances minérales qui possèdent la propriété de rester fixes à la flamme et de n’y subir aucune modification. La magnésie calcinée, le carbonate de magnésie, le carbonate de lithine, le bicarbonate de soude, etc., lorsqu’ils sont purs, ne semblent éprouver absolument aucun changement au contact de la bougie : leur teinte reste constamment d’une blancheur éclatante. Il n’en n’est point ainsi lorsqu’ils sont mélangés de substances organiques : celles-ci noircissent et communiquent à la masse une teinte grisâtre ou noirâtre plus ou moins prononcée.

2o Il est un certain nombre de corps, très employés pour falsifier les principes médicamenteux, qui offrent la propriété de crépiter à la flamme. Je citerai surtout le chlorure de sodium, le bromure de potassium, etc.

Ces corps décèlent d’eux-mêmes leur présence, sitôt qu’on vient à approcher de la bougie les poudres médicamenteuses qu’ils servent à frauder et qui, si elles étaient pures, ne devraient pas crépiter. J’ai vu de l’hydrate de chloral, du sulfate de quinine, du sous-nitrate de bismuth et un certain nombre d’autres principes, sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir, donner lieu à une série de petites crépitations qui étaient capables, à elles seules, de faire affirmer l’existence d’une falsification, car il est certain que ces principes, à l’état de pureté, ne doivent pas crépiter.

3o Quelques principes chimiques ont la propriété de fuser à la flamme et d’activer sa combustion ; ce sont les azotates et les chlorates. On les reconnaît de suite à ce caractère, quand ils sont mélangés frauduleusement à d’autres principes médicamenteux, qui ne jouissent en rien de cette propriété. Ce caractère nous servira, plus tard, à distinguer un certain nombre de falsifications par le nitrate de potasse, le nitrate de soude, etc., quand nous nous occuperons des fraudes des principaux médicaments en particulier.

4o Quelques médicaments chimiques sont infusibles à la chaleur de la flamme ; je citerai l’antimoine diaphorétique, le carbonate de magnésie, la magnésie calcinée, le carbonate de lithine, la craie, etc. Il arrive cependant très fréquemment que, sous l’influence de la chaleur, on voit certaines de leurs particules s’altérer, se ramollir et fondre complètement. C’est que ces substances infusibles sont mélangées de substances fusibles et, par conséquent, falsifiées.

5o Un certain nombre de médicaments fondent très vite à la flamme et souvent entrent ensuite en ébullition : l’acétate d’ammoniaque, les acides benzoïque, tartrique, phénique, l’alun, le borax, l’hydrate de chloral, les sulfates de soude et de magnésie, la cinchonine, la quinine, etc., etc., sont dans ce cas. S’il arrive que ces médicaments soient falsifiés avec des substances infusibles, ce qui s’observe très souvent, on voit les particules de celles-ci rester intactes au milieu des autres en fusion et la sophistication, de cette manière, est d’elle-même décélée.

6o Un grand nombre de principes médicamenteux se volatilisent à la flamme sans laisser aucun résidu ; s’ils en laissent, on est sûr qu’ils sont impurs. L’acétate d’ammoniaque, le sel ammoniac, les acides benzoïque et salicylique, le calomel, le camphre, l’hydrate de chloral, la santonine, le soufre, un certain nombre d’alcaloïdes, etc., se subliment facilement, pour peu qu’on les laisse en présence de la flamme et ne doivent, s’ils sont purs, ne laisser absolument aucun dépôt sur la spatule. Exemple : l’acétate d’ammoniaque, qui renferme habituellement de l’acétate de potasse, des sels de cuivre, des sels de plomb, etc. Il suffit d’en faire volatiliser une parcelle sur l’extrémité de la spatule : les corps étrangers, non sublimables, restent sur cette dernière et font tache.

7o Enfin, quelques corps laissent, après leur combustion, un résidu absolument caractéristique et qui permet de les reconnaître immédiatement. Les sels de cuivre laissent un globule de cuivre métallique ; l’acide arsénieux une masse volumineuse, légère et d’un blanc de lait ; le nitrate d’argent, un globule d’argent ; le borax, une belle perle transparente, dite verre de borax, etc.

Nous verrons, dans le chapitre suivant, lorsque nous nous occuperons de la vérification de chaque médicament en particulier, tout le parti que le médecin peut tirer de ces remarques diverses dans la recherche chimique des falsifications.

D. Phénomènes divers qui se produisent sous l’influence de la flamme. — Certains principes médicamenteux se comportent d’une façon caractéristique vis-à-vis la flamme, ce qui permet de les reconnaître immédiatement.

Quelques aloës, trempés dans l’acide azotique et présentés à la bougie, font explosion, par suite de la production de l’acide picrique. Il suffit d’une parcelle extrêmement petite du corps pour donner lieu à une petite détonation.

Un certain nombre de préparations de mercure, d’argent et d’or, placées près de la flamme, dans certaines conditions déterminées, donnent également lieu à une détonation, par suite de la formation d’un corps fulminant.

De l’acide arsénieux, mélangé dans une pilule à de l’acétate de potasse, donne naissance, quand on l’approche de la flamme, à une odeur repoussante d’oxyde de cacodyle.

Le sulfate de quinine pur, présenté à la flamme, se transforme en un grand nombre de petites perles rouges, très régulièrement arrondies, isolées et qu’il est difficile de confondre avec d’autres quand on les a vues une fois.

Il est ainsi quelques corps qui, en face de la flamme de la bougie, ont une façon de se comporter absolument propre et individuelle.


II. Inflammation des médicaments combustibles.

Beaucoup de médicaments, employés en thérapeutique, sont très facilement inflammables, au moyen d’une allumette, et brûlent ensuite, d’eux-mêmes, avec beaucoup de facilité. Il m’est venu à l’esprit d’examiner si la façon dont ils brûlent ne serait pas capable, à elle seule, de renseigner le médecin sur leur pureté ou leurs falsifications. Or, bientôt il m’a été démontré, par l’expérience, qu’il y avait là, en effet, pour le clinicien, une mine féconde en renseignements précieux, renseignements qu’on aurait peut-être tort dorénavant de laisser de côté. Les médicaments combustibles sont : les uns liquides, les autres solides.

1o Les médicaments liquides combustibles, par la couleur de leur flamme, par la fumée et l’odeur qu’ils répandent, par leurs pétillements, par le résidu qu’ils abandonnent à la suite de leur combustion, indiquent souvent au médecin s’ils sont bons ou falsifiés. Il suffît d’en verser quelques gouttes dans une soucoupe ou une assiette, de les enflammer avec une allumette et d’examiner les différents phénomènes qui se produisent.

Prenons un exemple : l’alcool ordinaire ou de vin. Ce liquide, d’après les auteurs du dictionnaire des falsifications, peut contenir des alcools inférieurs (de grains, de marc, de betterave, de bois, de pomme de terre) ; quelques éthers (acétique, œnanthique) ; des acides gras (caprique, caprilique, margarique, etc.), des traces d’huiles essentielles, d’essence de térébenthine, de benzine, de pétroles légers ; enfin, des matières fixes, telles que produits huileux, sels de plomb, de cuivre, de zinc et du chlorure de calcium. Or, il n’est aucun de ces corps, absolument aucun, qui n’imprime son cachet d’une façon certaine, au mode de combustion de l’alcool. Celui-ci, lorsqu’il est pur et anhydre, brûle avec flamme bleue pâle, uniforme, sans fumée, avec une odeur suave, et sans laisser aucun résidu. — Or, tous les alcools inférieurs, les éthers, les acides gras, toutes les substances huileuses, l’essence de térébenthine, la benzine, les pétroles, etc., possèdent la propriété de brûler avec une flamme jaune, quelquefois pâle, habituellement très brillante, qui tranche immédiatement, par sa coloration, sur la flamme bleue de l’alcool.

