Utilisateur:Zyephyrus/Septembre 2017/Sévigné

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iC 730. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

[A Paris,] jeudi, à dix heures du matin [, 1 4e septembre].

J'Ai vu sur notre carte que la lettre que je vous écrivis hier au soir, à Auxerre, ne partira qu'à midi; ainsi, ma très-chère, j'y joins encore celle-ci : vous en recevrez deux à la fois. Je veux vous parler de ma soirée d'hier.

A neuf heures j'étois dans ma chambre; mes pauvres yeux ni mon esprit ne voulurent pas entendre parler de lire, de sorte que je sentis tout le poids de ki tristesse que me donne notre séparation; et n'étant pas distraite par les objets, il me semble que j'en goûtai bien toute l'amertume. Je me couchai à onze heures, et j'ai été réveillée par une furieuse pluie ; il n'étoit que deux heures; j'&i compris que vous étiez dans votre hôtellerie, et que cette eau, qui est mauvaise pour les chemins depuis Auxerre, étoit bonne pour votre rivière. Ainsi sont mê-

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lées les choses de ce monde. Je pense toujours que vous êtes dans le bateau, et que vous y retournez à trois heures du matin : cela fait horreur. Vous me direz comme vous vous portez de cette sorte de vie, et vos jambes et vos inquiétudes. Votre santé est un point sur lequel je ne puis jamais avoir de repos. Il me semble que tout ce qui est auprès de vous en est occupé, et que vous êtes l'objet des soins de toute votre barque, j'entends de votre cabane, car ce qui me parut de peuple sur le bateau représentoit l'arche. On m'assura que vers Fontainebleau vous n'auriez quasi plus personne. Ce matin l'Epine est entré dans ma chambre ; nous avons fort pleuré ; il est touché comme un honnête homme. N'ayez aucune inquiétude, ni de vos meubles, ni du carrosse de M. de Grignan.

Je ne puis m'occuper qu'à donner des ordres qui ont rapport à vous. Vos dernières gueuses de servantes ont perdu toute votre batterie et votre linge : c'est pitié.

J'embrasse M. de Grignan, et ses aimables filles, et mon cher petit enfant; ne voulez-vous pas bien que j'y mette Montgobert, et tout ce qui vous sert, et tout ce qui vous aime? Mlle de Méri est toujours sans fièvre; je la verrai tantôt. Je crois, ma bonne, que vous me croyez autant à vous que j'y suis.

Lubel1 vous salue très-humblement.

Suscription : A Madame Madame la comtesse de Grignan, à Aux erre.

LETTRE 730 (revue sur l'autographe). — 1. Il y a dans l'autographe Lubel ou Label, mais non Lebel, leçon de l'édition Klostermann, la première où cette lettre ait paru.

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731. - DE MADAME DE SEVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, vendredi au soir, 15e septembre.

JE suis dans une grande tristesse de n'avoir point de vos nouvelles. Je trouve mille choses en mon chemin qui me frappent les yeux et le cœur. Je fus hier chez Mlle de Méri; j'en viens encore : elle est sans fièvre, mais si accablée de ses maux ordinaires et de ses vapeurs, si épuisée et si fâchée de votre départ, qu'elle fait pitié; on n'ose lui parler de rien, tout lui fait mal et la fait suer; elle m'a priée de vous dire son état et sa tristesse. Mon Dieu!

que j'ai d'envie de savoir comment vous vous trouvez de ce bateau ! et toujours ce bateau ; c'est toujours là que je vous vois, et presque point dans l'hôtellerie : je crois qu'après cette allure si lente, vous souhaiterez des cahots, comme vous vouliez du fumier après la fleur d'orange.

Enfin, ma fille, j'attends de vos nouvelles et de celles de toute votre troupe, que j'embrasse du meilleur de mon cœur Il me semble que tous les soins et tous les yeux sont tournés de votre côté : outre que vous êtes la personne qualifiée, vous êtes la personne si délicate, qu'il ne faut être occupé que de vous. J'ai vu la marquise d'Uxelles!, qui vous fera dignement recevoir à Chalon; j'y adresse cette lettre.

Nous revoilà maintenant dans les écritures par-dessus les yeux : je n'ai pas au moins sur mon cœur de n'avoir pas senti le bonheur de vous avoir ; je n'ai pas à regretter un seul moment du temps que j'ai pu être avec vous, pour ne l'avoir pas su ménager. Enfin il est passé, ce

LETTRE 731. — 1. Son fils Nicolas du Blé, marquis d'Uxelles, le futur maréchal, était lieutenant général au bailliage de Chalon et gouverneur des ville et citadelle de Chalon-sur-Saône.

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temps si cher; ma vie passoit trop vite, je ne la sentois pas; je m'en plaignois tous les jours, ils ne duroient qu'un moment. Je dois à votre absence le plaisir de sentir la durée de ma vie et toute sa longueur. Je ne sais point de nouvelles : Quiconque ne voit guère, N'a guère à dire aussi 2.

Le roi d'Angleterre est bien malades; la reine d'Espagne crie et pleure* : c'est l'étoile de ce mois J'aimerois assez à vous entretenir davantage, mais il est tard, et je vous laisse dans votre repos ; je vous souhaite une très-bonne nuit. Est-il possible que j'ignore ce qui est arrivé de cette barque que j'ai vue avec tant de regret s'éloigner

de moi ? Ce n'est pas aussi sans beaucoup de chagrin que je l'ignore. Mais si vous n'avez point écrit, j'ai au moins la consolation de croire que ce n'est pas votre faute, et que j'aurai demain une de vos lettres. Voilà sur quoi tout va rouler, au lieu d'être avec vous tous les jours et tous les soirs.

a. Voyez la fable des deux Pigeons dans la Fontaine, la deuxième du livre IX, et tome V, p. 552, note n.

3. La Gazette (p. 453) dit que le roi d'Angleterre (Charles II) eut vers ce temps-là, à Windsor, quelques accès de fièvre tierce; dans son numéro du 2 3 septembre, elle annonce, en date du i5, c'est-à-dire du jour même où Mme de Sévigné écrivait, qu'il a pris du remède du chevalier Talbot, et qu'il est entièrement guéri.

4. Elle était à la veille de son départ. Le 20 septembre, elle quitta Fontainebleau, où elle se trouvait depuis le 12, et se mit en route pour l'Espagne.

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732. - DE MADAME DE SEVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, lundi 18e septembre.

J'ATTEND OIS avec impatience votre lettre, ma fille, et j'avois besoin d'être instruite de l'état où vous êtes; mais je n'ai jamais pu voir tout ce que vous me dites de vos réflexions et de votre repentir sur mon sujet sans fondre en larmes. Ah ! ma très-chère, que me voulez-vous dire de pénitence et de pardon? Je ne vois plus rien que tout ce que vous avez d'aimable, et mon cœur est fait d'une manière pour vous, qu'encore que je sois sensible jusqu'à l'excès à tout ce qui vient de vous, un mot, une douceur, un retour, une caresse, une tendresse me désarme et me guérit en un moment, comme par une puissance miraculeuse ; et mon cœur t retrouve toute sa tendresse, qui sans se diminuer, change seulement de nom, selon les différents mouvements qu'elle me donne.

Je vous ai dit ceci plusieurs fois, je vous le dis encore, et c'est une vérité; je suis persuadée que vous ne voulez pas en abuser; mais il est certain que vous faites toujours, en quelque façon que ce puisse être, la seule agitation de mon âme : jugez si je suis sensiblement touchée de ce que vous me mandez.

Plût à Dieu, ma fille, que je pusse vous revoir à l'hôtel de Carnavalet, non pas pour huit jours, ni pour y faire pénitence, mais pour vous embrasser, et vous faire voir clairement que je ne puis être heureuse sans vous, et que les chagrins que l'amitié que j'ai pour vous m'a pu don-

LETTRE 732. — 1. La fin de cette phrase, depuis : « et mon coeur, » n'est pas dans l'édition de 1754.

2. Ce dernier membre de phrase manque aussi dans le texte de 1754.

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ner8, me sont plus agréables que toute la fausse paix d'une ennuyeuse absence ! Si votre cœur étoit un peu plus ouvert, vous ne seriez pas si injuste4 : par exemple, n'est-ce pas un assassinat que d'avoir cru qu'on vouloit vous ôter de mon cœur, et sur cela me dire des choses dures? Et le moyen que je pusse deviner la cause de ces chagrins?

Vous dites qu'ils étoient fondés : c'étoit dans votre imagination, ma fille, et sur cela, vous aviez une conduite qui étoit plus capable de faire ce que vous craigniez (si c'étoit une chose faisable) que tous les discours que vous supposiez qu'on me faisoit5 : ils étoient sur un autre ton ; et puisque vous voyiez bien que je vous aimois toujours, pourquoi suiviez-vous votre injuste pensée, et que ne tâchiez-vous plutôt, à tout hasard, de me faire connoitre que vous m'aimiez ? Je perdois beaucoup à me taire ; j'étois digne de louange dans tout ce que je croyois ménager, et je me souviens que deux ou trois fois vous m'avez dit le soir des mots que je n'entendois point du tout alors. Ne retombez donc plus dans de pareilles injustices; parlez, éclaircissez-vous : on ne devine pas; ne faites point comme disoit le maréchal de Gramont, ne laissez point vivre ni rire des gens qui ont la gorge coupée, et qui ne le sentent pas. Il faut parler aux gens Raisonnables : c'est par là qu'on s'entend; et l'on se trouve toujours bien d'avoir de la sincérité : le temps vous persuadera peut-être de cette vérité. Je ne sais comme je, me suis insensiblement engagée dans ce discours j il est peut-être mal à propos6.

3. cr Et que les chagrins qui partent de l'amitié que j'ai pour vous. » (Édition de 1 754.) -

4. Tout ce qui suit manque dans l'édition de 1754, qui reprend seulement à : « parlez, éclaircissez-vous. »

5. Il s'agit sans aucun doute des préventions de Mme de Grignan contre Corbinelli : voyez les lettres des 4 et 20 octobre suivants, et la lettre 713, tome V, p. 518-520.

6. Cette dernière phrase n'est pas dans l'édition de 1754.

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Vous me dépeignez fort bien la vie du bateau : vous avez couché dans votre lit; mais je crains que vous n'ayez pas si bien dormi que ceux qui étoient sur la paille. Je me réjouis avec le petit marquis du sot petit garçon qui étoit auprès de lui; ce méchant exemple lui servira plus que toutes les leçons : on a fort envie, ce me semble, d'être fort contraire à ce qui est si mauvais7.

Je n'ai point de nouvelles de votre frère; que dites-vous de cet oubli? Je ne doute pas qu'il ne brillote fort à nos états 8.

Je fais tous vos adieux9, et j'en avois déjà deviné une partie; je n'ai pas manqué d'écrire à Mme de Vins : j'ai trouvé de la douceur à lui parler de vous; elle m'a écrit dans le même temps sur le même sujet, fort tendrement pour vous, et très-fâchée de ne vous avoir point dit adieu. Je lui ai mandé qu'elle étoit bien heureuse d'avoir épargné cette sorte de douleur; quand nous nous reverrons, nous recommencerons nos plaintes. Je me suis repentie de ne vous avoir pas menée jusqu'à Melun en carrosse : vous auriez épargné la fatigue d'être une nuit sans dormir. Quand je songe que c'est ainsi que vous vous êtes reposée des derniers jours de fatigue que vous avez eus ici, et que vous voilà à Lyon, où il me semble, ma fille, que vous parlez bien haut10 ,

j. c D'être le contraire de ce qui est si mauvais. (Édition de 1754.) 8. La Gazette du 23 septembre annonce que le 15, le duc de Chaulnes, gouverneur de Bretagne, a fait à Vitré l'ouverture des états de la province, et que le lendemain le clergé, la noblesse et les députés des communautés ont accordé tout d'une voix les deux millions deux cent mille livres qu'on leur avait demandés de la part du Roi.

9. Tout cet alinéa manque dans l'impression de 1754.

10. Mme de Rochebonne, belle-sœur de Mme de Grignan, était très-sourde. Mme de Sévigné le dit dans la lettre du 4 octobre 1677, tome V, p. 342. C'est chez les Rochebonne que Mme de Grignan

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et que tout cela vous achemine à la bise de Grignan", et que ce pauvre sang, déjà si subtil, est agité de cette sorte; ma très-chère, il me faut un peu pardonner, si je crains et si je suis troublée pour votre santé. Tâchez d'apaiser et d'adoucir ce sang, qui doit être bien en colère de tout ce tourment. Pour moi, je me porte très-bien; j'aurai soin de mon régime à la fin de cette lune : ayons pitié l'une de l'autre en prenant soin de notre vie.

Je vis hier Mlle de Méri ; je la trouvai assez tranquille.

Il y a toujours un peu de difficulté à l'entretenir; elle se révolte aisément contre les moindres choses, lors même qu'on croit avoir pris les meilleurs tons ; mais enfin elle est mieux; je reviendrai la voir de Livry, où je m'en vais présentement avec le bon abbé et Corbinelli. Je puis 12 vous dire une vérité, ma très-chère : c'est que je ne me suis point assez accoutumée à votre vue, pour vous avoir jamais trouvée ou rencontrée sans une joie et une sensibilité qui me fait plus sentir qu'à une autre l'ennui de notre séparation. Je m'en vais encore vous redemander à Livry, que vous m'avez gâté; je13 ne me reproche aucune grossièreté dans mes sentiments, ma très-chère, et je n'ai que trop senti le bonheur d'être avec vous.

Je vis hier Mme de Lavardin, et M. de la Rochefoucauld ; son petit-fils14 est encore assez mal pour l'in-

descendait à Lyon. Voyez la lettre du 27 septembre suivant. (Note de Fédition de 1818.)

11. Voyez tome V, p. îqq, note 8.

la. « Voici une vérité que je puis vous dire : c'est que je ne me suis pas assez accoutumée à votre vue, et à la joie que j'ai toujours de vous trouver et de vous rencontrer, pour ne pas sentir plus vivement qu'une autre l'ennui de notre séparation. » (Édition de 1754.)

i3. Le reste de la phrase manque dans le texte de 1754.

i4- a Dont le petit-fils, etc. » (Édition de 1754.) — Sur ce petitfils, voyez la lettre du 22 septembre suivant, p. 13 et 14, et la note 10.

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quiéter. M. de Toulongeon16 est mort en Béarn ; le comte de Gramont a sa lieutenance de Roi, à condition de la rendre dans quelque temps au second fils de M. de Feuquièresu pour cent mille francs. La reine d'Espagne crie toujours miséricorde, et se jette aux pieds de tout le monde; je ne sais comme l'orgueil d'Espagne s'accommode de ces désespoirs. Elle arrêta l'autre jour le Roi par delà l'heure de la messe; il lui dit : « Madame, ce seroit une belle chose que la Reine Catholique empêchât le Roi Très-Chrétien d'aller à la messe. » On dit qu'ils seront tous fort aises d'être défaits de cette catholique.

Je" vous conjure de faire mille bonnes amitiés pour moi à la belle Rochebonne.

Adieu, ma très-chère et très-aimable: je vous jure que je ne puis envisager en gros le temps de votre absencei8; vous m'avez bien fait de petites injustices, et vous en ferez toujours quand vous oublierez comme je suis pour vous; mais soyez-en mieux persuadée, et je le serai aussi de la bonté et de la tendresse de votre cœur pour moi.

Mme de la Fayette vous embrasse, et vous prie de conserver la nouvelle amitié que vous lui avez promise.

15. Henri de Gramont, comte de Toulongeon, frère de Philibert, comte de Gramont. (Note de Perrin.) — Le comte de Toulongeon était, comme nous l'avons dit, lieutenant général de la principauté de Béarn, dont le duc de Gramont était gouverneur ainsi que de la Navarre.

16. Voyez la lettre du 2 février 1680.

17. Cette phrase et le commencement de la suivante ne sont pas dans l'édition de 1754, qui reprend à : c je vous jure. »

18. « le temps de votre absence, et que pour adoucir cette pensée, et surtout pour réparer les petites injustices que vous m'avez faites, j'ai besoin que vous vouliez bien ne jamais oublier comme je suis pour vous et en être mieux persuadée à l'avenir ; je le serai aussi, etc. Il (Édition de 1754.)

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733. - DE MADAME DE SÉVTGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Livry, mercredi 206 septembre.

Vous ne trouvez nullement étrange de ne me point voir dans le bateau; vous ne me demandez point à Auxerre, à Chalon, à Lyon, ni même à Grignan. Pour moi, je suis tellement frappée de vous avoir vue ici, qu'il me semble que je dois vous rencontrer à tout moment. Je veux trouver aussi Mlles de Grignan et mon petit marquis : enfin je suis si fâchée de me trouver toute seule, que contre mon ordinaire je souhaite que le temps galope, et pour me rapprocher celui de vous revoir, et pour m'effacer un peu ces impressions trop vives. Est-ce donc cette pensée si continuelle qui vous fait dire qu'il n'y a point d'absence? J'avoue que par ce côté, il n'y en a point; mais comment appelez-vous ce que l'on sent quand la présence est si chère? Il faut, par nécessité, que le contraire soit bien amer.

J'apprends dans ce moment que la Trousse est parti pour Ypres1 ; sa femme n'a jamais voulu lui dire adieu; c'est un état pitoyable que le sien; je la plains, puisque c'est la tendresse qui la fait souffrir : il y a bien de l'apparence que les sujets de sa douleur ne finiront point. La reine d'Espagne devient fontaine2 aujourd'hui; je comprends bien aisément le mal des séparations. Je vous suis pas à pas : vous êtes à Lyon, vous avez vu Guitaut. J'ai une extrême impatience de savoir de vos nouvelles.

Mercredi, à six heures du soir.

Je reçois, ma très-aimable, votre lettre de tous les

LETTRE 733. — 1. Voyez tome V, p. 374, et la note 3.

2. Voyez tome IV, p. 106, note-5.

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jours, et puis enfin d'Auxerre. Cette lettre m'étoit nécessaire. Je vous vois hors de ce bateau, où vous avez été dans un faux repos; car après tout cette allure est incommode. Ne me dites plus que je vous regrette sans sujet : où prenez-vous que je n'en aie pas tous les sujets du monde? Je ne sais pas ce qui vous repasse dans la tête; pour moi, je ne vois que votre amitié, que vos soins, vos bontés, vos caresses; je vous assure que c'est tout cela que j'ai perdu, et que c'est là ce que je regrette, sans que rien au monde puisse m'effacer un tel souvenir, ni me consoler d'une telle perte. Soyez bien persuadée, ma très-chère, que cette amitié que vous appelez votre bien, ne vous peut jamais manquer; plût à Dieu que vous fussiez aussi assurée de conserver toutes les autres choses qui sont à vous ! Je ne vous reparle plus de votre voyage, dont le détail m'est cher; vous êtes à Grignan; il faut parler de la bise : comment vous a-t-elle reçue ? comment vous trouvez-vous ? Je saurai toute la suite de vos pas, et de la visite de Guitaut, et de Chalon, et de Lyon. Hélas! ma chère enfant, je ne songe qu'à vous et à tout ce qui vous touche.

Mon cher Comte, vous aurez bien de l'honneur, si vous conduisez heureusement cette santé si délicate, et je vous en serai plus obligée que de tout ce que vous pourriez faire pour moi. Mesdemoiselles, je pense bien souvent à vous; je vous redemande ici, l'une au jardin, et l'autre à l'escarpolette : rien ne me répond ; vous avez votre part à ma tristesse. Mon cher petit marquis, n'oubliez pas votre bonne maman.

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734. — DE MADAME DE sévigné A MADAME DE GRIGNAN.

A Livry, vendredi 22e septembre.

JE pense toujours à vous, et comme j'ai peu de distraction, je me trouve bien des pensées. Je suis seule ici; Corbinelli est à Paris : mes matinées seront solitaires. Il me semble toujours, ma fille, que je ne saurois continuer de vivre sans vous ; je me trouve si peu avancée dans cette carrière, et* je m'en trouve si mal, que je conclus, nonseulement qu'il n'y a rien tel que le bien présent, mais qu'il est fort dangereux de s'accoutumer à une bonne et uniquement bonne compagnie : la séparation en est étrange; je le sens, ma très-chère, plus que vous n'avez le loisir de le sentir2 ; etje sens déjà avec trop de sensibilité le desir extrême de vous revoir, et la tristesse d'une année d'absence; cette vue en gros ne me paroît pas supportables. Je suis tous les matins dans ce jardin que vous connoissez; je vous cherche partout, et tous les endroits où je vous ai vue me font mal ; vous voyez bien, ma fille, que les moindres choses qui ont rapport4 à vous ont fait impression dans mon pauvre cerveau. Je ne vous entretiendrois pas de ces sortes de foiblesses, dont je suis bien assurée que vous vous moquez, sans que la lettre d'aujourd'hui est un peu sur la pointe des vents, n'ayant

LETTRE 734. — i. « Et c'est pour moi un si grand mal de ne vous avoir plus, que j'en tire cette conséquence, qu'il n'y a rien tel que le bien présent, et qu'il est fort dangereux, etc. » (Édition de 1754.)

2. « de le sentir. Je suis déjà trop vivement touchée du desir.

et de la tristesse, etc. » (Ibidem.)

3. Dans l'édition de 1734 il y a un mot de trop : « ne me paroît pas plus supportable. D Est-ce pas ou plus qu'il faut effacer?

4. c Vous voyez bien que les moindres choses de ce qui a rapport, etc. » (Édition de 1754.)

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point encore reçu de vos nouvelles*. Vous êtes à Lyon aujourd'hui; vous serez à Grignan quand vous recevrez ceci. J'attends le récit de la suite de votre voyage depuis Auxerre. J'y trouve des réveils à minuit, qui me font autant de mal qu'à Mlles de Grignan ; et à quoi étoit bonne cette violence' , puisqu'on ne partoit qu'à trois heures?

c'étoit de quoi dormir la grasse matinée. Je trouve qu'on dort mal par cette voiture; et quoique je fusse prête à vous parler encore de tout cela, je trouve que recevant cette lettre à Grignan, vous ne comprendriez plus ce que je voudrois dire de parler de ce bateau : c'est ce qui fait que je vous parle de moi et de vous, ma chère enfant, dont je vois tous les sentiments pleins d'amitié et de tendresse pour moi 7.

Mlle de Méri me mande qu'elle est toujours comme je l'ai laissée, qu'elle me prie de vous le mander', afin que si sa tête ne lui permettoit pas de vous écrire, vous n'en fussiez point en peine; j'irai descendre chez elle mardi Il

Mme de Coulanges vint hier au soir bien tard avec sa sœur; elle a enfin quitté Paris; les étouffements ne sont point diminués. Elle me dit que M. de la Roche-Guyon10

5. Dans son édition de 1754, Perrin, au lieu des mots : « n'ayant point encore reçu de vos nouvelles, J donne ce qui suit : a Je ne réponds à rien, et je ne sais point de nouvelles. »

6. « Et à quoi bon cette violence. » (Édition de 1754.)

7. « ce que je voudrois vous dire en parlant de ce bateau : c'est pourquoi je passe à d'autres sujets. » (Ibidem.)

8. « De vous le faire savoir. » (Édition de 1734.)

9. Ce membre de phrase n'est pas dans le texte de 1764.

10. François de la Roche-Guyon, qui fut duc de la Rochefoucauld en 1714, né le 17 août 1663, mort le 22 avril 1728. Il fut maréchal de camp, grand maître de la garde-robe du Roi et chevalier de ses ordres. Louis XIV, en 1679, érigea en duché en sa faveur la terre de la Roche-Guyon, qui l'avait déjà été en 1663 pour son bisaïeul maternel Roger du Plessis, duc de Liancourt: voyez la lettre 753. Il épousa le 23 novembre 1679 Madeleine-Charlotte le Tellier, fille du mar-

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étoit très-mal de sa petite vérole. Du Chesne11 a demandé une assemblée de tous les médecins du monde : la fièvre est redoublée, et la petite vérole séchée et devenue verte; cela ne vaut rien, et pourroit bien nous donner un beau sujet de réflexion. Voilà un laquais de Mme de Coulanges qui vient de Paris, et qui m'assure que M. de la RocheGuyon se porte mieux : ma pauvre enfant, je vous en demande pardon12. Mon fils ne me parle que de vous dans ses lettres, et de la part qu'il prend à la douleur que j'ai de vous avoir quittée : il a raison, je ne m'accou-

quis de Louvois, morte le 18 novembre 1735, à l'âge de soixante et onze ans. « Rogue, dit Saint-Simon (tome XI, p. 39 et 40), avare à l'excès, sans esprit que silence, ricanerie, malignité qui lui avoit fait donner le nom de Monseigneur le Diable, force gloire et bassesse tout à la fois, et un long usage du monde en supplément d'esprit, il fit la charge de grand maître de la garde-robe servilement, sans nul agrément, en valet assidu et enragé de l'être. Son nom sonore à trois syllabes, car il prit celui de son père qui, après avoir retenti dans les partis, s'étoit fait craindre dans les cabinets, lui donna un reste de considération qui ne passa guère un certain étage, et qui ne trouva en soi nul appui. Sans table, sans équipage, mais de grands biens, une cour de caillettes de Paris les soirs chez sa femme, avec un souper et des tables de jeu, et grande bassesse avec la robe qui leur fit gagner force procès. » — Voyez encore sur lui la lettre du 8 août i685.

11. Sans doute celui qui est plusieurs fois mentionné par Dangeau, et qui fut médecin des enfants de France en 1693, premier médecin du duc de Bourgogne en 1699, et mourut à quatre-vingt-onze ans en mars 1707. Voyez le Journal de Dangeau, tomes IV, p. 4o3 ; VII, p. 172 ; XI, p. 320.

12. Quand Mme de Grignan apprenoit quelque mauvaise nouvelle, elle s'arrangeoit là-dessus; mais lorsque après cela on venoit lui dire que la nouvelle étoit fausse, ou que la personne qu'on lui avoit dépeinte à l'extrémité, se portoit mieux : « Je n'aime pas, disoit-elle plaisamment, qu'on change mes idées ; et que deviendront mes réflexions passées ? » On sent bien que ce raisonnement n'a rien de sérieux, et que c'étoit un pur badinage entre la mère et la fille.

Voyez la lettre du 26 novembre 1670, tome II, p. 17. (Note de Perrin, 1754.)—Cette fin de phrase n'est pas dans l'édition de 1734.

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tumerai de longtemps à cette séparation, et41 c'est bien moi qui dois dire : Rien ne peut réparer les biens que j'ai perdus 14 !

Vos lettres aimables font toute ma consolation : je les relis souvent, et voici comme je fais. Je ne me souviens plus de tout ce qui m'avoit paru des marquas d'éloignement et d'indifférence; il me semble que cela ne vient point de vous, et je prends toutes vos tendresses, et dites et écrites, pour le véritable fond de votre cœur pour moi. Êtes-vous contente, ma belle? est-ce le moyen de vous aimer? et pouvez-vous douter jamais de mes sentiments, puisque, de bonne foi, j'ai cette conduite?

Votre frère me paroît avoir tout ce qu'il veut, Bon dîner, bon gîte, et le reste15.

Il a été député plusieurs fois de la noblesse vers M. de Cbaulnes : c'est une honnêteté16 qui se fait aux nouveaux venus. Nous espérons une autre année avoir des effets de cette belle amitié de M. et de Mme de Chaulnes. Le Roi nous a remis huit cent mille francs : nous en sommes quittes pour deux millions deux cent mille livres i 7; ce n'est rien du tout. Adieu, ma très-chère et très-belle.

i3. Ce membre de phrase, et le vers qui le suit, ont été retranchés par Perrin dans sa seconde édition (1754).

i4- Vers déjà cité au tome II, p. 354.

15. Allusion à la fable des deux Pigeons, de la Fontaine, livre IX, fable il : Hélas ! dirai-je, il pleut : Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut, Bon soupé, bon gîte et le reste ?

16. a C'est une petite honnêteté qui se fait aux nouveaux venus.

Nous aspirerons une autre année à voir des effets, etc. » (Édition de 1754.)

17. Voyez ci-dessus, p. 7, note 8.

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Si l'extrémité de l'Empereur18 et de don Juan" vous pouvoit satisfaire, on assure qu'ils n'en reviendront pas.

Une reine qui porteroitune tête en Espagne, trouveroit une belle conjoncture pour se faire valoir20 On dit qu'elle pleura excessivement en disant adieu au Roi, et que sur le mot d'un adieu pour jamais, ils retournèrent deux ou trois fois aux embrassades et au redoublement des sanglots : c'est une horrible chose que les séparations.

735. - DE MADAME DE SE VIGNE AU COMTE ET A LA COMTESSE DE GUITAUT.

A Livry, 26e septembre. MADAME de Grignan se porte à merveilles : voilà un très-beau commencement de lettre, avec tous les détails de votre entrevue, contés d'une manière qui me plait fort; car j'aime premièrement votre style, et puis j'aime les

18. Léopold-Ignace (Léopold Jar), empereur, ne mourut que le 5 mai 1705. (Note de Perrin.) — Nous lisons dans la Gazette (p. 487) que la peste était alors à Vienne ; mais il n'est pas question, dans les numéros de septembre ni d'octobre, d'une maladie de l'empereur Léopold. Il s'était rendu à Prague, et l'on écrit de Vienne, le 23 septembre (le lendemain de la date de notre lettre), qu'il doit aller à Egra, pour y faire la revue générale de ses troupes.

19. Don Juan d'Autriche, fils naturel de Philippe IV, roi d'Espagne (et d'une comédienne nommée Marie Calderona), mourut le 17 septembre 1679. (Note de Perrin.) — La Gazette, dans son numéro du 3o septembre, rapporte qu'à la date du 7 ce prince se trouva si mal que les médecins lui conseillèrent de se préparer à la mort, et que le lendemain il reçut le viatique et fit son testament. Don Juan d'Autriche était né en 1629. Il avait été reconnu fils du Roi en 1642, et son frère, le roi Charles II, l'avait fait son premier ministre en 1677.

20. Cette phrase ne se trouve pas dans l'édition de 1734, qui commence ainsi la suivante : « On dit que la reine d'Espagne, etc. »

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détails de ce qui touche les gens que j'aime. Je suis donc bien contente jusque-là ; mais cette colique, mon pauvre Monsieur, me donne bien de l'inquiétude : cela vient d'une âcreté de sang qui cause tous ses maux; et quand je pense combien elle se soucie peu de l'apaiser, de le rafraîchir, et qu'elle va trouver l'air de Grignan, je vous assure qu'il s'en faut bien que je sois en repos. Vous me remettez un peu par le compliment du père du précepteur, qui fut reçu dans une position si convenable à sa vocation1. N'admirez-vous point son opiniâtreté à ne vouloir pas se servir de votre litière ? Quelle raison pouvoit-elle avoir ? Avoit-elle peur de ne pas sentir tous les cruels cahots de cette route ? Puisqu'elle a tant de soin du petit minet, que ne le mettoit-elle auprès d'elle?

Quelle façon, quelle fantaisie musquée ! Tout ce que je dis est inutile, mais je ne puis m'empêcher d'être en colère. Dites le vrai, mon cher Monsieur : vous l'avez trouvée bien changée ; sa délicatesse me fait trembler.

, Je suis toujours persuadée que si elle vouloit avoir de l'application à sa santé, elle rafraîchiroit ce sang et ce poumon qui fait toutes nos frayeurs. Vous me demandez ce que je fais : hélas ! je suis courue dans cette forêt cacher mon ennui. Vous devriez bien m'y venir voir; nous causerions ensemble deux ou trois jours, et puis vous remonteriez sur l'hippogriffe (car je suppose que vous auriez pris cette voiture plutôt que la litière), et vous retourneriez aux sermons du P. Honoré2. Ma fille

LETTRE 735 (revue sur l'autographe). — 1. Dans l'original on lirait plutôt vacation que vocation.

2. Ce père prêchait alors à Semur, où le comte et la comtesse de Guitaut avaient été passer plusieurs jours pour l'entendre : voyez une note de Bussy, qui se trouva aux mêmes sermons (tome IV, p. 456 de sa Correspondance) ; voici le portrait que Bussy fait de lui dans une autre note (p. 449) : « J'allai à Semur (le 10 septembre 1679) entendre le P. Honoré, de Cannes, dont je fus fort satis-

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m'écrit de Chagny 3, et m'en parle, en passant légèrement sur cette colique, et me parlant presque autant de vous que vous me parlez d'elle. Elle fait mention de Mme de Leuville" de M. de Senetz6, et s'arrête fort sur l'endroit du cuisinier, qu'elle ne peut digérer : il faut songer à la consoler sur ce point.

Que faites-vous cet hiver ? Serez-vous encore dans votre château ? On dit que vous êtes grosse, Madame : quand on accouche aux îles, on accouche bien à Epoisse. J'aime toujours à savoir les desseins de ceux que j'aime. Les miens sont de garder le bon abbé au coin de son feu tout l'hiver. Vous avez su comme il s'est tiré de la fièvre; il a présentement un gros rhume qui m'inquiète.

Adieu, Monsieur : je vous remercie de votre grande lettre ; elle marque l'amitié que vous avez , et pour celle de qui vous parlez, et pour celle à qui vous parlez.

Ecrivez-moi quand vous aurez vu M. de Caumartin*.

Ne parlâtes-vous de rien avec ma fille7 ?

fait. Il n'avoit nul ordre dans ce qu'il disoit, mais il prêchoit avec un grand zèle, et il pcrsuadoit parce qu'on ne pouvoit douter qu'il ne fût persuadé. Il avoit le visage mortifié, et il pleuroit presque toujours à la fin de ses sermons. Il redisoit plusieurs fois un même mot, et il disoit qu'il le faisoit exprès pour mieux imprimer les choses dans l'esprit de ses auditeurs. Enfin le fruit qu'il faisoit dans ses missions montroit bien qu'il étoit un grand maître en l'art de toucher les cœurs. Je l'entendis trois fois en deux jours que je fus à Semur. »

3. Chagny, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Chalon (Saône-et-Loire), à quatre lieues de Chalon.

4. Voyez tome II, p. 416, note 8, et tome III, p. 288, note 4.

5. Ce nom a été raturé et est à peu près illisible dans l'autographe. Senetz est une des formes auxquelles les traits de l'écriture paraissent le mieux se prêter. Dans la première impression, on a donné Seucès.

6. Beau-frère de Mme de Guitaut. Voyez tome I, p. 520, note 4.

7. Cette phrase, ainsi que la précédente, est écrite à la marge ; la suivante, sur le verso qui porte l'adresse.

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Le bon abbé vous fait mille et mille compliments tout pleins d'amitié.

Suscription : A Monsieur Monsieur le comte de Guitault, chevalier des ordres du Roi, à Semur. A gauche de l'adresse, au coin supérieur, on lit : Semur en Auxois8.

736. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, mercredi 27e septembre.

JE suis venue ici un jour ou deux, avec le bon abbé, pour mille petites affaires. Ah, mon Dieu! ma très-aimable, quel souvenir que le jour de votre départ! J'en solennise souvent la mémoire; je ne puis encore du tout en soutenir la pensée1 ; on dit qu'il faut la chasser, elle revient toujours. Il y a justement aujourd'hui quinze jours, ma chère enfant, que je vous voyois et vous embrassois encore : il me semble que je ne pourrai jamais avoir le courage de passer un mois, et deux mois, et trois mois. Ah! ma fille, c'est une éternité 2 ! J'ai des bouffées et des heures de tendresse que je ne puis soutenir. Quelle

8. L'autographe a un cachet de cire rouge parfaitement conservé.

LETTRE 736 (revue en partie sur une ancienne copie). — 1. « Ah!

ma fille, quel souvenir que celui du jour de votre départ! je n'en puis encore soutenir la pensée. » (Édition de 1754.)

2. « Il y a justement aujourd'hui quinze jours que je vous voyois et vousembrassois encore; et comment pourrai-je avoir le couiage de passer un mois, et deux mois, et trois mois, sans ma chère enfant ?

Cela me paroît une éternité. » (Ibidem.) Tout ce qui suit jusqu'au bout de l'alinéa manque dans le texte de 1754, sauf la fin de la dernière phrase, qui est ainsi : Î Mais parlons des fatigues infinies de votre voyage. »

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possession vous avez prise de mon cœur, et quelle trace vous avez faite dans ma tête ! Vous avez raison d'en être bien persuadée ; vous ne sauriez aller trop loin; ne craignez point de passer le but; allez, allez, portez vos idées où vous voudrez, elles n'iront pas au delà ; et pour vous, ma fille, ah ! ne croyez point que j'aie pour remède à ma tendresse la pensée de n'être pas aimée de vous : non, non, je crois que vous m'aimez, je m'abandonne sur ce pied-là, et j'y compte sûrement. Vous me dites que votre cœur est comme je le puis souhaiter, et comme je ne le crois pas : défaites-vous de cette pensée; il est comme je le souhaite, et comme je le crois.

Voilà qui est dit, je n'en parlerai plus; je vous conjure de vous en tenir là, et de croire vous-même qu'un mot, un seul mot sera toujours capable de me remettre cette vérité devant les yeux, qui est toujours dans le fond de mon cœur, et que vous y trouverez quand vous voudrez m'ôter les illusions et les fantômes qui ne font que passer; mais je vous l'ai dit une fois, ma fille, ils me font peur et me font transir, tout fantômes qu'ils sont : ôtez-les-moi donc, il vous est aisé ; et vous y trouverez toujours, je dis toujours, le même cœur persuadé du vôtre, ce cœur qui vous aime uniquement, et que vous appelez votre bien avec justice, puisqu'il ne peut vous manquer. Finissons ce chapitre, qui ne finiroit pas naturellement, la source étant inépuisable, et parlons, ma chère enfant, de toutes les fatigues infinies de votre voyage.

Pourquoi prendre' la route de Bourgogne, puisqu'elle est si cruelle? C'est la diligence, je comprends bien cela.

Enfin, vous voilà arrivée à Grignan. J'ai reçu toutes vos lettres aimables de Chagny, de Chalon, du bateau, de

3. « Pourquoi prend-on. » (Édition de 1754.)

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Lyon; j'ai tout reçu à la fois. Je comptois fort juste; je vous vis arriver vendredi à Lyon; je n'avois pas vu M. de Gordes4, ni la friponnerie de vous attacher à un grand bateau pour vous faire aller doucement, et épargner des chevaux; mais j'avois vu tous les compliments de , Chalon; j'avois vu le beau temps qui vous a accompagnée jusque-là, le soleil et la lune faisant leur devoir à l'envi; j'avois vu votre chambre chez Mme de Rochebonne, mais je ne savois pas qu'elle eût une si belle vue. Je ne sais pas bien si5 vous êtes partis le dimanche ou le lundi ; mais je sais que très-assurément vous étiez hier au soir à Grignan, car je compte sur l'honnêteté du Rhône. Vous voilà donc, ma chère enfant, dans votre château : comment6 vous y portez-vous? Le temps est un peu changé ici depuis quatre jours; la bise vous a-t-elle reçue? vous reposez-vous ? Il faut un peu rapaiser votre sang, qui a été terriblement ému pendant le voyage, et c'est pour cela que le repos vous est absolument nécessaire7. Pour moi, je ne veux qu'une feuille de votre écriture, aimant mieux prendre sur moi-même, car je préfère votre santé à toutes choses, à ma propre satisfaction, qui ne peut être solide que quand vous vous porterez bien. Je suis très-fort en peine de la santé de Montgobert : l'air de

4. Voyez tome II, p. 5og, note 6. — Ce qui suit, jusqu'à : « épargner des chevaux, m ne se lit pas dans le texte de 1754.

5. « Si c'est le dimanche ou le lundi que vous êtes partis de Lyon ; mais je suis sûre que vous étiez hier au soir mardi à Grignan, etc. »

(Édition de 1754.)

6. a Comment vous y portez-vous? La bise vous a-t-elle reçue P Il faut, etc. » (Ibidem.)

7. Ce dernier membre de phrase et les mots pour moi, qui le suivent, ne se trouvent pas dans le texte de 1734, non plus que : <1 aimant mieux prendre sur moi-même. » L'édition de 1754 donne : c aimant mieux prendre sur moi-même que de mettre en péril votre santé. Je suis en peine de celle de Montgobert, etc. a

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Grignan ne lui est pas bon, et je la trouve très-estimable de s'oublier elle-même pour vous suivre. Yous8 en pouvez dire autant pour M. de Grignan, car assurément, dans ce dernier voyage, vous n'avez considéré uniquement que sa propre satisfaction, qu'il a même cachée longtemps sous ses manières polies : vous l'avez approfondie, vous l'avez observée et démêlée ; et dès que vous l'avez aperçue un peu plus d'un côté que de l'autre, vous lui avez sacrifié9 votre santé, votre repos, votre vie, la tendresse et le repos iO de votre mère, et enfin, vous avez parfaitement accompli le précepte de l'Evangile qui veut que l'on quitte tout pour son mari 11. Il le mérite bien"; mais il faut aussi que cela l'engage encore davantage à prendre soin de votre santé, que vous exposez si librement et si courageusement pour lui plaire. Pour moi, c'est mon unique pensée ", quoique très-inutilement, à mon grand regret.

Je recois des lettres de votre frère, qui ne me parlent que de son pigeon14. Le titre de nouveau venu dans la province le rend fort considérable, et le met dans toutes les affaires. M. de Coulanges a eu une grosse fièvre,

8. « N'en peut-on pas dire autant de vous à l'égard de M. de Grignan ? Vous n'avez considéré dans ce dernier voyage que sa propre satisfaction, etc. » (Édition de 1754.)

g. a Vous y avez sacrifié. » (Ibidem.)

io. et La tranquillité. » (Ibidem.) -- 1 -1 "1. 1 .- 1

II. V oyez Y Evangile de saint lYlatlhIeu, cnapitre xix, verseï a, et celui de saint Marc, chapitre x verset 7. Dans ces deux évangiles, aussi bien que dans la Genèse (chapitre u, verset 24),c'est proprement de l'homme qu'il est dit qu'il quittera son père et sa mère, pour s'attacher à son épouse.

12. Dans l'édition de 1754 : « Le vôtre le mente bien; » et deux lignes plus bas : « d'une santé. »

i3. « J'en fais mon unique pensée. » (Edition de 1754.)

14. Mme de Grignan, toujours par allusion a la table des deux Pigeons.

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comme il a accoutumé en automne 16 ; il en est comme guéri. Sa femme et la Bagnols sont à Livry; je leur ai fait un vilain tour, je les quittai lundi ; j'y retourne demain matin, et elles s'en vont à Charenton, parce que M. de Bagnols ayant affaire à Paris, il est plus à portée d'y aller que de Livry. Ainsi, ma chère enfant, me voilà toute seule avec votre cher souvenir; c'est assez, c'est une fidèle compagnie qui ne m'abandonne jamais, et que je préfère à toutes les autres. Il y fait très-parfaitement beau, et vous croyez bien qu'il n'y a point d'endroit où je ne me souvienne de ma fille, et qui ne soit marqué tendrement dans mon imagination, car je n'y vois plus rien que sur ce ton.

Je vis hier Mme de Lavardin et Mime de la Fayette" : je n'y appris rien de nouveau; elles vous font l'une et l'autre mille amitiés. Mme d'Osnabruck17 est venue voir

15. Ce membre de phrase ne se lit pas dans le texte de 1754, non plus que la phrase qui termine cet alinéa.

16. « Chez Mme de la Fayette. » (Edition de 1754.)

17. Ernest-Auguste, évêque d'Osnabruck (en 1692 électeur de Hanovre, voyez tome IV, p. 61, note 6), avait épousé le 17 octobre i658 Sophie, princesse palatine, fille de Frédéric V, roi de Bohême, et d'Élisabeth d'Angleterre, sœur du père de Madame et du mari d'Anne de Gonzague (voyez tome II, p. 393, notes 3 et 4). On conserve à Hanovre un grand nombre de lettres qui lui ont été adressées par Madame, et qui pour la plupart sont inédites; M. Ranke a publié de cette correspondance environ deux cents lettres ou fragments de lettres, des années 1672 à 1714, au tome V de son Histoire de France particulièrement au seizième, et au dix-septième siècle. L'électrice Sophie mourut le 8 juin 1714, à l'âge de quatre-vingt-quatre ans, laissant, entre autres enfants, Georges-Louis, qui fut roi d'Angleterre. — La Gazette nous apprend (p. 42o) que Mme d'Osnabruck était arrivée le 22 août à Maubuisson, chez la princesse Louise sa sœur, abbesse de Maubuisson; que Monsieur et Madame étaient allés la voir le même jour, et que Madame était demeurée deux jours avec elle. Un mois après, comme le rapporte le même journal (p. 484), Madame retourna de Fontainebleau à Maubuisson, d'où elle revint le 28 sep-

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Madame, qui l'a reçue avec une extrême amitié : elle est sa tante, elle a été élevée avec elle. La reine d'Espagne va toujours criant et pleurant Le peuple disoit, en la voyant dans la rue Saint-Honoré : « Ah ! Monsieur est trop bon, il ne la laissera point aller, elle est trop affligée. » Le Roi lui dit devant Madame la Grande-Duchesse19 : « Madame, je souhaite de vous dire adieu pour jamais; ce seroit le plus grand malheur qui vous pût arriver que de revoir la France. » Mme la duchesse de Rohan 20 est accouchée d'un garçon ; voilà un troisième duc dans la maison de

tembre, c'est-à-dire le lendemain du jour où Mme de Sévigné écrivait cette lettre. Le 3i août, Mme d'Osnabruck avait assisté, à Fontainebleau, au mariage de la reine d'Espagne (Gazette, p. 440).

18. Le 27 septembre (date de notre lettre), la reine d'Espagne, qui, comme nous l'avons dit, était partie le 20 de Fontainebleau pour aller dans son royaume, prenait congé, à Amboise , du duc d'Orléans son père, qui l'avait accompagnée jusqu'à cette ville (voyez la Gazette du 3o septembre). Dans les premiers jours du mois le peuple de la capitale avait eu de fréquentes occasions de voir la jeune reine, qui était venue passer plusieurs jours à Paris, et pendant ce séjour avait donné de nombreuses audiences et visité beaucoup d'églises et de couvents (voyez la Gazette du 9 septembre).

19. La grande-duchesse de Toscane avait quitté son mari pour revenir en France. Voyez tome III, p. 481, note 5.

20. La fille de Vardes, dont Corbinelli avait négocié le mariage.

Elle était accouchée le 26 septembre de Louis-Bretagne de Rohan Chabot, prince de Léon , qui épousa en 1708 Françoise de Roquelaure, et mourut le 10 août 1738. Saint-Simon (tome VI, p. 152) nous a laissé de lui le portrait suivant : « Le prince de Léon étoit un grand garçon élancé, laid et vilain au possible, qui avoit fait une campagne en paresseux, et qui, sous prétexte de santé, avoit quitté le service pour n'en pas faire davantage. On ne pouvoit d'ailleurs avoir plus d'esprit, de tournant, d'intrigue, ni plus l'air et le langage du grand monde, où d'abord il étoit entré à souhait. Gros joueur, grand dépensier pour tous ses goûts, d'ailleurs avare ; et tout aimable qu'il étoit, et avec un don particulier de persuasion, d'intrigues, de souterrains et de ressources de toute espèce, plein d'humeur, de caprices et de fantaisies, opiniâtre comme son père, et ne comptant en effet que soi dans le monde. D

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Chabot21, où Corbinelli n'a pas nui 22. On dit que le maréchal d'Humières reviendra bientôt" ; cette guerre est entièrement finie. Le chevalier revient, je crois, avec lui.

Adieu, ma très-chère enfant : vous savez bien que je suis toute à vous; n'en doutez jamais.

737. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN,

A Livry, vendredi matin 29e septembre.

Au sortir4 de chez Mlle de Méri, mercredi au soir, d'où je vous écrivis, ma fille, en qualité de son secrétaire, j'allai souper chez la marquise d'Uxelles; je lui fis tous vos compliments : on ne peut jamais avoir plus d'estime et d'inclination 2 pour personne qu'elle en a pour vous.

Elle étoit venue l'après-dînée chez moi avec Mmes de Lavardin, Mouci3 et Belin, et tout cela m'avoit chargée

21. Son grand-père était le premier des Chabot qui avait porté le titre de duc de Rohan.

22. Ce dernier membre de phrase ne se lit que dans notre manuscrit, et la phrase qui termine la lettre n'est que dans le texte de 1734.

23. On lit dans la Gazette, du 2 3 septembre, un article daté du camp de Hombourg , le 17 du même mois, où il est dit que le maréchal d'Humières est arrivé devant cette ville le 14, et que le gouverneur, sommé par lui, vient de lui rendre la place. Peu de temps après, il prit de même possession du château de Bitsch.

LETTRE 737. — 1. Dans le texte de 1754, cette lettre ne commence qu'à la troisième ligne : « J'allai souper, mercredi au soir, chez la marquise, etc. d

2. « Ni plus d'inclination. » (Édition de 1754.)

3. Marie, fille d'Achille de Harlay et de Jeanne-Marie deBellièvre, mariée le 17 février 1663 à François le Bouteiller de Senlis, marquis de Mouci, maréchal des camps et armées du Roi, tué en Flandre.

Elle mourut le 29 août 1709, sans enfants. Elle était sœur du pro-

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de mille et mille compliments pour vous. Hier matin, qui étoit jeudi, nous revînmes ici, le bon abbé et moi.

Corbinelli est occupé de ses affaires, de sorte que je puis me vanter d'être seule : car les Coulanges et Bagnols partoient pour Charenton, et je ne les vis qu'un moment. Je m'en vais donc être avec moi et avec votre cher et douloureux souvenir : je m'en vais voir comment je m'accommoderai de cette compagnie. M. Pascal dit que tous les maux viennent de ne savoir pas garder sa chambre4. J'espère garder si bien ce jardin et cette forêt, qu'il ne m'arrivera aucun accident. Le temps est pourtant entièrement détraqué depuis six jours; mais il y a de belles heures. Je fus hier très-longtemps dans le jardin, à vous chercher partout et à penser à vous avec une tendresse qui ne se peut connoître que quand on l'a sentie5. Je relus toutes vos lettres; j'admirai vos soins et votre amitié,

cureur général, depuis premier président, a C'étoit, dit Saint-Simon (tome V, p. 385), une dévote de profession, dont le guindé, l'affecté, le ton et les manières étoient fort semblables à celles de son frère. ï

Voyez encore au tome VII des Mémoires, p. 408 et 409. — Antoinette de Faudoas Averton , veuve et cousine germaine d'Emmanuel-René Faudoas Averton, comte de Belin, mort au siège de Douai en 1667, neveu du premier mari de Mme d'Albon.

4. Voici la pensée de Pascal, telle que Mme de Sévigné avait pu la lire à l'article XXVI, p. 2o3 de l'édition de Port-Royal (1670) : «. Quand je me suis mis à considérer les diverses agitations des hommes, les périls et les peines où ils s'exposent, à la cour, à la guerre, dans la poursuite de leurs prétentions ambitieuses, d'où naissent tant de querelles, de passions et d'entreprises périlleuses et funestes, j'ai souvent dit que tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas se tenir en repos dans une chambre, a Dans le manuscrit autographe de Pascal, le texte est un peu différent; on y lit ainsi la partie que cite Mme de Sévigné : « J'ri dit souvent que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. b Voyez l'édition de M. Havet, p. 51.

5. Toute la suite de l'alinéa, à partir de ces mots, manque dans l'édition de 1754.

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dont je suis persuadée autant que vous voulez que je le

sois. Vous me dites que votre cœur est comme je le souhaite, et comme je ne le crois point; je vous ai déjà répondu', ma très-chère, qu'il est comme je le souhaite et comme je le crois : c'est une vérité, et je vous aime , sur ce pied-là ; jugez de l'effet que cette persuasion doit faire avec l'inclination naturelle que j'ai pour vous.

L'Anglois7 est venu voir le bon abbé sur ce rhume qui nous fait peur8 ; il a mis dans son vin et son quinquina une certaine sorte de chose douce9 qui est si admirable, que le bon abbé sent son rhume tout cuit, et nous ne craignons plus rien. C'est ce qu'il donna à Hautcfeuille iD , qui le guérit en un moment de la fluxion sur la poitrine

6. Voyez la lettre précédente, p. 20.

7. Le chevalier Talbot.

8. « Qui nous faisoit peur. » (Édition de 1754.)

9. Il Une certaine chose douce. » (Ibidem.) — Emmanuel de Coulanges a célébrée cette guérison du bon abbé par un couplet où il parle : De la liqueur charmante Qu'un médecin anglois répand sur son cerveau.

Voyez le Recueil de chansons choisies, 1698, tome 1, p. 282.

10. Sans doute Germain Texier, comte d'Hautefeuille, baron de Malicorne, etc., gentilhomme ordinaire du Roi et conseiller d'État d'épée, frère aîné du commandeur d'Hautefeuille (qui fut ambassadeur de Malte) et de l'abbé d'Hautefeuille dont parle Bussy dans la lettre du 27 novembre 1678. Il avait épousé, le 26 avril 1665, Catherine-Marguerite de Courtarvel, fille du premier lit de Jacques, seigneur de Saint-Remy, premier maître d'hôtel de la duchesse douairière d'Orléans (voyez les Mémoires de Mademoiselle, tome III, p. 579 et 58o).

Il mourut en 1694. Dangeau (tome V, p. 58) dit que sa femme, Mlle de Saint-Remy, était sœur de père de la duchesse de la Vallière, ce qui ne s'explique pas trop ; mais nous trouvons dans l'article de la Chénaye des Bois que le père de sa femme s'était remarié à la veuve d'un chevalier de la Vallière, et dans la lettre du 29 décembre suivant, Mme de Sévigné parle d'une Mme de Saint-Remy, évidemment parente de Mme de la Vallière.

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dont il mouroit, et de la fièvre continue. Le chevalier Tabord est allé en Espagne, Schemit est demeuré11 En vérité, ce remède est miraculeux.

J ai12 bien envie de savoir comme se porte la pauvre Montgobert, le Maire, et M. de Grignan, que je ne daigne mettre au nombre des malades, puisqu'il joue à l'hombre; je souhaite bien sa santé pour l'amour de lui, mais aussi pour l'amour de vous, car quoique vous me priiez de n'être point en peine de votre peine, je vous le refuse, ma très-belle, persuadée que sa maladie vous feroit plus de mal qu'à lui. Il faut que tant de choses aillent bien pour que vous soyez en repos, qu'il n'est quasi pas possible de vous y voir. J'aimerois bien à savoir l'état où vous êtes au vrai, et combien la fatigue du voyage, les nuits sans dormir, et les agitations du carrosse ont pris sur votre pauvre personne, qui étoit déjà si abattue. Ne croyez pas qu'il soit naturel d'être sans inquiétude; mettez-vous à ma place, et sans vous fâcher, ni dire toujours que vous vous portez parfaitement bien, jugez raisonnablement de la juste crainte que je dois avoir pour vous. Eh, mon Dieu! quand je songe comme vous êtes pour moi, je me trouve inhumaine et grossière pour vous. Si j'étois aussi délicate que vous, je le dis à ma confusion, hélas ! ma belle, je ne vivrois pas; et pourquoi ai-je donc tant de courage et tant d'espérance?

II. Cette phrase n'est que dans le texte de 1734* Talbot, dont le vrai nom était, selon les uns Talbor, selon d'autres Tabor, ou, comme l'écrit Mme de Sévigné, Tabord (voyez tome V, p. 559, note 1), était parti pour l'Espagne en qualité de premier médecin de la jeune reine. Nous lisons dans la Gazette du 7 octobre que celle-ci ayant appris à Poitiers que le comte de Montaigu, lieutenant gérerai de Guienne, était malade à Bordeaux, lui avait envoyé en poste le chevalier Talbot, son premier médecin. Schemit (ou plutôt Schmit?) doit être un autre docteur, employant le remède anglaÚ.

12. Cet alinéa manque tout entier dans l'édition de 1754.

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Est-ce que je vous aime moins que vous ne m'aimez? Il semble que vous m'étourdissiez par vos discours, et cependant je ne les crois point sur votre santé ; en vérité, je me perds dans ce faux repos; et quand j'y pense bien, je trouve que j'ai tant de raison d'être en peine, que je ne sais pourquoi j'ai eu la complaisance d'être persuadée de tout ce que vous m'avez dit ; mais vous-même, ne voulez-vous point avoir quelque soin de vous rafraîchir, de vous reposer, de faire écrire pour vous? Gardez-vous bien, ma fille, de répondre à toutes mes lettres : bon Dieu! je ne le prétends pas; je cause avec vous sans fin et sans mesure; il ne faut point de réponse à tout ceci : je n'écris qu'à vous, je fais ma seule consolation de vous entretenir; ne soyez pas si simple que d'y répondre, je ne vous écrirois plus que des billets; le soin que j'ai de votre santé, et la persuasion du mal que vous feroit d'écrire de grandes lettres, me fait entièrement renoncer au plaisir de les lire; ce me seroit une douleur de penser à ce qu'elles vous auroient coûté.

J'ai prié Mme de Lavardin de faire vos excuses et dire vos raisons" à Mme Colbert quand elle la verra. J'irai voir Mmes de Vence et de Tourette, dès que je serai à Paris , et en attendant je leur ferai faire des compliments. Le petit Coulanges a été assez malade à nos états ; il est si charmé des soins qu'on a de lui, et des députés qu'on lui envoie pour savoir de ses nouvelles, que sa fièvre n'a osé continuer; il est si pénétré de tout cela, que c'est une pi Mon fils brillote à merveilles; il

i3. CI Et de dire vos raisons. » [ÉdXtionde 1754.) — A la ligne suivante, les mots a dès que je serai à Paris » manquent dans cette édition.

14. c Il est charmé des soins qu'on a de lui et des députés qu'on lui envoie pour savoir de ses nouvelles : sa fièvre n'a point eu de suite. Mon fils, etc. » (Édition de 1754.) — C'est sans doute aux états de Vitré de 1679 que s'adressent les adieux en huit couplets qui sont

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est député de certaines petites commissions qu'on donne pour faire honneur aux nouveaux venus; nous aspirerons quelque jour à quelque chose de plus 15. J'ai prié la Marbeufu de le marier là ; il ne se verra jamais d'un si beau point de vue que cette année". Il a été dix ans à la cour et à la guerre ; il a de la réputation ; la première année de paix, il la donne à sa patrie : si on ne le prend cette année18, on ne le prendra jamais. Ce pays-ci n'est pas bon pour l'établir; il faut rendre à César ce qui appartient à César; je l'ai un peu dérangé, mais il ne doit pas y avoir regret ; cette éducation vaut mieux que celle de Laridon négligé19 : il est toujours aisé de retourner chez soi, et il ne l'est pas d'être courtisan et honnête homme quand on veut. Mon fils me parle toujours de son pigeon avec beaucoup de tendresse à sa mode et d'inquiétude pour sa santé. Ils avoient été" se promener

contenus au tome I, p. i3o, du Recueil des chansons de Coulanges cité plus haut, note 9; et c'est à la maladie dont parle ici Mme de Sévigné que doivent se rapporter les trois couplets du même recueil (tome I, p. 200) intitulés : A Mme la duchesse de Chaulncs sur la visite de Mlle Descartes pendant ma maladie à Vitré. Voyez plus loin, p. 60, notes 20 et 22.

15. Ce membre de phrase n'est que dans le texte de 1734.

16. Voyez tome IV, p. 197, note 5.

r 7. « J'ai prié Mme de Marbeuf de le marier en Bretagne; il ne sera jamais dans un point de vue si favorable que cette année. » (Édition de 1754.)

18. cr Si on ne le prend dans cette circonstance. D (Ibidem.) ---

19. Allusion à la fable de t'Éducation, dans la Fontaine, livre VIII, fable XXIV :

Laridon et César, frères dont l'origine Venoit de chiens fameux, beaux, bien faits et hardis, A deux maîtres divers échus au temps jadis, Hantoient. l'un les forêts, et l'autre la cuisine.

Laridon négligé, etc.

2U. s Il avoit été avec Coulanges se promener. tout ce que

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aux Rochers, dont ils admiroient la beauté : tout ce que vous ne connoissez pas est plus beau que ce que vous connoissez.

Adieu, ma très-chère : je m'oublie; encore faut-il donner des bornes à cette lettre, ou bien se résoudre à la faire relier : en vérité, c'est une douceur que d'écrire, mais on n'a ce sentiment que pour une personne au monde; car après tout, c'est une fatigue, et encore faut-il avoir une poitrine comme je l'ai. Je m'en vais faire partir mon laquais : les jours sont bien changés depuis que vous étiez ici; et même depuis que j'ai commencé cette lettre, nous sommes parvenus à quatre heures du soir.

Vous me demandez ce que je fais 21 : je lis mes anciens livres; je ne sais rien de nouveau qui me tente; un peu du Tasse , un peu des Essais de morale; je travaille à finir cette chaise qui est commencée en l'année 167422; je me promènerai quand il ne pleuvra plus; je pense continuellement et habituellement à vous; je vous regrette, sans avoir à me reprocher de n'avoir pas goûté tous les moments que j'ai été avec vous ; je vous écris, je relis vos lettres, j'espère de vous revoir24, je fais des plans pour y parvenir; je suis occupée ou amusée de tout ce qui a rapport à vous de cent lieues loin ; je retourne sur le passé; je regrette les antipathies et les morts; je tremble pour votre santé; la bise me fait une oppression par la crainte qu'elle me donne;

vous n'en connoissez pas est plus beau que ce que vous en connoissez. a (Edition de 1754.)

21. L'alinéa précédent n'est pas dans l'édition de 1754, où celui-ci commence ainsi : c Adieu, ma très-chère : vous me demander ce que je fais, etc. »

aa. Ce membre de phrase n'est que dans l'édition de 1734.

a3. « Que j'ai passés avec vous. » (Édition de 1754.) -- - -

24. CI J'espère vous revoir. » (Ibidem.)

1679

enfin, ma chère enfant, trouvez-vous que je n'aie rien à faire26 ?

738. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Livry, mercredi 4e octobre.

LE plaisant repos que vous avez eu à Lyon ! je l'ai prévu, ma fille, et j'ai bien compris l'accablement où vous seriez. Mon Dieu, que tout ce qui vous fatigue me fait de mal! Vous aviez des visites qui ressembloient à celles de Paris. Je vous plains bien d'avoir été obligée de laisser la pauvre Montgobert malade. Vous aviez un temps épouvantable, quand vous vous êtes embarquée : ce Rhône aura-t-il bien voulu de vous? Quel mal vous aura fait cette tempête ! et puis la bise peut-être en arrivant à Grignan. Ma fille, on n'a jamais tout craint, quand on aime comme je fais1. J'attends toujours de vos nouvelles avec impatience ; vos lettres font la consolation de ma vie, et puis je meurs de peur qu'elles ne vous aient fait mal2 en les écrivant. En vérité, mon enfant, il y a bien loin de moi à un philosophe stoïque a; mais enfin c'est ma destinée, et j'y consens, puisque vous le voulez.

Vous me répondez trop aimablement : il faut que je fasse ce mot exprès pour l'article de votre lettre, où vous me paroissez persuadée de toutes les vérités que je vous ai

25. Dans sa seconde édition (1754), Perrin abrége ainsi : « de cent lieues loin, et je ne trouve point avec cela que je n'aie rien à faire. »

LETTRE 738. — 1. II: On craint toujours, quand on aime comme ie fais. » (Édition de 1734.)

2. a Que vous n'en soyez incommodée. » (Édition de 1754.)

3. s Stoïcien. D (Ibidem.)|

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dites4 sur le retour sincère de mon cœur ; mais que veut dire retour? il n'a jamais été détourné de vous. Je voyois des froideurs sans les pouvoir comprendre, non plus que celles que vous aviez pour ce pauvre Corbinelli; j'avoue que celles-là m'ont touchée sensiblement; elles étoient apparentes, et c'étoit une sorte d'injustice dont j'étois si bien instruite, et que je voyois tous les jours si clairement5, qu'elle me faisoit petiller: bon Dieu! combien étoit-il digne du contraire ! Avec quelle sagesse n'a-t-il point supporté cette injuste disgrâce! Je le retrouvois toujours le même homme , c'est-à-dire fidèlement appliqué, avec tout ce qu'il a d'esprit et d'adresse, à vous servir solidement.

Je ne pensois pas que vous dussiez répondre à Lyon à ma grande lettre; vous quittez tout pour la lire : n'êtesvous pas admirable? Pour moi, ma fille, je suis ici dans une tristesse et une solitude que j'aime mieux présentement que tout le monde. Voilà un vrai lieu pour l'humeur où je suis : il y a des heures et des allées qui sont devenues l' humeur de ma mère, dont la sainte horreur n'est interrompue que par les horribles galanteries de nos cerfs6, et je me trouve bien de cette solitude. Corbinelli est à Paris, les Coulanges7 à Charenton ; je leur ai mandé tout ce que vous m'avez écrit d'elles. Il est vrai qu'on a dit un mot de Chantilly; mais cela est tombé si court qu'il n'en est plus question. A propos de Chantilly, j'ai eu un grand chagrin pour le fidèle

4. « De tout ce que je vous ai dit. » (Édition de 1754.)

5. a J'étois cependant si bien instruite de la sorte d'injustice que vous faisiez à un tel ami, et je la voyois tous les jours si clairement. »

(Ibidem.)

6. « Il y a des heures et des allées dont la sainte horreur n'est interrompue que par les galanteries de nos cerfs. s (Ibidem.)

7. Les deux sœurs, Mmes de Coulanges et de Bagnols.

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Hébert' Gourville, qui vouloit qu'il lui découvrît tout ce qui se fait à l'hôtel de Condé, l'a attaqué sur certains revenants-bons des choses qu'il doit donner à chacun, et que l'on ne prend pas, qui lui ont fait un crime', quoique toujours cela se soit fait dans cette maison. Il s'est mêlé des ennemis et des envieux; quoi qu'il en soit, il est dehors avec la douleur d'être seulement soupçonné10 ; l'état où il est marque son innocence ; je ne l'en estime pas moins, je vous en assure, et je n'aurai point de repos que je ne l'aie replacé dans quelque bonne condition ou commission. Il a de l'esprit, il écrit à merveilles; il a senti les injustices de la cour, comme le berger de la fable ; s'il trouvoit ma livrée dans son coffre : Doux trésors, diroitil, je vous reprend.

J'ai reçu une lettre de Mme de Vins, qui me donne un rendez-vous à Pompone après Fontainebleau"; je n'y manquerai pas. Mlle de Méri est digne de pitié; j'envoie chez elle très-souvent, et je la verrai, quand j'irai des

8. Il avait été à Mme de Sévigné, et placé ensuite à l'hôtel de Condé par Gourville. (Note de Perrin.) Voyez tome H, p. 171, et P. 128. note 2.

.L 9. « Sur certains revenants-bons qui lui ont fait un crime, s (Édition de 1754.)

10. œ Il est dehors pour avoir été seulement soupçonné. » (Ibidem.)

11. Voyez la fable du Berger et du Roi, par la Fontaine, livre X, fable x :

Le coffre étant ouvert, on y vit des lambeaux, L'habit d'un gardeur de troupeaux, Petit chapeau, jupon, panetière, houlette, Et, je pense, aussi sa musette.

« Doux trésors, ce dit-il, chers gages, qui jamais N'attirâtes sur vous l'envie et le mensonge, Je vous reprends; sortons de ces riches palais Comme l'on sortiroit d'un songe. »

12. La cour quitta Fontainebleau, pour aller à Saint-Germain, le 12 octobre. Voyez la Gazette du x4-

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moments à Paris18. Le bon abbé se porte très-bien ici; son Anglois lui guérit encore son rhume, en mettant je ne sais quoi dans son remède 1. 4. Si ce n'étoit la timidité qui reste après les grands maux, il iroit fort bien en Bretagne; mais il est comme quand je me retirois à trois heures et demie, de peur du serein". Il vous fait mille et mille compliments. Puisque vous trouvez votre chambre plus grande depuis que vous êtes à Lyon, vous approuverez que nous gardions la Carnavalette, puisqu'après tout vous serez maîtresse de faire tout ce que vous voudrez : ma fille, deux choses, votre santé et vos affaires, il n'y a que cela qui mérite vos soins et qui fasse marcher tout le reste. L'abbé de Grignan m'a mandé que les eaux lui font très-bien depuis six jours. Il n'étoit pas content d'abord, mais il est charmé des soins de tous ces hommes que vous haïssez tant.

Ma chère enfant, ne prenez pas garde à la longueur de cette lettre : je cause avec vous, et n'ai que cela à faire U Je vous demande la grâce de ne vous point tuer pour moi, et que je n'aie point la douleur de contribuer à détruire une vie pour laquelle je donnerois la mienne.

Je me suis purgée; je prends présentement de cette eau; j'observerai ce régime à toutes les fins des lunes : Mme de Lavardin m'a dit des merveilles de cette eau ; en effet17, je m'en trouve fort bien, sans préjudice de l'eau de lin.

i3. Les deux phrases qui commencent l'alinéa ne se trouvent que dans le texte de 1754.

14. « Dans son quinquina. 2 (Edition de 1754.) — Son Anglois pourroit être le Schemlt de la lettre précédente : voyez p. 28, note 12.

15. Le passage qui suit, jusqu'à: a L'abbé de Grignan, etc., D et la phrase qui termine l'alinéa, ne se trouvent que dans l'édition de 1734.

16. « Et c'est ma seule occupation. » (Édition de 1754.)

17. « Je prends maintenant de cette eau dont Mme de Lavardin m'a dit des merveilles, et j'observerai ce régime à toutes les fins de lune; en effet, etc. » (Ibidem.)

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Payez-moi tous ces soins, ma fille; vous en savez le moyen. Mon fils m'écrit à tout moment : il fait très-bien aux états ; il se fait considérer. Je crains seulement qu'il ne soit un peu trop bon Breton. Il me parle de vous avec une tendresse extrême : je suis conciliante, et je lui dis que vous êtes son pigeon, et que vous l'aimez. Je dirai bien aussi toutes mes jolies sottises à votre Mme de Chatbrillantu: fiez-vous à moi". Mon Dieu, que j'embrasse de bon cœur Mlles de Grignan ! N'ont-elles point bien des choses à me dire? M. de Grignan tuet-il bien ses perdrix? M'aime-t-il toujours? A-t-il soin de vous comme il me l'a promis? Ma chère enfant, je suis toute à vous; si je n'étois pas toute seule, mes lettres seroient plus courtes; ne prenez pas ce mauvais exemple : c'est que je ne sais que faire.

-739. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Livry, vendredi 6e octobre.

HÉLAS! ma fille, vous avez trouvé le vent contraire; je n'en suis guère surprise; vous êtes assez destinée à ce malheurt, soit sur le Rhône, ou sur la terre. C'est en vérité, ma très-chère, un grand chagrin en quelque endroit que ce soit, et je comprends fort aisément l'embarras où

18. C'est la leçon de 1734. Le texte de 1754 donne seulement s Mme de Chat. )

Ig. Voici quelle est, à partir d'ici, la fin de la lettre dans l'impression de 1754: « Adieu, ma très-belle : je vous embrasse de bien bon cœur; si je n'étois pas seule, mes lettres seroient plus courtes; ne prenez pas ce mauvais exemple : c'est que je n'ai rien à faire. »

LETTRE 739. — 1. « Vous y êtes assez sujette. D (Édition de 1754.)

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vous avez été. Il y a même du péril, et vous fîtes trèssagement d'honorer de votre présence le lieu où M. de Vardes s'est baigné, plutôt que de vous opiniâtrer à gagner Valence : il faut céder à la furie des vents.

Il est venu ici un P. Morel de l'Oratoire2, qui est un homme admirable ; il a amené Saint-Aubin *, qui nous est demeuré. Je ne voudrois pas4 que M. de Grignan eût entendu ce père; il ne croit pas qu'on puisse, sans péché, donner à ses plaisirs, quand on a des créanciers : les dépenses lui paroissent des vols qui nous ôtent le moyen de faire justice. Vraiment, c'est un homme bien salé; il ne fait aucune composition. Mais parlons de Pauline6 : l'aimable, la jolie petite créature ! hélas ! ai-je été jamais si jolie qu'elle? on dit que je l'étois beaucoup. Je suis ravie qu'elle vous fasse souvenir de moi : je sais bien qu'il n'est pas besoin de cela; mais enfin j'en ai une joie sensible; vous me la dépeignez charmante, et je crois tout ce que vous m'en dites : je suis étonnée qu'elle ne soit pas devenue sotte et ricaneuse dans ce couvent : ah ! que vous avez bien fait, ma fille, de la prendre6! Gardez-la, ne vous privez pas de ce plaisir : la Providence en aura soin.

Ne lui dites-vous pas qu'elle a une bonne1 ? Seroit-il bien possible que je trouvasse encore de la place pour aimer, et de nouveaux attachements? Je vous conseille de ne

2. Célèbre directeur de l'Oratoire. i (Note de Perrin, à.la lettre du 17 novembre 1688.) — Il était le directeur de Saint-Aubin.

3. L'oncle de Mme de Sévigné.

4. « Je voudrois. J) (Édition de 1754.)

5. Perrin, dans sa seconde édition, a fait ici sur Pauline (Mme de Simiane) une longue note, qui dans notre recueil sera mieux placée ailleurs, et amenée naturellement par les lettres mêmes de Mme de Simiane.

6. « Ah! que vous avez bien fait de l'en retirer ! » (Édition de 1754.)

7. Une bonne maman, une grand'mère. — Cette petite phrase et la suivante ne se trouvent que dans le texte de 1734:

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vous point défendre de la tendresse qu'elle vous inspire, quand vous devriez la marier en Béarn. Mlles de Grignan ont eu grande raison de trouver le château de leurs pères très-beau; mais, mon Dieu, quelles fatigues pour y parvenir! que de nuits sur la paille, et sans dormir, et sans manger rien de chaud ! Ma chère fille, vous ne me dites pas comme vous vous en portez, et comme cette poitrine8 en est échauffée, et comme votre sang en est irrité. Quelle circonstance à notre séparation que la crainte très-bien fondée que j'ai pour votre santé, et cette bise qui vous ôte la respiration9! Hélas! pouvois-je me plaindre en comparaison de ce que je souffre, quand je n'avois que votre absence à supporter? Je croyois qu'on ne pouvoit pas être pis; on n'imagine rien au delà : j'ignorois la peine où je suis; je la trouve si dure à supporter que je regarderois comme une tranquillité l'état où j'étois alors; encore si je pouvois me fier à vous, et me consoler dans l'espérance que vous aurez soin et pitié de vous et de moi, que vous donnassiez fO du temps à vous reposer, à vous rafraîchir, à prendre ce qui peut apaiser votre sang ; mais je vous vois peu attentive à votre personne, dormant peu, mangeant peu, et cette écritoire toujours ouverte. Ma fille, si vous m'aimez, donnez-moi quelque repos, en prenant soin de vous. Ma chère Pauline, ayez soin de votre belle maman. Pour moi, je me porte très-bien.

8. « Mais, mon Dieu, quelles fatigues avant que d'y parvenir!

Il faudroit me dire au moins comme cette poitrine, etc. » (Édition de 1754.)

9. a Je crois entendre cette bise qui vous ôte la respiration. s (Ibidem.)

- 10. « Je croyois que rien ne pouvoit être plus mauvais; mais je trouve si dure la peine où je suis, que je regarderois comme une tranquillité l'état où je me trouvois alors : si je pouvois du moins me consoler dans l'espérance que vous aurez pitié de vous et de moi, et que vous donnerez du temps, etc. » (Ibidem.)

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Il fait le plus beau temps du monde. Le bon abbé est parfaitement guéri ; son rhume est allé avec sa fièvre : l'Anglois est un homme divin. Nous ne pensons point à faire un plus long voyage que Livry : il reste une certaine timidité après les grandes maladies, qui ne permet pas qu'on s'éloigne du secours. Ce bon abbé vous rend mille grâces de vos soins11.

Vous me faites rire des vanités des deux sœurs12, et que l'aînée ne néglige pas de nommer dans ses lettres à Lyon tous les noms dont elle s'honore ici; l'autre est admirable de dire qu'on la presse d'aller à Chantilly : la vanité est plaisante ; imaginez-vous que la pensée de ce voyage a duré un moment dans la tête de M. de la Rochefoucauld ; il me le dit en l'air ; je le redis à ces femmes ici; son petit-fils a pensé mourir depuis ce temps; on n'en a pas redit un seul mot; on jette son bonnet pardessus les moulins, et voilà ce qu'elle appelle une partie dont on la tourmente; ah! il est vrai, nous eussions eu bien de la peine à la débaucher. Il y a des styles à quoi je ne me puis accoutumer; j'aime bien mieux être toute seule dans cette avenue.

Nous y étions hier, Saint-Aubin et moi : il lisoit, je l'écoutois, et je regardois le petit pays doux que vous connoissez ; je vous souhaitois l'air que je respirois.

Nous avions entendu un cor dans le fond de cette forêt ; tout d'un coup nous avons entendu passer comme une personne au travers des arbres ; nous avons regardé, c'étoit un grand chien courant. « Qu'est-ce que cela? a dit

11. Cette dernière phrase n'est pas dans l'édition de 1754.

12. Mm es de Coulanges et de Bagnols.— Le texte de 1754 donne : « Vous me faites rire des manières des deux sœurs : l'aînée ne néglige pas, etc. 1

i3. « Son petit-fils a pensé mourir depuis ; il n'a plus reparlé de Chantilly, et voilà ce qu'on appelle, etc. » (Édition de 1754.)

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Saint-Aubin. — C'est un des aumôniers de Monsieur de Senlis14, » lui ai-je dit. Là-dessus sa rate s'est épanouie d'un rire extravagant; et voilà la plus grande aventure qui nous puisse arriver en ce pays; il faut être même d'un grand loisir pour vous raconter une telle sottise15

J'écrirai à Pellisson16 pour le frère de Montgobert; j'y ferai comme pour ma cure. Vous n'avez qu'à me donner toutes sortes de commissions : c'est le plus agréable amusement que je puisse avoir en votre absence. En voici un que j'ai trouvé : c'est un tome de Montagne17, que je ne croyois pas avoir apporté : ah, l'aimable homme !

qu'il est de bonne compagnie! c'est mon ancien ami; mais à force d'être ancien, il m'est nouveau. Je ne puis pas lire ce que dit le maréchal de Montluc du regret qu'il a de ne s'être pas communiqué à son fils, et de lui avoir laissé ignorer la tendresse qu'il avoit pour lui, sans avoir les larmes aux yeux18. Lisez cet endroit-là, je vous prie, et me dites comme vous vous en trou-

14. Denis Sanguin, évêque de Senlis, oncle de Louis Sanguin, marquis de Livrv, aimoit beaucoup la chasse, et chassoit très-souvent dans la forêt de Livrv. (Note de Perrin.) Voyez tome IV, p. 407, note 6. — Dans l'édition de 1754, Perrin a mis les verbes au présent : nous entendons, nous regardons, et ensuite : a Qu'est-ce que c'est? dit Saint-Aubin. — C'est, lui dis-je, un des aumôniers de Monsieur de Senlis. »

15. « Pour vous redire cette bagatelle. î (Édition de 1754.) - La phrase qui commence l'alinéa suivant ne se lit pas dans le texte de 1734.

16. Pellisson était depuis 1676 préposé pour l'administration des économats, et économe de Cluny, de Saint-Germain des Prés, et de Saint-Denis. Mme de Sévigné sollicitait sans doute un bénéfice pour le frère de Mlle de Montgobert.

17. C'est ainsi que le nom est écrit dans les deux éditions de Perrin, les seules qui donnent cette lettre.

18. « Je ne puis lire qu'avec les larmes aux yeux, etc. » (Édition de 1754.)

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verez ; c'est à Mme d'Estissac, de l'Amour des pères envers leurs enfantsu. Mon Dieu, que ce livre est plein de bon sens !