— De plus, toutes ces substances, on peut en faire la remarque, dégagent, en brûlant, une quantité plus ou moins considérable de fumée, qu’on peut toujours rendre appréciable, si elle est peu sensible, en plaçant une assiette blanche au-dessus de la flamme. On voit bientôt le noir de fumée former une tache sombre sur la blancheur de l’assiette. L’alcool pur se réduisant, en brûlant, en acide carbonique et en eau, ne donne lieu, au contraire, à aucune trace de fumée ; on ne recueille avec lui, sur l’assiette, que des gouttelettes d’une eau très limpide et très pure. — Chacun connaît les odeurs quelquefois repoussantes des alcools inférieurs, des acides gras, de même que celles de l’essence de térébenthine, de la benzine, des pétroles, etc., odeurs qui semblent, pour ainsi dire, s’accentuer quand ces substances brûlent. L’alcool pur conserve, au contraire, pendant sa combustion, l’odeur suave et enivrante qu’on lui connaît. Les différences d’odeur sont si tranchées, que l’odorat le moins exercé est capable de saisir immédiatement la falsification, sans pouvoir toutefois se prononcer sur sa nature. — Enfin, tous les alcools falsifiés, absolument tous, laissent des dépôts dans la soucoupe où on les a enflammés. On retrouve, dans ces dépôts, l’eau qu’on a frauduleusement ajoutée à l’alcool, ainsi que les substances huileuses, les sels de plomb, de zinc, de cuivre, et le chlorure de calcium. On voit une tache jaune verdâtre, collante ; quelquefois un liquide plus ou moins épais, d’odeur nauséabonde, de saveur âcre, dans lequel les corps étrangers étant à l’état de concentration, il est très facile, si l’on veut, de faire des recherches chimiques. Le médecin n’a nullement besoin de ces recherches, la présence du dépôt suffisant à elle seule pour affirmer la présence d’une falsification. Il est certain, en effet, que l’alcool pur et absolu brûle jusqu’à siccité de la soucoupe dans laquelle on le verse et ne laisse absolument aucune trace de dépôt, — Si un alcool, qu’on essaye, a une flamme jaune, fume, répand une odeur âcre et laisse un dépôt, l’on peut certifier l’existence d’une sophistication et rejeter le produit.

L’éther sulfurique se prête au même genre de vérification que l’alcool. Ce liquide, lorsqu’il est pur, brûle avec une grande flamme blanche, uniforme dans toutes ses parties. Lorsqu’il contient de l’alcool et de l’acide acétique, ce qui est le cas le plus fréquent, ces derniers corps brûlent en même temps que lui, en produisant une petite flamme bleue qui tranche, par sa couleur, au milieu de la grande flamme éthérée. L’eau et les autres substances étrangères restent comme résidu de la combustion.

Les dérivés de l’alcool (teintures et alcoolatures), ceux de l’éther (collodion, teintures éthérées, etc.), l’eau oxygénée, les essences, la térébenthine, la créosote, la glycérine, le chloroforme lui-même, etc., par la façon dont ils se comportent en brûlant, apportent aussi, comme nous le verrons lorsque nous les étudierons en particulier, une foule de renseignements utiles au clinicien.

2o Les médicaments solides combustibles peuvent souvent être vérifiés de la même façon.

Le camphre ordinaire brûle avec une flamme jaune-rougeâtre en produisant beaucoup de fumée ; le camphre artificiel, qu’on lui substitue quelquefois, donne lieu à une belle flamme verte toute différente.

L’hydrate de chloral ne s’enflamme pas ; l’alcoolate de chloral, qu’on donne quelquefois à sa place dans les pharmacies, prend facilement feu et brûle avec une flamme bleue.

Les acides phénique et benzoïque cristallisés, l’acide acétique, le bleu de Prusse, le valérianate de zinc, la fleur de soufre, etc., produisent aussi, en brûlant, plusieurs phénomènes qui mettent sur la voie de leur falsification.


III. Recherche de la solubilité dans l’eau.

Le médecin peut retirer, de la recherche de la solubilité des médicaments dans un verre d’eau ordinaire, quelques renseignements très utiles au point de vue de leurs sophistications. En effet : 1o les médicaments complètement insolubles sont souvent mélangés de substances solubles, qui se dissolvent dans l’eau et modifient ses propriétés ; 2o les médicaments parfaitement solubles sont quelquefois additionnés de matières peu ou pas solubles, qui forment dépôt immédiatement ; 3o enfin, quelques médicaments, solubles dans un véhicule quelconque (alcool, éther, glycérine), sont de suite précipités par l’eau qu’on ajoute à ce véhicule et rendus visibles par elle.

A. Les médicaments complètement insolubles dans l’eau, sont de deux sortes : — les uns, moins denses que ce liquide, y surnagent sans s’y enfoncer ; — les autres plus denses, gagnent rapidement le fond du verre, sans se mêler au liquide, ni le troubler en rien.

1o Les premiers doivent rester à la surface du verre d’eau, sans s’y enfoncer, ni sans troubler ses couches les plus superficielles. Il faut que la ligne de démarcation entre les deux liquides demeure très nette et très tranchée. Il est évident, en effet, que si le médicament renferme des substances solubles, celles-ci doivent tendre à descendre et à se mélanger au liquide au-dessous. C’est un moyen très simple et facile de reconnaître la falsification.

L’essence de térébenthine, quand elle est pure, reste toujours à la surface de l’eau, parceque sa densité est moindre que celle de ce liquide (0,86). Si, au contraire, elle a été falsifiée avec diverses substances résineuses, ce qui se fait habituellement, on la voit tendre à descendre dans le verre ou ne pouvoir plus remonter à sa surface, si on l’a agitée quelque temps dans le liquide.

Le camphre est plus léger que l’eau et ne s’y enfonce pas. J’ai vu cependant un échantillon de poudre de camphre, tout en demeurant au haut du verre, laisser précipiter au fond de celui-ci une poudre blanche très fine.

2o Les médicaments insolubles, plus denses que l’eau, gagnent rapidement le fond du verre, sans troubler en rien le liquide. S’ils sont falsifiés, on les voit, au contraire, descendre lentement, quelquefois, rester en suspension, d’autres fois même se diviser en plusieurs parties dont quelques-unes ont de la tendance à s’élever ou à se mélanger au liquide. Je ne citerai qu’un exemple : l’apiol.

Quand on verse, dans un verre d’eau, le contenu d’une capsule d’apiol, si le médicament est pur, il gagne, en vertu de sa densité, le fond du verre et l’eau reste limpide ; s’il est impur, le liquide se trouve plus ou moins modifié.

B. Les médicaments complètement solubles dans l’eau, lorsqu’ils sont additionnés de substances insolubles, ou peu solubles, se séparent de celles-ci, lorsqu’on les plonge dans le verre et les substances étrangères s’élèvent à la surface du liquide, si elles sont moins denses que lui, et gagnent, au contraire, le fond, si elles sont d’une densité plus grande.

La dextrine de bonne qualité se délaye facilement dans l’eau froide, en formant une solution poisseuse sans dépôt marqué ; celle de qualité inférieure se dissout incomplètement et laisse habituellement, au fond du verre, un dépôt formé de craie et de plâtre.

Les peptones, sous quelles formes qu’elles se présentent, sont très solubles dans l’eau, qu’elles rendent mousseuse. J’ai vu un échantillon laisser, à la surface du liquide, une couche huileuse épaisse et, dans le fond, une sorte de dépôt blanchâtre grumeleux qu’il m’a été impossible de faire dissoudre.

L’opium de bonne nature, se divise complètement dans l’eau froide. Il dépose immédiatement s’il contient, comme cela arrive quelquefois, du sable, des feuilles de pavot hâchées, de petits raisins écrasés, de la brique pilée, des substances résineuses, etc.

Les praticiens, qui l’emploient de préférence à la morphine, peuvent essayer, de cette façon, les opiums qu’on leur livre.

La pierre infernale, étant exclusivement composée de nitrate d’argent, doit se dissoudre complètement dans l’eau. Il m’a cependant été donné de voir un morceau de crayon de nitrate donner lieu à un dépôt très abondant d’une poussière noirâtre.

C. Quelques médicaments, dissous dans un liquide quelconque, sont de suite précipités par l’eau qu’on ajoute à ce liquide, et par cela même, rendus visibles.

Les teintures résineuses sont dans ce cas : quelques gouttes d’eau ajoutées aux teintures de jalap, de gaïac, de benjoin, etc., les troublent immédiatement ; l’eau précipite également le camphre dans l’alcool camphré, l’iode dans la teinture d’iode, etc. Nous aurons plusieurs fois l’occasion, dans le chapitre suivant, d’employer ainsi l’eau comme réactif dans la vérification de quelques substances médicamenteuses.


§ II. — Moyens chimiques de vérification.

Les moyens chimiques consistent dans l’emploi des réactifs.

Quand on parle de chimie à un médecin, celui-ci se figure immédiatement un laboratoire encombré de fourneaux, de cornues, de creusets, de fioles et une foule de manipulations, plus ou moins compliquées, telles que filtration, distillation, cristallisation, sublimation, etc. Que nos confrères se rassurent. Les réactifs, qui sont nécessaires pour l’usage médical, sont peu nombreux et d’une simplicité vraiment primitive.

1o Certains d’entre eux se trouvent partout ; nous citerons : les lames de fer (aiguilles, épingles, clous), les pièces de monnaie (cuivre ou argent), le sel de cuisine, la salive, l’acide carbonique de l’air expiré, substances qui se trouvent en tous lieux, à la campagne comme à la ville et dont le médecin peut retirer un excellent usage pour la vérification de ses médicaments.

2o D’autres réactifs, le médecin les a toujours dans sa trousse, les faisant servir à d’autres usages. Tout praticien a constamment sur lui un crayon de nitrate d’argent, une solution pour injection de morphine, et souvent un petit flacon de perchlorure de fer sec, en cas d’hémorrhagie ; or, ces trois substances sont des réactifs d’une extrême utilité et qui, dans une foule de cas, peuvent servir au clinicien.

3o Il y a quatre liquides que tout médecin possède ou doit posséder dans son cabinet : l’acide azotique, pour l’essai des urines albumineuses ; l’acide sulfurique pour la recherche de la bile dans l’urine ; l’ammoniaque qui lui sert de caustique, et, enfin, la teinture d’iode, qui est un révulsif à la mode et qu’on a l’habitude de rencontrer sur la table de nuit de beaucoup de malades. Ces produits chimiques, employés comme réactifs dans l’essai des médicaments, sont tous quatre d’une grande utilité.

4o Enfin, il existe une quatrième classe de réactifs, qui servent rarement, que le médecin ne peut avoir chez soi et qui, cependant, lui seraient utiles dans certaines circonstances. Ceux-là, il est souvent un moyen très simple, très facile de s’en passer : c’est, lorsqu’ils sont inoffensifs, de les introduire dans les médicaments que l’on formule. Il suffit, ensuite, de chauffer le médicament à la bougie pour voir la réaction caractéristique se produire et donner lieu à la vérification cherchée. Nous allons étudier successivement chacun de ces réactifs en indiquant sommairement les principales occasions oü l’on peut s’en servir.

A. Réactifs qui se trouvent partout. Ce sont le fer, les pièces de monnaie, le sel de cuisine, la salive, et l’acide carbonique de l’air expiré.

1o Le fer (aiguilles, épingles, clous) peut servir comme moyen de vérification de certains médicaments. On connaît cette loi de chimie « qu’un métal décompose toujours les sels des métaux des sections qui suivent celle à laquelle il appartient : » par conséquent, le fer peut être employé comme moyen très simple d’identification d’un grand nombre de préparations métalliques. Si l’on délaye, dans un peu d’eau acidifiée, une pilule ou un peu de pommade au sulfate de cuivre et si l’on plonge dans le liquide une simple aiguille, celle-ci se recouvre immédiatement d’une belle couche rouge de cuivre métallique. Un morceau d’emplâtre d’acétate de cuivre, essayé de la même façon, donne lieu au même résultat. Le procédé est extrêmement sensible et permet de reconnaître le cuivre où il ne devrait pas exister. Il m’est arrivé de constater sa présence dans une pilule d’extrait de belladone !

Les préparations d’or sont peu employées en médecine ; cependant quelques médecins ordonnent le chlorure et le cyanure d’or, sous forme de pilules ou de granules. Il suffit de faire fondre une des pilules dans de l’eau acidulée et de plonger une aiguille dans la solution, pour voir immédiatement se précipiter une poudre noire, d’or métallique, facilement reconnaissable.

Une solution de tartre stibié, traitée par une lame de fer (lame de bistouri), précipite une poudre noire d’antimoine. Une solution de nitrate d’argent, traitée de la même façon, précipite de l’argent. Les préparations d’iodure de plomb et de sous-acétate de plomb laissent déposer du plomb métallique, etc. ;

2o Les pièces de monnaie (cuivre ou argent) peuvent servir également dans quelques cas particuliers.

Les pièces de cuivre constituent, à mon sens, le réactif le plus simple et le plus sensible pour s’assurer de la présence des sels de mercure et des sels d’argent. — Toutes les préparations mercurielles usitées en médecine, pommade mercurielle, onguent gris, pilules de mercure simple, de sublimé, de calomel, de cyanure ou de bi-iodure de mercure, etc., présentent la propriété, lorsqu’on les acidifie avec une goutte d’acide azotique, d’argenter instantanément le petit sou contre lequel on vient à les frotter avec le doigt. Je me suis assuré plusieurs fois, par ce moyen, que des pilules devant contenir du bi-iodure, du sublimé, du calomel, etc., ne contenaient, en réalité, aucune trace de sel mercuriel. — Les solutions de nitrate d’argent sont aussi instantanément décomposées par une pièce d’un sou. Il y a précipité d’argent métallique et la liqueur bleuit, à mesure que l’action a lieu, par suite de la formation d’un azotate de cuivre.

Les pièces d’argent servent surtout pour distinguer la pureté ou le mélange des liquides acides que le médecin emploie comme réactifs. Elles se comportent, en effet, comme nous le verrons, d’une façon très différente vis à vis les acides azotique, sulfurique ou chlorhydrique. On peut les employer aussi pour distinguer l’une de l’autre les différentes limonades préparées avec ces acides.

3o Le sel de cuisine, ou chlorure de sodium que l’on trouve partout, peut-être employé de deux façons. — On peut s’en servir directement comme d’un réactif, pour reconnaître les pilules, les pommades, les solutions de nitrate argentique, de même que certaines préparations mercurielles. On peut aussi, en l’imbibant d’une goutte d’acide sulfurique, donner naissance à de l’acide chlorhydrique, lequel, à son tour, est un réactif très précieux pour le diagnostic chimique d’un certain nombre de principes immédiats et, en particulier, de quelques alcaloïdes.