Mon fils triomphe aux états ; il vous fait toujours mille amitiés; plus de soin de votre santé20, plus de crainte que vous ne soyez pas assez forte : enfin ce pigeon est - tout à fait tendre. Je lui dis aussi vos amitiés : je suis conciliante, comme dit Langlade. Mme de Vins vous aime, et m'a demandé soigneusement de vos nouvelles; la pauvre Méri est toujours misérable; elle me fait une pitié extrême ; j'irai la voir bientôt21

J'ai une extrême envie de savoir si vous vous serez bien

ig. C'est le chapitre vm du livre II des Essais de Montaigne. —

Le trait du maréchal de Montluc peint au vrai la sévérité des mœurs antiques ; mais ce n'est pas seulement cet endroit qui aura frappé Mme de Sévigné. Elle a dû se reconnaître dans le portrait que Montaigne (au même chapitre) trace de Mme d'Estissac, et elle est bien aise que sa fille l'y reconnaisse aussi. Ce passage ne sera pas ici hors de sa place : c Or, Madame, ayant à m'y pourtraire au vif, j'en eusse oublié un traict d'importance, si je n'y eusse représenté l'honneur quej'ay tousiours rendu à vos merites; et l'ay voulu dire signamment à la teste de ce chapitre, d'autant que, parmi vos aultres bonnes qualitez, celle de l'amitié que vous avez montree à vos enfants, tient l'un des premiers rengs. Qui sçaura l'aage auquel M. d'Estissac, vostre mari, vous laissa veufve, les grands et honorables partis qui vous ont esté offerts autant qu'à dame de France de vostre condition, la constance et fermeté de quoy vous avez soustenu, tant d'annees, et au travers de tant d'espineuses difficultez, la charge et conduicte de leurs affaires, qui vous ont agitee par tous les coings de France, et vous tiennent encore assiegee, l'heureux acheminement que vous y avez donné par vostre seule prudence ou bonne fortune : il dira ayseement avecquesmoi, que nous n'avons poinct d'exemple d'affection maternelle en nostre temps plus exprez que le vostre. i (Note de l'édition de 1818.) — Dans cette phrase, la deuxième édition de Perrin (1754) supprime les mots : a et me dites comme vous vous en trouverez. »

20. a C'est plus d'attention pour votre santé. 1 (Édition de 1754.)

ai. Cette dernière phrase est seulement dans l'édition de 1734.

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reposée, et22 si Guisoni ne vous aura point donné. quelques conseils que vous ayez suivis. On dit que la glace est bien contraire à votre poitrine; vous n'êtes plus en état, ma fille, de prendre sur vous ; tout y est pris ; ce qui reste tient à votre vie.

Le bon abbé me disoit tantôt que je devrois vous demander Pauline, qu'elle me donneroit de la joie, de l'amusement, et que j'étois plus capable que je n'ai jamais été de la bien élever : j'ai été ravie de ce discours;, mettons-le cuire, nous y penserons quelque jour. Il me vient une pensée, que vous ne voudriez pas me la donner, et que vous n'avez pas assez bonne opinion de moi.

Ma fille, cachez-moi cette idée, si vous l'avez; car je sens que c'est une injustice, et que vous ne me connoissez pas : je serois délicieusement occupée à conserver toutes les merveilles de cette petite. Mesdemoiselles de Grignan, ne l'aimez-vous pas bien? Vous devriez m'écrire, et me conter mille choses, mais naturellement, et sans vous en faire une affaire, et me dire comme se porte votre chère marâtre ; cela vous accoutumeroit à écrire facilement comme nous. Je voudrois bien que le petit continuât à jouer au mail ; qu'on le fasse plutôt jouer à gauche alternativement, que de le désaccoutumer de jouer à droit, et d'être adroit. Saint-Aubin a trouvé un mail ici; il y joue très-bien; il vous baise très-humblement les deux mains". Je lui dis des choses admirables de sa petite camuson24, et je lui demande les chemins qui l'ont conduit de la haine et du mépris que nous avons vu, à l'es-

22. Les mots : II: si vous vous serez bien reposée, et. » ne sont que dans le texte de 1754.

23. Ce dernier membre de phrase n'est pas dans l'édition de 1754.

24. Sans doute Mme de Saint-Aubin. — Il paraît que Saint-Aubin, oncle de Mme de Sévigné, avait fait un mariage mal assorti. Voyez la lettre du 19 novembre 1688. (Note de l'édition de 1818.)

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time et à la tendresse que nous voyons : il ne sait que répondre25 ; il mange des pois chauds26, comme dit M. de la Rochefoucauld quand quelqu'un ne sait que répondre.

Monsieur de Grignan, je vous observe; je vous vois venir: je vous assure que si vous ne me dites pas un mot vous-même de la santé de Madame votre femme, après les horribles fatigues qu'elle a eues27, je serai bien mal contente de vous. Cela reviendroit-il28 à ce que vous me disiez en partant : te Fiez-vous à moi, je vous réponds de tout? » Je crains bien que vous n'observiez cette santé que superficiellement. Si je reçois un mot de vous, comme je l'espère, je vous ferai une grande réparation.

  • 74O. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE GUITAUT.

A Livry, 7e octobre.

QuAND elle n'a point le sang en furie et brûlé à l'excès, elle n'a point cette colique : ainsi, quelque naturelle qu'elle soit, quand elle a des douleurs, il faut tout craindre, puisque c'est de ce sang que viennent tous ses maux. Elle est arrivée à Grignan après des fatigues encore: ils eurent le vent contraire sur le Rhône, vous n'en doutez pas; ils couchèrent dans un pouillier1 où il fallut

a5. « Il est un peu embarrassé. » (Édition de 1,754.)

26. Mme de Sévigné s'est encore servie de cette expression dans la lettre du 25 octobre suivant, et à la fin de la lettre du 14 août 1680.

27. « Les horribles fatigues de son voyage. » (Édition de 1754.)

28. « Cela répondroit-il en effet. » (Ihidem.) Lbtthe 740 (revue sur l'autographe). — x. Méchante auberge,

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encore se remettre sur la paille ; mais elle a pris Pauline à Valence en passant. Savez-vous le mérite de Pauline?

Pauline est une personne admirable; elle n'est pas si belle que la Beauté, mais elle a des manières : c'est une petite fille à manger. Elle me mande qu'elle craint de s'y attacher, et qu'elle me la souhaiteroit, sans qu'elle est assurée qu'elle lui couperoit l'herbe sous le pied. Je suis fort aise qu'elle ait cet amusement. Elle me dit qu'elle se porte bien , mais je n'en crois rien du tout, et personne ne m'écrit qu'elle. Montgobert a eu le courage de s'embarquer sur le Rhône avec la fièvre continue. J'estime bien le courage et l'affection de cette fille.

Voilà bien parlé2, Dieu merci, de ce qui me tient au coeur; cela n'est guère honnête, mon cher Monsieur.

Je crains que Mme de Guitaut ne se moque de moi; elle auroit raison. Je lui fais mille excuses de cette impolitesse, et je l'embrasse de tout mon cœur avec sa permission.

Vous ferez très-bien et très-sagement et très-politiquement de ne rien réveiller3 de tout ce que vous savez à M. de Caumartin4 ; je ne m'en soucie point du tout.

J'ai voulu vous parler à cœur ouvert, je l'ai fait, je suis contente; il me semble que vous aimez assez ma naïveté.

Nous avons la bride sur le cou présentement ; car du temps de notre impénétrable ami 6, nous n'eussions jamais osé. Venez, venez dans la chambre de ma fille, nous en dirons bien d'autres. Notre bon abbé vous as-

sale maison, taudis; le mot se retrouve dans la lettre du 2 3 octobre 1680, et au tome VI de Tallemant des Réaux, p. 354.

2. C'est ainsi que le mot est écrit dans l'autographe.

.3. L'original porte réveiller, et non, comme on l'a imprimé, révéler.

4. Beau-frère de Mme de Guitaut. @ , 1-

5. D Hacqueville ? Il était mort le 31 juillet de l'année prëcectente.

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sure de ses services; il se porte parfaitement bien : cet Anglois lui a encore guéri un gros rhume qui lui étoit resté, aussi bien que sa fièvre. Son heure n'étoit pas marquée, et les autres l'étoient : voilà tout ce. qu'on peut dire.

Suscription : A Monsieur Monsieur le comte de Guitault, chevalier des ordres du Roi, à Epoisse, à Semur.

A gauche de l'adresse, au coin supérieur, on lit : Semur en Auxois.

74r. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Livry, mercredi 1 le octobre.

J'ATTENDOIS cette lettre du 1er avec bien de l'impatience : les pluies l'ont retardée ; voilà un des chagrins de l'absence , c'est qu'elle noircit toutes choses : je n'avois pas manqué d'imaginer tout ce qu'il y a de plus fâcheux ; et pour vous parler sincèrement, je ne puis être en repos sur votre santé : je ne crois point ce que vous m'en dites ; M. de Grignan même ne m'en dit pas un mot; la pauvre Montgobert, à qui je me fie, est malade; Mlles de Grignan n'en disent que ce qu'il vous plaît : ainsi je suis abandonnée à mon imagination. Vos jambes froides et mortes, dont vous vous moquez, au moins devant moi, me font une peine incroyable; je ne trouve point que cela soit à négliger, et si j'étois à votre place, je suivrois l'avis de Guisoni, qui ne traite pas ce mal de bagatelle : je ferois le voyage qu'il vous conseille; je prendrois mon temps ; je mettrois ce remède au rang de mes affaires indispensables, et je ne laisserois point mes pauvres jambes froides, mortes et dénuées d'esprits : je les voudrois ressusciter et réchauffer ; je voudrois enfin

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me soulager des cruelles douleurs qu'elles me font souffrir tous les soirs. Ce n'est pas vivre, ma chère enfant, que de vivre avec tant d'incommodités. C'est ce voyagelà que je vous ferois bien faire, si j'étois M. de Grignan, et que j'eusse autant de pouvoir sur vous qu'il en a. Enfin, vous croyez bien que je pense souvent à toutes ces choses, et qu'il n'y a nulle philosophie, nulle résignation et nulle distraction qui puissent m'en détourner. Je m'en accommode le mieux que je puis, quand je suis dans le monde; mais de croire que cette pensée ne soit pas profondément gravée dans mon cœur, ah! ma fille, vous connoissez trop bien l'amitié pour en pouvoir douter. Et vous parlez de ma santé : c'est bien dit, de ma santé, car je me porte très-bien, je vous l'ai dit vingt fois; vous vous occupez de ma santé, et moi je m'inquiète avec raison de votre maladie. Guisoni veut que je me fasse saigner, parce que la saignée lui fait du bien ; le médecin anglois dit qu'elle est contraire au rhumatisme, et que sij'ôte mon sang, qui consume les sérosités, je me retrouverai comme il y a quatre ans : lequel croirai-je? Voici le milieu : je me purgerai à la fin de toutes les lunes, ainsi que j'ai fait depuis deux mois; je prendrai de cette eau f et de l'eau de lin : c'est là tout ce qu'il me faut; et ce qui me seroit encore meilleur, ce seroit votre santé. Voilà bien du discours, ma très-belle, sur un sujet qui n'aura pas manqué de vous ennuyer; mais vous ne sauriez m'empêcher d'être uniquement occupée de l'état où vous êtes.

LETTRE 741. — I. L'eau donnée par Mme de LaTardin. Voyez plus haut, p. 35.

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742. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Pompone, vendredi 13e octobre.

ME voici, ma fille, avec les meilleures gens du monde, comme vous savez1 ; aussitôt qu'ils furent arrivés à Pompone , Mme de Vins m'envoya un laquais à Livry, pour me prier, si je le pouvois, de les venir voir. J'y vins hier au soir; le maître et la maîtresse du logis me reçurent fort bien ; mais Mme de Vins parut tellement votre amie, et notre abord fut si tendre pour vous2, que je ne pus douter de tout ce que je pensois déjà de la véritable amitié qu'elle a pour vous. Nous causâmes fort de votre départ, de votre séjour, de votre santé, et même de votre retour ; car on ne peut s'empêcher, comme vous disiez une fois, de se rendre l'avenir présent. Nous prenons tout ce que nous pouvons de tous les côtés : il seroit inutile de vous redire toutes nos conversations; vous les imaginez aisément, et cela rendroit cette lettre infinie. Mme de Vins vous écrit ; elle vous mandera ce qu'elle sait de nouvelles. Dites-lui un peu que vous mettez sur votre compte tout ce qu'elle fait à mon égard.

L'amitié qu'elle a pour vous m'est aussi convenable3 que son âge me l'est peu; mais son esprit est si bon et si solide, qu'on la peut tenir pour vieille par cet endroit, aussi bien que vous, qui avez passé à joints pieds sur

LETTRE 742. — i. « Me voici avec les plus aimables gens du monde. » (Édition de 17 54.)

2. Ce membre de phrase : x et notre abord fut si tendre pour vous, » manque dans l'édition de 1754, qui remplace c de la véritable amitié 1 par « des sentiments. »

3. « Que vous mettez sur votre compte toutes les honnêtetés qu'elle a pour moi. Son amitié m'est aussi convenable, etc. » (Édition de 1754.)

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toutes les misères des jeunes personnes. Je lui appris une querelle entre MM. de V***, d'A*** et T***4. M. de la Rochefoucauld les accommode, et s'en trouve si embarrassé, qu'il aimeroit mieux avoir à faire un poëme épique, à ce que me mande Mme de la Fayette6 : je vous en dirai davantage mercredi.

Je reçus hier vos lettres en venant ici, de sorte que je fis tenir fort sûrement celle de Mme de Vins. Je serai demain à Paris : je verrai le chevalier, et dirai adieu à la Garde, qu'on dit qui s'en va mardi. Je veux leur ôter la peine de venir à Livry, dont les chemins sont déjà vilains. Je ne vous dis plus rien de notre maison : vous aurez vu comme les pensées du vendredi étoient toutes contraires à celles du mercredi; cela est fort de l'humanité.

Je suis fort aise de la dernière résolution6; je crois n'y avoir pas nui. Vous serez bien étonnée et bien fàchée de recevoir sitôt vos ordres pour l'assemblée : à peine aurez-vous le temps de vous reposer un moment; mais cette précipitation est mêlée d'un grand bien ; car sûrement M. de Vendôme n'ira point' ; M. de Pompone me l'a dit avec plaisir : tous les ordres s'adressent à M. de Grignan. Il paroît ici qu'elle 8 est déjà commencée ; voilà

4. Les deux éditions de Perrin n'ont que les initiales. Voyez la lettre suivante.

5. Ce membre de phrase n'est que dans le texte de 1754.

6. A propos d'un arrangement nouveau de l'hôtel de Carnavalet.

Voyez le commencement de la lettre suivante. — Cette phrase et la précédente ne se lisent que dans la première édition de Perrin (1734).

7. On avait pu craindre que le duc de Vendôme n'allât cette année prendre possession de sa charge et l'exercer en personne. Le ig janvier 1679, il « avoitprêté entre les mains du Roi le serment de fidélité pour le gouvernement de Provence, dont il n'avoit point encore fait les fonctions, quoiqu'il en eût la survivance dès le vivant du cardinal de Vendôme, son père. D (Gazette du 21 janvier 1679.)

8. « Que l'assemblée. » (Édition de 1754.) — Nous voyons dans l'Abrégé des délibérations de VAssemblée générale des communautés de

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qui est fait ; ainsi, ma belle, du bien et du mal mêlés par- tout : vous ne passerez point le mois de novembre chez vous, mais vous êtes encore gouverneurs. M. de Pompone sent cela comme nous ; je n'ai jamais vu un homme si aimable ; il m'a fort priée de vous faire ses compliments sincères et tendres ; car votre santé9 et votre absence lui tiennent au cœur.

J'embrasse premièrement M. de Grignan - je l'admire bien, et vous aussi, ma fille, d'aimer tant mes lettres; je suis toujours tout étonnée du bien que vous m'en dites; elles passent si vite chez moi, que je ne sens jamais ni ce qu'elles valent, ni aussi ce qu'elles ne valent pas : telles qu'elles sont, vous n'en aurez que trop, et moi des vôtres, qui font pourtant toute ma consolation ; mais elles sont bien tristes, quand je les compare à ce qu'il y a de meilleur ; je ne vis que pour en venir là.

Mais je reviensfo. J'embrasse donc M. de Grignan premièrement, et suis fort aise qu'il ait la bonne foi d'avouer que je lui donne bien de la tablature pour savoir bien aimer11 : qu'il essaye un peu de chanter sur ce ton, principalement sur le soin 12 de votre santé; car on a beau dire que cela est importun, je ne suis pas trop de cet avis, et tout ce qui tient à la vie de ce que nous aimons, de tout temps ne s'est guère accordé avec la tranquillité. S'il avoit autant aimé Mme de Saint-Simon13

Provence, que les états avaient été cette année convoqués pour le 4 novembre, mais qu'ils furent différés jusqu'au 14.

9. « H m'a fort priée de vous dire que votre absence et votre santé, etc. » (Édition de 1754.)

io. « Je me suis égarée, mais je reviens. » (Ibidem.)

il. « Que je lui donne de la tablature pour savoir bien vous aimer. D (Ihidem.)

12. « Pour le soin. » (Ihidem.).

i3. Voyez tome II, p. 16 et note 12, et p. 20. -. Dans l'édition de 1734, il n'y a que les initiales : « Mme de S. S**. D

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que je vous aime, j'en demande pardon à son amour, il n'auroit pas été bien en repos de la voir dans l'état où vous êtes14 ; qu'il examine donc cette vérité : voilà sa leçon d'aujourd'hui, car je me trouve obligée d'être sa maîtresse à aimer. Je l'embrasse donc premièrement; jamais ne pourrai-je continuer, et embrasser quelqu'un secondement? Ce sera vraiment Mesdemoiselles ses filles, qui me tiennent au cœur, et mon petit garçon, qui ne m'y tient pas mal aussi, et Paulinette16 , avec tous ses attraits; et vous, ma très-chère, que vous dirai-je?

Rien du tout, que ce que vous avez la justice de me dire : c'est que vous remplissez16 toute la capacité de ce cœur que vous trouvez si savant dans l'amitié.

743. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, mercredi 1 8e octobre.

MA très-chère et très-aimable, je suis venue ici pour plusieurs petites choses ; le bon abbé y est aussi, et se porte très-bien. Une de mes affaires étoit de voir le chevalier de Grignan ; sa vue me toucha sensiblement : je sais l'intérêt qu'il prend à votre santé ; nous en parlâmes fort ; il est digne de comprendre ce que je sens pour vous.

Je1 croyois dire adieu aussi à M. de la Garde; mais il ne s'en va pas sitôt : il a toujours de ces sortes d'affaires qui me font admirer sa bonté. Nous voilà donc arrêtés à

14. « Dans votre état. » (Édition de 1754.)

l5. « Paulinote. » (Ibidem.)

16. CI Rien du tout, si ce n'est que vous remplissez, etc. » (Ibidem.) LETTRE 743 (revue en partie sur une ancienne copie). — i. Cette phrase se lit pour la première fois dans l'édition de 1764.

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l'hôtel de Carnavalet; nous ne pouvions mieux faire. Le bon abbé est entré d'abord dans vos desseins pour l'ajustement de votre appartement. Il est survenu fort à propos un fort honnête ami de carpillon fretin, M. d'Agaurry 2, à qui nous avons affaire en son absence : il est tellement entré avec nous dans cette petite commodité, qu'il en veut être l'architecte; il s'y entend fort bien3 : il demande seulement le temps d'écrire à M. d'Agaurry, en Dauphiné, pour avoir la permission d'attaquer la vieille antiquaille de cheminée , dont il ne doute point ; et cela étant, il n'y aura rien de mieux ni de plus tôt fait. Tout le malheur, c'est qu'il vous en coûtera bien moins que ce que vous pensez : ils disent que cent écus feront votre affaire; soyez persuadée que nous aurons grand plaisir à vous faire celui-là. En vérité, c'est une chose étrange 4 que l'hôtel de Carnavalet sans vous. Il faut se soutenir, ma fille, par l'espérance de vous y revoir, non plus comme un oiseau ni comme un courrier, mais comme une personne qui n'a plus que faire là-bas, et qui

2. Propriétaire de l'hôtel Carnavalet. — Pour comprendre l'allusion à la fable du Pêcheur et du petit poisson (livre V, fable m de la Fontaine), il faut se rappeler combien Mme de Sévigné, pendant les négociations relatives à l'hôtel Carnavalet, craignait qu'on ne lâchât l'occasion : elle se disait, voyant les hésitations de d'Hacqueville : Je tiens pour moi que c'est folie ; Car de le rattraper il n'est pas trop certain.

- On lit dans l'édition de 1754 : « Il est survenu tout à propos un fort honnête homme, à qui nous avons affaire en l'absence de M. d'Agaurry. » — Dans notre texte, qui est celui de 1734, il pourrait bien se faire que M. d'Agaurry eût été ajouté pour expliquer le sobriquet de carpillon fretin par lequel Mme de Sévigné le désigne.

3. « Il y est fort entendu. » (Édition de 1754.)

4. « Tout le malheur, c'est qu'il vous en coûtera moins que ce que vous pensez. Il faut avouer cependant que c'estune chose étrange, etc. 9 (Ibidem. )

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vient respirer un air qui convient à ses affaires et à sa santé.

J'ai 5 grand regret que Pauline soit chassée du logis; je vous en crois dehors vous-même, car vous n'aurez guère laissé languir votre convocation, afin de ne donner pas le temps au gouverneur de se raviser; il n'y a pas d'apparence qu'il y songe cette année. On est persuadé que Sa Majesté va faire commencer les propositions du mariage de Bavière 6 par M. le président Colbert7, qu'on croit qui va partir : tout cela est encore en l'air.

Vous savez la querelle 6 de M. de Ventadour et du duc d'Aumont. Ce dernier revenoit de Bourbon avec sa femme, la duchesse de Ventadour et le chevalier de Tilladet.

M. de Ventadour étoit à une de ses terres dans ce même pays, appelée la Motte". Il avoit prié sa femme d'y venir; il en envoie prier toute la compagnie; on le refusa iO; il vint lui-même, et ne fut pas bien reçu, parce que, de la dînée à la couchée , les suivant partout, ses discours étoient un peu entremêlés de menaces et d'injures : il

5. Cet alinéa et le suivant manquent dans l'édition de 1734, qui ne donne que la phrase : « On est persuadé que Sa Majesté, etc., » et la place vers la fin de la lettre, immédiatement avant notre dernier paragraphe.

6. Le mariage du Dauphin avec la fille de l'électeur de Bavière eut lieu en effet, nous l'avons déjà dit, le 7 mars de l'année suivante.

7. Voyez tome II, p. 396, note 12. — Charles Colbert, marquis de Croissy, dit Saint-Simon (tome I, p. 346), Œ avoit été longtemps président à mortier, dont il avoit peu exercé la charge. » La Gazette du 25 novembre 1679 le désigne par ce titre, qu'il n'avait, d'après l'État de la France, que depuis le 26 avril de la même année.

8. « Je vous ai parlé de la querelle du duc de V** et du duc d'A**. » (Édition de 1754.)

9. Le château de la Mothe est à une lieue à l'est de Bourbon, sur une colline qui domine le Chamaron.

10. « Il en envoya prier toute la compagnie; il fut refusé. s (Édition de 1754.)

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étoit à cheval par la campagne, le pistolet à la main , comme don Quichotte, menaçant et défiant ces Messieurs. Le chevalier de Tilladet le traita de fou , et qu'il falloit le mener aux Petites-Maisons. Enfin, dans les transes mortelles, les dames arrivèrent à Paris, où le Roi averti envoya aussitôt garder Mme de Ventadour. La voilà sous sa protection11. Que fait le monstre ? Il s'en va trouver le Roi, accompagné de ses proches, c'est-à-dire MM. les princes de Condé, de Conti, MM. de Luxembourg , Duras, Schomberg, Bellefonds ; et avec une hardiesse incroyable, parla à Sa Majesté, disant que le chevalier de Tilladet lui avoit manqué de respect. Remarquez ce mot : il remet la duché où elle étoit autrefois. « Eh! Sire, pourquoi me refuse-t-on ma femme?

Que m'est-il arrivé d'extraordinaire ? Suis-je plus bossu et plus mal fait que je n'étois quand on m'a bien voulu ?

Si je suis laid, Sire, est-ce ma faute? Si je m'étois fait moi-même, j'aurois pris la figure de Votre Majesté; mais tout le monde n'est pas partagé comme il le voudroit être. » Et enfin, avec cette flatterie naturelle et juste, qu'on n'attendoit point, et beaucoup de raison dans ses discours, il a si bien fait que le Roi a été fort content de lui, et toute la cour. Cependant on les va séparer; l'embarras c'est qu'il veut absolument que sa femme soit dans un couvent, et cela est triste. M. de la Rochefoucauld est chargé de toute cette affaire, et des accommodements entre ces Messieurs. Il est bien plus empêché de tout cet embarras que s'il avoit à faire un poëme épique 12. Je ne sais comme j'écris aujourd'hui; je suis dans une prolixité qui m'ennuie moi-même. Le chevalier vous aura mandé

II. « Sous la protection de Sa Majesté. » (Édition de 1754.)

12. L édition de 1754 porte : « Je vous ai dit combien il est empêché de tout cela, » et ne donne pas la fin de l'alinéa, qui n'est que dans notre manuscrit.

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celui de M. le comte d'Auvergne et de Talart "; il est si fort à souhait pour ce premier qu'il ne s'y peut rien souhaiter, ni rien ajouter.

Mon fils est aux Rochers solitairement : il a si bien fait aux états, que je crois qu'il aura dans deux ans cette grande députation 14. Il vous aime très-chèrement, il en jure sa foi ; je conserverai entre vous l'amitié fraternelle15, ou j'y périrai. Je16 vous ai mandé comme j'ai vu Mme de Vins, et comme j'ai bien fait ma charge de résidente; elle est demeurée seule à Pompone. J'ai fait vos compliments à toutes les dames que vous me nommez : votre souvenir fait une joie et une tristesse. Mme de la Fayette se veut distinguer à cause de cette nouvelle amitié; il ne tiendra vraiment pas à elle que vous ne soyez contente.

J'embrasse M. de Grignan, Mesdemoiselles ses filles, son petit sobre de fils ; cela est plaisant d'aspirer à cette qualité : nos Bretons n'ont point cette fantaisie. Pour vous, ma très-chère, je suis à vous dans cette perfection 17 que M. de Grignan admire. J'aime que vous me parliez de vous sans cesse, et je regrette tout ce qui n'est que pour causer agréablement : la crainte que tant d'écriture ne vous fasse mal trouble tout le plaisir que j'avois de vos lettres infinies.

i3. Voyez tome V, p. 498 et 499.

14. Voyez la Notice, p. 282 et suivantes.

15. CC L'amour fraternel. » (Édition de 1754.)

16. Cette phrase ne se trouve que dans le texte de 1734.

17. c Avec cette perfection. » ( £ dition de 1754.) La phrase qui termine la lettre n'est pas dans le texte de 1734.

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744- - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, vendredi aoe octobre.

Quoi ! vous pensez m'écrire de grandes lettres, sans me dire un mot de votre santé; je pense, ma chère enfant, que vous vous moquez de moi; pour vous punir, je vous avertis 1 que j'ai fait de ce silence tout le pis que j'ai pu; j'ai compris que vous aviez bien plus de mal aux jambes qu'à l'ordinaire, puisque vous ne m'en disiez rien , et qu'assurément si vous vous fussiez un peu mieux portée, vous eussiez été pressée de me le dire : voilà comme j'ai raisonné. Mon Dieu! que j'étois heureuse quand j'étois en repos sur votre santé! et qu'avois-je à me plaindre auprès des craintes que j'ai présentement? Ce n'est pas qu'à moi, qui suis frappée des objets et qui aime passionnément votre personne, la séparation ne soit un grand mal ; mais la circonstance de votre délicate santé est si sensible, qu'elle en efface l'autre. Mandez-moi donc désormais l'état où vous êtes, mais avec sincérité Je vous ai mandé tout ce que je savois pour vos jambes ; si vous ne les tenez chaudement, vous ne serez jamais soulagée : quand je pense à ces jambes nues deux ou trois heures le matin pendant que vous écrivez ; mon Dieu ! ma chère enfant, que cela est mauvais! Je verrai bien si vous avez soin de moi. Je me purgerai lundi pour l'amour de vous; il est vrai que le mois passé je ne pris qu'une pilule; j'admire que vous l'ayez senti; je vous avertis que je n'ai aucun besoin de me purger ; c'est à cause de cette

LETTRE 744 (revue en partie sur une ancienne copie). - i. « sans me dire un mot de votre santé ; je vÇlusavertis, etc. à (Édition de 1754.) 2. Tout ce qui suit, jusqu'à la fin de l'alinéa, n'est que dans l'édition de 1734. -

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eau, et pour vous ôter de peine. Je hais bien toutes ces fièvres qui sont autour de vous ; peut-être que votre saignée aura sauvé votre pauvre officier.

Le chevalier vous mande toutes les nouvelles ; il en sait plus que moi, quoiqu'il soit un peu incommodé de son bras, et par conséquent assez souvent dans sa chambre.

Je le fus voir hier, et le bel abbé; il me faut toujours quelque Grignan; sans cela il me semble que je suis perdue. Vous savez comme M. de la Salle3 a acheté la charge de Tilladet; c'est bien cher pour être subalterne de M. de Marsillac : il me semble que j'aime mieux4 les subalternes des charges de guerre. On parle fort du mariage de Bavière5. Si l'on faisoit des chevaliers6, ce seroit une belle affaire; je vois bien des gens qui ne le croient pas.

J'ai reçu une lettre 7 de bien loin, que je vous garde ; elle est pleine de tout ce qu'il y a au monde de plus reconnoissant, et d'un tour admirable. Pour le pauvre Corbinelli8, hélas ! il ne lui faut rien, il ne demande rien ;

3. Louis de Caillebot, marquis de la Salle, sous-lieutenant des chevau-légers, acheta la charge de maître de la garde-robe, qu'avait le marquis de Tilladet, lorsque ce dernier fut nommé capitainelieutenant des Cent-Suisses de la garde du Roi, à la place du marquis de Vardes. (Note de l'édition de 1818.) Voyez tome V, p. 460.

— La nomination du marquis de la Salle est dans la Gazette du 21 octobre.

4. « C'est bien cher de donner cinq cent mille francs pour être subalterne de M. de Marsillac; j'aimerois mieux, ce me semble, etc. »

(Édition de 1754.)

5. Du mariage du Dauphin, qui eut lieu, comme nous venons de le dire, le 7 mars 1680.

6. Des chevaliers de l'ordre : voyez tome V, p. 548, note 5, et les lettres des 2 et 8 novembre suivants, p. 74 et 78.

7. Tout ce qui suit, jusqu'à : « Il me paroît qu'elle a bien envie, » p. 58, manque dans l'édition de 1754. �� �

8. Voyez la lettre du 4 octobre précédent, p. jj. — Tout ce qui suit le nom de Corbinelli, jusqu'à : « je ne sais point de cœur, » ne se lit que dans notre manuscrit.

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il ne se plaint de rien, c'étoit moi qui étois9 émue ; s'il l'a * été, il s'est bien caché , et s'est consolé dans l'innocence de sa conscience ; pour moi, qui ne suis pas si sage, c'étoit justement cela qui m'impatientoit : ai-je pu jamais savoir ce que c'étoit que cette sorte d'injustice, quoique je vous l'aie demandé? Enfin, n'en parlons plus présentement : voilà qui est fait et trop fait, et trop passé ; peut-être qu'un jour nous reprendrons ce chapitre à fond: c'est une des choses que je souhaite le plus. Dans ces derniers temps, hélas ! vous faisiez fort bien pour Corbinelli; il ne lui en faut pas davantage; il est content, et moi aussi ; il n'y a rien à raccommoder : tout est bien ; croyez-moi, je ne sais point de cœur meilleur que le sien, je le connois; et pour son esprit, il vous plaisoit autrefois; il regarde avec respect la tendresse que j'ai pour vous; c'est un original qui lui fait connoître jusqu'où le cœur humain peut s'étendre; il est bien loin de me conseiller de m'opposer à cette pente ; il connoît la force des conseils sur de pareils sujets. Le changement de mon amitié pour vous n'est pas un ouvrage de la philosophie, ni des raisonnements humains; je ne cherche point à me défaire de cette chère amitié ; ma fille, si dans l'avenir vous me traitez comme on traite une amie, votre commerce sera charmant; j'en serai comblée de joie, et je marcherai dans des routes nouvelles. Si votre tempérament, peu communicatif, comme vous le dites, vous empêche encore de me donner ce plaisir, je ne vous en aimerai pas moins : n'êtes-vous pas contente de ce que j'ai pour vous? en desirez-vous davantage? Voilà votre pis aller : vous ne serez point moins aimée 10

9. Il y a étoit, à la troisième personne, dans le manuscrit.

10. Ce dernier membre de phrase ne se trouve non plus que dans notre manuscrit.

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Nous parlions de vous l'autre jour, Mme de la Fayette et moi, et nous trouvâmes qu'il n'y avoit au monde que Mme de Rohan et Mme de Soubise qui fussent ensemble aussi bien que nous y sommes ; et où trouverez-vous une fille qui vive avec sa mère aussi agréablement que vous faites avec moi ? Nous les parcourûmes toutes; en vérité nous vous fîmes bien de la justice, et vous auriez été contente d'entendre tout ce que nous disions. Il me paroît qu'elle a bien envie de servir M. de Grignan; elle voit bien clair à l'intérêt que j'y prends; elle sera alerte sur les chevaliers H, et surtout le mariage se fera dans un mois, malgréTécrevÍsse, qui prend l'air tant qu'elle peut ; mais elle sera encore fort rouge en ce temps-là. Mme de la Fayette prend des bouillons de vipères, qui lui redonnent une âme et lui donnent des forces 42 à vue d'oell; elle croit que cela vous seroit admirable. On prend cette vipère13, on lui coupe la tête, la queue, on l'ouvre, on l'écorche, et toujours elle remue; une heure, deux heures, on la voit toujours remuer. Nous comparâmes cette quantité d'esprits si difficiles à apaiser, à de vieilles passions , et surtout celles de ce quartier14 : que ne leur fait-on point? On dit des injures, des mépris, des ru-

II. Elle aurait sollicité pour M. de Grignan, s'il y avait eu une promotion de l'ordre du Saint-Esprit. Il ne reçut la croix de cet ordre qu'en 1688. (Note de l'édition de 1818.) — Dans l'impression de 1754 '• « et je suis sûre qu'elle sera alerte sur les chevaliers. 21 Ce qui suit, jusqu'à la fin de la phrase, manque dans cette édition.

- 12. a Qui lui redonnent une âme et des forces, etc. » (Édition de 1754.)

i3. Ces premiers mots manquent dans l'édition de 1754, où la suite est ainsi modifiée : « On coupe la tête et la queue à cette vipère, u

14. Mme de la Fayette habitait vis-à-vis le petit Luxembourg. Ce trait ne s'appliquerait-il pas à Mademoiselle de Montpensier, qui était de plus en plus occupée du duc de Lauzun, prisonnier à Pignerol ? — Dans l'édition de 1754 : « à celles de ce quartier. »

ifiT9

desses , des cruautés, des querelles, des plaintes , des rages : et toujours elles remuent, on n'en sauroit voir la fin; on croit que quand on leur arrache le cœur, c'en est fait, qu'on n'en entendra plus parler : point du tout, elles sont encore envie, elles remuent encore. Je ne sais pas si cette sottise vous paroîtra comme à nous; mais nous étions en train de la trouver plaisante; on en peut faire souvent l'application.

Je suis fort aise 15 de vous voir disposée comme vous êtes pour Monsieur de Marseille ; eh, mon Dieu ! que cela est bien, et qu'il y a de noirceur et d'apparence d'aigreur à conserver longtemps ces sortes de haines! elles doivent passer avec les affaires qui les causoient, et point charger son cœur d'une colère nuisible en ce monde-ci et en l'autre. Vous en serez encore plus aimée de Mme de Vins et de M. de Pompone : cela les tirera d'un grand embarras. Tout ce qui fâche M. de Grignan, c'est que votre médecin ait eu plus de pouvoir que votre confesseur, car je compte qu'il est toujours homme de bien.

Voici des affaires qui vous viennent : je crois que vous allez à Lambesc u; ma chère enfant, il faut tâcher de se bien porter, de rajuster un peu les deux bouts de l'année qui sont dérangés, et les jours passeront : j'ai vu que j'en étois avare ; je les jette à la tête présentement. Je m'en retourne à Livry jusqu'après la Toussaint; j'ai encore besoin de cette solitude ; je n'y veux mener personne; je lirai, je tâcherai de songer à ma conscience; l'hiver sera encore assez long.

Votre pigeon est aux Rochers comme un ermite, se promenant dans ses bois ; il a fort bien fait dans ces états.

15. Cet alinéa ne se lit que dans notre manuscrit.

16. Voyez plus haut, p. 48, note 8.

1 (i 79

Il avoit envie d'être amoureux d'une Mlle de la Coste f7; il faisoit tout ce qu'il pouvoit pour la trouver un bon parti, mais il n'a pu. Cette affaire a une côte rompue 18j cela est joli. Il s'en va à Bodégat, de là au Buron19, et reviendra à Noël avec M. d'Harouys et M. de Coulanges.

Ce dernier a fait des chansons extrêmement jolies 20; Mesdemoiselles , je vous les enverrai 21. Il y avoit une Mlle Descartes 22, propre nièce de votre père 23, qui a de l'esprit comme lui; elle fait très-bien des vers. Mon fils vous parle, vous apostrophe, vous adore, ne peut plus vivre sans son pigeon; il n'y a personne qui n'y fùt trompé.

Pour moi, je crois son amitié fort bonne, pourvu qu'on la connoisse pour être tout ce qu'il en sait : peut-on lui en demander davantage?

Adieu, ma très-chère et très-aimable : je ne veux pas

17. Voyez la Notice, p. 2x2, et les lettres du 25 octobre suivant et du 17 novembre 1688.

18. Voyez la lettre du Ier avril 1671, tome II, p. 137. — Cette phrase manque dans l'édition de 1754*

19. Sur le Bodégat, voyez tome IV, p. 3o6, note 12; et sur le Buron , la Notice, p. 2x3, 214 et la note.

20. Nous avons déjà parlé de quelques chansons faites par Coulanges pendant son séjour à Vitré, d'une entre autres relative à la nièce de Descartes, qui est nommée dans la phrase suivante. Eu réponse aux trois couplets de Coulanges, elle en fit cinq, insérés dans le Recueil de chansons choisies de ce dernier, tome I, p. 202-205.

2 [. Ce dernier membre de phrase n'est pas dans l'édition de 1754.

22, Catherine Descartes, nièce du grand Descartes, était fille de Descartes, seigneur de la Bretallière, conseiller au parlement de Bretagne, et de dame Marguerite Chohan de Cockander; elle mourut de la pierre vers 1706. On disait à propos d'elle que l'esprit de son oncle était tombé en quenouille. On trouve plusieurs de ses poésies dans le Recueil de vers choisis du P. Bouhours. Voyez les lettres du 14 août 1680 et du 15 mai 1689. — Dans le texte de 1754 : « Il y avoit à Rennes une Mlle Descartes, etc. »

î3. Mme de Grignan étoit si zélée cartésienne, qu'elle appeloit Descartes son père. (Note de Perrin.)

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entreprendre de vous dire combien je vous aime; je crois qu'à la fin ce seroit un ennui. Je fais mille amitiés à M. de Grignan , malgré son silence. J'étois ce matin avec M. de la Garde et le chevalier : toujours pied ou aile de cette famille24

Mesdemoiselles, comment vous portez-vous, et cette fièvre qu'est-elle devenue? Mon cher petit marquis, il me semble que votre amitié est considérablement diminuée : que répond-il? Pauline, ma chère Pauline, où êtes-vous, ma chère petite ?

745. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSY RABUTIN.

Deux mois après que j'eus écrit cette lettre (no 728, tome V, p. 563), je reçus celle-ci de Mme de Sévigné.

A Paris, ce 24e octobre 1679.

JE suis persuadée que vous ne recevrez point cette lettre en Bourgogne, et je le souhaite, mon cher cousin; je l'écrisf au hasard. Ma nièce de Sainte-Marie m'a dit que vous veniez incessamment avec l'heureuse veuve. Je pensois qu'elle vînt seule, et je lui fis offrir le logement de ma fille ; mais j'ai bien aisément compris que vous ne vous sépariez non plus à Paris qu'ailleurs : vous ne sauriez être en meilleure compagnie.

J'ai perdu avec beaucoup de douleur celle de ma fille.

La pauvre femme partit le 13e du mois passé, avec une

24. La lettre se termine ici dans l'édition de 1754.

Lettre 745. — 1. Dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale : « je vous l'écris ; » quatre lignes plus loin : « que vous ne vous séparez ; » vers la fin de la lettre : « vous me remettrez en mon naturel. »

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santé assez délicate pour que j'en sois continuellement en peine. C'est l'état où je suis. J'ai passé beaucoup de temps à Livry : cette solitude me déplaisoit moins que la contrainte du monde et des visites. Je m'y en retourne encore passer la Toussaint, après quoi je reviendrai ici vous attendre : il me semble que c'est à peu près le temps que vous arriverez. Je suis si mal instruite des nouvelles, que je n'entreprendrai pas de vous en mander. Je vous écris tristement, mes pauvres enfants; vous me remettrez dans mon naturel. Je l'espère de vos aimables esprits; et en attendant, je vous embrasse tous deux de tout mon cœur.

746. - DE MADAME DE SE VIGNE AU COMTE ET A LA COMTESSE DE GUITAUT.

A Livry, 24E octobre.

Vous n'avez donc pas eu M. de Caumartin? Quelle raison vous a-t-il donnée pour ne point faire un voyage si naturel et si bien placé ? Il me semble que l'amitié qui est entre vous les devoit conduire tout droit à Epoisse.

Pour moi, Monsieur, je suis dans cette forêt solitaire et triste comme vous savez. J'ai quelque envie de tourner mon intention du côté d'une retraite, pour me préparer à la bonne fête de la Toussaint. Jusques ici j'en ai fait une caverne de larrons, c'est-à-dire un lieuf où j'ai passé plusieurs jours dans un horrible chagrin. Je voudrois bien faire de tout cela un sacrifice à Dieu, et l'offrir comme

LETTRE 746 (revue sur l'autographe). — 1. Mme de Sévigné avait d'abord écrit : rc un lieu triste, » puis elle a effacé le mot triste.

Neuf lignes plus loin, l'autographe porte : « qu'on a jamais, » sans ne.

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une pénitence : avec de telles vues on rendroit bon tout ce qui est mauvais. Cette comtesse me revient toujours au cœur et à l'esprit; elle a de cruels maux de jambes : c'est l'humeur de cette poitrine qui se jette là. Elle est toujours d'une maigreur qui me fait trembler; elle me cache la moitié de ses maux, et l'éloignement fait qu'on n'a jamais de repos. Elle vous demande de l'eau de SainteReine2; je crois que vous l'avez déjà envoyée; il faut croire qu'elle en a besoin. Ils sont présentement, selon mes supputations, à leur petite assemblée8. M. de Vendôme n'y va point encore cette année. Ils enterreront la synagogue; après cela je leur conseille bien de régler leurs affaires de si bonne manière, qu'ils puissent être à Paris comme les autres, et que ma fille ne soit occupée que du soin de rétablir sa santé, s'il est possible. N'êtes-vous pas de cet avis? J'ai été quelques jours à Paris. Je serai ici jusqu'après la Toussaint. On ne parle que de M. et de Mme de Ventadour6. Vous avez de trop bons correspondants ou correspondantes, pour se mêler de vous dire des nouvelles : ou vous viendrez en apprendre vous-même, ou l'on vous en contera cet hiver. Que je vous admire, et que vous êtes sage d'être chez vous, pour les raisons qui vous y font demeurer ! mais quand elles cessent, on a quelque plaisir à revoir ses amis. En vérité, vous êtes un des hommes du monde qui me convient le plus. Madame, voulez-vous bien que je le dise, et que j'avoue, comme il le disoit l'autre jour, que c'est un grand bonheur, ou un grand malheur, que nous ne nous soyons pas rencontrés plus tôt? Le bon abbé vous assure tous deux de ses respects; il se porte très-bien; son heure n'étoit pas mar-

2. Voyez tome V, p. 533, note i.

3. A l'assemblée de Lambesc. Voyez plus haut, p. 48, note 8.

4. Voyez ci-dessus, p. 52 et 53.

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quée; il faut jouir de cet été Saint-Martin que la Providence lui donne encore. Aimez-moi, je vous en conjure, puisque vous m'avez embarquée à vous aimer très-sincèrement.

747. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Livry, mercredi 25e octobre

JE suis ici, ma chère fille, toute fine seule : je n'ai pas voulu me charger d'un autre ennui que le mien : nulle compagnie ne me tente à commencer 2 sitôt mon hiver.

Si je voulois, je me donnerois d'un air de solitude; mais depuis que j'entendis l'autre jour Mme de Brissac dire qu'elle étoit livrée à ses réflexions, qu'elle étoit un peu trop avec elle-même, je veux me vanter d'être toute l'après-midi3 dans cette prairie, causant avec nos vaches et nos moutons. J'ai de bons livres, et surtout Montagne; que faut-il autre chose quand on ne vous a point? J'y ai reçu4 votre dernière lettre ; vous me croyez à Paris auprès du feu, et vous recevrez auprès du vôtre mes lamentations sur les fatigues de votre voyage : l'horrible chose que d'être si loin ! Mais on ne peut être plus étonnée que je l'ai été de vous voir avec M. et Mme de Mesmes5 ; j'ai cru que vous vous trompiez, et que c'étoit à Livry que vous alliez les recevoir. Les voilà qui m'écrivent donc d'une manière qui me fait comprendre qu'ils sont parfaitement contents de la bonne réception que vous leur avez faite :

LETTRE 747* — I. L'édition de 1734 date la lettre du 8 novembre.

2. « Pour commencer. » (Edition de 1754.)

3. « Toute l'après-dînée. » (Ibidem.)

4. « J'ai reçu ici. » (Ihidem.) - ,

5. Voyez tome II, p. 101, note 9, et p. 440, fin de la note 9.

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ils ont beaucoup d'envie de me voir; c'est la meilleure raison que j'aie pour m'en retourner incessamment.

Vous avez raison de supprimer la modestie de Pauline; elle seroit usée à quinze ans : une modestie prématurée et déplacée pourroit faire de méchants effets. Vous vous moquez de remercier Corbinelli du bien qu'il dit de votre esprit ; il le trouve seul au-dessus des autres ; et quand il en parle, c'est pour dire ce qu'il pense, et non pour vous plaire, ni vous donner bonne opinion de vous. Il vouloit l'autre jour vous mettre un mot dans ma lettre sur les politesses que vous disiez pour lui ; cela ne se rencontra pas ; ce sera pour mon retour. M. et Mme de Rohan ne trouvent pas l'invention, sur deux mille cinq cents pistoles qu'ils ont reçues des états, de lui faire un présent sous le nom du petit prince de Léon Il y a de plaisantes étoiles ; celle de Corbinelli est de mépriser ce que les autres adorent. Il est vrai que j'eus beaucoup de plaisir à les entendre, l'abbé du Pile7 et lui; ils étoient d'accord en bien des choses; il y en avoit de dures, sur quoi ils mâchonnoient; M. de la Rochefoucauld appelle cela manger des pois chauds8; ils en mangèrent donc, car dans cette forêt on conclut juste. Le gros abbé9 a commencé sa charge de gazetier ; ne vous incommodez point pour les réponses ; il a un style de gazette qu'il possède mieux que moi.

6. Nous avons vu que c'était Corbinelli qui avait négocié le mariage de la fille de Vardes avec le duc de Rohan : voyez plus haut, p. 24, note 20.

7. On lit du Pile dans les éditions de 1734 et de 1754. M. Grouvelle a pensé que c'était l'abbé de Piles, qui a écrit sur la peinture, et qui lui-même était peintre. Cet abbé était attaché à M. Amelot, qui se rendit célèbre par ses ambassades. Cette circonstance rendrait vraisemblable sa liaison avec Mme de Sévigné, qui allait souvent chez Mme Amelot. (Note de Fédition de 1818.)

8. Voyez plus haut, p. 43. — 9. L'abbé de Pontcarré.

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Pour votre frère, c'est un homme admirable; il n'a jamais pu se passer de gâter les merveilles qu'il avoit faites aux états par un goût fichu, et un amour sans amour, entièrement ridicule. L'objet s'appelle Mlle de la Coste; elle a plus de trente ans, elle n'a aucun bien, nulle beauté; son père dit lui-même qu'il en est bien fâché, et que ce n'est point un parti pour M. de Sévigné : il me l'a mandé lui-même; je l'en loue, et le remercie de sa sagesse. Savez-vous ce qu'a fait ensuite votre frère? Il ne quitte pas la demoiselle ; il la suit à Rennes, en basse Bretagne où elle va, sous prétexte d'aller voir Tonquedec : il lui fait tourner la tête; il la dégoûte d'un parti proportionné, auquel elle est comme accordée : toute la province en parle ; M. de Coulanges et toutes mes amies de Bretagne m'en écrivent, et croient tous qu'il se mariera. Pour moi, je suis persuadée que non; mais je lui demande pourquoi décrier sans besoin sa pauvre tête, qui avoit si bien fait dans les commencements? Pourquoi troubler cette fille, qu'il n'épousera jamais"? Pourquoi lui faire refuser ce parti, qu'elle ne regarde plus qu'avec mépris? Pourquoi cette perfidie? Et si ce n'en est point une, elle a bien un autre nom, puisque assurément je ne signerois point à son contrat de mariage. S'il a de l'amour, c'est une folie qui fait faire encore de plus grandes extravagances; mais comme je l'en crois incapable, je ferois scrupule, si j'étois en sa place, de troubler, de gaieté de cœur, l'esprit et la fortune d'une personne qu'il est si aisé d'éviter. Il est aux Rochers, me parlant de ce voyage chez Tonquedec, mais pas un mot de la demoiselle, ni de ce bel attachement : en général

10. Cette phrase manque dans l'édition de 1754, qui coirmence ainsi la phrase suivante : « Pourquoi faire refuser à la demoiselle ce parti, etc. a — Mlle de la Coste se maria neuf ans après : voyez la lettre du 17 novembre 1688.

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seulement ce sont des tendresses infinies et des respects excessifs. Voilà de ces choses que j'abandonne à la Providence; car qu'y puis-je faire? Je suis pourtant persuadée que tout cela ne sera rien : j'écris des lettres admirables, qui n'auront que l'effet qu'il plaira à Dieu.

Ne vous ai-je point parlé de cette Mlle de***11? Non, c'est à mon fils. Elle est donc mariée à M. de **, à qui, contre notre pensée, on a effectivement donné cent mille écus, cent mille écus bien comptés. Ils ont été éblouis de cette somme : ils sont avares; mais en même temps on leur a donné la plus folle, la plus dissipatrice, la plus ceci, la plus cela, qu'il est possible d'imaginer. Après avoir été habillée comme une reine à son mariage par son père, elle a jeté encore douze mille francs à un voyage qu'elle fit à Fontainebleau ; elle y entra dans le carrosse de la Reine; il n'y a pas de raillerie, elle donna cinquante pistoles aux valets de pied ; elle joua, et tout à proportion. Elle en revint enfin; voici le diantre : père et mère, navrés de douleur sur la dépense, vinrent pleurer chez Mme de Lavardin, qui les avoit avertis, maudissant l'heure et le jour de ce mariage12. Le mari vint ensuite, disant avec naïveté qu'il lui pleuvoit dans la bouche (remarquez bien cet endroit13) des lettres d'avis de tous côtés de la mauvaise conduite passée et présente de sa femme, qu'il étoit au désespoir. Mme de Lavardin rioit sous gorge, et conte tout cela fort plaisamment. Enfin, sans vous dire ses réponses ni ses conseils, voici la conclu-

II. Sur la marquise d'Alègre, femme du futur maréchal, dont il est ici question, voyez la lettre du 5 août 1684, et une addition de SaintSimon au Journal de Dangeau, tome X, p. 239.

12. « Père et mère, navrés de douleur sur la dépense, et maudissant l'heure et le jour de ce mariage, vinrent pleurer chez Mme de Lavardin, qui les avoit avertis. » (Édition de 1754.)

i3. a Remarquez bien ce mot. » (Ibidem.)

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sion : une belle et grande maison, qu'on avoit louée pour revenir cet hiver, est rendue, et le voyage d'Auvergne n'aura ni fin ni terme. Voilà une belle histoire dont vous vous souciez beaucoup, ma chère belle; c'est l'oisiveté qui jette dans ces sortes de verbiages.

4c 748. - DU COMTE PE BUSSY RABUTIN A MADAME DE SÉVIGNÉ.

., Le lendemain du jour que j'eus reçu cette lettre (no 745, p. 61), j'y fis cette réponse.

A Chaseu, ce 27e octobre 1679.

J'AI reçu votre lettre du 24e de ce mois, Madame, et j'en recevrai encore quelques-unes de Paris avant que je parte d'ici, car encore que j'aie reçu, il y a près de quinze jours, la permission que j'ai demandée au Roi, les affaires que j'ai ici m'y retiendront jusqu'au commencement de décembre. J'en ai à Paris, mais quand je n'en aurois point d'autre f que celles de ma fille de Coligny, je ne laisserois pas d'y aller. Comment avez-vous pu croire que je demeurasse seul dans mes châteaux? Pour moi, je vous plains extrêmement de ne pouvoir accompagner la belle Madelonne en Provence, et d'autant plus que vous l'avez laissée partir avec une méchante santé.

Je comprends bien que vous êtes mieux à Livry qu'à Paris. Dans le commencement de ces séparations, les gens que vous voyez dans le monde veulent que vous soyez toujours gaie et divertissante et n'entrent point dans les raisons de votre chagrin. Nous l'adoucirons, ma

Lettbe 748. — I. « Mais quand je n'y en aurois point d'autres. »

(Manuscrit de la Bibliothèque impériale. ) — Dans l'avant-dernière phrase de la lettre, ce manuscrit omet les mots : x comme vous. 11

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chère cousine, en le partageant avec vous. Cependant ne vous y laissez point trop aller, car outre que vous vous donneriez trop d'affaires, le chagrin est mortel à tout le monde, et surtout aux personnes qui, comme vous, ne sont pas nées pour être tristes.

Adieu, ma chère cousine : je vous assure que nous vous aimons tendrement, votre nièce et moi.

749» - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Livry, mercredi jour de la Toussaint.

Vous1 devriez avoir reçu la lettre que je vous écrivis de Pompone avec Mme de Vins, dans le même paquet2; mais vos orages ont tout dérangé. Que vous êtes excessifs en Provence ! tout est extrême, vos chaleurs, vos sereins, vos bises, vos pluies hors de saison, vos tonnerres en automne : il n'y a rien de doux ni de tempéré. Vos rivières sont débordées, vos champs noyés et abîmés, votre Durance a quasi toujours le diable au corps ; votre île de Brouteron très-souvent submergée. Enfin, ma fille, quand je songe à la délicatesse de la santé que vous opposez à tant de choses si violentes, je tremble ;

LETTRE 749. — 1. Dans l'édition de 1734, deux des paragraphes de cette lettre : le premier (moins la dernière phrase, que cette édition ne donne pas) et le quatrième, sont à la date du 10 octobre 1677 (voyez tome V, p. 348, note 15). Le commencement est un peu différent : « Vous devriez avoir reçu trois de mes lettres, ma chère fille; mais vos orages, etc. » A la cinquième ligne, cette même impression de 1734 supprime les mots : « vos bises, vos pluies hors de saison ; » deux lignes plus loin, elle donne : « vos champs noyés ou brûlés et réduits en cendre. »

a. Voyez la lettre du I3 octobre précédent, p. 47*

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et M. de Grignan, qui vous aime, ne tremble-t-il point aussi de tant d'inégalités 3 ? Pour moi, je ne puis me rassurer, voyant surtout que vous n'êtes pas disposée à recevoir le secours des remèdes les plus certains.

Je vis l'autre jour cette petite Mme de Nesmond 4 ; elle a été malade à l'extrémité de la poitrine; elle revient à vue d'œil avec du lait d'ânesse le soir et le matin; elle avoit une toux qui lui ôtoit la voix. Je ne vous dis pas d'en prendre, puisqu'il vous est contraire, qu'il vous dégoûte et vous déplaît; mais je me plains, comme d'un très-grand malheur, que vous soyez privée d'un si sûr et si salutaire remède. Je regrette toujours le temps où je n'étois fâchée que de votre absence ; mais quelle circonstance de craindre comme je fais, et de craindre ce que je crains !

J'ai eu soin de Mlle de Méri, autant que je l'ai pu avec ma solitude de Livry, qu'il a fallu me laisser un peu goûter. Elle n'est plus abandonnée, elle me le disoit l'autre jour, et même que sa santé n'est pas si déplorée.

M. et Mme de MoreuiP, Mme de Saint-Pouanges8, d'au-

3. a M. de Grignan, qui vous aime, n'est-il point effrayé aussi de cette grande inégalité? » (Edition de 1754.)

4. Marguerite de Beauharnois, fille unique de Mme de Miramion (voyez la lettre du 31 janvier 1689). Née en 1646, elle épousa en 1660 Guillaume de Nesmond, maître des requêtes, reçu en survivance de la charge de président à mortier au parlement. « Devenue veuve, dit Saint-Simon (tome I, p. 321), elle se fit dévote en titre d'office et d'orgueil, sans quitter le monde qu'autant qu'il fallut pour se relever sans s'ennuyer. Ce fut la première femme de son état qui ait fait écrire sur sa porte : Hôtel de Nesmond. On en rit, on s'en scandalisa, mais l'écriteau demeura et est devenu l'exemple et le père de ceux qui de toute espèce ont peu à peu inondé Paris.

C'étoit une créature suffisante, aigre, altière, en un mot une franche dévote, et dont le maintien la découvroit pleinement. »

5. Voyez une note de la lettre du 8 juillet i685.

6. Marie de Berthemet, fille de Laurent de Berthemet, maître des

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tres voisines, Mmes de Coulanges, Bagnols, Sanzei, tout cela tourne autour d'elle. Le chevalier en a soin aussi; pour moi, j'y ferai mon devoir assurément, dès que je serai à Paris : quand nous ne serions pas aussi proches que nous sommes, et que le temps et le christianisme ne donneroient point l'envie de la secourir, faudroit-il autre chose que de savoir que cela vous plait? c'en seroit assez pour faire mille fois davantage. Soyez donc en repos làdessus, ainsi que sur son état, qui est moins fâcheux qu'il ne l'étoit.

Je parlerai à M du Chesne de votre petit médecin, et nous lui ferons tuer quelques malades dans notre quartier7, pour voir un peu comme il s'y prend : ce seroit dommage qu'il n'usât pas du privilége qu'il a de tuer impunément8. Ce n'est pas que la saison ne soit contraire aux médecins. Le remède de l'Anglois, qui sera bientôt public ', les rend fort méprisables avec leurs saignées et leurs nlédecines f 0

comptes, femme de Gilbert Colbert, marquis de Saint-Pouanges, secrétaire des commandements et finances de la Reine, cousin du ministre et neveu du chancelier le Tellier. Voyez la lettre du 12 juin 1680.

7. « A qui nous donnerons dans notre quartier quelques malades à tuer. » (Édition de 1754.)

8. Voyez la réception d'Argan, dans le Malade imaginaire, IIIe intermède :

Dono tibi et concedo Virtutem et puissanciam occidendi Impune per totam terram.

9. Voyez tome V, p. 559, note I. — Avant d'être rendu public, le remède anglais fut communiqué au premier médecin de Louis XIV.

« Le Roi, convaincu de la bonté de ce remède, l'a acheté, et c'est un secret dont M. d'Aquin, premier médecin de Sa Majesté, est présentement possesseur. » (Mercure galant d'octobre 1679, p. 169.)

10. « Ce n'est pas que la saison ne soit contraire. Ce remède de

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Mon fils est tristement aux Rochers ; il dit que le premier soir, quand il se trouva tout seul dans mon appartement, avec les clefs de mes cabinets qu'on lui donna, il fut saisi d'une pensée si funeste, et cela ressembloit tellement à une chose qui arrivera quelque jour, qu'il se mit à pleurer comme quand le bon abbé recevoit Notre-Seigneur. Il m'assure fort qu'il n'épousera point la petite personne dont je vous ai parlé11 : tout le monde me mande pourtant qu'il y a de la ravauderie entre eux; il veut aller chez Tonquedec12, qui n'est qu'à deux lieues de la belle : toute la province en parle, et trouve sa conduite la plus mauvaise du monde. Il me persuade qu'il n'a point d'envie de faire une sottise; mais comme il est foible, et qu'il me mande tous les jours qu'il est différent de lui-même, qu'il est deux ou trois hommes tout à la fois, je lui dis que le plus sûr est de ne point s'exposer à voir cette fille chez elle ; qu'il est dangereux de tenter Dieu, qu'il ne faut qu'un malheur, et que pendant qu'un de ces hommes seroit pris pour dupe, l'autre maudiroit le jour et l'heure d'un si ridicule accouplement, mais qu'enfin il n'y auroit plus de remède : quoi qu'il puisse en être, je n'aurai rien sur mon cœur, puisque j'ai dit, en vérité, tout ce qui se peut dire là-dessus, et tous nos amis aussi. J'ai une extrême curiosité de savoir ce que répondra Mlle de Grignan sur la proposition qu'on vous doit faire. Ne les empêchez point, je vous prie, de me venir toutes deux sauter au cou, ni le petit marquis, ni Pauline; je les reçois et les embrasse de tout mon cœur. Pour M. de Grignan,

l'Anglois, qui sera bientôt public, rend les médecins fort méprisables, etc. h (Édition de 1754.)

II. Voyez la lettre du 25 octobre précédent, p. 66.

15. Tonquedec habitait probablement la terre dont il portait le nom; elle se trouve en basse Bretagne, près de Plouaret (Côtes-duNord, arrondissement de Lannion).

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je lui demande pardon du mal que j'ai dit de son pays ; je ne vois que des furies depuis que vous y êtes. Je lui ferai des excuses, quand il me parlera des beaux jours que vous aurez à Lambesc, et que j'ai admirés moi-même comme les autres. Je lui recommande sa chère femme.

750. - DE MADAME DE SÉVIGITÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Livry, jeudi au soir 2e novembre.

JE vous écris ce soir, ma très-chère, parce que j'ai envie d'aller demain1 à Pompone. Mme de Vins m'en prioit l'autre jour si bonnement, que je m'en vais la voir, et M. de Pompone, que l'on gouverne mieux en dînant un jour à Pompone avec lui, qu'à Paris en un mois. Vous voulez donc que je me repose sur vous de votre santé, et je le veux de tout mon cœur, s'il est vrai que vous soyez changée sur ce sujet i ce seroit en effet quelque chose de si naturel que cela fût ainsi, et votre négligence à cet égard me paroissoit si peu ordimaire, que je me sens portée à croire que cette droiture d'esprit et de raison aura retrouvé sa place chez vous. Faites donc, ma chère enfant, tout ce que vous dites : prenez du lait et des bouillons, mettez votre santé devant toutes choses; soyez persuadée que c'est non-seulement par les soins et par le régime que l'on rétablit une poitrine comme la vôtre, mais encore par la continuité des régimes ; car de prendre du lait quinze jours, et puis dire : « J'ai pris du lait, il ne me fait rien ; » ma fille, c'est se moquer de nous,

LETTRE y5o. — I. a Demain matin. » [Édition de 1754.) — Le texte de 1734 ne donne que la première phrase de cet alinéa, et reprend à : c On ne parle point encore, etc. s

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et de vous-même la première. Soyez encore persuadée d'une autre chose, c'est que sans la santé on ne peut rien faire; tout demeure, on ne peut aller ni venir qu'avec des peines incroyables : en un mot, ce n'est pas vivre que de n'avoir point de santé. L'état où vous êtes, quoi que vous disiez, n'est pas un état de consistance; il faut être mieux, si vous voulez être bien. Je suis fort fâchée du vilain temps que vous avez, et de tous vos débordements horribles ; je crains votre Durance comme une bête furieuse.

On ne parle point encore de cordons bleus2 : s'il y en a, je recevrai fort bien, mais tristement, M. de Grignan ; car enfin, s'il est obligé de revenir, je ne vois rien de plus mal placé que votre voyage : c'eût été une chose bien plus raisonna ble et plus naturelle que vous l'eussiez attendu ici'; mais on ne devine pas ; et comme vous observiez et vous consultiez les volontés de M. de Grignan, comme on faisoit4 autrefois les entrailles des victimes, vous y aviez vu si clairement qu'il souhaitoit que vous allassiez avec lui, que ne mettant jamais votre santé en aucune sorte de considération, il étoit impossible que vous ne partissiez, comme vous avez fait. Il faut regarder Dieu, et lui demander la grâce de votre retour, et que ce ne soit plus comme un postillon, mais comme une femme qui n'a plus d'affaires en Provence, qui craint la bise de Grignan, et qui a dessein de s'établir et de rétablir sa santé en ce pays.

2. Voyez tome V, p. 548, note 5.

3. a S'il y en a, et que M. de Grignan soit obligé de revenir, je le recevrai fort bien, mais fort tristement; car enfin, au lieu de placer votre voyage comme vous avez fait, c'eût été une chose bien plus raisonnable et plus naturelle que vous eussiez attendu M. de Grignan ici. D (Édition de 1754.)

4. cr Et comme vous observiez et consultiez les volontés de M. de Grignan, ainsi qu'on faisoit, etc. D (Ibidem.)

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Je crois que je ferai un traité sur l'amitié; je trouve qu'il y a tant de choses qui en dépendent, tant de conduites et tant de choses à éviter6 pour empêcher que ceux que nous aimons n'en sentent le contre-coup; je trouve qu'il y a tant de rencontres où nous les faisons souffrir, et où nous pourrions adoucir leurs peines, si nous avions autant de vues et de pensées qu'on en doit avoir pour ce qui tient au cœur : enfin je ferois voir dans ce livre qu'il y a cent manières de témoigner son amitié sans la dire, ou de dire par ses actions qu'on n'a point d'amitié, lorsque la bouche traîtreusement vous en assure6. Je ne parle pour personne; mais ce qui est écrit est écrit.

Mon fils me mande des folies, et il me dit qu'il y a un lui qui m'adore, un autre 7 qui m'étrangle, et qu'ils se battoient tous deux l'autre jour à outrance, dans le mail des Rochers. Je lui réponds que je voudrois que l'un eût tué l'autre, afin que je n'eusse point trois enfants; que c'étoit ce dernier qui me faisoit8 tout le mal de la maternité, et que s'il pouvoit l'étrangler lui-même, je serois trop contente des deux autres'. J'admire la lettre de Pauline : est-ce de son écriture ? Non ; mais pour son style, il est aisé à reconnoître : la jolie enfant ! Je voudrois bien que vous pussiez me l'envoyer dans une de vos lettres; je ne serai consolée de ne la pas voir que par les nouveaux attachements qu'elle me donneroit : je m'en vais lui faire réponse.

Je quitte ce lieu à regret, ma fille : la campagne est

5. a Je trouve qu'il y a mille choses qui en dépendent, mille conduites à éviter, etc. ; ï et deux lignes plus loin : « une infinité de rencontres. » (Édition de 1754.)

6. a Traîtreusement assure le contraire. » (Ibidem.)

7. k Un autre lui..II (Ihidem.)

8. « Qui faisoit. » (Ibidem.)

9. Le reste du paragraphe manque dans le texte de 1734.

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encore belle ; cette avenue et tout ce qui étoit désolé des chenilles, et qui a pris la liberté de repousser avec votre permission, est plus vert qu'au printemps dans les plus belles années ; les petites et les grandes palissades sont parées de ces belles nuances de l'automne dont les peintres font si bien leur profit; les grands ormes sont un peu dépouillés, et l'on n'a point de regret à ces feuilles picotées : la campagne en gros est encore toute riante ; j'y passois mes journées seule avec des livres; je ne m'y ennuyois 10 que comme je m'ennuierai partout, ne vous ayant plus. Je ne sais ce que je vais faire à Paris; rien ne m'y attire, je n'y ai point de contenance; mais le bon abbé11 dit qu'il y a quelques affaires, et que tout est fini ici : allons donc. Il est vrai que cette année a passé assez vite ; mais je suis fort de votre avis pour le mois de septembre; il m'a semblé qu'il a duré six mois tous des plus longs. Je vous manderai à Paris12 des nouvelles de Mlle de Méri. Je n'eusse jamais pensé que cette Mme de Charmes eût pu devenir sèche comme du bois : hélas !

quels changements ne fait point la mauvaise santé ! Je vous prie de faire de la vôtre le premier de vos devoirs ; après celui-là, ma fille, et M. de Grignan, auquel vous avez fait céder les autres avec raison, si vous voulez bien me donner ma place, je vous en ferai souvenir. Je suis bien heureuse 14 si je ne ressemble non plus à un devoir que M. de Grignan, et si vous pensez que c'est mon tour présentement à être un peu consultée Il. Adieu, ma

io. « Je ne m'ennuyois. » (Édition de 1754.)

II. « Je n'y ai point de contenance, j'y vais avec chagrin ; le bon abbé, etc. » (Ibidem.)

12. c En arrivant à Paris. » (Ibidem.)

i3. Voyez tome II, p. 332, note i.

14. « Je me trouve fort heureuse. » (Édition de 1754.)

15. Ce dernier membre de phrase : « et si vous pensez, etc., »

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chère enfant : je vous aime au delà de tout ce qu'on peut aimer.

751. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ ET DE CORBINELLI A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, mercredi 8* novembre.

DE MADAME DE SÉVIGNÉ.

J'ARRIVAI ici samedi, comme je vous l'avois mandé.

J'avois été dîner le vendredi à Pompone, où Mme de Vins reçut une lettre de vous. Nous causâmes fort sur votre sujet. M, de Pompone la gronda de ne vous avoir point parlé de lui dans ses lettres : ce fut une très-jolie querelle. Ils seront encore quinze jours à Pompone.

Pour moi, j'ai regretté Livry; j'ai coupé dans le vif; cette solitude me plaisoit, et les beaux jours qu'il fait encore m'offensent. Je vis en arrivant les deux Grignans et M. de la Garde; vous jugez bien de quoi nous parlons. Je fus le lendemain chez Mlle de Méri ; je la trouvai un peu mieux. J'ai vu du Ghesneet je ne sais par quel hasard il m'est tombé dans l'esprit de parler de votre santé : il vous aime, et je le trouve plus touché et plus appliqué que les autres. H est étonné de la manière dont tout votre corps est engourdi, avec des frémissements et des inquiétudes qui vous vont jusqu'au cœur : ce sont, dit-il, des sérosités et la vraie humeur du rhumatisme. Il voudroit que vous vous fissiez frotter quelquefois l'épine du dos avec de l'eau-de-vie et de l'huile de noix tirée sans feu, mêlées ensemble ; il dit que cela

n'est que dans le texte de 1754; mais la phrase qui termine la lettre n'est que dans celui de 1734.

LETTRE 751. — 1. Voyez ci-dessus, p. 14, note 11.

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■ ouvriroit les pores dans le lieu d'où les sérosités partent, et que vous en seriez soulagée. Il vous loue d'avoir quitté votre vieux lait; il vous conseille de prendre, à la place du lait, qui vous est contraire, bien des orges, des bouillons de poulet avec des semences froides; car si vous ne corrigez ce sang, vous en devez craindre des suites fâcheuses. Il vous conjure très-instamment de ne pas négliger l'eau de Sainte-Reine, et dit que vous savez bien ce que c'est. Cet article a été recommencé jusqu'à trois ou quatre fois. Du Cliesne croit aussi que le café précipite votre sang, qu'il l'échauffe, qu'il peut être bon à des gens qui n'ont mal qu'à la poitrine; mais que jamais il ne s'est ordonné dans la disposition où vous êtes, et qu'on en peut juger par votre maigreur, qui augmente à mesure que vous en prenez ; qu'il est à craindre que vous ne vous en aperceviez trop tard ; que la force que vous croyez que le café vous donne n'est qu'un faux bien, puisque cela vient du mouvement de votre sang, qui auroit besoin, au contraire, d'être calmé et adouci. Songez-y, ma fille, je ne fais précisément que vous répéter ce que du Chesne m'a dit avec beaucoup d'intérêt et d'amitié pour vous. Vous trouverez peut-être bien de l'ennui dans un si grand article ; mais le moyen de le supprimer? Mettez-vous à ma place, et voyez ce que je puis sentir et ce que je puis craindre. Vous aimez du Chesne : voilà ses avis, et ce qu'il m'a fait promettre de vous mander.

Vous êtes donc à Lambesc, ma chère enfant : une plus grande gloire vous a appelée plus avant en Provence. Je crains bien pour vous rexcès des compliments et des visites ; vous n'êtes guère en état de suffire à tout cela. On ne parle point du voyage du Roi dans les provinces, non plus que des cordons bleus : Sa Majesté n'en veut point faire, à cause de l'infinité de préten-

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dants. Ce que je vous dis vient de deux endroits assez sûrs; et tout de suite je vous ferai mille amitiés de M. de la Rochefoucauld et de Mme de la Fayette; Mmes de Lavardin et de Mouci ne vous en font pas moins. Je n'ai pas encore vu la marquise d'Uxelles. Le chevalier vous mandera les nouvelles. Je crois que le maréchal de Bellefonds ne relèvera point de la maladie dont il est accablé 2.

Vous êtes bjen contente de la douceur de Mlles de Grignan ; c'est un bonheur pour vous. Mais, ma fille, où avez-vous pris que vous fussiez un dragon? Quel plaisir prenez-vous à dire de ces sortes de choses? N'étiez-vous point d'accord de tout ce que je voulois faire? Ne passiez-vous point l'hiver en Bretagne, quand il le falloit?

les étés à Livry? Quelle difficulté faisiez-vous de vous ennuyer avec tranquillité comme les autres? Ah! ne souhaitez point d'être autrement que vous n'êtes, si ce n'est pour votre santé. Mais qui auroit jamais pu croire en ce temps-là que vous fussiez devenue délicate et maigre au point que vous l'êtes? Qu'avez-vous fait de Pauline? Je souhaite bien que vous l'ayez menée avec vous. Je fis lire sa lettre à Mme de Vins, qui en fut ravie, ainsi que ses oncles1 ; je vous dis que c'est une pièce achevée pour la naïveté.

Mme de la Sablière a bien pris le parti que vous estimez, Rompons, brisons les tristes restes 4.

2. Il fut guéri par le chevalier Talbot. Voyez la lettre du 24 novembre suivant. Il ne mourut que le 5 décembre 1604.

3. Le chevalier et l'abbé de Grignan.

4. Vers d'un chœur de l'Alceste de Quinault et Lulli, acte III, scène v : Rompons, brisons le triste reste De ces ornements superflus.

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Mme de Coulanges, que pensez-vous que je veuille dire? je pense comme vous. Mais Mme de Coulanges maintient que la Fare n'a jamais été amoureux : c'étoit tout simplement de la paresse, de la paresse, de la paresse; et la bassette a fait voir qu'il ne cherchoit chez Mme de la Sablière que la bonne compagnie. A propos, Mme de Villars n'a écrit uniquement, en arrivant à Madrid, qu'à Mme de Coulanges5 ; et dans cette lettre elle nous fait des compliments à toutes nous autres vieilles amies : Mme de Schomberg, Mlle de Lestrange, Mme de la Fayette, tout est en un paquet. Mme de Villars dit qu'il n'y a qu'à être en Espagne pour n'avoir plus d'envie d'y bâtir des châteaux. Vous voyez bien qu'elle ne pouvoit mieux adresser sa lettre, puisqu'elle vouloit mander cette gentillesse. La reine d'Espagne a fait mille tendresses à Mme de Saint-Chaumont4 en passant pays;

5. Le marquis de Villars avait passé en janvier 1679 de l'ambassade de Savoie à celle d'Espagne. La Gazette annonce sa nomination dans son numéro du 21 janvier, son retour de Turin à Paris dans celui du 8 avril, son départ pour l'Espagne dans celui du 27 mai.

Villars avait déjà été ambassadeur en Espagne en 1673, avant la déclaration de la guerre. — Mme de Villars écrivit plusieurs lettres à Mme de Coulanges pendant le dernier séjour qu'elle fit à Madrid.

Celles qui se sont conservées, au nombre de trente-sept, commencent au 2 novembre 1679, et finissent au 15 mai 1681. Elles sont nonseulement très-agréables à lire, mais encore très-curieuses, soit par les anecdotes qu'on y trouve au sujet du mariage de Charles II avec Marie-Louise d'Orléans, soit par le tableau que Mme de Villars y fait des mœurs du pays et des usages de la cour d'Espagne. (Note de Perrill.)

6. Suzanne-Charlotte de Gramont, sœur (du second lit) du maréchal de Gramont, veuve de Henri Mitte de Miolans, marquis de Saint-Chaumont. Elle fut préférée à Mme de Motteville pour la place de gouvernante des enfants de Monsieur. Ayant continué de correspondre avec Daniel de Cosnac, évêque de Valence, l'un des amis les plus fidèles de Madame Henriette d'Angleterre, elle encourut aussi la disgrâce de Monsieur, et fut remplacée par la maréchale de Clé-

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la maréchale de Clérembaut' n'a pas parlé depuis ce jour. On attend des nouvelles du mariage et de l'entrevue 8. On dit que la princesse d'Harcourt et la maréchale reviendront aussitôt, et que Mme de Grancey ira jusqu'à Madrid9. J'ai dit à Brancas que vous lui faisiez des compliments sur son deuil, et non pas sur son affliction 10. Il y a eu bien des gens noyés dans ce vaisseau du chevalier de Tourville, qui s'est sauvé à la nage H; je crois qu'un de nos chevaliers de Sévigné s'est noyé 12. Mon fils est en basse Bretagne; je pense que son amour ne va pas si loin. Adieu, ma très-chère : plût à Dieu que votre santé fût comme la mienne ! Je vous conjure de ne m'écrire qu'un mot de votre état, et un autre de votre amitié : laissez-nous vous conter des fagots; je sacrifie très-volontiers le plaisir de lire vos aimables lettres à celui' de savoir que vous ne vous épuisez point pour les écrire.

rembaut. Elle mourut le 31 juillet 1688. Voyez les Mémoires de Motteville, tome IV, p. 3o6. (Note de l'édition de 1818.)

7. Voyez tome III, p. 181, note i3, et sur la taciturnité de la maréchale, Saint-Simon, tome XIX, p. 427.

8. La cérémonie du mariage, ou, pour nous servir du terme consacré, de la seconde bénédiction, se fit incognito le 19 novembre, à Quintana Palla, petit village à trois lieues de Burgos, où la Reine était arrivée la veille de ce jour. Voyez la Gazette du 9 décembre.

9. Le prince et la princesse d'Harcourt, la maréchale de Clérembaut et Mme de Grancey (voyez tome III, p. 10, note 19) partirent de Burgos pour retourner en France. Voyez la Gazette du 9 décembre. Mme de Grancey ne profita pas de la permission qui lui avait été donnée d'accompagner la Reine jusqu'à Madrid.

10. Il avait perdu au mois d'octobre son frère Louis-François, duc de Brancas Villars , qui eut pour successeur de son duché son fils aîné Louis de Brancas. Voyez la Gazette du 14 octobre 1670.

II. Le Mercure galant (décembre, 1679, p. 53-75) contient un long récit du naufrage dont il est ici question, et qui eut lieu vers le milieu d'octobre. Tourville commandait le Sans-Pareil; il gagna à la nage et à grand' peine un canot, et fut recueilli par le vaisseau F Arcen-ciel, qui l'amena à Belle-Ile le 24 octobre.

12. Cette crainte était vaine : voyez tome IV, p. 241, note 22.

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DE CORBINELLI.

Vous voulez donc bien, Madame, que je vous dise ce que je vous ai toujours été, et ce que je vous serai toujours, soit à cause de vous, Madame, dont le mérite est infini, soit pour l'amour de Madame votre mère, que j'adore et qui vous adore.

DE MADAME DE SE VIGNE.

VOILA donc ce mot qu'il vouloit vous écrire, il y a trois semaines 13j croyez, sur ma parole, qu'il mérite votre estime. Nous venons de lire ce beau chapitre dont vous nous parlez ; nous le trouvons divin jusqu'à un certain endroit, où l'auteur se fait lui-même une difficulté si grande, qu'elle nous paroît, comme à lui, insurmontable, et dont il ne se tire que par beaucoup d'obscurité , que nous laissons à comprendre à ceux qui sont plus éclairés que nous.

7 5:2. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, vendredi 10e novembre.