4o La salive n’a, croyons-nous, jamais été présentée comme un réactif. Cependant : 1o On sait que ce liquide renferme presque toujours du sulfo-cyanure de potassium (Tréviranus, Trédmann et Gmelin, Longet, Sertori, Schiff, etc.) ; 2o On sait aussi que le sulfo-cyanure de potassium est un réactif extrêmement sensible pour les sels de fer au maximum, qu’il colore en rouge-sang, tandis qu’il n’a aucune action sur les sels de fer au minimum. C’est donc un moyen très facile et très clinique pour s’assurer que telle préparation ferrugineuse est bien au degré d’oxydation indiqué par l’étiquette. Il suffit de prendre un peu de la préparation, de la délayer dans quelques gouttes de salive et d’examiner si sa coloration est modifiée. Rougit-elle, même légèrement, l’on peut croire à la présence d’un sel ferrique ; reste-t-elle identique à elle-même, l’on a affaire à un sel ferreux. Je me suis assuré, par maints essais, que ce moyen, d’une simplicité extrême, réussit très souvent aussi bien que des réactions plus compliquées, pour indiquer, d’une façon précise, le genre d’un sel de fer. On distingue ainsi le carbonate de protoxyde, du carbonate de peroxyde, le protoiodure de fer du bi-iodure, le sulfate ferreux du sulfate ferrique etc. — Ces distinctions sont loin d’être inutiles en clinique, car on sait que les sels martiaux ont des propriétés absolument distinctes selon le degré d’oxydation de leur base.

5o Acide carbonique. L’air expiré par les poumons, contenant de l’acide carbonique, peut servir à reconnaître l’eau de chaux et le sous-acétate de plomb.

Tout médecin a dans sa trousse une sonde de Belloc. S’il se sert de celle-ci comme d’un tube, pour souffler dans de l’eau de chaux, il voit se former immédiatement dans celle-ci, un nuage, puis un dépôt blanc de carbonate de chaux. J’ai vu un liquide assez trouble, donné comme eau de chaux, ne point présenter cette réaction cependant caractéristique.

Le sous-acétate de plomb est employé assez fréquemment en médecine, en dissolution dans l’eau, sous les noms d’extrait de saturne, d’eau de Goulard. Il est quelquefois remplacé par une solution d’acétate neutre de plomb. La fraude est facilement reconnue en soufflant dans le liquide avec la sonde de Belloc ; le sous-acétate donne un abondant précipité blanchâtre de carbonate de plomb ; l’acétate ne précipite que d’une façon à peine sensible.

B. Réactifs que le médecin a toujours dans sa trousse. — Le praticien a constamment sur lui un crayon de nitrate d’argent, une solution de morphine et un petit flacon de perchlorure de fer.

1o Le crayon de nitrate d’argent, qu’on emploie exclusivement comme escharrhotique, pourrait être transformé, par le médecin, en une de ses meilleures armes de vérification. Il peut servir, en effet, à l’identification de cinquante-cinq principes différents de la matière médicale. Il permet de reconnaître rapidement si les substances formulées sont réellement présentes, si elles sont absentes, s’il n’en existe pas qui n’aient pas été formulées. Il suffit de toucher, d’effleurer à peine la surface du liquide à examiner, avec la pointe du crayon, pour voir immédiatement se former, à l’extrémité de celui-ci, une petite tache qui est souvent absolument caractéristique de la substance essayée. Il suffit ensuite d’essuyer, avec un linge, ou de gratter avec un papier de verre pour enlever la tâche et permettre au crayon de resservir.

Au contact d’un chromate, la pointe du crayon prend une teinte pourpre. On peut ainsi vérifier les pilules et granules de bi-chromate de potasse dont se servent quelques médecins.

Les arséniates de potasse, de soude et de fer laissent, à l’extrémité de la pierre, une petite tâche d’un rouge-brique. S’ils sont sous forme pilulaire, il suffit de faire fondre une pilule dans quelques gouttes d’eau pour avoir la réaction cherchée.

Les arsénites de potasse et de soude et l’acide arsénieux teignent l’extrémité du nitrate en jaune. La liqueur de Fowler, celle de Devergie, les granules de Dioscoride, ceux de Bertiot, de Burggraëve etc., peuvent être ainsi essayés.

L’iodure et les iodures tâchent également la pierre en jaune ; mais cette tâche se distingue de celle produite par les arsénites, en ce qu’elle ne disparaît pas par le simple contact d’une goutte d’acide azotique, tandis que celle déterminée par les arsénites disparaît immédiatement.

La pierre prend une teinte blanche au contact d’une foule de corps ; les chlorures, les chlorhydrates, les cyanures, les bromures, les acétates, les borates, les chlorates, les citrates, les oxalates et les tartrates. D’autre part, les taches blanches qu’on obtient ainsi se reconnaissent facilement entre elles par la façon dont elles se comportent vis-à-vis la flamme d’une bougie ou en face de l’acide azotique et de l’ammoniaque. Le médecin a, de cette façon, des moyens très simples de s’assurer de la présence de ces sels dans des pilules, des granules, des pommades, des solutions etc. Parfois même la pierre se montre indiscrète et indique, dans certaines préparations, la présence de certains corps qu’on aurait été loin de s’attendre à y trouver. C’est ainsi qu’on trouve la trace d’un chlorure (chlorure de sodium), dans une foule de principes médicamenteux des plus simples et des plus employés.

À propos du nitrate d’argent, réactif, comme on le voit, d’une extrême utilité, l’on peut se demander s’il ne serait pas préférable de l’employer granulé à 1 millig.. Un seul granule suffirait amplement pour un essai et, d’autre part, l’on aurait un moyen facile d’analyse quantitative. Sachant qu’un granule d’un milligramme correspond à x centigrammes, par exemple, de la substance essayée, le nombre des granules ajoutés indiquerait la quantité exacte du principe actif. Un gramme de nitrate ferait 4 000 granules et pourrait servir pour une foule d’expériences. On pourrait mettre les granules dans l’étui du porte-crayon, ce qui ne chargerait en rien le praticien.

2o Solution de morphine. — Depuis la vulgarisation des injections médicamenteuses sous-cutanées, il n’est pas un médecin qui n’ait constamment sur lui une solution morphinée quelconque. La solution de chlorhydrate de morphine au 20me (eau distillée 20 gr. chlorhydrate 1 gr.) est la plus usitée. Or, cette solution peut servir de réactif dans plusieurs cas particuliers.

Elle donne une coloration bleue au contact des sels de fer au maximum et peut servir ainsi, comme la salive, à les distinguer des sels au minimum, qui ne donnent lieu, par la morphine, à aucune coloration.

L’acide azotique rougit immédiatement par la solution morphinée, ce qui permet de le reconnaître de suite ou de soupçonner sa présence lorsqu’il est à l’état de mélange.

Les pilules de chlorure ou de cyanure d’or, dissoutes dans une goutte d’eau et touchées avec la morphine, donnent immédiatement une belle couleur bleue.

Le permanganate de potasse, employé en pilules ou en solution, verdit par le même réactif, etc., etc.

3o Le perchlorure de fer est un réactif bien plus important encore.

Il donne lieu à une magnifique coloration bleue, au contact de la morphine, ce qui permet de distinguer celle-ci partout et de la différencier de tous les alcaloïdes.

Il produit une belle coloration rose en présence de l’apomorphine, et sert ainsi à distinguer cette dernière de la morphine ou de son mélange avec elle.

Il donne une coloration noire (encre) avec toutes les préparations renfermant du tannin : pilules, gargarismes, poudres, pommades, etc.

Avec l’acide salicylique et les salicylates, il donne naissance à une teinte violette très belle.

Avec l’acide phénique bien pur, à une coloration bleue semblable à celle produite au contact de la morphine.

Nous verrons, dans le chapitre suivant, que le perchlorure est aussi un très bon réactif pour les acétates, pour les benzoates et surtout pour les différents cyanures employés en médecine. Il peut servir encore pour vérifier certains médicaments purement pharmaceutiques, le sirop d’écorce d’orange amère, par exemple.