HÉLAS! ma chère fille, je ne suis plus bergère; j'ai quitté avec regret l'unique entretien de vos lettres, de votre chère idée, soutenue de Louison, de nos vaches, de nos moutons, et d'un entre chien et loup dont je m'accommodois fort bien, parce que je ne cherche pas à m'épargner, ni à me flatter. Me voici dans le raffinement de l'hôtel de Carnavalet, où je ne trouve pas que je sois moins occupée de vous, que vos lettres me soient

i3. Voyez la lettre du 2 5 octobre précédent, p. 65.

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moins chères, ni que nulle chose du monde puisse faire diversion1 à la continuelle application que j'ai pour vous.

Je ne vous manderai plus guère de nouvelles, j'en sais peu; mais ce que je vous dirai, il sera bon, vient directement des bons endroits2. Vous me dites3, ma très-chère, que vous vous portez bien; Dieu le veuille! cela est bientôt dit. Je suis toujours étonnée que je puisse soutenir avec votre absence, l'inquiétude que j'ai de votre santé". Je ne veux point que vous m'écriviez de si grandes lettres : il faut que je sois bien persuadée du mal qu'elles vous font : sans cela il seroit bien naturel de souhaiter qu'elles fussent infinies; mais cette crainte arrête tout. Du Chesne me disoit l'autre jour que rien n'étoit pis 5 que d'écrire beaucoup. Ma fille, il faut que le temps vienne que vous écriviez moins, et que vous soyez en ce pays appliquée à vous guérir. Nous vous mettrons l'hôtel de Carnavalet en état de vous être commode ; le bon abbé y est disposé comme moi. Je voudrois bien que vous ne me dissiez point de mal de vous dans vos lettres, ni que vous les crussiez meilleures 6 que vos conversations en chambre ; je serois bien indigne de votre amitié, si j'avois cette pensée; j'en suis bien loin7 : je suis persuadée que vous m'aimez, et j'ai le même goût pour vous entendre, que tous ceux qui en sont le plus touchés. Ah! si vous saviez quel est le pouvoir d'une

LETTRE 752. — i. « Puisse faire une diversion. » (Édition de 1754.) 2. « Je n'aurai plus guère de nouvelles à vous mander, j'en sais peu; mais comme celles que je vous dis viennent assez directement des bons endroits, elles seront bonnes. î (Ibidem.)

3. a Vous m'assurez. » (Ibidem.)

4. Cette phrase ne se lit que dans le texte de 1734.

5. « Plus mauvais. » (Édition de 1754.)

6. « Et que vous ne crussiez point vos lettres meilleures, s (Ibidem.)

7. Ce membre de phrase n'est pas dans l'impression de 1754.

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seule de vos paroles, d'un regard, d'un retour, d'une douceur, et de quels pays lointains cela seroit capable de me faire revenir, vous verriez, ma belle, que rien n'est égal pour moi à votre présences. Votre dévotion du jour de la Toussaint vous a portée encore à me dire des choses qui m'ont attendrie d'une étrange manière. Que vous avez bien fait de fourrer dans votre litière tous vos petits enfants! la jolie petite compagnie! Si j'avois été du conseil, j'aurois bien opiné comme vous avez fait : vous le verrez par le conseil9 que je donne à Pauline dans la réponse toute régulière que je lui fais. Elle est aimable, elle ne peut jamais incommoder. Jouissez-en, ma fille, ne vous ôtez point toutes ces petites consolations : il y a tant de peines dans la vie, elle passe si vite; j'ai quelque plaisir de songer à celui que Pauline vous donne.

M. de la Rochefoucauld, Mme de la Fayette et Langlade parlèrent hier de M. de Grignan comme de l'homme du monde qu'ils souhaiteroient le plus de servir; ils n'y perdront pas les moments" ni les occasions.

On va voir, comme l'opéra, les habits de Mlle de Louvois ; il n'y a point d'étoffe dorée qui soit moindre que de vingt louis l'aune. La Langlée s'est épuisée pour joindre l'agrément avec la magnificence. M. de Mesmes a fait grand bruit de celle de Grignan; il en a écrit à M. de la Rochefoucauld.

8. <c N'égale pour moi votre présence. » (Édition de 1754.)

9. « Les avis. » (Ibidem.)

10. « Ils n'en perdront pas les moments, etc. D (Ibidem.)

II. Voyez la lettre 755, p. 99. — « Mlle de Louvois (à la messe du mariage, à Saint-Rocli) avoit une robe de velours noir toute garnie de diamants, avec une jupe de toile d'or. Son habit de toilette (après qu'elle fut rentrée) étoit à fond d'or et bleu, parsemé de Heurs incarnat entourées d'argent, et d'autres fleurs vertes entourées d'or, avec une jupe à fond or et argent, chenillée de couleur de feu et doublée d'une Bourdaloue incarnat et argent. Le lendemain, elle

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Je viens ici, ma fille, chez cette pauvre Mlle de Méri achever cette lettre, et fermer mon paquet. La voilà toute accablée de vapeurs et d'inanition, incapable d'écrire un mot ; elle dit que vous connoissez bien cet état : en vérité, elle est dans un épuisement qui fait pitié; je voudrois bien qu'on pût la soulager à force de soins : elle vous dit par moi tout ce qu'elle voudroit vous écrire, si elle pouvoit. Je viens de voir ce pauvre chevalier : il a mal au cou et à la cuisse, il est au lit; cette humeur de rhumatisme ne le quitte pas; de loin12 j'ai plus de pitié que les autres de cette sorte de mal ; je ne crois pas qu'il soit longtemps dans cette douleur", il sent courir ses sérosités; il lui faudroit présentement une bonne douche, si la saison le pouvoit permettre. Il m'a donné sa lettre pour mettre14 dans mon paquet : il faut avoir soin de ces pauvres infirmes. Tout le reste de Paris est enrhumé : Ils ne mouroient pas tous, mais tous étoient frappés15 , comme vous disiez, ma fille. Adieu, ma chère enfant : je vous embrasse tendrement, et toute votre grande et petite compagnie.

prit un habit brodé d'or avec un petit filet de vert. La doublure étoit d'une étoffe argent et couleur de feu; les manches de dessous garnies de diamants; la jupe à fond d'argent brodée d'or et couleur de feu.

Le jour suivant, elle changea encore d'habit, et en mit un tout de point d'Espagne sur un satin bleu et or. » (Mercure galant de novembre 1679, p. 3a3-326.)

12. Les mots de loin ont été supprimés par Perrin dans sa seconde édition (1754).

13. « Que ses douleurs durent encore longtemps. » (Édition de 1754.) — Immédiatement après, le texte de 1754 donne les, au lieu de ses : œ les sérosités. »

14. « Pour la mettre. » (Édition de 1754.)

15. Vers de la Fontaine dans la fable des Animaux malades de la peste (livre VII, fable 1).

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iC 753. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN*

J'AI été assez heureuse pour calmer les chagrins de Mlle de Méri sur son domestique. Je lui ai donné une fille, j'en ôte une autre; je me suis rendue la maîtresse, et je crois qu'elle aura quelque repos. La manière dont elle étoit frappée de cette tribulation ne se peut exprimer et marque bien sa maladie. Elle s'en portera mieux; je voudrois avoir autant de pouvoir sur sa santé.

Celle de M. de la Rochefoucauld doit être bien parfaite si la grâce et les faveurs du Roi, jetées à pleines mains, y peuvent contribuer. Sa Majesté a donné, sans y être priée, la survivance des deux charges au petit garçon, et le brevet de duc sur la terre de la Roche-Guyon, qui étoit éteint par la mort de M. de Liancourt2 ; enfin les fées ne savent plus que leur souhaiter. M. de la Rochefoucauld me l'écrivit promptement, de peur de l'oublier.

LETTRE 753 (revue sur une ancienne copie). — I. Ce fragment n'est point daté ; les tracas domestiques de Mlle de Méri (voyez les lettres du 22, du 24 et du 29, p. g3, 96 et 110), et le duché, etc., du fils aîné du prince de Marsillac (voyez la note suivante), lui marquent sa place, avec une très-grande probabilité, dans la petite lacune qu'offre ici la Correspondance entre le 10 et le 22 novembre.

2. La Gazette du r8 novembre annonce en ces termes ces faveurs accordées au petit-fils de la Rochefoucauld : « Le Roi a érigé en duché et pairie la terre de la Roche-Guyon, en Vexin, en faveur de François de la Rochefoucauld, comte de la Roche-Guyon. Il est fils aîné de François de la Rochefoucauld, prince de Marsillac, et de Jeanne-Charlotte du Plessis Liancourt, petite-fille et héritière de Roger du Plessis, marquis de Liancourt, en faveur de qui la terre de la Roche-Guyon avoit été érigée en duché-pairie en 1663. Le Roi a donné au duc de la Roche-Guyon la survivance des charges de grand veneur de France et de grand maître de la garde-robe, possédées par le prince de Marsillac son père. »

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754. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, ce 226 novembre.

JE m'en vais bien vous surprendre et vous fâcher, ma chère enfant1 : M. de Pompone est disgracié. Il eut ordre samedi au soir, comme il revenoit de Pompone, de se défaire de sa charge, qu'il en auroit2 sept cent mille francs, qu'on lui continueroit sa pension de vingt mille francs qu'il avoit comme ministre, et que le Roi avoit réglé toutes ces choses pour lui marquer qu'il étoit content de sa fidélité. Ce fut M. Colbert qui lui fit ce compliment, en l'assurant qu'il étoit au désespoir d'être obligé, etc.

M. de Pompone demanda s'il ne pourroit point avoir l'honneur de parler au Roi, et savoir de sa bouche quelle faute avoit attiré ce coup de tonnerre : on lui dit qu'il ne pouvoit point parler au Roi : il lui écrivit, lui marqua son extrême douleur, et l'ignorance où il étoit de ce qui pouvoit lui avoir attiré sa disgrâce3; il lui parla de sa nombreuse famille, il le supplia d'avoir égard à huit enfants qu'il avoit. Aussitôt il fit remettre4 ses chevaux au

LETTRE 754 (revue en très-grande partie sur une ancienne copie).

— 1. Dans l'édition de 1754 : œ Vous allez être bien surprise et bien fâchée, ma chère enfant. »

2. k On lui dit de la part du Roi qu'il en auroit, etc. » ( Edition de 1734.) — Dans le texte de 1764, toute cette phrase se lit ainsi : « Le Roi avoit réglé qu'il en auroit sept cent mille francs, et que la pension de vingt mille francs qu'il avoit comme ministre lui seroit continuée ; Sa Majesté vouloit lui marquer par cet arrangement qu'elle étoit contente de sa fidélité. »

3. « et apprendre de sa bouche quelle étoit la faute qui avoit attiré ce coup de tonnerre : on lui dit qu'il ne le pouvoit pas, en sorte qu'il écrivit au Roi pour lui marquer son extrême douleur, et l'ignorance où il étoit de ce qui pouvoit avoir contribué à sa disgrâce. » (Édition de 1754.)

4. « Il fit remettre aussitôt. » (Ibidem.)

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carrosse, et revint à Paris, où il arriva à minuit. M. de Pompone n'étoit pas de ces ministres sur qui une disgrâce tombe à propos, pour leur apprendre l'humanité, qu'ils ont presque tous oubliée; la fortune n'avoit fait qu'employer les vertus qu'il avoit, pour le bonheur des autres; on l'aimoit, et surtout parce qu'on l'honoroit infiniment6. Nous avions été, comme je vous ai mandé, le vendredi à Pompone, M. de Chaulnes, Lavardin6 et moi : nous le trouvâmes, et les dames, qui nous reçurent fort gaiement. On causa tout le soir, on joua aux échecs : ah ! quel échec et mat on lui préparoit à Saint-Germain !

Il y alla dès le lendemain matin, parce qu'un courrier l'attendoit ; de sorte que M. Colbert, qui croyoit le trouver le samedi au soir comme à l'ordinaire, sachant qu'il étoit allé droit à Saint-Germain, retourna sur ses pas, et pensa crever ses chevaux. Pour nous, nous ne partîmes de Pompone qu'après dîner; nous y laissâmes les dames, Mme de Vins m'ayant chargée de mille amitiés pour vous7. Il fallut donc leur mander cette triste nouvelle : ce fut un valet de chambre de M. de Pompone, qui arriva le dimanche à neuf heures dans la chambre de Mme de Vins : c'étoit une marche si extraordinaire que celle de cet homme, et il étoit si excessivement changé, que Mme de Vins crut absolument qu'il lui venoit dire la mort de M. de Pompone; de sorte que quand elle sut qu'il n'étoit que disgracié, elle respira; mais elle sentit son mal quand elle fut remise ; elle alla le dire à sa sœur. Elles partirent à l'instant; et laissant

5. Cette phrase ne se trouve que dans le texte de 1734.

6. Au lieu de ce nom, les deux éditions de Perrin portent : « Caumartin. »

7. Ce dernier membre de phrase : « Mme de Vins, etc., » n'est pas dans l'édition de 1754.

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tous ces petits garçons8 en larmes, et accablées de dou- ■ leur, elles arrivèrent à Paris à deux heures après midi, où elles trouvèrent M. de Pompone9. Vous pouvez vous représenter cette entrevue, et ce qu'ils sentirent, en se revoyant si différents de ce qu'ils pensoient être la veille.

Pour moi, j'appris cette nouvelle par l'abbé de Grignan; je vous avoue qu'elle me toucha droit au cœur. J'allai à leur porte vers le soir10 ; on ne les voyoit point en public, j'entrai, je les trouvai tous trois. M. de Pompone m'embrassa, sans pouvoir prononcer une parole; les dames ne purent retenir leurs larmes, ni moi les miennes : ma chère fille, vous n'auriez pas retenu les vôtres; c'étoit un spectacle douloureux ; la circonstance de ce que nous venions de nous quitter à Pompone d'une manière si différente, augmenta notre tendresse. Enfin je ne vous puis représenter cet état fi. La pauvre Mme de Vins, que j'avois laissée si fleurie, n'étoit pas reconnoissable, je dis pas reconnoissable ; une fièvre de quinze jours ne l'auroit pas tant changée; elle me parla de vous, et me dit qu'elle étoit persuadée que vous sentiriez sa douleur, et l'état de M. de Pompone; je l'en assurai.

Nous parlâmes du contre-coup qu'elle ressentoit de cette disgrâce; il est épouvantable12, et pour ses affaires, et pour l'agrément de sa vie et de son séjour, et pour la fortune de son mari; elle voit tout cela bien dou-

8. « Tous les petits garçons. » (Édition de 1734.)

9. Les mots : « où elles trouvèrent M. de Pompone, » manquent dans le texte de 1754, qui continue ainsi : « Vous pouvez vous représenter leur entrevue avec M. de Pompone. »

10. Dans l'édition de 1754 : « dès le soir. »

11. Cette phrase n'estpas dans la seconde édition de Perrin (1754).

12. Ces trois mots manquent également dans la seconde édition de Perrin, où la phrase se termine ainsi : a je vous réponds qu'elle voit tout cela bien douloureusement, s

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loureusement et le sent bien, je vous en assure. M. de Pompone n'étoit pas en faveur ; mais il étoit en état d'obtenir de certaines choses ordinaires, qui font pourtant rétablissement des gens : il y a bien des degrés au-dessous de la faveur des autres, qui font la fortune des particuliers. C'étoit aussi une chose bien douce de se trouver naturellement établie à la cour. 0 Dieu! quel changement ! quel retranchement ! quelle économie dans cette maison ! Huit enfants ! n'avoir pas eu le temps d'obtenir la moindre grâce,! Ils doivent trente mille livres de rente; voyez ce qui leur restera : ils vont se réduire tristement à Paris, à Pompone. On dit que tant de voyages, et quelquefois des courriers qui attendoient, et même celui de Bavière, qui étoit arrivé le vendredi, et que le Roi attendoit impatiemment, ont un peu contribué à ce malheur13. Vous comprendrez" aisément ces conduites de la Providence, quand vous saurez que c'est M. le président Colbert qui a la charge ; il est en Bavière; Monsieur son frère15 la fait en attendant, et lui a écrit en se réjouissant, et pour le surprendre, et" comme si on s'étoit trompé au dessus de la lettre : A Monsieur, Monsieur Colbert, ministre et secrétaire d'État. J'en ai fait mon compliment17 dans la maison affligée; rien ne pou-

i3. « ont un peu attiré ce malheur. » (Édition de 1754.)- Sur la disgrâce de Pompone, et sur le retard du courrier de Bavière, voyez les Mémoires de Saint-Simon, tome II, p. 324 et suivantes. — La nouvelle est annoncée en ces termes dans la Gazette du 25 novembre : « Le Roi a donné au sieur Colbert, président au mortier (voyez ci-dessus, p. 52, note 7), la charge de secrétaire d'Etat, vacante par la démission du sieur de Pompone. »

14. Dans les deux éditions de Perrin : « Mais vous comprendrez. »

15. a: Comme il est en Bavière, son frère, etc. » (Édit ion de 1754.) — Voyez plus loin, p. 96, note 17.

16. Ce dernier et ne se trouve dans aucune des deux éditions de Perrin.

17. Dans les deux éditions de Perrin : « mes compliments, v

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voit être mieux. Faites un peu de réflexion à toute la puissance de cette famille, et joignez les pays étrangers à tout le reste18 ; et vous verrez que tout ce qui est de l'autre côté, où l'on se marie19, ne vaut point cela. Ma pauvre enfant, voilà bien des détails et des circonstances; mais il me semble qu'ils ne sont point désagréables dans ces sortes d'occasions : il me semble que vous voulez toujours qu'on vous parle ; je n'ai que trop parlé.

Quand votre courrier viendra, je n'ai plus à le présenter ; c'est encore un de mes chagrins de vous être désormais entièrement inutile : il est vrai que je l'étois déjà par Mme de Vins; mais on se rallioit ensemble. Enfin, ma fille, voilà qui est fait, voilà le monde. M. de Pompone est plus capable que personne de soutenir ce malheur avec courage, avec résignation et beaucoup de christianisme20

Quand d'ailleurs on a usé comme lui de la fortune, on ne manque point d'être plaint dans l'adversité.

Encore faut-il, ma très-chère, que je vous dise un petit mot de votre petite lettre : elle m'a donné une sensible consolation, en voyant la santé 21 du petit très-confirmée, et la vôtre, ma chère enfant, dont vous me dites des merveilles; vous m'assurez que je serois bien contente si je vous voyois; vous avez raison de le croire.

Quel spectacle charmant de vous voir appliquée à votre santé, à vous reposer, à vous restaurer ! c'est un plaisir

18. a Et tout le reste. » (Édition de 1734.)

19. Du côté de Louvois. Voyez la lettre suivante.

20. Voyez la lettre du 6 décembre suivant, au comte de Guitaut. — La phrase qui suit se trouve seulement dans le texte de 1754.

21. Dans l'édition de 1734 : « une sensible consolation : j'ai vu la santé, etc. 1 Dans celle de 1754 : « une sensible consolation : vous m'apprenez que la santé du petit est bien rétablie, et vous me dites que je serois bien contente de la vôtre si je vous voyois ; ah! ma fille, n'en doutez point. Quel spectacle, etc. »

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que vous ne m'avez jamais donné. Vous voyez que ce n'est pas inutilement que vous prenez ce soin; le succès en est visible ; et quand je me tourmente de vouloir vous inspirer ici la même attention, vous voyez bien que j'ai raison22, et que vous êtes bien cruelle de vous traiter avec tant de rigueur. Quelle obligation ne vous ai-je point de soulager mes inquiétudes par le soin que vous avez de vous ! rien ne me peut être plus agréable, ni me persuader davantage l'amitié que vous avez pour moi.

Elle est telle que je renonce à vos grandes lettres pour avoir la satisfaction de penser que je ne vous ai point épuisée, et que je n'ai point échauffé cette pauvre poitrine. Ah ! je ne mets pas de comparaison entre le plaisir de lire vos aimables lettres, et le déplaisir de penser à ce qu'elles vous ont coûté.

Je vous prie de ne pas perdre cette eau des capucins23 que votre cuisinier vous a portée ; c'est une merveille pour toutes les douleurs du corps, les coups à la tête, les contusions, et même les entamures, quand on a le courage d'en soutenir la douleur. Ces pauvres gens sont partis pour s'en retourner en Egypte. Les médecins sont cruels et ont ôté au public des gens admirables et désintéressés, quifaisoient en vérité des guérisons prodigieuses.

Je leur dis adieu à Pompone. Faites serrer cette petite fiole, il y a des occasions où on en donneroit bien de l'argent.

J'ai reçu votre petite lettre par le mousquetaire ; elle

22. La lettre finit ici dans les deux éditions de Perrin, et tout ce qui suit ne se trouve que dans notre copie.

23. Voyez sur ces capucins la lettre du 27 septembre 1684, et les lettres des 5 novembre, 15 décembre 1684, Il avril et 13 juin i685.

Leur ordre avait des missions en Egypte. — Voyez aussi le Mercure galant d'octobre 1679 (p. 9), où il est parlé de a ces remèdes doux et bienfaisants qui rendent si fameux en France les capucins du Louvre. »

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est divine; vous ne l'avez pas sentie. Mlle de Méri est toujours agitée de son petit ménage ; j'y fais tout de mon mieux, je vous assure, et j'en ai de bons témoins. Tous les amis de mon petit-fils sont venus ici tout effrayés de sa maladie, M. de Sape, M. de Barrillon, Mme de Sanzei, Mlles de Grignan. J'ai mille baisemains à vous faire de Mlle de Vauvineux24. Je vous embrasse, les belles, et Monsieur votre père, et pour vous je n'ai point de paroles qui puissent vous faire assez comprendre combien je suis parfaitement et uniquement à vous. Le bon abbé vous assure de ses services.

Il s'est fait une belle confusion dans toutes les feuilles ; je n'y connois plus rien. Je crois que M. de Grignan sera aussi étonné que vous de la nouvelle du jour.

755. - DE MADAME DE SE VIGNE A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, vendredi 24e novembre.

MON Dieu ! ma très-chère, l'aimable lettre que je viens de recevoir de vous ! Quelle lecture ! et quel plaisir de vous entendre discourir sur tous les chapitres que vous traitez ! Celui de la médecine me ravit ; je suis persuadée qu'avec cette intelligence et cette facilité d'apprendre que Dieu vous a donnée, vous en saurez plus que les médecins : il vous manquera quelque expérience, et vous ne tuerez pas impunément1 comme eux ; mais je me fierois bien plus à vous qu'à eux pour juger d'une maladie. Il est vrai que

24. Sur Mlle de Vauvineux, voyez tome II, p. 74, note 5; et sur son prochain mariage avec le prince de Guémené, voyez la lettre à Mme de Grignan, du 6 décembre suivant.

LETTRE 755. — 1. Voyez plus haut, p. 71, note 8.

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ce n'est que de la santé dont il est question en ce monde2 : « Comment vous portez-vous? comment vous portezvous ? » Et l'on ignore entièrement ce qui touche cette science qui nous est si nécessaire : apprenez, apprenez, ma fille, faites votre cours ; il ne vous faudra point d'autre licence que de mettre une robe3, comme dans la comédie 4. Mais pourquoi nous voulez-vous envoyer votre joli médecin ? Je vous assure que les médecins sont6 fort décriés et fort méprisés ici ; hormis les trois ou quatre que vous connoissez, et qui conseillent l'Anglois 6, les autres sont en horreur. Cet Anglois vient de tirer de la mort le maréchal de Bellefonds. Je ne crois point que le premier médecin7 ait le vrai secret. Du Chesne n'a point de sous-médecins aux Invalides8* je vous l'ai mandé; je vous conseille donc très-sérieusement de garder votre médecin dans la province 9.

Il est donc vrai, ma fille, que vous êtes sans incommodité : point de poitrine, point de douleurs aux jambes, point de colique; cela est à souhait. Vous voyez ce que vous fait le repos, et le soin de vous rafraîchir; ne faut-il pas vous gronder, quand vous vous négligez, et que vous abandonnez inhumainement le soin de votre pauvre per-

2. CI Il est vrai qu'il n'est question que de la santé en ce monde. »

(Édition de 1754.)

3. Dans le texte de 1754 : « une robe rouge. D

4. Le Malade imaginaire, acte III, scène xxii. « BÉRALDE. En recevant la robe et le bonnet de médecin, vous apprendrez tout cela, et vous serez après plus habile que vous ne voudrez. »

5. a Mais pourquoi voulez-vous nous envoyer votre joli médecin? Je vous assure qu'ils sont, etc. » (Édition de 1754.)

6. Dans le texte de 1754 : « le remède de l'Anglois. »

7. D'Aquin. Voyez ci-dessus, p. 71, note 9.

8. L'hôtel des Invalides, commencé en 1671, venait d'être terminé cette année même (1679).

9. Toute cette phrase manque dans le texte de 1754.

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sonne ? Je parlerois dix ans sur cette maladie, et sur le

succès que vous voyez du contraire. Je voudrois bien vous voir, ma chère enfant, et vous retrouver les soirs10. Je rentre bien tristement dans cette grande maison 11 , depuis neuf heures jusques à minuit ; je n'ai pas plus de compagnie qu'à Livry, et j'aime mieux ce repos et ce silence que toutes les soirées que l'on m'offre en ce quartier : je ne saurois courir le soir. Je m'aperçois que quand je ne suis point agitée de la crainte de votre santé, je sens extrêmement votre absence. Votre poitrine est comme des morailles12, qui m'empêchent de sentir le mal de ne vous avoir plus; je tiens de vous cette comparaison; mais je retrouve bientôt ce premier mal, quand je ne suis pas bridée par l'autre. J'avoue seulement que je m'en accommode mieux que de l'horreur de craindre pour votre vie, et je vous fais toujours mille remerciements de m'ôter mes morailles.

Il en faudroit d'aussi dures que celles-là pour empêcher Mme de Vins de sentir vivement la disgrâce de M. de Pompone : elle y perd tout; je la vois souvent; le malheur ne me chassera pas de cette maison13.

M. de Pompone prendra bien son parti, et soutiendra dignement son infortune ; il va retrouver toutes ces perfections d'un homme particulier" qui nous le faisoient admirer à Fresnes16 On dit qu'il faisoit un peu négligem-

io. <r Que ne puis-je vous embrasser et vous retrouver ici les soirs! » (Édition de 1754.)

11. « Dans cette maison. D (lbidem.)

12. « Espèce de tenailles que les maréchaux mettent au nez ou à la lèvre d'en bas des chevaux, pour les empêcher de se tourmenter, lorsqu'on veut les ferrer ou leur faire le poil des naseaux et des oreilles. » (Dictionnaire de l'Académie de 1694.)

i3. Voyez la lettre du 6 décembre suivant, au comte de Guitaut.

14. « Toutes ces vertus d'une vie privée. » (Édition de 1754.)

15. Voyez tome I, p. 439, la fin de la note 3.

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ment sa charge, que les courriers attendoient : il se justifie très-bien ; mais, mon Dieu ! ne voyez-vous pas bien son tort? Ah! que la pauvre Mme du Plessis l'auroit aimé présentement ! quelle nouvelle liaison auroit fait cette conformité ! Rien ne pouvoit être si bon pour lui.

Je n'en ai fait aussi mes compliments qu'à Mme de Vins, m'entendez-vous bien? car je réponds à ma pensée, qui, je crois, sera la vôtre. Toute la cour le plaint, et lui fait des compliments"; vous lui allez voir reprendre le fil de ses perfections. Nous avons bien parlé de la Providence; il entend bien cette doctrine. Jamais il ne s'est vu un si aimable ministre. M. Colbert, l'ambassadeur" , va remplir cette belle place ; il est fort ami du chevalier ; écrivez à ce dernier toutes vos pensées : la fortune, toute capricieuse, voudra peut-être vous faire plus de bien 18 par là que par notre intime ami. Vous irez bien naturellement dans ce chemin par la route que je vous dis : pouvonsnous savoir ce que la Providence nous garde?

Je continue mes soins à Mlle de Méri. L'impression que fait dans son esprit le tracas de son petit domestique est une chose fort extraordinaire : elle me disoit qu'il lui semble, quand ils lui parlent19, qu'ils tirent sur elle, comme pour la tuer; elle en est plus malade que de ses maux ; c'est un cercle : sa colère augmente son mal, son mal augmente sa colère; somme totale, c'est une chose étrange : je ne songe qu'à la soulager un peu.

Corbinelli abandonne Méré 20 et son chien de style;

16. Voyez la note i de la lettre du 18 décembre suivant.

17. M. Colbert de Croissy, frère du contrôleur général, étoit alors en Bavière, pour y négocier le mariage de Monseigneur avec Marie-Anne-Victoire de Bavière. (Note de Perrin, 1754.)

18. « Plus de plaisir. » (Édition de 1754.)

19. a Quand ses gens lui parlent. D (Ibidem.)

20. Dans l'édition de 1754 : « le chevalier de Méré. » — Georges

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et la ridicule critique qu'il fait, en collet monté, d'un esprit libre, badin et charmant comme Voiture: tant pis pour ceux qui ne l'entendent pas. Il ne peut vous envoyer les définitions 21 : depuis trois mois, il n'a lu que le Code et Cujas. Il vous adore de vouloir apprendre la médecine; vous êtes toujours son prodige. C'en est un, en vérité, que la tranquille ingratitude de M. et de Mme de R** 22 ; vous en parlez fort plaisamment. Monsieur le Grand 28 et d'autres disoient l'autre jour très-

sérieusement à Saint-Germain, que M. de R** avoit fait un siége admirable : on crut que c'étoit une lecture où l'on avoit vu les grands R** dans les guerres civiles; non, c'étoit celui-ci, qui a fait un siège de tapisserie admirable24, que l'on voit dans la chambre de sa femme.

Mme de Coulanges a été quinze jours à la cour : Mme de Maintenon étoit enrhumée, et ne la vouloit pas laisser partir. Voici ce qui lui est arrivé 25 avec la comtesse de Gramont : cette dernière brûloit son beau teint à faire du chocolat ; elle voulut l'empêcher de prendre

Brossin, chevalier, marquis de Méré, né vers 1610, mort en 1685.

Voyez son discours de la Justesse, où il fait la critique de Voiture, à la suite des Conversations D. M. D. C. E. D. C. D. M. (du maréchal de Clérembaut et du chevalier de Méré), troisième édition, Paris, 1671, p. 289 et suivantes. — Sur le caractère, l'esprit, les œuvres de Voiture, sur la difficulté qu'il pouvait y avoir à l'entendre, voyez Madame de Longuevïlle par M. Cousin, tome I, p. i35 et suivantes.

21. CC Au reste, n'attendez pas sitôt les définitions que vous lui avez demandées. » (Edition de 1754.)

22. De M. et Mme de Rohan envers Corbinelli. Voyez la lettre du 25 octobre précédent, p. 65. — Dans les deux éditions de Perrin, on ne trouve que l'initiale R**. Les éditeurs suivants, à commencer par Grouvelle, ont mis à tort Richelieu, au lieu de Rohan.

î3. Le comte d'Armagnac, grand écuyer.

24. « Un siège admirable detajjisserie » [Édition de 1754.) a5. « Voici une querelle cp( £ e&|'jï'eœNt

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MAIE DE SÉVIGNÉ. tf.

1

cette peine; la comtesse dit qu'on la laissât faire, et qu'elle n'avoit plus que ce plaisir; Mme de Coulanges lui dit : « Ah ! ingrate 26 ! » Ce mot, dont elle auroit ri 27 un autre jour, l'embarrassa et la décontenança si fort, qu'elle ne s'en put remettre ; et depuis elles ne se sont pas saluées. L'abbé Têtu dit rudement à notre voisine : « Mais, Madame, si elle vous avoit répondu que la pelle se moque du fourgon, qu'auriez-vous dit? — Monsieur, dit-elle, je ne suis point une pelle, et elle est un fourgon. » Autre querelle, et plus de salut. Quanto et Y enrhumée2* sont très-mal; cette dernière est toujours parfaitement bien avec le centre de toutes choses29, et c'est ce qui fait la rage. Je vous conterois mille bagatelles, si vous étiez, ici.

Ah! ma très-chère, ne me dites point que je n'ai qu'à rire, puisque je n'ai que votre absence à soutenir; j'ai envie de dire : « Ah ! ingrate30 ! » N'êtes-vous pas la sensible et véritable occupation de mon cœur? Vous le savez bien, et vous devez comprendre aussi ce que c'est

26. Mme de Coulanges fait entendre par cette exclamation que l'on n'était pas persuadé de la cruauté de la comtesse de Gramont pour le Roi. Un passage de la procédure de la fameuse affaire des poisons confirme l'opinion que Mme de Coulanges venait de manifester. Le Sage, complice de la Voisin, après avoir accusé Mme de Polignac d'avoir cherche dans la négromancie des secrets propres à se défaire de Mlle de la Vallière, et à lui succéder dans l'affection du Roi, ajouta que cette dame, « sachant que Mme la comtesse de Gramont avoit le même dessein qu'elle dame de Polignac, de se bien mettre auprès du Roi, pria lui le Sage de ne rien dire pour ladite dame de Gramont, D c'est-à-dire de ne point prononcer de paroles magiques qui pussent être favorables à ses desseins. Interrogatoire de le Sage, du 28 octobre 1679. (Note de l'édition de 1818.)

27. « Dont la comtesse auroit ri. » (Édition de 1754.)

28. Mme de Maintenon.

29. Le Roi.

3o. Le texte de 1754 ajoute ici : « Ne vous souvenez-vous point de tout ce qu'elle me fait souffrir, cette absence? »

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que d'y joindre la crainte de vous voir malade, et dé- vorée par un air subtil, comme l'est celui de Grignan

Vous êtes injuste, si vous ne démêlez fort bien tous mes sentiments pour vous 32.

Langlade 83 m'est venu voir ce matin, et m'a donné part fort obligeamment de l'honneur qu'il aura dimanche d'être présenté et représenté au Roi par M. de Louvois : c'est encore un secret; voilà de ces avances qui sont agréables, et que notre bon d'Hacqueville ne savoit point ; il vous laissoit bravement apprendre ces choses34 par la Gazette. Langlade m'a priée de vous mander ceci de sa part, et qu'il ne souhaiteroit d'être heureux que pour vous faire venir des as noirs, et à M. de Grignan : sans raillerie, ce seroit un transport de joie pour lui, s'il pouvoit avoir quelque vue, faire souvenir, enfin contribuer à quelque chose qui vous fut agréable. C'est lui qui a fait le mariage qui se célébra hier magnifiquement chez M. de Louvois35. Ils y avoient fait revenir le printemps; tout étoit plein d'orangers fleuris, et de fleurs dans des caisses. Cependant cette balance qui penche si pesamment de l'autre côté présentement, avoit jeté un air de tristesse qui tempéroit un peu l'excès de joie qui auroit été trop excessif sans ce crêpe". N'ad-

31. La fin de cette phrase, depuis : « et dévorée, » ne se trouve que dans l'impression de 1754.

32. « Si vous ne démêlez sans peine mes sentiments tout naturels et tout pleins d'une véritable tendresse pour vous.» (Édition de 1754.)

33. Voyez tome ID, p. 337, note i5, et une note de la lettre du 18 septembre 1680.

34- « Ces sortes de choses. » (Édition de 1754.)

35. Madeleine-Charlotte le Tellier, fille de M. de Louvois, épousa le 23 novembre François duc de la Rochefoucauld et de la RocheGuyon, (fils du prince de Marsillac et) petit-fils de M. de la Rochefoucauld. (Note de Perrin, à la lettre du a a novembre précédent.)

-

36. Louvois avait espéré que Courtin, son ami et sa créature, serait pourvu de la charge rendue vacante par la destitution de Pom-

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mirez-vous point comme tout est mêlé en ce monde, et comme rien n'est pur, ni longtemps dans une même disposition? Je crois que vous entendez bien tout ce que je veux dire ; vraiment il y auroit longtemps à causer sur tout ce qui se passe présentement.

Adieu, ma très-chère belle. Je voudrois que Mme de Cauvisson vous donnât de son bonheur plutôt que de sa tête Celle de mon fils est en basse Bretagne ; je ne sais si l'un de ses lui Il est avec Mlle de la Coste; mais je suis persuadée, comme vous, que ce ne seroit pas trop des, trois. J'attends de ses nouvelles à la remise11 à Nantes. Le bon abbé est extrêmement enrhumé; tout le monde, l'est, hormis moi. Je me ferai saigner ce carême; vous m'en expliquez fort bien la nécessité. Le petit ne se guérira pas de la toux40, qu'avec du lait d'ânesse : c'est l'ordinaire de la rougeole d'affaiblir la poitrine; c'est pour cela que je tremblais U pour vous. Le chevalier42 est comme guéri. La Garde ne partira point que ses affaires ne soient tournées; mais aussi, dès qu'il pourra partir, rien au monde ne seroit capable de l'arrêter. Je vous embrasse, ma chère enfant, et ne desire rien plus fortement que de vous embrasser en corps et en âme.

pont; mais Colbert, plus adroit, l'avait fait donner à son frère. Voyez la lettre du 8 décembre suivant, p. 136. — Nous suivons le texte de 1734; celui de 1754 donne : c tempéroit un peu la joie, dont l'excès auroit été trop marqué sans ce crêpe. »

37. Sur les désespoirs de, Mme de Cauvisson à propos des choses les plus communes de la vie, voyez la lettre à Bussy, du ia juillet 1690.

38. Voyez la lettre du a novembre précédent, p. 75.

39. Terme de chasse. Voyez le commencement de la lettre du 28 septembre 1680, adressée à Bussy.

40: « Ne se guérira de la toux. » (Édition de 1754O

410 c Que j'en tremblois. » (Ibidem.) -� -

42. Cette phrase et la suivante ne sont données que par l'édition de 1754.

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y56. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, ce 2ge novembre.

Vous nous parlerez longtemps du malheur de M. de Pompone avant que nous vous trouvions à la vieille mode, ma très-chère : cette disgrâce est encore bien vive dans nos têtes; il est extrêmement regretté1. Un ministre de cette humeur, avec une facilité d'esprit et une bonté comme la sienne, est une chose si rare, qu'il faut souffrir qu'on sente un peu une telle perte. Je les vois souvent : je fus l'autre jour touchée de le voir4 entrer avec cette mine aimable, sans tristesse, sans abattement. Mme de Coulanges m'avoit priée de l'y mener; il la loua de s'être souvenue d'un malheureux; il ne s'arrêta point longtemps sur ce chapitre ; il passa à ceux qui pouvoient former une conversation3 ; il la rendit agréable comme autrefois, sans affectation pourtant d'être gai, et d'une manière si noble, si naturelle, et si précisément mêlée et composée de tout ce qu'il falloit pour attirer notre admiration, qu'il n'eut pas de peine à l'attirer, et même nos soupirs4. Enfin, nous l'allons revoir, ce M. de Pompone, si parfait, comme nous l'avons vu autrefois.

Le premier jour6 nous toucha : il étoit désoccupé, et commençoit à sentir la vie et la véritable longueur des jours; car de la manière dont les siens8 étoient pleins,

LETTRE 756 (revue sur une ancienne copie).— 1. Ce dernier membre de phrase a été supprimé par Perrin dans sa seconde édition (1754).

2. « Vous croyez bien que je vais souvent chez lui : je fus touchée l'autre jour de le voir, etc. » (Édition de 1754.)

3. ail passa à ce qui pouvoit former une conversation. » (Ibidem.)

4. « Qu'il n'eut pas de peine à y réussir. » (Ibidem.)

5. Dans les deux éditions de Perrin : a Ce premier jour, »

6. « Que les siens. » (Édition de 1754.) � -

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- c'étoit un torrent précipité que sa vie; il ne la sentoit pas'; elle couroit rapidement, sans qu'il pût la retenir.

Nous le disions encore à Pompone la dernière fois qu'il est sorti 8 secrétaire d'Etat; car vous savez que ce soir même9 il fut disgracié et déplacé. Je causai fort hier avec Mme de Vins : elle sentira bien plus longtemps cette douleur que M. de Pompone; je leur rends des soins si naturellement, que je me retiens, de peur que le vrai n'ait l'air d'une affectation et d'une fausse générosité : ils sont contents de moi. Enfin ipo ne sera plus que le plus honnête homme du monde : vous souvenez-vous de Voiture, en parlant de Monsieur le Prince Ii ?

Il n'avoit pas un si haut rang : Il n'étoit que prince du sang.

Voilà justement l'affaire. Mais il y a des contre-coups

7. Ce petit membre de phrase a été retranché dans l'impression de 1754.

8. « Qu'il en est sorti. s (Éditions de 1734 et de 1754.)

9. 0: Que ce jour même. J) (Édition de 1734.) — cr Que ce soir-là même. » (Édition de 1754.) -

10. a Enfin M. de Pompone, etc. » (Edition de 1754.)

II. « Qui dit en parlant de Monsieur le Prince. » (Ibidem.) — Dans la Réponse à l'épftre écrite à Mme la marquise de Montausier sur son nouvel accouchement: Du temps que Monseigneur le Prince Ne tenoit pas un si haut rang, Qu'il n'étoit que prince du sang, Que vainqueur de trois cents murailles, Et que gagneur de trois batailles, Voiture étoit aimé de lui.

— Au tome V, p. 55i,nous avons oublié de signaler une autre allusion à Voiture, qui dit au commencement d'un placet adressé-au cardinal Mazarin : Prélat passant tous les prélats passés, comme Mme de Sévigné en parlant de la Feuillade : « courtisan passant tous les courtisans passés. »

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plaisants dans cette disgrâce. Je disois que cela me faisoit souvenir de Soyecourt : Est-ce que je parle à toiU?

Mlle" de Méri se réveilla de son épuisement, pour dire une chose bien plus plaisante; c'est la chanson de la Bourdeaux14 qui tombe sur la Romère. Le monde, chère Agnès, est en vérité une étrange chose16. Lisez la fable des Animaux tG :

Sa peccadille fut trouvée un cas pendable, et le reste. Vous entendez fort bien tout ce que je dis et ne dis point. Enfin il en faut revenir à la Providence, dont M. de Pompone est adorateur et disciple; et le moyen de vivre sans cette divine doctrine? Il faudroit se pendre vingt fois le jour; et encore avec tout cela on - a bien de la peine à s'en empêcher. En attendant vos lettres, ma très-chère, je n'ai pu m'empêcher de causer un peu avec vous sur un sujet que je suis assurée qui vous tient à cœur1'.

12. M. de Soyecourt (dans notre ancienne copie, le nom est écrit, comme on le prononçait : « Saucourt ») étant couché dans la même chambre avec trois de ses amis, la fantaisie lui prit de parler fort haut pendant la nuit à l'un d'entre eux ; un autre, impatienté, s'écrie : « Eh, morbleq! tais-toi, tu m'empêches de dormir. » M. de Soyecourt lui dit : cr Est-ce que je parle à toi? » Ce conte parut si plaisant à Mme de Sévigné, qu'elle en fit depuis de fréquentes applications dans ses lettres. (Note de Perrin, à la lettre du q juin 1680.)

i3. Ce passage, jusqu'à : « et le reste, » ne se trouve que dans notre ancienne copie.

14. Voyez tome II, p. 471, note 10. — Il y a des couplets satiriques du temps sur la liaison de ces deux femmes.

i5. Voyez rÉcole des Femmes de Molière, acte II, scène vi.

16. Les Animaux malades de la peste, fable 1 du livre VII. — Mme de Sévigné a substitué jugée à trouvée.

17. « Ma chère fille, en attendant vos lettres, je n'ai pu m'empêcher de causer un peu avec vous sur ce sujet, etc. » (Édition de 1734.) — A la fin de la phrase, « à cœur N est le texte de notre ancienne copie; les deux éditions de Perrin donnent « au cœur. »

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Mme de Lesdiguières" a écrit à la mère Angélique de Port-Royal Il, sœur de ce malheureux ministre : elle me montra sa réponse 10; je l'ai trouvée si belle que je l'ai copiée, et la voilà. C'est la première fois que j'ai vu une religieuse parler et penser en religieuse. J'en ai bien vu qui étoient agitées du mariage de leurs parentes, qui sont au désespoir que leurs nièces ne soient point encore mariées, qui sont vindicatives, médisantes, intéressées, prévenues : cela se trouve aisément; mais je n'en avois" point encore vu qui fût véritablement et sincèrement morte au monde. Jouissez, ma très-chère, du même plaisir que cette rareté m'a donné. C'étoit la chère fille de M. d'Andilly, et dont il me disoit : « Comptez que tous mes frères, et tous mes enfants, et moi, nous sommes des sots en comparaison d'Angélique. » Jamais rien n'a été bon de tout ce qui est sorti de ces pays-là, qui n'ait été corrigé et approuvé d'elle ; toutes les langues et toutes les sciences lui sont infuses ; enfin c'est un prodige, d'autant plus qu'elle est entrée à six ans en religion. J'en refusai hier une copie" à Brancas; il en est indigne" ; et je lui dis : « Avouez seulement que cela n'est pas trop mal écrit pour une hérétique. » J'en ai vu

18. Paule-Françoise-Marguerite de Gondy, duchesse de Lesdiguières.

- 19. Madame Angélique de Saint-Jean Arnauld, abbesse de NotreDame de Port-Royal des Champs, morte le 29 janvier 1684, âgée de cinquante-neuf ans. (Note de Perrin, 1734.) Voyez le Nécrologe de Port-Royal, p. 48 et suivantes. — A la ligne précédente, le texte de 1734 donne : c a écrit une lettre. » — Le mot malheureux i&aî pas dans les deux éditions de Perrin. ---

ao, c Elle me montra la réponse qu'elle en avoit reçue. » (Edition de 1764.)

il. « Je n'en ai. » (Édition de 1734.)

ai. « Je refusai hier une copie de sa lettre.. (Édition de 1734*)

a3. Indigne est le texte de Perrin ; il nous a paru préférable a celui du manuscrit, qui donne indigné.

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encore plusieurs autres d'elle, et bien plus belles, et bien plus justes2" : ceci est un billet écrit à course de plume.

La mienne est bien en train de trotter.

J'ai été à cette noce de Mlle de Louvois : que vous dirai-je? Magnificence, illustration25, toute la France, habits rabattus26 et rebrochés d'or, pierreries, brasiers

24. On peut en lire une, fort austère, dans le Port-Royal de M. Sainte-Beuve, tome IV, p. 161, note I. En voici une autre, adressée à la duchesse de Luynes, et à laquelle convient parfaitement aussi tout ce que Mme de Sévigné vient de dire de la lettre à Mme de Lesdiguières. Nous la donnons d'après une copie du temps, conservée à la Bibliothèque impériale (Suppl. franc., n° 1565, in-fo.) : En novembre 1679.

Une personne morte au monde ne devroit pas, Madame, attendre l'honneur que vous lui faites, de la consoler sur une disgrâce du monde : c'est ce qui me rend plus obligée, Madame, à votre extrême bonté, qui fait au delà du précepte de pleurer avec ceux qui pleurent ; car vous compatissez même à ceux qui ne pleurent pas, puisqu'en effet de telles pertes ne méritent pas les larmes de ceux qui savent qu'il n'en faut répandre que pour pleurer ses péchés, ou les dangers de ceux qu'ils aiment, quand ils sont exposés par leur grande fortune à perdre le ciel pour la terre, ce qui n'arrive que trop souvent. J'ai été dans cette inquiétude pour mon frère depuis que je l'ai vu en une place où les ruines sont si fréquentes. Il n'est pas encore sauvé, mais ceci est pour lui une marque de salut, et ainsi c'est pour moi un commencement d'espérance qui me console.

Je ne prendrois pas la liberté, Madame, de vous parler de la sorte, si je ne savois pas que vous desirez d'apprendre le langage du royaume, de Dieu et que toutes choses vous aident à vous détromper de l'illusion du monde : on apprend à le connoître par les événements, et en même temps à le mépriser. La plus grande reconnoissance que je pourrois vous témoigner pour vos bontés, que je ressens si fort, seroit de vous obtenir de Dieu ce mépris du monde. Je souhaite d'en être digne, et de vous persuader, Madame, que personne ne vous honore davantage et n'est plus que moi, Madame, votre très-humble et très-obéissante servante.

2 5. Dans les deux éditions de Perrin : « illumination. »

26. Rabattus est la leçon du manuscrit. Dans Perrin, il y a rebattus.

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de feu et de fleurs, embarras de carrosses, cris dans la rue, flambeaux allumés, reculements et gens roués; enfin le tourbillon, la dissipation, les demandes sans réponses, les compliments sans savoir ce que l'on dit, les civilités sans savoir à qui l'on parle, les pieds entortillés dans les queues : du milieu de tout cela, il sortit quelques questions de votre santé, où ne m'étant pas assez pressée de répondre, ceux qui les faisoient sont demeurés dans l'ignorance et dans l'indifférence de ce qui en est : o vanité des vanités! Cette belle petite de Monchy a la petite vérole ; on pourroit encore dire : 6 vanité!

Je reçois votre lettre du 18e: c'étoit un samedi, c'étoit le propre jour de la disgrâce de ce pauvre homme28 ; tout ce que vous m'en dites29 me perce le cœur; quand je songe à cette chute, et combien vous êtes loin de la prévoir, je crains votre surprise. Comme il n'y a rien à ménager avec Mme de Vins, je lui montrerai comme vous sentiez ce souvenir obligeant de M. de Pompone.

Hélas! vous parlez du mariage de Monsieur le Dauphin, d'affaires étrangères, de ministère, et il faut parler de passer peut-être son hiver à Pompone ; car quoiqu'il dise que non, je crains que le monde ne l'importune. Il a beaucoup de piété; et si c'est ici le chemin de son salut, il ne perdra guère de temps à se jeter dans la solitude.

Quel malheur pour Mme de Vins ! et qu'elle le sent bien!

Il nous prit hier une peur, à Brancas et à moi, que ce Pompone, qu'il a aimé si démesurément, et qui a causé tous les péchés véniels, par un caprice qui arrive souvent

27. « A quoi. » (Édition de 1754.)

28. « C'étoit un samedi; hélas! ma très-chère enfant, c'étoit le propre jour de la disgrâce de M. de Pompone. » (Édition de 1734.) — c( C'étoit un samedi, et le propre jour, etc. » (Édition de 1754.)

29. <t Tout ce que vous me dites de lui. » (Édition de 1754.)

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ne lui soit insupportable présentementSo: cette trop grande liberté d'y être lui donnera du dégoût, et lui fera souvenir qu'il a contribué à son malheur Si Ne sera-ce point comme l'abbé d'Effiat, qui disoit, pour marquer son chagrin contre Véret, qu'il avoit épousé sa maîtresse32? Mais non, car tout cela est fou, et il est sage33.

Vous me parlez de votre homme de la Trappe, qui étoit votre recteur de Saint-Andiol54 : vous devez avoir eu de grandes conversations avec lui ; rien n'est plus curieux que de savoir d'original ce qui se passe dans cette maison. Le dîner que vous me dépeignez est horrible; je ne comprends point cette sorte de mortification; c'est une juiverie, et la chose la plus malsaine35. Ces capucins que je vis à Pompone en ordonnent partout : je ne sais pas si les pauvres gens savent les conséquences", mais ils ne croient rien de si salutaire ; ils disent qu'un peu d'esprit de sel dans ce qu'on boit chasseroit pour jamais toute sorte de néphrétique. Je crois que Villebrune" avoit senti la vertu de ce présent du ciel. En vérité, je ne suis point édifiée de cette sale mortification.

Vous me parlez toujours si bien du soin que vous avez

3o. « Que le séjour de Pompone. ne lui de-vienne insupportable par un caprice qui arrive souvent. » (Édition de 1754.)

3i. « Et le fera souvenir que ce Pompone a contribué à son malheur. ï (Ibidem.)

32. Voyez tome V, p. 254.

33. « Et M. de Pompone est sage. » (Édition de 1754.)

34. Dans les deux éditions de Perrin : « de votre homme de la Trappe. Quoi ! c'étoit votre recteur de Saint-Andiol ! jd

35. Dans les deux éditions de Perrin : œ Et la chose du monde la plus malsaine. » — L'édition de 1734, au lieu de juiverie, donne minerie; serait-ce une faute de copie ou d'impression pour moinerie?

36. <r En savent les conséquences. » (Éditions de 1734 et de 1754.)

37. C'étoit un ex-capucin qui se méloit de médecine. Voyez la lettre du 15 décembre 1675 (tome IV, p. 281, note 22). (Note de Perrin.)

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de votre santé, que je ne sais plus que vous dire. Dieu vous conserve cette attention dont vous sentez l'effet! Si vous en aviez eu ici une petite partie, nous aurions bien abrégé des discours. Celui que vous me faites de Mme de Coulanges, et de son chagrin contre la Fare, à qui elle fait la mine, disant qu'il l'a trompée38, seroit admirable à lui montrer, accompagné de l'envie que vous avez d'apprendre de ses nouvelles, si vous n'aviez point dit votre avis si franchement du goût de Mme de Yillars39 : cet endroit me fera cacher l'autre, qui l'auroit fort réjouie.

Je vous prie de me reparler d'elle, car elle ne cesse de me prier de vous faire mille compliments ; elle veut voir les endroits où vous parlez de votre santé ; elle y prend intérêt, et à son petit bon ami : il faut rendre tout cela. Je ne sais quelle disparate je vais faire, en vous disant que la Trousse n'est point encore revenu; je suis bien trompée, ou c'est un péché qu'il fait contre les idées de l'amour, des plus gros qu'il se fasse. Mon Dieu, qu'il y a de folies dans le monde ! Il me semble que je vois quelquefois les loges et les barreaux devant ceux qui me parlent; et je ne doute pas aussi qu'ils ne voient les miens.

Le bon abbé" est dans la sienne, c'est-à-dire sa loge, avec le plus gros rhume du monde ; cette longueur m'inquiète quelquefois ; il seroit bien planté aux Rochers ! Il comprend la dépense du souper; elle est considérable, surtout n'ayant point de maître d'hôtel qui sache mé-

38. Mme de Coulanges ne pardonnait pas à la Fare d'avoir préféré la bassette à Mme de la Sablière. (Note de l'édition de 18 18.) Voyez la lettre 751, p. 79 et 80 de ce volume, et plus loin, celle du

24 janvier 1680.-

39. cr Si vous n'aviez point dit si franchement votre avis du goût de Mme de Villars pour elle. » (Édition de 1754.)

40. Cette phrase sur le bon abbé n'est pas dans le texte de 1754, et la fin de l'alinéa, à partir de : a il comprend la dépense, D ne se trouve pas ailleurs que dans notre manuscrit.

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nager ces seconds repas. Le bon abbé vous conseille de mettre un peu haut la pension des gens, afin de vous récompenser un peu par ce moyen. Vous n'en avez d'autre, et cette dépense d'un souper n'est pas médiocre. Envoyez vos mémoires et il croit qu'il vous enverra sans difficulté la quittance de M. Chapin41. Il voudroit bien savoir comme vont vos affaires avec M. le Blanc, quand vous aurez reçu vos cinq mille francs: c'est à M. de Grignan à faire entendre cette affaire à M. Colbert.

Je ne crois pas que je ne pleure, quand je verrai ce courrier chargé de dépêches pour M. de Pompone. Je rencontrai avant-hier des chariots chargés de ses meubles, qu'on ramenoit de Saint-Germain; cela me fit encore une émotion : enfin, ma très-chère, vous comprenez bien cette déroute ; j'ai peine à m'y accoutumer42.

Je n'aime point à perdre des lettres ; celle qui est perdue , c'est celle du 4e octobre, que je vous écrivis de Livry 41 en allant à Pompone, la veille de mon retour à Paris. Je souhaite qu'il ne m'arrive point la même chose des vôtres : elles me sont extrêmement nécessaires44 ; vous ne devez pas être si curieuse des miennes, car je vous assure que ma santé est parfaite. Je me vais purger46 bientôt, pour prendre cette petite eau par contenance, et pour l'amour de vous. Vous faites un compliment très-

41. Est-ce ce nom de Chapin ou celui de Chapuis (qu'on trouvera dans la lettre du 25 niai suivant) qui a été altéré par les copistes ?

42. a Enfin, ma très-chère, vous comprenez bien la peine que j'ai à m'accoutumer à cette déroute. » (Édition de 1754.)

43. Nous avons plus haut, p. 32-36, une lettre datée de Livry, le 4e octobre. Elle avait apparemment été retardée.

44. Dans l'édition de 1754, on lit simplement : cr Je n'aime point à perdre des lettres; les vôtres surtout me sont extrêmement nécessaires..

45. « Je me purgerai. » (Édition de 1754.)

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juste à Corbinelli; on ne peut pas lui renvoyer plus plaisamment ses paroles. Il auroit beaucoup à dire sur la petite raie que vous avez faite; et si le hasard veut que ce chapitre se traite quelque jour, il est persuadé que vous l'effacerez46 ; cependant l'avenir n'est que trop assuré, et par la perte qu'on a faite, et par la force de ce lien, que vous aimez l'un et l'autre, et qu'il sait" mieux que personne la justice que vous faites en redonnant dans votre estime la place qu'on y avoit autrefois4 8. Il seroit avantageux que vous sussiez tout ce que nous disons souvent de vous ensemble.

Disons un mot49 de Mlle de Méri : elle n'est pas si mal, mais son ménage est une étrange chose. Cette femme de chambre que je lui avois donnée, et qui a été quatre ans chez Mme de Sanzei, va la quitter de son consentement. Une cuisinière a la même destinée. Nous vîmes hier, le chevalier et moi, chez elle une fille, qu'on lui présente pour la chambre, qui est assurément douée de toutes sortes de perfections : elle s'appelle Thérèse premièrement, et elle est tout à fait comme il faut. Nous fumes tous trois ravis, on en trouvera une pour la cuisine.

A propos, j'ai Françoise, votre filleule, à la mienne; je trouve que Marie et elle c'est justement César et Laridon50 : l'une hante les parquets, et l'autre la cuisine.

Mlle de Méri veut aussi une maison en ce quartier.

J'ai trouvé, sans l'avoir cherché, un appartement bas,

46. « Que vous effacerez cette raie. » (Édition de 1754.)

47. « Et qui sait. » (Éditions de 1734 et de 1754.)

48. Ce passage est relatif à la froideur que Mme de Grignan avait eue pendant quelque temps pour Corbinelli. Voyez ci-dessus, p. 6

4g. Cet alinéa et les deux suivants manquent aux deux éditions de Perrin, et ne se trouvent que dans notre manuscrit.

5o. Voyez la fable xxrv du livre VIII de la Fontaine, lédu- cation.

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parqueté, sur le derrière de la maison, le plus joli du monde. C'est vis-à-vis des Filles bleues61, une porte cochère, une cour, un petit jardin. C'est une maison qui est à M. et Mme de Cailly, notre défunte cousine. Il y loge et n'est jamais à Paris; il est honnête et joli, et ne songeroit qu'à lui plaire. Sur le devant est une femme âgée, réglée, posée, qui ne peut jamais l'incommoder.

Quelle rue! quel quartier! et le tout pour cent écus!

C'est pour Noël; demandez au chevalier si je mens; c'est pour Pâques qu'elle le voudroit, mais laisse-t-on échapper de telles occasions ? Quelquefois on méprise ce qui se trouve si aisément.

Voici une autre affaire. Nous étions les trois Grignans, y compris la Garde, hier au soir chez Mme de Pompone. Ils furent bien contents de la contenance de M. de Pompone : il ne s'y peut rien souhaiter. Nous parlâmes de ce maître d'hôtel : ma fille, il faut qute vous le preniez ; c'est un homme à ne pas laisser prendre à d'autres: Depuis quatre ans M. de Pompone n'a pas trouvé sujet de lui faire la moindre réprimande. C'est un homme qui fait paroître et valoir la dépense, et qui conduit et règle tout avec un sens et une économie admirable. Enfin M. de Pompone vous conjure de le prendre sur sa parole. M. de Grignan et le bon abbé en sont d'avis; ainsi j'ai prié M. de Pompone de l'engager : c'est un coup de partie pour vous. Vous me direz : « Que ne le garde-t-il ? » ah ! c'est qu'ils veulent leur valet de chambre, et que leurs biens ne comportent plus de tels appointements; mais vous donnez cent écus à Regnaut; ah, bon Dieu! quelle comparaison!

J'ai votre tome de Montagne ; je ne savois à qui c'étoit.

Je vous le renverrai tout marqué à l'endroit du maréchal

5i. Voyez la lettre suivante, p. 116, et tome V, p. 347, note 7*

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- de Montluc82. C'est le Mémorial de Grenade" que l'abbé vous demande, et non pas les Juifs.

Adieu, ma très-chère et très-aimable : Dieu vous conserve ! quel miracle que vous n'ayez point pris cette rougeole ! c'est un mal terrible pour la poitrine : il faudra du lait à votre fils54. Mme de Mesmes66 est arrivée; j'y courus hier ; elle me dit des mervèilleS de vous, de votre époux et de vos enfants", de votre château, de votre bonne chère, de votre musique, de votre honnêteté, de votre bonté, de votre bon air67, et quasi de votre santé; mais c'étoit pour me plaire. Je68 suis à vous, ma chère fille; je vous aime de tout mon cœur; cela est bien simple, mais il est bien vrai. Mille amitiés de Mme de la Fayette. La petite femme68 est à l'hôtel de Liancourt; je crois qu'ils sont bien étonnés d'être obligés de faire tant de façons; toutes les Lucrèces de cette

52. Voyez ci-dessus, p. 41, la note 19 de la lettre 739.

53. Le Mémorial de la vie chrétienne, par le P. Louis de Grenade, religieux dominicain, ainsi nommé de la ville où il était né en i5o5, prédicateur célèbre et l'un des plus grands écrivains ascétiques de l'Espagne. Son Mémorial avait paru à Lisbonne et à Salamanque en 1566; une traduction française par Girard, conseiller du Roi en ses conseils, avait été publiée à Paris, en 1660. — Les Juifs sont probablement l'Histoire des Juifs de Josèphe, traduite par Arnauld d'Andilly, dont il a été souvent parlé plus haut.

54. Ce dernier membre de phrase n'est pas dans l'édition de 1734.

55. Sur Mme de Mesmes, qui jusqu'à la mort de son beau-père s'était appelée Mme d'Avaux, voyez tome II, p. 440, note 9.

56. Dans les deux éditions de Perrin : « de votre mari, de vos enfants. »

57. Les mots : « de votre honnêteté, de votre bonté, » ne sont que dans notre manuscrit. Les mots <r de votre bon air » manquent dans l'impression de 1734.

58. Cette phrase n'est pas dans l'édition de 1754, et ce qui suit, jusqu'à : « Gardez-vous, etc., » ne se trouve que dans notre manuscrit.

5g. Mlle de Louvois, qui, comme nous l'avons dit, venait d'épouser le duc de la Roche-Guyon, fils du prince de Marsillac.

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maison étoient un peu au grenier. Nous verrons comme ils s'accommoderont de ce changement de théâtre. Elle a toutes les petites manières douces de Monsieur de Reims80, dans un accablement qui la [rend 61] incapable des petits détails. C'est un tourbillon que sa chambre.

Ainsi je me tiens à la bonne le Moine. Madame y étoit malade : c'est d'où vient tout le mal; elle se porte bien et réparera tout.Nous avons lu et relu votre mémoire : c'est une pièce achevée; il ne falloit pas moins de paroles; le laconique seroit fort dangereux en pareille occasion. Votre mémoire est emporté, et serré, suivi, et vous sera renvoyé, et tout ira bien sur ma parole. Gardez-vous bien de me faire des réponses de la longueur de mes lettres ; songez, ma très-chère, que je n'ai de commerce qu'avec vous.

Mon fils est en basse Bretagne, chez Tonquedec; il vient, et depuis un mois je ne lui ai pas écrit62. Je ferai réponse à Mlle de Grignan. J'embrasse tout ce qui est autour de vous, et Pauline ; Mme de Mesmes la trouve bien jolie; de Mesmes n'est pas encore revenu". Ah!

que Mlle de la Bazinière64 est mignarde66 !

60. Son oncle, l'archevêque de Reims.

61. Nous avons ajouté ce mot; il manque ici un verbe dans notre ancienne copie. La fin du paragraphe, depuis : « Ainsi je me tiens, etc., î n'est pas facile à comprendre. Nous reproduisons exactement le texte du manuscrit.

62. Ce dernier membre de phrase n'est pas dans le texte de 1754, et la petite phrase qui suit ne se lit que dans notre manuscrit.

63. a M. de Mesmes n'est pas encore arrivé. » (Édition de 1754.) 64. Marie-Anne de la Bazinière (Bassignire, dans notre manuscrit), sœur de Mme de Mesmes. Elle épousa le comte de Nancré, de la maison de Dreux, lieutenant général, gouverneur de Longwy et d'Arras. Voyez la lettre du 28 octobre 1671, tome II, p. 4oi, note 5, et la lettre du 24 janvier suivant. — Sur son père, voyez la lettre du 8 novembre 1688.

65. Cette dernière phrase manque dans l'édition de 1754.

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757. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, vendredi ier décembre.

VRAIMENT oui, ma fille, je vous la donne cette jolie écritoire, et c'a toujours été mon intention. J'attendois que vous l'eussiez approuvée pour vous déclarer ce présent. L'abbé jure qu'il l'a pensé ainsi, et que s'il l'avoit mis par mégarde sur un petit mémoire de votre dépense qu'il vous a envoyé, vous y fassiez promptement une grande ligne qui l'efface entièrement4. Ce sera donc l'écritoire de ma mère : elle est assez jolie pour me donner l'ambition que vous la nommiez ainsi, et d'autant plus que vous m'assurez que vous n'en faites point un poignard 2.

Je n'aime point, ma très-chère, que vous soyez fâchée de m'avoir mandé l'état de votre fils quand il étoit mal ; et le moyen de cacher une telle chose? Je haïrois cette dissimulation extrême, et la plume me tomberoit des mains; et le moyen de parler d'autre chose que de ce qui tient au cœur à ce point-là? Pour moi, j'en serois incapable, et j'honore tant la communication des sentiments à ceux que l'on aime, que je ne penserois jamais à épargner une inquiétude, au préjudice de la consolation que je trouverois à faire part de ma peine à quelqu'un que j'aimerois'. Voilà mes manières, voilà l'hu-

LETTRE 757. — I. A En sorte que s'il l'avoit mis par mégarde sur le petit mémoire de dépense qu'il -vous a envoyé, il vous prie de l'effacer entièrement. » (Édition de 1754.)

2. C'est-à-dire que Mme de Grignan promettait de ménager sa santé, en écrivant moins qu'elle ne faisait ordinairement. Voyez la lettre du 29 décembre suivant.

3. c Et j'honore tant la communication des sentiments, que je ne penserois jamais à épargner une inquiétude à quelqu'un que j'aime-

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meur de ma mère ; je vous prie que ce soit Vhumeur de ma fille, et de ne vous point repentir de m'avoir fait sentir vos douleurs4, puisque vous m'avez aussi fait sentir votre joie; et n'est-ce pas là le vrai commerce de l'amitié ? Ah ! oui, ce l'est, et je n'en connois point d'autre.

M. et Mme de Pompone et Mme de Vins sont allés à Pompone (mon Dieu ! je crains cet abord pour eux), où ils trouveront5 cinq garçons tout d'une vue, et cette maison où il n'a que trop de temps et trop de loisir pour demeurer : il me semble que c'est une grande tristesse que de revoir tout cela. J'ai envoyé vos lettres; vousavez très-bien fait de les écrire. La petite femme1 est à cet hôtel de la Rochefoucauld, toute gaillarde et toute drue; si elle ne se polit avec tant de polisseurs et de polisseuses, il faudra conclure que l'éducation est une fable de la Fontaine7

Que dites-vous 8 de l'occasion d'un joli appartement dans cette rue 9, que Mlle de Méri va laisser échapper par ses irrésolutions. M. de la Trousse, qui vient d'arri-

rois, au préjudice de la consolation que je trouverois à lui faire part de ma peine. » (Édition de 1754.)

4. « Et de n'avoir poiut de regret aux douleurs que vous m'avez fait sentir. s (Ibidem;)

5. « sont allés à Pompone; mon Dieu! je crains cet abord pour eux : ils y trouveront, etc. x (Ibidem.)

6. Mme de la Roche-Guyon, fille de Louvois.

7. C'est la fable xxrv du livre vm. Mme de Sévigné y a déjà fait allusion plusieurs fois. — Le texte de 1754 porte : a n'est qu'une fable de la Fontaine. »

8. Le commencement de cet alinéa se lit ainsi dans la première édition de Perrin (1734) '• (T Je crois que je pleurerai la perte de l'occasion de ce joli appartement dans cette rue, que Mlle de Méri va laisser échapper par ses irrésolutions : tous ceux qui l'ont vu en sont ravis. Il faudroil commencer par se planter là. n

9. Dans la rue Culture-Sainte-Catherine, au Marais.

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ver, et le chevalier, l'ont vu ; ils en sont ravis. Elle veut un garde-meuble, je l'assure qu'on lui en donnera un; une chambre de plus pour un domestique, et je lui réponds encore qu'elle l'aura; mais je pense qu'il faudroit commencer par se planter là. On veut10 ce quartier, le voilà; on veut un grand retranchement de louage, le voilà ; on ne veut point de bruit, on est sur le derrière ; une église11, la voici; un bel air, une belle exposition, elle est à souhait12 ; mais tout cela est trop bon, il n'y a pas assez de difficulté. Pour moi, je comprends qu'il y a quelque sorte de plaisir dans la plainte, plus grand qu'on ne pense18.

Brancas me vint prendre hier au soir pour souper chez Mme de Coulanges; son souper est petit, et la compagnie bonne, quand on est quatre : je me laisserai quelquefois débaucher par Brancas, n'ayant point de bonne raison, non plus que cette femme de Mme de Guitaut.

Je prends de cette eau présentement; j'ai pris des pilules, à cause du froid. Parlez-moi toujours de votre santé, ma chère enfant; hélas! c'est toute mon attention, c'est tout ce que je souhaite, et de vous pouvoir retrouver 14 moins maigre et moins abattue que je ne vous ai laissée.

Quand je pense que la vie, et principalement la mienne, se passe dans l'éloignement et dans l'inquiétude, je plains ceux qui sont aussi tendres que moi. Mme de la Fayette est bien persuadée qu'elle auroit satisfait à tout ce que

io. Le texte de 1754 donne ici et à la ligne suivante : on vouloit, au lieu de on veut, et un peu plus loin : loyer, au lieu de louage.

II. L'église des Filles bleues, dans la même rue. Elle n'existe plus. Voyez tome V, p. 347, note 7.

- 12. « Tout cela s'y trouve. » (Édition de 1754.)

i3. « Et que ce plaisir est plus grand qu'on ne pense. » (Ibidem.)

14. et Parlez-moi toujours de votre santé, ma chère enfant; c'est toute mon attention ; et tout ce que je souhaite, c'est de pouvoir vous retrouver, etc. » (Ibidem.)

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notre ancienne amitié demande, si elle vous avoit redonnée à moi par un attachement qui convînt à M. de Grignan 16 ; elle est touchée de ce plaisir, et se trouvant près de la faveur, elle ne souhaite que des occasions ; elle les attend, et on les doit toujours espérer de l'inconstance des choses humaines. Langlade est de moitié avec elle ; il a fait la révérence au Roi, mais c'est au pied de la lettre; car le Roi ne lui dit pas un mot, mais un visage doux. Je vous embrasse de tout mon cœur, ma très-aimable16 ; je m'en vais dîner chez la marquise d'Uxelles; elle m'a mandé que ce M. du Pile" m'en prie ; Tréville et M. de la Rochefoucauld y seront : cela s'appelle la petite société. Mme de Lavardin est enrhumée à crever; elle est au lit, et Mme de Mouci à son chevet; la marquise et moi sur les ailes, car nous sommes dix degrés plus bas. Adieu, ma très-chère : conservez-moi la personne de tout le monde qui m'est la plus chère; vous savez bien 18 que je dis vrai. Je ne sais point de nouvelles; le chevalier vous en dira, il en sait toujours de vraies ou de fausses.

15. C'est-à-dire en fixant M. de Grignan à la cour.

16. Ce premier membre de phrase manque dans le texte de 1754, qui donne à la ligne suivante me mande, au lieu de m'a mandé.

17. Voyez ci-dessus, p. 65, note 7.

18. « Vous croyez bien. s (Éditioll de 1754.)

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758. - DE MADAME DE SE VIGNE A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, mercredi 6e décembre.

VOTRE courrier, ma fille, arriva samedi à trois heures; on est toujours émue quand on reçoit des nouvelles. Tous ces paquets adressés à M. de Pompone, ministre et secrétaire d'État, me serrèrent le cœur. Il est à Pompone dans une parfaite solitude et aussi peu d'occupation' que ..us en avons à Livry. MM. de Grignan et moi, nous trouvâmes honnête de lui envoyer les paquets qui s'adressoient à lui, afin qu'il prît sa lettre et renvoyât les autres, ce qu'il fit; et en même temps le courrier, qui étoit Rencontre2, traversa à Saint-Germain tout droit, et porta à Par ère ce que M. de Pompone lui renvoyoit; et cependant le vrai courrier, avec les autres lettres, étoit conduit par l'abbé de Grignan par tous les lieux 3 où il falloit qu'il allât : il vous rendra compte de la manière dont ils ont été reçus. Pour moi 4, je m'offre à solliciter l'ordonnance; voilà tout ce que je puis faire pour le service de votre courrier, que nous renverrons tout le plus tôt qu'il sera possible. M. de Pompone et Mme de Vins m'ont écrit tendrement sur ce que je leur mandois de mes sentiments : ils me mandent5 qu'il leur faut dans cet abord le repos de la campagne; qu'ils s'en accommodent mieux que de Paris; je comprends fort bien cette fantaisie : quand je suis fâchée, il me faut Livry.

En vérité, je ne m'accoutume point à la chute de ce

LETTRE 758. — 1. «. Et un aussi grand loisir. » (Édition de 1754.) a. Le même sans doute dont il est parlé dans la lettre du 31 mai suivant.

3. <r Dans tous les lieux. » (Édition de 1754.)

4. Au lieu de cette phrase, l'édition de 1734 a seulement : a Nous renverrons le courrier tout le plus tôt que nous pourrons. »

5. « Ils me disent. » (Édition de 1754.)

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ministre ; je le croyois plus assuré que les autres, parce qu'il n'avoit point de faveur. On dit qu'il y avoit près de deux ans qu'il étoit gâté auprès du Roi, qu'il étoit opiniâtre au conseil, qu'il alloit trop souvent à Pompone, que cela lui ôtoit l'exactitude, et qu'en dernier lieu, ce courrier de Bavière, qui étoit arrivé le jeudi au soir, et dont il ne vint rendre compte que le samedi à cinq heures du soir, a été 6 la dernière goutte qui a fait répandre le verre. Il se défend de cette faute, en disant qu'il falloit tout ce temps-là pour déchiffrer, et que si le courrier n'eût point paru, Sa Majesté n'eût point eu d'impatience; mais il étoit à M. Colbert, et il donna ses lettres; de sorte que les nouvelles étoient répandues, et le Roi n'avoit point ses lettres : jugez de son impatience7 ; mais tout cela étoit marqué dans l'ordre de la Provi- dence : il n'a point d'autre vue que celle-là, et c'est la seule qui puisse un peu calmer dans cette disgrâce.

Tout est bon à ceux qui sont heureux8; tout a contribué à faire Mlle de Vauvineux princesse de Guémené9 ;

6. « On dit qu'il y avoit près de deux ans qu'il étoit gâté auprès du Roi, et que le courrier de Bavière, dont il rendit compte un peu tard, a été, etc. » (Éditiofl de 1734.)

7. Ce petit membre de phrase, ainsi que le mot mais, manque dans l'impression de 1754, qui, à la ligne suivante, au lieu du pronom il, donne M. de Pompone.

8. Voyez la fin de l'alinéa.

9. Charles de Rohan, prince de Guémené et duc de Montbazon en 1699 (et non en 1689, comme il a été dit par erreur, tome II, p. 74, note 5), neveu du chevalier de Rohan (voyez tome III, p. 423, note 5), né en octobre 1655, mort le 10 octobre 1727, avait épousé en février 1678 Marie-Anne d'Albert de Luynes, fille du duc; il était veuf depuis le mois d'août 1679 seulement, lorsqu'il épousa en secondes noces, le 2 décembre 1679, Mlle de Vauvineux, dont il avait déjà recherché la main avant son premier mariage, et dont il eut treize enfants. La Rivière écrivait à Bussy le 15 décembre 1679 : « J'apprends sans surprise le mariage du prince de Guémené avec Mlle de Vauvineux, parce qu'il l'avoit aimée avant que d'épouser

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primo amor del cor mio10 : c'est la raison que le mari donne à tout le monde. Toute cette affaire a été conduite avec tant de silence, qu'on n'en a rien su que dimanche matin. Ils avoient été mariés à minuit à SaintPaul. Le Roi a été le premier dans cette confidence; il a signé au contrat, et n'ayant plus les raisons qu'il avoit il y a deux ans, il a changé, et approuvé ce mariage. Il y avoit vingt-neuf personnes qui étoient nécessairement dans ce secret, et qui ont su se taire. On ne voyoit point ces mariés le lendemain ; et le mardi, qui étoit hier, la mère et la fille sont allées à Rochefort voir la grand'mère u, qui avoit envoyé toutes ses procurations, et qui les a reçues à merveilles. Il n'a point été question de beaux habits, ni d'étalage sur un lit" - rien qu'une bonne princesse de Guémené, qui est assurément la plus grande dame de France, et qui vivra fort bien avec cet homme, à qui elle croit, avec raison, être fort obligée. C'est un homme étrange, c'est un homme qui n'a point appris, comme vous, dans sa jeunesse, à vaincre l'ennemi de la Trappe; il a mangé du sel toute sa vie, et ne sauroit s'en passer; trois mois de veuvage lui ont paru trois siècles;

Mlle de Luynes, et que, d'ailleurs, il n'a pas l'esprit d'être inconsolable. On ne sent qu'à proportion de ce qu'on connoît, et l'on ne regrette comme il faut que quand on sait bien ce qu'on a perdu. »

Le prince de Guémené paraît avoir été aussi naïf que le duc de Montbazon son bisaïeul. « M. le prince de Guémené, dit l'abbé de Choisy dans ses Mélanges historiques, étant allé à la foire le lendemain de ses secondes noces pour voir le cercle de Benoît, y vit sa première femme, qui n'étoit morte que depuis trois mois, et il s'écria en pleurant : a Hélas ! la pauvre femme ! si elle n'étoit point « morte, je ne me serois jamais remarié. »

10. « Premier amour de mon cœur. D (Pastor fido, acte III, scène vi.)

II. Anne de Rohan, princesse douairière de Guémené, la célèbre maîtresse de Retz, morte le 14 mars i685. Elle habitait le château de Rochefort, en Beauce.

12. Voyez ci-après, p. 132, note 12.

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la spéculation ne lui dissipe point les esprits, tout est à profit de ménage, et sa tendresse est appuyée sur ce solide inébranlable. Toute la famille de Luynes est enragée : cc Comment ! trois mois après la mort de notre fille!

il pleuroit encore tous les jours (vous voyez bien de quoi il pleuroit) ; quoi ! sans nous dire un mot ! quelle honte ! »

J'ai soutenu que M. de Guémené avoit bien fait, et les femmes aussi : l'un d'avoir suivi un goût honnête et raisonnable, et elles de n'avoir point fait battre le tambour. Puisqu'elles avoient le Roi pour confident, à quoi servoit tout le reste? Cette affaire m'a fait plaisir; j'ai compris la joie de Mme de Vauvineux, non-seulement de l'affaire, qui est grande au delà de toute espérance, mais encore de la manière, qui a épargné cent discours, cent dégoûts et cent mille francs de dépense, c'est-à-dire beaucoup. N'est-il pas vrai, ma fille, que tout tourne à bien pour ceux qui sont heureux? L'Evangile le dit1* , il le faut croire.

En vérité, j'ai eu bien de la peine pour vos affaires de Provence. Il a fallu que le bel abbé ait présenté votre courrier, dont les dépêches ont été très-agréablement

i3. Nous ne savons quel passage de l'Évangile ni même du Nouveau Testament Mme de Sévigné a ici en vue. D'une part, sa phrase rappelle par la tournure, mais non par le sens, cet endroit de saint Paul, dans YEpitre aux Romains (chapitre vin, verset 28): « Tout tourne à bien pour ceux qui aiment Dieu ; » et d'autre part sa pensée, au fond, n'est pas sans analogie avec ce verset plusieurs fois répété dans les trois premiers évangélistes : « Il sera donné à celui qui a déjà, et il sera dans l'abondance; J) voyez saint Matthieu, chapitre xin, verset 12, etc. Peut-être aussi s'est-elle souvenue de cette phrase de Pascal, dont le sens se laisserait aisément détourner : (t Tout tourne en bien pour les élus. et tout tourne en mal pour les autres, a (Pensées, édition de M. Havet, p. 258.) — Les derniers mots du paragraphe contiennent une autre allusion, qui n'a rien de douteux, à ce vers de la fable vn du IVe livre de la Fontaine : Pline le dit, il le faut croire.

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reçues. L'abbé a parlé très à propos de l'envie qu'avoit la Provence de donner à Monsieur le Coadjuteur une place dans l'assemblée, mais qu'on ne vouloit rien entendre qu'on ne fût assuré de l'approbation de Sa Majesté, et qu'elle ne le crût capable de la servir dans cette province. M. Colbert a écouté obligeamment, et a dit qu'il en parleroit au Roi, et qu'il ne doutoit pas, etc.

Enfin, le bel abbé a donné à tout cela un tour admirable.

Parère a promis de donner l'ordonnance pour le courrier, c'est-à-dire cinq cents écus, comme l'année passée 15.

L'abbé a bien plus de pouvoir en tout cela que moi; ainsi vous voyez clairement l'accablement d'affaires que vous me donnez, et le bel usage que je fais de toute ma bonne volonté. Me voilà précisément comme la mouche16 : je me mets sur le nez du cocher, je pousse la roue, je bourdonne, et fais cent sottises pareilles, et puis je dis : J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.

14. Le 7 décembre de l'année suivante, le Coadjuteur fut en effet nommé tout d'une voix, par l'assemblée des communautés - de Provence, à l'une des deux places de procureur du pays joint pour le clergé; il remplaça l'ancien évéque de Marseille, qui venait d'être transféré à Beauvais, et comme plus ancien prélat sans doute (et en l'absence de l'archevêque d'Aix, premier procureur né du pays), il eut le droit de présider l'assemblée. Voyez les lettres des 5 et 17 avril suivants.

15. Le 17 novembre, immédiatement après avoir accordé les six cent cinquante mille francs qu'on lui demandait pour le Roi, l'assemblée de Lambesc avait, suivant l'usage, voté mille livres pour l'envoi d'un courrier chargé de porter l'offre du don gratuit ; ce courrier devait être arrivé depuis longtemps et n'avait sans doute pas à faire ordonnancer par le ministère une dépense de l'assemblée. Il doit s'agir d'un courrier particulier du comte de Grignan. Sur les communications fréquentes et dispendieuses de la cour avec ses agents pendant la tenue des états provinciaux, voyez l'introduction de M. Depping, au tome I, p. xir et xm de la Correspondance administrative sous Louis XIV.

16. Voyez le Coche et la Mouche, fable ix du livre VII de la Fontaine.

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Je vais chez MM. de Grignan, j'écoute ce qu'ils me disent, j'approuve, je conseille ce qui est résolu; en un mot, ma chère enfant, si vous ne m'aimez par d'autres raisons que par l'intérêt, je suis perdue. Je crois que mon fils est perdu aussi; votre lettre l'attendra ici; il n'est plus dans le bois des Rochers, il est en basse Bretagne ; M. d'Harouys l'attend à Nantes, et ce n'est pas sans beaucoup d'impatience, car il a des affaires ici.

On lit mille relations de la reine d'Espagne. Elle est toute livrée à l'Espagne; elle n'a conservé que quatre femmes de chambre". Le Roi la surprit comme elle se coiffoit, il ouvrit la porte lui-même; elle voulut se jeter à genoux, et lui baiser la main; il la prévint, et lui baisa la sienne; de sorte qu'ils étoient tous deux à genoux. Ils se marièrent sans cérémonie, et puis se retirèrent pour causer. Elle 18 entend l'espagnol; elle étoit habillée à l'espagnole. Ils arrivèrent à Burgos ; ils se couchèrent à huit heures, et furent jusqu'à dix heures du matin, le lendemain, au lit19. La Reine écrit de là à Monsieur 20, et lui mande qu'elle est heureuse et contente, qu'elle a trouvé le Roi bien plus aimable qu'on ne lui avoit dit.

Le Roi est fort amoureux ; la Reine a été très-bien conseillée, et s'est fort bien conduite dans tout cela : devinez par quels conseils ? Par ceux de Mme de Grancey, car la maréchale21 étoit immobile, ayant joint une dose de la

17. Dans sa deuxième édition (17 5 4), Perrin a ajouté: «françoises. »

18. 1 La Reine.» (Édition de 1754.)

19. « Et furent au lit le lendemain matin jusqu'à dix. » (Ibidem.)

20. Tout ce qui suit le mot Monsieur, jusqu'à la fin de la lettre, ne se trouve, ainsi que le paragraphe précédent tout entier, que dans l'édition de 1754, qui porte en note : « Toute cette fin de lettre n'a point été imprimée dans les éditions précédentes. » Dans le texte de 1734, la lettre se termine ainsi : « La Reine écrit de là à Monsieur.

Adieu, ma fille: je vous embrasse de tout mon cœur. »

21. La maréchale de Clérembaut.

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gravité d'Espagne avec sa philosophie stoïcienne. C'est donc Mme de Grancey qui a fait le plus raisonnable personnage; aussi a-t-elle reçu de grandes louanges et de grands présents. Le Roi22 lui donne une pension de six mille francs, qu'elle prendra sur Bruxelles; elle a eu un don de dix mille écus sur un avis que los Balbasez 23 lui donna, et pour dix mille écus de pierreries. Elle mande que l'âme de Mme de Fiennes est passée en elle24, qu'elle prend à toutes mains, et qu'elle s'y accoutumera si bien qu'elle s'ennuiera en France, si on ne la traite comme en Espagne 26. Toutes les dames s'en retournent; on épargne une partie du chemin à la maréchale, en la priant absolument de demeurer à Poitiers, où elle avoit été prise.

Voilà un aussi furieux dégoût qu'on puisse en recevoir; elle a grand besoin de son mépris envers le genre humain pour soutenir cette disgrâce. C'est Mme cTEffiat26 qui est gouvernante déclarée; elle est remise avec son

22. Le roi d'Espagne.

23. Paul Spinola, marquis de los Balbazes, gendre du connétable de Colonne : voyez Saint-Simon, tome X, p. 175 et 176. Il avait été chef de l'ambassade d'Espagne à Nimègue, et au mois d'avril 1679, il avait été envoyé à Paris, comme ambassadeur extraordinaire, pour demander à Louis XIV la main de Mademoiselle pour le roi d'Espagne. Le marquis et la marquise de los Balbazes accompagnèrent la jeune reine dans son voyage de France en Espagne.

24. L'avidité de Mme de Fiennes était passée en proverbe. 1 C'est la femme du monde la plus intéressée, et qui veut bien que l'on la croie telle, car elle demande toujours. Je lui ai ouï dire : CI Que les a laquais sont heureux ; car la mode de leur donner des étrennes « dure toujours pour eux; je voudrois l'être pour que l'on me don« nât les miennes. » (Mémoires de Mademoiselle, tome III, p. 225.)

25. On lit dans la Correspondance de Madame, édition allemande de 1789, p. 277 : a Je ne pouvais point souffrir que cette Grancey tirât des profits de toute ma maison, que personne ne pût acheter une charge chez nous sans payer un pot-de-vin à cette Grancey. »

26. La marquise d'Effiat (voyez tome III, p. 289, note 5) fut nommée gouvernante des enfants de Monsieur, sur la démission de

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mari. Ecrivez donc, mon cher Comte, c'est votre amie ; il faudroit quasi vous en faire des compliments.

La petite de Monchi n'a point eu la petite vérole ; c'étoit le pourpre, dont Sanguin27 l'a guérie. Je crains que les civilités que vous êtes obligée de faire à Aix ne vous fatiguent; allez vous reposer dans votre cabinet : la solitude vous est quelquefois nécessaire; Mlles de Grignan feront les honneurs. Pauline m'a écrit une lettre charmante ; son style nous plaît beaucoup ; Mme de la Fayette en oublia l'autre jour une vapeur, dont elle étoit suffoquée. Comment gouvernez-vous Roquesante, et toutes vos dames que je connois ? Vous me ravissez, en me priant absolument de vous donner cette écritoire : je ne crois pas que ces deux mots-là se soient jamais trouvés ensemble; vraiment, ma fille, vous m'avez bien réjouie de me la demander si nettement; je ne vous dis plus si c'étoit mon dessein ou non : quand je ne le voudrois pas, il faudroit bien en passer par là, de la manière que vous le prenez. Il vaut donc mieux faire la chose de bonne grâce.

Adieu, ma fille : je vous embrasse de tout mon cœur.

la maréchale de Clérembaut. (Note de Perrin.) D'un autre côté, Madame dit (tome I, p. 397 et 398 de sa Correspondance) : <t Comme on vit que la maréchale de Clérembaut m'était attachée, on l'éloigna et l'on mit ma fille entre les mains de la maréchale de Grancey, qui était la créature du chevalier de Lorraine, le plus acharné de mes ennemis, et dont la fille cadette était la maîtresse déclarée de ce chevalier.

On peut croire quel bel exemple c'était là pour ma fille; mais ni mes remontrances, ni mes prières n'eurent aucun effet, a La maréchale de Grancey était cousine germaine de la marquise d'Effiat, à qui elle survécut de dix ans et à qui elle succéda. Saint-Simon, dans une addition au Journal de Dangeau (tome XVI, p. 466), dit positivement que Mme d'Effiat fut « gouvernante des enfantg de Monsieur, entre les maréchales de Clérembaut et de Grancey. »

37. Voyez tome V, p. 76, note 5.

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759- - DE MADAME DE SE VIGNE AU COMTE DE GUITAUT.

A Paris, ce mercredi 6e décembre.

IL est vrai que je trouve toujours vos lettres admirables ; tout m'en plaît, et l'on peut dire qu'elles sont faites col senno e con la mano 1; car les plus belles choses du monde, cachées sous des pieds de mouche, ne me sont de rien; elles se refusent à moi et je me refuse à elles : je ne puis déchiffrer ce qui n'est pas déchiffrable. Vous voyez donc bien que votre commerce a pour moi tout ce que je puis souhaiter; cependant, avec toutes ces perfections, je vous promets de ne point montrer cette dernière ; j'en connois les beaux endroits, et cela me suffit.

Vous avez bien fait d'adresser votre compliment pour M. de Pompone à M. de Caumartin; le canal est tout naturel; et comme vous dites, vous ne perdez rien de tout ce que je dirai au delà de la lettre. Je n'oublierai aucun de vos sentiments ; ceux que vous avez pour Mme de Vins, sur la parole de M. d'Hacqueville et de Mme de Grignan, sont fort raisonnables : vous avez dû vous en fier à leurs goûts et à leurs lumières. Je l'aurois fait comme vous; mais ayant été en lieu de juger par moimême, j'ai été de leur avis avec connoissance de cause.

C'est une des plus aimables personnes que vous connoissiez, l'esprit droit et bien fait, fort orné et fort aisé, un cœur très-sensible, et dont tous les sentiments sont bons et nobles au delà de ce que vous pouvez imaginer. Elle m'aime un peu pour ma vade2, et par-dessus cela, je

LETTRE 759 (revue sur l'autographe). — I. Avec l'esprit et avec la main. Voyez la Jérusalem délivrée, chant I, stance r.

2. Pour mon compte. — a Vade signifie figurément l'intérêt que chacun a dans une affaire à proportion de l'argent qu'il y a mis : Ce

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suis la résidente de ma fille auprès d'elle : cela fait un assez grand commerce entre elle et moi. Le malheur ne me chassera pas de cette maison : il y a trente ans (c'est une belle date) que je suis amie de M. de Pompone; je lui jure fidélité jusqu'à la fin de ma vie, plus dans la mauvaise que dans la bonne fortune. C'est un homme d'un si parfait mérite, quand on le connoît, qu'il n'est pas possible de l'aimer médiocrement. Autrefois nous disions, chez Mme du Plessis, à Fresnes, qu'il étoit parfait; nous ne trouvions pas qu'il lui manquât rien, et nous ne savions que lui ôter ni que lui souhaiter. Il s'en va reprendre le fil de toutes ces vertus morales et chrétiennes que les occupations nous ayoient fait perdre de vue. Il ne sera plus ministre, il ne sera plus que le plus honnête homme du monde. Vous souvient-il de Voiture à Monsieur le Prince ?

Il n'avoit pas un si haut rang : Il n'étoit que prince du sang 3.

Il faudra donc se contenter de ce premier état de perfection. M. de Caumartin et moi étions à Pompone dans le temps que la Providence rompoit ses liens : nous le vîmes partir de cette maison, ministre et secrétaire d'Etat *, il revint le même soir à Paris, dénué de tout, et simple particulier. Croyez-vous que toutes ces conduites soient jetées au hasard? Non, non, gardez-vous-en bien : c'est Dieu qui conduit tout, et dont les desseins sont toujours adorables, quoiqu'ils nous soient amers et inconnus. Ah ! que M. de Pompone regarde bien sa disgrâce par ce côté-là ! Et le moyen de perdre de vue cette

vaisseau a fait naufrage; chacun y est pour sa vade. » (Dictionnaire de Furetlère.) 3. Voyez plus haut, p. 102, note 11.

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divine Providence? Sans cela il faudroit se pendre cinq ou six fois par jour. Je n'en suis pas moins sensible, mais j'en suis bien plus résignée. Notre pauvre ami est donc à Pompone ; cet abord a été dur : il a trouvé cinq garçons tout d'une vue, qui à mon sens font tout son embarras.

La solitude est meilleure pour les commencements de ces malheurs. Je l'ai senti pour celui de la séparation de ma fille. Si je n'avois trouvé notre petit Livry tout à propos, j'aurois été malade : j'avalai là tout doucement mon absinthe. M. de Pompone et sa famille, et Mme de Vins, font tout de même; quand ils reviendront ici, il n'y paroîtra plus. Si les accablements de bonheur de MM. de la Rochefoucauld ne vous consolent4 point de la chute de M. de Pompone, croyez aussi que ce dérangement dans le ministère ne console point un autre ministre6 de la paix.

Ah ! que nous aurions grand besoin de faire un petit voyage en litière, seulement jusques à Bourbilly ! En attendant, nous vous apprendrons les magnificences du mariage de Monseigneur le Dauphin, et l'habile conduite de celui de Mlle de Vauvineux, qui fut, comme vous savez, très-bien mariée la nuit de samedi à dimanche, à Saint-Paul, avec M. le prince de Guémené. Le secret a été gardé en perfection; le Roi étoit de cette confidence.

Les raisons qu'il avoit de l'improuver ayant cessé, il a changé aussi, et signé le contrat. Enfin rien n'a manqué à ce mariage, que de battre le tambour, d'être en parade sur le lit, et d'avoir des habits rebrochés d'or et d'azur ; car pour princesse de Guémené, on ne peut pas l'être davantage, ni toute la maison de Luynes plus ébobise8 et

4. Mme de Sévigné a, par inadvertance, écrit console, au lieu de consolent.

5. Louvois : voyez p. 99, note 36, et p. i36.

6. Tel est le texte de l'autographe, qui cinq lignes plus bas donne un espèce, pour une espèce.

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plus fâchée. Je leur pardonne ; ils voient leur jolie fille oubliée au bout de trois mois ; mais l'autre dit : Primo amor del cor mio1 ; voilà sa raison : il ne l'avoit jamais oubliée ; et sans savoir pourquoi, il étoit ravi qu'elle ne fût point mariée. Il faut avoir une espèce de mérite pour conserver un goût comme celui-là. Quoi qu'il en soit, j'entre dans la joie de la mère, et je vois avec plaisir tout ce que la Providence a fait et défait pour en revenir là.

On me mande de Provence que notre pauvre comtesse est assez bien. Son fils a pensé mourir de la rougeole; elle l'a gardé; elle a été plus heureuse que sage : envoyez-lui de l'eau de Sainte-Reine quand elle vous en demandera. Adieu, Monsieur et Madame : je vous dis toujours : « Aimez-moi, aimez-moi sur ma parole. » Je sais bien ce que je vous dis, et je sens bien comme je vous aime.

Notre bon abbé vous honore et vous assure de ses services ; il a été fort enrhumé : il est mieux, Dieu merci.

760. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME ET A MONSIEUR DE GRIGNAN.

A Paris, ce 8e décembre.

C'EST une chose rude, ma très-chère, que d'être fort éloignée des personnes que l'on aime beaucoup 1. Il est impossible, quelque résolution que l'on fasse, de n'être pas un peu alarmée des désordres de la poste. Je n'eus

7. Voyez ci-dessus, p. 120.

Lettre 760 (revue sur une ancienne copie). — I. Dans l'édition de 1734 : « C'est une chose rude, ma très-chère, que d'être fort loin des personnes que l'on aime beaucoup. » Dans celle de 1754 : « C'est quelque chose de rude, ma très-belle, que d'être fort loin, etc. a

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■ point de vos lettres avant-hier 2 ; pour dimanche, je ne m'en étonne pas, car j'avois eu le courrier. J'envoyai chez MM. de Grignan, ils n'en avoient point non plus ; j'y allai le lendemain, qui étoit hier; enfin il vint une lettre du 28e novembre, de Monsieur l'Archevêque, qui nous persuada qu'au moins vous n'étiez pas3 plus malade qu'à l'ordinaire. Je passai à la poste pour savoir des nouvelles d'Aix; car les courriers de ces Messieurs vont mieux que les nôtres; mais je sus, par Mme Rouillé, que son mari 4, du 2ge, ne lui parloit point de vous, mais bien de la disgrâce de M. de Pompone, que M. de Grignan lui venoit d'apprendre. J'attends donc vos lettres de dimanche; je crois que j'en aurai deux. Je n'ai jamais mis en doute que vous ne m'ayez écrit, à moins que d'être bien malade ; cette seule pensée, sans aucun fondement, fait un fort grand mal; c'est une suite de votre délicate santé; car quand vous vous portiez bien, je supportois sans horreur les extravagances de la poste ; car voyez, quelle folie6 d'apporter d'Aix le paquet de Madame l'Intendante, et laisser le vôtre !

Beaulieu8 a reçu une lettre de Lyon, d'Autrement 7,

2. Le texte de 1754 donne mercredi, au lieu de avant-hier (en 1679, le 6 décembre était en effet un mercredi) ; et immédiatement après : a je ne m'en étonnai pas. »

3. Dans les deux éditions de Perrin : « enfin il vint une lettre de Monsieur l'Archevêque, qui nous persuada que vous n'étiez pas, etc.; » et deux lignes plus loin : « les commerces, » pour : a les courriers. »

4. L'intendant de Provence.

5. Dans l'édition de 1754: « en effet, quelle folie, etc.;» à la fin de la phrase : <r et de laisser le mien. »

6. Cet alinéa et le suivant ne se lisent que dans notre manuscrit.

7. Ce nom est écrit en abrégé dans notre ancienne copie : AutremC.

Il s'agit sans doute du petit Allemand dont il est parlé au tome V, p. 91 et 92.

1679

du 3oe. Il y est seul et va s'embarquer. Cette pauvre Mme d'Oppède est demeurée par les chemins; son fils malade à Cosne, et sa fille à Rouanne8 ; tout est semé de son train. Quel embarras ! Je la plains. Elle donnoit de l'argent à dépenser à ses gens. Ainsi les dix écus que nous pensions inutiles à ce garçon lui auront été bons.

Il est un peu rude sur la dépense ; il ne parloit pas de moins que d'un écu par jour par les chemins; nous nous moquâmes de lui ; nous croyons que si vous lui donnez vingt-cinq ou trente sols, à cause de sa maladie, qui le rend délicat, c'est le bout du monde. Nous vous compterons sa garde, ses bouillons; mais depuis notre retour de Livry, qu'il étoit pêle-mêle avec nos gens, assurément vous n'en entendrez pas parler. Vous ne payez que trop bien vos hôtes; je travaille à ce que je dois de reste.

Nous ferons repartir Saint-Laurens le plus tôt que nous pourrons.

Nous saurons demain le jour du retour9 de l'abbé de Grignan, qui a fait encore un second voyage à SaintGermain, de ces voyages qui me donnent tant de peine.

En vérité, vous êtes trop heureux de les avoir tous pour résidents -à la cour de France : ils désapprouvent bien votre affaire de Toulon10 ; ils disent que si on vouloit se brouiller à feu et à sang avec le gouverneur, il ne faudroit pas autre chose. Nous espérons que celle des blés sera plus praticable.

8. Le manuscrit ne donne pas Rouanne, mais Rouage.

9. Dans le manuscrit : « le jour au retour. »

10. Nous ne savons ce que pouvait être cette affaire de Toulon.

Quant aux blés, il s'agissait sans doute d'en faciliter l'arrivage en Provence : nous voyons dans le compte rendu de l'assemblée de 1678 (p. 61) que des convois de grains, commandés par les procureurs du pays en Bourgogne, Bresse et Languedoc, avaient été arrêtés en route, et que l'Intendant avait été supplié d'obtemr des passe-ports du Roi.

1679

Je vous écrivis mercredi une très-longue lettre ; si on vous la perd, vous ne comprendrez rien à celle-ci; par exemple, on verra la jeune princesse de Guémené aujourd 'hui 11 en parade à l'hôtel de Guémené; vous ne sauriez ce que je veux dire ; mais supposant que vous savez le mariage de Mlle de Vauvineux, je vous dirai qu'afin qu'il ne manque rien à son triomphe, elle y recevra ses visites quatre jours de suite12. J'irai demain avec Mme de Coulanges; car je fais toujours ce qui s'appelle visites avec elle ou sa sœur13 Nous fûmes hier, Monsieur le Comte, chez vos amies de Leuville et d'Effiat; elles reçoivent les compliments de la réconciliation et de la gouvernance14. Cette d'Effiat étoit enrhumée, on ne la voyoit point, mais c'étoit tout de même ; la jeune Leuville16 faisoitles honneurs. Je leur fis vos compliments par avance, et les vôtres aussi, ma très-chère. On est bien étonné que Mme d'Effiat soit gouvernante de quelque chose16. La maréchale de Clérembaut aura son paquet à

II. Le mot aujourd'hui manque dans le texte de 1754.

12. « Le bel et le judicieux usage que celui qui, préférant une sorte d'effronterie aux bienséances et à la pudeur, expose une femme d'une seule nuit sur un lit, comme sur un théâtre, pour y faire, pendant quelques jours, un ridicule personnage, et la livre en cet état à la curiosité des gens de l'un et de l'autre sexe, qui, connus ou inconnus, accourent de toute une ville à ce spectacle pendant qu'il dure ! Que manque-t-il à une telle coutume, pour être entièrement bizarre et incompréhensible, que d'être lue dans quelque relation de la Mingrélie ? » (La Bruyère, édition de M. Destailleur, chapitre de la Ville, tome I, p. 329.)

I3. Mme du Gué Bagnols. — Dans l'édition de 1754: « ou avec sa soeur. »

14. Voyez la lettre du 6 décembre précédent à Mme de Grignan, p. 124 et 125, et la note 26.

15. Voyez tome III, p. 289, note 5.

16. Les deux éditions de Perrin ajoutent ici : « tout est fort bien. »

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Poitiers, où elle avoit reçu17 l'ordre de venir au PalaisRoyal : voilà le monde. Ne vous ai-je pas mandé les prospérités de Mme de Grancey, et comme elle revient accablée de présents? Elle eût embrasé l'Espagne, si, comme on disoit", elle y. avoit passé l'hiver. Elle a mandé que l'âme prenante de Mme de Fiennes avoit passé heureusement dans son corps, et qu'elle prenoit à toutes mains.

On attend à la cour le courrier de Bavière avec impatience; on compte les moments. Cela me fait souvenir de l'autre, qui a comblé la mesure des mauvais offices qu'on rendoit à notre pauvre ami 19 : sans cette dernière chose, il se fût encore remis dans les arçons ; mais Dieu ne vouloit pas que cela fut autrement. Je vous ai mandé comme j'avois envoyé tous les gros paquets à Pompone avec celui de Mme de Vins : on renvoya à Saint-Germain ce qu'il falloit y renvoyer.

J'ai quelque impatience de savoir comme se porte et comporte la pauvre petite d' Adhémar20 Je m'en vais lui écrire tout résolûment : depuis que je me mets à différer, il n'y a plus de fin. Que vous dirai-je encore?

il me semble qu'il n'y a point de nouvelles : on saura les officiers de Madame la Dauphine quand ce courrier sera revenu. J'ai bien envie de savoir comme vous aurez soutenu ce tourbillon d'Aix; il est horrible, je m'en souviens : c'étoit une de mes raisons de craindre pour votre santé; toutes ces allées et venues sont des affaires pour vous présentement, qui n'en étoient pas

17. « A Poitiers, c'est-à-dire au même lieu où elle avoit reçu, etc. u (Édition de 1754.)

18. « Comme on le disoit. » (Ibidem.)

19. Dans l'édition de 1734 : '(f notre bon ami. » Celle de 1754, à la fin de la ligne, remplace chose par aventure.

20. « La petite d'Adhémar. D (Édition de 1734.)

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autrefois". Le chevalier de Buous22 est ici; il me dit tant que vous vous portez parfaitement bien; que vous êtes plus belle que jamais; que vous êtes si gaie. C'est trop, Monsieur le chevalier; un peu moins d'exagération, plus de vraisemblance, plus de détail, plus d'attention m'auroit fait plus de bien : il y a des yeux qui voient tout, et ceux qui ne voient rien m'impatientent.

J'ai dit mille fois que l'on se porte toujours à merveilles pour ceux qui ne s'en soucient guère. Saint-Laurens me parle encore de l'excès de votre santé : eh mon Dieu ! une petite lettre de Montgobert, qui regarde et qui connoît, me fait plus de plaisir que toutes ces grandes perfections. Mme de Coulanges causa l'autre jour une heure avec Fagon chez Mme de Maintenon; ils parlèrent de vous : il dit23 que votre grand régime devoit être dans les aliments; que c'étoit un remède que la nourriture; que c'étoit le seul qu'il soutînt 24; que cela adoucissoit le sang, réparoit les dissipations, rafraîchissoit la poitrine, redonnoit des forces; et que quand on croit n'avoir pas digéré après huit ou neuf heures, on se trompoit"; que c'étoit des vents qui prenoient la place, et que si l'on mettoit un potage ou quelque chose de chaud sur ce que l'on croit son dîner, on ne le sentiroit plus, et l'on s'en porteroit bien mieux; que c'étoit une de vos grandes erreurs.

ai. c Je crains pour votre santé ce tourbillon d'Aix ; il est horrible, je m'en souviens : toutes ces allées et venues, qui n'étoient rien pour vous autrefois, sont présentement des affaires très-pénibles. » (Édition de 1754.)

22. Voyez tome III, p. 294, note i3, et tome II, p. 367, note 11.

23. « Fagon dit. » (Édition de 1754.)

a4. Dans les deux éditions de Perrin : « que c'étoit le seul qui le soutint. »

25. Dans l'édition de 1754 : « on se trompe. s Le membre de phrase qui suit n'est pas dans l'édition de 1734.

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Mme de Coulanges écouta et retint tout ce discours, et voulut vous le mander : je m'en suis chargée, et vous conjure, ma très-chère, d'y faire quelque réflexion, et d'essayer s'il dit vrai, et de mettre la conduite de votre santé devant tout ce que vous appelez des devoirs : croyez que c'est votre seule et importante affaire28. Si la pauvre Mme de la Fayette n'en usoit ainsi, elle seroit morte il y a longtemps; et c'est" par ces pensées que Dieu lui donne qu'elle soutient sa triste vie ; car, en vérité, elle est accablée de mille maux différents.

Je reçois dans ce moment votre paquet du 29e par un chemin détourné : voilà tout le commencement de ma lettre entièrement ridicule et inutile. Voilà donc28 ce cher paquet, le voilà; vous avez très-bien fait de le déguiser et de le dépayser un peu. Je ne suis point du tout surprise de votre surprise, ni de votre douleur : j'en ai senti, et en sens encore tous les jours28. Vous m'en parlerez longtemps avant que je vous trouve trop pleine de cette nouvelle ; elle ne sera pas sitôt oubliée de beaucoup de gens ; car pour le torrent il va comme votre Durance quand elle est endiablée ; mais elle n'entraîne pas tout avec. elle. Vos réflexions sont si tendres, si justes, si sages et si bonnes, qu'elles mériteroient d'être admirées de quelqu'un qui valût mieux que moi.

26. « Et de mettre la conduite de votre santé, comme votre seule et importante affaire, devant tout ce que vous appelez des devoirs. »

(Édition de 1754.)

1 27. a: En sorte que c'est. » (Ibidem.)

28. « Le voilà donc. » (Ihidem.)

29. Dans l'impression de 1734 : « j'en ai senti et j'en sens encore tous les jours. » Dans celle de 17^4 : « ce que j'en ai senti, je le sens encore tous les jours. »

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Vous avez raison, la dernière faute n'a point fait tout le mal, mais elle a fait résoudre ce qui ne l'étoit pas encore. Un certain homme30 avoit donné de grands coups depuis un an, espérant tout réunir ; mais on bat les buissons, et les autres Si prennent les oiseaux; de sorte que 1 affliction n'a pas été médiocre, et a troublé entièrement la joie intérieure de la fête32 : m'entendez-vous bien?

car vous n'aurez votre courrier de dix ans. Il vaut autant mourir33. C'est donc un mat qui a été donné, lorsqu'on croyoit avoir le plus beau jeu du monde et rassembler toutes ses pièces ensemble. Il est donc vrai que c'est la dernière goutte d'eau qui a fait répandre le verre : ce qui nous fait chasser notre portier, quand il ne nous donne pas un billet que nous attendons avec impatience, a fait tomber du haut de la tour, et on s'est bien servi de l'occasion. Personne ne croit que le nom" y ait eu

3o. Louvois.

3i. Les Colbert.

32. Mme de Sévigné a déjà parlé dans la lettre du 24 novembre précédent (p. 99) de cette tristesse qui se mêlait à la joie de la noce de Mlle de Louvois ; Saint-Simon achève d'éclaircir ce passage : c Ce grand coup frappé, Louvois, dont Colbert, qui avoit ses raisons, avoit exigé de ne pas dire un mot de toute cette menée à son père, se hâta de lui aller conter la menée et le succès. « Mais, lui répondit froia dement l'habile le Tellier, avez-vous un homme tout prêt pour a mettre en cette place ? — Non, lui répondit son fils, on n'a songé <r qu'à se défaire de celui qui y étoit, et maintenant la place vide ne « manquera pas, et il faut voir de qui la remplir. — Vous n'êtes c qu'un sot, mon fils, avec tout votre esprit et vos vues, lui répliqua c le Tellier. M. Colbert en sait plus que vous, et vous verrez qu'à or l'heure qu'il est, il sait le successeur, et il l'a proposé. » En effet, Colbert s'étoit assuré de la place pour son frère Croissy. Et ce fut un coup de foudre pour le Tuilier et pour Louvois, qui les brouilla plus que jamais avec Colbert. » (Saint-Simon, tome II, p. 326 et 327.)

33. Cette petite phrase, et le dernier membre de la phrase précédente, ne sont pas dans le texte de 1754.

34. Le nom d'Arnauld.

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part; peut-être aussi qu'il y a entré pour sa vade" Un homme me disoit l'autre jour : « C'est un crime que sa signature; » et je dis : « Oui, c'est un crime pour eux de signer et de ne signer pas36. « Je n'ai rien entendu de cet écrit insolent dont vous me parlez. Je crois qu'on ne se défie point de la discrétion de ceux qui savent les secrets : rien n'est égal à leur sagesse, à leur vertu, à leur résignation, à leur courage. Je crois que dans la solitude où ils sont encore" pour quelques jours, il communiquera toutes ses perfections à toute sa famille. J'y ai fait38 tenir votre paquet à la belle-sœur, en envoyant les paquets, comme je vous l'ai mandé : je m'en vais encore y envoyer ceux que je viens de recevoir; on me fit de là des réponses si tendres que je ne pus les soutenir sans une extrême tendresse39

Adieu, ma très-chère : embrassez la petite d'Adhémar; la pauvre enfant! ayez-en pitié; je ne puis encore lui écrire. Je baise et j'embrasse tout ce qui vous entoure".

Vous êtes trop bonne de me rassurer sur la douleur41

35. Pour sa part. Voyez plus haut, p. 126, note 2. — Dans les deux éditions de Perrin on lit est entré, au lieu de a entré.

36. Ce passage a trait au Formulaire, que la mère Agnès Arnauld et d'autres religieuses de cette famille avaient refusé de signer. Voyez tome I, p. 437 et 444. — Dans l'édition de 1734, on lit seulement : a Un homme me disoit l'autre jour : cc C'est un crime pour eux de « signer et de ne signer pas. »

37. Dans l'édition de 1754 : « ou M. de Pompone est encore. j>

38. « J'ai fait. » (Éditions de 1734 et de 1754.) — La belle-sœur est Mme de Vins.

3g. Cette dernière partie de la phrase : « on me fit, etc., » n'est pas dans l'édition de 1754.

4o. L'édition de 1754 ne donne que les premiers mots de cette phrase : (t Adieu, ma très-chère; » et elle omet la phrase suivante : « Je baise, etc. »

4i. < £ De faire attention à la douleur. a (Édition de 1754.)

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que me donne mon inutilité pour votre service; quelque tour que j'essaye d'y donner, j'en suis humiliée; vous ne laisserez de m'aimer42, vous m'en assurez, et je le crois : je penserois comme vous, si j'étois à votre place ; cette manière de juger est fort sûre. Je suis toute à vous ; je ne puis vous rien dire de si vrai 43

761. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, mercredi de décembre.

PARLONS-EN tant que vous voudrez, ma très-chère, vous aurez vu par toutes mes lettres que je traite ce chapitre très-naturellement, et qu'il me seroit difficile de m'en taire, puisque j'y pense très-souvent, et que si j'ai un degré de chaleur moins que vous pour la bellesœur1, j'en ai aussi bien plus que vous pour le beaufrère2. Les anciennes dates, les commerces, les liaisons, me font trouver en cette occasion plus d'attachement que je ne pensois en avoir. Ils sont encore à la campagne : je vous envoie deux de leurs billets qu'ils m'écrivirent en renvoyant vos paquets. Voilà3 l'état où ils sont et leurs

42. « Mais (1734 : mais , ma très-chère) vous ne laisserez pas de m'aimer. » (Éditions de 1734 et de 1754.)

43. Cette dernière phrase manque dans le texte de 1754.

LETTRE 761 (revue en partie sur une ancienne copie). — 1. Mme de Vins.

2. Pompone.

3. Dans l'édition de 1754 : (t Voilà l'état où ils sont; se peut-il rien ajouter à la tendresse et à la droiture de leurs sentiments ? Mon estime et mon amitié pour eux sont augmentées par leur malheur; je suis assez persuadée que le nôtre, etc. »

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sentiments; se peut-il rien ajouter à la tendresse et à la droiture de leurs pensées? Je n'oublierai rien pour leur confirmer la bonne opinion qu'ils ont de l'amitié et de l'estime que j'ai pour eux; elle est augmentée par leurs malheurs ; je suis assez persuadée, ma fille, que le nôtre a contribué à leur disgrâce. Jetez les yeux sur tous nos amis, et vous trouverez vos réflexions fort justes. Il y auroit bien des choses à dire sur toute cette affaire ; tout ce que vous pensez est fort droit4. Je crois vous avoir fait entendre que depuis longtemps on faisoit valoir les minuties, et cela avoit formé une disposition qui étoit toujours fomentée dans la pensée d'en profiter, et la dernière faute impatienta et combla cette mesure : d'autres se servirent sur-le-champ de l'occasion, et tout fut résolu en un moment. Voici le fait: un courrier attendu avec impatience étoit arrivé le jeudi au soir ; M. de Pompone donne tout à déchiffrer, et c'étoit une affaire de vingt-quatre heures. Il dit au courrier de ne point paroître; mais comme le courrier étoit à celui qui l'envoyoit, il donna les lettres à la famille : cette famille, c'est-à-dire le frère5 , dit à Sa Majesté ce qu'on lui mandoit6 ; l'impatience prit de savoir ce qu'on déchiffroit; on attendit donc le jeudi au soir, le vendredi tout le jour, et le samedi jusqu'à cinq heures du soir. Vraiment, quand il arriva7, tout étoit fait; et le matin encore on eût pu se remettre dans les arçons8. Il étoit chez lui à la campagne, persuadé qu'on ne sauroit rien ; il y reçut les déchiffrements le soir du vendredi ; il partit à dix heures

4. Ce membre de phrase n'est pas dans le texte de 1754.

5. Colbert. -

6. « Ce qu'on mandoit de Bavière. » (Édition de 1754.)

7. cc Quand M. de Pompone arriva. » (Ibidem.)

8. « Et le matin encore l'affaire n'étoit pas désespérée. » (Ibidem.)

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le samedi9 ; mais il étoit trop tard. Et voilà la raison, le prétexte, et tout ce qu'il vous plaira ; car il est certain que soit cela, soit autre chose, auroit enfin renversé tG cette fortune qui ne tenoit plus à rien. Mais ce qui est curieux, c'est que celui qui avoit ses desseins11 n'en a pas profité, et a été plus affligé qu'on ne peut croire. Notre ami demanda s'il ne pourroit point voir Sa Majesté, et se justifier à son maître de sa conduite : on lui dit qu'il n'étoit pas à propos présentement ; que sa fidélité étoit assez connue, qu'elle n'étoit nullement attaquée, et que dans quelques semaines12 il pourroit avoir cet honneur.

Il écrivit sa surprise, son désespoir d'avoir pu déplaire, représenta huit enfants sans nul bien : voilà où tout est demeuré"; on causeroit longtemps là-dessus; mais de si loin, en voilà assez, et peut-être trop.

Vous" voulez donc que je vous croie, ma fille, sur votre santé ; je le veux, et je suis persuadée de la tranquillité de votre poitrine, et Dieu vous conserve, et vous continue et vous augmente ce bon état ! il dépend beaucoup de vous et de vos soins : quand vous mettrez votre conservation, votre repos, votre nourriture, votre sommeil devant toute autre chose, que vous aurez de l'attention à votre santé, je crois en vérité, ma fille, qu'elle ira bien; mais quand vous renverserez cet ordre,

9. « II partit le samedi matin à dix heures. JJ (Édition de 1754O

10. c Car il est certain que, soit cela, soit autre chose, on auroit enfin renversé, etc. » (Ibidem.)

11. Louvois. — Dans le texte de 1764 : « Mais le plaisant de cette affaire, c'est que celui qui avoit ce dessein. » -

12. a Et que dans quelque temps il pourroit avoir cette satisfaction. s (Édition de 1754.)

i3. « Où tout en est demeuré. 1 (Ibidem.)

14. Ce paragraphe ne se trouve que dans l'impression de 1734.

Dans sa seconde édition (1754), Perrin commence ainsi l'alinéa suivant : c Vous avez donc fait quelque attention au pays, etc. »

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et que vous préférerez toutes choses à vous, je crois que vous n'êtes point en état de soutenir cette conduite : ainsi je ne cesse de vous conjurer d'avoir pitié de vous et de nous ; car en vérité, c'est une peine bien insupportable, que la crainte de voir augmenter vos maux. Que votre amitié pour moi vous fasse entrer dans mes sentiments, et prendre plaisir à m'ôter, par la continuation de votre meilleure santé, le plus grand mal, la plus triste inquiétude que je puisse jamais avoir! Il faut finir ce chapitre qui vous déplaît, mais sur quoi je vous conjure pourtant de faire quelque réflexion.

Vous en avez donc fait sur le pays de ces deux conseillers bourguignons : C'est le pays de ma mère; il me semble que celui qui connoît M. de Berbisy l'emporte un peu. Mais Monsieur de Condom, qui vous aime et que j'honore, me revient aussitôt dans l'esprit, et je ne sais bonnement que vous dire : Fais ce que tu voudras. C'est ce que j'ai dit à mon fils sur tous les congés qu'il m'a demandés pour faire des visites en basse Bretagne; j'ai toléré ce que je ne pouvois empêcher. Il y a un mois qu'il est chez Tonquedec; je ne sais où lui écrire; il ne veut point de mes lettres ; en feriez-vous autant? Il fait attendre M. d'Harouys à Nantes pour s'en revenir ensemble à Parisu : je les admire tous deux, l'un d'être si bon et si obligeant, et l'autre d'en abuser inhumainement.

Je ne sais si l'objet aimé ou point aimé est avec lui ; tout cela se démêlera, je crois, avant la fin de l'année. Voilà une de ses lettres, il est à Nantes ; et après avoir bien fait attendre M. d'Harouys, il le laisse partir sans pouvoir le suivre, à cause des affaires qu'il faut qu'il fasse au

15. a Il fait enrager M. d'Harouys, qui l'attend à Nantes pour s'en rerenir avec lui à Paris. » (Édition de 1754.)

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Buron16 : je me doutois bien de cette belle conduite. Il me parle fort de son cher pigeon, et vous aime beaucoup mieux, dit-il, que toutes ses maîtresses; je ne sais si vous devez être contente. Soyez-le du moins de Mme de la Fayette, qui m'a tantôt parlé de vous et du goût qu'elle trouveroit à vous pouvoir être bonne à quelque chose, d'une manière à l'embrasser17 Nous saurons bientôt ceux qui sont nommés pour Madame la Dauphine : c'est en recevant ce dernier courrier18 qu'on les déclarera. Il y en a qui disent que Mme de Maintenon sera placée d'une manière à surprendre ; ce ne sera pas à cause de Quanto, car c'est la plus belle haine de nos jours; elle n'a vraiment besoin de personne que de son bon esprit.

Vraiment vous me faites pitié19 de nous demander des oranges : c'est une étrange dégradation que de les voir gelées en Provence; au moins le soleil ne l'est pas ; vous me parlez d'une doucear du mois de mai qui me console.

J'ai vu Mlle de Méri; elle a fait l'effort de venir voir ce joli appartement20 : il ne lui plaît pas; c'est un malheur.

Elle est toujours très-languissante; les agitations de son petit ménage sont sans fin; je n'eusse jamais cru qu'une telle bagatelle eût pu l'occuper si uniquement. M. et Mme de Mesmes sortent d'ici ; ils ont recommencé sur nouveaux frais à parler de vous et de Grignan avec entêtement : votre bonne maison et vos beaux titres, Pauline et ses charmes, votre musique, votre terrasse, votre politesse, qui me fait croire une paysanne en comparaison

16. Il y faisait abattre de beaux bois, que Mme de Sévigné regretta fort. Voyez la lettre du 27 mai suivant.

17. Dans le texte de 1754, on lit simplement : « qui m'a tantôt parlé de vous d'une manière à l'embrasser. »

18. c C'est à l'arrivée de ce dernier courrier. D (Édition de 1754.)

19. « Vous me faites pitié, en vérité. » (Ibidem.)

20. Voyez la lettre du ier décembre précédent, p. lia et 116.

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de vous21 ; tout cela finit par une prière instante et réitérée de vous assurer tous deux de leurs très-humbles services, respects, amitiés, reconnoissance; enfin je n'ai jamais vu des gens si vifs sur votre sujet : je me suis chargée de tout, et je m'en acquitte. Je vous remercie de votre ligne pour M. et Mme de Nesmond22. On nous vient de dire que ce sera M. de Richelieu qui sera chevalier d'honneur; Madame sa femme, dame d'honneur de Madame la Dauphine ; Mme de Créquy", celle de la Reine : je crois assez tout cela; on les déclarera plus positivement dans quelques jours, ma chère fille.

Je2* voudrois bien vous pouvoir dépeindre au naturel un écran que M. le cardinal d'Estrées a donné

21. Dans l'édition de 1754, il y a simplement : c votre politesse, b

23. Voyez la note 4 de la lettre de la Toussaint, p. 70. -Cette petite phrase manque dans l'édition de 1754.

23. Armande de Saint-Gelais, fille puînée de Gilles, seigneur de Lansac, marquis de Balon, sœur de la marquise de Vassé. Elle épousa Charles III duc de Créquy, dont elle eut une fille unique qui fut mariée au duc de la Trémouille. Elle mourut le 11 août 1709.

« La duchesse de Créquy, dit Saint-Simon (tome VII, p. 338), ne survécut pas longtemps le duc de la Trémoille son gendre, si connue par sa beauté, par sa vertu, par la fameuse affaire des Corses de la garde du Pape, qui tirèrent sur elle et sur M. de Créquy, ambassadeur à Rome, et par avoir été dame d'honneur de la Reine. On disoit d'elle que son mari la montoit à la cour tous les matins comme une horloge. Elle succéda à la duchesse de Richelieu, que Mme de Maintenon fit passer par confiance à Madame la Dauphine, à son mariage, et Mme de Créquy fut dame d'honneur jusqu'à la mort de la Reine. Depuis qu'elle fut veuve (1687), elle alla rarement à la cour, et mena une vie très-pieuse et très-retirée. C'étoit une femme d'une grande douceur, et qui conserva toujours beaucoup de considération. D

24. Cet alinéa, qui manque dans l'impression de 1734, est précédé dans notre manuscrit de cette indication : « A Paris ce 208 octobre, » et dans l'édition de la Haye (1726) : « Paris, ce 208 octobre 1677. s

25. c Je voudrois pouvoir vous décrire un écran, etc. » (Édition de 1754.)

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à Madame de Savoie 26 en forme de sapate 27, et dont Mme de la Fayette a pris tout le soin et donné le dessin 28. Vous savez que Madame Royale ne souhaite rien tant au monde que l'accomplissement 28 du mariage de son fils avec l'infante de Portugal; c'est l'évangile du jour î0. Cet écran est d'une grandeur médiocre : du côté

26. Marie-Jeanne-Baptiste de Savoie-Nemours, mère de VictorAmédée-François, duc de Savoie, depuis roi de Sicile en 1713, et roi de Sardaigne en 1720. (Note de Perrin.)

27. « On appelle sapate un présent considérable donné sous la forme d'un autre qui l'est beaucoup moins, un citron par exemple, et il y a dedans un gros diamant : cela se pratique en Espagne et en Italie. » (Note du manuscrit autographe des Chansons de Coulanges.) — Sapate est le « nom d'une espèce de fête en usage parmi les Espagnols, qui la font le 5e décembre, veille de la Saint-Nicolas. La cérémonie du sapate consiste à faire à ses amis des présents, sans qu'ils sachent d'où ils leur viennent, et de les surprendre agréablement en les leur faisant trouver dans leurs maisons, sans qu'ils sachent d'où ni comment ils sont venus. Le sapate a passé en Savoie, où Catherine d'Espagne, femme de Charles-Emmanuel Ier, l'introduisit. 3 (Dictionnaire de Trévoux.)

28. a A pris tous les soins et donné le dessein. 5 (Édition de la Haye, 1726.)

29. cr Que Madame de Savoie ne souhaite au monde que l'accomplissement, etc. D (Édition de 1754.)

3o. Louis XIV, dit M. Henri Martin (Histoire de France, tome XIII, p. 583 et 584), avait songé à « compléter notre frontière naturelle du sud-est par la réunion de la Savoie et à déborder par delà cette frontière sur l'Italie, déjà entamée par la possession de Pignerol. Après la mort du duc de Savoie Charles-Emmanuel II, en 1675, une habile combinaison avait été préparée. Louis avait négocié le mariage du nouveau duc, le jeune Victor-Amédée II, avec l'héritière de Portugal. Dans le cas où Victor-Amédée parviendrait au trône de Portugal, Louis comptait l'amener à céder la Savoie et peut-être le Piémont à la France. Déjà les fiançailles avaient été célébrées (mars 1681), et le jeune duc, à l'instigation de Louis, allait partir pour Lisbonne, d'où Louis espérait le détourner de revenir jamais, quand des seigneurs piémontais soulevèrent le peuple contre l'abandon de son prince, et persuadèrent à Victor-Amédée et à sa mère, qui gouvernait sous son nom, de renoncer à cette royale

1679

du tableau ", c'est Madame Royale peinte en miniature, très-ressemblante, environ grande comme la main, accompagnée des Vertus, avec ce qui la fait reconnoître : cela fait un groupe fort beau et fort charmant Vis-àvis de la princesse est le jeune prince, beau comme un ange, d'après nature aussi, entouré des Grâces et des Amours; cette petite troupe est fort agréable. Madame Royale montre à son fils, avec la main droite, la mer et la ville de Lisbonne. La Gloire et la Renommée sont en l'air, qui l'attendent Si avec des couronnes. Sous les pieds du prince, c'est un vers de Virgile :

Matre dea monstrante viam 31.

alliance. Victor-Amédée, pour ne pas se brouiller avec son redoutable voisin, demanda la main de la seconde fille du due d'Orléans, soeur cadette de la reine d'Espagne, et l'épousa en 1684. J — La mère du jeune duc (Madame Royale) et la mère de l'infante de Portugal etaient soeurs. Sur la régente de Savoie, voyez tome IV, p. i85, note 17, et p. 555, note 5. Sa soeur puînée, Marie-Élisabeth-Françoise, avait épousé en 1666 le roi de Portugal Alphonse VI, puis, en 1668, après l'annulation de ce mariage, le regent don Pèdre, frère et héritier presomptif d'Alphonse; elle mourut en décembre i683, trois mois après son premier mari. Voyez la lettre du 8 septembre 1680. — L'lnfante, fille unique de don Pèdre et d'Elisabeth, ne survéeut pas à son père (devenu roi en 16 83, mort en 1706), et le trône passa à Jean V, fils du second mariage de don Pèdre. — Voyez encore tome VI des OEuvres de Louis XIV, une note de l'éditeur, p. 3g4; et p. 391 et 3g4, deux lettres de la reine (femme du régent) de Portugal au due d'Enghien et à Mme de Soubise; voyez en un les Memoircs de Mademoiselle, tome IV, p. 476 et 477.

3i. « D'un côté du tableau. » [Edition de 1754.)

32. « Avec ce qui les caractérise. » (Ibidem.)

33. c Et très-bien entendu. 11 {Ibidem.)

34. « Des Jeux; s et à la ligne suivante : a La princesse, > au lieu de : « Madame Royale. » (Ihidem.)

35. c sont en Pair, et l'attendent. » (Ihidem.)

36. « On lit ces mots de Virgile. » (Ihidem.) — Dans le texte de la Haye (1726) : a est un vers de Virgile. j

37. a La déesse ma mère me montrant la route. n (Énéide, livre I, vers 38a.)

16-79

Rien n'est mieux imaginé. L'autre côté de l'écran est d'une très-belle et très-riche broderie d'or et d'argent.

Les clous qui clouent le galon sont de diamants ; le pied est de vermeil doré, très-riche et très-bien travailléi8 ; la cheville qui retient l'écran est de diamants aussi. Le haut du bâton est la couronne de Savoie, toute de diamants 39. Enfin ce présent est tellement riche, agréable et dans le sujet, que tous les sapates en seront effacés. Il sera paisiblement40 mis devant le feu; on prétend que Madame sortant de son cabinet verra tout d'un coup ce joli écran, sans savoir d'où ni comment il se trouve là, qui revient tout ensemble à plus de deux mille écus. Je ne sais si je vous l'ai bien dépeint : voilà des présents comme je voudrois bien en pouvoir faire 41 à qui vous savez : je ne sais si je vous l'ai bien dépeint.

Adieu42 : je vous embrasse; il me semble que j'ai encore mille choses à vous dire, ce sera pour après-demain ; le temple de Janus étoit ouvert aujourd'hui pour Provence et Bretagne ; il y avoit cinq semaines que je n'avois écrit à mon fils; il avoit fait attendre M. d Harouys, pour lui dire qu'il ne reviendroit point avec lui. Monsieur le

38. Dans l'édition de 1754 : « Le pied est de vermeil doré, trèsriche et très-bien travaillé; les clous qui attachent le galon sont de diamants. »

3g. « La couronne qui est au haut du bâton est toute de diamants. a (Édition de la Hare, 1726.)

4o. L'édition de la Haye (1726) donne pareillement, qui est sans doute une faute d'impression; trois lignes plus loin : « il revient, D au lieu de « qui revient, a Dans l'édition de Perrin de 1754, cette phrase et la suivante ont été arrangées ainsi : « On fera trouver ce joli écran devant le feu, afin que Madame Royale, sortant de son cabinet, ait tout le plaisir de la surprise. Ah! ma fille, voilà des présents comme j'aimerois à pouvoir en faire : je ne sais si je vous ai bien représenté celui-là. »

- 4i. « Comme je voudrois bien en faire. » (Édition de la Haye, 1726.)

42. Ce dernier alinéa ne se lit que dans l'impression de 1734.

1679

Comte, Mesdemoiselles, mon petit marquis, et vous, ma

chère enfant, je ne vous ai rien dit.

762. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ ET DE MADAME DE GRIGNAN A MONSIEUR DE POMPONE.

DE MADAME DE SÉVIGNÉ.

A Paris, ce lundi 18e décembre.

VOILA, Monsieur, une lettre de ma fille; elle ne peut apaiser son cœur; elle pense à vous et m'en parle sans cesse; elle a une si juste idée de ce que vous valez, qu'elle me paroît plus empressée de l'honneur de votre amitié qu'elle ne l'a jamais été : elle croit que l'attention que vous pouvez avoir présentement pour vos amis, la doit rendre plus précieuse; enfin elle démêle parfaitement M. de Pompone d'avec le ministre.

DE MADAME DE GRIGNAN1.

JE n'ai pas dessein, Monsieur, de vous faire un compliment : je ne l'aurois pas tant retardé, étant plus sensible à ce qui vous arrive que ceux qui se sont pressés ; mais, Monsieur, trouvez bon que je vous demande la continuation de l'honneur de votre amitié, que vous m'avez

LETTRE 762 (revue sur l'autographe, pour la partie écrite par Mme de Grignan). — 1. Nous avons vu soit les originaux, soit des copies faites sur les originaux, d'un grand nombre de lettres écrites à Pompone, à l'occasion de sa disgrâce, par des personnages plus ou moins célèbres, par le grand Condé (billet autographe, 19 novembre), par Mme de la Fayette (21 du même mois), par la maréchale d'Estrées (même date), par la maréchale de Gramont (22), par Mlle de Scudéry (27), par Saint-Évremont (même date), par Barrillon (3o), par l'abbé de Rancé (3 décembre), par l'archevêque d'Arles, oncle du comte de Grignan (4 décembre). De ces lettres nous publions ici

1679

- jusques à présent si utilement accordée, sous le nom de protection. Comme il n'étoit pas nécessaire d'avoir un grand mérite pour obliger une âme comme la vôtre à faire les grâces dont la fortune vous rendoit dispensateur, et qu'il faut une égalité de mérite que je n'ai pas pour la première, à cause du grand nom et du haut rang de son auteur, et la dernière comme étant d'un membre de la famille de Grignan ; nous ne la mettons point à sa place dans la Correspondance même, parce que l'original est de la main d'un secrétaire, et seulement signé de l'archevêque.

LETTRE DU PRINCE DE COBTDE A M. DE POMPONE.

La nouvelle que je viens de recevoir de l'ordre que le Roi vous a donné me donne une des plus grandes afflictions que j'aie reçues de ma vie : je vous supplie d'en être bien persuadé et de croire que de tous les gens qui vous diront la même chose, il n'y en a pas un qui en soit plus vivement touché que moi, ni qui vous honore plus sincèrement que moi, Louis DE BOURBON.

A Chantilly, ce 19e novembre 1679.

LETTRE DE L'ARCHEVÊQUE D'ABLES A M. DE POMPONE.

A Salon, ce 4e décembre 1679.

Monsieur, Je suis obligé par tant de raisons d'entrer dans tous vos intérêts et d'être sensible à tout ce qui vous touche, que vous ne devez pas douter, Monsieur, que je ne prenne très-grande part à votre retraite de la cour. Tous les gens de bien en gémissent; notre famille en est dans la dernière consternation, et mon déplaisir est très-grand par toutes ces raisons. Je sais bien néanmoins que la fermeté de votre âme et le peu d'attachement que vous aviez à la cour rendront votre éloignement beaucoup plus sensible à vos amis qu'à vous-même, que le regardant d'une vue bien différente à celle des personnes du siècle, vous y trouverez autant de consolation qu'ils y trouvent matière de chagrin et de déplaisir. Quoi qu'il en soit, je vous supplie, Monsieur, d'être bien persuadé de mon attachement en toute sorte de temps et de lieu, et que je serai avec autant de zèle et de respect, retiré dans votre maison, que j'étois dans votre ministère, Monsieur, Votre très-humble et très-obéissant serviteur, L'ARCHEVÊQUE D'ARLES.

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être digne du commerce 2 de votre amitié, je m'adresse encore à votre bonté pour l'obtenir.

Je vous supplie de croire, Monsieur, que de tous les biens que j'en ai reçus, celui que je demande me paroît le plus honorable et le plus précieux. Avec les sentiments que je me trouve pour vous, Monsieur, il m'est difficile de vous plaindre ; il me semble que vous auriez beaucoup perdu si vous aviez cessé d'être M. de Pompone, quand vous avez eu d'autres dignités; mais de quelle perte ne doit-on pas se consoler, quand on est assuré d'être toujours l'homme du monde dont les vertus et le singulier mérite se font le plus aimer et respecter?

La comtesse DE GRIGNAN.

Monsieur le coadjuteur d'Arles est ici malade, depuis douze jours, de la fièvre continue ; c'estce qui l'a empêché de se donner l'honneur de vous écrire.

A Aix, ce ge décembre.

41 763- - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN1.

JE ne sais point les desseins de M. d'Oppède2; quand je vais chez M. de Pompone, ce n'est plus, comme vous

2. Les mots du commerce sont écrits au-dessus de la ligne. Les mots je m'adresse encore sont aussi en interligne, au-dessus de mots biffés et illisibles.

LETTRE 763 (revue sur une ancienne copie). — 1. Ce fragment n'est point daté. Ce qui y est dit du triste voyage de Mme de Vins à Saint-Germain et de la récente disgrâce, détermine à peu près l'époque où fut écrite la lettre dont il faisait partie. Comparez celle du 27 décembre suivant, p. 155.

2. Est-ce celui dont il a été question dans la lettre du 24 février 1672 ? Voyez tome II, p. 5n, note 1.

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savez, que chez le plus honnête homme du monde, ce n'est plus chez un ministre. On ne lui a pas encore donné la somme entière. Je crois que Mme de Vins ira bientôt à Saint-Germain : Mme de Richelieu lui a mandé. Je la plains : ce voyage sera triste pour elle ; je ne m'accoutume point à cette disgrâce. Je souffrirai celle de voir votre ministre bourru8 ; j'observerai ses manières charmantes : jusques ici je n'ai dans la mémoire que son coup de Jean Maillard.

Vous avez très-bien fait de vous coucher à onze heures le jour de votre bal ; quand on voit que l'on ne voit rien, on ne sauroit mieux faire. Êtes-vous dans une entière impuissance de danser un menuet, comme l'année passée, au cas que je vous en priasse de bonne grâce, dans ma chambre? Je tâche à mesurer votre force passée avec votre force présente.

Je vis l'autre jour les duchesses de Lesdiguières et de Sully, qui me parurent fort dignes du souvenir que vous avez d'elles par celui qu'elles ont de vous. Mon fils ne m'écrit point; il n'est pas encore revenu à Nantes. J'avois jusques ici tout mis sur mon compte, en disant qu'il achevoit mes affaires; mais je commence à succomber aux reproches amers de M. de la Trousse, qui me dit que je devrois donc lui faire vendre sa charge pour vaquer à celle de mon intendant. Je vous prie que ceci ne tourne point ; j'espère que mon fils reviendra alors que j'y penserai le moins, et qu'au bout de huit jours il n'y paroîtra plus. Ces sortes de conduites sont aussi mauvaises pour prendre les hérons que pour faire sa cour.

3. Ceci s'applique évidemment à Colbert : voyez tome V, p. 143.

Son coup de Jean Maillard est celui qu'il vient de porter à Pompone et à Louvois. Le manuscrit donne boury, au lieu de bourru.

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764. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, lundi 25e décembre.

L'ÉLOIGNEMENT, ma très-chère, est une chose affreuse, accompagné de tout ce qui accompagne le nôtre1. Je vous épargne souvent de lire mes peines sur votre sujet ; mais il m'est quelquefois impossible de vous les dissimuler; il faut que je les bourdonne comme la mouche; je souhaite que ce ne soit pas aussi inutilement, et que l'amitié que vous avez pour moi fasse un effet qui est de vous réveiller 2 sur le soin que vous devez avoir de vous avant toutes choses ; sans cela je ne vous conserverai point bien la personne du monde qui vous aime le plus : il faut que vous commenciez par me ménager celle qui m'est la plus chère. Que n'avez-vous un peu de ma grande santé? je ne vous en dis rien, parce qu'elle va toute seule.

J'ai parlé de vos affaires aux Grignans; il est vrai que c'est là où je fais comme la mouche; ils sont fort opposés à l'affaire de Toulon. M. de la Garde et le chevalier ne trouvent pas que ce soit une chose à imaginer, à moins que de vouloir vous brouiller avec M. de Vendôme. Le chevalier est allé à Saint-Germain ; je lui ai mis entièrement entre les mains l'affaire de notre courrier. M. l'abbé de Grignan s'en étoit chargé; en vérité, il a d'autres affaires, je l'excuse : on va donner des évêchés s; il faut un peu mieux suivre cette bagatelle pour en venir à bout ;

LETTRE 764. - 1. « L'éloignement, joint à tout ce qui accompagne le nôtre, est une chose affreuse. » (Édition de 1754.) 2. II Fasse un effet qui vous réveille, s (Ihidem.)

3. a Le chevalier est allé à Saint-Germain; c'est lui qui prendra soin de l'affaire de notre courrier : le bel abbé s'en étoit chargé ; en vérité, il a d'autres affaires : on va donner les évêchés. » (Ibidem.)

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cela se tournoit en placets à M. Colbert, et devenoit à rien. Il est vrai que j'ai un peu bourdonné, et me suis si bien placée 4 sur le nez du chevalier, que je suis persuadée qu'il me la rapportera de Saint-Germain ; je ferai le reste : la chicane de son rhumatisme l'a empêché d'en prendre plus tôt le soin6. J'admire comme en toutes choses, grandes et petites, vous êtes malheureux. M. de Saint-Géran l'est encore plus que vous : c'est un homme perdu; il est tombé des nues, il ne parle plus, et tout le monde est ravi de cette mortification 8. Il a eu de grands coups auprès de Sa Majesté. Le premier a été par le comte de Gramont; prenez son ton : « Sire, dit-il il y a quelque temps, je vous demande la charge de premier écuyer de Madame la Dauphine; peut-être Votre Majesté ne me jugera pas digne de cet emploi ; mais quand je vois le gros Saint-Géran qui y prétend, je crois, Sire, que je puis bien vous nommer le pauvre comte de Gramont. » Sur cela on pense et on fait des réflexions. Il y a eu des choses plus fortes7 : ce comte trouva l'autre jour Saint-Géran à deux genoux dans la chapelle, qui ne faisoit pas semblant de regarder toute la cour, qui y étoit.

« Mon ami, lui dit-il en lui frappant sur l'épaule, il faut vous consoler avec Jésus-Christ. » Le Roi même en pensa éclater. Il disoit hier à Monsieur le Dauphin devant le Roi : « Monseigneur, je vous supplie de dire à Madame la Dauphine qu'il n'a pas tenu à moi que je n'aie été de sa maison ; j'en prends le Roi à témoin. » On dit que l'on partira à la fin de janvier pour aller épouser cette princesse. N'êtes-vous pas bien contente de tous les choix

4- « Plantée. » (Édition de 1754.)

5. a L'avoit empêché de s'en mêler plus tôt. » (Ihidem.)

6. Voyez la lettre de Mme de Sévigné à Mme de Grignan, du 10 janvier 1680.

7. « Plus fortes encore, a (Édition de 1754.)

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qui ont été faits8 ? Tout le monde l'est'. M. de Richelieu et le maréchal de Bellefonds rempliront bien ces deux charges18, et ne feront pas même des places nouvelles11 aux cordons bleus, quand il y en aura; car ils l'auroient été sans cela. On a donné à Mme de S*** 12 les mêmes appointements et les mêmes entrées qu'à la dame d'10nneur, sans en avoir le titre : cela s'appelle de l'argent ; c'est, avec les deux mille écus de dame de la Reine, qu'elle a toujours", vingt-une mille livres" de rente qu'elle aura tous les ans. Quand on a voulu 16 faire des compliments à M. de S*** u : « Hélas ! cela vient par ma femme, je n'en dois point recevoir les compliments. » Et Mme de R*** 17 : « Voilà ce que c'est que tle s'être bien attachée à la Reine. » Le monde est toujours bon à son ordinaire. La duchesse de Sully revient de Picardie; elle s'en va passer l'hiver à Sully jusqu'au retour de Mme de Verneuil. Mme de Lesdiguières est très-digne de votre souvenir : elle me demande toujours de vos nouvelles avec amitié, et m'a priée même de vous dire bien des choses de sa part. J'ai été à la messe de minuit aux Bleues ", où

8. cr Qu'on a faits. » (Édition de 1754.)

9. Cette petite phrase - n'est pas dans l'édition de 1754.

10. De chevalier d'honneur et de premier écuyer.

II. « De places nouvelles. 1 (Édition de 1754.)

12. Mme de Soubise. Les deux éditions de Perrin, nos seules sourees pour cette lettre, ne donnent que l'initiale.

i3. c Qu'on lui conserve toujours. » (Édition de 1754.)

14* * Vingt-un mille livres. » (Ibidem.)

r5. Cette phrase et les deux suivantes, jusqu'à : « La duchesse de Sully, » ne sont pas dans l'édition de 1734. On y lit simplement: « Quand on a voulu faire des compliments, ils ont été reçus avec assez d'indifférence. «

16. M. de Soubise.

17. Mme de Rochefort.

18. L'église du couvent des Filles de l'Annonciade, dans la rue Culture-Sainte-Catherine, à côté de l'hôtel Carnavalet. Voyez tome V, p. 347, note 7, et ci-dessus, p. 116, note 11. x

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il faisoit chaud ; le sermon de l'après-dînée a été froid ; c'étoit un jésuite19 aussi pervers que je suis perverse le jour que je dîne dans la petite société". Adieu21, ma très-belle et très-bonne : je vous en dirai davantage au premier jour.

765. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, mercredi 27e décembre.

TOUTE la maison de Pompone est venue passer les fêtes ici. Mme de Vins y étoit la première; je l'avois vue deux fois. Je trouvai M. de Pompone, le M. de Pompone de Fresnes, n'étant plus que le plus honnête homme du monde tout simplement : comme le ministère ne l'avoit point changé, la disgrâce ne le change point aussi. Il est de très-bonne compagnie; il me parla fort tendrement de vous1 : ce chapitre nous dura longtemps, ayant à lui dire de mon côté de quelle manière vous m'en écriviez2. Mme de Vins s'attendrit en parlant de la bonté de votre cœur, et tous nos yeux rougirent. Ils s'en retournent à Pompone 3, n'ayant point encore pris de consistance : ils n'ont pas donné leur démission ; on ne

19. Dans l'édition de 1734 : <1 un docteur. »

20. Voyez la fin de la lettre du Ier décembre précédent, p. 117.

21. Cette dernière phrase manque dans l'édition de 1754.

LETTRE 765. — 1. L'édition de 1754 ajoute : et et me parut fort touché de votre dernière lettre. » Voyez ci-dessus, p. 147.

2. « Ce chapitre ne s'épuisa pas sitôt : j'avois de mon côté à lui dire de quelle manière vous m'écriviez sur son sujet. » (Édition de 1754.)

3. L'impression de 1754 porte ici : « Ils s'en retournent demain à Pompone. » Au milieu du paragraphe suivant elle omet la petite phrase : « Ils s'en retournent demain. »

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leur a point donné d'argent. Il a demandé s'il pouvoit avoir l'honneur de voir le Roi, on ne lui a point fait de réponse. Il ne peut être mieux' qu'à Pompone, à inspirer la véritable vertu à ses enfants, et à causer avec ces solitaires qui sont làs.

Nous avons fait tout aujourd'hui' des visites, Mme de Vins et moi : elle n'a plus l'lme de Villars, ni vous; elle me compte pour quelque chose ; je me trouve heureuse de pouvoir lui faire ces petits plaisirs. Nous avons été chez Mmes de Richelieu, de Chaulnes, de Créquy, de Rochefort, et puis chez M. de Pompone, que je trouve toujours plus aimable ; je n'ai jamais vu une tête si bien faite. Ils s'en retournent demain. Mme de Vins' s'en va faire un tour à Saint-Germain : quelle douleur de revoir ce pays, qui étoit le sien, et où elle est étrangère ! je crains ce voyage pour elle. Ensuite de ce devoir, elle s'en retournera trouver8 les malheureux dont elle fait la joie et la consolation; elle est plus pénétrée qu'ils ne le sont; elle me paroît fort tendre pour vous ; elle n'est rien moins qu'un fagot â épines

La cour est toute réjouie du mariage de M. le prince de

4. « s'il lui seroit permis de voir le Roi, il n'a point eu de réponse. Je trouve qu'il ne peut être mieux, etc. 1 (Édition de 1754.)

- 5. « Avec les solitaires qui y sont. » (lbide';'.) — Arnauld de Lusancy était l'un de ces solitaires ; il avait peut-être avec lui quelqu'un de ses amis de Port-Royal des Champs. Arnauld d'Andilly était mort en 1674.

6. c Toute la journée. » (Édition de 1754.)

7. « chez M. de Pompone, qui me paroît toujours plus aimable; c'est la tête la mieux faite que j'aie vue. Mme de Vins, etc. »

(Ihidem. )

8. c Elle reviendra ensuite trouver. » (Ibidem.) — Les trois membres de phrase qui terminent l'alinéa ne se trouvent que dans l'impression de 1734.

9. Mme de Sévigné disait, en parlant de Mme de Vins, dans la lettre du 3 novembre 1675 (tome IV, p. an) ; c Elle veut

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Conti et de Mademoiselle de Blois 10. Ils s'aiment comme dans les romans; le Roi s'est fait un grand jeu de leur inclination : il parla tendrement à sa fille, et qu'il l'aimoit" si fort, qu'il n'avoit point voulu l'éloigner de lui; la petite fut si attendrie et si aise, qu'elle pleura, et le Roi lui dit qu'il voyoit bien que c'est qu'elle avoit de l'aversion pour M. le prince de Conti"; elle redoubla ses pleurs : son petit cœur ne pouvoit contenir tant de joie.

Le Roi conta cette petite scène, et tout le monde y prit plaisir. Pour M. le prince de Conti, il étoit transporté; il ne savoit ni ce qu'il disoit, ni ce qu'il faisoit; il passoit par-dessus tous les gens qu'il trouvoit en son chemin, pour aller trouver13 Mademoiselle de Blois. Mme Colbert14 ne vouloit pas qu'il la vît que le soir ; il força les portes, et se jeta à ses pieds, et lui baisa la main ; elle, sans autre façon, l'embrassa, et la revoilà encore à pleurer16. Cette bonne petite princesse est si tendre et si jolie, que l'on voudroit la manger. Le comte de Gramont fit ses compliments, comme les autres, au prince de Conti : « Monsieur, je me réjouis de votre mariage; croyez-moi, ménagez le beau-père, ne le chicanez point, ne prenez point garde à peu de chose avec lui ; vivez bien dans cette famille, et je vous réponds que vous vous trouverez fort bien de cette alliance. » Le Roi se réjouit de tout cela, et marie sa fille, en faisant des compliments,

désabuser M. de Pompone de ma tendresse ; il n'y a plus que pour elle : je n'ai jamais vu un fagot d'épines si révolté; x et dans la lettre du 17 novembre de la même année (tome IV, p. 235) : t Jamais vous n'avez vu un si joli fagot d'épines. »

10. Ce mariage fut célébré le 16 janvier 1680.

II. « Et l'assura qu'il l'aimoit. » (Édition de 1754.)

12. « Pour le mari qu'il lui avoit choisi. » (Ibidem.)

i3. « Pour aller voir. » (Ibidem.)

14. C'était Mme Colbert qui élevait Mademoiselle de Blois.

15. « Et la revoilà à pleurer. » (Édition de 1704.)

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comme un autre, à Monsieur le Prince, à Monsieur le Duc et à Madame la Duchesse, demandant son amitié à cette dernière pour16 Mademoiselle de Blois, disant qu'elle seroit trop heureuse d'être souvent auprès d'elle, et de suivre un si bon exemple. Il se réjouit" à donner des transes au prince de Conti: il lui fait dire" que les articles ne sont pas sans difficulté, qu'il faut remettre l'affaire à l'hiver qui vient : là-dessus le princeu tombe comme évanoui; la princesse l'assure qu'elle n'en aura jamais d'autre. Cette fin s'écarte un peu dans le roman; mais dans la vérité il n'y en eut jamais un si joli20. Vous pouvez penser21 comme ce mariage, et la manière dont le Roi le fait, donnent de plaisir en certain lieu" Voilà, ma fille, bien des détails pour divertir Mlle de Grignan.

Le portrait de Madame la Dauphine est arrivé : il est très-médiocrement beau 23; on loue son esprit, ses dents, sa taille : c'est où de Troy 24 n'a pas trouvé à s'exercer.

J'ai fait vos remerciements à M. de la Rochefoucauld; il a une attention fort obligeante pour M. de Grignan et pour vous. Mme de la Fayette vous dit ses tendresses ; MM. les cardinaux d'Estrées et de Bouillon, et les

16. « Et à Madame la Duchesse, à laquelle il demande son amitié pour. » (Édition de 1754.)

17. a II s'amuse. » (Ibidem.)

18. c A qui on dit. » (Ibidem.)

19. a Le prince amoureux. » (Ibidem.)

ao. « Cette fin s'écarte un peu dans le don Quichotte, mais dans la vérité il n'y eut jamais un si joli roman. » (Ibidem.)

21. Cette phrase ne se trouve que dans l'édition de 1754; mais la suivante n'est que dans celle de 1734.

aa. Chez Mme de Montespan.

a3. c Elle y paroît très-médiocrement belle. » (Édition de 1754.)

24. François de Troy, peintre célèbre pour les portraits, - né à Toulouse en février 1645, mort à Paris le Ier mai 1730.

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veuves 26 : je ne trouve autre chose que des gens qui me prient de vous parler d'eux2®.

Mme d'Effiat27 n'a encore rien gâté, et n'est point gâtée. La maréchale de Clérembaut est ici : elle soutient stoïquement sa disgrâce, et ne se fera point ouvrir les veines ; mais elle perdit mille louis contre le petit d'Harouys28, tête à tête, la veille de son arrivée 29. Il ne faut que cela pour trouver la raison de ce qui lai arrive au Palais-Royal.

2 5. Mme de Sévigné semble désigner ainsi, dans la lettre du ia juin suivant, Mmes de Lavardin, de Mouci et d'Uxelles.

26. La lettre finit ici dans le texte de 1734, qui ajoute seulement: a Adieu, ma très-chère et très-aimable enfant. »

27. Elle venait d'être nommée gouvernante des enfants de Monsieur, à la place de la maréchale de Clérembaut. Voyez les lettres des 6 et 8 décembre précédents, p. 124 et 132.

28. Fils du trésorier des États de Bretagne. Il fut, dit Saint-Simon (tome II, p. 337), « maître des requêtes et intendant de province, avec réputation d'esprit et de probité. Il se fit aimer et estimer, et il auroit été plus loin, si la piété tant de lui que de sa femme, dont il n'avoit pas d'enfants, ne les avoit engagés à tout quitter pour ne penser qu'à leur salut. J'ai fort vu cette Mme d'Harouys à Pontchartrain, qui avoit beaucoup d'esprit, et un esprit très-aimable et orné, extrêmement dans les meilleures œuvres, et extrêmement janséniste. Je me suis souvent fort diverti à disputer avec elle. J'étois ravi quand je l'y trouvois. »

29. « Elle aimoit fort le jeu, mais le jeu de commerce et point trop gros, et eût joué volontiers jour et nuit. J) (Saint-Simon, tome XIX, p. 427; voyez encore le tome III des Mémoires, p. 384 et 385.)

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766. - DE MADAME DE SÉVIGLRÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, vendredi 296 décembre.

MA très-chère fille, figurez-vous que je suis à genoux devant vous, et qu'avec beaucoup de larmes je vous demande, par toute l'amitié que vous avez pour moi, et par toute .celle que j'ai pour vous, de ne me plus écrire que comme vous avez fait la dernière fois. Ma chère enfant, c'est tellement du cœur1 que je vous demande cette grâce, qu'il est impossible que cette vérité ne se fasse sentir au vôtre 2. Hélas ! ma chère enfant, toute épuisée, toute accablée, n'en pouvant plus, une douleur et une sécheresse de poitrine épouvantable ! et moi, qui vous aime chèrement, je puis contribuer à votre perte ; je puis me reprocher d'être cause de cet état douloureux et périlleux; moi, qui donnerois ma vie pour sauver la vôtre, je serai cause de votre perte, et j'aurai si peu de tendresse pour vous, que je mettrai en comparaison le plaisir de lire vos lettres, et les réponses très-agréables que vous me faites sur des bagatelles, avec la douleur de vous tuer, de vous faire mourir ; ma très-chère, cette pensée me fait frissonner : s'accommode qui voudra de cet assassinat; pour moi, je ne puis l'envisager, et je vous jure et vous proteste que si vous m'écrivez plus d'une feuille, et que pour les nouvelles vous ne vous serviez de Montgobert ou de Gautier, je vous jure que je ne vous écrirai plus du

LETTRE 766 (revue en partie sur une ancienne copie). — 1. a Du fond de mon cœur. » (Édition de 1754.) 2. Tout ce qui suit, jusqu'à : et Quoi ! je pourrois me reprocher (p. 160), » manque dans l'édition de 1754, qui donne, à cette reprise, la variante que voici : « Quoi ! je pourrois me reprocher votre accablement, votre épuisement! ah ! ma chère enfant, cette pensée me fait assez de mal, etc. »

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- tout; et ce commerce rompu de mon côté me donnera autant de chagrin que j'aurai de soulagement si vous en usez comme je vous le dis. Quoi! je pourrois me reprocher le mal que vous sentez! Hélas ! ma chère enfant, il me fait assez de mal, sans que j'y ajoute de vous tuer de ma propre main ; voilà qui est fait : si vous m'aimez, ôtezmoi du nombre de ce que vous croyez vos devoirs; je me croirai 3 la plus aimée, la mieux traitée, la plus tendrement ménagée, quand vous prendrez sur moi, et que vous ôterez du nombre de vos fatigues le volume que vous m'écrivez. Il y a longtemps que j'en suis blessée4, et que je me doute de ce qui vous est arrivé ; mais enfin cela est trop visible, et j'aimerai toute ma vie Montgobert de vous avoir forcée à lui quitter la plume : voilà ce que j'appelle de l'amitié ; je m'en vais l'en remercier ; voilà ce qui s'appelle avoir des yeux, et vous regarder ; je me moque de tout le reste : ils ont des yeux et ne voient point ; nous avons les mêmes yeux, elle et moi; aussi je n'écoute qu'elle : elle n'a osé me dire un mot cette fois; sa sincérité et la crainte de m'affliger lui ont imposé silence.

Mlle de Méri se gouverne bien mieux : elle n'écrit point.

Corbinelli se tue quand il veut : il n'a qu'à écrire ; qu'il soit huit jours sans regarder son écritoire, il ressuscite.

Laissez, laissez un peu la vôtre, toute jolie qu'elle est; ne vous disois-je pas bien que c'étoitun poignard que je vous donnois 5 ? Vous avez si bien ménagé ce que vous avez

3. La fin de la phrase, à partir de : « je me croirai, s manque dans l'impression de 1754.

4. c Il y a longtemps que je suis blessée du volume que vous m'écrivez. » (Edition de 1754.)