G. Réactifs que le médecin a toujours dans son cabinet. — Le praticien, comme moyens d’analyse des urines, comme caustiques ou comme révulsifs, a toujours chez lui de l’acide azotique, de l’acide sulfurique, de l’ammoniaque et de la teinture d’iode.

1o L’acide azotique, dont il se sert exclusivement pour l’essai des urines albumineuses, pourrait être très souvent employé par lui comme moyen de vérification des médicaments.

Il n’existe pas de procédé plus simple, pour essayer le sous-nitrate de bismuth, que de faire dissoudre une parcelle de ce corps dans une goutte d’acide nitrique. Le sel bismuthique peut être considéré comme pur, s’il ne fait point effervescence, ne dégage aucune odeur sensible, et se dissout complètement sans laisser de résidu.

Tous les sels de fer au minimum sont transformés, par l’acide azotique, en sels de fer au maximum et cette transformation permet souvent de les reconnaître immédiatement. Ainsi, le sulfate de protoxyde de fer prend, au contact d’une goutte d’acide, une coloration rouge caractéristique.

Tous les sels de mercure argentent le cuivre, quand on les humecte d’une goutte d’acide azotique et celui-ci semble préférable, pour cette petite opération, à l’acide sulfurique.

Les peptones, pour être bonnes, ne doivent précipiter en rien par l’acide nitrique ; ce dernier permet donc de les vérifier.

Certains aloës (aloës des Barbades et du Natal) prennent, au contact de ce réactif, une belle coloration rouge cramoisie et se transforment en acide picrique. Une parcelle d’aloës, portée d’abord dans l’acide, puis dans la flamme de la bougie, donne lieu à une petite détonation.

Un granule de colchicine, dissous dans une goutte d’eau, et touché avec l’acide nitrique, prend successivement les cinq premières couleurs du spectre solaire : violet, indigo, bleu, vert et jaune.

La curarine, traitée de la même façon, devient d’un bleu magnifique.

La digitaline cristallisée de Nativelle devient jaune.

La morphine, la brucine, la cicutine et la scillitine rougissent toutes très facilement. Un second essai avec l’acide sulfurique, dont nous allons parler, permet ensuite de les distinguer les unes des autres.

2o L’acide sulfurique est encore, comme on sait, un réactif bien plus utile et plus universel que l’acide azotique.

Il produit une vive effervescence au contact de tous les carbonates et permet ainsi de reconnaître les carbonates d’ammoniaque, de chaux, de fer, de lithine, de magnésie, etc., souvent employés en thérapeutique. Il décèle aussi la présence des carbonates dans une foule de préparations où ils ont été ajoutés frauduleusement.

L’acide sulfurique donne naissance, au contact des acétates, à une vive odeur de vinaigre (acide acétique) ; Au contact des cyanures, à une forte odeur d’amandes amères (acide cyanhydrique) ;

Au contact des lactates, à une odeur très sensible de pomme de reinette (acide lactique) ;

Avec les valérianates d’ammoniaque, de zinc, de fer, de quinine, à une odeur de vieux fromage (acide valérianique) ;

Il produit, en présence des sulfures, une odeur repoussante d’œufs pourris (acide sulfhydrique) ;

En présence des iodures, une odeur de soufre qui brûle (acide sulfureux) ;

Au contact des phosphures (phosphure de zinc), une odeur alliacée très vive (hydrogène phosphoré) ;

Il donne lieu, avec les azotates, les chlorates, les borates, les silicates, les bromures, à des réactions également caractéristiques, qui permettent d’identifier immédiatement chacun de ces sels.

Une prise de sulfate de quinine, dissoute dans un peu d’eau avec quelques gouttes d’acide sulfurique, donne au liquide un beau reflet bleu, qui est propre aux sels quiniques.

La curarine prend, par le même acide, une magnifique coloration bleue persistante ;

La digitaline, une coloration verte ;

La scillitine, une teinte violette ;

La vératrine passe successivement par le jaune, le rouge et le violet ;

La narcotine devient jaune, la brucine jaune-verdâtre, la colchicine jaune-brun, la picrotoxine couleur safran, l’aconitine rouge violacée.

L’atropine, la cubébine, l’élatérine deviennent simplement rouges.

Ces différentes colorations, combinées avec celles fournies par l’acide azotique ou le perchlorure de fer, permettent d’identifier absolument tous les alcoloïdes.

3o L’ammoniaque sert moins que l’acide sulfurique pour la vérification des médicaments, mais peut rendre cependant de grands services aux médecins.

Il permet de distinguer les unes des autres les différentes taches produites par les substances médicamenteuses sur la pointe du crayon de nitrate d’argent. Suivant que les taches persistent ou disparaissent au contact de l’ammoniaque, l’on peut assurer avoir affaire à tel principe chimique plutôt qu’à tel autre.

L’ammoniaque précipite en noir les sels de mercure au minimum et les distingue ainsi des sels mercuriels au maximum, qui eux précipitent en blanc par le même réactif.

Les sels de fer au minimum précipitent en verdâtre par l’ammoniaque, et ceux au maximum en rougeâtre.

Les sels de cuivre (sulfate, acétate, etc.) donnent lieu à une magnifique teinte bleue de ciel.

L’acide tannique (tannin), par le même réactif, devient rouge.

Une pilule de chlorure d’or, trempée dans l’ammoniaque et jetée au feu, fait immédiatement explosion par suite de la formation d’une certaine quantité d’or fulminant.

L’ammoniaque sert encore pour distinguer le tartre stibié, les sels de plomb, de zinc, de magnésie, etc., avec lesquels il donne lieu à des précipités caractéristiques.

Il permet aussi de reconnaître la quinine de la cinchonine.

Quelques gouttes versées dans un petit flacon de laudanum de Sydenham y forment immédiatement un précipité, plus ou moins volumineux, blanc-jaunâtre, de morphine. C’est un moyen très simple et très clinique de s’assurer de la valeur des différents laudanums.

4o Teinture d’iode. — La teinture d’iode ordinaire classique permet de reconnaître un alcaloïde dans n’importe quelle solution. La présence des moindres traces de celui-ci se révèle immédiatement par la production d’un composé brun-rougeâtre, couleur chocolat, insoluble dans l’eau et se réunissant sous la forme d’un dépôt floconneux. Il est impossible de préciser à quel alcaloïde l’on a affaire, mais l’on est certain qu’un alcaloïde existe.

La teinture d’iode permet également de constater la présence frauduleuse de l’amidon dans une poudre médicamenteuse quelconque.

Elle donne, avec l’aloès des Barbades, une belle coloration rose-violette qui permet de reconnaître ce dernier.

Versée dans un sirop médicamenteux quelconque, falsifié au moyen d’un sirop de fécule ou de glycose, elle prend immédiatement une teinte d’un rouge intense qui indique la fraude, tandis qu’elle ne produit rien de semblable avec le sirop de sucre du codex.

En somme, la teinture d’iode peut renseigner quelquefois utilement le médecin. Elle n’est point indispensable, mais le praticien la trouvant très souvent au lit de ses malades, peut quelquefois s’en servir pour reconnaître certaines fraudes.

D. Réactifs que le médecin peut introduire dans ses formules.

— Il est certains réactifs, très rarement utiles, que le médecin ne peut avoir chez lui et qui cependant pourraient lui rendre de grands services dans certains cas de sa pratique. Je me suis demandé, lorsque ces réactifs n’ont absolument aucune action sur l’organisme, s’il ne serait pas possible de les faire introduire directement, par le pharmacien lui-même, dans la substance médicamenteuse.

Voulant formuler, par exemple, une pilule contenant 2 ou 3 milligrammes d’acide arsénieux, ne pourrait-on pas, en même temps, mettre dans cette pilule un peu d’acétate de potasse ? Il suffirait, dans ces conditions, d’approcher de la bougie la pilule à essayer, pour voir se développer aussitôt, sous l’influence de la chaleur, une odeur repoussante d’oxyde de cacodyle, caractéristique de la présence de l’acide arsénieux.