5. Voyez la lettre du Ier décembre précédent, p. n4* — Tout ce qui suit, jusqu'à : a Vous avez été à Lambesc, s est remplacé dans l'édition de 1754 par cette simple phrase : « Je vis l'autre jour du Chesne qui me parla de votre santé, et me dit encore pis que pendre de cette chienne d'écriture. »

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écrit dans votre lettre, qu'elle m'a paru toute de vous ;j'étois fâchée de sa grosseur, et quoique j'aie compris l'état où vous étiez avec beaucoup de peine, j'ai mieux aimé que cela soit arrivé pour vous corriger, et y mettre un bon ordre une bonne fois pour toutes, que d'être encore trompée, et vous achever d'accabler. Je vis l'autre jour du Chesne chez M. de Coulanges, qui a gardé plus de quinze jours sa chambre pour des dégoûts et des plénitudes; il me parla de votre santé, et me dit encore pis que pendre de cette chienne d'écriture. Il est ami de Fagon; il me conta qu'il ne vivoit que par l'éloignement des écritoires, et me dit encore que vous ne vous laissassiez point mourir d'inanition : quand la digestion est trop longue, il faut manger, cela consomme un reste qui ne fait que se pourrir et fumer, si vous ne le réchauffez par - des aliments : Saint-Aubin en a fait cent fois l'expérience.

Il me pria fort aussi de vous recommander l'eau de SainteReine. C'est une cause de tous vos maux, à quoi vous ne pensez peut-être pas. Ma fille, Dieu veut que je vous dise

tout cela : je le prie de donner à mes paroles toute la force nécessaire pour vous frapper, et vous obliger d'en faire votre profit. Je pris hier une médecine par l'ordre du bon duChesne; elle m'a fait comme celle du Bourbonnois; je prendrai demain la petite eau de cerises, et le tout pour vous plaire : faites aussi quelque chose pour moi. Vous avez été à Lambesc, à Salon : ces voyages, avec votre poitrine, ont dû vous mettre en mauvais état, et vous ne vous 'en souciez point, et personne n'y pense. Vous seriez bien fâchée d'avoir rien dérangé; il faut que la compagnie de ibohèmes soit complète, comme si vous aviez leur santé.

FVotre lit, votre chambre, un grand repos, un grand régime, voilà ce qu'il vous falloit, ma chère enfant : au lieu de cela, du mouvement, des compliments, du dérèglement et de la fatigue. Il ne faut rien espérer de vous, tant que

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vous mettrez toutes sortes de choses devant votre santé.

J'ai tellement rangé d'une autre sorte 1 cette unique affaire, qu'il me semble que tout est loin de moi en comparaison de cette intime attention que j'ai pour vous ; cependant je veux finir pour aujourd'hui ce chapitre.

Je vous mandai avant-hier, par un petit guenillon de billet qui suivoit une grosse lettre7, que Mme de Soubise étoit exilée : cela devient faux. Il nous paroît qu'elle a parlé, un peu murmuré 8 de n'avoir pas été dame d'honneur, comme la Reine vouloir, peut-être méprisé la pension au prix de cette belle place10 ; et sur cela la Reine lui aura conseillé de venir passer son chagrin à Paris. Elle y est, et même on dit qu'elle a la rougeole : on ne la voit point, mais on est persuadé qu'elle retournera, comme si de rien n'étoit. On faisoit une grande affaire de rien :

6. et D'une autre façon. » (Édition de 1754.)

7. « Par un guenillon de billet à la suite d'une grosse lettre. 11 (ibidem. )

8. « Qu'elle a un peu murmuré. » (Ibidem.) — Mme de Soubise (les éditions de Perrin ne donnent que l'initiale S*** ), mécontente de n'avoir pas été nommée dame d'honneur, avait écrit au Roi, dit Mademoiselle (voyez ses Mémoires, tome IV, p. 418 et 419), « une lettre fort emportée. où elle lui reprochoit qu'il lui avoit manqué de parole; il lui fit dire ce jour-là de s'en aller. Comme nous revenions le soir de quelque dévotion avec la Reine, Mme de Montespan et moi, la Reine entra dans son cabinet et fut longtemps enfermée avec Mme de Soubise, que la Reine avoit toujours fort aimée et qu'elle préféroit à tout le monde. On dit qu'après cette conversation elle en parla au Roi, et que le Roi lui dit : « Elle Il vous trompe ; » et qu'il lui en dit beaucoup de choses désobligeantes. C'étoit pour lui dire adieu ; car elle alla à Paris, où elle fit semblant d'avoir la rougeole pour ne voir personne; puis elle s'en alla à la Chapelle, une maison de M. de Luynes; elle y passa son exil. »

9. <c Comme la Reine le vouloit. » (Editions de 1734 et de 1754.)

10. s Auprès de cette belle place. » (Edition de 1754.)

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'esprit charitable de souhaiter plaies et bosses à tout le ponde est extrêmement répandu. Il y a de certaines choses le contraire sur quoi on se trouve disposé à souffler du jonheur, comme du temps des fées. Le mariage de Madenoiselle de Blois plaît au yeux. Le Roi lui dit d'écrire à la mère" ce qu'il faisoit pour elle. Tout le monde a été m faire compliment12 ; je crois que Mme de Coulanges n'y mènera demain. Je veux voir aussi la petite du Jaietu : je serai lundi à sa prise d'habits, et je lui fais donner tous ses habits par la Bagnols. Monsieur le Prince, Monsieur le Duc sont courus chez cette sainte fille et ère, qui a parfaitement bien accommodé son style à son le noir, assaisonnant parfaitement sa tendresse14 de Eavec celle d'épouse de Jésus-Christ. Les princesu ee poussé leurs honnêtetés jusqu'à Mme de Saint-Remy a s a a fille, et une vieille tante obscure qui demeure dans rfaubourg : en vérité, ils ont raison de pardonner au jôté maternel en faveur de l'autre. Le Roi marie sa fille ion comme la sienne, mais comme celle de la Reine 16, auil marieroit au roi d'Espagne : il lui donne cinq cent -

e11. Mme de la Vallière. - Dans le texte de 1754 : « de mander sa mère. »

ki 2. a Tout le monde a été faire compliment à cette sainte carméEë. » (Édition de 1754.)

[ Fille sans doute du gentilhomme provençal de ce nom, dont rr souvent parlé dans la Correspondance : voyez la lettre du 5 janr suivant, p. 175, et tome III, p. 327 et note 1. — Cette phrase ne se ive que dans notre manuscrit. Le texte de 1734 ne reprend qu'à : PRoi marie sa fille. »

la Monsieur le Prince et Monsieur le Duc ont couru chez elle ; dit qu'elle a parfaitement bien accommodé son style à son voile r, et assaisonné sa tendresse, etc. » (Édition de 1754.)

Cette phrase ne se lit que dans notre manuscrit.— Sur Mme de

mnt-Remy, voyez plus haut, p. 27, la fin de la note 10.

FÎ6. a Le Roi marie sa fille comme si elle étoit celle de la Reine. »

édition de 1754.)

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mille écus d'or17, comme on fait toujours avec ces couronnes, hormis que ceux-ci seront payés, et que les autres fort souvent ne font qu'honorer le contrat. Cette jolie noce se fera devant le 15e janvier18. Gautier" ne peut plus se plaindre : il aura touché cette année en noces plus d'un million. On donne d'abord cent mille francs à la maréchale de Rochefort, pour commencer les habits de la Dauphine. Monsieur l'Electeur avoit mandé les marchands de Paris pour habiller sa sœur ; le Roi l'a prié de ne se mettre en peine de rien, et que, avec sa maison qu'on lui envoyoit, elle pourroit trouver 20 tout ce qu'elle pourroit souhaiter. Ce mariage 21 se fera avec beaucoup de dignité; on ne partira qu'en février.

J'attendrai Gordes22 avec impatience, et laisserai bien assurément écumer mon pot23 à qui voudra, pour lui demander : « Comment se porte-t-elle24, et que fait-elle? »

17. L'écu d'or, dit Furetière, « est une monnoie d'or qui. vaut maintenant II4 sous. »

18. a Vers le 15 de j anvier. » (Édition de 1754.)

ig. Voyez tome III, p. 76, note 15.

20. « Puisque, avec la maison qu'on envoyoit à la princesse, elle trouveroit, etc. » (Édition de 1754-)

21. c Le mariage. » (Édition de 1734.)

22. Voyez tome II, p. 509, note 6, et tome III, p. 275, note 2.

— Le marquis de Gordes dont il est question dans ces lettres du tome II et du tome III, mourut, d'après Saint-Simon, en 1680; il est donc possible que ce soit encore de lui qu'il s'agisse dans cette lettre-ci, et dans celle du 3 janvier suivant, p. 169. Saint-Simon (tome I, p. 295) nous apprend de plus qu'il était frère de l'évéque de Langres (mort en 1695), qu'il fut comme son père (mort en 1642), chevalier de l'ordre et premier capitaine des gardes, qu'il vendit cette charge à Chandenier, qu'il devint ensuite chevalier d'honneur de la Reine, et fut père de Mme de Rhodes. — Sur son frère l'évéque de Langres et un neveu de celui-ci, voyez la lettre du 3 novembre 1688.

23. C'est-à-dire, je laisserai à qui voudra le soin de faire les honneurs de chez moi à ma compagnie. (Note de Perrin.)

24. « Comment se porte ma fille? » (Édition de 1754.)

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S'il me répond comme le chevalier de Buous ", je le laisserai là, en soupirant, car ce n'est pas sans beaucoup de ouleuI" qu'on ne peut pas s'accommoder de ce qu'il dit Je vous16. Monsieur l'Intendant" est bien heureux d'être p galant, sans craindre de rendre sa femme jalouse ; je voudrois qu'il mît les échecs à la place du hère 28 : autant Ifle fois qu'il seroit mat, seroient autant de marques de sa passion. La mienne continue pour ce jeu : je me fais un honneur de faire mentir M. de la Trousse, et je crains quelquefois de n'y pas réussir. Je suis fort bien reçue buand je fais vos compliments : votre souvenir honore. J'ai pit votre devoir à l'abbé Arnauld età la Troche". Mme de [Coulanges veut vous écrire, et vous remercier elle-même, mais ce sera l'année qui vient : elle est dans l'agitation nés étrennes, qui est violente cette année. Il me semble [que vous croyez que je mens, quand je vous parle de la ponnoissance de Fagonet de du Chesne : c'a été, ma belle, [pendantla blessure de M. de Louvois ao, qu'ils furent quarante jours ensemble, et se sont liés d'une estime trèsparticulière. Oui, n'en riez point, c'est à votre montre qu'il faut regarder si vous avez faim ; et quand elle vous dira qu'il y a huit ou neuf heures que vous n'avez mangé,

25. Voyez la lettre du 8 décembre précédent, p. 134.

1 a6. « Car ce n'est pas sans douleur que je n'ose m'accommoder dgs merveilles qu'on dit de votre santé. ) (Édition de 1754.) -

fl-j. Rouillé de Mêlai.

^a8. Le hère « est un jeu de cartes où on ne donne qu'une carte à chaque personne. On la peut changer contre son voisin, et celui à jui la plus basse carte demeure perd le coup. Le hère est le jeu des pères de famille, parce qu'ils y font jouer jusqu'aux plus petits enjpts. D (Dictionnaire de Furetière.)

19. Cette petite phrase n'est pas dans le texte de 1754.

jo. Dans une promenade, son cheval s'était abattu et lui avait cassé une jambe. Cet accident était arrivé le 3 août. Voyez Y Histoire de Louvois par M. Rousset, tome II, p. 56o et 561.

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avalez un bon potage, et vous consommerez Si ce que vous appelez une indigestion. Je voudrois as que la montre fût méchante, et que le cuisinier fût bon ; je voudrois vous avoir envoyé le mien, il est cent fois meilleur; je suis un peu fâchée contre la Forêt d'avoir tant répondu d'un si vilain marmiton : nous avons tous été aveuglés.

Nous pouvons donc espérer de voir Monsieur le Coadjuteur, et lui voir une princesse" dans la multitude de ses poulettes. Sa ruelle étoit celle de la vieille princesse, où il y avoit34 trois fauteuils tout de suite, et des sièges pliants ensuite; et l'on se trouvoit à l'aventure sur ces chaises, et quand il venoit plus de duchesses qu'il n'y en avoit, elles avoient pour se consoler Mme dé Brachane36 et Mme d'Orval" sur des pliants : cette confusion étoit

31. «Et vous consumerez. J) (Édition de 1754.)

32. Cette phrase ne se trouve que dans le texte de 1734. Tout l'alinéa manque dans notre manuscrit, qui ne donne, de toute la lettre, que le précédent et le suivant.

33. a Et de compter une princesse. » (Édition de 1754.)

34- « Étoit celle de la vieille princesse ; il y avoit, etc. » (Édition de 1734.) — Cette phrase manque dans le texte de 1754, qui ne reprend qu'à : e Hélas ! que sait-on. » — Il nous paraît certain que Mme de Sévigné parle ici de la nouvelle princesse de Guémené et de la ruelle de celle-ci; la vieille princesse est la grand'mère de la lettre du 6 décembre précédent : voyez p. 119 et 120, notes 9 et 11.

35. Le nom est ainsi francisé dans notre manuscrit et dans l'édition de 1734; celle de 1754 donne : et Mme de Bracciano. » AnneMarie de la Trémouille, fille de Louis de la Trémouille, duc de Noirmoutier, et de Renée-Julie Auberi; elle était sœur du duc de Noirmoutier dont il est parlé au tome II, p. 17; elle avait épousé en premières noces Adrien-Biaise de Talleyrand, prince de Chalais ; en 1675 elle se remaria à Flavio des Ursins, duc de Bracciano et de San-Gemini, prince de Nerola et du Saint-Empire, qui mourut à Rome, sans postérité, en 1698. Elle prit alors le titre de princesse des Ursins. Après son exil d'Espagne, elle se retira à Rome, où elfe mourut, le 5 décembre 1722, à plus de quatre-vingts ans.

36. Anne d'Harville, fille d'Antoine, marquis de Palaiseaux, veuve de François de Béthune, duc d'Orval, troisième fils du grand Sully,

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assez bien et assez naturelle ; personne n'a été fâché. Hélas ! que sait-on si cette petite princesse est contente?

La fantaisie présente de son mari est de sonner du cor à la ruelle de son lit : ce n'est pas l'ordre de Dieu, qu'autre chose que lui puisse contenter pleinement notre cœur. Ah ! que j'ai une belle histoire à vous conter de l'Archevêque! mais ce ne sera pas pour aujourd'hui.

M. de Pompone est retourné sur le bord de sa Marne": il y avoit l'autre jour plus de gens considérables le soir chez lui que devant sa disgrâce" - c'est le prix de n'avoir point changé pour ses amis : vous verrez qu'ils ne changeront point pour lui aussi 89. Rien ne se peut ajouter à l'amitié et à la reconnoissance qu'il a pour vous. Mme de Vins m'en paroît toujours touchée jusqu'aux larmes, dont j'ai vu rougir plusieurs fois ses beaux yeux. Elle ne veut faire de visites qu'avec moi, puisque vous et Mme de Villars lui manquez; elle peut disposer de ma personne, tant qu'elle me trouvera bonne"; j'ai trop de raisons pour me trouver heureuse de ce goût. Elle n'a point été à Saint-Germain; elle a des affaires qui la retiennent, malgré qu'elle en ait; car son cœur la mène, et la fait demeurer à Pompone41 : cet attachement est digne d'être honoré, et adoucit les malheurs communs.

Adieu, ma très-chère fille : faites-moi écrire après

qui l'avait épousée en secondes noces. Elle avait perdu son mari le 7 juillet 1678, et mourut en 1716. (Note de l'édition de 1818.) 37. A sa terre de Pompone.

38. a Qu'avant sa disgrâce. » (Édition de 17.54.)

39. « Vous verrez aussi qu'ils ne changeront point pour lui. »

(Ibidem.) La petite phrase qui suit ne se lit pas dans cette édition.

4o. el Tant qu'elle s'en accommodera. T (Édition de 1754.)

41. « Elle a des affaires qui la retiennent ici, malgré qu'elle en ait; son cœur la mène, et lui fait souhaiter le séjour de Pompone. »

(Ibidem. )

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avoir commencé, car il me faut quatre lignes42 : Mademoiselle de Grignan, MontgoU, Gautier, ayez tous pitié de ma fille et de moi. Enfin, ma chère enfant, soulagezvous, ayez soin de vous, fermez votre écritoire : c'est le vrai temple de Janus; et songez que vous ne sauriez faire un plus solide et sensible plaisir à ceux qui vous aiment le plus, que de vous conserver pour eux, et non pas vous tuer pour leur écrire". J'embrasse toute votre compagnie

767. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, mercredi 3e janvier.

DIEU vous donne une bonne et heureuse année, ma très-chère, et à moi la parfaite joie de vous revoir en meilleure santé que vous n'êtes présentement ! Je vous assure que je suis fort en peine de vous ; il gèle peutêtre à Aix comme ici, et votre poitrine en est malade1

Je vous conjure tendrement de ne point tant écrire, et de ne me point répondre sur toutes les bagatelles que je vous écris : écoutez-moi; figurez-vous que c'est une gazette; aussi bien je ne me souviens plus de ce que je

42. « Quatre lignes de votre main. » (Édition de 1754-)

43. Abréviation de Montgobert.

44. s à ceux qui vous aiment, que de vous conserver pour eux, puisque ce seroit vous tuer que de leur écrire. » (Édition de 1754-)

45. Cette dernière phrase ne se trouve que dans l'impression de 1734.

LETTRE 767. — I. Ce qui suit, jusqu'à: s Mme de S*** (de Soubise), 9 manque dans le texte de 1734 j où on lit seulement : « Je crains bien que vous n'écriviez sans aucune considération de votre état. »

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1-6 8 o

vous ai mandé : ces réponses justes sont trop longues à

venir pour être nécessaires à notre commerce. Ditesmoi quelque chose en trois lignes de votre santé, de votre état, un mot d'affaires s'il le faut, et pas davantage, à moins que vous ne trouviez quelque charitable personne qui veuille écrire pour vous.

Le chevalier est au coin de son feu, incommodé d'une hanche : c'est une étrange chicane que celle que lui fait ce rhumatisme. Mme de S*** est toujours enfermée chez elle : elle dit qu'elle a la rougeole ; on croit qu'elle durera quelque temps2. Elle a prétendu avoir les entrées de dame d'honneur : les Majestés ne l'entendoient pas ainsi. Elle dit que la pension n'étoit pas une chose qui pût l'apaiser ; il faut qu'elle ait dit plusieurs autres choses encore. Enfin elle est à Paris; rien n'est vrai que cela, le reste est trouble, et chacun dit ce qu'il veut.

Madame la Dauphine a écrit des lettres si raisonnables, si justes, si droites, qu'on est entièrement persuadé de son très-bon esprit. Son portrait ne paroît pas d'une belle personne. Vous avez vu comme la prophétie d'une seconde dame d'atour' a été heureusement accomplie.

Gordes n'est pas encore arrivé ; j'ai bien envie de voir un homme qui vous a vue. Vous m'envoyez donc des étrennes, ma très-chère ; j'ai bien peur qu'elles ne soient trop jolies : les miennes sont d'une légèreté que la bise doit emporter. Je n'ai rien ouï dire de celles de SaintGermain. Madame Royale fut transportée de son écran4 ;

2. Voyez la lettre précédente, p. 162. — Dans le texte de 1754 : c disant qu'elle a la rougeole ; on croit que cette maladie durera quelque temps. »

3. Mme de Maintenon. Voyez la lettre du r3 décembre précédent, p. 142.

4. Voyez ci-dessus, p. 1 43-i46. — Le duc de Savoie, après avoir renoncé à l'alliance du Portugal, épousa, le 10 avril 1684, Anne-

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mais le jeune prince et les courtisans n'y mordirent point : cette transplantation les blesse autant qu'elle charme la mère. Cependant tout est réglé et signé en Portugal : je ne sais comme la Providence démêlera ces divers intérêts. Ceux de M. de Pompone ne sont pas encore réglés : il a sa démission, et n'a point d'argent6; il est retourné à Pompone. Mme de Vins est ici -, elle pensoit aller à Saint-Germain : elle a voulu en demander l'avis de Mme de Richelieu, qui est ici# ; c'étoit une affaire que de la voir. L'abbé Têtu nous fit entrer; Mme de Coulanges ne l'avoit pu. Elle attend donc sa réponse' pour faire ce voyage. Je fis vos compliments avec les miens à cette duchesse : je lui dis que son mérite nous faisoit faire une sorte de compliment fort extraordinaire, qui étoit de nous réjouir avec elle de ce qu'elle n'étoit plus dame d'honneur de la Reine'; qu'il n'y avoit qu'elle qui pût nous faire connoître qu'il y eût quelque chose au delà : cela fut paraphrasé, et son

Marie d'Orléans, seconde fille de Monsieur et de Madame Henriette d'Angleterre. (Note de l'édition de 1818.) 5. « M. de Pompone a sa démission, et n'a point encore son argent. » (Édition de 1754.)

6. a Elle a voulu auparavant demander l'avis de Mme de Richelieu, qui est à Paris. » (Ihidem.)

7. « Mme de Vins attendoit donc la réponse de Mme de Richelieu. » (Ibidem.)

8. Mme de Richelieu étoit dame d'honneur de la Reine lorsqu'elle fut choisie pour être dame d'honneur de Madame la Dauphine. (Note de Perrin.) -Mademoiselle félicitait la Reine de ce changement. Voici ce qu'elle en dit dans ses Mémoires : « Mme de Créquy fut dame d'honneur de la Reine, en la place de Mme de Richelieu. La Reine ne perdit pas au change, car Mme de Créquy est la plus aimable et la plus sage personne du monde, sans intrigue ; Mme de Richelieu avoit un air bourgeois, tracassière qui ne savoit pas vivre. Depuis sa mort, la Reine a dit qu'elle n'étoit pas bonne, qu'elle rendoit de mauvais offices à tout le monde. » (Mémoires de Mademoiselle, tome IV, p. 416.)

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amour-propre ne fut pas blessé9. Je ferai vos compliments à Mme d'Effiat", à Mme de Rockefort11, et si je puis, à Mme de Vibraye12, qui par l'état de ses affaires a accepté la place de dame d'honneur de Mme la princesse de Conti : on dit que le Roi la fera entrer dans le carrosse de la Reine, aussi bien que Mme de Montchevreuil13 : c'est le remède à tous maux. Mme de Langeron y rentrera donc aussi : elle en étoit déchue ; car elle avoit eu cet honneur quand elle étoit gouvernante14. Voilà cette

9. « N'en fut point blessé. » (Édition de 1754.) La fin de l'alinéa, à partir d'ici, manque dans le texte de 1734.

10. Gouvernante des enfants de Monsieur. (Note de Perrin.)

11. Première dame d'atour de Madame la Dauphine. (Note du même.)

12, Pplixène le Coigneux, femme de Henri Hurault, marquis de Vibraye. (Note de Perrin.) - On lit dans Tallemant, tome V, p. 3 8 4: « Belesbat se nomme Huraut, et est de bonne maison. Cette maison a trois branches, celle de Vibraye, celle du chancelier de Chiverny, dont Mme de Montglas est petite-fille, et celle dont étoit le père de M. de Belesbat. » C'est sans doute le fils de cette Mme de Vibraye qui épousa en 1689 Mlle d'Alérac. Voyez la Notice, p. 253 et a54.

i3. Marguerite Boucher d'Orçai, morte le 26 octobre 1699, et qui avait épousé le Ier juin 1653 Henri de Mornay, marquis de Montchevreuil, qui devint capitaine et gouverneur du château de Saint-Germain en Laye. Elle venait d'être nommée gouvernante des filles d'honneur de la Dauphine. « C'étoit., dit Mme de Caylus (tome LXVI, p. 420), une femme froide et sèche dans le commerce, d'une figure triste, d'un esprit au-dessous du médiocre, et d'un zèle capable de dégoûter les plus dévots de la piété, mais attachée à Mme de Maintenon, à qui il convenoit de produire à la cour une ancienne amie d'une réputation sans reproche, avec laquelle elle avoit vécu dans tous les temps, sûre et secrète jusqu'au mystère. s Voyez encore sur elle et sur son mari, Saint-Simon, tome I, p. 36 et 37, et tome II, p. 335. — Henri de Mornay était le frère ainé du chevalier de Montchevreuil tué au passage du Rhin en 1672, et cousin de Villarceaux.

14. Peut-être des filles de Madame la Duchesse (voyez cependant la lettre du 24 janvier suivant) ; elle fut et était probablement alors dame d'honneur de cette dernière; elle devint en 1685 dame d'honneur de la duchesse de Bourbon, belle-fille de Madame la duchesse.

Voyez tome III, p. 402, note 8; le Journal de Dan geau, tome I,

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pauvre Vibraye submergée dans les plaisirs; il faudra bien qu'elle se mortifie, comme notre ami Tartuffe16. On avoit proposé cette place à Mme de Frontenac : cela convien droit assez à la femme du gouverneur de Québec ; mais elle a répondu que son repos et Divine18 val oient mieux qu'une vie si agitée et si brillante; tout est bien, car Mme de Vibraye aussi peut être flattée qu'à son âge on l'ait prise pour être là. M. et Mme de Chaulnes vous font mille compliments : prenez leurs tons; Mme de Coulanges cent mille : elle n'a pas voulu que son père achetât cette maison"; j'en suis ravie.

J'ai toujours les échecs dans la tête : je crois que je n'y jouerai jamais bien. Hébert donne six fois de suite échec et mat à Corbinelli, qui enrage : voilà ce qu'il a gagné à l'hôtel de Condé. Ma fille, je vous dis adieu : j'attends avec impatience de vos nouvelles; car pour voir de grosses lettres, c'est ce que je crains présentement plus que toutes choses. C'est ainsi que l'on change, selon les dispositions, mais toujours, ma très-chère, par rapport à vous, et à cette tendresse qui ne change point, et qui est devenue mon âme même : je ne s^is pas trop si cela se peut dire; mais je sens parfaitement que de vivre et de vous aimer, c'est la même chose pour moi.

p. 163; et sur ce détail d'étiquette, deux notes de Saint-Simon, au Journal de Dangeau, tome II, p. 129 et 148.

15. Voyez la dernière scène de l'acte III de la comédie : TARTUFPE.

Hé bien! il faudra donc que je me mortifie.

— Il paraît que Mme de Vibraye était accusée de jansénisme. Elle ne fut pas nommée; Mme Colbert fit nommer à sa place la comtesse de Bury. Voyez plus loin la lettre du 26 janvier.

16. Mlle d'Outrelaise, amie intime de Mme de Frontenac. (Note de Perrin.) — Voyez tome II, p. 102, notes 5 et 6.

17. L'hôtel de Carnavalet. [Note du même.)

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H 68. - DE MADAME DE SE VIGNE 1

A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, vendredi 5e janvier.

IL est bien aisé de comprendre la tristesse de vos souffrances : rien n'est plus affligeant; et pensez-vous que cela n'entre pas dans la composition de ce qui cause le douloureux état où vous êtes? Je vous supplie de croire que je le partage avec vous, et que je sens si vivement et si tendrement tout ce qui vous touche, que ce n'est point y prendre part; c'est y entrer et le ressentir entièrement. Le moyen d'envisager ce chaos et cette chute d'un nom et d'une maison si chère? et quelle personne accablée sous ces débris ! Quel ordre de la Providence, et quelle amertume ne trouve-t-on point malgré la soumission que nous voulons avoir ! Je ne sais si vous faites bien de croire qu'il n'y ait rien à régler à vos dépenses. Il faudroit être à Salon pour entendre Monsieur l'Archevêque'. Il est vrai que ce jeu me fait peur; M. de Grignan hait la bassette, mais il aime l'hombre, et ne le sait point du tout ; car cela ne s'appelle pas le jouer, qu'il perde tous les jours à ce jeu : n'est-ce pas doubler la dépense nécessaire? Voilà justement ce que je n'aimerois pas; et quand vous dites que c'est un os que vous donnez à ronger à votre compagnie, je sais bien qu'il faut leur en jeter; mais je ne voudrois pas que ce fussent les miens ; je leur ferois ronger entre eux leurs propres os, et pour mille raisons je ne m'ôterois le nécessaire.

Voilà mon avis, que vous suivrez, si Dieu vous l'inspire ; je le souhaite de tout mon cœur, et serai très-fâchée si

LETTRE 768 (revue en grande partie sur une ancienne copie). 1. D'Arles. — Le premier paragraphe de la lettre n'est que dans notre manuscrit ; le second ne s'y trouve pas.

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pour cette chimère de bienséance et de complaisance, vous vous ôtez ce qui soutient la dépense commune de la maison. Je trouverois un grand aveuglement dans cette conduite; je ne puis m'empêcher d'en dire mon avis à M. de Grignan; il faut tâcher de parler d'autre chose, car je ne fais que vous accabler.

Ali ! ma très-chère, que je suis obligée à Mme du Janet de vous avoir ôté la plume ! Si par l'air de Salon et par les fatigues, vous retombez à tout moment, quelles raisons n'ai-je point de vous conjurer mille fois de ne point écrire? Vous parlez de votre mal avec une capacité qui m'étonne; mais l'intérêt que je prends à votre santé me fait comprendre tout ce que vous dites. Que j'ai d'envie que cette bise et ce vent du midi vous laissent en repos ! Mais quel malheur d'être blessée de deux vents qui sont si souvent dans le monde, et surtout en Provence! Je vous demande, ma fille, si dans l'état où vous êtes, je puis m'empêcher d'y penser tristement.

Je fus hier aux grandes Carmélites avec Mademoiselle: elle eut2 la bonne pensée de mander à Mme de Lesdiguières de me mener. Nous entrâmes dans le saint lieu; je fus ravie de l'esprit de la mère Agnès3 ; elle est en-

2. « Avec Mademoiselle, qui eut, etc. » (Édition de 1754.)

3. Judith de Bellefonds, née en 1611. « Son père, gouverneur de Caen, dit M. Cousin, était l'aïeul du maréchal de ce nom. Sa mère était la sœur de la maréchale de Saint-Géran, et elle-même avait pour sœur la marquise de Villars, la mère du vainqueur de Denain, si célèbre par les grâces de son esprit. Elle était aussi jolie que sa mère, aussi spirituelle que sa sœur, et possédait tout ce qu'il faut pour plaire. Elle eut le plus grand succès à la cour de la reine Marie de Médicis. En allant avec elle aux Carmélites, elle rencontra Mme de Bréauté, Marie de Jésus, qui, comme elle, avait connu tous les agréments du monde, et par ses entretiens et son exemple lui persuada d'v renoncer et de se donDer à Dieu. Mlle de Bellefonds entra aux Carmélites en 1629, à dix-sept ans, la veille de la Sainte-Agnès, et prit de là le nom d'Agnès de Jésus-Maria. On l'élut sous-

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core plus aimable que Mme de Villars ; elle me parla de vous, comme vous connoissant par sa sœur. Je vis Mme Stuart' belle et contente. Je vis Mlle d'Épernon5, qui ne me trouva point défigurée; il y a6 plus de trente ans que nous ne nous étions vues ; je la trouve horriblement changée. La petite du Janet ne me quitta point; elle a le voile blanc depuis trois jours; c'est un prodige de feiTeur et de vocation : je m'en vais en écrire à sa mère. Mais quel ange7 m'apparut à la fin! car M. le prince de Conti la tenoit au parloir. Ce fut à mes yeux tous les charmes que nous avons vus autrefois ; je ne la trouve8 ni bouffie, ni jaune; elle est moins maigre et plus contente ; elle a ses mêmes yeux et ses mêmes regards : l'austérité, la mauvaise nourriture et le peu de sommeil ne les ont ni creusés, ni battus; je n'ai jamais.

prieure à trente ans, prieure trois ans après, et elle a été trentedeux ans dans l'une et l'autre de ces deux charges, ayant vécu presque jusqu'à la fin du siècle. » Elle mourut le 24 septembre 1691.

Voyez Madame de Longueville, tome I, p. 95 et suivantes, 346, 498 et suivantes. — Le petit membre de phrase qui suit n'est que dans notre manuscrit.

4. Voyez tome III, p. 47°, note 17. — Le manuscrit porte de SeVast, au lieu de Stuart, confusion qui s'explique aisément.

5. Anne-Lou ise-Christine de Foix de la Valette d'Épernon, née en 1624, sœur du duc de Candale, fille de Bernard, duc de la Valette d'Épernon, et de Gabrielle de Bourbon (fille légitimée de la duchesse de Verneuil et de Henri IV). Elle entra aux Carmélites en 1648, fit profession en 1649, sous le nom de sœur Anne..Marie de Jésus, et mourut en 1701, à l'âge de soixante-dix-sept ans. Voyez sur toute sa vie et sur les causes de sa retraite aux Carmélites les pages intéressantes que M. Cousin lui a consacrées dans Madame de Longueville, tome I, p. 102 et suivantes; voyez aussi les Mémoires de Mademoiselle.

6. Dans le texte de 1754 : m il y avoit, Il et à la ligne suivante : « elle me parut, 1 au lieu de je la trouve.

7. Mme de la Vallière.

8. a Je ne la trouvai. » (Édition de 1754.)

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rien vu de plus extraordinaire'. Elle a cette même grâce,

ce bon air au travers de cet habit étrange ; pour la mo- destie, elle n'est pas plus grande que quand elle donnoit au monde une princesse de Conti ; mais c'est assez pour une carmélite. Elle me dit mille honnêtetés, et me parla de vous si bien, si à propos, tout ce qu'elle dit est si assorti à sa personne, qu'on ne croit point" qu'il y ait rien de mieux. M. le prince de Conti l'aime et l'honore tendrement; elle est son directeur; il est dévot11, et le sera comme son père. En vérité, cet habit et cette retraite est12 une grande dignité pour elle.

Vous avez vu l'effet de ma prophétie. Non assurément la personne qualifiée18 ne partage pas avec la personne enrhumée14 ; car elle la regarde comme l'amie et la personne de confiance. La dame qui est au-dessus" en fait autant, et est l'âme de cette cour". Je pris plaisir à vous avancer cette nouvelle de quelques jours, comme on me l'avoit avancée. Pour la personne qu'on ne voit point, et dont on ne parle point", elle se porte parfaitement bien; elle paroît quelquefois, comme une divinité ; elle n'a nul commerce; elle a donné des étrennes magnifiques à la devancière18 et à tous les enfants : c'est pour ré-

9. Ce dernier membre de phrase n'est pas dans le texte de 1754, où la phrase suivante commence ainsi : « Cet habit si étrange n'ôte rien à la bonne grâce ni au bon air. »

10. a Tout ce qu'elle dit étoit si assorti à sa personne, que je ne crois pas, etc. » (Édition de 1754.)

11. « Ce prince est dévot. s (Ihidem.)

12. Dans le texte de 1754 : « sont. »

13. Mme de Montespan.

14. Mme de Maintenon.

15. La Reine.

16. a Elle est donc l'âme de cette cour. » (Édition de 1754.)

17. Mlle de Fontanges (Marie-Angélique de Scorraille). Sur sa famille, voyez la note 2 de la lettre du 6 avril suivant.

18. « A sa devancière. » (Édition de 1754.)

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compenser des présents du temps passé, qui n'avoient point été rendus, parce qu'en ce temps-là les louis étoient moins fréquents.

Mme de Soubise est toujours à Paris sans vouloir être vue; on croit qu'elle y sera plus longtemps qu'elle ne pense, et a dit19 plusieurs choses qui ont déplu. Monsieur a prié Beauvais de quitter le Palais-Royal : il la trouva dans la chambre de Madame qui parloit au comte de Soissons" Elle est chez Mme de Vibraye. Voilà le

Ig. c Elle a dit. » (Édition de 1754.)

ao. Louis-Thomas de Savoie, comte de Soissons, fils d'Olympe Mancini, qui mourut des blessures reçues devant Landau au service de l'Empereur, le 25 août 1702, à l'âge de quarante-quatre ans, épousa secrètement, le 12 octobre 1680, en l'église de la Folie-Herhaut, diocèse de Chartres, Uranie de la Cropte de Beauvais, fille de François-Paul de la Cropte, marquis de Beauvais, maréchal de camp, écuyer du grand Condé, et de Charlotte-Marie de Martel, comtesse de Marennes. D'après une note communiquée à M. Monmerqué jiar l'abbé de Feletz, la bénédiction nuptiale « pour réhabiliter, en tant que besoin seroit, la célébration du mariage faite entre les parties le 12 octobre 1680, » leur fut plus tard (lanuit du 27 au 28 février 1683) donnée publiquement dans l'église de Saint-Sulpice, par Fénelon (dont la mère était Louise de la Cropte). La famille de la Cropte est une des plus anciennes du Périgord, et n'avait aucune alliance avec celle de Mme de Beauvais, femme de chambre de la reine Anne d'Autriche. Elle comprenait trois branches : Beauvais, Chantérac et Bourzac. Du mariage du comte de Soissons et d'Uranie de la Cropte naquit Emmanuel, prince de Soissons, colonel d'un régiment de cuirassiers de l'Empereur, mort sans postérité, et Louise-Victoire de Carignan, qui recueillit seule la succession du prince Eugène de Savoie, son oncle, qu'elle transporta dans la maison de Saxe-Hildbourghausen, par son mariage avec un prince de cette famille. Après la mort du comte de Soissons, sa veuve se retira au monastère de BelleChasse, où elle mourut le 14 novembre 1717, âgée de soixante et un ans. c Elle étoit, dit Saint-Simon, belle comme le plus beau jour, et vertueuse, brave, avec ces grands traits qu'on peint aux sultanes et à ces beautés romaines, grande, l'air noble, doux, engageant, avec peu ou point d'esprit. Elle surprit la cour par l'éclat de ses charmes, qui firent en quelque manière pardonner presque au comte de Sois-

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vrai moyen de faire qu'elle épouse ce prince, en faisant qu'elle souffre pour lui et qu'il se fasse un honneur de ne la pas abandonner21. On dit que Mme de Vibraye sera dame d'honneur de Mme la princesse de Conti, mais avec tous les priviléges de dame du palais.

J'ai reçu ce matin une grande lettre de Mme de Villars; je vous l'enverrois, sans qu'elle ne contient que trois points qui ne vous apprendroient rien de nouveau : les déplaisirs et les étonnements sur la disgrâce de M. de Pompone, dont vous sortez; les nouvelles d'Espagne et les louanges de Mme de Grancey, que vous savez ; et beaucoup d'amitié, et d'estime, et de tendresse, et d'admiration involontaires pour vous, que vous connoissez 22. Il me paroit de plus qu'elle se renfermé fort chez elle, voulant éviter tous les airs d'empressement, afin d'éviter les fausses prophéties 23. La Reine la veut voir incognito; elle se fait prier, pour se donner un nouveau prix. La Reine est adorée ; elle a paru, pour la dernière fois, chez sa belle-mère24, habillée et parée à la françoise : la voilà dévouée au garde-infante26 ; elle apprend le françois au Roi, et il lui apprend l'espagnol : tout va bien jusqu'ici.

sons ; l'un et l'autre doux et fort polis. 1 Voyez Saint-Simon, tome IV, p. 8 et g; les Nièces de Mazarin, par Amédée Renée, p. 2o3 et suivantes; et le tome XI du Nobiliaire universel de Saint-Allais.

21. a Voilà le vrai moyen de faire que Beauvais épouse ce prince, qui voudra se faire un honneur de ne la pas abandonner, voyant qu'elle souffre pour lui. » (Édition de 1754.) - --

22. CI qui ne vous apprendront rien de nouveau : 1 estime, l'admiration et la tendresse que vous lui connoissez pour vous; les déplaisirs et les étonnements sur la disgrâce de M. de Pompone, dont vous sortez ; les nouvelles d'Espagne et les louanges de Mme de Grancey, que vous savez. » (Ibidem.)

23. « Et faire mentir les prophéties. » (Ibidem.)

24. c Chez la Reine sa belle-mère. » (Ibidem.) — Anne d'Autriche, veuve de Philippe IV.

25. Le garde-infante ou garde-infant est, dit Furetière (1690], un

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Mme de Coulanges est à Saint-Germain ; elle a été fort employée pour les étrennes ; et ce pauvre la Trousse en a eu par hasard toute la fatigue: il est toujours assidu, et elle toujours dure, méprisante et amère : leur conduite ne se peut concevoir. La marquise toujours enragée, la fille toujours, désespérée 26. r entretiens tous les commerces que vous pouvez desirer. Mme de Lesdiguières m'a dit mille amitiés pour vous, et d'un bon ton. Je ferai vos compliments à Mme de Rochefort, et pour sa compagne27, Mme de Coulanges s'en chargera. Mme de Vins est encore ici, les autres à Pompone ; leur hôtel de Paris a pensé brûler : une chambre, avec ce qui étoit dedans, a été brûlée tout entière; et le miracle, c'est qu'il y avoit dans cette chambre de la poudre qui ne prit point, et qui vraisemblablement devoit faire sauter la maison : il ne falloit que cela pour les ruiner; mais Dieu les a conservés. Adieu, ma très-chère et très-aimable. Mon fils, qui est encore à Nantes, seroit tout content d'attendre, pour revenir, que Madame la Dauphine fût grosse : je me moque de sa proposition; je lui mande de partir, ou de vendre sa charge.

« grand vertugadin que portent les femmes espagnoles sur les reins, et qu'on portoit il y a quelque temps en France, qui sert à empêcher qu'elles ne soient incommodées dans la presse : c'est une espèce de ceinture rembourrée ou soutenue par de gros fils de fer, qui est fort utile aux femmes grosses. » — Ce petit membre de phrase n'est pas dans l'édition de 1754.

26. La femme et la fille du marquis de la Trousse : voyez plus bas, la lettre du 6 avril.

27. Mme de Maintenon.

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iC 769. - DE JEAN-BAPTISTE DE GRIGNAN, COADJUTEUR D'ARLES, A MONSIEUR DE POMPONE1.

A Arles, le 6e janvier 1680.

MONSIEUR, J'étois dans le plus fort d'une très-fâcheuse maladie, dont je ne suis dehors que depuis quelques jours, lorsque j'appris le changement qu'il a plu à la Providence de mettre dans votre fortune. Je puis vous protester, Monsieur, que je fus bien moins touché du danger où j'étois, que de la nouvelle surprenante de ce fâcheux événement.

Je sais bien que si on ne le regarde que' par rapport à vous, il doit faire moins de peine à vos serviteurs : la force de votre esprit et votre vertu vous mettent au-dessus de ces révolutions, et comme elles ne peuvent diminuer votre mérite, elles ne sauroient aussi troubler votre tranquillité. Mais il faut, s'il vous plaît, Monsieur, que vous permettiez à ceux qui vous sont aussi dévoués que moi d'être affligés pour eux-mêmes; je le dois être encore comme évêque de vous voir hors d'une place où vous pouviez être et où vous étiez tous les jours si utile à l'Eglise. Comme mon attachement pour vous, Monsieur, ne tenoit qu'à votre personne et non point à votre fortune, je vous supplie très-humblement de croire qu'il sera éternel et qu'il vous suivra partout. Je n'oublierai jamais les marques de bonté que j'ai reçues de vous, et je serai toute ma vie, avec une égale reconnoissance et avec le même respect et le même abandonnement, Monsieur, Votre très-humble et très-obéissant serviteur, LE COADJUTEUR D'ARLES.

LETTBE 769 (revue sur l'autographe). — 1. Voyez plus haut, p. 147 et 148, note 1, la lettre de l'archevêque d'Arles.

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77O. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, mercredi 10e janvier.

Si j'avois un cœur de cristal, où vous pussiez voir la douleur triste et sensible qui m'a pénétréet, en voyant, ma chère enfant, comme vous souhaitez que ma vie soit composée de plus d'années que la vôtre, vous connoîtriez bien clairement avec quelle vérité et quelle ardeur2 je souhaite aussi que la Providence ne dérange point l'ordre de la nature, qui m'a fait naître votre mère, et venir en

e monde beaucoup devant vous
c'est la règle et la raiion, ma fille, que je parte la première, et Dieu, pour qui 10s cœurs sont ouverts, sait bien avec quelle instance je ui demande que cet ordre s'observe en moi 3. Il est impossible que la vérité et la justice de ce sentiment ne vous pénètrent pas comme j'en suis pénétrée* : de là, ma ille, vous n'aurez pas de peine à vous représenter quelle rorte d'intérêt je prends à votre santé. Je vous conjure, )ar toute l'amitié que vous avez pour moi, de ne m' écrire qu'une feuille tout au plus : dites à quelqu'un de n'écrire, et même ne dictez pas, cela fatigue. Enfin je le puis plus trouver de plaisir à ce qui me charmoit aurefois dans votre absence, et vos grandes lettres me font plus de mal qu'à vous ; je vous prie de m'ôter cette peine, 1 m'en reste encore assez. Mme de Schomberg vous

LETTRE 770. — 1. « Dont i'ai été pénétrée. n (Édition de 1,754.1

'2. Les trois mots et quelle ardeur ne se lisent pas dans le texte e 1754.

'3. 0 l'ordre de la nature, qui m'a fait venir en ce monde Ëàucoup devant vous, pour être votre mère : la raison et la règle eulent que je parte la première, et Dieu sait avec quelle instance je li demande que cet ordre s'observe en moi. j (Édition de 1754.)

4- 1 II est impossible que la justice de ce sentiment ne vous touche as autant que j'en suis touchée. a (Ibidem.)

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prie6 , si vous voulez à toute force prendre du café, d'y mettre du miel de Narbonne au lieu de sucre : cela console la poitrine, et c'est avec cette modification qu'on le laisse6 prendre à M. de Schomberg, dont la santé est extrêmement mauvaise depuis six ou sept mois'. La mienne est parfaite; je vous ai mandé comme je m'étois purgée à merveilles, et puis de cette eau de cerises8

Pour mes mains, je crois qu'elles sont guéries; je n'y pense pas. Eh ! ma très-chère, ne pensez qu'à vous, ne perdez point de temps à faire ce qui doit vous soulager9; vous connoissez trop l'amitié pour douter de ce que je souffre quand je pense à l'état où vous êtes, et cette pensée ne s'éloigne pas de moi.

Je suis de votre avis sur tous les choix de la maison de Madame la Dauphine. Le maréchal d'Humières a mandé à Rouville qu'il étoit serviteur des dévots, depuis qu'il voyoit le maréchal de Bellefonds écuyer, Mme d'Effiat gouvernante10, et Mme de Vibraye dame d'honneur. On dit que cette dernière est repoussée, parce qu'elle a fait trop de façons1* et trop de propositions. On prétend que toute place où l'on est choisie, et où l'on est dans la

5. « Vous conseille. » (Édition de 1754.)

6. « Qu'on en laisse prendre. » (Ibidem.)

7. « Depuis six à sept mois. j (Ibidem.)

8. Ces derniers mots : « et puis, etc., » ne sont pas dans le texte de 1734.

9. « Eh! ma chère enfant, ne songez qu'à vous, n'oubliez rien de tout ce qui doit vous soulager. » (Édition de 1754.)

10. La Rivière écrit à Bussy le 31 décembre 1679 : a Je me mene de toutes les persévérances en matière de dévotion quand je vois finir celle de la marquise d'Effiat. On trouve assez de raisons de quitter le monde quand on l'a bien connu ; mais de se faire femme de cour après avoir été vingt ans femme d'Église, je crois que l'on déplaît fort à Dieu, et je pense aussi que l'on ne plaît guère à la cour. »

II. « Parce qu'elle a trop fait de façons, s (Édition de 1754.)

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maison du seigneur12, honore la personne nommée.

Tout est rehaussé". Autrefois les dames d'honneur de la Reine étoient des marquises, et toutes les grandes charges de la maison du Roi étoient aux seigneurs : présentement tout est duc, tout est maréchal de France" , tout est monté.

M. de Pompone est revenu pour finir ses affaires; on va le payer. Je vois assez souvent Mme de Vins, qui n'ayant rien de nouveau à vous mander, ne vous écrit point, pour ne pas vous obliger16 d'écrire inutilement.

M. de Bussy et sa fille16 ont dîné ici deux fois; ils ont en vérité bien de l'esprit ; ils m'ont fort priée de vous faire leurs compliments. Le petit Coulanges est ici, tout comme vous l'avez vu ; la maréchale de Rochefort l'emmène avec elle au-devant de Madame la Dauphine : je lui conseille de faire ce voyage, n'ayant rien de mieux à faireu; et peut-être qu'en écrivant" de jolies relations, cela pourra lui être bon. Adieu, ma très-chère : je ne sais rien; je crois même qu'en faisant mes lettres un peu moins infinies, je vous jetterai moins de pensées et moins d'envie d'y répondre: c'est ce que je desire, ne pouvant jamais vouloir que ce qui vous est avantageux.

Mon fils est retourné en basse Bretagne faire les Rois ; c'est une belle fête; je la passai seule au coin de mon feulg; il assure qu'il sera ici le 20e : Dieu le veuille!

12. « Toute place pour laquelle on est choisie dans là maison du seigneur. » (Édition de 1754.)

i3. a Tout est rehaussé maintenant. » (Ibidem.)

14. c( Aujourd'hui tout est duc et maréchal de France. » (Ibidem.)

15. « Pour ne vous point obliger. » (Ibidem.)

16. Mme de Coligny.

17. Les mots « n'ayant rien de mieux à faire » manquent dans le texte de 1734.

18. « Et peut-être que d'écrire. » (Édition de 1754.)

ig. Ces deux derniers membres de phrase manquent dans l'édi-

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Mme de S*** est toujours invisible; elle sera à Paris plus qu'elle n'a pensé31: elle est bien servie en ce pays-là.

Mlle de Fontanges est d'une beauté singulière 22; elle paroit à la tribune comme une divinité ; Mme de Montespan de l'autre côté, autre divinité. La singulière28 a donné pour six mille pistoles d'étrennes 24. Mme de Coulanges a été fort admirée de ce qu'elle a exécuté26

tion de 1754. Les deux suivants ne sont, au contraire, que dans cette édition.

20. Mme de Soubise,

21. « Plus qu'elle ne pense. » (Édition de 1754.)

22. Madame a dit de Mlle de Fontanges : « Fontanges étoit une sotte petite bête; mais elle avoit le cœur excellent, et étoit belle comme un ange. 1) — « La Fontanges étoit belle depuis les pieds jusqu'à la tête; on né pouvoit rien voir de plus merveilleux. Elle avoit aussi le meilleur caractère du monde, mais pas plus d'esprit qu'un petit chat. » (Lettres de Madame, tome I, p. 198 et 3go.) Madame est en cela d'accord avec l'abbé de Choisy et Saint-Simon.

(Note de l'édition de 1818.)

23. Mlle de Fontanges.

24. Voyez la lettre du 5 janvier précédent, p. 176 et r77; et pour ce qui est dit de Mme de Coulanges à la phrase suivante, voyez p. 179. — Quelques années après (le 31 décembre 1684), Mme de Montespan donna au Roi, pour étrennes, un livre qui serait aujourd'hui sans prix, s'il avait été conservé. « Mme de Montespam fit présent au Roi, le soir après souper, d'un livre relié d'or et plein de tableaux de miniature, qui sont toutes les villes de Hollande que le Roi prit en 1672. Ce livre lui coûte quatre mille pistoles, à ce qu'elle nous dit. Racine et Despréaux en ont fait tous les discours, et y ont joint un éloge historique de Sa Majesté. Ce sont les étrennes que Mme de Montespan donne au Roi : on ne sauroit rien voir de plus riche, de mieux travaillé et de plus agréable. » Journal de Dangeau, tome I, p. 87. (Note de Védition de 1818.)

a5. Les manuscrits de Bussy contiennent deux lettres qui, dans l'une des copies autographes que nous collationnons, sont datées des 10 et 16 janvier 1680; dans l'autre, des 19 et 25 juin de la même année. Le contenu de ces lettres montre qu'elles ont été écrites en juin, et c'est à cette date que nous les donnerons.

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771. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, vendredi 12e janvier.

JE vous conjure, ma chère fille, de ne point vous raccommoder avec cette écritoire ennemie, qui suffit pour vous épuiser; persuadez-moi que vous songez à vous conserver, et que ce n'est point par l'excès de la nécessité que vous retranchez cette terrible écriture, mais par un dessein1 ferme, et constant d'être appliquée à éviter ce qui vous est mauvais : ayez un peu soin de ma vie2, en ménageant la vôtre. Je vous mandois avant-hier comme Mme de Schomberg vous ordonnoits de mettre du miel de Narbonne, au lieu de sucre, dans votre café. J'ai trouvé par hasard du Chesne, qui n'approuve aucune façon d'être au café : c'est une haine4 ; vous en essayerez.

Si celle de M. de Grignan pour moi pouvoit être apaisée par l'approbation que je donne au billet qu'il a écrit à Mme de Coulanges, vous ne perdriez pasli cette occasion de me raccommoder avec lui. Je n'ai jamais rien vu de pensé comme la fin de ce billet, ni tourné si galamment: elle en est Il encore plus charmée que moi ; et M. de la Trousse, qui se trouva chez elle par le plus grand

LETTRE 771. — 1. et qui suffit pour vous épuiser, et que ce ne soit pas seulement par l'excès de la nécessité, mais par un dessein, etc. » (Édition de 1754.)

2. 5 Vous aurez soin de ma vie. » (Ibidem.)

3. « Vous conseilloit. » (Ibidem.)

4. « C'est une aversion. » (Ihidem.)

5. « Si M. de Grignan est fâché contre moi, et que l'approbation que je donne au billet qu'il a écrit à Mme de Coulanges puisse l'adoucir, j'espère, que vous ne perdrez pas, etc. 1 (Ibidem.)

6. a Ni qui soit tourné si galamment : Mme de Coulanges en est, etc. D' (Ihidem.)

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bonheur du monde', a surmonté sa froideur pour l'admirer : ce fut lui qui me le fit envoyer hier au soir. Le vôtre à Mme de Coulanges est très-bon, mais tout est effacé par l'autre 8. Voyez ce que vous pourrez faire de ceci pour réparer mes injustices9: il y faut joindre le fond de mon cœur, qui mérite toujours qu'on excuse tout; car à bien traduire tout ce que j'ai dit, c'est de l'amitié, c'est de l'intérêt, c'est de l'estimeio pour un nom et pour une maison qu'il devroit honorer plus que je ne l'honore, et je la considère mille fois plus qu'il ne fait" ; c'est le contre-coup de bien des choses, qui retombe sur cette personne que j'aime si passionnément, et qu'il aime aussi; mais comme ce n'est U que comme lui-même, et qu'il se traite si mal, ce n'est pas assez, on n'en est pas content, et l'on voudroit bien lui inspirer plus de sensibilité, et pour lui, et pour elle : voyez ce que votre adresse peut faire de tant de bons matériaux; car en vérité j'ai senti quelque douleur d'être brouillée avec un homme qui écrit si bien. Je voudrois savoir où il prend ces sortes de pensées et ces tours nobles et galants, qui font d'une satire La chose du monde la plus obligeante. Pendant que je suis sur les lettres, il faut dire un mot de celle de Pauline au Coadjuteur. Je vous dis que j'ai peur qu'elle ne fasse honte à ses parents; je n'ai jamais vu une petite personne si bien appelée: en attendant qu'elle nous fasse rougir, je l'aime et l'embrasse de tout mon cœur; réjouis-

7. Dans l'édition de 1754 il y a simplement : cr qui se trouva chez elle. »

8. <t Par celui de M. de Griman. » (Édition de 1754.)

q. Voyez plus haut, p. 173 et 174.

10. a C'est de l'amitié, c'est de l'intérêt, c'est du respect et de l'estime, etc. » (Édition de 1754.)

ii*. Ce dernier membre de phrase n'est pas dans le texte de 1754-

12. "a Mais puisque ce n'est. » (Édition de 1754.)

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sez-vous de son joli esprit naturel. Il me semble que l'amitié du marquis est considérablement diminuée pour moi; demandez-lui 13.

Le Roi fait des libéralités immenses; en vérité, il ne faut point se désespérer: quoiqu'on ne soit pas son valet de chambre, il peut arriver qu'en faisant sa cour, on se trouvera sous ce qu'il jette. Ce qui est certain, c'est que loin de lui tous les services sont perdus : c'étoit autrefois le contraire. Je fus hier tout le soir chez M. et Mme de Pompone ; nous avions été, Mme de Vins et moi, chez la comtesse de Roye14, sur la mort du vieux Rouci 15. Vraiment vous êtes intimement aimée et estimée dans cette maison ; je parlai 18 de ce que vous me mandez sans cesse d'eux; leur reconnoissance est bien égale à l'intérêt que vous prenez à leur mauvaise fortune. M. de Pompone aura besoin de toute sa raison pour oublier parfaitement ce pays-là, et pour reprendre la vie de Paris. Savez-vous bien qu'il y a un sort dans ce tourbillon, qui empêche d'abord de sentir le charme du repos et de la tranquillité?

Puisqu'il est de cet avis, il faut en croire sa solide sagesse.

i3. « En attendant qu'elle nous fasse rougir, je l'embrasse de tout mon cœur, et je me réjouis avec vous de son joli esprit naturel. Il me semble que le petit marquis ne m'aime plus comme il faisoit ; demandez-lui si je me trompe. » (Édition de 1 754.)

14. Isabelle de Durfort Duras, femme de Frédéric-Charles de la Rochefoucauld, comte de Roye, morte en 1715. Voyez tome IV, p. 55, note 12. -

15. 1 Pour lui faire compliment sur la mort du vieux Rouci. »

(Édition de 1754.) — François de la Rochefoucauld, dit de Roye, comte de Rouci, mort le 3 janvier 1680, à Rouci, en Champagne, à l'âge de soixante dix-sept ans. Voyez également tome IV, p. 55, note 12. — La Gazette du 13 janvier, en annonçant sa mort, rappelle que Charles de la Rochefoucauld, son père, était fils de François, comte de la Rochefoucauld, et de Charlotte de Roye, comtesse de Rouci, sœur d'Éléonore de Roye, princesse de Condé.

16. « Je fis mention. » (Édit-ion de 1754.)

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Il reçoit son argent, et paye ses dettes : ce mouvement renouvelle la tristesse, et fixe son état. Je suis bien assurée que la destinée de Mme de Vins, enveloppée dans la sienne, fait son véritable ennui ; c'est un sentiment fort nature], et dont elle est bien digne par les sentiments qu'elle a de son côté" : je n'ai jamais vu tant de bonnes choses qu'il y en a dans cette maison. Nous parlâmes fort de Mme de Richelieu, qui renouvelle de jambes, et qui n'ayant pas le temps présentement de dormir et de manger, doit craindre18 la destinée d'une personne qui avoit plus d'esprit qu'elle, et plus accoutumée au bruit; car avant que Mme de Montausier19 fût au Louvre, l'hôtel de Rambouillet étoit le Louvre ; ainsi elle ne faisoit que changer d'agitation. On attend à tout moment le nom de la dame d'honneur de Mme la princesse de Conti : il est temps, elle sera mariée mardi.

Votre pigeon20 n'est point dévoré du desir de faire sa cour; il est chez Tonquedec, où il se réjouit : je cache tout sous les affaires que nous avons à Nantes; mais M. de la Trousse me gronde amèrement de lui donner de tels emplois. Il y a bien longtemps qu'ils seroient finis, s'il avoit voulu ; mais enfin il n'y paroîtra pas dans quinze jours. Il faut lui donner une louange21, c'est que quand il est ici, il y fait assez bien son petit personnage22 : il plaît, et on le trouve de bonne compagnie.

A propos, le pauvre Pomenars fut taillé avant-hier

17. a Par ce qu'elle pense de son côté. » (Édition de 1754.)

18. «. ni de manger, doit craindre enfin. » (Ibidem.)

19. Julie-Lucie d' Angennes, duchesse de Montausier, fut gouvernante de Monseigneur, et ensuite première dame d'honneur de la Reine. (Note de Perrin.)

20. « Votre frère. )\ (Édition de 1754.)

21. « Il est vrai qu il n'y paroîtra pas dans quinze jours, et qu'il faut donner à mon fils une louange. s (Ibidem.)

22. s Son personnage. » (Ibidem.)

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avec un courage héroïque 23. Mme de Chaulnes m'a donné l'exemple de l'aller voir : sa pierre est grosse comme un petit œuf; il caquette comme une accouchée; il a plus de joie qu'il n'a eu de douleur. Maurel24 fut aussi taillé il y a un mois. Mais pour accomplir la prophétie de M. de Maillé, qui disoit un jour à Pomenars qu'il ne mourroit jamais sans confession, il a été devant cette opération26 à confesse au grand Bourdaloue. Ah! c'étoit une belle confession que celle-là! Il y fut quatre heures : je lui ai demandé s'il avoit tout dit; il m'a juré qu'oui, et qu'il ne pèse28 pas un grain ; car il a tout dit, et vous savez qu'il n'est question que de cela : il n'a point langui du tout après l'absolution ; tout cela s'est fort bien passé : il y avoit huit ou dix ans qu'il n'y avoit été27, et c'étoit le mieux. Il me parla de vous, et ne pouvoit se taire, tant il est gaillard. Je ferai vos compliments à cet autre homme toujours si satisfait28, et dont on peut dire qu'il a des ressources d'espérances qui sentent fort une des loges que vous savez; mais, à cela près, il a vraiment

23. « A propos, ce pauvre Pomenars fut taillé avant-hier, et souffrit cette opération avec un courage héroïque. » (Édition de 1754.) — Sur Pomenars, voyez tome II, p. 295, note 2.

24. Est-ce le même dont il a été question vers la fin de la lettre du 6 mai 1676 (tome IV, p. 43g)? — Il y avait un musicien de ce nom (Journal de Dangeau, tome I, p. 409). Il y avait encore, en 1663, parmi les conseillers du parlement de Provence, un Maurel, dont une note secrète envoyée à Colbert parle ainsi : « Homme qui n'a pas plus de quarante ans, quoiqu'il soit déjà de la grand'chambre ; mais c'est un des hommes du parlement des plus capables de service et intelligent. » (Correspondance administrative sous Louis XIY, tome II, p. 95.) — Cette petite phrase n'est pas dans le texte de 1764, qui reprend ainsi : « et pour accomplir, etc. ?

a5. « Avant l'opération. » (Édition de 1754.) -

26. « Pesoit. » (Ihidem.)

27. « Qu'il ne s'étoit confessé. » (Ibidem.)

28. Bussy. — Toute cette phrase manque dans l'édition de 1734.

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bien de l'esprit; sa fille29 vous plairoit. Ma fille, je cause, et ne vous dis aucune nouvelle, parce que je n'en sais point. M. d'Hanovre 30 est mort à Venise, et voilà sa femme31 établie ici avec fort peu de bien, et trois petites filles : c'est M. d'Osnabruck" qui succède. Mme de Meckelbourg est logée à la rue Taranne, où étoit la Marans : cela ne ressemble guère à l'hôtel de Longueville

Je vous ai parlé de toutes les beautés, de toutes les étrennes : Fontanges en a donné pour vingt mille écus, sans que la pensée lui soit venue de faire un présent à Mme de Coulanges, qui a pris mille peines pour les présents qu'elle a faits aux autres; son étoile est assez plaisante sur tout; car les choses les plus aisées à comprendre sont devenues inconcevables. Ma très-chère, ne me répondez rien à toutes ces bagatelles : cela ne vaut quasi pas la peine d'être lu ; conservez-vous, écrivez peu; dites-moi un mot de cette colique qui est toujours de conséquence : il y a deux mois que vous ne m'en avez

29. La marquise de Coligny.

3o. Jean-Frédéric de Brunswick, duc de Hanovre, mort le 27 décembre 1679. Voyez tome IV, p. 61, note 6.

3i. Bénédicte-Henriette-Philippine, fille de la Palatine. On voit dans le Journal de Dangeau (tome I, p. 209) que sur la demande de Monsieur le Duc, son beau-frère, le Roi lui fit, en août 1685, une pension de douze mille francs, dont elle avait besoin pour subsister. Quoiqu'elle fût sans biens, ses filles ne manquèrent pas d'établissements. L'aînée épousa le duc de Modène, et la troisième fut mariée avec Joseph, roi des Romains, qui devint empereur d'Autriche en 1705. La duchesse de Hanovre mourut à Asnière, près de Paris, le 12 aoûti 780. (Note de tédition de 1818.) — Voyez également tome IV, p. 61, note 6.

32. Ernest-Auguste de Brunswick. TI était évêque d'Osnabruck depuis 1662, et devint le premier électeur de Hanovre en 1692.

Voyez encore tome IV, p. 61, note 6.

33. Où Mme de Mecklenbourg était logée en 1673 : voye tome lli, p. 227.

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rien dit, quoique je vous en aie priée ; ne l'oubliez plus 34. Mme de Vauvineux me mande qu'elle ne permettra point que sa fille fasse réponse à Mlle de Grignan, que Monsieur le Coadjuteur ne la lui ait faite. La mère Guémené avoit promis de revenir de la campagne pour la mener 85 à Saint-Germain : elle la fait languir, peut-être malicieusement. Voilà pourtant un bon temps pour elle, elle n'y trouveroit ni les Soubises, ni les Luynes36. La petite vérole est encore chez cette dernière à une de ses petites filles.

Le bon abbé vous remercie de vos bons souhaits : c'est une chose qui vient si naturellement, d'en faire au commencement de l'année, qu'il ne faut point se révolter contre cette bonne coutume; il vaut mieux y ajouter encore de vous souhaiter d'entendre de meilleurs sermons.

Ceux dont vous parlez font crever de rire. J'embrasse MIles de Grignan, et leur fais aussi mille souhaits pour cette année; je n'ose hasarder qu'une révérence à Monsieur le Comte. Je suis toute à vous, ma chère enfant; je ne puis jamais vous dire autre chose tant que je vivrai.

772. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, mercredi 17e janvier.

LE tempsn'est plus, ma chère fille, que ce m'étoit une

34. Ces deux derniers membres de phrase, depuis : « il y a deux mois, etc., » manquent, ainsi que toute la phrase suivante, dans l'édition de 1754.

35. a Pour mener sa belle-fille. » (Édition de 1754.)

36. Voyez la lettre du 6 décembre précédent, p. 119-121. — La lettre finit ici dans l'impression de 1754.

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grande consolation1 de recevoir une grande lettre de vous ; présentement ce m'est une véritable peine; et quand je pense à celle que vous avez d'écrire, et au mal sensible que cela vous fait, vous ne sauriez m'écrire assez peu : si vous êtes incommodée, il faut ne point écrire ; si vous ne l'êtes pas, il ne faut point écrire; enfin si vous avez quelque soin de vous, et quelque amitié pour moi, il faut par nécessité ou par précaution garder cette conduite : si vous êtes mal, reposez-vous; si vous êtes bien, conservez-vous* ; et puisque cette santé si précieuse, dont on ne connoît le bonheur qu'après l'avoir perdue, vous oblige à vous ménager, croyez que ce doit être votre unique affaire, et celle dont je vous aurai le plus d'obligation. Vouss me paroissez accablée de la dépense d'Aix ; c'est une chose cruelle que de gâter encore vos affaires en Provence, au lieu de les raccommoder. Vous souhaitez d'être à Grignan, c'est le seul lieu, dites-vous, où vous ne dépensez rien : je comprends qu'un peu de séjour dans votre château ne vous seroit pas inutile à cet égard; mais vous n'êtes plus en état de mettre cette considération au premier rang; votre santé doit aller la première , c'est ce qui doit vous conduire ; et quelle raison pourroit obliger ceux qui vous aiment à vous laisser dans un air qui vous fait périr visiblement? Vous êtes si incommodée de la bise d'Aix et de Salon, que vous devez

LETTRE 772. — 1. a Le temps n'est plus, ma pauvre enfant, que ce m'étoit une consolation, etc. J) (Édition de 1754.)

2. « et au mal sensible que cela vous fait, je soutiens que vous ne sauriez m'écrire assez peu, et que si vous avez quelque soin de vous et quelque amitié pour moi, il faut. que vous gardiez cette conduite : si vous êtes incommodée, reposez-vous ; si vous ne l'êtes point, conservez-vous. » (Ibidem.)

3. Cette phrase n'est pas dans l'édition de 1734, non plus que la suivante, qui est réduite à ces mots : « Je ne sais pourquoi vous souhaitez d'être à Grignan. »

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vous attendre que celle de Grignan sera bien pis4. Ainsi,

ma fille, il faudra prendre une résolution sage, et n'être plus ici un pied en l'air, comme vous êtes toujours Ii ; il n'y a rien de bon avec cette agitation d'esprit; vous devez changer de style, puisque vous changez de santé et de tempérament; vous devez dire : « Je ne puis plus voyager, il faut que je me remette' , le repos et le bon air me sont nécessaires, » et ne point dire : « Je me porte parfaitement bien, » quand vous vous portez parfaitement mal. Laissez-vous donc un peu conduire, ne cachez rien à M. de Grignan, qui vous aime et qui ne veut pas vous perdre ; mais il semble que vous veuilliez le tromper et vous tromper aussi. Enfin, ma très-chère, il faudra rectifier toutes ces manières, qui jusqu'ici n'ont servi qu'à vous faire beaucoup de mal. Nous en parlerons encore; mais je ne puis m'empêcher de vous dire tout ceci, sur quoi vous pouvez faire des réflexions.

Vous trouvez, ce me semble, la cour bien orageuse.

4. « Vous attendre à l'être encore plus de celle de Grignan. »

(Édition de 1754.) — Le château de Grignan est fort élevé, et par conséquent plus exposé à tous les vents qu'Aix et Salon. La bise est un vent qui souffle entre l'est et le nord, et qui est dangereux pour les poitrines foibles, surtout dans les provinces voisines des' Alpes et de la Méditerranée, où la bise est aussi très-contraire à la navigation. (Note de Perrin.) — Voyez, tome V, p. 199, note 8.

5. 4 Il faudra prendre une résolution sage; il faudra, quand vous serez ici, n'être plus, comme vous êtes toujours, un pied en l'air. »

(Édition de 1754.)

6. « Il faut que je me remette ; » mais au lieu de parler sincèrement de votre état à M. de Grignan, qui vous aime, qui ne veut pas vous perdre, et qui voit comme nous combien le repos et le bon air vous sont nécessaires, il semble au contraire que vous vouliez le tromper et vous tromper aussi en disant : « Je me porte parfaitement bien, » quand vous vous portez parfaitement mal. Il s'agira donc de rectifier - toutes ces manières, qui jusqu'ici n'ont servi qu'à détruire votre santé. Nous en parlerons, etc. D (Ibidem.)

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Vous avez raison d'être étonnée de Mme de S***7 ; personne, ne sait le vrai de cette disgrâce; il ne paroît point que ce soit une victime : elle a voulu une place que le Roi l'a empêchée d'avoir : il y a bien à dire des épigrammes là-dessus. Quand elle a vu que toute cette distinction étoit réduite à une augmentation de pension, elle a parlé, elle s'est plainte; elle est venue à Paris-, fj vins, j'y suis encore 8, etc. : il ne seroit pas impossible de tourner la suite de ces vers. On ne la voit point du tout, ni frère, ni sœur, ni tante, ni cousine; elle n'a que Mme de R**, qui lui tient lieu de tout. On ne la fera point dire9 ce qu'elle ne dit pas, car elle est recluse.

Cependant elle est très-bien servie là-bas; elle espère qu'elle retournera bientôt. On croit10 qu'elle pourra se tromper ; si cela est, il faudra qu'elle change de vie, car sa retraite n'est pas soutenable 11. Mme de Schomberg n'approche pas d'elle à Charenton; il semble que ce soit la peste au lieu de la rougeole. On ne voit point non plus Mme de R**; c'est une belle femme de moins dans les fêtes qui se font pour ces grandes noces.

7, Mme de Soubise. — Voyez la note 8 de la lettre du 29 décembre précédent, p. 162. -Dix lignesplus loin, l'initiale R** (bienque dans les deux éditions de Perrin l'R ne soit suivi que de deux étoiles) désigne Mme de Rochefort.

8. Mme de Sévigné fait probablement allusion à ces vers qu'Hermione adresse à Pyrrhus dans Andromaque (acte IV, scène v) : Je ne t'ai point aimé, cruel! qu'ai-je donc fait?

J'ai dédaigné pour toi les vœux de tous nos princes; Je t'ai cherché moi-même au fond de tes provinces; J'y suis encor, malgré tes infidélités, etc.

9. 0 On ne lui fera point dire. » (Édition de 1754.)

10. « Il y a des gens qui croient. s (Ibidem.)

11. « Qu'elle change de vie; une plus longue retraite ne seroit pas soutenable. » (Ihidem.) — La phrase suivante n'est que dans l'impression de 1734, qui n'a pas les mots : « On ne voit point non plus Mme de R**. »

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Mademoiselle de Blois est donc Mme la princesse de Conti ; elle fut fiancée lundi en grande cérémonie ; hier mariée, à la face du soleil, dans la chapelle de Saint-Germain ; un grand festin comme la veille ; l'après-dînée une comédie, et le soir couchés, et leurs chemises données par le Roi et la Reineu. Si je vois quelqu'un avant que d'envoyer cette lettre, qui soit revenu de la cour, je vous ferai une addition. Mais voyez comme il est bon de se tourmenter un peu pour avoir des places; il est certain que celles qui avoient été nommées pour dames d'honneur de cette princesse avoiènt fait leurs diligences. Le hasard veut que Mme de Bury 18, qui est à cinquante

ia. a Le cardinal de Bouillon fit la bénédiction du lit. Le Roi donna la chemise au prince de Conti, et la Reine la donna à la princesse de Conti. Le lendemain, le Roi et la Reine allèrent la voir dans son appartement au château neuf. » (Gazette du 20 janvier 1680.)

i3. Anne-Marie d'Eurre d'Aiguebonne, veuve de François de Rostaing, comte de Bury, qui était frère de Mme de Lavardin. Elle signa au contrat de Mlle de Sévigné (voyez la Notice, p. 329); mais son frère allait intenter aux Grignans un grand procès, où Mme de Sévigné et elle prirent parti avec une extrême animosité : voyez les lettres des 14 et 3o mars 1689. « C'étoit une femme d'une grande vertu, d'une grande douceur, et d'une grande politesse, avec de l'esprit et de la conduite ; elle étoit d'Aiguebonne et veuve sans enfants, en 1666, d'un cadet de Rostaing, frère de la vieille Lavardin (mère du chevalier de l'ordre, ambassadeur à Rome). Mme de Bury avoit fait venir de Dauphiné Mlle Choin, sa nièce, qu'elle avoit mise fille d'honneur de Mme la princesse de Conti. 3 (Mémoires de SaintSimon, tome I, p. 208.) — « Elle étoit dans son château d'Onzin, à six lieues de Blois, où elle passoit ordinairement une partie de l'année, comme dans une espèce de retraite, lorsqu'elle reçut les ordres du Roi. Elle demeura d'autant plus surprise de voir qu'on l'appeloit à la cour, qu'elle ne s'y^toit proposé aucun établissement. »

(Mercure galant, janvier 1680, 2e partie, p. 85.) — Mme de Bury se retira de la cour en 1693, en conservant la pension de deux mille écus qu'elle avait par sa charge (voyez le Journal de Dangeau, tome IV, p. 266), et mourut à quatre-vingt-onze ans, le 19 octobre 1724.

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lieues d'ici, tombe dans l'esprit de Mme Colbert; elle l'a vue autrefois, elle en parle à M. de Lavardin son neveu, elle en parle au Roi, on trouve qu'elle est tout comme il faut; on écrit" qu'elle aura six mille francs d'appointements , qu'elle entrera dans le carrosse de la Reine. On fait écrire le P. Bourdaloue, qui est son confesseur; car elle n'est pas janséniste comme Mme de Vibraye; c'est avec ce mot qu'on a supprimé cette dernière, quoiqu'elle soit sous la direction de Saint-Sulpice15. Enfin le courrier part, et on l'attend demain. Mme de Lavardin fait présent à Mme de Bury d'une robe noire, d'une jupe, d'un mouchoir de point avec les manchettes, tout cela prêt à mettre. La Sen a eu beau tortiller autour du Bourdaloue, point de nouvelles. Vous êtes étonnée que la presse fût si grande18, vous n'êtes pas seule; mais la rage est d'être là in ogni modo 19. Voilà donc une amie de Monsieur le Goadjuteur20 encore placée : c'est un moulin à paroles, comme vous savez; elle parle Bury, c'est une langue; mais au moins elle ne s'en est pas servie pour être à cette place. Celle de la maréchale de Clérembaut est fort extraordinaire; elle est protégée par Madame, qui voudroit bien en faire une dame de la Reine. Elle va à la cour, comme si de rien n'étoit; il ne semble pas

i4. et On mande. » (Édition de 1754.)

15. Le texte de 1754 ajoute : « qui est, pour la doctrine, comme celle des jésuites. »

16. Cette phrase n'est pas dans le texte de 1734.

17. Mme de Senneterre. Voyez la lettre du 18 mai 1671, tome II, p. 222, note 6. -Sen. est le texte de 1754; l'édition de 1734 donne S****.

18. a Soit si grande. » (Édition de 1754.)

19. a De toute manière, absolument, de façon ou d'autre. s

20. Voyez la partie de la lettre du 14 mars 1689 qui est adressée au comte de Grignan. Par suite d'une erreur typographique, cette lettre du 14 mars a été datée du 20 dans l'édition de 1818.

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qu'elle se souvienne d'avoir été et de n'être plus gouvernante 21, Et trouve le chagrin que Monsieur lui prescrit, Trop digne de mépris pour y prêter l'esprit22.

Vous rajusterez ces vers, mais quand ils se trouvent en courant au bout de ma plume, il faut qu'ils passent.

Je vous trouve une personne tout à fait jalouse, et M. de Grignan tout à fait amoureux. Montgobert me parle d'un bal, où je vois danser fort joliment mon petit marquis.

Pauline a-t-elle la même inclination pour la danse que sa sœur d'Adhémar? Il ne faudroit plus que cet agrément pour la rendre trop aimable : ah ! ma fille, divertissezvous de cette jolie enfant; ne la mettez point en lieu d'être gâtée; j'ai une extrême envie de la voir.

Je m'en vais vous dire une chose plaisante, dont Corbinelli est témoin; je lui dis lundi matin que j'avois songé toute la nuit d'une Mme de Rus23 ; que je ne comprenois pas d'où me revenoit cette idée, et que je voulois vous demander des nouvelles de cette sorcière. Là-dessus je reçois votre lettre, et justement vous m'en parlez, comme si vous m'aviez entendue; ce hasard m'a paru plaisant : me voilà donc instruite de ce que je voulois vous demander; c'est une étrange histoire que de voir un homme assez amoureux de cette créature pour en perdre

2i. Voyez les lettres du 6 et du 27 décembre précédents, p. 124, note 26, et p. i58.

22. C'est la parodie de ces deux vers du Pompée de Corneille (acte II, scène II) : Et tient la trahison que le Roi leur prescrit Trop au-dessous de lui pour y prêter l'esprit.

Mme de Sévigné cite de nouveau le second de ces vers, et cette fois exactement, dans la lettre du 15 mars suivant, p. 3oq.

a3. Voyez la fin de la lettre du 17 mai 1676, tome IV, p. 452.

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sa fortune; je ne puis-vous rien mander de si extraordinaire; mais c'est ainsi qu'elle se fait aimer24. Je n'ai pas oublié le comte de Suze25 ; son frère, Monsieur de SaintOmer26, a été à l'extrémité, a reçu tous les sacrements; il a opiniâtré de n'être point saigné27, avec une grosse fievre, une inflammation; le médecin anglois le fit saigner par force ; jugez s'il en avoit besoin ; et ensuite avec son remède il l'a ressuscité, et dans trois jours il jouera à la fossette28. Hélas ! cette pauvre lieutenante, qui aimoit tant M. de Vins, et qui craignoittant qu'on ne le sût pas, la voilà morte, et très-jeune; de quelle maladie? mandezle-moi 29 ; je suis toujours surprise de la mort des jeunes personnes. Vous avez raison, ma fille, de vous plaindre que je vous ai mal élevée; si vous aviez appris à prendre le temps comme il vient, et à ne pas négliger les pieds de veau de Provence30, cela vous auroit extrêmement amusée.

N'avez-vous point remarqué la Gazette de Hollande?

Elle compte ceux qui ont des charges chez Madame la

24. Dans le texte de 1754, ce membre de phrase se trouve placé avant celui-ci : « je ne puis vous rien mander. »

a5. Louis-François de la Baume, comte de Suze et de Rochefort; il avait épousé Paule-Hippolyte de Monstiers de Mérinville, fille du comte de Mérinville, lieutenant pour le Roi au gouvernement de Provence avant M. de Grignan. La terre de Suze (Suze-la-Rousse) est à trois lieues de Grignan ; on en découvre le château et le parc de la terrasse de celui de Grignan. (Note de l'édition de 1818.)

26. Armand-Anne-Tristan de la Baume-Suze, d'abord évéque de Tarbes, ensuite de Saint-Omer (1677-1684), archevêque d'Auch (1692), mort en 1705. -

27. « Il ne vouloit point être saigné. » (Édition de 1754.)

28. Mme de Sévigné a déjà fait allusion à ce passage du Médecin malgré lui (acte I, scène v).

29. « Mandez-moi de quelle maladie. » (Edition de 1754.)

3o. Ce membre de phrase : r et à ne pas négliger, etc., » ne se lit que dans le texte de 1734. — a On dit : faire le pied de veau à quelqu'un, pour dire : aller faire la révérence, des soumissions à quelqu'un. D (Dictionnaire de Furetière.)

1680

Dauphine : M. de Richelieu, chevalier d'honneur; M. le maréchal de Bellefonds, premier écuyer; M. de SaintGéran, rien Ii Vous m'avouerez que cela est plaisant.

Enfin cette fblie est passée jusqu'en Hollande. Mon fils est toujours les délices de Quimper; j'espère32 pourtant qu'il est présentement à Nantes, et qu'il sera ici à la fin du mois ; je l'ai mieux élevé que vous, comme vous voyez13 ; j'espère que dans quinze jours il n'y paroîtra pas, et qu'il sera prêt à partir avec les autres. Je lui ferai vos amitiés 34. N'écrivez point, et gardez-vous bien de répondre à toutes ces causeries : hélas ! ma chère enfant, dans trois semaines, je ne m'en souviendrai plus moi-même 35. Si la santé de Montgobert peut s'accommoder à écrire pour vous, elle vous soulagera entièrement, sans même que vous ayez la peine de dicter : elle écrit comme nous.

J'approuve fort que vous soupiez; cela vaut mieux que douze cuillerées de lait. Hélas ! ma fille, je change à toute heure; je ne sais ce que je veux : c'est que je voudrois que vous pussiez retrouver de la santé ; il me faut pardonner, si je cours à tout ce que je crois de meilleur; et c'est toujours sous le nom de bien et de mieux que je change d'avis. Vous n'en devez point changer36 sur la bonne opinion que vous devez avoir de vous, malgré les procédés désobligeants de la fortune. En vérité, si elle vouloit, M. et Mme de Grignan tiendroient fort bien leur place à la cour; vous savez où cela est réglé, et l'inutilité du chagrin qu'on ne peut s'empêcher d'en avoir.

31. Voyez ci-dessus, p. 152, la lettre du 25 décembre précédent.

3a. « Je crois. » (Édition de 1754O

33. et Vous voyez bien que je l'ai mieux élevé que vous. s (Ibidem.)

34. Cette petite phrase n'est que dans l'édition de 1734.

35. « à toutes ces causeries, dont je ne me souviendrai plus moi-même dans trois semaines. » (Édition de 1754.)

36. « Pour vous, ma très-chère, n'en changez point. ï (Ibidem.)

1680

Je ne sais pas encore des nouvelles de la noce, ni si ce fut à la face du soleil ou de la lune que le mariage se fit. Mme de Vins" m'envoie ce paquet, j'irai faire le mien chez elle, et vous manderai ce que j'aurai appris. Cependant je vous dirai une nouvelle, la plus grande et la plus extraordinaire que vous puissiez apprendre, c'est que88 Monsieur le Prince fit faire hier sa barbe; il étoit rasé : ce n'est point une illusion, ni de ces choses59 qu'on dit en l'air, c'est une vérité ; toute la cour en fut témoin; et Mme de Langeron4°, prenant son temps qu'il avoit les pattes croisées comme le lion41, lui fit mettre un justaucorps avec des boutonnières de diamants ; un valet de chambre, abusant aussi de sa patience, le frisa, lui mit de la poudre, et le réduisit enfin à être l'homme de la cour de r la meilleure mine, et une tête qui effaçoit toutes les perruques : voilà le prodige de la noce. L'habit de M. le prince de Conti étoit inestimable : c'étoit une broderie de diamants fort gros qui suivoit les compartiments d'un velouté noir sur un fond de couleur de paille. On dit que la couleur de paille ne réussissoit pas, et que Mme de Langeron, qui est l'àme de toute la parure de l'hôtel de Condé, en a été malade. En effet, voilà de ces sortes de choses dont on ne doit point se consoler. Monsieur le Duc, Madame la Duchesse et Mademoiselle de Bourbon avoient trois habits garnis de pierreries différentes pour

37. Dans l'édition de 1754, on lit simplement : a J'irai faire mon paquet chez Mme de Vins, et vous manderai, etc. »

& 38. c Cependant je vous dirai une très-grande nouvelle, c'est que. b (Édition de 1754.)

3g. a Ni une de ces choses. s (Ibidem.)

4o. Voyez plus haut, p. 171, et la note 14.

41. Voyez lettre du 18 décembre 1689. Voyez aussi le dialogue intitulé : les Entretiens mystérieux de trois princcs en cage dans le bois de Vincennes, sous les figures du lion, du renard et du singe. Paris, 1650, in-4°.

1680

les trois jours. Mais j'oubliois le meilleur, c'est que Tépée de Monsieur le Prince étoit garnie de diamants.

La famosa spada, At cui valore ogni vittoria e certa42.

La doublure du manteau du prince de Conti étoit d'un satin noir, piqué de diamants comme de la moucheture. La princesse étoit romanesquement belle, et parée, et contente : Qu'il est doux de trouver dans un amant qu'on aime Un époux que l'on doit aimer43 !

Je n'en sais pas davantage; je vous dirai ce que j'apprendrai ce soir. Je vous conseille de faire lire les gazettes, elles sont très-bien faites44

M. Gourtin46 revient de Saint-Germain; il a tout vu : c'étoit le soleil à midi qui éclaira le mariage ; la lune a

42. « La fameuse épée à la vaillance de laquelle toute victoire est assurée. » Ce passage du Tasse a déjà été cité, moins exactement, au tome IV, p. 549.

43. Ce sont deux vers de l'acte Ier, scène n, de l'opéra de Bellsrophon, représenté par l'Académie royale de musique en 1679. La musique est de Lully; les paroles, attribuées à Th. Corneille, furent revendiquées plus tard par son neveu Fontenelle.

44. Voyez la Gazette du 20 janvier, p. 33-35; et le Mercure galant, janvier, 2 e partie, p. 1-88.

45. Honoré Courtin, dont nous avons donné (tome IV, p. 458, note 21) un portrait emprunté à Saint-Simon, mais que nous avons malheureusement confondu avec un Antoine de Courtin (le seul que donne Moréri), probablement de la même famille, qui mourut en 1685, et dont Mme de Sévigné ne parle point; c'est à ce dernier que se rapporte tout ce qui, dans notre première note, précède la citation de Saint-Simon (sauf cependant la mention de deux missions, au congrès de Cologne et en Angleterre, qui furent en effet remplies par Honoré). — Honoré Courtin eut deux fils : celui dont il est question dans les lettres des 25 et 29 octobre 1688 et qui mourut de ses blessures, et l'abbé François Courtin, dont on a quelques pièces de vers, insérées dans les poésies de Chaulieu. Il eut aussi deux filles : la première épousa le président de Rochefort de Rennes ; la seconde

1680

été témoin du reste. Le Roi l'embrassa tendrement quand elle fut au lit, et la pria de ne rien contester à M. le prince de Conti, et d'être douce et obéissante : nous croyons qu'elle l'a été.

773. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAIT.

A Paris, vendredi 1 ge janvier.

CE n'est point une feuille que je demande, c'est une page que j'ai voulu dire, c'est une ligne, c'est enfin ce qui ne vous peut faire aucune incommodité. Si vous êtes mal, ma chère enfant, vous êtes incapable d'écrire; si vous êtes bien, tenez-vous tranquille, et craignez de retomber. Quand le temps est doux ici, je pense qu'à Aix il est encore plus doux; mais cet air doux est trop subtil, et il vous incommode quelquefois comme la bise.

Quand vous vous promenez par ces beaux jours que je connois, y portez-vous cette douleur et cette pesanteur?

N'êtes-vous jamais sans plus ou moins de cette incommodité? J'admire comme on peut tourner uniquement sur une pensée, et comme tout le reste me paroît loin : c'est bien précisément cette lunette qui approche et qui recule les objets1.

Il faut que je vous remercie de vos jolies étrennes; elles sont utiles, je suis ravie de les avoir, et le temps viendra que je vous en remercierai tous les jours intérieurement. Si elles changent un peu de couleur, je n'en

fut mariée à Roc de Varangeville, qui fut ambassadeur à Venise; elle fut mère de la maréchale de Villars.

LETTBE 773 (revue en partie sur une ancienne copie). — 1. Voyez la lettre du 6 octobre 1675, tome IV, p. 163 et 164.

1680

tirerai point de fâcheuses conséquences pour votre amitié : il n'en est pas de même de mes misérables petites étrennes ; dès que je ne vous aimerai plus, elles deviendront vertes comme du pré ; observez-les bien, ma fille, je me suis livrée à cette marque indubitable , et sans que je prenne le soin de vous parler jamais de mon amitié, vous en saurez la vérité. Je vous remercie donc de votre joli présent, et je reçois comme une marque de votre tendresse le cas que vous faites du mien, quoique petit et inutile. Voilà les seuls chagrins que me donne ma médiocre fortune; mais ils ne sont pas médiocres comme elle: j'en suis pénétrée, et je regarde l'abondance de Mme de Verneuil comme un plaisir fort au-dessus de sa principauté2. Je viens de lui écrire; je n'y avois pas encore pensé. Je n'ai point vu M. de Gordes; j'irai le chercher. Au reste, vous n'avez pas bien chaussé vos besicles sur les prophéties que vous faites : vous verrez toujours Mmes de Créquy et de Richelieu dames d'honneur; ce choix est trop bon pour leur donner des compagnes; jamais le Roi n'a eu dessein de donner les entrées et les honneurs8 à Mme de Soubise, et c'est pour l'avoir cru et l'avoir dit, qu'elle est à Paris ; car lorsqu'elle trouva dans l'explication que tout cela se réduisoit à une augmentation de pension de dix mille francs, elle se plaignit et parla : voilà ce qui nous a paru. Les bons offices de ce pays-là n'ont pas manqué d'être placés généreusement

2. Voyez tome II, p. 52, note 1. -Mme de Verneuil, d'après SaintSimon, eut même les honneurs de princesse du sang, mais en 1692 pour la première fois. « De son second mari, elle n'eut point d'enfants et devint princesse du sang longtemps après sa mort (la mort de son mari, 1682), à titre de sa veuve. Le Roi en prit le deuil (de Mme de Verneuil) pour quinze jours, mais il ne lui fit faire aucun honneur particulier à ses obsèques. j Saint-Simon, tome IV, p. 281; voyez encore le tome 1 des Mémoires, p. 3i.

3. Le texte de 1754 ajoute : c de cette place. Il

1680

pendant son absence. Elle se cache, afin qu'au moins on ne la fasse plus parler. Mais cette rougeole imaginée, et cette parfaite solitude, ne nous plaît pas, à nous autres spectateurs. On croit pourtant que tout s'adoucira ; mais voilà une belle noce dont elle n'a point été; c'est quelque chose à une personne qui ne comprend pas qu'on puisse vivre ailleurs qu'à la cour.

M. de Marsillac est si extrêmement occupé et de sa cour et de sa chasse, qu'il est comme embevecido* il ne répond ni aux billets de M. de la Rochefoucauld, ni à ceux de Langlade, qui lui écrit pour ses propres affaires à lui Marsillac : de sorte qu'il faut comprendre ce tourbillon, et que si M. de Grignan veut venir dîner avec lui et lui donner les moyens de le servir, c'est alors qu'il retrouvera son ancien ami5; c'est de quoi son père m'assure tous les jours en vous faisant mille amitiés, et en demandant de vos nouvelles avec un soin très-obligeant.

Mme de la Fayette y mêle encore plus de tendresse, à cause de votre ancienne et nouvelle amitié. Celle de Mme de Vins me paroît bien véritable; elle vous conjure de ne lui point écrire : il faudroit en vérité ne vous guère aimer, pour vouloir contribuer au mal que cela vous fait. Quand je vais chez M. de Pompone, ce n'est plus, comme vous savez, que chez le plus honnête homme du monde ; ce n'est plus chez un ministre. On ne lui a pas encore donné sa somme entière. Je crois que Mme de

4. Embevecido, embebecido, « ravi, enivré, absorbé. » Nous retrouverons ce mot espagnol dans la lettre du 17 mars suivant. Mme de Sévigné a écrit embeuecido, et les premiers éditeurs, faisant de son u un n, ont donné embenecido.

5. « ni à ceux de Langlade, quoiqu'il s'agisse de ses propres affaires. Ce n'est pas que si M. de Grignan veut venir dîner avec lui, ou lui donner les moyens de le servir, il ne retrouve alors son ancien ami. » (Édition de 1754.)

1680

Vins ira bientôt à Saint-Germain; Mme de Richelieu l'a souhaité; je la plains : ce voyage sera triste pour elle; je ne m'accoutume point à cette disgrâce.

Mon fils ne m'écrit point, il n'est pas encore revenu à Nantes : j'avois jusqu'ici tout mis sur mon compte, en disant qu'il achevoit mes affairesll; mais je commence à succomber aux reproches amers de M. de la Trousse, qui m £ dit que je devrois donc lui faire vendre sa charge pour vaquer à celle de mon intendant. Je suis persuadée que mon fils reviendra lorsque j'y penserai le moins, et qu'au bout de huit jours il n'y parottra plus. Les dames de Madame la Dauphine et sa maison partent jeudi 25e pour Sélestat'. Le chevalier a été à la noce ; il ne tiendra qu'à lui de vous faire de beaux récits. La belle Fontanges n'y parut point ; on dit qu'elle est triste de la mort d'une petite personne8. Adieu, ma très-belle et très-aimable : j'embrasse vos enfants et les miens, et ceux de M. de Grignan.

774. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, mercredi 248 janvier.

V OILA une bouffée de mal qui dure longtemps, ma chère fille, et que je comprends qui doit être bien triste

6. Voyez la lettre du 12 ianvier précédent, D. 188.

7. « Le 25e de ce mois, les principaux officiers de la maison de Madame la Dauphine partirent d'ici pour aller au-devant d'elle jusqu'à Schlestat. Le Roi y a envoyé en même temps cent gardes du corps. et plusieurs officiers de sa maison, conduits par le sieur de Rieux, maître d'hôtel ordinaire. » (Gazette du 27 ianvier.)

8. Mlle de Fontanges avait perdu l'enfant dont elle venait d'accoucher.

1680

et bien incommode. Il n'y a personne qui ne connoisse quelque douleur d'estomac; celle que vous sentez est plus piquante et plus pesante, et cela se passe dans un endroit si intérieur et si intime c'est tellement soi qui souffre, que j'admire et j'ai toujours admiré votre douceur et votre patience; je ne crois point qu'une autre pût soutenir ce mal comme vous2. Je vois que ce n'est pas le repos qui vous manque : on vous ménage fort «bien ; les promenades sont placées par les plus beaux jours du monde : c'est donc de votre poitrine, de votre sang, de votre poumon que vient tout le mal. Je suis bien heureuse que le cohseil que j'ai donné, de la part de Fagon, de manger davantage, ait réussi 3. Cette sorte de régime, pour les personnes délicates, s'introduit beaucoup. Vous êtes en lieu de prendre vos résolutions sur le lait.

M. de Grignan me fait4 un grand plaisir de me parler de mon petit marquis : je sens beaucoup d'amitié pour lui; pour Pauline il faut de la passion, elle me paroît toute charmante. M. de Mesmes m'en parla l'autre jour sur ce ton ; il semble qu'il vienne de la quitter : je lui montrai5 ses deux lettres, qui sont encore dans mapoche; il entra là dedans comme un amant, mais il est fort jaloux du Coadjuteur; le mari et la femme sont encore

LETTRE 774 (revue en très-grande partie sur une ancienne copie.) — 1. Perrin, dans sa seconde édition (1754), a ainsi abrégé ce membre de phrase : « mais celle que vous sentez se passe dans un endroit si intérieur et si intime, etc. »

2. Ce dernier membre de phrase ne se trouve point dans l'impression de 1754; cette édition, en revanche, donne seule la fin de l'alinéa, depuis : « Je vois. »

3. Voyez la lettre du 8 décembre précédent, p. 134.

4. « M'a fait. » (Edition de 1754O

5. Ce membre de phrase et le suivant, jusqu à : « du Coadjuteur, » n'ont pas été reproduits par Perrin dans sa seconde édition (1754).

1680

pleins6 du souvenir de votre bonne réception. Mlle de ■ la Bazinière7 est en religion, tout auprès de Mme de la Fayette8 : quelques intérêts de famille, et une très-désagréable humeur, ont causé cette retraite, où elle s'ennuie fort. Mon fils est perdu, vous pouvez faire dire votre messe à saint Antoine de Pade9 : il n'est pas encore revenu à Nantes. Pour avoir trop à dire là-dessus, je ne dis rien. Il y a deux mois qu'il seroit ici, s'il avoit retranché de son voyage les jours qu'il a donnés aux plaisirs charmants qu'il a trouvés en basse Bretagne. Il est allé passer les Rois à cinquante lieues de Nantes; il a passé par Saint-Brieux, dont r évêque iD est nommé à l'évêché de Poitiers. Je regarde toujours ce qui se passe pour les évêchés, à cause de notre bel abbé. La maison part jeudi pour aller au-devant de cette princesse, dont la physionomie ne promettoit pas tant de bonheur. Celle qui vous aime tant12 me paroît bien aimable de consèrver si longtemps et de si loin un si bon goût. Mme de Solreu n'est point à Paris : je crois qu'elle auroit envoyé ici, ou que j'aurois entendu parler d'elle.

6. et Tout pleins. JI (Édition de 1754.)

7. Voyez plus haut, p. n3, note 64.

8. Sans doute au couvent du Calvaire. Y oyez tome III, p. a3o,note 3.

9. Saint Antoine de Padoue, franciscain portugais, mort en 1231, à l'âge de trente-six ans, canonisé dès 1232.-On l'invoque pour retrouver les choses égarées. — Perrin, dans sa seconde édition (1754), a supprimé la plaisanterie et resserré ainsi la phrase : « Mon fils n'est point encore à Nantes. »

10. Hardouin Fortin de la Hoguette, évêque de Saint-Brieux depuis le 3 mai 1676, fut nommé par le Roi, le 19 janvier 1680, à l'évêché de Poitiers, et occupa ce siège jusqu'en 1685.

II. La maison de la Dauphine : voyez la note 9 de la lettre précédente. — Le texte de 1754 donne demain, au lieu de jeudi.

12. Anne-Élisabeth de Lorraine, princesse de Yaudemont. (Note de Perrin.)

i3. Anne-Marie-Françoise de Bournonville, fille d'Alexandre

1680

Mme la princesse de Conti est toujours charmante : elle se trouva si mal la nuit de ses noces à cause d'un dévoiement14, qu'on a jeté son bonnet par-dessus les moulins, et l'on n'a vu goutte. Elle se porte bien, et l'on dit des merveilles de sa belle âme" et de la générosité de M. le prince de Conti : il jette l'argent héroïquement; il a des bontés d'Henri IV, des procédés du chevalier Bayard, et des justices de Sylla16 : on conte cinq ou six choses admirables. Mme de Bury a été reçue du Roi au delà de ce qu'on pensoit : il lui a recommandé la conduite de sa fille17 ; il la nomme toujours ainsi, et l'aime chèrement. Il donne deux mille écus de pension à cette Bury, et dès le jour même elle entra18 dans le carrosse de la Reine : cette sauce rend cette place des meilleures ; ce qui viendra de l'hôtel de Conti seront des présents ; mais elle est au Roi. C'est à Mme de Langeron à voir si elle pourra rentrer dans ses droits du carrosse, qu'elle a perdus par l'hôtel de Condé". Il est difficile de juger de l'effet des conduites; Mme de Bury, à cinquante lieues

prince de Bournonville et de Jeanne-Ernestine-Françoise d'Aremberg. Elle épousa en 1672 Philippe-Emmanuel-Ferdinand de Croy, comte de Solre, lieutenant général des armées du Roi. Voyez la lettre du 7 janvier 1689. — Cette phrase n'est pas dans l'édition de 1734.

14. « Si mal la nuit de ses noces d'un dévoiement. » (Édition de 1754.)

i5. c De la belle âme. * (Ihidem.)

16. Il y a Sylla (Silla) dans notre manuscrit, dans les impressions de 1726 et dans les deux éditions de Perrin. Grouvelle a conjecturé qu'il fallait lire Sully. — Ce qui suit, jusqu'à : ( Monsieur de SaintBrieux,D manque dans l'édition de Rouen (1726), qui, de même que celle de la Haye et notre ancienne copie, ne commence cette lettre qu'à ce troisième alinéa : « Mme la princesse de Conti. »

17. Les deux éditions de Perrin (1734 et 1754) répètent ici : c sa fille. a

18. « Qui dès le jour même entra, etc. s (Édition de 1754.)

- -

19. Voyez plus haut, p. 171, note 14.

1680

de Paris20, est enlevée pour mettre dans une place que l'on a rendue fort bonne. Mme de Saint-Géran, en mangeant21 tous les gratins des poêlons des petits enfants, n'attrape rien; Monsieur de Saint-Brieux, dans son diocèse22, est transporté à Poitiers, qu'il souhaitoit; d'autres, en rang d'oignon tous les jours à la messe du Roi, n'ont rien : quelle conséquence peut-on tirer, sinon que tout va comme il plaît à DieU21 Pauline et moi suivons 24 cette opinion perverse; elle vous a répondu dans ce sens.

Monsieur de Saint-Omer26 est guéri de l'Anglois; Mme la duchesse de Saint-Aignan 211 en est morte : il est vrai qu'on lui donna27 à l'agonie. Son mari est revenu du Havre en poste sur les vieilles ailes de son vieux amour28 : il arriva comme elle expiroit ; il lui baisa la main, fit des cris, poussa des sanglots, et nous va donner d'une Sierra Morenau

20. Voyez ci-dessus, p. 195 et 196, et la note i3.

21. Les mots en mangeant ont été sautés dans notre copie.

2a. Dans l'édition de Rouen (1726) : « de son diocèse. »

a3. Ce qui suit, jusqu'à la fin de l'alinéa, manque, ainsi que le paragraphe suivant tout entier, dans le texte de Rouen (1726).

24. a Nous suivons. ) (Édition de 754.)

25. Voyez la lettre du 17 janvier précédent, p. 198. — Dans l'édition de la Haye (1726) : « est guéri de **. »

26. Antoinette, fille de Nicolas Servien, seigneur de Montigny, conseiller du Roi en ses conseils d'Etat et privé et trésorier de ses parties casuelles, et de Marie Groulart de la Cour. Elle épousa en 1633 le duc de Saint-Aignan, dont elle fut la première femme, et mourut le 22 janvier 1680, à l'âge de soixante-trois ans. Six mois après, le duc se remaria. Voyez la lettre de Bussy, du 2 5 Juin suivant.

27. Dans l'édition de la - Haye (1726) : <r qu'on le lui donna. D Dans la seconde édition de Perrin : « qu'on lui donna ce remède. »

28. C'est le texte du manuscrit; dans toutes les éditions : a son vieil amour. »

29. Allusion à la sévère pénitence que fit don Quichotte dans la Sierra Morena, en l'honneur de l'incomparable Dullcinée du Toboso.

(Note de l'édition de 1818.)

1680

dans sa retraite et son deuil80 Voilà Mme de Livry" très-affligée : elle perd tout.

J'ai vu les Chaulnes, qui ont reçu avec reconnoissance votre souvenir et vos remerciementssî. J'ai embrassé Mme de Coulanges; elle vous rembrasse", et me paroît fort aise de votre espèce de commerce. Elle a été à SaintGermain, toujours fort caressée, fort gâtée. Elle étoit mal avec la comtesse de Gramont"; l'abbé Têtu, quoiqu'il ne la voie plus, n'a pas laissé de vouloir faire cette paix : il l'a faite.

Monsieur le Dauphin demande à M. de Montausier quand Madame la Dauphine sera grosse? Ils seront mariés demain à Munich; il est, je crois, persuadé qu'elle pourra l'être en arrivant à Sélestat. C'est le prince son frère36 qui l'épouse. On a envoyé36 des habits magnifiques, que l'Electeur avoit demandés37 pour lui et pour sa sœur; mais en bien moindre quantité qu'il ne vouloit, parce que rien n'est égal aux magnificences que la maréchale de Rochefort porte à cette princesse. La dame d'honneur, les dames d'atour, les filles, la gouvernante ", et toute la

3o. « Et dans son deuil. » (Édition de 1754.)

3i. Marie-Antoinette de Beauvilliers, femme de Louis Sanguin, marquis de Livry.

32. Cette première phrase n'est pas dans l'édition de 1754, qui commence ainsi la suivante : « J'ai vu Mme de Coulanges. »

33. Dans notre manuscrit et dans les deux éditions de Perrin : « elle vous embrasse. »

34. Voyez la lettre du 24 novembre 1679, p. 97 et 98.

35. a C'est l'électeur son frère. » (Édition de 1734.) — Le mariage ne fut célébré à Munich que le 28 au soir. Voyez la Gazette du 10 février.

36. a On a envoyé d'ici. » (Editions de 1734 et de 1754.)

37. « Qu'il avoit demandés. ) (Édition de 1734.)

38. « La gouvernante, les hommes. » (Éditions de 1734 et de 1754.) — Voyez la note 9 de la lettre précédente, p. ao5.

1680

maison part demain. Mme de Coulanges est aujourd'hui dans le tourbillon de leur départ; elles sont toutes à Paris.

Voici une histoire bien tragique. Cette pauvre Bertillac" est devenue passionnée, pour ses péchés passés, de l'insensible Caderousse40 :

H l'a vue s'enflammer et non pas sè défendre".

D'abord il a été au fait, et lui a fait mettre en gage ses perles, pour soutenir un peu la bassette. Il alla" chez Mme de Quintin U avec mille louis qu'il fit sonner; sa reconnoissance l'obligea de dire d'où ils venoient. Elle a été si excessivement saisie de ce procédé14 , qu'elle en est devenue une image de Benoît, comme elle l'a été" autrefois ; et le sang et les esprits ne courant plus, elle est devenue enflée U et gangrenée, de sorte qu'elle est à Fagonie"

3g. Anne-Louise Habert, fille de Henri-Louis Habert de Montmor et de Marie-Henriette de Buade de Frontenac, et sœur de l'abbé de Montmor (voyez tome II, p. 138, note 14). Elle avait épousé en 1666 Nicolas-Jehannot de Barthillat (qu'on appelait aussi Bertillac), lieutenant général des armées du Roi, gouverneur de Rocroy.

— Les deux éditions de Perrin ne donnent que la première lettre de ce nom, et, à la ligne suivante, de celui de Caderousse.

4o. Voyez tome I, p. 493, note 5, et la Notice, p. 102. Caderousse mourut le 28 février 1730, à l'âge de quatre-vingt-cinq ans.

41. Ce vers n'est pas dans l'édition de Rouen (1726). L'édition de 1754 seule donne le masculin : c Il l'a vu. »

42. « On le vit arriTer. » (Édition de 1754.)

43. Voyez tome IV, p. 251, note 4.

44. « Ce procédé a si excessivement saisi la B. » (Édition de 1754.)

45. c Comme elle a été. » (Éditions de 1734 et de — Benoit était un artiste célèbre pour les figures de cire. — Dans le manuscrit, et dans l'édition de la Haye (1726), on lit : « un image. »

46. a Elle est actuellement enflée. » (Édition de 1754.)

47. Bussy écrit à la Rivière, sous la date du 17 février 1680 : « Caderousse, étant allé, dès le soir même, dans la maison ou il avoit

1680

Nous y passâmes hier, le petit Coulanges et moi : on attend qu'elle expire; elle est mal pleurée; le père et le mari voudroient qu'elle fût déjà sous terre. Il n'y a pas deux opinions sur la cause de sa mort48. Mme de Frontenac en est toute honteuse49, aussi bien que tout le sexe, qui devroit déchirer Caderousse comme Orphée. Je ne ferai jamais mon héros d'un si malhonnête homme60 ; j'ai le même chagrin contre lui, que Mme de Coulanges contre la Fare" : elle ne le salue plus, et dit qu'il l'a trompée" Il n'y a qu'elle qui se plaigne; la Sablière a pris son parti en jolie et spirituelle personne". Ce n'est pas pour le même sujet que je hais Caderousse, comme vous voyez; car même il ne m'a pas trompée".

perdu la veille, dit, avec un air dédaigneux qu'on dit qu'il a, à quelqu'un qui lui demandoit ce qu'il venoit faire là, n'ayant pas un quart d'écu, que les gens comme lui ne manquoient jamais de ressource, et que la bonne femme Bertillac n'avoit plus ni bagues ni joyaux.

A la vérité, il ne voyoit pas que Mme de Bcrtillac étoit dans l'alcôve de la chambre avec la maîtresse du logis. Vous pouvez vous imaginer ce que put penser une femme passionnée qui se voit traiter de la sorte. Elle tomba en défaillance, et comme elle fut revenue, on la porta dans son carrosse, et de là dans son lit, où elle est morte quatre jours après. »

48. a Sur cette belle cause de sa mort. » (Édition de 1754.)

49. « En paroît honteuse. » (Ibidem.)

5o. a Je ne ferai jamais mon héros d'un tel homme. » (Édition de Rouen, 1726.) — « Je n'en ferai jamais mon héros. » (Éditions de 1734 et de 1754.)

5i. Voyez plus haut, p. 108, et la note 38.

52. La fin de cette phrase n'est pas dans l'édition de Rouen (1726), non plus que la phrase suivante.

53. Voyez la lettre du 14 juillet suivant.

54. La lettre finit à ces mots dans le texte de 1734. Les éditions de Rouen et de la Haye, qui n'ont pas non plus le post-scriptum daté du mercredi, à dix heures du soir, ajoutent ici un alinéa qui forme la fin de la lettre du 8 avril 1676 (tome IV, p. 400). — Le premier paragraphe du post-scriptum n'est que dans l'impression de 1754.

r680

Mercredi, à dix heures du soir.

Ma grosse lettre est partie ; mais quand il y a de grandes nouvelles, il faut les écrire, quoique vous puissiez les savoir par d'autres. Je vous dirai donc que Mme la comtesse de Soissons55 est partie cette nuit pour Liège, ou pour quelque autre endroit qui ne soit point la France.

La Voisin58 l'a extrêmement marquée, et je pense que Sa Majesté lui a donné charitablement le temps de se retirer. M. de Luxembourg s'est mis volontairement à la Bastille, et se croit assez innocent pour prendre ce ton87.

On parle de Mme de Tingry58, de plusieurs autres encore ; mais c'est un chaos, et je vous mam de ce qui est positif ; à vendredi le reste.

On a trompeté Madame la Comtesse à trois briefs

55. Olympe Mancini (voyez tome II, p. 5oi, note 6). Sur sa fuite et son procès, voyez les Nièces de Mazarin par Amédée Renée.

56. On instruisait l'affaire des poisons. Catherine Deshayes, femme d'Antoine Montvoisin, connue sous le nom de la roisin, a Vigoureux, la Bosse, un prêtre nommé Étienne Guibourg, Adam Cœuvret, dit le Sage, et d'autres scélérats obscurs, tiraient l'horoscope, et mettaient en pratique les funestes secrets que leur avaient légués SainteCroix et la Brinvilliers. On n'entendait parler que de morts subites et d'empoisonnements. Le Roi, voulaut mettre un terme à ces crimes, attribua, par lettres patentes du 7 avril 1679, la connaissance exclusive du crime de poison à la chambre de l'Arsenal, qu'il avait créée à cet effet, et qui était composée de conseillers d'Etat et de maîtres des requêtes. Une grande partie des pièces originales de ce procès est conservée parmi les manuscrits de la bibliothèque de l'Arsenal. L'éditeur y a puisé des éclaircissements. (Note de l'édition de 1818, à la lettre suivante.)

57. Pour le maréchal de Luxembourg, compromis dans l'affaire des poisons, voyez l'Histoire de Louvois par M. Rousset, tome II, p. 562 et suivantes.

58. Voyez tome III, p. 5og, note 2, et les Mémoires de Saint-Simon, tome I, p. i36 et 137. La princesse de Tingry ou Tingris, dame du palais de la Reine, mourut le 16 juillet 1706 (voyez à cette date le Journal de Dangeau et une addition de Saint-Simon). « Elle vécut, dit Saint-Simon dans ses Mémoires (tome V, p. ig5), longtemps fort

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jours, c'est-à-dire qu'on lui va faire son procès par contumace. Le Roi dit à Mme de Carignan59 : « Madame, j'ai bien voulu que Madame la Comtesse se soit sauvée; peut-être en rendrai-je un jour compte à Dieu et à mes peuples. » Et pour son appartement" , que Mme de Carignan demandoit, le Roi lui dit qu'il en avoit disposé"

775. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

I

A Paris, vendredi 26e janvier 1680.

JE veux commencer, ma très-chère, par votre santé; c'est ce qui me tient uniquement au cœur. C'est sans préjudice de cette continuelle pensée que je vois, que

délaissée, et dans de grands scrupules sur ses vœux, et d'avoir changé son voile contre un tabouret. »

5g. Marie de Bourbon, fille de Charles comte de Soissons, avait épousé le 10 octobre 1624 Thomas-François de Savoie, prince de Carignan, cinquième fils du duc Charles-Emmanuel Ier, dont elle resta veuvç le 22 janvier 1656. Elle mourut le 4 juin 1692, à quatre-vingt-sept ans. Elle était belle-mère de la comtesse de Soissons.

60. La comtesse de Soissons avait conservé aux Tuileries, dans l'un des pavillons, au premier étage, l'appartement de la surintendante de la maison de la Reine : elle avait cependant cessé d'exercer cette charge au mois d'avril 1679. Le Roi l'avait fait prier de s'en démettre entre ses mains; la Reine joignit sa prière à celle du Roi, et la comtesse donna son consentement en recevant deux cent mille écus (voyez la Correspondance de Bussy, tome IV, p. 344 et 345).

Le Roi voulait donner cette charge à Mme de Montespan, et voici quel était le motif de cette libéralité pour une maîtresse dont la faveur commençait à décliner : M. de Montespan ne voulant rien recevoir, on ne pouvait le faire duc et donner à sa femme le tabouret des duchesses; on supposa que la charge de surintendante emportait ce droit avec elle. Voyez Saint-Simon, tome VI, p. 442* (Note de fédition de 1818.)

61. s il répondit qu'il y avoit pourvu. D (Édition de 1764.)

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j'entends et que je prends intérêt à1 toutes les choses de ce monde : elles sont plus proches ou plus loin de moi, selon qu'elles ont plus ou moins-de rapport à vous : vous me donnez même l'attenti.. que j'ai aux nouvelles. Je vous trouve bien dorlotée et bien mitonnée, ma chère enfant; vous n'êtes point dans le tourbillon, je suis en repos pour votre repos; mais je n'y suis pas pour cette chaleur et cette pesanteur, et cette douleur sans bise, sans fatigue. Je voudrois bien un peu2 d'éclaircissement sur un point si important : tant de soins qu'on a de vous ne sont pas sans raison, ni par pure précaution. Ma chère enfant, je souhaite que vous soyez changée sur l'écriture, et que ce soit sincèrement que vous ne veuilliez plus3 vous tuer avec votre écritoire ; confirmez-moi cette bonne opinion de vous, et en nul cas ne m'écrivez de grandes lettres , vous m'en écrivez assez et trop. Montgobert s'acquitte très-bien du reste, et comme je vous ai dit', elle peut même vous soulager de dicter. Je voudrois qu'elle mêlât un mot du sien sur le sujet de votre santé.

Enfin j'ai reçu une lettre de mon fils. Il est à Nantes; il n'a été que vingt jours à son voyage; il n'a fait que quatre-vingt-dix lieues de Bretagne, au mois de janvier, pour swienniser la fête des Rois, sans aucun amour. Je lui mande qu'il se garde bien de dire cela à d'autres, et que pour ne pas se décrier, il faut qu'il laisse entendre une passion vraie ou fausse : sans cela il paroîtra plus

LETTRE 775 (revue en grande partie sur une ancienne copie). —

1. Les mots « et que je prends intérêt à » ne sont pas dans le texte de 1754.

2. « Un peu plus. » (Édition de 1754.)

3. L'édition de 1754 donne simplement : « Je souhaite que ce soit sincèrement que vous ne vouliez plus, etc. »

4. « Et en nul cas ne m'écrivez de grandes lettres, puisque Montgobert s'en acquitte très-bien, et que, comme je vous ai dit, etc. »

(Édition de 1764.) — Voyez ci-dessus, p. 199.

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- Breton que tous les Bretons. Je le prie aussi de ne point demeurer à Nantes pour nos affaires ; elles ne sont plus vraisemblables, et je serois fort fâchée que l'on crût que je fusse assez sotte et assez avare6 pour préférer des affaires de rien à la nécessité de faire sa cour, dans une occasion comme celle-ci. Il me paroît embarrassé ; mais enfin il reviendra assez tôt pour partir avec M. de Chaulnes : voyez ma bonté, je lui ai retenu une place dans son carrosse.

En vérité, je ne me souviens plus du petit de Gonor6 : je vous laisse le soin, et à votre frère, de ces anciennes dates. Sans la @ présence de Mademoiselle, j'aurois renoncé Mlle d'Epernon'; je dis ce jour-là, et toujours, ces sottises que vous appelez jolies, et c'est tout ce qu'on peut faire pour les adoucir; vous voulez tirer de ce rang le compliment que je fis à Mme de Richelieu8 ; je le veux bien, car il ressemble à ce que lui auroit dit M. de Grignan : j'y pensai ; voilà justement de ces choses qui lui viennent quand il parle et quand il écrit, et qui fait9 que ses lettres font toujours, deux mois durant, l'ornement de toutes les poches. Mme de Coulanges avoit encore hier la sienne, et la montre : cela n'est-il pas plaisant ?

5. cr Que l'on me crût assez sotte ou assez avare. s (Édition de 1754.)

6. Charles Gouffier, l'un des oncles du duc de Roannès (l'ami de Pascal), porta le titre de comte de Gonor et de Maulevrier; nous n'avons pas de renseignements sur l'aîné de ses fils; mais le second, filleul de Louis XIV, paraît avoir été un marin distingué, connu d'abord sous le nom de chevalier de Gonor, puis de comte de Roannès; né en 1648, il mourut lieutenant général en 1734; il fut quelque temps lieutenant de la Réale ayant d'être nommé (en 1684) capitaine de galère : c'est lui probablement qne Mme de Grignan avait revu en Provence.

7. Voyez la lettre du 5 janvier précédent, p. 175.

8. Voyez la lettre du 3 janvier précédent, p. 170.

9. c C'est ce qui fait. » (.Édition de 1754.)

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Au reste, ma chère enfant, ne comptez point tant que vous soyez où vous devez être, que vous ne comptiez aussi 10 que vous devez être quelquefois ici; c'est votre pays et celui de M. de Grignan; et je vivrois bien tristement, si je n'espérois de vous y revoir" cette année.

Monsieur de Rennes12 vous garde votre appartement, et vous donnera" pourtant tout le temps d'y faire travailler. Vous ne m'avez aucune obligation de cette société ; ce n'en est point une ; c'est un homme admirable : il ne pèse rien, ni ses gens aussi 14; sa conversation15 est légère, on le voit peu, il trotte assez, et ne hait pas d'être dans sa chambre; on le souhaite, il ne ressemble point à Monsieur du Mans : enfin il est tel, que si on souhaitoit quelqu'un qui ne fût point vous, ce seroit un hôte comme celui-là : il m'a priée déjà plusieurs fois de vous faire bien des compliments, et de vous dire que, quelque joie qu'il ait d'être ici, il m'aime trop pour n'avoir pas beaucoup d'envie 17 de vous quitter la place.

On ne parle ni on ne pense plus à la bonne femme Soubise18. Vraiment, il y a bien d'autres affaires, et je

io. (r Que vous ne comptiez encore. » (Édition de 1754.)

II. « Sije n'espérois vous y revoir. » (Ibidem.)

12. L'évêque de Rennes, Jean-Baptiste de Beaumanoir (de Lavardin, évéque de 1678 à 1711), occupoit dans ce temps-là l'appartement de Mme de Grignan, à l'hôtel de Carnavalet. (Note de Perrin, 1754.)

i3. « Nous donnera. » [Editions de 1734 et de 1754.)

14. cc Il ne pèse rien, non plus que ses gens. » (ÉdÚion de 1754.)

15. Dans le manuscrit : « la conversation.»

16. « A feu Monsieur du Mans. D (Éditions de 1734 et de 1754.) Philibert-Emmanuel de Beaumanoir, évéque du Mans, mort en juillet 1671. Il étoit cousin germain de Monsieur de Rennes. (Note de Perrin, 1754.) — Voyez tome II, p. 77, note 17, et p. 3o5, note 4.

17. « Pour n'avoir point envie. » (Édition de 1734.)

18. « On ne parle ni on ne pense plus à Mme de S***. » (Édition de 1734.) — « On ne parle plus de Mme de S., on n'y pense même déjà plus. » (Édition de 1754.)

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pense que je suis folle de m'amuser à parler d'autre chose. Il y a deux jours que l'on est assez comme le jour d,e Mademoiselle et de M. de Lauzun : on est dans une agitation, on envoie aux nouvelles, on va dans les maisons pour en apprendre, on est curieux; et voici ce qui a paru, en attendant le reste.

M. de Luxembourg étoit mercredi à Saint-Germain, sans que le Roi lui fit moins bonne mine qu'à l'ordinaire : au contraire il lui avoit donné une très-belle épée pour un cheval qu'il lui avoit pris19. On l'avertit qu'il y avoit contre lui un décret de prise de corps : il voulut parler au Roi ; vous pouvez penser ce qu'on dit. Sa Majesté lui dit que s'il étoit innocent, il n'avoit qu'à s'aller mettre en prison, et qu'il avoit donné de si bons juges pour examiner ces sortes d'affaires, qu'il leur en laissoit toute la conduite. M. de Luxembourg pria qu'on ne l'y menât point, et en effet il monta en carrosse20, et s'en vint chez le P. de la Chaise; Mmes de Lavardin et de Mouci, qui venoient ici, le rencontrèrent dans la rue Saint-Honoré, assez triste dans son carrosse ; après avoir été une heure aux Jésuites21, il fut à la Bastille; il donna à Bezemaux22 l'ordre qu'il avoit apporté de Saint-Germain, et entra d'abord dans une assez belle chambre : c'est celle où étoit Tallard 23. Mme de Meckelbourg vint, qui

19. Ce membre de phrase ne se trouve que dans notre manuscrit.

20 « M. de Luxembourg monta aussitôt en carrosse. » (Édition de 1754.)

21. Rue Saint-Antoine. Leur église est devenue la paroisse SaintPaul-Saint- Louis.

22. a Et remit à Baisemeaux. » (Ibidem.) — Il a déjà été question de Bezemaux, gouverneur de la Bastille, au tome I, p. 471. Il avait été capitaine des gardes de Mazarin. Voyez la Correspondance de Bussy, tome V, p. 108 et 109.

23. Ce membre de phrase est seulement dans notre manuscrit. - Tallard avait été mis à la Bastille à la suite de sa querelle

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pensa24 fondre en larmes; elle s'en alla, et une heure après qu'elle fut sortie, il vint25 un ordre de le mettre dans une des horribles chambres grillées qui sont dans les tours, où l'on voit à peine le ciel, et défense de voir qui que ce fût. Voilà, ma fille, un grand sujet de réflexion.

Songez à la fortune brillante de cet homme, où il ne manquoit plus rien, à l'honneur qu'il avoit eu de commander les armées du Roi, et le voilà 26. Songez ce que ce fut pour lui que d'entendre fermer ces gros verrous; et s'il a dormi par excès d'abattement, songez au réveil 27. On ne croit pas qu'il y ait du poison à son affaire28, mais tant d'autres sottises, qu'il ne peut jamais reparaître dans le monde après un tel malheur. Cette charge29 sortira de sa maison, et sera donnée. J'en parlois tantôt avec M. de la Rochefoucauld; il me disoit que vous m'envoyassiez à tout hasard une lettre de M. de Grignan pour son fils 110; au cas que le Roi ne veuille pas un homme

avec le comte d'Auvergne. Voyez la Correspondance de Bussy, tome IV, p. 226, et dans notre tome V, p. 498, la lettre du 24 novembre 1678.

24. « Mme de Meckelbourg vint l'y voir, et pensa, etc. » (Édition de 1754O — Mme de Mecklenbourg était sœur du maréchal de Luxembourg. Voyez tome I, p. 406, note 2.

a5. « Il arriva. » (Édition de 1754.)

26. Cette phrase manque dans l'édition de 1734. Dans celle de 1754, elle est jointe à celle qui suit : « Songez à la fortune brillante d'un tel homme, à l'honneur qu'il avoit eu de commander les armées du Roi, et représentez-vous ce que ce fut pour lui d'entendre, etc. »

27. « Pensez au réveil. » (Édition de 1754.)

28. Dans les deux éditions de Perrin : « Personne ne croit qu'il y ait du poison à son affaire. » Ce qui suit, jusqu'à la dernière phrase de l'alinéa : œ Je vous assure, » ne se lit que dans notre manuscrit ; cette dernière phrase elle-même, qui est dans l'édition de 1754, manque dans celle de 1734.

29. De capitaine des gardes. Son successeur fut le maréchal de Villeroi, en 1695.

3o. Le prince de Marsillac.

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titré, il y a peu de gens qui soient plus en état d'y prétendre que vous. Vous avez du temps, il faut écrire à Sa Majesté : ne datez point, et vous êtes bien assurée que ce paquet, étant entre mes mains, n'en sortira qu'après avoir été bien consulté par des gens à qui vous avez beaucoup de confiance, et qui en sont très-dignes. Digérez cette pensée. Je vous assure que voilà une sorte de malheur qui en efface bien d'autres.

La Tingry est chez elle, qui est ajournée 31 pour répondre devant les juges. Pour Mme la comtesse de Soissons, elle n'a pu envisager la prison; on a bien voulu lui donner le temps de s'enfuir, si elle est coupable. Elle jouoit à la bassette mercredi32. M. de Bouillon entra; elle lui dit qu'il ne devoit revenir que le lendemain, pourquoi il étoit revenu Il la pria de passer dans son cabinet; il lui dit qu'il falloit sortir de France, ou aller à la Bastille : elle ne balança point; elle fit sortir du jeu la marquise d'Alluye34 ; elles ne parurent plus. L'heure de

3i. II Mme de T** est chez elle; elle est ajournée. » (Édition de 1734.) — c Mme de Tingris est ajournée. » (Édition de 1754.)

32. Le décret de prise de corps , lancé contre la comtesse de Soissons, la marquise d'Alluye et la maréchale de la Ferté, est du (mardi). 23 janvier. La comtesse fut avertie le 24, et des huissiers se transportèrent le 25 aux Tuileries, où ils dressèrent procès-verbal de perquisition de sa personne. Voyez les pièces originales de l'affaire des poisons. (Note de l'édition de 1818.)

33. Cette seconde partie de la phrase : « elle lui dit, etc., » se lit seulement dans notre manuscrit.

34. Bénigne de Meaux du Fouilloux. Elle avait épousé en 1667 Paul d'Escoubleau, marquis d'Alluye et de Sourdis, gouverneur de l'Orléanais. Elle avait accompagné la comtesse de Soissons chez la Voisin. (Voyez la note 19 de la lettre du 31 janvier suivant, p. 23o.) Elle mourut en 1720 (voyez le Journal de Dangeau aux 5 et 16 mars 1720), à Paris, où elle était revenue depuis longtemps déjà, car on trouve son nom et son adresse rue du Bac, au nombre des dames qui possédaient des cabinets de curiosités, dans le Livre commode de 1692. — 1 D'Alluye, dit Saint-Simon (tome XVII, p. 472 et 473),

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souper vint; on dit que Madame la Comtesse soupoit à la ville" : tout le monde s'en alla, persuadé de quelque chose d'extraordinaire. Cependant on fit beaucoup de paquets, on prit de l'argent, des pierreries; on fit prendre des justaucorps gris aux laquais et cochers17 ; on fit mettre huit chevaux au carrosse. Elle fit mettre la marquise d'Alluye au fond auprès d'elle", qu'on dit qui ne vouloit pas aller; deux femmes de chambre au devant39.

Elle dit à ses gens qu'ils ne se missent point en peine d'elle, qu'elle étoit innocente ; mais que ces coquines de femmes40 avoient pris plaisir à la nommer; elle pleura;

fut encore plus mêlé que sa femme dans l'affaire de la Voisin; [ils] furent longtemps exilés, et le mari, qui mourut sans enfants en 1690, n'eut jamais permission de voir le Roi, quoique revenu à Paris. Sa femme, amie intime de la comtesse de Soissons et des duchesses de Bouillon et Mazarin, passa sa vie dans les intrigues de galantenie, et quand son âge l'en exclut pour elle-même, dans celles d'autrui.

C'étoit une femme qui n'étoit point méchante, qui n'avoit d'intrigues que de galanterie, mais qui les aimoit tant, que jusqu'à sa mort elle étoit le rendez-vous et la confidente des galanteries de Paris, dont tous les matins les intéressés lui rendoient compte. Elle aimoit le monde et le jeu passionnément, avoit peu de bien et le réservoitpour son jeu.

Le matin, tout en discourant avec les galants qui lui contoient les nouvelles de la ville, ou les leurs, elle envoyoit chercher une tranche de pâté ou de jambon, quelquefois un peu de salé ou des petits pâtés, et les mangeoit. Le soir, ellealloit souper et jouer où elle pouvoit, rentroit à quatre heures du matin, et a vécu de la sorte .grasse et fraîche, sans nulle infirmité, jusqu'à plus de quatre-vingts as qu'elle mourut d'une assez courte maladie, après une aussi longue vie sans souci, sans contrainte et uniquement de plaisir. D'estime, elle ne s'en étoit jamais mise en peine, sinon d'être sûre et secrète au dernier point ; avec cela, tout le monde l'aimoit, mais il n'alloit guère de femmes chez elle. »

35. « L'heure du souper, s (Éditions de n34. et de n5/L.~

1 v ,., - 1 - J 36. « En ville. » (Édition de 1754.) , 1- -- ,

3t. « Aux laquais et aux cochers. » (Ibidem.)

38. c Elle fit placer auprès d'elle dans le fond la marquise d'Alluye. » (ibidem.)

3g. c Et deux femmes de chambre sur le devant. » (Ibidem.)

4o. La Voisin et ses associées pour des sorcelleries. (Note dePerrin.)

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elle passa chez Mme de Carignan, et à trois heures du matin sortit de Paris. On dit qu'elle va à Namur : vous croyez bien qu'on n'a pas dessein de la suivre. On ne laissera pas de faire son procès ou de la justifier41 : il y a bien des noirceurs dans ce que dit la Voisin. Le duc de Villeroi42 paroît très-affligé, ou pour mieux dire ne paroît pas, car il est enfermé dans sa chambre. Peut-être vous dirai-je encore quelque nouvelle avant que de fermer cette lettre.

Mme de Vibraye43 a repris le train de sa dévotion; Dieu n'a pas voulu qu'elle ait passé sa vie, comme vous dites fort bien, avec ses ennemis. Cela s'est tourné désagréablement pour elle, car on trouvoit la qualité entre deux fers" pour entrer dans le carrosse de la Reine. On se représentoit toujours Mme de Bellébat45. La Gou ville46

4i. « Ne fût-ce que pour la justifier. » (Édition de 1754.)

42. Il était toujours très-attaché à la comtesse de Soissons, dont il avait été fort épris. (Note de l'édition de 1818.) Il ne peut guère être ici question que du marquis de Villeroi ; mais son père, le duc, ne mourut qu'en 1685. Peut-être y a-t-il une faute de copie. — Dans l'édition de 1754 : a On croit le duc de Villeroi très-affligé : il est enfermé dans sa chambre et ne voit personne. J)

43. Voyez la note 12 de la lettre du 3 janvier précédent, p. 171.

— Le commencement de cet alinéa, jusqu'à : < Pomenars, etc., s ne se trouve pas dans le texte de 1734. —La seconde phrase et tout ce qui la suit, jusqu'à : cr La Bury, etc., » manque dans le texte de 1754.

44. C'est-à-dire insuffisante. « On dit communément qu'une pièce de monnoie est entre deux fers, pour dire qu'elle ne trébuche point (lorsqu'on la pèse). » (Dictionnaire de t Académie de 1694.)

45. Renée de Flexelles, fille de Jean seigneur de Brégy, morte le 26 mars 1707, à l'âge de quatre-vingt-dix ans, avait épousé, le 10 novembre 1637, Henri Hurault de l'Hospital, seigneur de Bellébat ou Belesbat, maître des requêtes, qui mourut en mars 1684. Les Bellébat et les Vibraye étaient de même maison (voyez plus haut, p. 171, note 12.)

46. Voyez tome I, p. 395, note 2, et tome II, p. 97, note 16. —

Mme de Montglas était Élisabeth Hurault de Chiverny : voyez tome I, p. 394, note 1.

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dit tant de sottises là-dessus chez Mademoiselle, que Mme de Montglas, qui est Hurault, en fut en furie avec raison, et M. de Vibraye dit qu'il couperoit le nez ou la robe de cette p ; je ne sais si je me fais entendre : voilà comme il s'est expliqué partout. La Bury fait fort joliment tourner son moulin à paroles. Si on voit cette princesse à Paris, j'irai avec Mme de Vins, qui m'en prie48. Pomenars a été taillé; vous l'ai-je dit49? Je l'ai vu; c'est un plaisir que de l'entendre parler sur tous ces poisons; on est tenté de lui demander60 : « Est-il possible que ce seul crime vous soit inconnu? » Yolonne61 dit son avis comme un autre, admirant le commerce qu'on a eu avec ces coquines. La reine d'Espagne est quasi aussi enfermée que M. de Luxembourg. Mme de Villars man doit l'autre jour fort plaisamment62 à Mme de Coulanges, que si ce n'étoit pour l'amour de M. de Villars, elle ne passeroit pas son hiver à Madrid. Elle fait des relations fort jolies et fort plaisantes à Mme de Coulanges, croyant bien qu'elles iront plus loin 63. Je suis fort contente d'en avoir le plaisir, sans être chargée54 d'y répondre. Mme de Vins est de mon avis.

M. de Pompone est allé pour trois jours respirer à Pompone; il a tout reçu, il a tout rendu, voilà qui est

47. La princesse de Conti ?

48. « Si on voit la princesse à Paris, Mme de Vins desire que j'y aille avec elle. » (Édition de 1754.) -

49. Voyez la lettre du 12 janvier précédent, p. 188 et 139.

5o. « De lui dire. » (Édition de 1754.)

51. Celui que Madame de Bavière accuse d'avoir été le complice du chevalier de Lorraine dans l'empoisonnement de Madame Henriette.

Voyez tome III, p. 295, note 3.

5.2. Les mots fort plaisamment ne se trouvent pas dans le texte de 1754.

53. C'est-à-dire jusqu'à Mme de Maintenon et au Roi. Voyez la lettre du 8 novembre 1679, p. 80.

54. « Obligée. » (Édition de 1754.)

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fait ; c'est le malheur de M. de Luxembourg' qui est un malheur" : il doit se trouver bien heureux par comparaison. Il me serre toujours le cœur, quand il me demande si je ne sais point de nouvelles; il est ignorant comme sur les bords de Marne : il a raison de calmer son âme tant qu'il pourra. La mienne a été fort émue, aussi bien que celle de l'abbé, de ce que vous écrivez de votre main : vous ne l'avez pas senti, ma chère enfant; il est impossible de le lire avec des yeux secs. Eh, bon Dieu ! vous compter bonne à rien et inutile partout à quelqu'un qui ne compte que vous dans le monde : comprenez, ma chère enfant, l'effet que cela peut faire. Je vous prie de ne plus dire de mal de votre humeur : votre cœur et votre âme sont trop parfaits pour laisser voir ces légères ombres; épargnez un peu la vérité, la justice, et mon seul et sensible goût; ma chère enfant, je ne compterai point ma vie que je ne me retrouve avec vous.

it 776. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE GUITAUT.

A Paris, ce mardi 29e janvier1.

JAMAIS deux louis d'or 2 ne sont arrivés plus sûrement ni plus heureusement que les deux du gendarme qui est à Ypres. Donnez-moi des affaires plus difficiles, afin de

55. Ce membre de phrase et le suivant ne se lisent que dans notre manuscrit.

LETTRE 776 (revue sur l'autographe). — 1. Mme de Sévigné s'est trompée sur le jour ou sur le chiffre de la date; en 1680, le 29 janvier était un lundi.

2. Envoyés par le comte de Guitaut, ou par l'un de ses paysans, à quelque gendarme de la compagnie que commandaient la Trousse et Charles de Sévigné ?

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vous faire voir mon zèle et ma capacité; il me semble que vous doutez beaucoup de cette dernière chose. Voilà ce que vaut le bon abbé, il me soulage si parfaitement de toutes sortes d'affaires, qu il semble que je sois une innocente. Il faut souffrir cette humiliation et souhaiter que l'on me fasse encore longtemps cette injustice. Mais à propos de justice et d'injustice, ne vous paroît-il pas de loin que nous ne respirons tous ici que du poison, que nous sommes dans les sacriléges et les avortements? En vérité, cela fait horreur à toute l'Europe, et ceux qui nous liront dans cent ans plaindront ceux qui auront été témoins de ces accusations. Vous savez comme ce pauvre Luxembourg s'est remis de son bon gré à la Bastille : il a été l'officier qui s'y est mené, il a lui-même montré l'ordre à Bezemaux*. Il vint de Saint-Germain, il rencontra

Mme de Montespan en chemin ; ils descendirent tous deux de leurs carrosses pour parler plus en liberté; il pleura fort. Il vint aux Jésuites*, il demanda plusieurs pères, il pria Dieu dans l'église, et toujours des larmes : il paroissoit un peu qu'il ne savoit à quel saint se vouer. Il rencontra Mme de Vauyineux; il lui dit qu'il s'en alloit à la Bastille, qu'il en sortiroit innocent, mais qu'après un tel malheur il ne reverroit jamais le monde. Il fut d'abord mis dans une chambre assez belle ; deux heures après il est venu un ordre de le renfermer. Il est donc dans une chambre d'en haut très-désagréable; il ne voit personne; il a été interrogé quatre heures par M. de Bezons5 et M. de la Reynie'. Pour Mme la comtesse de Soissons, c'est une

3. Voyez tome I, p. 471, note 8, et ci-dessus, p. 218 et la note 22.

Mine de Sévigné écrit Baisemeau.

4. Voyez ci-dessus la lettre où Mme de Sévigné fait le même récit à sa fille (p. ai8, note 21).

5. Voyez tome III, p. 261, note 8. Mme de Sévigné écrit Beson.

6. « Celui, dit Saint-Simon (tome II, p. 3oo), qui a mis la place

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autre manière de peindre : elle a porté son innocence au grand air ; elle partit la nuit, et dit qu'elle ne pouvoit envisager la prison, ni la honte d'être confrontée à des gueuses et à des coquines. La marquise d'Alluye est avec elle7; ils prennent le chemin de Namur ; on n'a pas8 dessein de les suivre. Il y a quelque chose d'assez naturel et d'assez noble à ce procédé; pour moi, je l'approuve. On dit cependant que les choses dont elle est accusée ne sont que de pures sottises, qu'elle a redites mille fois, comme on fait toujours quand on revient de chez ces sorcières ou soi-disantes. Il y a beaucoup à raisonner sur toutes ces choses : on ne fait autre chose ; mais je crois9 que l'on n'écrit point ce que l'on pense. La suite nous fera voir de quelle couleur sont les crimes ; jusques ici ils paroissent gris brun seulement. Vous savez les noms de toutes les personnes ajournées pour répondre. Le maréchal de Villeroi 10 dit : « Ces messieurs et ces dames, ils croient au diable et ne croient pas en Dieu. »

Notre pauvre Grignan s'est trouvée 11 si incommodée d'écrire, qu'elle n'écrit plus qu'une page, pour dire : « IWe voilà, » et Montgobert écrit le reste. Elle a mal à la poitrine, et puis cela passe, comme ici. Cette délicate santé fait toute ma peine et mon inquiétude. Adieu, Monsieur et Madame : soyez bien persuadés, l'un et l'autre, que je vous aime et vous honore sincèrement. Le bon abbé est tout à vous.

de lieutenant de police dans la considération et l'importance où on l'a vue depuis. » Gabriel-Nicolas, seigneur de la Reynie, fut lieutenant général de police de mars 1667 (date de la création de cette charge) à 1697.

7. Voyez la lettre précédente, p. 220 et 221.

8. Dans l'autographe : on apas; comparez ci-dessus, p. 62, note 1.

9. Mme de Sévigné avait d'abord écrit pense, qu'elle a enlace à cause de la répétition, pour mettre au-dessus crois.

10. Le père du charmant; celui-ci ne fut maréchal qu'en 1693.

11. L'autographe a trouvé, sans accord.

I680

On interrogea hier Mmes de Bouillon et de Tingry U ; elles étoient accompagnées de leurs nobles familles.

Vraiment, c'est pour des choses bien légères qu'on leur a fait cet affront : jusques ici voilà ce qui paroit.

777. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, mercredi 3ie janvier.

JE ne puis plus voir sans chagrin de votre écriture : je sais le mal que cela vous fait, et quoique vous me mandiez les choses du monde les plus aimables et les plus tendres, je regrette d'avoir ce plaisir aux dépens de votre poitrine; je vois bien que vous en êtes encore incommodée: voici une longue bouffée, et sans autre cause que votre mal même; car vous dites que le temps est doux, vous ne vous fatiguez point du tout, vous écrivez moins qu'à l'ordinaire : d'où vient donc cette opiniâtreté ? Vous vous taisez là-dessus, et Montgobert a la cruauté d'avoir la plume à la main, et de ne m'en pas dire un mot. Bon Dieu! qu'est-ce que tout le reste ? et quel intérêt puis-je prendre à toute la joie de votre ville d'Aix, quand je vois que vous êtes couchée à huit heures ? « Vous voulez donc, me direz-vous, que je veille et que je me fatigue ? » Non, ma très-chère : Dieu me garde d'avoir une volonté si dépravée! mais vous n'étiez pas ici hors d'état de prendre quelque part à la société. J'ai vu enfin M. de Gordes; il m'a dit bien sincèrement que dans le bateau vous étiez très-abattue et très-languissante, et qu'à Aix vous

12. Mme de Sévigné écrit Tingris.

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étiez bien mieux ; mais avec la même naïveté il assure que tout l'air de Provence est trop subtil, et trop vif, et trop desséchant pour l'état où vous êtes. Quand on se porte bien, tout est bon; mais quand on a la poitrine attaquée, qu'on est maigre, qu'on est délicate, on se met en risque de ne pouvoir plus se rétablir. Ne me dites plus que la délicatesse de votre poitrine égale nos âges; ah!

j'espère que Dieu n'aura pas dérangé un ordre si naturel, si agréable et si délicieux pour moi.

Il faut reprendre le fil des nouvelles, que je laisse toujours un peu reposer quand je traite le chapitre de votre santé. M. de Luxembourg a été deux jours sans manger; il avoit demandé plusieurs pères jésuites1 , on lui a refusés2 ; il a demandé la Vie des Saints, on lui a donnée : il ne sait, comme vous voyez, à [quel saint se vouer. Il fut interrogé quatre heures vendredi ou samedi, je ne m'en souviens pas3; ensuite il parut fort soulagé, et soupa. On croit qu'il auroit mieux fait de mettre son innocence en pleine campagne4, et de dire qu'il reviendroit quand ses juges naturels, qui sont le parlement, le feroient revenir5 Il fait grand tort à la duché' en reconnoissant cette chambre ; mais il a voulu obéir aveuglément à Sa Majesté. M. de Cessac7 a suivi l'exemple de Madame la

LETTRE 777^(rerue en très-grande partie sur une ancienne copie).

— i. « Plusieurs jésuites. » (Édition de 1754.) — Cette lettre ne se trouve pas dans l'édition de 1734.

2. « - On les lui a refusés ; » à la ligne suivante : c on la lui a donnée. » (Édition de 1754.)

3. Il fut interrogé pour la première fois le vendredi 26 janvier.

(Note de Védition de 1818. )

4. Campagne est la leçon de 1754. Notre manuscrit donne : « en pleine compagnie. D

- 5. « Quand ses juges naturels le feroient revenir. » (Édition de 1754.)

6. a Au duché. » (Ibidem.)

7. Le Sage déclara, dans l'interrogatoire qu'il subit le 28 octobre

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Comtesse'. Mmes de Bouillon et de Tingry furent in ter- rogées lundi à cette chambre de l'Arsenal. Leurs nobles familles les accompagnèrent jusqu'à la porte ; il n'y paroît pas jusqu'ici qu'il y ait rien de noir à leurs sottises9; il n'y a pas même du gris brun. Si on ne trouve rien de plus, voilà de grands scandales qu'on auroit pu épargner à des personnes de cette qualité. Le maréchal de Villeroi dit que ces messieurs et ces dames ne croient pas en Dieu, et qu'ils croient au diable. Vraiment on conte des sottises ridicules de tout ce qui se passoit chez des coquines de femmes". La maréchale de la Ferté, qui est si bien nommée, alla par complaisance" avec Madame la Comtesse, et ne monta point en haut12 ; Monsieur de Langres13 étoit avec elle; voilà qui est bien noir : cette

1679, que le marquis de Cessac lui avait demandé anciennement un secret pour gagner au jeu du Roi ; que, sur son refus, il se réduisit à solliciter des secrets pour jouer avec le public et avec le roi d'Angleterre. Le Sage ajoute qu'il lui demanda aussi les moyens de se défaire du comte de Clermont, son frère , et d'entretenir sa bellesœur dans les dispositions favorables qu'elle lui témoignait. Ce misérable entre ensuite dans le détail des absurdités superstitieuses à l'aide desquelles il amusait la crédulité du marquis, et tirait de lui des sommes considérables. La fuite du marquis de Cessac donne quelque poids à ces accusations; il rentra en France dix ans après, et un arrêt du conseil d'État, du 26 août 1691, le renvoya devant la chambre saisie de l'affaire de la marine de Bourgogne, pour y purger sa contumace. Il paraît que l'arrêt lui fut favorable, car, entré à la Bastille le 4 septembre 1691, il fut mis en liberté le 2 5 juillet 1692.

(Note de Védition de 1818.) — Voyez tome II, p. n3, note 4.

8. La comtesse de Soissons.

9. « Il ne paroît pas jusqu'ici qu'il y ait rien de noir aux sottises qu'on leur impute. » (Édition de 1754.)

10, « Des choses ridicules de tout ce qui se passoit chez ces abominables femmes, s (Ihidem.)

11. Chez la Voisin.

12. « Et ne monta point. » (Édition de 1754.)

i3. Louis-Marie-Armand de Simiane de Gordes, évêque de Langres de 1674 à 1695.

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affaire lui donne un plaisir qu'elle n'a pas ordinairement ; c'est d'entendre dire qu'elle est innocente14. La duchesse de Bouillon alla demander à la Voisin un peu de poison pour faire mourir un vieux mari qu'elle avoit qui la faisoit mourir d'ennui 16, et une invention pour épouser un jeune homme qui lamenoit sans que personne le sut16

Ce jeune homme étoit M. de Vendôme, qui la menoit d'une main, et M. de Bouillon" de l'autre; et de rire.

Quand une Mancine18 ne fait qu'une folie comme celle-là, c'est donné ; ces sorcières vous ren dent cela sérieusement, et font horreur à toute l'Europe d'une bagatelle.

Mme la comtesse de Soissons19 demandoit si elle ne pour-

14. La maréchale de la Ferté, la comtesse d'Olonne, et Angélique de la Mothe-Houdancourt, duchesse de la Ferté, belle-fille de la maréchale, étaient au nombre des femmes les plus galantes de ce temps. On lit ce qui suit dans les Mélanges de l'abbé de Choisy, qui n'ont pas été publiés : a Le maréchal de la Ferté étoit à l'agonie ; sa femme, sa belle-fille, sa belle-sœur étoient autour de lui et cri oient : « Monsieur le maréchal, Monsieur le maréchal, nous connoissezcc vous bien? Serrez-nous la main, dites-nous qui nous sommes. »

Le bonhomme, fatigué de leurs criailleries, rappela ses esprits, et leur dit : c Vous êtes des. b On faisoit ce conte à Mme Cornuel, qui dit : « On peut juger que le maréchal avoit encore toute sa « raison. » (NQte de l'édition de 1818.) — « Sa vie débordée, dit Saint-Simon de la maréchale., l'avoit exclue du commerce de presque toutes les femmes, dont fort peu, même décriées, l'osoient voir. » (Addition au Journal de Dangeau, tome XV, p. ioo.)

15. « Un vieux et ennuyeux mari qu'elle avoit. » (Edition de 1754.)

16. c Un jeune homme qu'elle aimoit. » (Ibidem.)

17. Son mari.

18. Une Mancini. Notre manuscrit a l'étrange leçon machine.

Mme de Sévigné avait probablement écrit Manchine, comme Malherbe écrit Conchin et Conchine pour Concini. Voyez le tome III de l'édition de M. Lalanne, p. 29 et note 5.

19. La Voisin déclare, dans l'interrogatoire qu'elle a subi sur la sellette le 17 février, deux jours avant sa condamnation, c qu'il est vrai que Mme la comtesse de Soissons est venue chez elle une fois

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roit point faire revenir un amant qui l'avoit quittée : cet amant étoit un grand prince; et on dit qu'elle dit20 que s'il ne revenoit à elle, il s'en repentiroit : cela s'entend du Roi, et tout est considérable sur un tel sujet. Mais voyons la suite : si elle a fait de plus grands crimes, elle n'en a pas parlé21 à ces gueuses-là. Un de nos amis dit qu'il y a une branche aînée au poison, où l'on ne remonte point, parce qu'elle n'est pas originaire de France ; ce sont ici des petites branches de cadets qui n'ont pas des souliers. La Tingry22 fait imaginer quelque chose de plus important, parce qu'elle a été maîtresse des novices. Elle dit: cc J'admire le monde ; on croit que j'ai couché avec M. de Luxembourg, et que j'ai eu des enfants de lui23 : hélas!

Dieu le sait. » Enfin, le ton d'aujourd'hui, c'est l'inno-

avec la dame maréchale de la Ferté et la demoiselle de Fouilloux (depuis marquise d'AUuyè) ; qu'elle répondante regarda à la main de ladite dame comtesse de Soissons, et qu'elle lui dit. qu'elle avoit été aimée d'un grand prince, et que lors ladite dame lui demanda si cela revien droit, et lui ajouta qu'il falloit bien que cela revînt d'une façon ou d'une autre, et qu'elle pousseroit la chose sur l'un et sur l'autre ; et ne sut, elle répondante, que c'étoit ladite dame comtesse de Soissons que par ladite demoiselle de Fouilloux, qui le lui dit, et qui lui demanda si ladite dame comtesse de Soissons réussiroit dans son dessein, et si elle vien droit à bout de ses amitiés; qu'il est vrai que ladite dame de Soissons lui dit qu'elle porteroit sa vengeance plus loin et sur l'un et sur l'autre, et jusqu'à s'en défaire. et que, lorsque ladite dame lui dit ces choses, elle ne savoit pas encore qu'elle fût la comtesse de Soissons, et ne l'a point -vue depuis, ni oui parler, » (Note de l'édition de 1818.)

20. « Et on assure qu'elle dit. » (Édition de 1754.)

21. Le manuscrit donne porté, au lieu de parlé; deux lignes plus bas : « tout ceci, s pour : 1 ce sont ici. » Le texte de Perrin porte : « de cadets. de souliers. »

22. Après avoir imprimé en toutes lettres plus haut (p. 229) le nom de Tingry, Perrin n'en donne plus ici, et jusqu'à la fin de la lettre, que l'initiale.

23. « On croit que j'ai eu des enfants de M. de L. » (Édition de 1754.)

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cence des nommées, et l'horreur du scandale24 ; peut-être que demain ce sera le contraire. Vous connoissez ces sortes de voix générales ; je TOUS en instruirai fidèlement; on ne parle d'autre chose dans toutes les compagnies26 ; en effet il n'y a guère d'exemples d'un pareil scandale dans une cour chrétienne. On dit que cette Voisin mettoit dans un four tous les petits enfants dont elle faisoit avorter, et M. de Coulanges26, comme vous pouvez penser, ne manque pas de dire, en parlant de la Tingry27, que c'étoit pour elle que le four chauffoit.

Je causai fort hier avec M. de la Rochefoucauld, sur un chapitre que nous avions déjà traité". Rien ne vous presse pour écrire; mais il vous conjure de croire que la chose du monde où il a le plus d'attention 29, seroit de pouvoir contribuer à vous faire changer de place, s'il arrivoit le moindre mouvement dans celles qui vous conviennent80. Je n'ai jamais vu un homme si obligeant ni plus aimable, dans l'envie qu'il a de dire des choses agréables".

Voici ce que j'apprends de bon lieu : Mme de Bouillon

24. cr De la diffamation. s (Édition de 1754.)

a5. « On ne parle ici d'autre chose. » (Ihidem.)

26. « Mme de Coulanges. » (Ibidem.)

27. L'historien du maréchal de Luxembourg dit positivement que l'on accusait ce duc d'avoir employé les maléfices pour obtenir les bonnes grâces de sa belle-sœur. (Histoire de Montmorency, tome V, p. 66.) On voit aussi dans la Correspondance de Bussy, tome V, p. 45, que l'on accusait Mme de Tingry du crime d'infanticide.

(Note de l'édition de 1818.)

28. Voyez la lettre du 26 janvier précédent, p. 219.

29. et Qui le toucheroit le plus. » (Éclition de 1754.) .1

3o. Dans le manuscrit : oc de pouvoir vous taire contriDuer a changer de place. » Après changer de place, l'impression de 1754 donne simplement : « si l'occasion s'en présentoit. » -

3i. Cette phrase est ainsi abrégée dans l'édition de 1754 : 4 Je n'ai jamais vu un homme si obligeant ni si aimable. )

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entra comme une petite reine dans cette Chambre ; elle s'assit dans une chaise qu'on lui avoit préparée; et au lieu de répondre à la première question, elle demanda qu'on écrivît ce qu'elle vouloit dire ; c'étoit : Qu'elle ne venoit là que par le respect qu'elle avoit pour l'ordre du Roi, et nullement pour la Chambre, qu'elle ne reconnoissoit point, et qu'elle ne prétendoit point déroger" au privilége des ducs. Elle ne dit pas un mot que cela ne fût écrit; et puis elle ôta son gant, et fit voir une trèsbelle main; elle répondit sincèrement jusqu'à son âge.

« Connoissez-vous la Vigoureux33 ? — Non. — Connoissez-vous la Voisin? — Oui. - Pourquoi voulez-vous vous défaire de votre mari? - Moi, m'en défaire S 4 !

32. a Qu'elle ne reconnoissoit point, ne voulant point déroger. »

(Édition de 1754.)

33. Marie Vandon, femme de Mathmjn Vigoureux, tailleur pour les habits de femme, convaincue de poison, fut condamnée à être brûlée, par arrêt de la chambre de l'Arsenal; elle fut exécutée. (Note de l'édition de 1818.)

34. Dans l'édition de 1754 : « Pourquoi vouliez-vous vous défaire de votre mari? — Moi, me défaire! s — Le Sage accusait la duchesse de Bouillon d'avoir demandé la mort de son mari, afin d'épouser le duc de Vendôme. La Voisin ne la chargea pas; elle dit, dans son interrogatoire sur la sellette, que la duchesse n'avoit été amenée chez elle que par la curiosité. Au reste Mme de Bouillon ne fut pas aussi triomphante devant ses juges qu'elle se plut ensuite à le répandre ; on ne lira pas sans intérêt un extrait textuel de l'interrogatoire qu'elle subit à la chambre de l'Arsenal, le lundi 29 janvier 1680. (Voyez les Mémoires historiques sur la Bastille. Londres (Paris), Buisson, 1789, tome I, p. 127 et suivantes.) Elle déclare « qu'il est bien vrai que ladite Voisin vint un jour chez elle répondante, et qu'elle lui dit que, sur la connoissance qu'elle avoit qu'elle étoit curieuse, elle dite Voisin venoit lui dire qu'elle avoit un très-habile homme chez elle, qui savoit faire des merveilles ; ce qu'elle répondante ayant dit, à quelques jours de là, à M. le duc de Vendôme, au marquis de Ruvigny, à l'abbé de Chaulieu et à la dame de Chaulieu, ils dirent qu'il falloit aller voir cet homme; et un jour qu'elle répondante avoit dessein de s'aller promener, elle fit mettre

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Vous n'avez qu'à lui demander s'il en est persuadé : il m'a donné la main jusqu'à cette porte. — Mais pourquoi

six chevaux à son carrosse, et, y étant, il fut proposé par quelqu'un d'aller voir cet homme qui étoit chez la Voisin, et, y étant allés de compagnie, elle répondante demanda à ladite Voisin si l'homme dont elle lui avoit parlé étoit chez elle, et ladite Voisin lui ayant dit qu'il y étoit, elle fit venir un homme, qu'elle répondante a su depuis s'appeler le Sage, dans un cabinet où M. de Vendôme fut lui parler; et, ledit le Sage lui ayant dit qu'il ne pouvoit faire ce qu'il savoit qu'en la présence d'une seule personne, ledit sieur duc de Vendôme le vint dire à elle répondante, qui lui dit qu'étant venue audit lieu, elle vouloit. avoir part et être présente à ce que ledit le Sage proposoit de faire. Et en effet, étant passée au lieu où étoit ledit le Sage, elle lui demanda ce qu'il savoit faire d'extraordinaire, et ledit le Sage lui ayant dit qu'il feroit brûler en sa présence un billet, et qu'après cela il le feroit retrouver où elle voudroit, et elle répondante lui ayant dit sur cela qu'il n'en falloit pas davantage, ledit le Sage lui dit qu'il falloit écrire quelques demandes ; sur quoi M. le duc de Vendôme en écrivit deux, dont l'une étoit pour savoir où étoit alors M. le duc de Nevers, et l'autre si M. le duc de Beaufort étoit mort : lequel billet ayant été cacheté, ledit le Sage le lia avec du fil ou de la soie, et y mit du soufre avec quelques enveloppes de papier; après quoi M. de Vendôme prit ledit billet, qu'il fit brûler lui-même en la présence d'elle répondante, sur un réchaud, dans la chambre de la Voisin, et après cela ledit le Sage dit à elle répondante qu'elle retrouveroit ledit billet brûlé dans une porcelaine chez elle, ce qui n'arriva pas néanmoins. Mais deux ou trois jours après ledit le Sage vint chez elle répondante, et lui rapporta ledit billet, ce qui la surprit extrêmement, et de le voir cacheté comme il étoit, et au même état que lorsqu'il fut remis audit le Sage. Se souvient elle répondante, qu'en sortant de chez ladite Voisin, elle donna une pistole à ladite Voisin, et M. de Vendôme une pistole audit le Sage; et elle répondante ayant fait le récit à M. de Vendôme et auxdits sieurs de Ruvigny et de Chaulieu dudit billet que le Sage lui avoit rapporté, ils eurent peine à le croire, et dirent que cela ne pouvoit être, et qu'il falloit obliger ledit le Sage d'en brûler un autre, et de le retrouver; ce qui obligea elle répondante d'envoyer chercher ledit le Sage, qui vint chez elle, et où il fut écrit un autre billet par quelqu'un de ceux qui y étoient la première fois, dans lequel billet ledit le Sage dit qu'il falloit mettre deux pistoles pour les sibylles, lesquelles lui furent données, et le billet fut ensuite brûlé comme la

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alliez-vous si souvent chez cette Voisin? — C'est que je voulois voir les sibylles qu'elle m'avoit promises; cette compagnie méritoit bien qu'on fit tous les pas. « Si elle n'avoit pas montré36 à cette femme un sac d'argent?

Elle dit que non, par plus d'une raison, et tout cela d'un air fort riant et fort dédaigneux. « Eh bien ! Messieurs, est-ce là tout ce que vous avez à me dire ? — Oui, Madame. » Elle se lève, et en sortant, elle dit tout haut : « Vraiment, je n'eusse jamais cru que,des hommes sages pussent demander tant de sottises. » Elle fut reçue de tous ses amis, parents et amies36 avec adoration, tant elle étoit jolie, naïve, naturelle, hardie, et d'un bon air, et d'un esprit tranquille.