Ne pourrait-on pas introduire un peu de poudre d’amidon dans certaines préparations contenant un iodure ? Il suffirait, au moyen d’un acide (azotique, ou sulfurique), de mettre l’iode en liberté pour voir se développer une belle coloration bleue d’iodure d’amidon.

Le carbonate de soude, le borax, le nitrate de potasse, etc., sont de très bons fondants, qui peuvent également servir dans bon nombre de cas et mettre sur la voie des falsifications. Introduits dans les préparations médicamenteuses elles-mêmes, ils ne possèdent aucune action physiologique, en raison de leurs faibles doses ; d’autre part, l’on ne peut craindre que les réactions désirées se produisent d’elles-mêmes à la température du corps humain, car il faut, pour qu’elles se produisent, des températures élevées comme celle de la flamme, ou l’intervention d’autres agents (acides sulfurique, azotique, etc.) qu’on est toujours libre de ne pas mettre en contact.

On voit, par ces quelques exemples, tout le parti que le clinicien pourrait retirer de l’introduction de certains réactifs anodins dans la formule de certaines préparations. Il me semble qu’on pourrait ainsi arriver à vérifier facilement une foule de préparations médicamenteuses.



CHAPITRE TROISIÈME
vérification de quelques médicaments en particulier


Dans un travail beaucoup plus étendu que celui-ci, intitulé Médecine et thérapeutique rationnelles, j’ai appliqué les principes généraux, indiqués dans le chapitre précédent, à l’analyse des 150 principaux médicaments de la matière médicale et ai fait voir que le médecin, s’il le veut, peut facilement analyser, séance tenante, au lit même de ses malades, la plupart de ses médicaments, quelque soit la forme sous laquelle ils se présentent : poudres, granules, pilules, perles, cachets, solutions, sirops, pommades, etc.

Je donnerai ici, à titre d’exemples, l’analyse de quelques médicaments, de façon que mes confrères puissent contrôler eux-mêmes mes expériences et arrivent à se faire une idée nette de ma méthode.


Acide arsénieux.

L’acide arsénieux s’administre commodément, en médecine, sous forme de pilules ou de gouttes.

1o Pilules d’acide arsénieux. — Supposons que le médecin ait introduit, dans une formule quelconque de pilules, 1, 2 ou 3 milligrammes d’acide arsénieux, mélangé avec diverses substances organiques : miel, sucre, poudre de lycopode, chlorhydrate de morphine, sulfate de quinine, extrait de belladone, etc.

Pour vérifier si les pilules, délivrées par le pharmacien, contiennent bien réellement l’acide arsénieux, il suffit d’en prendre une à la pointe d’une épingle et de la présenter à la flamme d’une bougie. La pilule commence par brûler et par se carboniser. Si les substances organiques que contient la pilule sont en faible quantité, elles disparaissent rapidement par la combustion et laissent le composé arsénical seul et isolé, sous forme d’une petite masse blanche spongieuse ; si, au contraire, elles se trouvent en fortes proportions, on obtient bientôt, à l’extrémité de l’épingle, une masse charbonneuse noire, plus ou moins volumineuse, en un point de laquelle l’acide arsénieux se rassemble sous forme d’une belle tache d’un blanc de lait.

On reconnaît, d’une façon positive, que cette masse blanche est de l’acide arsénieux, — en ce qu’elle colore les bords de la flamme en bleu livide ; — en ce qu’elle dégage une fumée blanche d’odeur alliacée ; — enfin, parce qu’elle prend une teinte noire dans l’intérieur de la flamme et reprend sa teinte d’un blanc de lait au bord de celle-ci.

Les différents phénomènes qui se produisent sont faciles à comprendre.

L’acide arsénieux, au contact de la substance organique, incandescente et carbonisée, se convertit en arsenic métallique ou arsenic pur, lequel a la propriété de brûler avec une flamme d’un bleu livide. Le phénomène est très sensible lorsqu’on place la masse blanche sur le bord de la flamme de la bougie ; le bord de cette flamme dépouille la teinte brillante et éclairante qu’on lui connaît, pour revêtir une teinte d’un bleu blafard dans une étendue de 2 ou 3 millimètres. — Si le pharmacien a remplacé l’acide arsénieux par de l’arséniate de soude, la flamme de la bougie s’entoure d’une belle auréole jaune, caractéristique de la présence des sels sodiques. — S’il y a mis de l’arséniate de potasse, l’on a une auréole violette, à la place de l’auréole jaune. — Si le sel arsenical a été falsifié au moyen d’un sel de chaux, les bords de la flamme prennent une teinte rouge ; — ils deviennent jaunes-verdâtres, au contraire, si la falsification consiste dans l’addition d’un sel de baryte.

La fumée, qui s’élève au-dessus de la pilule, quand on maintient celle-ci au bord de la flamme, est blanche et d’une odeur alliacée caractéristique. — Le meilleur moyen, pour bien voir cette fumée, est de souffler légèrement sur la pilule incandescente de façon à l’éteindre. Au moment de l’extinction, l’on aperçoit, s’élevant au-dessus de la masse pilulaire, un petit ruban blanchâtre, qui persiste quelques instants, puis se dissipe dans l’atmosphère. — Si, à ce moment, on place la pilule, une seconde, au-dessous des narines, l’on sent parfaitement l’odeur alliacée. qui est absolument caractéristique et dont il est facile de se souvenir toujours quand on l’a sentie une fois. — Fumée et odeur sont produites par la volatilisation de l’arsenic métallique, provenant lui-même de la décomposition de l’acide arsénieux au contact des substances charbonneuses incandescentes.

Quant à la masse blanche, laissée par la pilule au bout de quelques instants de combustion, elle est absolument caractéristique. En plus de son odeur alliacée persistante, elle offre ceci de particulier qu’elle change immédiatement de couleur suivant le point de la flamme au contact duquel elle se trouve. — Portée dans l’intérieur même de la flamme (ce que les chimistes appellent flamme de réduction), elle prend une teinte noire foncée. C’est que l’acide arsénieux, qui est naturellement blanc, se désoxyde et se transforme alors en arsenic pur, lequel a une couleur brune ou brunâtre. — Placée, au contraire, au bord même de la flamme (ce qu’on appelle, en chimie, flamme d’oxydation), elle revêt immédiatement une teinte d’un blanc de lait. Dans ce cas, l’arsenic pur ou arsenic noir s’oxyde et se transforme en acide arsénieux ou arsenic blanc. — Si une partie de la masse est dans l’intérieur de la flamme et l’autre au bord, chacune d’elles prend une coloration distincte : la première est noire, la seconde d’un blanc éclatant ; on ne peut rien voir de plus tranché.

Les pilules arsénicales asiatiques, les pilules de Barton, les granules de Burggraëve, de Lesage, de Berthiot, de Dioscoride, etc., contenant de l’acide arsénieux et une substance organique, peuvent être vérifiées au moyen de la bougie. Avec un peu d’habitude, on arrive même, d’après la grosseur du résidu blanc, à fixer approximativement la quantité d’acide arsénieux contenue dans chaque pilule.

2o Gouttes d’acide arsénieux. — L’administration des médicaments par gouttes m’a toujours paru défectueuse et j’en ai dit ailleurs la raison ; cependant, quelques médecins préfèrent les gouttes aux pilules et administrent toujours l’acide arsénieux en solution.

Pour vérifier ces solutions, il suffit d’en prendre 1 gramme (une pleine seringue à injection de morphine) au fond d’un tube et, avec un couteau, d’y racler un peu de crayon de nitrate d’argent de la trousse. Il se produit, si l’acide arsénieux existe, un beau précipité jaune, couleur de soufre, qui se réunit immédiatement au fond du tube.