Pour la Tingry, elle n'étoit pas si gaillarde. M. de Luxembourg est entièrement déconfit : ce n'est pas un homme, ni un petit homme, ce n'est pas même une femme, c'est une petite femmelette". Il Fermez cette fenêtre; allumez du feu; donnez-moi du chocolat; donnez-

première fois, et ledit le Sage ayant dit qu'il le feroit retrouver aussi bien que l'autre, il se retira, et elle répondante envoya depuis plusieurs fois chez ledit le Sage, et y passa elle-même. Mais ledit le Sage, après plusieurs excuses, vint trois ou quatre jours après chez elle répondante, où il lui dit que les sibylles étoient empêchées, et qu'il n'avoit pas pu lui rendre réponse; depuis ce temps-là, elle répondante n'a pas vu ledit le Sage, et elle trouva la chose si ridicule qu'elle la récita à plusieurs personnes, et l'écrivit même à M. le duc de Bouillon, son mari, qui étoit à l'armée. — Interrogée s'il n'est pas vrai qu'elle écrivit un billet qu'elle mit entre les mains dudit le Sage, et qui fut cacheté pour être brûlé, dans lequel elle demandoit la mort de M. de Bouillon, son mari ? a dit que non, et que la chose est si étrange, qu'elle se détruit d'elle-même. » (Copié sur la minute signée : Marianne de Mancini, duchesse de Bouillon, Bazin, et de la Rernie.) (Note de l'édition de 1818.)

35. « N'avez-vous pas montré. » (Édition de 1754.)

36. « De tous ses parents, amis et amies. » (¡bide";'.)

37. « Une vraie femmelette. » (Ihidem.)

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moi ce livre; j'ai quitté Dieu, il m'a abandonné. » Voilà ce qu'il a montré à Bezemaux et à ses commissaires, avec une pâleur mortelle. Quand on n'a que cela à porter à la Bastille, il vaut bien mieux gagner pays, comme le Roi, avec beaucoup de bonté, lui en avoit donné les moyens jusqu'au moment qu'il s'est enfermé; car il y a quinze jours qu'il savoit le décret qui étoit contre lui38 ; mais il en faut revenir malgré soi à la Providence : il n'étoit pas naturel de se conduire comme il a fait, étant aussi foible qu'il le paroît89. Je me trompois, Mme de Meckelbourg ne l'a point vu ; et la Tingry, qui revint avec lui de Saint-Germain, n'eut pas la pensée, ni lui aussi", de donner le moindre avis à Mme de Meckelbourg : il y avoit du temps de reste ; mais elle l'obsédoit si entièrement qu'il ne connoissoit qu'elle, et elle éloignoit tout le monde de lui 41. J'ai vu cette Meckelbourg aux filles du Saint-Sacrement42, où elle s'est retirée. Elle est trèsaffligée, et se plaint fort de la Tingry, qu'elle accuse de

38. Ce membre de phrase manque dans le texte de 1754.

3g. Perrin metici en note la réflexion suivante : « Mme de Sévigné semble avoir, dans ce moment, adopté les bruits ridicules qui couroient sur le sujet de M. de L. Cependant étoit-il croyable qu'une âme comme la sienne fût susceptible des petites misères qui lui étoient attribuées? et ne falloit-il pas y apercevoir la conduite ordinaire de l'envie et de la malignité, qui, du vivant des hommes du premier ordre, s'appliquent sans cesse à donner quelque atteinte à leur réputation ? D

40-, « Non plus que lui. » (Édition de 1754.)

41. « Mais la T. éloignoit tout le monde de lui, et l'obsédoit au point qu'il ne connoissoit plus qu'elle. » (Ibidem.)

- 42. Il y avait deux couvents de filles du Saint-Sacrement : l'un, depuis 1669, dans la rue Cassette (c'est probablement celui dont il est question ici), et l'autre près de la porte Montmartre, dans une maison de la rue des Jeux-Neufs (des Jeûneurs), qu'elles quittèrent cette année-là même. Ces dernières occupèrent plus tard l'hôtel de Turenne.

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tous les malheurs de son frère. Je lui dis - que je lui faisois par avance tous vos compliments, que vous seriez fort touchée48 de son malheur; elle me dit mille douceurs pour vous. On pourroit faire présentement tout ce qu'on voudroit dans Paris, qu'on n'y penseroit pas : on a oublié Mme de Soubise, et l'agonie de cette pauvre Bertillac; en vérité je ne sais comme cela va. Je veux pourtant penser à ma pauvre petite d'Adhémar ; la pauvre enfant, que je la plains d'être jalouse ! Ayez-en pitié, ma fille, j'en suis touchée.

778. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ ET DE CHARLES DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, vendredi ae février.

DE MADAME DE SÉVIGNÉ.

Vous1 m'avez trop écrit, ma très-chère ; vous vous laissez tenter à l'envie de causer, et vous abusez ainsi de votre délicate santé; si j'étois aussi aisée à succomber à l'envie de vous entendre discourir dans vos lettres, ce seroit une belle chose : je m'amuserois au plaisir de vous entendre conter le combat du petit garçon, que vous réduisez en

43. c Je lui fis par avance tous vos compliments, l'assurant que vous seriez fort touchée, etc. » (Édition de 1754.) LETTRE 778 (revue en grande partie sur une ancienne copie). —

1. Les deux premiers membres de phrase de cette lettre manquent dans l'édition de 1754, et ce qui suit y est tout différent du texte de 1734 : « Si je succombois aussi aisément à la tentation de vous entendre discourir dans vos lettres, que vous succombez à l'envie de causer, ce seroit une belle chose : je m'amuserois du combat du petit garçon, que vous réduisez en quatre.lignes le plus plaisamment du monde ; vous dites que vous n'êtes pas forte sur la narration, et je vous dis, moi, qu'on ne peut mieux abréger un récit. »

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quatre lignes le plus plaisamment du monde. Vous dites que vous n'êtes pas forte sur la narration : vous avez grand tort, ma fille, on ne peut mieux abréger un récit. Je comprends que vous vous soyez divertie de ce petit garçon, qui croit s'être battu à la rigueur. La sagesse du petit marquis me plaît. Vous me représentez fort bien les divers sentiments de Mlles de Grignan; j'avois envie de les savoir2 ; vos prophéties sont bonnes, il faut souhaiter qu'elles ne soient point fausses. Je suis fort aise d'être encore dans le souvenir de Mlles de Grignan. Ce que vous dites de Pauline est incomparable, aussi bien que l'usage que vous faites de votre délicatesse pour éviter les déplaisirs8 du carnaval. Je n'oublierai jamais la hâte que vous aviez de vous divertir vitement, avalant les jours gras comme une médecine, pour vous trouver promptement dans le repos du carême. Vos personnes qualifiées au pluriel et au singulier vous soulagent beaucoup, et font très-bien leur personnage. Il ne faut pas douter que de vous entendre expliquer tout cela ne soit fort délicieux ; mais cependant, ma fille, je chasse cette tentation par la pensée que rien ne vous est plus mauvais que d'écrire 4, et que vous retomberez dans un moment à la douleur dont vous sortez, qui est tout ce que nous avons au monde à éviter. Je vous conjure donc, ma fille, de ne vous plus jouer à m'écrire autant que la dernière fois, si vous ne voulez que je réduise mes lettres à une demi-page; car je vous jure, ma chère enfant, que ce soit une vengeance ou non, j'en userai ainsi pour vous faire voir que vous me forcez à rompre tout commerce : voyez si vous

2. Ce membre de phrase, et tout ce qui suit jusqu'à : « Ce que vous dites de Pauline, » n'est que dans la première édition de Perrin (1734).

3. « Les plaisirs. » (Édition de 1754.)

4. La phrase s'arrête ici dans le texte de 1754.

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voulez me faire taire dans un temps où il y a tant à par-

ler. J'embrasse 6 M. de Grignan, puisqu'enfin, avec tant de peine et tant d'adresse, vous l'avez obligé à me pardonner ; il ne falloit pas moins d'habileté que vous en avez pour les négociations pour faire cette paix', et je le prie, en faveur de cette réconciliation, de prendre soin d'accourcir les lignes que je veux de vous. Il me paroît que vous l'avez trompé, et Montgobert aussi, dans la quantité de celles que vous m'avez écrites ; je vous demande tendrement de n'y plus retourner.

Vos raisonnements sur Mme de Saint-Géran sont bien à propos : il y a trois semaines que Mme de Bury est établie dans la place où vous la croyiez 7. Madame la Dauphine n'aura point de dames : vous connoissez sa dame d'honneur et ses dames d'atour; voilà tout. Il y a huit jours qu'elles sont parties avec toute la maison pour Sélestat; les filles le sont aussi8; elles sont de grandes maisons et naissance9, sans nulle beauté extraordinaire : Laval10,

5. « que je réduise mes lettres à une demi-page, et que j'en use ainsi pour vous faire voir que vous me forcez à rompre tout commerce. J'embrasse, etc. » (Édition de 1754.)

6. Ce membre de phrase manque dans l'édition de 1754; mais ce qui suit, jusqu'à la fin de l'alinéa, n'est pas dans le texte de 1734-

7. e: Où vous croyiez Mme de Saint-Géran. » (Édition de 1754.)

8. Le texte de la Haye (1726), qui commence à c Madame la Dauphine, » s'arrête ici pour reprendre à : « Le Roi caresse. »

9. «Elles sont de grande naissance. » (Éditions de 1734etde 1754.)

10. Marie-Louise de Laval, fille de Guy de Laval, marquis de la Plesse, mariée le 20 mai 1683 au duc de Roquelaure, morte à Paris le 12 mars 1735 : a Mlle de Laval, dit Mme de Caylus (tome LXVI, p. 422 et 423), avoit un grand air, une belle taille, un visage agréable, et dansoit parfaitement bien. » On lit dans Saint-Simon (tome V, p. 77 et 78) : « Le Roi, épris de Mlle de Laval, fille d'honneur de Madame la Dauphine, la maria à Biran, fils de Roquelaure, duc à brevet, moyennant un autre brevet de duc pour lui. Le Roi eut toujours de la considération pour Mme de Roquelaure, née aussi plus que personne que j'aie connu pour cheminer, dans une

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les Birons11, Tonnerre", Rambures18, et la bonne din-

cour. Elle n'apporta pas un écu en mariage, dans une maison fort obérée. Son art et son crédit la rendirent une des plus solidement riches ; mais la beauté heureuse étoit sous Louis XIV la dot des dots. »

II. Louise et Marie-Madeleine-Agnès, qu'on appelait Mlles de Biron. — Louise de Gontaut, fille du marquis de Biron et d'Élisabeth de Cossé-Brissac, épousa en juillet 1688 Louis de Louet, dit le marquis de Nogaret, qui était fils de Jean-Louis de Louet, marquis de Cauvisson. Son mari fut tué à la bataille de Fleurus, le Ier juillet 1690. En 1696, elle fut nommée dame du palais de la duchesse de Bourgogne. Elle mourut le 14 août 1724, chez les filles de Sainte-Marie du faubourg Saint-Jacques, dans sa soixante et onzième année. « Elle étoit sœur de Biron, dit Saint-Simon (tome I, p. 362), et la maréchale de Villeroi et elle étoient enfants du frère et de la sœur, et en grande liaison. C'étoit une femme de beaucoup d'esprit, de finesse et de délicatesse, sous un air simple et naturel, de la meilleure compagnie du monde, et qui, n'aimant rien, ne laissoit pas d'avoir des amis. Elle n'avoit ni feu ni lieu, ni autre être que la cour, et presque point de subsistance. Laide, grosse, avec une physionomie qui réparoit tout. Elle n'étoit point méchante, et avoit tout ce qu'il falloit pour l'être et pour se faire fort craindre ; mais, avec un très-bon esprit, elle aima mieux se faire aimer. » Voyez aussi Mme de Caylus, tome LXVI, p. 423. —Marie-MadeleineAgnès fut mariée par le Roi, en septembre 1684, à Joseph-Marie de Lascaris, marquis d'Urfé, enseigne dans les gardes du corps, et qui fut fait à cette occasion menin de Monseigneur. On l'appelait souvent Mlle de Gontaut, pour la distinguer de sa sœur. Elle fut dame d'honneur de la princesse de Conti, fille du Roi. « Mlle de Gontaut, dit Mme de Caylus (tome LXVI, p. 423 et 424), avoit de la beauté, peu d'esprit, mais une si grande douceur et tant d'égalité d'humeur, qu'elle s'est toujours fait aimer et honorer de tous ceux qui l'ont connue. » Son mari était petit-neveu du célèbre romancier Honoré d'Urfé.

12. Louise, fille de Jacques de Clermont, comte de Tonnerre.

« Mlle de Tonnerre n'étoit pas belle, mais bien faite, folle et malheureuse. M. de Rhodes, grand maître des cérémonies, encore plus fou qu'elle dans ce temps-là, en devint amoureux, et fit des extravagances si publiques pour elle, qu'il la fit chasser de la cour. »

[Madame de Caylus, tome LXVI, p. 4240 Elle se retira à PortRoyal; mais Dangeau annonce, à la date du 3i janvier 1686, son mariage avec un gentilhomme du Dauphiné, nommé de Musy, dont la mère était aussi de la maison de Clermont.

13. Marie-Armande, fille du marquis de Rambures et de Marie

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donnière Montchevreuil14 à leurs trousses. On laissa la

Bautru. Elle était sœur du marquis de Rambures, le dernier de sa maison, tué en juillet 1676 (voyez tome IV, p. 549, et note 21). Elle épousa, le 24 avril 1686, Sidoine-Apollinaire-Gaspard-Scipion, marquis de Polignac, celui qui voulut épouser Mlle d'Alerac (voyez la lettre du Ier mars 1684), et elle mourut en 1706. Mme de Caylus (tomeLXYI, p. 424) dit de Mlle de Rambures qu'elle « avoit le style de la famille des Nogent, dont étoit Madame sa mère; vive, hardie, et avec l'esprit qu'il faut pour plaire aux hommes sans être belle.

Elle attaqua le Roi, et ne lui déplut pas, c'est-à-dire assez pour lui adresser la parole plutôt qu'à une autre. Elle en voulut ensuite à Monseigneur, et elle réussit dans ce dernier projet; Madame la Dauphine s'en désespéra, mais elle ne devoit s'en prendre qu'à ellemême et à ses façons d'agir. » Saint-Simon (tome V, p. 197) parle d'elle en ces termes : « Mme de Polignac, seul reste de la maison de Rambures avec Mme de Caderousse sa sœur. Elle avoit été fille d'honneur de Madame la Dauphine, et depuis son mariage, chassée de la cour pour avoir été très-bien avec Monseigneur. Elle s'en consola à Paris, où, avec un mari qui eut toujours pour elle des égards jusqu'au ridicule, et pour qui elle n'en eut jamais le plus léger, elle mena une vie fort libre, et joua tant qu'elle put le plus gros jeu du monde. Elle eut à la fin permission de se montrer à la cour, où elle ne parut que très-rarement et des instants. C'étoit une créature d'esprit et de boutades, qui ne se mettoit en peine de rien que de se divertir, de ne se contraindre sur quoi que ce fût, et de suivre toutes ses fantaisies. Elle joua tant et si bien, qu'elle se ruina sans ressource, et que, ne pouvant plus vivre ni peut-être se montrer à Paris, elle s'en alla au Puy, dans les terres de son mari. La tristesse et l'ennui (quelques-uns l'ont accusée d'un peu d'aide) l'y firent bientôt tomber fort malade. s Ce fut en effet au Puy qu'elle mourut.

Voyez encore une note de Saint-Simon au Journal de Dangeau, tome I, p. 428.

14. Œ Et la bonne Montchevreuil. » (Éditions de 1734 et de 1754.) - Nous avons parlé plus haut (p. 171, note i3) de la marquise de Montchevreuil, et cité ce que Mme de Caylus dit d'elle dans ses Souvenirs. Son père était Charles Boucher, seigneur d'Orçai, conseiller au parlement; sa mère s'appelait Marguerite de Bourlon; son mari, le marquis de Montchevreuil, mourut le 2 juin 1706, à l'âge de quatre-vingt-quatre ans. c Montchevreuil, dit Saint-Simon (tome I, p. 37), étoit un fort honnête homme, modeste, brave, mais des plus épais. Sa femme. étoit une grande créature, maigre, jaune, qui rioit niais, et montroit de longues et vilaines dents, dévote à

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sixième place à quelque Allemande16, si Madame la Dauphine en veut amener. Le Roi caresse et traite si tendrement Mme la princesse de Conti, que cela fait plaisir : quand elle entre 16, il la baise et l'embrasse, et cause avec elle ; il ne contraint plus l'inclination qu'il a pour elle ; c'est sa vraie fille, il ne l'appelle 17 plus autrement: tirez toutes vos conséquences.

Elle est toujours des grâces le modèle18, et croît beaucoup : elle n'est point surintendante19, et n'a

outrance, d'un maintien composé, et à qui il ne manquoit que la baguette pour être une parfaite fée. Sans aucun esprit, elle avoit tellement captivé Mme de Maintenon qu'elle ne voyoit que par ses yeux, et ses yeux ne voyoient jamais que des apparences et la laissoient la dupe de tout. Elle étoit pourtant la surveillante de toutes les femmes de la cour, et de son témoignage dépendoient les distinctions ou les dégoûts, et souvent par enchaînement les fortunes. Tout, jusqu'aux ministres, jusqu'aux filles du Roi, trembloit devant elle; on ne l'approchoit que difficilement; un sourire d'elle étoit une faveur qui se comptoit pour beaucoup. Le Roi avoit pour elle une considération la plus marquée. Elle étoit de tous les voyages et toujours avec Mme de Maintenon. » Voyez aussi la lettre de Bussy du 19 novembre 1687.

15. Mlle de Lôwenstein, qui prit possession de sa charge le 10 juin 1684. Voyez Mme de Caylus, tome LXVI, p. 425.

16. « Quand elle arrive. » (Édition de 1754.) — Deux lignes plus haut, et traite manque dans l'édition de la Haye (1726).

17. « On ne l'appelle. » (Édition de la Haye, 1726.)

18. Mme de Sévigné ne pouvait mieux louer les grâces et l'amabilité de la jolie princesse de Conti qu'en lui faisant l'application des vers que la Fontaine avait adressés à Mlle de Sévigné, en lui dédiant

la fable du Lion amoureux (livre IV, fable 1) : Sévigné, de qui les attraits j Servent aux Grâces de modèle, Et qui naquîtes toute belle, J A Totre indifférence près, etc. J (Note de Pédition de 1818.) -Voyez la Notice, p. 100. 1

19. Tel est le texte des deux éditions de Perrin, qui dans sa se- j

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point eu cent mille écus de pension20 ; j'ai sur le cœur ces deux faussetés. Vous devriez lire les gazettes; elles sont bonnes, et point exagérées, ni flatteuses comme autrefois21.

Elles vous auront appris un million, cent mille francs de pension, et vingt-cinq mille écus à M. le prince de Conti, cinquante mille écus pour les noces, cent mille francs pour les habits de la princesse. Mais quelle folie de parler 22 d'autre chose que de Mme Voisin et de M. le Sage 2S !

conde (1754) met en note : « (Surintendante) de la maison de la Reine. » Il est difficile d'admettre que le bruit ait couru que la princesse de Conti dût avoir ce titre. La leçon de l'impression de la Haye (1726), qui donne son intendante, au lieu de surintendante, permet de supposer qu'il y a ici quelque altération.

20. Mme de Sévigné avait parlé plus haut, dans la lettre du 29 décembre precédent (p. 163 et 164), d'un don de cinq centmille écus d'or. Les renseignements plus exacts qu'elle va donner quelques lignes plus bas sont tirés de la Gazette et du Mercure, qui consacrent au mariage de la princesse de Conti, celle-là les pages 33-35 de l'année 1680, celui-ci les pages 1-88 du numéro de janvier de la même année : « Le Roi, dit la Gazette, a donné à la princesse de Conti le duché de Vauj ours, un million d'argent comptant, cent mille francs de pension, et beaucoup de pierreries; au prince de Conti, cinquante mille écus d'argent comptant, et une pension de vingt-cinq mille écus. »

2i. a Vous devinez les gazettes, et point exagérantes ni flatteuses comme autrefois. 1 (Édition de la Haye, 1726.) — La phrase suivante ne se trouve que dans l'édition de la Haye et dans notre manuscrit, qui donne : « Elle vous aura appris, etc. »

22. a Que de parler. » (Édition de la Haye, 1726.)

23. Adam Cœuvret, dit le Sage, complice de la Voisin, n'était pas prêtre, comme Voltaire le suppose dans le Siècle de Louis XIV.

Le Sage ne prend cette qualité dans aucune des pièces du procès. Ces misérables ajoutaient à tous leurs crimes d'horribles profanations, pour lesquelles ils avaient recours à deux prêtres nommés Davot et Guibourg, qui étaient leurs complices. (Note de l'édition de 1818.)Voyez cependant le tome XIII de l'Histoire de France de M. Michfilet, p. 249 et suivantes. —La reprise de Charles de Sévigné manque dans notre manuscrit et dans l'édition de la Haye (1726); mais cette édition place ici son nom d'une façon singulière : « que

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DE CHARLES DE SÉVIGNÉ.

CE n'est pas M. le Sage qui prend la plume, comme vous voyez. Me revoilà enfin, ma belle petite sœur, tout planté à Paris, à côté de maman mignonne, que l'on ne m'accuse point encore d'avoir voulu empoisonner ; et je vous assure que dans le temps qui court, ce n'est pas un petit mérite. Je suis dans les mêmes sentiments pour ma petite sœur ; c'est pourquoi je souhaite ardemment le retour de votre santé ; après celui-là, nous en souhaiterons un autre.

DE MADAME DE SÉVIGNÉ.

Vous voyez, si les montagnes ne se rencontrent point, les personnes se rencontrent24. Le voilà arrivé, ce fripon de Sévigné. J'avois dessein de le gronder, et j'en aurois26 tous les sujets du monde; j'avois préparé même un petit discours raisonné, et que j'avois divisé en dix-sept points, comme la harangue de Yassé ; mais je ne sais comme tout cela s'est brouillé et si bien mêlé, que nous avons tout confondu, sans dire : « Frappe à côté, » comme dit la chanson26.

On continue toujours à blâmer un peu la sagesse des juges qui a fait tant de bruit, et Eommé scandaleuse-

de parler d'autre chose que de Mme Voisin, de M. le Sage et de M. de Sévis né 1 m

24. Cette phrase ne se lit qu'au texte de la Haye (1726). L'alinéa tout entier manque dans le manuscrit.

25. a J'en avois. » (Éditions de 1734 et de 1754.)

26. « J'avois même (1754 : J'avois même préparé) un petit discours raisonné, et je l'avois divisé en dix-sept points comme la harangue de Vassé; mais je ne sais comme (1754 : de quelle façon) tout cela s'est brouillé et si bien mêlé de sérieux et de gaieté, que nous avons tout confondu. Tout père frappe à côté, comme dit la chanson. m (Éditions de 1734 et de 1754.) — L'édition de la Haye (1726), au lieu des mots de rassé; mais, donne de votre maire.

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ment de si grands noms pour si peu de chose27. M. de Bouillon a demandé permission au Roi de faire imprimer l'interrogatoire de sa femme, pour l'envoyer en Italie et par toute l'Europe, où l'on croiroit que sa femme28 est une empoisonneuse. La maréchale de la Ferté29, ravie d'être innocente une fois en sa vie, a voulu à toute force jouir de cette qualité; et quoiqu'on lui eût mandé30 de ne point venir si elle ne vouloit, elle le voulut, et cela fut encore plus léger que Mme de Bouillon31. Feuquières32 et

27. a Et même scandale pour si peu de chose. » (La Haye, 1726.)

28. « Où l'on pourroit croire que Mme de Bouillon est une empoisonneuse. » (Édition de 1754.) — Le texte de la Haye porte : s. en Italie, partie de l'Europe où l'on écrit que sa femme. s

- 29. c Mme de L. F. D (Éditions de 1734 et de 1754.)

3o. c Et quoiqu'on lui manda. » (Édition de la Haye, 1726.)

3i. Ce membre de phrase et le suivant manquent dans Je texte de la Haye (1726), qui reprend ainsi : « Ce qui est agréable pour les prisonniers, c'est que la chambre ne travaille de vingt jours, pour tâcher de trouver des informations nouvelles. On fera venir, etc.

32. Antoine de Pas, marquis de Feuquières, fut interrogé le Ier février 1680. Il avait été une fois chez Marie Vandon, femme de Mathurin Vigoureux, tailleur de Mme de Feuquières,. sa mère, et il s'était trouvé chez la marquise du Fontet avec M. de Luxembourg, le jour que le Sage y était venu. On lit dans YHistoire de Montmorency (tome V, p. 56) la manière dont le maréchal présenta cette scène dans ses interrogatoires. Son récit est un peu différent de celui de Mme du Fontet. Interrogée le 28 janvier 1680, elle se renferma dans une dénégation presque absolue, et, le 6 mars suivant, elle déclara 1 qu'ayant appris que l'instruction que l'on faisoit regard oit le service du Roi. la considération du bien public l'obligeoit de déclarer que M. le duc de Luxembourg et le marquis de Feuquières étant venus chez elle. M. de Feuquières, un moment après, vint lui demander du papier et de l'encre pour écrire un mot. et ledit sieur de Feuquières retourna dans sa grande chambre, où ils écrivirent. Peu de temps après, M. de Luxembourg, M. de Feuquières, et un autre homme nommé du Buisson (nom que prenoit le Sage), montèrent tous trois, avec un laquais qui portoit un réchaud de feu, dans une chambre haute. Ils firent sortir le laquais, ne demeurèrent pas longtemps dans cette chambre, et sortirent ensuite sans par-

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Mme du Roure 33, toujours des peccadilles; mais voici ce qui est désagréable pour les prisonniers, c'est que la

1er à Mme du Fontet, et saus qu'elle ait su ce qui s'étoit passé chez elle. » Mme du Fontet ajouta que du Buisson revint chez elle au bout de quelques jours, et fut étonné de ce que ces Messieurs n'étaient pas revenus. Il était mécontent de n'avoir reçu que dix pistolès. Mme du Fontet ayant revu le maréchal peu de jours après, il lui dit que du Buisson était un fripon qui ne savait rien. La marquise du Fontet fit une nouvelle déclaration le 12 mars suivant, de laquelle il résulte que M. de Feuquières lui avait dit que du Buisson ou le Sage était un escroc, qu'il lui avait fait faire une fosse dans laquelle il lui avait fait enterrer de la cire et dix pistoles, lui promettant de lui faire retrouver une chose perdue ; mais qu'étant retourné depuis à cet endroit, il s'était aperçu que l'argent avait été enlevé.

M. de Feuquières lui raconta ensuite la mystification des billets brûlés, à peu près de la même manière qu'on la lit dans Desormeaux.

(Interrogatoire et déclarations de Marie de la Marck, femme du marquis du Fontet. Manuscrits de l'Arsenal.) (Note de l'édition de 1818.) — « Le marquis de Feuquières étoit un homme de qualité, dit SaintSimon (tome III, p. 381 et 382), d'infiniment d'esprit et fort orné, d'une grande valeur, et à qui personne ne disputoit les premiers talents pour la guerre, mais le plus méchant homme qui fût sous le ciel, qui se plaisoit au mal pour le mal, et à perdre d'honneur qui il pouvoit, même sans aucun profit. Les mémoires qu'il a laissés, et qui disent avec art tout le mal qu'il peut de tous ceux avec qui et surtout sous qui il a servi, sont peut-être le plus excellent ouvrage qui puisse former un grand capitaine, et d'autant plus d'usage qu'ils instruisent par les examens et les exemples, et font beaucoup regretter que tant de capacité, de talents, de réflexions, se soient trouvés unis à un cœur aussi corrompu et à une aussi méchante âme, qui les ont tous rendus inutiles par leur perversité. Il avoit épousé l'héritière d'Hocquincourt, qui la devint par l'événement. Il acheva sa vie abandonné, abhorré, obscur et pauvre. Son fils unique muurut sans enfants, sa fille fut misérablement mariée. D — Voyez tome IV, p. 44, note 1; voyez encore, sur lui et sur sa famille, Saint-Simon, tome IX, p. 43 et 44. Son frère puîné, François, dont il a été question p. 9 de ce volume, prit le nom de comte de Rebenac par son mariage avec l'héritière de cette maison en Béarn, et fut lieutenant général de Navarre et de Béarn, ambassadeur extraordinaire en Espagne à la place de son père (Isaac, mort le 6 mars 1688), puis en Savoie; il mourut dans sa quarante-cinquième année, le 22 juin 1694.

33. Claude-Marie du Gast d'Artigny, femme (en 1666) de Louis-

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chambre ne travaillera de vingt jours, soit pour tâcher de se racquitter en trouvant des informations nouvelles, ou en faisant venir14 de loin des gens accusés, comme par exemple cette Polignacîs, qui a un décret comme la com-

Pierre-Scipion de Grimoard de Beauvoir de Montlaur, comte du Roure, cousin du duc de Créquy, avait été accusée par la Voisin d'être venue chez elle lui demander les moyens de se faire aimer du Roi, et de faire mourir Mme de la Vallière. Elle fut confrontée avec la Voisin le 16 février 1680, à Vincennes, mais n'en fut pas reconnue. La Voisin déclara qu'il y avait quatorze ans environ que cela s'était passé. (Procès-verbal de confrontation.) (Note de l'édition de 1818.) — C'était, dit Saint- Simon, qui donne beaucoup de détails sur sa famille et sur son mariage (tome XVII, p. 470 et 471), « une intrigante de beaucoup d'esprit et que la faveur de Mlle de la Vallière avoit accoutumée à beaucoup de hauteur. Elle se trouva mêlée dans beaucoup de choses avec la comtesse de Soissons, qui lts firent chasser de la cour, puis avec la même dans les dépositions de la Voisin. Elle en fut quitte pour l'exil en Languedoc, où elle a passé le reste de sa vie, excepté un voyage de peu de mois qu'elle obtint de faire à Paris quelques années avant sa mort. On la craignoit partout. Elle vivoit d'ordinaire dans un château, et son mari dans un autre. » — Mme du Roure et son mari, lieutenant général pour le Roi en Languedoc, gouverneur du Pont-Saint-Esprit, avaient signé au contrat du comte de Grignan. Voyez la Notice, p. 329.

34. Œ en faisant des informations nouvelles, soit en faisant venir, etc. » (Édition de 1754.)

35. Jacqueline, fille de Scipion de Grimoard de Beauvoir de Montlaur, comte du Roure, morte le 7 novembre 1721, à l'âge de quatrevingts ans, troisième femme de Louis-Armand, vicomte de Polignac, gouverneur de la ville du Puy en Velay, chevalier des ordres en 1661, qui mourut le 3 septembre 1(192. Ils avaient l'un et l'autre signé au contrat du comte de Grignan. Voyez la Notice, p. 329. Elle était soeur du comte du Roure dont il est question plus haut (note 33), et fut la mère du mari de Mlle de Rambures et du cardinal de Polignac. « C'étoit, dit Saint-Simon (tome XVIII, p. 209), une grande femme, qui avoit été belle et bien faite, sentant fort sa grande dame, qu'elle étoit fort dans le grand monde dans son temps. Beaucoup d'esprit, encore p'us d'intrigue, fort mêlée avec la comtesse de Soissons et Mme de Bouillon dans l'affaire de la Voisin, dont elle eut grand 'peine à se tirer, et en fut exilée au Puy et en Languedoc,

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tesse de Soissons 36. Enfin voilà vingt jours de repos, ou de désespoir; cependant la comtesse de Soissons gagne pays, et fait fort bien : il n'est rien tel que de mettre son crime ou son innocence au grand air.

J'ai 37 eu toutes les peines du monde à découvrir que cette pauvre Bertillac est morte38, et l'abbé Foucquet39, et M. Mandat" , conseiller de la grand'chambre, en un

d'où elle ne revint qu'après la mort du Roi.» — « Cette Mme de Polignac, dit ailleurs Saint-Simon (addition au Journal de Dangeau, tome I, p. 3o5), étoit une maîtresse femme de grande intrigue et de fâcheuses affaires ; son mari, un honnête homme, chevalier de l'ordre.

Elle étoit aussi très-galante. »

36. « Contre la comtesse de Soissons. » (Édition de la Haye, 1726.) — « Ainsi que la comtesse de S. » (Édition de 1754.) Il paraît qu'on accusait aussi la comtesse de Soissons d'avoir empoisonné son mari (mort le 7 juin 1673). Rivière écrivait à Bussy, le 5 février 1680, que Mme de Soissons n'avait pas pris le parti d'une innocente; mais il s'étonne qu'elle ait pu faire mourir un homme qui lui laissait tant de liberté. — De tout ce qui suit, le texte de la Haye ne donne plus que la phrase qui termine la lettre.

37. Cet alinéa n'est en entier que dans notre manuscrit. L'édition de 1734 ne le donne pas; celle de 1754 finit aux mots : (J est morte. »

38. Voyez ci-dessus, p. 211 et 212.

3g. Frère du surintendant et de l'évéque d'Agde. Voyez tome I, p. 4°6, notes 3 et 4. — L'abbé Foucquet, comme 011 le voit par la Correspondance de Bussy (tome V, p. 41 et 5o), a dû mourir dans les derniers jours de janvier. Bussy écrit le 23 janvier à la Rivière : c L'abbé Foucquet est à l'extrémité. Je dînai hier avec Villiers chez le premier président, qui me dit qu'il l'avoit vu la veille, et qu'il ressembloit à un squelette. Il ne laissera de vacant que l'abbaye de Barbeaux; il a remis à ses neveux les autres petits bénéfices qu'il avoit. » - « Il étoit, dit le Mercure de février, en annonçant sa mort (p. 272 et 273), abbé de Barbeaux en Bourgogne et de Rigny dans le diocèse de Tours. Il avoit outre cela un prieuré dans l'île de France et vingt-cinq mille livres de pension sur l'archevêché de Narbonne.

Il portoit le cordon bleu, parce qu'il avoit été chancelier des ordres du Roi, et qu'en ce temps-là le cordon demeuroit à ceux qui avoient possédé des charges dans l'ordre, quoiqu'ils s'en. fussent défaits. »

4o. Mandat, conseiller d'État, l'un des ancêtres de celui qui

1680

instant, comme d'un coup de canon, en quittant Corbi- nelli, qui venoit de le divertir par toutes les nouvelles : c'est la plus subite mort de toutes les morts subites.

Adieu, ma très-bonne et très-chère" : je suis toute à vous, avec une tendresse et une sensibilité très-digne de vous.

779. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, ce mercredi 7e février.

JE reçus hier une lettre de recommandation que vous m'écrivîtes le jour de la Toussaint. Ce Monsieur m 'a dit que vous jouiez quelquefois aux échecs : je suis folle de ce jeu1, et je donnerois bien de l'argent pour le savoir seulement comme mon fils et comme vous ; c'est le plus beau jeu et le plus raisonnable de tous les jeux; le hasard n'y a point de part; on se blâme et l'on se remercie, on a son bonheur dans sa tête. Corbinelli me veut persuader que j'y jouerai; il trouve que j'ai de petites pensées; mais je

périt au 10 août 1792, avait épousé Catherine Lioni, d'une famille noble de Florence, alliée à celle de Corbinelli. (Note de l'édition de 1818, à la lettre du 6 mars 1680.)

41. « Adieu, ma très-chère. » (Edition de 1734.) LETTBB 779 (revue en très-grande partie sur une ancienne copie).

— 1. Voyez la lettre du 3 janvier précédent (p. 172), où Mme de Sévigné parle déjà du jeu d'échecs, et dit qu'elle l'a toujours dans la tête, mais croit qu'elle n'y jouera jamais bien. — Dans les deux éditions de Perrin (1737 et 1754 ; l'impression de 1734 se termine par la lettre précédente), cette lettre-ci commence ainsi : « Est-il vrai (1754 : Il est donc vrai), ma fille, que vous jouez quelquefois aux échecs? Pour moi, je suis folle de ce jeu, et je voudrois le savoir seulement comme mon fils ou comme vous ; c'est le plus beau et le plus raisonnable de tous les jeux, etc. à

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ne vois point de trois ou quatre coups ce qui arrivera. Je lui disois tantôt :

Seigneur, tant de prudence attire trop de soin ; Je ne saurois prévoir un échec de si loin 2.

Je vous assure que je serai bien honteuse et bien humi- liée, si je n'arrive au moins à un certain point de médiocrité. Tout le monde y jouoit à Pompone, le dernier malheureux voyage que j'y fus3, les hommes, les femmes, les petits garçons ; et cependant4 que le maître du logis gagnoit M. de Chaulnes, on lui donnoit un étrange mat à Saint-Germain. Mme de Vins a été ici une partie de l'après-dînée; elle y a reçu sa lettre, qui étoit dans mon paquet 5; nous avons bien causé de tous ces malheurs"

La dernière affaire du courrier n'est pas excusable', et ce fut un assoupissement qui n'étoit pas naturel. Je vous assure que ces sortes de douleurs se retracent8 bien aisément, quand on se laisse la liberté d'y penser et d'en parler sans contrainte' Elle a été à Saint-Ger-

2. Parodie de ces deux vers de Racine : Seigneur, tant de prudence entraîne trop de soin; Je ne sais point prévoir les malheurs de si loin.

(Andromaque, acte I, scène n.) Dans les deux éditions de Perrin, le premier vers est conforme à celui de Racine, de même que le commencement du second : g Je ne sais point prévoir. »

3. « Au dernier malheureux voyage que j'y ai fait. » (Édition de 1737.) — « Lorsque j'y fus en dernier lieu. » (Édition de 1754.)

4. a Et pendant. D (Éditions de 1737 et de 1754.)

5. Ce membre de phrase manque dans les deux éditions de Perrin; il ne se trouve que dans notre manuscrit.

6. « De cette triste aventure. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

7. Voyez la lettre du 6 décembre 1679, p. 119.

8. Le mot est douteux dans notre ancienne copie; on peut hésiter entre retracent et retrouve au singulier.

g. Tout ce qui suit, jusqu'à : a Nous fûmes tout ce que vous con-

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main : bon Dieu, quelle différence! on lui a fait assez de compliments; mais c'étoit son pays, et elle n'y a plus ni feu, ni lieu; j'ai senti ce qu'elle a souffert dans ce voyage.

M. de Pompone aura bientôt l'honneur de voir Sa Majesté. Quel embarras pour tous les deux! Que dire dans une telle occasion? Le malheur de cette maison m'y attache. Il me paroît aussi que vous les aimez mieux. Votre politique est toute employée à votre beau procédé contre nos pauvres frères iO. Ah ! si vous saviez quelle visite j'ai faite depuis peu, vous vous trouveriez obligée pour la réparer, non-seulement de faire étudier votre fils aux Jésuites, mais de le faire jésuite.

Notre marquise d'Huxelles est à Charenton , chez Mme du Plessis-Bellière11, en attendant qu'on lui ajuste sa nouvelle maison. La Garde y a passé deux jours avec elle à tourner toutes les affaires du monde. J'y allai dîner samedi, et les amenai ici ; elle me pria de vous faire mille et mille amitiés.

Nous fûmes tout ce que vous connoissez de femmes au service de cette pauvre Bertillac, lundi dernier12 Il est très-vrai que c'est Caderousse qui l'a tuée : elle étoit dans un certain temps, quand elle fut saisie de son infâme procédé, et en fut13 frappée à mort comme d'un coup de poignard. Il est à la campagne. Pour moi, je trouve

neissez, » ne se lit pas ailleurs que dans notre manuscrit. Le texte de 1754 a cependant la fin de cet alinéa; mais elle le place avant celui qui termine la lettre, et le commence ainsi : c Mme de Vins a été à Saint-Germain, etc. 11

10. Messieurs de Port-Royal.

11. Voyez tome ni, p. 44, note 7.

ia. Les mots lundi dernier manquent dans les deux éditions de Perrin (1737 et 1754.)

i3. <r du procédé que vous savez : elle en fut, etc. » (Editions de 1737 et de 1754.)

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que c'est comme Cessac, lui pour un meurtre", l'autre pour un sortilége : enfin c'est l'étoile des crimes qui règne ; les plus habiles sont ceux qui vont un peu à la campagne15.

On recommencera à travailler à cette chambre il plus tôt qu'on ne pensoit : on dit qu'on a" bien des confrontations à faire. Il nous faut quelque chose de nouveau pour nous réveiller; on s'endort; et le grand bruit est cessé jusqu'à la première occasion. On ne dit plus rien de M. de Luxembourg : vraiment j'admire" comme les choses passent; c'est bien un vrai fleuve qui emporte tout avec soi. On nous promet pourtant encore des scènes curieuses.

Il y en eut une lundi bien triste, et que vous comprendrez aisément : M. de Pompone alla enfin à Saint-Germain19. Il craignoit fort cette journée : vous pouvez penser tout ce qu'il pensa par le chemin, en revoyant les cours, son logis, en recevant20 les compliments de tous les courtisans, dont il fut accablé. Il étoit saisi. Il entra dans la chambre du Roi qui l'attendoit21. Que peut-on dire? par où commencer? Le Roi commença par le rele-

14. « L'un pour un meurtre. » (Édilwns de 1737 et de 1754.)

15. Ce membre de phrase n'est que dans notre manuscrit.

16. De l'Arsenal.

17. « On assure qu'il y a. » (Édition de 1754.)

18. « On ne parle plus de M. de L*** : vraiment j'admire. s (Édition de 1787.) — Ir On ne parle plus de M. de Luxembourg: j'admire vraiment. » (Édition de 1754.)

19. a Est enfin allé à la cour. » (Editions de IÍ37 et de 1754.)

20. « Vous pouvez vous imaginer tout ce qu'il pensa par le chemin, et lorsqu'il revit les cours de Saint-Germain, lorsqu'il reçut. a (Ibidem. )

21. Il y a ici dans le manuscrit un membre de phrase défiguré, dont il est difficile de tirer un sens satisfaisant : « Il étoit seule a luy vina. » Faut-il lire (mais le changement, au moins pour la construction, serait bien considérable) : « Il étoit seul et vint à lui? »

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ver d'un très-profond salut12 * il lui dit qu'il étoit tou-

jours content de sa fidélité, de ses services; qu'il étoit en repos de toutes les affaires secrètes dont il avoit connoissance; qu'il lui feroit du bien, et à sa famille. M. de Pompone ne put retenir quelques larmes, en lui parlant du malheur qu'il avoit eu de lui déplaire; que28 pour sa famille, il l'abandonnoit aux bontés de Sa Majesté; que toute sa doilleur étoit d'être éloigné d'un maître auquel il étoit attaché, autant par inclination que par devoir ; qu'il étoit difficile de ne pas sentir vivement cette sorte de perte ; que c'étoit celle qui le perçoit, et qui lui faisoît voir des marques de foiblesse", qu'il espéroit que Sa Majesté lui pardonneroit. Le Roi lui dit qu'il en étoit touché; qu elles venoient d'un si bon fonds, qu'il ne devoit pas en être fâché. Tout roula sur ce point, et M. de Pompone sortit avec les yeux un peu rouges, et comme un homme qui ne méritoit pas son malheur. H me conta tout cela hier au soir; il eût bien voulu paroître plus ferme, il étoit au désespoir25, mais il ne fut pas le maître de son émotion. C'est la seule occasion où il ait paru trop touché; et ce n'étoit pas" mal faire sa cour, s'il y avoit encore une cour à faire. Il reprendra la suite de son courage, et le voilà quitte d'une grande affaire : ce sont des renouvellements que l'on ne peut s'empêcher de sentir comme lui.

Adieu, ma très-chère et très-aimable enfant: j'attends toujours de vos nouvelles avec impatience; mais ne m'é-

22. Ce membre de phrase manque dans les éditions de 1737 et de 1754, qui donnent simplement: cc Le Roi l'assura qu'il ctoit, etc. »

23. « Il ajouta que, etc. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

24. k Et qui faisoit voir en lui des marques de folblesse. »

(Ibidem.)

25. Ce petit membre de phrase n'est que dans le manuscrit.

26. « Et ce ne seroit pas. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

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crivez que deux mots, renoncez à l'écriture, épargnez sur moi : cela me fait horreur d'imaginer que ce sont ceux qui vous aiment, et que vous aimez, qui nuisent à votre santé".

780. - DE MADAME DE SLIVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, vendredi 98 février.

JE vous trouve, ma chère belle, en plein carnaval : vous faites de petits soupers particuliers de dix-huit ou vingt femmes ; je connois cette vie et la grande dépense que vous faites à Aix; mais il me paroît qu'au milieu de votre bruit vous vous reposez fort bien. On dit quelquefois : « Je me veux réjouir pour mon argent; » mais vous dites, ce me semble : « Je me veux reposer pour mon argent; » reposez-vous donc , ayez au moins cela de bon. Je suis un peu étonnée que l'air du menuet ne vous donne pas la moindre tentation : quoi! pas une seule agitation dans les jambes? pas un petit mouvement dans les épaules i? quoi! rien du tout? Mon enfant, cela n'est pas naturel : je ne vous ai jamais vue immobile dans ces occasions ; et si je voulois tirer les conséquences ordinaires, je vous croirois plus malade que vous ne dites.

Il y eut hier au soir une fête extrêmement enchantée à l'hôtel de Condé. Mme la princesse de Conti nommoit une des filles2 de Monsieur le Duc, avec le prince de la

27. « Qui détruisent votre santé. s (Édition de 1754.) — Ce dernier alinéa ne se trouve pas dans notre manuscrit.

LETTRE 780. — 1. Ce membre de phrase manque dans le texte de 1737.

2. « Le Se de ce mois, dit la Gazette du 24 février, Mlle de Montmorency, fille du duc d'Enghien (née le 24 février 1678, et nommée plus tard Mlle d'Enghien), fut baptisée dans la cliapelle de l'hôtel de

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Roche-sur- Y on3. C'étoit d'abord le baptême, et puis la collation du baptême ; mais quelle collation ! et puis une comédie; mais quelle comédie! toute chamarrée des beaux endroits de la musique, et des bons danseurs de l'Opéra; un théâtre bâti par les fées, des enfoncements, • des orangers tout chargés de fleurs et de fruits, des festons, des perspectives, des pilastres : enfin toute cette petite soirée coûte plus de deux mille louis, et le tout pour cette jolie princesse.

L'opéra 4 est au-dessus de tous les autres. Le chevalier dit qu'il vous a envoyé plusieurs airs, et qu'il a vu un homme6 qui doit vous avoir envoyé le livre8 : vous en serez contente. Il y a une scène de Mercure et de Cérès, qui n'est pas bien difficile à entendre; il faut qu'on l'ait approuvée, puisqu'on la chante : vous en jugerez'

Condé par le sieur de la Bernaudière, curé de Saint-Sulpice. Le prince de la Roche-sur-Yon et la princesse de Conti la tinrent sur les fonts de baptême, et la nommèrent Marie-Anne. » — Elle épousa en 1710 Louis-Joseph duc de Vendôme, mort en 171a, et mourut elle-même en 1718.

3. Le beau-frère de la princesse de Conti. Voyez tome II, p. 491-

4. a Le 3e (février), on joua devant le Roi, pour la première fois, l'opéra de Proserpuie, dont les vers ont été faits par le sieur Quinault, auditeur des comptes, la musique par le sieur Lully, surintendant de la musique de la chambre du Roi, et les machines par le sieur Vigarani. » (Gazette du 10 février.)

-

5. Quinault. (Note de Perrin.)

6. <2 Les paroles, a (Édition de 1754.)

7. Cette scène (qui est la ne du Ier acte de Proserpine) contient en effet une allusion évidente au refroidissement du Roi pour Mme de Montespan. Mercure vient trouver Cérès, et la prie, de la part de Jupiter, de porter la fertilité dans les plaines de la Phrygie; il lui fait ensuite sentir combien elle doit être flattée de voir un dieu sLgrand s'abaisser jusqu'à la prier.

cÉRÈs répond : Peut-être qu'il m'estime encore ; Mais il m'avoit promis qu'il m'aimeroit toujours.

L'amour qui pour lui m'anime

1680

L'affaire des poisons est tout aplatie ; on ne dit plus rien de nouveau. Le bruit est qu'il n'y aura point de sang répandu : vous ferez vos réflexions comme nous. L'abbé Colbert8 est coadjuteur de Rouen. On parle d'un voyage

Devient plus fort chaque jour ; Est-ce assez d'un peu d'estime Pour le prix de tant d'amour?

MERCURE.

Il sent l'ardeur qu'un tendre amour inspire, Avec plaisir il se laisse enflammer; Mais un amant chargé d'un grand empire N'a pas toujours le temps de bien aimer.

cÉRÈs.

Quand de son cœur je devins souveraine, N'avoit-il pas le monde à gouverner?

Et ne trouvoit-il pas sans peine Du temps de reste à me donner ?

Je l'ai vu sous mes lois, ce dieu si redoutable; Je l'ai vu plein d'empressement.

Ah ! qu'il seroit aimable, S'il aimoit constamment !

(Note de F édition de 1818.)

8. Jacques-Nicolas, second fils de Colbert, mort à Paris, le io décembre 1707, dans sa cinquante-troisième année. Il fut reçu à l'Académie française, par Racine, en 1678, et occupa le siège de Rouen depuis le 29 janvier 1691 jusqu'à sa mort, après avoir été, sous le nom d'archevêque de Carthage, coadjuteur de son prédécesseur, à partir du 2 février 1680 (voyez la Gazette du 10). cr C'étoit, dit Saint-Simon (tome VI, p. i45), un prélat très-aimable, bien fait, de bonne compagnie, qui avoit toujours vécu en grand seigneur, et qui en avoit naturellement toutes les manières et les inclinations. Avec cela savant, très-appliqué à son diocèse, où il fut toujours respecté et encore plus aimé, et le plus judicieux et le plus heureux au choix des sujets pour le gouvernement. Doux, poli, accessible, obligeant, souvent en butte aux jésuites, par conséquent au Roi, sans s'en embarrasser et sans donner prise, mais ne passant rien. Il vivoit à Paris avec la meilleure compagnie, et de celle de son état la plus choisie ; souvent et longtemps dans son diocèse, où il vivoit de même, mais assidu au gouvernement, aux visites, aux fonctions.

C'est lui qui a mis ce beau lieu de Gaillon, bâti par le fameux cardinal d'Amboise, au degré de beauté et de magnificence où il est parvenu, et où la meilleure compagnie de la cour l'alloit voir. a

1 C) à 0,

en Flandre. On ne sait pourquoi cette assemblée de troupes.

Le frère Ange9 a ressuscité le maréchal de Bellefonds ; il a rétabli sa poitrine entièrement déplorée. Nous avons été voir, Mme de Coulanges et moi, le grand maître10, qui a pensé mourir depuis quelques jours11 : sa goutte étoit remontée, une oppression à croire qu'il alloit rendre le dernier soupir, des sueurs froides, une perte de connoissance ; il étoit aussi mal qu'on peut l'être 12. Les médecins ne le secouroient point : il fit venir le frère Ange, qui l'a guéri, et tiré de la mort avec les remèdes les plus doux et les plus agréables : l'oppression cessa, la goutte se rejeta sur les genoux et sur les pieds, et le voilà guéri 13.

Adieu, ma chère enfant. Je fais toujours cette même vie que vous savez, ou au faubourg 14, ou avec ces bonnes veuves i5; quelquefois ici; quelquefois manger la poularde de Mme de Coulanges, et toujours aise18 que le temps passe et m'entraîne avec lui, afin de me redonner à vous.

9. Dangeau (tome III, p. 60, 65 et 71) nous apprend que c'était un capucin, et qu'il fut consulté par la Dauphine en 16qo.

10. Le duc du Lude, grand maître de l'artillerie. -

11. c Depuis quinze jours. » (Édition de 1754.)

12. « Qu'on peut être. » (Ibidem.)

i3. a Et le voilà hors de danger. » (Ibidem.)

14. Chez Mme de la Fayette et chez la Rochefoucauld.

15. Nous avons déjà dit (p. 158, note 9.5) que Mme de Sévigné donnait probablement les noms de ces veuves dans la lettre du 12 juin suivant : il semble, d'après la lettre précédente, que Mme du Plessis-Bellière pourrait être aussi du nombre.

16. a Fort aise. » (Édition de 1754.)

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781. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, ce mercredi 14e février.

JE vous trouve bien heureuse d'avoir Mme du Janet; elle est venue tout exprès pour vous ; voilà une amitié qui me plaît. Je suis assurée qu'elle est occupée de votre santé, je vous prie que je l'embrasse. Vous prenez peu de part aux vanités du monde, et je vous vois toujours couchée et retirée, pendant que l'on danse et que l'on chante : vous vous reposez pour votre argent, comme je disois l'autre jour.

Montgobert m'a conté fort plaisamment les manœuvres de la belle Iris, et les jalousies de Monsieur le Comte'; je crois qu'il verra souvent la lune à gauche avec cette belle ; il s'est vengé cette fois par une très-jolie chanson. Montgobert m'a fait rire du respect qu'elle a eu pour M. de Grignan; elle avoit mis qu'il vint à ce bal la gueule enfarinée ; tout d'un coup elle s'est reprise , elle a effacé la gueule, et a mis la bouche; tellement que c'est la bouche enfarinée.

Cette petite gendarmerie est toute égarée1. Mon fils s'en va en Flandre, il n'ira point au-devant de Madame la Dauphine. On assemble l'armée 2 : on dit que c'est pour avoir Charlemont3. On ne sait rien de positif, sinon

LETTRE 781 (revue en partie sur une ancienne copie). — 1. « Cette gendarmerie est tout égarée. » (Édition de 1754.)

2. 0 L'armée s'assemble. i (Ibidem.)

3. Suivant le traité de Nimègue, l'Espagne devait céder à la France Dinant ou Charlemont. Le roi d'Espagne, n'ayant pas obtenu la cession de Dinant de l'évêque de Liège et de son chapitre, remit au Roi la ville de Charlemont; mais il y eut de longues difficultés pour déterminer les dépendances de cette ville et des places qui avaient été cédées de part et d'autre. On traitait aussi dans ce temps l'affaire des réunions, système d'envahissement qui commença d'inquiéter

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que les officiers s'en vont. et ou il y aura dans un mois cinquante mille hommes sur pied. Le régiment du chevalier n' en est pas.

La4 chambre de l'Arsenal a recommencé. Il v eut un homme, qui n'est point nommé, qui dit à M. delà Reynie : « Mais, Monsieur, à ce que je vois, nous ne travaillons ici que sur des sorcelleries et des diableries, dont le parlement de Paris ne reçoit point les accusations*.

Notre commission est pour les poisons, d'où vient que nous écoutons autre chose? » La Revnie fut surpris, et lui dit* : « Monsieur, nous avons des ordres secrets. —

Monsieur, dit 1 autre, faites-nous-en une loi, et nous

l'Europe. Les Trois-Evèchés et l'Alsace avaient été cédés à la France dans l'état où ils se trouvaient. Louvois donna au Roi le conseil de faire rentrer dans le domaine tous les fiefs qui en avaient été détachés avant la cession, et deux chambres furent créées a Metz et à Brisach pour opérer ces réunions : application rétroactive de nos principes sur la nature du domaine. 'S ovez l'Histoire de Louis XIf de Reboulet, tome II, p. 283, in-4°. '.Vote de l'edition de 1818.

4. La lettre commence ici dans notre manuscrit et dans les éditions de la Have et de Rouen i~ah Celle de Rouen la date du 23e février, et réunit a cet alinéa ce que toutes les autres éditions donnent de la Voisin dans la lettre du 2 3 février, p. 2-6 et suivantes.

Dans cette même impression de Rouen, voici quel est le debut de l'alinéa : 1 Il v eut un homme a la chambre de l'Arsenal, qui n'est point nommé, etc. a Dans l'édition de la Haye, la lettre e3t datée du 14e janvier.

5. Depuis longtemps le parlement de Paris ne brûlait plus pour le seul fait de magie et de sorcellerie. Un arrêt du conseil, le Roi y siégeant, avait en 1673 annulé des arrêts du parlement de Normandie rendus contre de prétendus sorciers, et en 1682 une déclaration générale du Roi reforma les lois sur le sortilège. Vovez la Correspondance administrative sous Louis XIV, tome II, p. xv de l'Introduction de M. Depping, et l'Histoire du parlement de Xormandie par M. Floquet, tome V. p. -18 et suivantes.

6. c La Reynie, fort surpris, lui dit. a Edition de Rouen, 1726. Les mots : Monsieur, nous avons des ordres secrets, et Monsieur, dit, ont été sautés dans notre manuscrit.

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obéirons comme vous ; mais n'ayant pas vos lumières, je crois parler selon la justice et la raison, de dire ce que je dis. » Je pense que vous ne blâmerez' pas la droiture de cet homme, qui pourtant ne veut pas être connu'. Il y a tant d'honnêtes gens dans cette chambre, que vous aurez peine à le deviner9. On a mené deux fois M. de Luxembourg à Vincennes, pour être confrontéiO. On ne sait point le véritable état de son affaire, ni sur quoi on le pousse11. Il est bien malheureux, voilà ce qui est vrai.

Mme de Soubise n'est point encore sortie de son trou.

Le petit prince de Léon" fut hier13 baptisé par un évêque de Bretagne à Saint-Gervais; le parrain étoit Monsieur de Rennes, de la part des états de Bretagne ;

7. Dans les deux éditions de Perrin (1737 et 1754), il y a blâmez, au lieu de blâmerez.

8. La lettre finit ici dans l'édition de Rouen ; mais voyez la note 4.

9. La fin de l'alinéa, à partir d'ici, n'est pas dans les deux éditions de Perrin. On lit seulement, mais tout à la fin de la lettre, dans le texte de 1754 : « M. de Luxembourg a été mené deux fois à Vincennes pour être confronté ; on ne sait point le véritable état de son affaire. »

10. La Voisin, le Sage, la Vigoureux, et tous les autres prévenus d'empoisonnement étaient détenus au château de Vincennes.

II. Bussy écrit à la Rivière, le 27 janvier 1680 : c On dit que le crime de M. de Luxembourg est d'avoir fait empoisonner à l'armée un intendmt des contributions de Flandre, duquel il avoit tiré l'argent du Roi. »

12. Voyez la lettre du 27 septembre précédent, p. 24, et la note 20.

i3. Le mot hier manque dans la Haye, qui donne à la ligne suivante : à Saint-Germain. — Le Mercure de février (p. 336-338) dit que le baptême eut lieu dans l'église de Saint-Gervais, non le i3, mais le 12 ; que ce fut l'évêque de Léon qui baptisa le petit prince, et que Madame la Duchesse le tint sur les fonts, avec les députés de Bretagne, savoir l'évèque de Rennes, le marquis de Karman, le sénéchal de Ploërmel, l'abbé de la Rochefoucauld, et en outre le duc et la duchesse de Chaulnes, le marquis de Lavardin, comme lieutenant général de la province, Méju, comme procureur général et syndic des états, d'Harouys, comme trésorier.

[680

la marraine, Madame la Duchesse : M. de Vardes est parent de Monsieur le PrinceH. Du reste, c'étoit la Bretagne tout entière : Monsieur le gouverneur de Bretagne, Messieurs les lieutenants généraux de Bretagne, Monsieur le trésorier de Bretagne, Messieurs les évêques de Bretagne, Messieurs les députés et plusieurs seigneurs de Bretagne, l'enfant et le père présidents de Bretagne : jamais vous n'avez vu une telle fête" ; on y auroit dansé les passe-pieds de Bretagne, si on y eût dansé, et mangé du beurre de Bretagne, s'il eût été jour maigre16.

La Soubise n'étoit point à tout cela17

Je vous assure que mon fils sent toute la force secrète qui attire naturellement les Bretons en leur pays u; il en est revenu charmé. Tonquedec a commencé, peur la première fois de sa vie, à être admiré, et à paroître digne d'être imité : ce seroit vouloir arrêter le Rhône, que de s'opposer à ce torrent, et cela est au point de vouloir

14. Ce membre de phrase n'est que dans notre ancienne copie.

— D'après un manuscrit inédit de la maison de Condé, intitulé : « Quartiers, tables généalogiques et mémoires des degrés de parenté de la maison de Bourbon Condé avec diverses familles de France et d'Europe, D manuscrit annoté en divers endroits de la main du grand Condé, et dont l'illustre historien des Condés, Monseigneur le duc d'Aumale, a bien voulu nous communiquer un extrait, la parenté de Vardes avec le grand Condé était du 5 au 4, c'est-à-dire qu'il était son parent au huitième degré. La grand'mère de Condé et le grand-père de Vardes étaient petits-enfants de François de la Trémouille, mort en 1541.

i5. Ce membre de phrase manque dans le texte de 1754; dans celui de 1737, on lit : « tant vu de Bretagne ensemble. »

16. On était alors dans l'usage de ne manger du beurre en nature que les jours maigres. Voyez le Grand d' Aussy, rie privée des Franfais, Paris, 1782, in-8°, tome II, p. 37 : il y cite ce passage.

17. Cette petite phrase manque dans les deux éditions de Perrin (1737 et 1754). — Mme de Soubise était sœur du mari de Mlle de Vardes.

18. La lettre finit ici dans l'impression de la Haye (1726).

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vendre sa charge19, et d'avoir commencé80 par le dire à Gourville et à plusieurs autres, avant que de m'en avoir parlé. Il dit plusieurs" bonnes raisons : il voit dans l'avenir ; il craint les dégoûts qui peuvent venir par M. de la Trousse ; il est fâché de ceux12 qu'on donne à la gendarmerie ; il ne veut pas se ruiner : conclusion, il nous met au point, à force de faire voir le fond de son cœur, qu'on lui dit qu'oui assurément, qu'il a raison 28 de vouloir vendre sa charge. M. de la Trousse l'approuva plus qu'un autre, et dit qu'il n'y auroit jamais avancé d'un pas24. Je n'ai pas sur mon cœur de n'avoir pas dit tout ce que je devois sur cette étrange résolution, avec cette facilité de parole que j'ai quelquefois : j'en ai de bons témoins". Sa charge est la plus jolie de la cour. Je lui demandois au moins d'attendre un prétexte, l'ombre d'un dégoût, enfin quelque chose qui pût cacher le fond du terrain; mais il est impossible, et tout ce que nous pouvons faire, M. de la Garde et nous tous, c'est de le prier de ne s'en point mêler, afin" qu'en faisant voir son envie, il ne mette pas à vil prix une charge où il devroit gagner considérablement. Il disoit hier qu'il vou-

19. La charge de sous-lieutenant des gendarmes-Dauphin, que le marquis de Sévigné avait achetée au mois de mai 1677. Voyez tome V. p. 164,la lettre du 19 mai 1677. (Note de. l'édition de 1818.)

30. cr; Il a commencé. » (Édition de 1754.)

21. Dans notre manuscrit, tout ce qui est entre les deux plusieurs a été sauté ; on y lit simplement : a et a plusieurs bonnes raisons. D

22. a Des dégoûts. 0 (Édition de 1737.)

a3. « Conclusion, à force de faire voir le fond de son cœur, il nous met au point de lui dire qu'oui assurément il a raison, etc. »

(Édition de 1754.)

24. Cette phrase ne se lit que dans notre manuscrit.

25. Ce membre de phrase et la petite phrase qui suit manquent dans les deux éditions de Perrin (1737 et 1754).

26. La fin de la phrase et toute la phrase suivante ne sont pas non plus dans les éditions de Perrin.

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droit en avoir les deux tiers : cette parole nous fit dres- ser les cheveux à la tête. Nous sommes ravis de son absence, afin qu'il ne gâte point ses.affaires, en décriant lui-même sa marchandise. Je lui disois que c'étoit une chose bien malheureuse de ne donner le prix aux charges que selon son goût : le guidon excessif, parce qu'il étoit fou27; la sous-lieutenance rien, parce qu'il en est dégoûté. Est-ce ainsi que l'on achète et que l'on vend, quand on est un peu raisonnable et habile, et qu'on ne veut pas s'égorger? Nous28 ne faisons point éclater tout ceci; ma bonne, faites-en de même : ce bruit seroit préjudiciable à nos intérêts, et quand vous m'en écrirez, parlez comme de vous, et non pas comme m'étant plainte à vous. Je n'ai que trop marqué mes sentiments ; c'a été une grande affaire, et me voilà résolue à souffrir ce que je ne puis empêcher, car il me l'a dit nettement, et je veux faire un marché qui puisse au moins nous être bon à nos affaires, étant si mauvais pour tout le reste, et ne pas perdre follement sur une si bonne marchandise.

Adieu, ma chère enfant : ne vous fâchez point de tout ceci; aimons la Providence : il est aisé, quand elle ne touche que ces sortes de choses ; je n'en aurai pas moins ma liberté, et je n'en serai pas moins à vous ; au contraire, au contraire.

Tout ce qui aura l'honneur de suivre Madame la Dauphine est à Sélestat ; Mme de Maintenon et Monsieur de Condom29 se sont séparés de la troupe30 ; ils sont allés à la rencontre de cette princesse, tant que terre les pourra porter; ce sera peut-être trois ou quatre journées. Voilà

27. « Parce qu'il en étoit fou. » (Édition de 1754.)

28. Toute la fin de l'alinéa est seulement dans notre manuscrit.

29. Bossuet. Il était aumônier de la Dauphine.

3o. Ils ne s'en étaient pas séparés. Voyez la lettre du 28 février suivant, p. 282.

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une distinction bien agréable et bien marquée : si Madame la Dauphine croit que tous les hommes et toutes les femmes aient autant d'esprit que cet échantillon, elle sera bien trompée. C'est, en vérité, un grand avantage que d'être du premier ordre. On en faisoit un premier rang l'autre jour chez Mme de la Fayette : vous y fùtes mise d'abord sans balancer. Corbinelli disoit obligeamment pour les autres qu'il ne comprenoit pas qu'on pùt raisonner avec une autre femme qu'avec vous31. C'est une bonne provision, ma très-clière, que d'avoir un bel et bon esprit ; et c'en est une aussi fort mauvaise, comme vous dites, d'avoir son bon sens à la Bastille" : on seroit bien plus heureux d'être dans une loge des PetitesMaisons. Adieu : je vous quitte, sans cesser pourtant de penser à vous; et avec une si grande tendresse, avec des sentiments si vifs, et avec le cœur si souvent serré de vos maux et de votre absence, que je ne sais1* si une loge ne seroit pas plus commode aussi que ce que je sens

782. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, vendredi 16e février.

JE suis toujours occupée avec raison de votre santé, ma chère enfant : j'ai envoyé à Montgobert une consul-

31. « Arec une autre femme que vous. » (Édition de 1754.)

32. « Mais c'en est une fort mauvaise, comme vous dites, d'avoir son bon sens tout entier à la Bastille. » (Ibidem.)

33. a Et avec une si grande tendresse, que je ne sais. » (Édition de 1737.)

34. c Ne seroit point plus commode aussi pour moi. ) (Édition de 1754.)

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tation que je fis l'autre jour avec le frère Ange. H me semble qu'elle aura mieux pris son temps, que n'auroit pu faire ma lettre, pour vous proposer les remèdes dont il s'agit. J'attendrai la réponse de Montgobert, c'està-dire la vôtre; mais c'est en cas que vous ne vous accommodiez point du lait : il se peut que vous en soyez trop peu nourrie, ou que votre sang soit encore trop échauffé, pour pouvoir s'unir à la fraîcheur du lait; car s'il vous étoit bon, vous seriez guérie. Le frère Ange comprit parfaitement l'effet de cette contrariété, qui fait comme de l'eau sur une pelle trop chaude. Voilà ce que disoit Fagon, et ce que vous avez expérimenté; c'est donc à vous à juger si votre sang est toujours dans le même degré de chaleur, parce qu'alors les remèdes du frère Ange, qui sont doux, et fortifiants, et rafraîchissants, pourroient vous disposer au lait, et peut-être vous guérir, comme il a guéri le maréchal de Bellefonds, la reine de Pologne, et mille autres personnes. Ils sont aisés, agréables à prendre; et si par malheur ils ne vous faisoient point de bien, ils ne peuvent jamais vous faire de mal. Du Chesne hait toujours le café ; le Frère n'en dit point de mal. Il est vrai que Mme de la Sablière prenoit du thé avec son lait; elle me le disoit l'amtre jour : c'étoit son goût; car elle trouvoit le café aussi utile. Le médecin que vous estimez, et qui par là me paroît le mériter, vous le conseille ; ah ! ma fille, que puis-je dire là-dessus? et que sais-je ce que je dis ? on blâme quelquefois ce qui seroit bon, on choisit ce qui est mauvais, on marche en aveugle. J'ai sur le cœur que le café ne vous a point fait de bien dans le temps que vous en avez pris : est-ce qu'il faut avoir l'intention de le prendre comme un remède? Caderousse s'en loue toujours; le café engraisse l'un, il emmaigrit l'autre : voilà toutes les extravagances du monde. Je ne crois pas

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qu'on puisse parler plus positivement d'une chose où il y a tant d'expériences contraires. Ainsi, ma chère enfant, suivez votre goût, raisonnez avec votre bon médecin; je lui demande une chose : pourquoi, si votre poitrine n'est point attaquée, vous avez toujours ce poids et cette chaleur au même côté? pourquoi vous êtes si pénétrée du froid ? et pourquoi vous êtes si maigre, surtout à la poitrine? Voilà ce qui m'a fait craindre qu'il n'y eût quelque chose de plus que l'intempérie de votre sang. Faites-moi répondre à cela par Mme du Janet; car Montgobert aura d'autres choses à me dire, outre qu'elle est votre secrétaire. Vous me parlez de ma santé; elle est parfaite : je n'ai point passé de décours sans prendre au moins deux pilules avec la petite eau. Je me suis accoutumée à prendre tous les matins un verre ou deux d'eau de lin; avec ce remède, je n'aurai jamais de néphrétique ; c'est à cette eau' merveilleuse que la France doit la conservation de M. Colbert. Je ne vous trompe point, je n'use point de styles différents avec vous : continuez donc à me parler sincèrement de votre état; en vérité, tout le reste est bien loin de moi.

Mme de Bouillon s'est si bien vantée des réponses qu'elle a faites aux juges, qu'elle s'est attiré une bonne lettre de cachet pour aller à Nérac près des Pyrénées1 : elle partit hier avec beaucoup de douleur. Il y a bien à méditer sur ce départ : si elle est innocente, elle perd infiniment de n'avoir pas le plaisir de triompher; si elle est coupable, elle est heureuse d'éviter les confrontations infâmes et les convictions. Toute sa famille l'a conduite

LETTHE 78a. — 1. Bussy écrit le 6 février 1680 : « Je vous ai mandé l'interrogatoire de Mme de Bouillon; elle dit qu'elle le va faire imprimer et l'envoyer dans les pays étrangers : cela a fort fâché le Roi contre elle, et en effet cela donne un grand ridicule à la chambre de justice. »

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jusqu'à une demi-journée d'ici, comme Psyché2 La voilà où étoit autrefois la bonne reine Marguerite3

Voyez un peu les quatre sœurs, quelle étoile errante les domine ! en Espagne, en Angleterre, en Flandre, au fond de la Guienne4. On fait le procès par contumace à la comtesse de Soissons. M. d'Alluye est exilé à Amboise ; il parloit trop. On ne dit rien de M. de Luxembourg, quoiqu'il ait été confronté; les juges sont muets. Je m'en vais faire vos compliments à Mme de Meckelbourg5, qui pleure et se tourmente fort.

Mme de Vins est toujours aimable, et vous aime chèrement; cela lui donne une sorte d'amitié pour moi, dont je profite et que je ménage beaucoup. M. de Pompone rentre dans notre commerce, comme autrefois : il va au faubourg, et on reparle du temps de l'hôtel de Nevers 6, avec toutes les réflexions que méritent les changements qui sont arrivés.

2. C'est une allusion à ce passage dù livre I des Amours de Psyché, publiés par la Fontaine en 1669 et dédiés à la duchesse de Bouillon : « On se résout à partir : on fait dresser un appareil de pompe funèbre. on part enfin, et Psyché se met en chemin sous la conduite de ses parents. »

3. Marguerite de Valois, femme de Henri d'Albret, roi de Navarre.

Nérac était la capitale du duché d'Albret, qui appartenait au duc de Bouillon : voyez plus bas, p. 268, note 2.

4. Mme de Colonne était en Espagne, où elle avoit été obligée de chercher une retraite dans le couvent de San-Domingo, près de Madrid, afin de se soustraire aux poursuites du connétable. On peut voir, dans les lettres de Mme de Villars à Mme de Coulanges, le récit de la visite que Mme de Colonne fit à M. de Villars le 26 janvier 1680. La duchesse de Mazarin était toujours en Angleterre.

(Note de l'édition de 1818.) — Mme de Soissons, comme nous l'avons vu plus d'une fois, s'était réfugiée en Flandre.

5. Sœur du maréchal de Luxembourg.

6. Voyez tome I, p. 455, note l, et la lettre de Pompone à son père, du 4 février 1665, publiée dans le volume des Mémoires de Coulanges, p. 382 et suivantes.

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Mon fils est toujours dans la même passion de vendre, et nous toujours dans la même envie de l'empêcher de se mêler de ce marché j cette affaire n'est point dans sa tète comme toutes les autres choses : c'est un fonds qui sent parfaitement le terroir de Bretagne. Je ne me suis que trop expliquée sur tous ses sentiments ; il croit bien que je vous l'ai mandé : il attend votre improbation, sans craindre qu'elle le fasse changer. Pour moi, ne pouvant faire mieux, je voudrois seulement un prétexte qui vînt de M. de la Trousse; je vous manderai la suite de cette affaire. Adieu, ma chère enfant.

783. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, ce mercredi 21e février.

POUR vous récompenser des bonnes nouvelles que vous me mandez de votre santé, je vais vous apprendre1 que l'abbé de Grignan est évêque d'Evreux; il me semble que je vous entends dire : « Qu'est-ce que c'est qu'Evreux? » Le voici : Évreux est la plus jolie ville de Normandie, à vingt petites lieues de Paris, à seize de Saint-Germain; elle est à M. de Bouillon2 ; l'évêché vaut vingt mille livres de rente,

LETTRE 783. — 1. « Je ne puis mieux vous récompenser. qu'en vous apprenant, etc. » (Édition de 1754.) - La nomination de l'abbé de Grignan, agent général du clergé de France, à l'évêché d'Evreux, est dans la Gazette du 24 février. Il n'obtint pas ses bulles, et fut nommé l'année suivante à l'évêché de Carcassonne.

2. En mars 1651, dit Saint-Simon (tome V, p. 313), Mazarin « fit faire un échange de Sedan et de Bouillon, dont M. de Bouillon (le frère aîné de Turenne, le père du duc d'alors) se réserva l'utile, et ne céda que la souveiaineté. au lieu de laquelle il eut le comté d'Évreux avec les bois et les dépendances, qui valoient plus de trois

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le logement est très-beau, l'église des plus-belles, la maison de campagne est une des plus agréables qu'il y ait en France. Ce diocèse touche à celui de Rouen, dont l'abbé Colbert est coadjuteur ; la belle maison de l'archevêque de Rouen, nommée Gaillon3, que tout le monde connoît, est dans le diocèse d'Evreux. Cette place est charmante; pour moi je l'aimerois mieux que Marseille : vous n'êtes que trop établis en Provence ; et ce qu'il y a de plus de revenu à Marseille, se mange bien par les voyages. En un mot, tous les amis des Grignans sont persuadés que rien n'étoit plus souhaitable pour notre abbé. Voici comment l'affaire s'est faite : il y a encore un vieux évêque d'Evreux4, qui a plus de quatre-vingts ans; c'étoit autrefois l'évêque du Puy, que vous avez vu sans doute à SainteMarie ; il a fait la vie de ma grand'mère. Ce bonhomme n'est plus en état d'agir : il a demandé au Roi que sa

cent mille livres de rente, et les duchés d'Albret et de ChâteauThierry, avec la dignité de duc et pair et le rang nouveau des princes étrangers en France. H eut ainsi les apanages de deux fils de France, et celui qu'avoit Henri IV avant d'être roi de France. »

3. Le château de Gaillon fut bâti par le cardinal Georges d'Amboise au commencement du seizième siècle. Il sert aujourd'hui de maison de détention. On voit aux Beaux-Arts, à Paris, un portique, et au Louvre une statue de saint Georges, provenant du château de Gaillon. — Gaillon est un chef-lieu de canton de l'Eure.

4. Henri Cauchon de Maupas du Tour, fib de Charles Cauchon, seigneur de Maupas, vicomte de Lery et de Verzenay, baron du Tour, et d'Anne de Gondi, parente du maréchal de Retz, fut évêque du Puy-en 1841 et d'Evreux en 1661. Il est l'auteur des deux Vies de saint François de Sales (1657) et de la bienheureuse Marie de Chantal (1644). Le comte de Coligny, qui avait épousé la nièce de l'évêque d'Evreux, a raconté sa mort (arrivée en août 1680), dans les Petits mémoires que M. Monmerqué a publiés. Le jour de la Saint-Laurent, comme il revenait de dire sa messe, ses chevaux furent emportés et mirent le carrosse en pièces; le prélat expira après une agonie de deux jours. — La Gazette du 24 février dit qu'il se démit volontairement de son évêché, parce qu'il ne crut pas pouvoir s'acquitter des devoirs d'un évêque à l'âge de quatre-vingts ans.

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place fut donnée, et lui a nommé de petits abbés, dont les noms n'ont pas plu à Sa Majesté. Le Roi lui a répondu qu'il ne se mît point en peine, qu'il envoyât sa démission pure et simple, et qu'il lui choisiroit un homme dont il seroit content. Cet homme-là, c'est votre beau-frère.

Voici les conditions : il faudra donner à ce vieux évêque une pension de cinq ou six mille francs, pour achever sa vie ; après quoi le Roi met une pension de mille écus sur ce bénéfice pour le chevalier de Grignan : voilà un souvenir qui est obligeant, en attendant mieux. Le chevalier est bien persuadé qu'il fera vivre le vieillard neuf cents ans, comme autrefois. Il trouva ici son frère, et ils partirent tous deux 6 pour Saint-Germain, où ils sont encore.

Je ne doute pas que les remerciements a n'aient été bien reçus, et qu'à leur retour ce ne soit plus que de la manière dont ils soient charmés7. Pour moi, j'avoue que je suis grossière, et que j'aime extrêmement la chose. Ils vous manderont tout ceci beaucoup mieux que moi; mais j'y prends tant d'intérêt, que je n'ai pu m'empêcher de me jeter dans les détails : cela est naturel.

Je prendrai cet été pour aller faire peut-être un dernier voyage en Bretagne : le bon abbé le croit nécessaire, et n'a pas dessein d'y retourner de sa vie ; mais vous jugez bien que je reviendrai pour vous recevoir. Le petit Coulanges est ravi de votre réponse ; et comme il n'a point d'aversion naturelle pour vous, comme j'en ai, il sera assez heureux pour passer l'été avec vous. Vous dites qu'il est cruel de pouvoir attendre tous vos amis à Grignan, hormis moi : ma fille, je le trouve encore plus cruel que

5. œ Les deux frères se trouvèrent ici, et partirent ensemble. »

(Édition de 1754.)

6. « Leurs remerciements. » (Ibidem.)

7. fi. Et qu'à leur retour ils ne soient plus charmés que de la manière. » (ibidem.)

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vous8 ; car mon ignorance me fait compter pour beaucoup de voir une personne tendrement aimée. Je suis frappée des objets, et l'absence doit me déplaire plus qu'à vous, qui n'en croyez point; pour moi, qui en crois, j'en suis touchée extraordinairement. Mais je compte que vous partirez cet automne9 , comme vous l'avez dit; vous consulterez votre santé 10 : un hiver est impraticable à Grignan, et très-ruineux à Aix ; de la manière dont les jeux et les plaisirs sont à votre suite, c'est proprement" le carnaval que la vie que vous faites. Nous ne pensons pas ici à nous divertir, et je ne voudrois pas vous répondre que nous n'allassions 12 passer les trois jours gras à Livry.

Il faut que la T** soit bien malheureuse, puisque Mme de Lesdiguières en a pitié ; je crois que le plus grand crime de M. de Luxembourg est de l'avoir aimée. On ne parle plus de lui ; on ne sait pas même s'il est encore à la Bastille; on dit qu'il est à Vincennes. Rien n'est pire en vérité que d'être en prison, si ce n'est d'être comme cette pauvre diablesse 14 de Voisin, qui est, à l'heure que je vous parle, brùlée à petit feu à la Grève 16.