Ce précipité, constitué par de l’arsénite d’argent, est caractéristique de la présence de l’acide arsénieux : d’autre part, le volume du précipité indique exactement la quantité du principe arsénical en solution dans le liquide. Il est très facile de se rendre compte, ainsi, de cette quantité, si l’on a l’habitude de formuler toujours des solutions également titrées.


Arséniate de soude.

Une pilule d’arséniate de soude, comprenant 1 seul milligramme de ce sel, donne à la flamme : — une belle auréole jaune ; — une odeur d’ail très piquante ; — un résidu absolument semblable à celui laissé par l’acide arsénieux. L’expérience se fait absolument de la même manière que pour les pilules d’acide arsénieux.

L’auréole jaune de la flamme est caractéristique de la présence d’un sel de soude ; elle est remplacée par une auréole violette, si l’on a substitué un mélange d’acide arsénieux et d’azotate de potasse à l’arséniate de soude, comme de Letter en a signalé des exemples (1881).

L’odeur d’ail est facilement reconnaissable. Il suffit de l’avoir sentie une seule fois, pour pouvoir la reconnaître immédiatement.

Le résidu est absolument semblable à celui laissé par l’acide arsénieux dans les mêmes conditions. Il a pour caractères d’être très noir, quand on le met au centre de la flamme, et très blanc quand on le met au bord de celle-ci.

Les granules d’arséniate de soude de Berthiot, de Lesage, de Burggraëve, etc., sont susceptibles de ce genre de vérification.


Liqueur de Fowler.

Ce médicament classique, qui se prend à la dose de 5 à 10 gouttes, est, comme l’on sait, à base d’arsénite de potasse.

Pour l’essai : — 1o porter une goutte du liquide à la flamme d’une bougie ; les bords de la flamme s’entourent immédiatement d’une belle auréole violette, caractéristique de la présence d’un sel de potasse : — 2o toucher une goutte du liquide avec la pierre infernale ; la pointe de celle-ci se recouvre immédiatement d’une gouttelette d’un beau jaune, caractéristique de la présence d’un arsénite dans la liqueur.

Pour que l’essai à la bougie réussisse, la gouttelette liquide doit être très petite, sous peine de voir la flamme s’éteindre immédiatement, sans avoir produit une auréole colorée appréciable. La gouttelette doit être portée, avec la spatule, au centre même de la flamme, de façon à lui faire toucher l’extrémité libre de la mèche. Aussitôt le contact produit, on voit la flamme crépiter avec force, comme à l’approche de toute substance liquide, et s’entourer d’une auréole violette, de 1 à 2 millimètres de largeur et assez persistante.

Le précipité, fourni par le crayon, est facile à reconnaître. Si l’on a pris un gramme de la liqueur au fond d’un tube (soit une pleine seringue de Pravaz), le volume du précipité indique facilement, pour qui en a l’habitude, le dosage exact du liquide arsénical. De cette façon, l’on peut s’assurer cliniquement, non seulement que l’arsénite de potasse existe, mais encore en quelle quantité il existe et l’on a, en même temps, par des procédés très simples, l’analyse qualitative et quantitative de la liqueur.


Bromure de potassium.

Le bromure de potassium s’administre commodément en nature, en sirop et sous forme de poudre granulée.

1o Bromure de potassium en nature. — Je l’ordonne souvent sous cette forme. Le pharmacien délivre de petits paquets de bromure, d’un ou deux grammes, que le malade fait dissoudre dans une tasse d’eau édulcorée avec du sirop de groseilles, qu’il ingurgite, ou bien fait fondre le sel dans un verre d’eau tiède qu’il prend en lavement ; sous cette forme, il est impossible d’être trompé sur le dosage.

Pour vérifier, imbiber un peu de sel d’une goutte d’acide sulfurique et porter ensuite à la flamme d’une bougie : les cristaux de bromure, touchés par l’acide, donnent lieu à une sorte de purée couleur marron et colorent la flamme, en bas, en vert, en haut, en violet.

La purée marron, formée par l’imbibition du bromure par l’acide sulfurique, est produite par le dégagement du brome, qui colore le mélange en brun rougeâtre. Il se dégage, en même temps, des vapeurs âcres d’acide bromhydrique.

Quant à la coloration de la flamme, elle est absolument caractéristique du bromure de potassium. — La teinte verte, qui occupe la partie inférieure des bords, est très peu prononcée, assez difficile à voir au premier abord, mais constante et absolument semblable à celle produite, dans les mêmes conditions, par le bromure de camphre. Elle semble être spéciale aux bromures. — La teinte violette, qui se montre sur la partie supérieure des bords, est la teinte commune à tous les sels de potasse. On peut l’obtenir sans avoir préalablement imbibé le bromure de potassium d’acide sulfurique. Elle est remplacée par une teinte jaune, quand (ce qui est très fréquent) le bromure a été additionné d’un sel de soude.

Lorsque l’essai que nous venons de décrire ne donne lieu qu’à des résultats incertains (ce qui a lieu lorsque le bromure n’est pas pur), l’on peut faire fondre quelques cristaux du sel, dans un peu d’eau, et soumettre celle-ci à l’essai que nous avons coutume d’employer pour les sirops bromurés. Cet essai est le suivant :

2o Sirop de bromure de potassium. — L’expérience nous ayant démontré que la plupart des sirops de bromure, vantés par le spécialiste, ne renferment ni la quantité voulue de sel, ni habituellement un bromure absolument irréprochable au point de vue chimique, nous nous sommes habitués à formuler nous-même le sirop que nous ordonnons à nos malades. Ce sirop a pour composition :

Sirop simple 
 200 gr.
Bromure de potassium 
 10 gr.»

Il renferme 1 gr. de bromure par cuillerée à bouche (20 gr.), est d’une saveur agréable et d’une vérification facile. Pour l’essai, il suffit d’en toucher une goutte avec le crayon et d’en porter une autre goutte à la flamme d’une bougie. — La goutte touchée par le crayon devient d’un blanc-jaunâtre, puis d’un brun violacé ; — celle portée à la flamme colore les bords de celle-ci en violet.

Je mets la goutte, que je veux essayer par le crayon, sur un fond un peu foncé, de façon que les changements de teinte du sirop soient plus appréciables. Je me sers d’une vaisselle en grès, du dos d’un vieux livre, d’une ardoise, etc., et j’y dépose la goutte du sirop à examiner. Ceci fait, je malaxe quelques instants celle-ci avec la pointe du crayon de nitrate. Elle doit, si le sirop renferme la quantité voulue de sel, prendre une teinte blanc-jaunâtre et devenir opaque comme du lait. Exposée quelque temps à la lumière (surtout au soleil), la teinte doit brunir et devenir d’un brun violacé. Si l’on ajoute une goutte d’ammoniaque, il peut se produire trois choses : — Quelquefois, la goutte s’éclaircit à sa surface et toute la partie blanche gagne le fond.

En la faisant couler sur le porte-goutte, on voit la partie qui est en tête complètement incolore et les parties qui suivent d’autant plus colorées qu’elles sont plus en arrière. Il y a alors beaucoup de probabilités pour que le bromure ait été additionné d’un iodure, car on sait que l’iodure d’argent, qui alors s’est formé, est insoluble dans l’ammoniaque, lequel coule en laissant l’iodure derrière lui. — D’autres fois, la gouttelette liquide reste blanche et garde une homogénéité complète, même lorsqu’on la fait couler ; l’on peut soupçonner alors la présence d’un chlorure, le chlorure d’argent qui s’est produit, étant très soluble dans l’ammoniaque, lequel s’en imprègne dans toutes ses parties. — Enfin, lorsque le bromure est pur, la gouttelette est blanche ; mais il est très facile de voir, à l’œil nu, que sa blancheur est due à une multitude de petits corpuscules blanchâtres, en suspension dans le liquide et, en réalité, séparés les uns des autres. — Avec un peu d’habitude, il est facile, ainsi, de s’assurer des falsifications ; l’on peut aussi facilement, à la teinte plus ou moins blanche et opaque que prend la gouttelette sirupeuse, sous le crayon, voir si le sirop renferme, oui ou non, la quantité voulue de bromure de potassium. L’on voit certains sirops bromurés, fort pronés dans le public, ne donner lieu, par le nitrate, qu’à une teinte légèrement opalescente ; cependant leur étiquette assure qu’ils contiennent 1 gr. de sel par cuillerée à bouche !

La goutte de sirop qu’on présente à la bougie a d’abord de la tendance à diminuer la flamme et même à l’éteindre ; mais peu à peu elle entre en ébullition, rougit, puis noircit et se carbonise en laissant un résidu noir, léger, et relativement volumineux. C’est alors qu’en approchant ce résidu de la flamme, l’on voit apparaître la belle teinte violette des bords, si le bromure de potassium est pur. Cette teinte est remplacée ou voilée par une coloration jaune, si le bromure a été additionné d’un sel de soude.

3o Bromure de potassium granulé. Il suffit, pour l’essayer, de faire fondre un certain nombre de granules dans très peu d’eau ; on obtient un liquide que l’on peut vérifier par le même procédé que celui que je viens d’indiquer pour les sirops bromurés.


Calomel.

Le calomel s’emploie en nature, en pilules, en pastilles et en pommade.

1o En nature. — Le calomel en nature est souvent ordonné comme purgatif. On peut le faire mettre dans des cachets contenant chacun 20 centigrammes de sel ; le malade peut aussi les prendre très aisément en mettant chaque prise dans une demi-cuillerée à café de gelée de coings. — Quelque soit le moyen employé pour le faire absorber, le calomel en nature est facilement vérifiable.

C’est une poudre blanche très fine, que l’on falsifie, disent MM. Chevallier et Baudrimont, avec une foule de substances : chlorure de sodium, sels de potasse, carbonate de plomb, craie, plâtre, phosphate de chaux, sulfate de baryte, silice, gomme, amidon, farine, sucre en poudre, etc,

Pour vérifier, il suffit d’en porter un peu à la bougie sur l’extrémité de la spatule : si le calomel est pur, — il doit colorer très légèrement en vert les bords de la flamme, — ne subir aucune altération ou liquéfaction sensible, — et se sublimer complètement, en quelques instants, sans laisser aucun résidu.

La coloration verte est très faible, très fugace et ne se montre que juste au point de la flamme touché par la spatule. Elle est remplacée ou voilée par une teinte jaune, si le calomel contient du chlorure de sodium, ou par une teinte violette, s’il a été falsifié au moyen d’un sel de potasse.

La poudre blanche du sel de mercure ne semble subir, à la chaleur, aucune altération. Elle garde sa blancheur et ne paraît se liquéfier en aucun point de son étendue. Elle rougit par place, au contraire, si elle contient de la poudre de sucre, et devient grisâtre si elle renferme des substances organiques mélangées.

Le seul phénomène que l’on observe, quand on tient le calomel près de la flamme, c’est qu’on voit sa masse diminuer peu à peu, en même temps que l’on aperçoit s’élever une fumée blanchâtre. Au bout de quelques instants, si le sel est pur, il ne reste plus rien sur la spatule, qui présente l’éclat et le brillant qu’elle avait avant l’expérience. Tout le sel de mercure s’est sublimé, sans laisser aucune trace. Il n’en est point ainsi s’il a été falsifié. Toutes les substances étrangères étant fixes, restent comme résidu. Les substances minérales, telles que la craie, le plâtre, la silice, le phosphate de chaux, le sulfate de baryte, laissent un dépôt blanc. Les substances organiques, au contraire, comme l’amidon, le sucre, la farine, la gomme, etc., se carbonisent par la chaleur et laissent un dépôt noir. Il est inutile au clinicien de préciser exactement la nature du dépôt ; il lui suffit de savoir qu’il existe, tout calomel laissant un résidu sur la spatule devant être rejeté.

2o Pilules de calomel. — Des pilules, contenant 8 centigrammes de calomel et quantité suffisante de sirop simple, écrasées sur une pièce de monnaie en cuivre, fraîchement décapée avec une goutte d’acide azotique, donnent très rapidement au cuivre, par le frottement, une teinte argentine caractéristique. L’on s’assure ainsi de la présence du sel mercuriel. Avec un peu d’habitude, la rapidité avec laquelle le sou s’argente et l’épaisseur de la couche argentine suffisent pour indiquer au clinicien, d’une façon approximative, la dose approchée du médicament. Il est évident que ce mode de vérification, suffisant au point de vue clinique, ne vaut point celui qui s’adresse au calomel nature, enfermé dans un cachet ou une capsule.

3o Pastilles de calomel. — De petites pastilles aplaties, rondes, de 5 millimètres de diamètre, contenant chacune 6 centigrammes de calomel, argentent très facilement la surface d’un sou, lorsque, après les avoir écrasées, on les frotte quelques instants contre une pièce de monnaie fraîchement décapée. Douze échantillons différents de pastilles du commerce ne m’ont offert, par ce moyen, aucune teinte argentine. Deux seulement, approchées de la bougie, donnaient une teinte verte appréciable ; cinq coloraient légèrement en bleu ; trois en jaune ; une en beau violet ; une, enfin, semblait éteindre la flamme et ne produisait aucune coloration.

4o Pommade au calomel. — Une pommade composée de 5 grammes de calomel pour 30 grammes d’axonge, lorsqu’on l’additionne d’une goutte d’acide azotique, peut, par le frottement, donner une teinte argentine à une pièce de monnaie en cuivre. Cette réaction permet d’affirmer la nature mercurielle de la pommade et la dose approximative du sel de mercure incorporé à l’axonge.

Chlorhydrate de morphine.

1o Pilules. — J’emploie très souvent des pilules ainsi composées  :

1 centig. 
Chlorhydrate de morphine 
qs — 
Sirop simpl 

F. s. a. X. pilules semblables.

Pour l’essai, délayer une pilule dans quelques gouttes d’eau, puis étaler cette eau sur une assiette ordinaire et toucher cette nappe liquide, en un point avec le perchlorure de fer, en un second point avec le crayon de nitrate d’argent, en un troisième point avec l’acide azotique. — Les points touchés deviennent immédiatement, le premier bleu, le second blanc, le troisième rouge.

La partie, touchée par le perchlorure de fer, prend instanément une belle coloration bleue, qui tourne légérèment au vert, s’il y a excès de perchlorure. Ce caractère n’appartient ni à la narcotine, ni à la codéine, ni à la strychnine, ni à la brucine, ni à l’atropine, ni à aucun autre alcaloïde végétal, et peut-être considéré comme absolument spécifique pour la morphine et les sels de morphine.

Le point, où l’on a plongé la pointe du crayon, en l’agitant quelques instants, prend une teinte blanche et trouble par la Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/117 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/118 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/119 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/120 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/121 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/122 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/123 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/124 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/125 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/126 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/127 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/128 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/129 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/130 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/131 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/132 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/133 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/134 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/135 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/136 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/137 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/138 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/139 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/140 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/141 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/142 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/143 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/144 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/145 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/146 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/147 Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1883-1885, Tome 4.djvu/148


  1. Dict. des Falsifications, 6e édit., p. 869.
  2. Dict. des Falsifications, 6e édit., p. 763.
  3. Voir p. 39.
  4. Voir p. 46.
  5. Voir p. 51.
  6. Voir p. 54.