On assure qu'on a fermé les portes de Namur et d'Anvers, et de plusieurs villes de Flandre, à Madame la Com-

8. La fin de la phrase et la phrase suivante ne se lisent pas dans le texte de 1737.

9. « Mais je suis persuadée que vous reviendrez cette automne. »

(Édition de 1754.)

10. Ce membre de phrase n'est pas dans le texte de 1737.

II. œ à Aix, par la dépense qu'entraînent les jeux et les plaisirs qui sont à votre suite : c'est proprement, etc. » (Édition de 1754.)

12. « N'allions. » (ibidem.)

i3. La Tingry. Les deux éditions de Perrin, nos seules sources pour cette lettre, ne donnent que l'initiale.

14. e Cette diablesse. » (Edition de 1754.)

i5. La Voisin ne fut brûlée que le jeudi 22 février. Voyez la lettre suivante.

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tesse 16, disant : « Nous ne voulons point de ces empoisonneuses. » Voilà comme cela se tourne; et désormais un François dans les pays étrangers voudra dire un empoisonneur". On croit que Madame la Comtesse ira à Hambourg. Le marquis d'Alluye est allé la trouver, et n'est point allé à Amboise comme on disoit18.

On a nommé huit ou dix hommes de la cour, avec six mille francs de pension, pour être assidus auprès de Monsieur le Dauphin : ce sont ses dames du palais 19 ; il y en aura tous les jours deux qui le suivront. Le chevalier vous mandera quels ils sont : il me semble que j'ai entendu nommer MM. 20 de Chiverni ", de Dangeau, de

16. De Soissons.

17. <r C'est ainsi que cela se tourne; et désormais un François dans les pays étrangers, et un empoisonneur, ce sera la même chose. »

(Édition de 1754.)

18. Cette phrase manque dans le texte de 1737.

Ig. Ce membre de phrase a été retranché par Perrin dans sa deuxième édition (1754).

20. « Vous mandera leurs noms : il me semble que j'ai entendu parler de MM., etc. » (Édition de 1754.) Ils furent appelés menins.

0: Ce nom avait été emprunté à l'Espagne, où l'on appelle meninos de jeunes nobles élevés avec les princes. D (Dictionnaire des Institutions de la France, par M. Chéruel.)

21. Louis de Clermont, marquis de Montglas, comte de Chiverm (ou Cheverni), né en i645, menin du Dauphin, envoyé extraordinaire à Vienne et ambassadeur en Danemark, membre du conseil des affaires étrangères en 1715, conseiller d'Etat d'épée en 1719, mort le 16 mai 1722, à l'âge de soixante-dix-sept ans. Il était fils aîné du marquis de Montglas, l'auteur des Mémoires, et de Mme de Montglas, dont il a été déjà si souvent question. Il épousa au mois de juin suivant (voyez plus loin la lettre du i5 juin) une nièce de Mme Colbert, Marie Johanne, fille du marquis de Saumery, dont il n'eut pas d'enfants, et qui mourut à soixante-quinze ans, en 1727. « C'étoit, dit Saint-Simon (tome II, p. 331), un homme qui présentait plus d'esprit, de morale, de sens et de sentiments qu'il n'en avoit en effet; beaucoup de lecture, peu ou point de service, une conversation agréable et fournie, beaucoup de politique, d'envie de plaire et de crainte de

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Glermont22 et de Crussol 2S ; je ne sais point encore les autres, ni même si ceux-là sont bien vrais.

Depuis ma lettre écrite24, j'ai vu les Grignans, et j'ai eu un plaisir extrême d'apprendre d'eux le détail26 de leur voyage de Saint-Germain. Ils vous ont mandé tout cela dès lundi ; ainsi, ma fille, je croyois vous apprendre quelque chose, et vous savez tout26. On parle du chevalier de Grignan, pour le mettre au nombre des courtisans qui doivent accompagner Monsieur le Dauphin 27.

M. de Montausier 28 a dit à Monsieur le Dauphin : « Monseigneur, si vous êtes honnête homme, vous m'ai-

déplaire, un extérieur vilain et même dégoûtant, toute l'encolure d'un maître à écrire, et toujours mis comme s'il l'eût été ; en tout un air souffreteux, et une soif de cour et des agréments de cour qui alloit à la bassesse ; avec tout cela, ce tuf se cachoit sous d'autres apparences, et j'en ai été la dupe fort longtemps ; d'ailleurs un honnête homme, s

21. Au lieu du nom de Dangeau, le texte de 1737 porte d'Antin (voyez la lettre suivante, p. 275). - Charles-Henri de Clermont Tonnerre, marquis de Crusi, avait épousé, le 11 juin 1679, Élisabeth de Massol, et mourut le 19 février 1689.

23. Ce ne fut pas le comte de Crussol, mais son frère cadet, Louis de Crussol, marquis de Florensac, « le plus sot homme de France, » dit Saint-Simon (tome V, p. 21), qui fut nommé menin de Monseigneur. Il mourut le 15 mai 1716, à l'âge de soixante et onze ans.

Voyez tome II, p. 217, note 4, et p. 222, note 6.

24. Cet alinéa a été rejeté par Perrin à la fin de la lettre, dans sa seconde édition (1754).

25. c Et j'ai appris d'eux avec un plaisir extrême le détail, etc. »

(Édition de 1754.)

- 26. « dès lundi, en sorte que vous saurez tout avant que d'avoir reçu cette lettre. » (Ibidem.)

27. H fut en effet nommé. Voyez la lettre suivante, p. 274 et 275.

28. M. le duc de Montausier quittoit dans ce temps-là ses fonctions de gouverneur auprès de Monseigneur. (Note de Perrin, 1737.)

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merez ; si vous ne l'êtes pas, vous me haïrez, et je m'en consolerai. »

Gorbinelli29 vous rendra compte des affaires de votre père communso. Il vous fait mille compliments, et à M. de Grignan, ainsi que la Mousse. Mmes de Lavardin, de Mou ci, d'Uxelles, et vingt autres que j'oublie, coururent ici pour se réjouir avec moi, et me prier de vous dire la part qu'elles ont prise à vos prospérités.

Je viens d'apprendre que cette belle maison de l'évêché d'Evreux n'est qu'à dix lieues de Saint-Germain ; elle s'appelle Condé31, nom peu barbare; mais je suis bien affligée de ce que le vieux évêque en fit couper ", il y a deux ans, les plus belles allées d'un parc qui faisoit l'admiration de tout le pays : il n'y a point de plaisir pur. Le bon abbé est ravi de cette maison de campagne auprès de Saint-Germain, et dit que la Providence vous redonne un Livry.

784. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, vendredi 23e février.

EN vérité, ma fille, voici une assez jolie petite semaine pour les Grignans. Si la Providence vouloit favoriser l'aîné à proportion, nous le verrions dans une belle place; en attendant, je trouve qu'il est fort agréable d'avoir des frères si bien traités. A peine le chevalier a-t-il remercié

29. Cet alinéa n'est que dan3 l'impression de 1754.

3o. Descartes.

3i. Près de Breteuil, à cinq lieues d'Evreux, sur les bords de la rivière d'Iton. Mais pour la distance de Condé à Saint-Germain, Mme de Sévigné se trompe : voyez la lettre du 6 mais suivant, p. 29H.

3a. « Y fît couper. » (Édition de 1754-)

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de ses mille écus de pension, qu'on le choisit entre huit ou dix hommes de qualité et de mérite, pour l'attacher à Monsieur le Dauphin avec une pension de deux mille écus : voilà neuf mille livres de rente en trois jours. Il retourna1 sur ses pas à Saint-Germain, pour remercier encore ; car ce fut en son absence, et pendant qu'il étoit ici, qu'il fut nommé. Son mérite particulier a beaucoup servi à ce choix : une réputation distinguée, de l'honneur, de la probité, de bonnes mœurs, tout cela s'est fort réveillé, et l'on a trouvé que Sa Majesté ne pouvoit mieux faire que de jeter les yeux sur un si bon sujet. Il n'y en a encore que huit de nommés 2 : Dangeau, d'Antin, Clermont, Sainte-Maure3, Matignon4, Chiverni, Florensac -et Grignan. C'est une approbation générale pour ce dernier.

LETTRE 784 (revue en partie sur une ancienne copie). — 1. Cette phrase n'est que dans l'édition de 1754.

2. Le nombre en fut réduit à six, savoir : MM. de Dangeau, d'Antin, de Sainte-Maure, de Chiverni, de Florensac et de Grignan.

(Note de Perrin, iy3y.) — Sur les huit noms que nous lisons dans la lettre, la Gazette du 24 février n'en omet qu'un : celui du marquis d'Antin, qui ne fut nommé qu'en décembre i685 : voyez la lettre du 19 décembre de cette année, et le Joumal de Dangeau, tome I, p. 266.

3. Honoré de Sainte-Maure, dit le comte de Sainte-Maure, second fils de Claude de Sainte-Maure, seigneur de Fougerai, menin du Dauphin, puis premier écuyer de la grande écurie du Roi, mort en 1731, à l'âge de soixante-dix-neuf ans. Il était cousin de Montausier. SaintSimon (tome IX, p. 279) dit qu'il « n'étoit bon qu'à iouer. »

4. Jacques de Goyon, sire de Matignon, cinquième fils de François de Matignon, comte de Thorigny. Il fut chevalier de Malte en I65I, et connu dès lors sous le titre de chevalier de Matignon; depuis, guidon des gendarmes écossais et mestre de camp du régiment du Roi, chevalier de l'ordre en 1688, lieutenant général en 1693; il mourut à Paris le 14 janvier 1725. Il avait épousé sa nièce, fille et héritière de son frère aîné, morte le .4 avril 1721. Son fils épousa l'héritière de la principauté de Monaco. Voyez tome II, p. 163, note 1.

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J'en fais mes compliments à M. de Grignan, à Monsieur le Coadjuteur et à vous5.

Mon fils part demain : il a lu vos reproches. Peut-être que la beauté de la cour, qu'il veut quitter, et où il est si joliment placé, le fera changer d'avis. Nous avons déjà obtenu qu'il ne s'impatientera pas, et qu'il attendra paisiblement qu'on le vienne tenter par une plus grosse somme que celle qu'il a déboursée. Vous m'avez fait sentir la joie de MM. de Grignan par celle que j'ai de vous savoir mieux : dès que vos maux ne sont pas continuels, j'espère qu'en vous conservant, en prenant du lait, et en n'écrivant point, vous me ferez retrouver ma fille et son aimable visage. Je suis ravie de la sincérité de Montgobert; si elle me diso-it toujours des merveilles de votre santé, je ne la croirois jamais ; elle ménage fort bien tout cela, et ses vérités me font plaisir : tant il est naturel d'aimer à n'être point trompée! Dieu vous conserve donc, ma très-chère, dans ce bienheureux état, puisqu'il nous donne de si bonnes espérances !

Mais parlons un peu des Grignans, il y a longtemps que nous n'en avons rien dit. Il n'est question que d'eux; tout est plein de compliments dans cette maison; à peine a-t-on fini l'un qu'on recommence l'autre. Je ne les ai point revus depuis que le chevalier est dame du palais6, comme dit M. de la Rochefoucauld. Il vous mandera toutes les nouvelles mieux que je ne puis faire. On ne croit pas que Mme de Soubise soit du voyage : cela est un peu long.

Je ne vous parlerai que de Mme Voisin 7 : ce ne fut

5. Cette dernière phrase et les deux alinéas suivants se trouvent seulement dans l'édition de 1754

6. Voyez la lettre Plécédente, p. 272.

7. Le texte de 1737 reprend ici : cc Au reste, ce ne fut point mercredi, comme je vous l'a vois mandé, que la Voisin fut brillée. a Dans

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point mercredi, comme je vous l'avois mandé, qu'elle fut brûlée, ce ne fut qu'hier. Elle savoit son arrêt dès lundi, chose fort extraordinaire. Le soir elle dit à ses gardes : « Quoi? nous ne ferons point médianoche8 ! » Elle mangea avec eux à minuit, par fantaisie, car il n'étoit point jour maigre ; elle but beaucoup de vin, elle chanta vingt chansons à boire. Le mardi elle eut la question ordinaire, extraordinaire g; elle avoit dîné et dormi huit heures; elle fut confrontée à Mmes de Dreux, le Féron 41, et plusieurs autres, sur le matelas : on ne dit pas encore ce qu'elle a dit42 *, on croit toujours qu'on verra des choses

l'impression de 1754 : « Je ne vous parlerai que de la Voisin : ce ne fut point, etc. »

8. Dans les impressions de la Haye et de Rouen (1726) : media noche, en deux mots; dans celle de 1737 : mezza notte.

9. « Et extraordinaire. » (Éditions de la Haye 1et de Rouen, 1726.)

10. « A MM. » (Edition de la Haye, 1726.) - « AM.» (Édition de Rouen, 1726.) — a Sur le matelas avec Mmes de D** et le F**. »

(Édition de 1737.) - « Sur le matelas à Mmes de Dreux et le Féron.» (Édition de 1754.) -Catherine-Françoise Saintot, femme de Philippe de Dreux, sieur de la Judaière, maître des requêtes en 1669, fut accusée d'avoir offert six mille francs à la Voisin, et de lui avoir donné une croix de diamants, pour se défaire de son mari et d'une femme qui était sur le point d'épouser un homme qu'elle aimait.

(Confrontation du 28 février 1680.) Elle fut bannie à perpétuité du royaume, avec injonction de garder son han à peine de la vie, et ses biens confisqués au Roi, par arrêt de la chambre de l'Arsenal du 22 janvier 1682. — Le marquis de Trichâteau écrit à Bussy, le 19 avril 1679, à propos de l'arrestation de la présidente le Féron et de Mme de Dreux : a La dernière est, au poison près, fort de mes amies et une des plus jolies femmes de France. » Voyez la lettre du Ier mai suivant.

II. Marguerite Gallard, veuve du président le Féron, était accusée d'avoir empoisonné son mari. On lit dans la confrontation du 28 février qu'elle avait fait prendre au président pour cent pistoles de poudre de diamant. (Note de l'édition de 1818.)

12. a On ne parle point encore de ce qu'elle a dit. » (Édition de 1754.)

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étranges 13. Elle soupa le soir, et recommença, toute brisée qu'elle étoit, à taire la débauche avec scandale : on lui en fit honte ", et on lui dit qu'elle feroit bien mieux de penser à Dieu, et de chanter un Ave maris stella, ou un Salve, que toutes ses chansons 16 : elle chanta l'un et l'autre en ridicule, elle mangea le soir et dormit". Le mercredi se passa de même en confrontations, et débauches, et chansons : elle ne voulut point voir de confesseur. Enfin le jeudi, qui étoit hier, on ne voulut lui donner qu'un bouillon : elle en gronda, craignant de n'avoir pas la force de parler à ces Messieurs. Elle vint en carrosse de Vincennes à Paris; elle étouffa17 un peu, et fut embarrassée ; on la voulut faire confesser, point de nouvelles. A cinq heures on la lia; et avec une torche à la main, elle parut dans le tombereau, habillée de blanc : c'est une sorte d'habit pour être brûlée ; elle étoit fort rouge, et l'on

i3. Il semble que ces misérables aient cherché à se venger sur le genre humain de ce que la justice venait mettre un terme à leurs crimes. L'éditeur garderait le silence sur la plus étrange de leurs dénonciations, si la pièce originale n'était pas à la bibliothèque de l'Arsenal, pour justifier ce qu'il avance. La Voisin alla jusqu'à accuser Racine d'empoisonnement. Voici les termes dont elle se sert dans son interrogatoire, subi sur la sellette, le 17 février 1680. Elle déclare « qu'elle a connu la demoiselle du Parc comédienne, et l'a fréquentée pendant quatorze ans ; que sa belle-mère, nommée de Gordo, lui avoit dit que c'étoit Racine qui l'avoit empoisonnée. » Mlle du Parc était une fort bonne actrice de la troupe de Molière, à laquelle Racine confia, en 1667, le rôle d'Andromaque, où elle développa beaucoup de talent. Elle mourut le 11 décembre 1668. Voyez l'Histoire du Théâtre françois, par les frères Parfait, tome X, p. 370. (Note de l'édition de 1818.)

14. « On lui fit honte. » (Édition de Rouen, 1726.)

15. Notre manuscrit donne ses chansons. Tous les textes imprimés portent ces chansons. — Le peuple chantait le Salve aux exécutions : voyez tome V, p. 141, note 9. - -

16. m en ridicule; elle dormit ensuite. D (Édition de 1754.)

17. a Elle s'étonna. » (Éditions de la Haye et de Rouen, 1726.)

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voyoit qu'elle repoussoit le confesseur et le crucifix avec violence. Nous la vîmes passer à l'hôtel de Sully18, Mme de Chaulnes et Mme de Sully, la ComtesseU, et bien d'autres. A Notre-Dame, elle ne voulut jamais prononcer l'amende honorable, et à la Grève elle se défendit, autant qu'elle put, de sortir du tombereau : on l'en tira de force, on la mit sur le bûcher, assise et liée avec du fer; on la couvrit de paille ; elle jura beaucoup ; elle repoussa la paille cinq ou six fois ; mais enfin le feu s'augmenta, et on l'a perdue de vue 20, et ses cendres sont en l'air présentement. Voilà la mort de Mme Voisin, célèbre par ses crimes et par son impiété. On croit qu'il y aura de grandes suites qui nous surprendront21. Un juge, à qui mon fils disoit l'autre jour que c'étoit une étrange chose que de la faire brûler à petit feu, lui dit : « Ah ! Monsieur ! il y a certains petits adoucissements à cause de la foiblesse du sexe. — Eh quoi ! Monsieur, on les étrangle? — Non, mais on leur jette des bûches sur la tête ; les garçons du

18. Cet hôtel est situé dans la rue Saint-Antoine; le jardin se prolonge jusqu'aux arcades de la place Royale. « Gallet, dit M. P. Paris (tome VII de Tallemant des Réaux, p. 405), en 1624, acheta deux maisons, rue Saint-Antoine, pour y construire un hôtel qu'il n'acheva pas ; sa fortune s'étant évanouie, l'hôtel fut vendu en 1627 à Jean Habert, sieur du Mesnil, qui le céda en 1628 à M. Rolland de Neufbourg. La veuve de M. de Neufbourg et son beau-frère, M. du Vigean, l'achevèrent vers i63o, et le vendirent en 1634 au duc de Sully. Il appartenait en 1654 à M. Jacques Turgot de Saint-Clair, qui avait inutilement essayé de lui donner son nom. Il y mourut le 23 mai 1659. »

19. La comtesse de Fiesque.

20. « Et on la perdit de vue. 1 (Éditions de Rouen, 1726, de 1737 et de 1754.) — « Mais enfin le feu s'augmentant, elle fut perdue de vue. » (Édition de la Haye, 1726.)

21. Cette phrase, qui termine la lettre dans notre manuscrit et dans les impressions de 1726, manque dans les deux éditions de Perrin. Tout ce qui suit ne se trouve que dans l'impression de 1754, sauf le dernier alinéa, qui est aussi dans celle de 1737.

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bourreau leur arrachent la tête avec des crocs de fer. »

Vous voyez bien, ma fille, que cela n'est pas si terrible que l'on pense : comment vous portez-vous de ce petit conte? Il m'a fait grincer les dents. Une de ces misérables, qui fut pendue l'autre jour, avoit demandé la vie à M. de Louvois, et qu'en ce cas elle diroit des choses étranges; elle fut refusée. « Eh bien ! dit-elle, soyez persuadé que nulle douleur ne me fera dire une seule parole. » On lui donna la question ordinaire, extraordinaire, et si extraordinairement extraordinaire, qu'elle pensa y mourir, comme une autre qui expira, le médecin lui tenant le pouls, cela soit dit en passant. Cette femme donc souffrit tout l'excès de ce martyre sans parler. On la mène à la Grève ; avant que d'être jetée, elle dit qu'elle vouloit parler; elle se présente héroïquement: « Messieurs, ditelle, assurez M. de Louvois que je suis sa servante, et que je lui ai tenu ma parole ; allons, qu'on achève. » Elle fut expédiée à l'instant. Que dites-vous de cette sorte de courage ? Je sais encore mille petits contes agréables comme celui-là ; mais le moyen de tout dire ?

Voilà ce qui forme nos douces conversations, pendant que vous vous réjouissez, que vous êtes au bal, que vous donnez de grands soupers22. J'ai bien envie de savoir le détail de toutes vos fêtes ; vous ne ferez autre chose tous ces jours gras, et vous avez beau vous dépêcher de vous divertir, vous n'en trouverez pas sitôt la fin : nous avons le carême bien haut23.

22. « Pendant que nous sommes parmi ces horreurs, vous êtes au bal, ma fille, vous donnez de grands soupers. » (Édition de 1737.)

a3. Pâques tombait au 21 avril.

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785. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, mercredi 28e février.

N'AI-JE pas raison de dire, ma fille, que tout ce qui est arrivé aux Grignans en quatre jours vous rapproche de ce pays ? Il est impossible qu'ayant si bien fait pour les cadets, on ne fasse pour l'aîné i. Je crois que le temps en viendra; il ne l'étoit pas encore l'année passée2; les bienfaits n'étoient pas ouverts comme ils le sont présentement8. On craignoit les conséquences ; cela est changé ; il y a des choses qui ne sont pas mûres. Voici qui fait mûrir les sentiments qu'on a eus autrefois pour l'atné : les grâces qu'on vient de faire répondent de celles qu'on espère. M. de la Rochefoucauld le croit ainsi. M. de Marsillac écrit follement à M. de Grignan sur ces trois choses : s'il se moque dans ces petites lettres, il ne s'est pas moqué quand 4 il a parlé et remercié le Roi pour eux.

Jamais rien n'a été ni plus sérieux, ni d'un meilleur ton, ni plus obligeant. Le Roi étoit content de la joie qu'il voyoit dans tous ceux qui y prirent intérêt, et dit en riant à M. de Marsillac : « Vous ne direz pas qu'on oublie vos amis. » Il dit encore des biens inconcevables 2m chevalier, et de sa naissance, et de son mérite à la guerre, et des actions particulières distinguées qu'il avoit faites,

Lettre 785 (revue en très-grande partie sur une ancienne copie).

— 1. « On ne fasse aussi pour l'aîné. » (Édition de 1787.)

2. œ II n'étoit pas encore venu l'année passée. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

3. Tout le reste de l'alinéa se trouve seulement dans notre manuscrit.

4. Dans le manuscrit il y a une répétition insignifiante, due à l'inadvertance du copiste : « s'il se moque dans ces petites lettres, il ne s'est pas moqué dans ces petites lettres, il ne s'est pas moqué quand, etc. »

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• de sa sagesse. Cela fut charmant, et l'on doit être comblé; mais croyez-moi que les temps changent. M. de Grignan a de grands et considérables services; voici l'époque qui doit faire changer la manière de les faire considérer. Il y a douze jours qu'ils étoient tous deux bien loin de rien espérer : voyez ce qui leur est venu, quel évêché! et neuf mille livres de rente à Joseph6.

J'ai à vous reprendre une fausse nouvelle, que Mme de Coulanges croyoit vraie : c'est la séparation de Mme de Maintenon d'avec les autres, pour aller au-devant8 ; quelle folie ! cela n'est point vrai, et on le disoit pourtant en des lieux très-bons7. Je vous retire encore les vacances de la chambre de l'Arsenal 8; ils se sont remis à travailler au bout de quatre jours : cela me désespère, de vous tromper, et de vous faire raisonner à faux.

M. de la Rochefoucauld nous conta hier qu'à Bruxelles la comtesse de Soissons avoit été contrainte de sortir doucement de l'église, et que l'on avoit fait une danse de chats liés ensemble, ou pour mieux dire, une criaillerie et un sabbat si épouvantable par malice9, qu'ayant cru en même temps que c'étoient des diables et des sorciers qui la suivoient, elle avoit été obligée, comme je vous dis, de quitter la place, pour laisser passer cette folie, qui ne vient pas d'une trop bonne disposition des peuples. On ne dit rien de M. de Luxembourg. Cette Voisin ne nous a rien produit de nouveau : elle a donné gentiment son

5. Six mille livres comme menin du Dauphin (voyez la Gazette du 24 février, où il est dit : « deux mille écus »), et trois mille livres de pension sur l'évéché de son frère.

6. Voyez la lettre du 14 février précédent, p. 263.

7. « En de très-bons lieux. » (Édition de 1754 )

8. Voyez ci-dessus, p. 247.

9. <1 Une criaillerie par malice, et un sabbat si épouvantable. »

(Édition de 1754.) — Immédiatement après, les deux éditions de Perrin portent crié, au lieu de cru.

x 6 8 o

âme au diable tout au beau milieu du feu ; elle n'a fait que de passer10 de l'un à l'autre.

Mais parlons du voyage : l'abbé de Lannion11, qui est revenu de Bavière, dit que Madame la Dauphine est tout à fait aimable, que son esprit la pare, qu'elle est virtuose (elle sait trois ou quatre langues), et qu'elle est bien mieux que le portrait que de Troy a envoyé. Sa Majesté partit lundi avec toute la cour12, pour nous aller querir cette princesse. Il se trouva dans la cour de SaintGermain, le matin13, un très-beau carrosse tout neuf à huit chevaux, avec des chiffres, plusieurs chariots et fourgons, quatorze mulets, beaucoup de gens autour habillés de gris ; et dans le fond de ce carrosse monta la plus belle personne de la cour14, avec des Adrets seulement, et des carrosses de suite pour leurs femmes. Il y

io. « Que passer. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

11. Frère puîné de ce comte de Lannion dont il a été question au tome II, p. 338, note 2. — Notre manuscrit porte la Guiere, erreur de copie, d'où l'on peut conclure que Mme de Sévigné avait écrit Lagnion. Deux lignes plus bas, le manuscrit donne vertueuse, au lieu de virtuose.

12. Dans les deux éditions de Perrin, il y a simplement : « partit lundi. s — D'après la Gazette du 2 mars, ce n'est pas le lundi, qui était le 26, mais le jeudi 22, que le Roi était parti de Saint-Germain.

Il était dans un même carrosse avec la Reine, le Dauphin, Mme de Guise et la duchesse de Créquy, dame d'honneur de la Reine. Ils dînèrent au Bourget, allèrent coucher à Dammartin chez le duc de Gêvres, arrivèrent le 27 à Villers-Cotterets, d'où ils repartirent le 2 mars. Le 5 ils arrivèrent à Châlons ; le Roi en partit le lendemain avec le Dauphin, et alla au-devant de la Dauphine jusqu'à deux lieues au delà de Vitry-le-Francois.

i3. Ces mots : le matin, ne sont pas dans le texte de 1737; dans celui de 1754, ils viennent après il se trouva.

14. Mlle de Fontanges. (Note de Perrin.) -

15. «Avec Mlle Desadrets, n (Édition de 1737.) — C'était une fille d'honneur de Madame. Son frère, le chevalier des Adrets, était capitaine de vaisseau, et fut tué au siège de Roses en 1693.

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a apparence que les soirs on ira voir cette personne; et voilà un changement de théâtre : l'eussiez-vous cru, le jour que nous étions chez cette Flamarens 18 ?

Mme de Villars mande mille choses agréables à Mme de Coulanges 17 : c'est chez elle qu'on vient apprendre les nouvelles18. Ce sont des relations qui font la joie de beaucoup de personnes : M. de la Rochefoucauld en est curieux; Mme de Vins et moi en attrapons19 ce que nous pouvons. Nous comprenons les raisons qui font que tout est réduit au bureau d'adresse 20 ; mais cela est mêlé de tant d'amitié et de tendresse21, qu'il semble que son tempérament soit changé en Espagne, et qu'elle ait même oublié de souhaiter qu'on nous en fasse part.

Cette reine d'Espagne est belle et grasse, le Roi amoureux et jaloux, sans savoir de quoi ni de qui. Les combats des taureaux 22 affreux, deux grands pensèrent y périr, leurs

16. « Le soir que nous étions chez Mme de Flamarens. m (Éditions de 1737 et de 1754.) — Voyez tome V, p. 3io, note 6.

17. Mme de Sévigné écrivait en Espagne à Mme de Villars, car celle-ci mandait, le 6 mars, à Mme de Coulanges : œ J'ai reçu par cet ordinaire une lettre de Mme de Sévigné. Je ne saurois lui faire réponse aujourd'hui, quelque envie que j'en aie. J'ai fait lire à la Reine l'endroit où Mme de Sévigné parle d'elle et de ses jolis pieds, qui la faisoient si bien danser et marcher de si bonne grâce. Cela lui a fait beaucoup de plaisir. Ensuite elle a pensé que ses jolis pieds, pour toute fonction, ne vont présentement qu'à faire quelques tours de chambre, et, à huit heures et demie, tous les soirs, à la conduire dans son lit. La Reine me demande fort des nouvelles de Mme de Grignan, et si elle ne reviendroit point cet hiver à Paris. » (Note de l'édition de 1818.)

18. « Chez qui on vient apprendre les nouvelles. s (Édition de 17540 — Voyez la lettre du 8 novembre 1679, p. 80.

ig. c Nous en attrapons. » (Editions de 1737 et de 1754.)

20. et A ce bureau d'adresse, a (Ibidem.)

21. Ce membre de phrase est sauté dans notre manuscrit.

22. a De taureaux. » (Éditions de 1737 et de 1754.) — Voyez la Gazette du 2 mars, p. io5 et 106.

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chevaux tués sous eux; très-souvent la scène est ensan- glantée : voilà les divertissements d'un royaume chrétien; les nôtres sont bien opposés à cette destruction, et bien plus aisés à comprendre.

Vous êtes trop aimable de penser à Corbinelli; il a triomphé dans cette occasion, et a redoublé sa dévotion à la Providence. Je ne connois personne dont les vues et les connoissances soient plus chrétiennes que les siennes ; il a été fort touché de ce tourbillon de bonheur dans votre famille" ; il a quelquefois tant d'esprit, que je voudrois que vous l'eussiez pour vous divertir. Il a mis tous ses intérêts entre les mains du lieutenant civil, qui, à ce que je crois, lui donnera une sentence arbitrale dans peu de jours; il a étudié le droit, il juge tous les procès sans que personne l'en prieu. Je n'ai pas voulu qu'il ait été à des assemblées de beaux esprits, parce que je sais qu'il y a des barbets -qui rapportent à merveilles ce qu'on dit à l'honneur de votre père Descartes. Nous apprenons, à votre exemple, à ne point soutenir les mauvais partis, et à laisser généreusement accabler nos anciens amis : voici le pays de la politique, aussi bien que le pays des objets; il est vrai que les idées n'y font pas un grand séjour. Vous dites fort bien, en vérité : il n'y a que moi qui passe sa vie à être occupée et de la présence et du souvenir de la personne aimée.

Vous me dites sur les échecs, ma fille, ce que j'ai souvent pensé ; je ne trouve rien qui rabaisse tant l'orgueil : ce jeu fait sentir la misère et les bornes de l'esprit; je crois qu'il seroit fort utile à quelqu'un qui aimeroit ces

a3. a Dans la maison de Grignan. j (Édition de 1754.)

24. Cette phrase a été ainsi abrégée dans l'impression de 1737 : c Il a une grande affaire pour laquelle il a étudié le droit, et depuis il juge tous les procès sans que personne l'en prie. »

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réflexions. Mais aussi 25 cette prévoyance, cette pénétration, cette prudence, cette justesse à se défendre, cette habileté pour attaquer, le bon succès de la bonne conduite 26, tout cela charme et donne une satisfaction intérieure qui pouiToit bien nourrir l'orgueil. A le regarder de ce côté-là, je n'en suis pas encore bien guérie, et je veux être encore un peu plus persuadée de mon imbécillité 27.

Nous sommes présentement occupés du voyage du Roi : nous ne songions28 pas à M. de Luxembourg quatre jours après; le tourbillon nous emporte, nous n'avons pas le loisir de nous arrêter si longtemps sur une même chose : nous sommes surchargés d'affaires. Le Roi a reçu plusieurs lettres de ces dames, qui l'assurent que Madame la Dauphine est bien plus aimable que l'on ne l'avoit dit: elles en sont contentes au dernier point; elle est fille et petite-fille de deux princesses 29 fort caressantes; je ne sais si c'est l'air d'ici 30, nous verrons. Mme de Soubise n'est point allée au voyageai. Les députés de Strasbourg

25. « Mais d'un autre côté. » (Édition de 1754.)

26. ff De sa bonne conduite. » (ibidem.)

27. Cette phrase est ainsi abrégée dans le texte de 1754 : « Je n'en suis donc pas encore bien guérie, et je veux être un peu plus persuadée de mon imbécillité. D

28. Le manuscrit a songeons, au lieu de songions.

29. La princesse de Bavière était fille d'Adélaïde-Henriette de Savoie, électrice de Bavière, dont la mère était Christine de France, fille de Henri IV et de Marie de Médicis, l'une des plus grandes princesses qui aient régné sur la Savoie. Voyez les Mémoires historiques de la maison de Savoie, du marquis Costa de Beauregard, tome H, p. 178 et suivantes. (Note de Sédition de 1818.)

3o. « Si c'est bien l'air d'ici. » (Éditions de 1737 et de 1754O

3i. Cette phrase est seulement dans notre manuscrit. La suivante est donnée ainsi dans les deux éditions de Perrin (1737 et 1754) : c Cette princesse d'Allemagne reçut en passant le compliment des députés de Strasbourg. Elle leur dit : « je n'entends plus

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vinrent faire compliment en passant à cette princesse d'Allemagne. Elle leur dit : « Messieurs, parlez-moi françois, je n'entends pas l'allemand. » Elle n'a point regretté son pays, elle est toute Françoise. Elle a écrit à Monsieur le Dauphin des nuances de style, selon qu'elle a été près d'être sa femme, qui ont marqué bien de l'esprit 82 : c'est à Monseigneur à mettre la dernière couleur, et à ne la point faire souvenir du pays "3 qu'elle quitte avec tant de joie. Mme de Maintenon mande au Roi que parmi cette envie de dire toujours tout ce qui peut plaire, il y a bien de l'esprit et de la dignité, que sa personne est aimable, sa taille parfaite, sa gorge, ses bras et ses mains34. Toute la cour est allée querir cette personne"

Adieu, ma très-chère : il ne faut pas vous épuiser en lecture, non plus qu'en écriture; je souhaite que votre rhume ait passé légèrement par-dessus votre délicatesse.

J'embrasse le joli marquis ; je trouve que vous jugez fort bien de sa petite conduite : être hardi quand il le faut, et remplir tout ce qu'on attend dans les occasions où l'on est compté pour tenir une place, voilà ce qui fait les grands mérites à la guerre et ailleurs. Je vous assure que ce petit homme fera une figure considérable: il me semble que je le vois dans l'avenir.

œ l'allemand. » — La Dauphine était arrivée à Strasbourg le 21 février, et repartie le lendemain : voyez la Gazette du 9 mars, p. 117 et 118. -

32. Bussy a conservé une de ces lettres de la Dauphine. Voyez sa Correspondance, tome V, p. 48.

33. « Et à lui faire oublier le pays. » (Édition de 1754.)

34. Dans les deux éditions de Perrin, il y a simplement : « Mme de Maintenon mande au Roi que sa personne est aimable. et que parmi cette envie de dire toujours ce qui peut plaire, il y a bien de l'esprit et de la dignité (i737 : beaucoup d'esprit et de dignité). »

35. Cette petite phrase ne se lit pas ailleurs que dans notre manuscrit.

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M. et Mme de Pompone, et Mme de Vins, partirent hier pour Pompone jusqu'au retour de la cour. Ils me chargèrent de mille et mille compliments pour vous, et Mme de Vins avec beaucoup de tendresse 36. Elle me -parut aise d'aller avec eux passer ainsi le carnaval ; ils en avoient été prendre le congé87 à Saint-Germain. Le Roi fit fort bien à M. de Pompone, et lui parla comme à l'ordinaire ; mais d'être dans la foule, après avoir vu tomber les portes devant lui, c'est une chose qui le pénètre toujours. Ces devoirs-là, à quoi pourtant il ne veut pas manquer dans les occasions, lui font une peine incroyable. Ils reprendront des forces tous ensemble à la campagne : le temps ne guérit pas ces sortes de maux; mais le courage les soutiendra38. Ils sont parfaitement contents et de vous et de moi.

Au reste, ces allées coupées à Condé, dont j'étois affligée, n'ont fait que les plus belles routes du monde : c'est une des plus agréables maisons qu'il y ait en France"

786. - DE MADAME DE' SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, vendredi ier mars.

JE veux vous parler de l'opéra t: je ne l'ai point vu, je

36. Cette phrase ne se lit non plus que dans notre manuscrit.

37. « Ils avoient été prendre congé. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

38. Les deux derniers membres de phrase ne sont pas dans le texte de 1737.

3g. Voyez la fin de la lettre du 21 février précédent, p. 274.

LETTRE 786. — 1. L'opéra de Proserpine: voyez plus haut, p. 255, note 4.

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ne suis point curieuse de me divertir; mais on dit qu'il est parfaitement beau : bien des gens ont pensé à vous et à moi ; je ne vous l'ai point dit, parce qu'on me faisoit2 Cérès, et vous Proserpine; tout aussitôt voilà M. de Grignan Pluton; et j'ai eu peur qu'il ne me fît répondre vingt mille fois par son chœur de musique : Une mère Vaut-elle un époux'?

C'est cela que j'ai voulu éviter ; car pour le vers qui est devant celui-là, Pluton aime mieux que Cérès, je n'en eusse point été embarrassée. Tant y a, ma trèschère, je suis fort persuadée que nous nous retrouverons4, et je ne vis que pour cela. Vos champs élysiens sont bien réjouissants : vous sentez le carnaval dans toute son étendue; il est tout défiguré ici. La cour tout entière est en chemin ; bien des gens sont allés à la campagne ; nous avions résolu d'y aller aussi, dans l'espérance que le soleil seroit fidèle au Roi ; mais le temps vient de changer d'une si terrible manière6 , que je ne sais plus ce qui arrivera de nous. On mande qu'on s'est fort diverti à Villers-Cotterets'. Je ne vois pas que les visites à ce carrosse gris' aient été publiques; la passion n'en est pas moins grande. Il y a eu dix mille louis d'envoyés" et

a. « Parce qu'en me faisant. » (Édition de 1754.)

3. Ce sont deux vers de la scène y du IVe acte.

4. Dans l'opéra de Proserpine, Cérès revoit sa fille au dénoûment.

5. a D'une si étrange manière. » (Édition de 1754.)

6. Voyez la note 12 de la lettre précédente, p. 283. — Le 28 février, le Roi alla courre le cerf, et la Reine visita la Chartreuse de Bourg-Fontaine; le soir, il y eut bal. Voyez la Gazette du 2 mars.

7. De Mlle de Fontanges. Voyez la lettre précédente, p. 283.

8. cr On reçut, en montant dans ce carrosse, dix mille louis. »

(Édition de 1754.)

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un service de campagne de vermeil doré : la libéralité est excessive, et on répand comme on reçoit'. Vous saurez plus de nouvelles de la cour que personne : vous y avez présentement un résident qui doit vous informer de tout.

Mon fils est à sa charge ; car ce n'est pas à la cour. Nous ménagerons ses intérêts du mieux que nous pourrons, parce que ce sont les miens. Pour lui, dans l'humeur où il est, n'être plus attaché comme le loup 10 est tout ce qu'il desire, et trois mille louis d'or dans sa cassette fe-

roient son entière satisfaction; mais je n'irai pas si vite : j'ai bien voulu m'embarquer et me presser les côtes pour faire sa fortune, et je ne le veux pas pour l'envoyer à Quimper. Je songe à mes affaires, et je crois que c'est le temps où je le puis faire honnêtement.

L'autre jour, en entrant dans un bal, un gentilhomme breton fut poignardé par deux hommes habillés en femmes : l'un le tenoit, l'autre lui perçoit le cœur à loisir.

Le petit d'Harouys" y étoit ; il fut effrayé de voir cet homme, qu'il connoissoit fort, tout étendu, tout chaud, tout sanglant, tout habillé, tout mort ; il m'en frappa l'imagination. Le fils de Mme de Valençai 12, si malhon-

9. La fin de l'alinéa, à partir d'ici, manque dans le texte de 1787.

10. Voyez la fable de la Fontaine intitulée le Loup et le Cltien, livre I, fable v.

II. Ce petit d'Harouys est probablement celui qui portait le nom de la Seilleraye, le fils du trésorier de Bretagne : voyez la lettre du 27 mai suivant, et la note 28 de la lettre du 27 décembre 1679, p. 158. - -

12. Henri-Dominique d'Estampes, marquis de Valençzy, frère des petites Valençay (voyez tome II, p. 68, note 8), enseigne des gendarmes, avait épousé, en 1671, sa cousine Anne-Elisabeth d'Estampes Valençay, fille de Jean d'Estampes, conseiller d'État. Bussy écrit le 4 mars 1680 à Jeannin de CastilLe : « Valençay, après avoir perdu son procès contre Mme de Busancy, est mort en quatre jours de regret de s'être déshonoré pour rien. Voilà une charge à donner dans les gendarmes du Roi. »

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nête homme, est mort de maladie, comme il les alloit tous plaider; sa mort réjouit tout le monde ; il me semble qu'on n'a point accoutumé de mourir, quand tant de gens le souhaitent. Le grand maître13 se rétablit doucement à Saint-Germain; nos inquiétudes pour son mal ont été selon nos dates : moi beaucoup, Mme de Coulanges un peu plus, et d'autres mille fois davantage. Il est vrai que l'on jouoit si bien, et l'on cachoit cette tristesse si habilement, qu'elle ne paroissoit point du tout; et l'on se livroit, pour mieux tromper, au martyre insupportable d'être à la cour, d'être belle et parée; en un mot, il n'y paroissoit pas, non plus qu'à cette dévotion dont vous parliez un jour si follement à Mlle de Lestrange14 On dit pourtant qu'il y avoit des pleurs nocturnes essuyés par la pauvre K**", qui se cassoit la tête contre les murs, et faisoit très-bien le devoir, tambour battant, d'une véritable amie. Nous y avons été trois fois ; je ne veux point vous cacher deux visites ; il suffit que j'aie perdu la mémoire entière du passéu.

Adieu, ma très-chère : dépêchez de vous divertir; nous n'irons pas si vite, si nous allons à. Livry. Quoi que vous disiez de vos soupers, j'en ai fort bonne opinion, je les connois.

i3. Le duc du Lude.

i4. Voyez tome III, p. 225, note 6.

15. La marquise de Kerman. Voyez tome II, p. 288, note 3.

16. Voyez la Notice, p. 60.

16 8 o

787 - - DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE ET A LA COMTESSE DE GUITAUT.

ALivry, mardi gras1.

NON, assurément, mon très-cher Monsieur, je n'ai point su cette dernière maladie de Madame votre femme.

M. de Caumartin ne me voit point, et ne m'a pas crue digne de me donner part d'une nouvelle où je prends tant d'intérêt. Bon Dieu ! quelle douleur pour vous, et que je l'aurois bien partagée ! comme je fais le soupir que je crois vous entendre faire ! Après qu'on a eu le cœur bien serré, quand il commence à se dilater et à se trouver à son aise, cet état est bien doux après celui où vous avez été. En vérité, j'entre bien tendrement dans ces différents sentiments. Mais voilà la seconde maladie mortelle depuis très-peu de mois. Le bon Dieu veut éprouver votre soumission en vous donnant toute l'horreur d'une telle perte, et puis il retient son bras. Je vous conjure de croire bien fortement que je vous aurois écrit, que j'aurois fait bien des pas pour m'instruire à point nommé des nouvelles qu'on recevoit de vous. On m'a laissée2 dans une belle ignorance. J'étois tout étonnée de n'avoir point de vos nouvelles et que vous ne m'eussiez rien dit sur ces Grignans, que voilà bien3 placés. Je voudrois bien que l'aîné eût un peu son tour. Ma fille est à Aix; elle se porte mieux ; elle a trouvé un médecin à qui elle se fie et qui la gouverne; elle souffre toute la rigueur du carnaval.

Vous savez comme elle est sur ces divertissements, qu'il faut prendre par commandement; elle y fait une hor-

LETTRE 787 (revue sur l'autographe). — I. Le mardi gras, en 1680, tombait au 5 mars.

2. L'autographe porte laissé, sans accord.

3. Devant bien, il y a si, effacé.

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rible dépense elle se repose assez souvent pour son ar- gent, pendant que l'on danse, que l'on joue et que l'on veille. Pour moi, je suis venue ici passer solitairement les jours gras avec deux ou trois personnes. Je me suis-parfaitement bien trouvée de cette fantaisie. Le Roi nous amènera bientôt une daupbine, dont on dit mille biens.

Adieu, Monsieur : hélas ! vous aviez bien mauvaise opinion de mon amitié : de me taire quand j'avois tant à dire ! Je suis affligée qu'on m'ait laissée si négligemment dans cette léthargie.

Madame, je me réjouis du fond de mon cœur de votre résurrection. Mais qu'avez-vous à mourir si souvent, et donner de si terribles craintes à ce pauvre homme et à tous vos amis ? Je n'aurois pas été des moins4 effrayées si j'avois connu votre terrible état: n'y retombez plus, je vous prie, pour notre repos.

788. DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME ET A MONSIEUR DE GRIGNAN.

A Livry, mercredi des cendres1.

Nous avons passé ici les jours gras, ma bonne, et le soleil qu'il fit samedi nous détermina à prendre ce parti2 ;

4. C'est au mot moins que se termine l'autographe. Ce qui suit se trouvait sans doute sur un dernier feuillet aujourd'hui perdu, mais qui devait être encore à Époisse en 1814, date de l'édition de Klostermann, d'où nous tirons cette fin.

LETTRE 788 (revue en partie sur une ancienne copie). - I. Les deux éditions de Perrin (1737 et 1754) ajoutent : 6e mars ; à la première ligne de la lettre, elles donnent : « les trois jours gras. »

2. « Nous y détermina. » (Édition de 1754.)

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il m'a semblé que vous auriez aimé cette équipée; elle m'a paru du même bon goût qui vous fait assortir vos habits et vos rubans; vous corrigez toujours l'incarnat avec quelque couleur brune : nous avons tempéré le brillant de carême-prenant avec la feuille morte de cette forêt. Il y a fait le plus beau du monde8 ; les jardins fort propres, la vue belle, et un bruit des oiseaux qui commencent déjà d'annoncer le printemps, qui nous a paru 4 bien plus joli que les vilains cris des rues de Paris. J'ai bien pensé à vous, mi chère bonne: mon Dieu, que je vous aime ! vous m'êtes, ce me semble, encore plus chère5. Nous sommes ici, le bon abbé de l'abbaye, Monsieur de Rennes, l'abbé du Pile et M. de Coulanges ; je voulois Corbinelli ; il est demeuré à Paris pour être à la noce d'un des fils de M. Mandat6. Il eût fort bien tenu sa place ; mais enfin nous sommes loin de nous ennuyer : beaucoup de promenades, de causeries7* des échecs, un trictrac, des cartes en cas de besoin ; les Petites Lettres de Pascal 4, des comédies, la Princesse de Clèves, que je fais lire à ces prêtres, qui en sont ravis ; une très-bonne

3. « Le plus beau temps du monde. s (Éditions de 1737 et de 1754.)

4. a Cela nous a paru. » (Édition de 1754.)

5. « Encore plus chère que jamais. » (Ibidem.) — La phrase tout entière manque dans le texte de 1737.

6. Le commencement de la phrase n'est pas dans l'édition de la Haye (1726), qui donne simplement : a Corbinelli a été contraint de demeurer à Paris, à son grand regret, pour être à la noce d'un fils de M. de Mandat. » — Alexandre Mandat, maître des comptes, épousa, en mars 1680, Catherine-Antoinette Hérinx, fille de Jean Hérinx et d'Élisabeth-Olivier de Berghuysen. (Note de l'édition de 1818.) Sur son père, voyez ci-dessus, p. 249, note 39.

7. Ces deux mots manquent dans l'impression de la Haye (1726), et causerie est au singulier dans le texte de 1754.

8. Ce passage, depuis : des cartes, n'est pas dans le texte de la Haye (1726).

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chère, et des perdrix et poulardes qui viennent de Bretagne à Monsieur de Rennes9. Le petit Coulanges a le livre de ses chansons : vraiment, c'est la plus plaisante chose du monde; il est gai, il mange, il boit, il chante.

J'ai 10 fait venir ici votre lettre du 24% ma bonne, car tout roule là-dessus; et même avec ces chères et aimables lettres, on n'est pas entièrement sans inquiétude. Nous retournons à Paris souper, et j'y ferai mon paquetH. Ne vous remettez point à m'écrire, ma fille; rien ne vous est si contraire : laissez-moi le plaisir de penser que, ne pouvant vous faire du bien, au moins je ne vous fais point de mal.

Mon Dieu ! que je vous trouve plaisante de ne me point parler du bonheur de vos deux beaux-frères ! mais plutôt que cela est triste de penser qu'il y a dix-sept jours qu'ils sont riches, sans que je puisse encore savoir comme cette pluie vous a paru ! Pour nous, ma fille, nous en avons été ravis, mais nous commençons12 à n'y plus penser : nous y sommes tout accoutumés. Je crois que l'Evreux est allé à son charmant évêché13, car voilà le nom

9. Ce dernier membre de phrase : a et des perdrix, etc., s ne se lit que dans l'édition de la Haye (1726).

10. Cette phrase manque dans le texte de 1787.

II. a Nous retournons ce soir à Paris, où je ferai mon paquet. 5 (Édition de 1764.) — Tout ce qui suit jusqu'à : « Il me pàroît que vous souhaitez, etc. (p. 298), » manque dans l'impression de la Haye (1726.)

12. a Pour nous, qui en avons été ravis, nous commençons, etc. »

(Édition de 1754.)

i3. La Bibliothèque impériale (fonds Gaignères, 493, C, p. 265) possède l'original d'une lettre autographe de l'abbé de Grignan, adressée à Gaignères (voyez le billet du 6 mars 1688), et relative sans aucun doute à ce voyage. Elle est datée, par une autre main que celle du bel abbé, de février 1680, et doit être de la dernière semaine de février. Nous ne l'insérons pas dans le texte même de la Correspondance : le contenu a trop peu d'intérêt; mais nous croyons

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de bel abbé à vendre. Cet évêché vaut vingt-deux mille livres de rente : je ne disois que vingt. Il est vrai que je croyois Condé à dix lieues de Saint-Germain : il en est à quinze ; mais on n'a rien défiguré dans le parc, il est le plus beau du monde : une rivière qui passe au milieu fait des étangs et des beautés admirables ; on y court le cerf; c'étoit autrefois la demeure du cardinal du Perron14

J'espère qu'à la fin des fins vous nous en direz quelque petit mot, et de la place du chevalier, qui trouve au bout de sa fusée neuf mille livres de rente en deux jours : je crois encore que c'est un rêve U

Vous me parlez très-tendrement et très-sagement sur le sujet de mon fils; vous avez raison de croire16 que je lui ai dit tout ce qui se peut dire et penser sur un tel

devoir la mettre ici en note, comme écrite par un membre de la famille, et comme venant confirmer si directement la nouvelle donnée par Mme de Sévigné.

or Je ne sais, Monsieur, sur quoi fondé j'ose vous demander des petits plaisirs ; je soupçonne que c'est sur votre honnêteté naturelle, et dont vous m'avez toujours fait une part si obligeante. Je suis obligé de faire dimanche prochain un voyage à Évreux pour cinq ou six jours, et à la veille de partir, un cheval de selle et deux chevaux de carrosse deviennent boiteux. Quoique jusques ici je n'aie pas trouvé pour de l'argent à remplacer ceux de carrosse, j'espère pourtant d'en trouver à la fin, et qu'il en restera à Paris après tous les relais qu'il faut pour la cour. C'est pourquoi je me retranche à vous en demander un de selle pour un valet, et un carrosse à quatre places sans armes; si cela est praticable et que la prière ne soit point incivile, je vous aurai une extrême obligation de me l'accorder; car dans la nécessité indispensable où je suis de faire ce voyage, je ne suis pas dans un médiocre embarras. Je suis, Monsieur, autant qu'homme de France, votre très-humble et très-obéissant serviteur, m L'abbé DE Grignajï. »

14. Il avoit été évêque d'Évreux avant que d'être archevéque de Sens. (Note de Perrin.) — Dans l'édition de 1754 : « la demeure charmante du cardinal du Perron. »

15. Ce membre de phrase n'est pas dans l'impression de 1737.

16. « D'être persuadée. D (Édition de 1754.)

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sujet17 : j'en ai de bons témoins. Je n'ai pas manqué même d*ll# faire voir le brillant de cette cour; mais c'est cela qui augmente son envie de prendre ce temps pour se défaire. Songez que devant que de me parler, il commença par prier Gourville de lui trouver un marchand, et cacha si infiniment son envie, qu'il lui dit que si on lui proposoit cent mille francs, il vendroit cette charge. Jugez de l'usage que Gourville peut faire d'un tel discours. Mon fils me le vint conter le soir, pêle-mêle avec les nouvelles publiques, comme s'il ne m'eût rien dit. Vous pouvez penser ce que je devins : je fis un cri, et je crus rêver ; je dis enfin ce que je pensois d'une telle conduite sur une chose si importante, et dans laquelle, par bien des raisons, je dois faire le premier personnage. Ce que j'ai pu faire, c'est de rayer ce discours de sur les tablettes de Gourville, et de ménager ce torrent avec mes amies, d'une manière que nous n'y perdions au moins que toutes nos peines passées, et la bonne opinion qu'on avoit de son goût, mais non pas notre pauvre argent. Il a été persuadé qu'il ne se marieroit jamais, qu'il dépenseroit toujours ; il trouve ses terres en mauvais état; je vois des discours de Tonquedecs en mille occasions : ce sont d'autres sortes de sottises que celles qui le rendoient autrefois ici digne des Petites-Maisons. Le bon abbé a prié d'excuser cette dernière année, où par mille affaires et par une maladie à la mort, il a été empêché d'aller en Bretagne. Enfin on a retouché toutes les affaires, et partages et comptes de tutelle, tout cela sans aigreur, mais avec désir de savoir

17. « Touchant ce desir immodéré de vendre sa charge. a (Éditions de 1737 et de 1754.) — Tout ce qui suit cette phrase jusqu'à celle-ci : a Tout ce que je veux sauver (p. 298), » n'est que dans notre manuscrit; les deux éditions de Perrin (1737 et 1754) reprennent ainsi : a Mais enfin je veux songer pour la première fois, etc. »

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le fond de notre conduite, une crainte effroyable d'être ruiné, une haine insoutenable des voyages et des retours de fatigues passées, un désir immodéré de la liberté.

Quelque bonne opinion que j'aie de votre rhétorique, je vous avoue que j'en douterois en cette occasion. Tout ce que je veux sauver de cette déroute, c'est de penser pour la première fois de ma vie à mes propres intérêts; il m'en donne l'exemple : je veux m'ôter sa charge de dessus les épaules, qui ne me pesoit rien quand il l'aimoit, et qui me pèse18 présentement plus de quarante mille écus. Je veux prendre goût à ce soulagement, où je n'eusse jamais pensé sans lui; au contraire, je sentois vivement l'agrément de la place où il se trouve ; mais je change après lui, je veux aimer aussi ma liberté. Nous allons, peut-être, pour la dernière fois, remettre les meilleurs ordres que nous pourrons à nos terrés, manger un peu nos provisions, c'est-à-dire dormir quatre ou cinq mois, et puis chacun prendra son parti.

Je pense", ma chère enfant, au tintamarre où vous avez été ces derniers jours; nous étions dans des occupations bien différentes. Il me paroît que vous souhaitez d'être à Grignan : ma bonne, laissez un peu passer ee mois ici20 et la moitié de l'autre; vous trouveriez encore l'hiver. Je comprends que vous pouvez encore avoir d'autres raisons que la jalousie, quoique vous me disiez, et Montgobert, qui me dit, dans votre propre lettre" , que

18. « Elle ne me pesoit. et me pèse. » (Édition de 1737.) — La phrase suivante ne se lit pas dans le texte de 1737.

19. Cette phrase se lit pour la première fois dans la seconde édition de Perrin (1754).

20. Dans les deux éditions de Perrin : « ce mois-ci, » et un peu plus loin : « vous y trouveriez. »

21. « Que vous pouvez avoir d'autres raisons que la jalousie, quoique Montgobert me dise, dans votre propre lettre. » (Édition de 1737 et de 1754.)

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vous êtes jalouse sans le savoir, et M. de Grignan amou-

reux sans le croire : voilà un fort bon secrétaire. Je vous conjure de n'être pas plus fâchée des desseins de votre frère que des passions de votre mari. Il22 se défend fort de vouloir être Breton; il est tout à fait fin; nous sommes fort bien ensemble. Ma bonne, laissons faire la Providence; je serois bien fâchée de n'avoir pas pris ce parti.

On me dit de bon lieu en partant de Paris qu'il y avoit. eu 25 un bal à Villers-Cotterets ; il y eut des masques. Mlle de Fontanges y parut brillante et parée des mains de Mme de Montespan. Cette dernière dansa trèsbien; Fontanges voulut danser un menuet; il y avoit longtemps qu'elle n'avoit dansé, il y parut, ses jambes n'arrivèrent pas comme vous savez qu'il faut arriver ; la courante n'alla pas mieux, et enfin elle ne fit plus qu'une révérence. Je vous manderai tantôt ce que j'apprendrai à Paris24

Celle26 de votre chagrin, Monsieur le Comte, étoitdonc fausse aussi : je sais vos affaires, vous voulez chanter la

aa. Dans le texte de 1754 : ce Votre frère, » et à la ligne suivante : c il est fin tout à fait. » Cette phrase et la suivante manquent dans le texte de 1737.

23. « J'ai appris de bon lieu qu'il y avoit eû. » (Édition de 1737') — a On m'a dit de bon lieu qu'il y avoit eu. » (Édition de 1754.) — Voyez ci-dessus, p. 289, note 6. Il est dit dans la Gazette (p. 108) que la Reine, peu de temps après avoir commencé le bal avec Monsieur, sortit pour s'habiller en masque, et rentra dans la salle, suivie du Dauphin, de Monsieur, du prince de Conti, etc.

24. a Je vous manderai tantôt les nouvelles que j'apprendrai à Paris, j (Édition de la Haye, 1726.)

2 5. Cette partie de la lettre qui s adresse à M. de Grignan et la reprise à Mme de Grignan, jusqu'à : <r Il faut que je vous reprenne, etc., » se lisent seulement dans l'édition de la Haye (1726), et y forment la fin de la lettre.

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palinodie; vous faites ma fille jalouse, ne craignez-vous point ses emportements, et que pressée par vos mauvais traitements, elle ne me vienne trouver, moi qui ne lui ai jamais donné aucune jalousie? Je vois quelquefois un homme qui n'en a point du tout, et je suis discrète.

Adieu, ma très-chère bonne : je suis contente au dernier point de votre amitié; plus on y pense et plus on la trouve solide et vraie, et comme j'y pense souvent, jugez si vous perdez quelque chose avec moi. J'embrasse Mlle de Grignan et mes chères petites personnes. Toute cette jeunesse a fait le carnaval sans en rien rabattre. Hélas !

mes chers enfants, vous voilà tous aussi avancés les uns que les autres.

Il faut que je vous reprenne l'âme damnée de la Voisin : on dit au contraire que son confesseur a dit qu'elle avoit dit Jésus, Maria, dans le milieu du feu" : c'est peut-être une sainte. Voyez comme je suis scrupuleuse à vous ôter les fausses nouvelles.

Me voici à Paris, ma très-chère : il est sept heures du soir. Nous sommes partis tard; nous ne pouvions quitter cette abbaye : vous savez comme on s'amuse à lanterner à ce petit pont; il faisoit un temps admirable. Mme de Coulanges me mande qu'elle ne sait point encore de nouvelles. C'est aujourd'hui que Sa Majesté voit sa bellefille 27.

26. « On dit que son confesseur assure qu'elle a prononcé Jésus Maria au milieu du feu. » (Édition de 1737.) — « On assure, au contraire, que son confesseur a dit qu'elle avoit prononcé Jésus Maria au milieu du feu. » (Édition de 17540

27. Voyez ci-dessus, p. 283, note 12. — Bussy écrit à Mme de Rabutin, à la date du 16 mars : « Jeudi dernier, le Roi rencontra

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789. - DE MADAME DE SEVIGlré A MADAME DE GRIGNANt.

A Paris, mercredi8 1 3e mars.

JE trouve, ma chère fille, toute votre joie fort juste et très-bien fondée8 ; vous l'avez bien examinée, et vous la voyez comme il la faut voir. Rien n'est mieux expliqué que cette sagesse de M. de Montausier, que l'on partage en six4, et à qui l'on confie celle de Monsieur le Dauphin 6. 'Vous avez raison encore de croire qu'ils ne sont pas tous du prix du chevalier Il : Sa Majesté en a fait le

Madame la Dauphine en pleine campagne, un peu par delà Vitry ; elle se voulut jeter à ses pieds ; il l'en empêcha et la baisa. Elle lui dit qu'après les obligations qu'elle lui avoit de l'avoir choisie préférablement à toutes les princesses de l'Europe, qu'on eût été trop heureux de lui donner, elle assuroit Sa Majesté qu'elle auroit toute sa vie pour Elle les plus grands respects et la plus tendre amitié du monde. Le Roi lui répondit fort gracieusement, en l'embrassant encore une fois avec de grandes tendresses. Après cela, il se tourna en lui montrant Monsieur le Dauphin, et lui dit : a Voilà de quoi il est « question, Madame, c'est mon fils que je vous donne. » Madame la Dauphine répliqua qu'elle tâcheroit, par toutes les soumissions et par toutes les tendresses imaginables, de se rendre digne de Monsieur le Dauphin. Ce prince oublioit de la saluer, si le Roi ne l'eût fait avancer. Ensuite Sa Majesté lui présenta Monsieur, et puis tout ce qu'il y avoit là d'officiers de la couronne, qui la baisèrent. On remonta en carrosse, et on alla à Vitry et à Châlons le même jour. »

LETTRE 789 (revue en très-grande partie sur une ancienne copie).

— 1. Nous suivons pour cette lettre l'ordre de notre manuscrit, qui a été changé dans les deux éditions de Perrin.

2. Dans les impressions de la Haye et de Rouen (1726) : « mardi de mars, » ce qui est une erreur; le 13 mars était un mercredi.

3. « Toute votre joie très-bien fondée. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

4. Les six menins.

5. Ce dernier membre de phrase n'est pas dans le texte de 1754.

6. Il Vous avez raison encore de croire que le chevalier a été agréablement distingué dans cette occasion. (Éditions de 1737 et de 1754.)

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même jugement et en a parlé dignement'; ce que l'on peut voir dans l'avenir est aussi agréable que le présent8

On peut aller à tout, étant sur les lieux et voyant ce qui se passe9. Ce n'est pastO un pays étranger que la cour, c'est le lieu où il doit être : on est à son devoir, on a une contenance ; et c'est avec raison que vous mêlez les intérêts du petit garçon 11 avec les sentiments de votre amitié et de votre belle âme. Mais ce que je ne puis comprendre, c'est que vous vous teniez tous deux pour des gens de l'autre monde, et qui ne sont plus 12 en état de penser à la fortune, et aux grâces18 de Sa Majesté : et pourquoi vous tenez-vous pour éconduits"? Quel âge avez-vous, s'il vous plaît? L'un est de celui" de M. de la Trousse, et l'autre de celui de Mme de Coetquen, qui se croit bien au rang des plus jeunes; et d'où vient donc que vous vous enterrez comme Philémon et Baucis16 ? N'êtes-vous

7. « Sa Majesté a parlé dignement de son mérite. (Édition de 1754.) Ce membre de phrase n'est pas dans l'impression de 1737.

8. « N'est pas moins avantageux que le présent. » (Édition de 1737.) — « Est aussi flatteur que le présent. » (Édition de 1754.)

9. Cette phrase a été omise dans toutes les impressions; elle ne se lit que dans notre manuscrit.

10. « Ce n'est plus. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

11. Dans les deux éditions de Perrin : « Rien ne vous empêche donc de mêler les intérêts du petit garçon (dans 1754 : du petit marquis). »

12. « Et qui n'êtes plus. » (Édition de 1737.)

i3. « Ni aux grâces. » (Édition de 1754.) 1

14. « Et pourquoi vous regardez-vous comme éconduits? » (Editions de 1737 et de 1754.) — Le manuscrit porte conduits, au lieu d'éconduits.

15. « De l'âge. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

16. C'est une allusion à Ovide; le poëme de la Fontaine ne parut imprimé qu'en 1685 : voyez l'Histoire de la Fontaine par Walckenaer, p. 365. — Notre manuscrit a ici une faute étrange et curieuse à citer comme preuve de l'ignorance du copiste de cette lettre (elles ne sont pas toutes de la même main) ; au lieu de Philémon et Baucis,

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point aimés? n'êtes-vous point aimables l'un et l'autre ?

n'avez-vous pas 17 de l'étoffe pour présenter au Roi?

votre nom est-il barbare ? n'est-il point en train de vous faire du bien? les grâces passées ne répondentelles pas de celles qu'on espère ? les temps sont-ils toujours pareils ? ne change-t-on point? la libéralité n'estelle pas ouverte18? D'où vient donc que vous passez par-dessus vous-mêmes, et que vous ne voyez dans un avenir lointain que le petit marquis ? Je ne sais si c'est que j'ai peu de part à cet avenir si éloigné, ou que je n'ai point pris la fantaisie" des grand'mères, qui passent par-dessus leurs enfants pour jouer du hochet20 avec ces petites personnes; mais j'avoue que vous m'avez arrêtée tout court, et que je ne puis souffrir la manière dont cela s'est tourné dans vos têtes. Je ne vous trouve pas plus raisonnable que votre frère, et je ne trouve pas meilleurs vos choux que les siens 21. Je tâcherois donc, mes chers enfants, de me mettre en état de venir un peu tâter la Providence, prendre part au bonheur de mes cadets, et vivre 22 avec les vivants. C'est en ces occasions où l'on devroit bien sentir l'état où l'on s'est mis, qui presse et qui contraint, et qui ôte la liberté; mais on tâche à se remettre un peu, et l'on ne quitte point 23 sa part de la

on a écrit : Philémon et Beauvois. Les deux petits membres de phrase qui suivent ne sont que dans notre manuscrit.

17. et N'avez-vous pas l'un et l'autre. » (Éditions de 1737 et de 1754.) Dans ces mêmes éditions, les mots : « votre nom est-il barbare ? D précèdent : « n'avez-vous pas, etc. »

18. Ces trois derniers membres de phrase se lisent seulement dans notre manuscrit.

Ig. « Ou que je n'ai point la fantaisie. » (Édition de 1754*)

20. a Qui laissent là leurs enfants pour aller jouer du hochet. )

(Éditions de 1737 et de 1754.)

21. c Ni vos choux meilleurs que les siens. » (Ibidem.)

22. « De prendre part. et de vivre. s (Édition de 1754.)

23. Le commencement de cette phrase manque dans les deux édi-

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fortune, quand on a des raisons d'y prétendre, et qu'elle commence à nous montrer un visage plus doux. Voilà, ma très-chère, mes pensées" et celles de vos amis; ne les rebutez pas, et croyez que si vous en aviez de contraires, vous ne seriez plus en droit de vous moquer de mon ifls26. Je vous laisse digérer ces réflexions, et je vous prie tous deux de vous mirer, et de voir si vous êtes de la vieille cour.

A propos de cour, je vous envoie des relations21. Madame la Dauphine est l'objet de l'admiration 27 ; le Roi avoit28 une impatience extrême de savoir comme elle étoit faite : il envoya Sanguin, comme un homme vrai et qui ne sait point flatter 29 : « Sire, dit-il, sauvez le premier coup d'oeil, et vous en serez fort content. » Cela est dit à merveilles ; car il y a quelque chose à son nez et à son front qui est trop long, à proportion du reste : cela fait un mauvais effet d'abord ï0; mais on dit qu'elle a si bonne grâce, de si beaux bras, de si belles mains, une si belle taille81, une si belle gorge, de si belles dents, de

tions de Perrin, qui donnent seulement : « car enfin on ne quitte point, etc. »

24. & Voilà, ma très-chère, quelles sont mes pensées. » (Éditions de 1737 et de 1754.) - - - - - --

25. « Des desseins de mon fils, j (Édition de 1707.) — « De celles de mon fils, » (Edition de 1754.)

26. Dans l'édition de Rouen (1726), où la lettre commence seulement ici, il y a simplement : c Je vous envoie des relations; J et dans celle de la Haye (1726), qui commence également ici : a Je vous envoie des relations de la cour. i

27. Ce membre de phrase, qui se trouve dans tous les textes imprimés, manque dans notre manuscrit.

28. « Ayant. » (Édition de Rouen, 1726.)

29. c Qui est un homme vrai et incapable de flatter. * (Éditions de 1737 et de 1754.) - - , -- - -

3o. (t Et qui fait d abord un mauvais effet. » (Edition de 1754-) -

31. Les mots une si belle taille manquent dans les impressions de la Haye et de Rouen (1726).

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si beaux cheveux, et tant d'esprit et de bonté, caressante sans être fade, familière avec dignité, enfin tant de manières propres à charmer, qu'il faut lui pardonner ce premier coup d'ceil Monseigneur a fort bien opéré : il oublia d'abord de la baiser en la saluant; mais il n'a pas oublié ce que Monsieur de Condom ne lui pouvoit apprendre. Je suis bien folle de vous dire tout ceci : le chevalier n'est-il pas payé pour cela88 ?

Vous repoussez fort bien nos histoires tragiques par les vôtres". J'aime bien le bon naturel de ce fils qui tombe mort en voyant son pauvre père pendu : cela fait honneur aux enfants; il y avoit longtemps que les pères avoient fait leurs preuves. L'amant jaloux et furieux qui tue tout à Arles, met le bouton bien haut à nos amants d'ici : on n'a pas le loisir d'être si amoureux; la diversité des objets dissipe trop, et détourne36 et diminue la passion. Il y eut encore une histoire lamentable autrefois à Fréjus : ce climat est meilleur que le nôtre 86. N'avançons point un avenir si triste et songeons à nous revoir.

Hélas ! la vie est si courte désormais pour moi et passe si vite! Que faisons-nous? et quand nous sommes assez malheureux pour n'être point uniquement occupés à Dieu, pouvons-nous mieux faire que d'aimer et de vivre doucement parmi nos proches et ceux que nous aimons ?

32. c Le premier coup d'œil. » {Édition de la Haye, 1726.) -— Les deux phrases suivantes manquent dans les impressions de 1737 et de 1754.

33. Ce dernier membre de phrase : « le chevalier, etc., » ne se lit que dans les impressions de la Haye et de Rouen (1726), où la lettre finit ici.

34. « Au reste, ma fille, vous répondez fort bien [à] nos histoires tragiques par les vôtres. » (Édition de 1737.)

35. « Elle détourne. » (Édition de 1754.)

36. Tout ce qui suit, jusqu'à : « Je crois que Madame la Dauphine, » ne se trouve que dans notre manuscrit.

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Mais sur cela même, il faut obéir et se soumettre à la Providence : elle fait assez voir en mille rencontres, si l'on se donne le loisir de la regarder, qu'elle est la maîtresse de tout.

Je crois que Madame la Dauphine" nous apporte ici beaucoup de dévotion; mais malgré qu'elle en ait, il faudra qu'elle retranche les angélus38 : vous représentezvous qu'on l'entende sonner à Saint-Germain? Bon à Mupich 39. Elle voulut40 se confesser la veille de la dernière cérémonie de son mariage ; elle ne trouva point de jésuite qui entendît l'allemand, ils n'entendent que le françois : le P. de la Chaise y fut attrapé ; il croyoit avoir mené son fait. Ce fut un embarras où l'on donnera ordre promptement41, car cette princesse ne cède point à la

37. « Je crois que cette princesse. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

38. Dans l'édition de 1754 : « Y angélus, » et un peu après : a qu'elle l'entende sonner. »

3g. La cour de Munich était à cette époque d'une régularité qui n'a jamais été d'usage en France que dans les maisons religieuses.

Coulanges, pendant qu'il était conseiller au parlement de Metz, et avant d'être reçu à celui de Paris, fit en 1657 un voyage en Allemagne et en Italie, dans la relation duquel, publiée par extraits en tête du volume intitulé Mémoires de Coulanges, il parle en ces termes (pt II et 12) de la cour de l'électrice de Bavière, mère de la Dauphine : (t Il n'est point de cloître où l'on vive plus régulièrement et avec plus de sévérité que dans cette cour ; on s'y lève tous les jours à six heures du matin ; on y entend la messe à neuf; on dîne à dix ou dix et demie ; on est une heure et demie à table ; on assiste à vêpres tous les jours; il n'y a plus personne au palais à six heures du soir, hors quelques domestiques nécessaires; on soupe à cette même heure; on se couche à neuf ou dix au plus tard; et par-dessus tout, ils ont tous les avents un Rorate qui finit seulement à Noël, et où il faut se trouver dès les sept heures du matin. »

40. « Elle vouloit. » (Édition de 1754.)

41. « On y mettra ordre. » (Ibidem.) — On lit dans les Mémoires de Mademoiselle (tome IV, p. 409 et 410) : « Elle voulut se confesser comme on l'alloit marier : la première cérémonie avoit été faite à Munich. On fut fort embarrassé, car il n'y avoit personne qui

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Reine pour communier souvent. Le Bourdaloue42 n'aurapoint son âme.

M. de la Rochefoucauld a été, est encore considérablement malade : il est mieux aujourd'hui; mais enfin c'étoit toute l'apparence de la mort : une grosse fièvre, une oppression, une goutte remontée; enfin c'étoit une pitié 43. Il a choisi de l'Anglois44, des médecins et de frère Ange : il a choisi son parrain; c'est frère Ange qui le tuera, si Dieu l'a ordonné 46 Je donnerai moi-même votrelettre à M. de Marsillac, qui est venu en poste, s'il est vrai que tout aille bien, car vous savez qu'il faut prendre les temps à propos. Je donnerai le billet à Mme de la Fayette, qui étoit hier très-affiigée. J'ai reçu votre paquet du mardi gras; 1a poste arrive plus tôt présentement4®.

Je vous trouve heureuse d'être délivrée de carême-pre-

sût l'allemand, et elle ne se savoit pas confesser en françois. On trouva heureusement un chanoine de Liège, nommé de Viarset, qui étoit venu voir le cardinal de Bouillon. Elle se confessa donc à M. de Viarset, ce qui nous paroissoit un peu surprenant; car, hors qu'il étoit vieux, les chanoines de ce pays-là, comme j'ai dit ailleurs, sont habillés comme les autres, ont de grands cheveux, et n'ont pas l'air à donner de la dévotion de se confesser à eux. Comme en Allemagne on y est accoutumé, cela nt moins de peine à Madame la Dauphine qu'à une Françoise. On demanda à M. de Viarset donc s'il vouloit confesser Madame la Dauphine; il dit qu'il n.'avoit jamais confessé qu'une fois, à un siège, un soldat qui alToit été blessé et qui se mouroit. Je crois qu'il fut aussi embarrassé que Madame la Dauphine. »

42. Le mot Bourdaloue a été sauté dans notre manuscrit; il est donné par les deux éditions de Perrin (i737 et 1754).

43. Ce dernier membre de phrase ne se lit que dans notre ancienne copie.

44. a II étoit question de l'Anglois. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

45. « C'est donc frère Ange qui le tuera, si Dieu l'a ordonné ainsi. » (Édition de 1737.) — « C'est frère Ange qui le tuera, si Dieu l'a ainsi ordonné. » (Édition de 1754.) — La Rochefoucauld s'appelait François, et le frère Ange était, comme nous l'avons dit, un capucin, un fils de saint François.

46. Ce membre de phrase manque dans le texte de 1737.

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nant; vous l'avez célébré à Aix dans toute son étendue.

Je suis ravie que vous ayez approuvé le nôtre dans la forêt de Livry.

Vous écrivez divinement à votre frère" ; je voudrois que vous m'eussiez fait l'honneur de croire que je lui ai dit les mêmes choses que vous écrivez : je suis aussi choquée48 que vous de ses extravagantes résolutions. La peur de se ruiner est un prétexte au goût breton ; il ne l'a eu49 que depuis qu'il a contemplé Tonquedec sur son paillier de province; il n'étoit point60 si plein de considération auparavant : enfin je sens toute l'horreur de cette dégradation, trop heureuse 51 que ce ne soit point là le plus sensible endroit de mon cœur !

Corbinelli52 m'a donné une leçon qui m'explique trèsbien ce que vous appelez ne point connoître l'absence : j'ai trouvé que j'étois comme vous, en disant le contraire.

Je suis, en vérité, bien triste de n'aller point continuer mes études auprès de vous; mais, ma très-chère, il faut aller en Bretagne, afin d'y avoir été" Je trouve M. de Grignan bien heureux de vous croire en assez bonne santé pour vous faire trotter avec lui à Marseille.

47. Le texte de 1737 donne simplement : « Vous écrivez divinement à votre frère. La peur de se ruiner, etc. »

48. a Que vous lui écrivez, et que je suis aussi choquée. » (Édition de 1754.)

4g. « Il n'a eu cette peur. » (Ibidem.)

5o. œ Vous savez qu'il n'étoit point. » (Édition de 1737.) — Les deux éditions de Perrin portent : « de considération pour lui. »

5i. « Mais quoique je sente toute l'horreur de cette dégradation, je suis trop heureuse. » (Edition de 1737.)

52. Cet alinéa manque dans le manuscrit.

53. Voyez la lettre du 21 février précédent, p. 271.

54. Ce dernier membre de phrase est seulement dans l'édition de 1754, et la phrase qui termine la lettre ne se trouve que dans notre manuscrit.

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y90. - DE MADAME DE SÉVIGNE A MADAME DE GRIGNAN,

A Paris, vendredi 15e mars.

JE crains bien que nous ne perdions cette fois i M. de la Rochefoucauld : sa fièvre a continué; il reçut hier NotreSeigneur. Mais son état est une chose digne d'admiration : il est fort bien disposé pour sa conscience, voilà qui est fait; du reste, c'est la maladie et la mort de son voisin dont il est question; il n'en est pas effleuré, il n'en est pas troublé ; il entend plaider devant lui la cause des médecins, du frère Ange, et de l'Anglois, d'une tête libre, sans daigner quasi dire son avis ; je reviens à ce vers : Trop au-dessous de lui pour y prêter l'esprit2.

Il ne voyoit point hier matin Mme de la Fayette, parce qu'elle pleuroit, et qu'il recevoit Notre-Seigneur; il envoya savoir à midi de ses nouvelles. Croyez-moi, ma fille, ce n'est pas inutilement qu'il a fait des réflexions toute sa vie; il s'est approché de telle sorte ces derniers moments, qu'ils n'ont rien de nouveau, ni d'étranger pour lui. M. de Marsillac arriva avant-hier à minuit, si comblé de douleur amère, que vous ne seriez pas autrement pour moi. Il fut longtemps à se faire un visage et une contenance; enfin il entra, et trouva III M. de la Rochefoucauld dans cette chaise, peu différent de ce qu'il est toujours.

Comme c'est lui 4 qui est son ami, de tous ses enfants, on fut persuadé que le dedans étoit troublé ; mais il n'en parut rien, et il oublia de lui parler de sa maladie. Ce

LETTRE 790. — 1. « Je crains bien pour cette fois que nous ne perdions. » (Édition de 1754.)

2. Voyez plus haut, p. 107.

3. a II entre enfin, et trouve. » (Édition de 1754.)

4. « Comme c'est M. de Marsillac. » (Ibidem.)

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fils ressortit pour crever ; et après plusieurs agitations, plusieurs cabales, Gourville contre l'Anglois, Langlade pour l'Anglois, chacun suivi de plusieurs de la famille, et les deux chefs conservant toute l'aigreur qu'ils ont l'un pour l'autre, M. de Marsillac décida pour l'Anglois ; et hier, à cinq heures du soir, M. de la Rochefoucauld prit son remède; à huit encore6 Comme on n'entre plus du tout dans cette maison, on a peine à savoir la vérité ; cependant on m'assure qu'après avoir été cette nuit à un moment près de mourir, par le combat du remède et de l'humeur de la goutte, il a fait une si considérable évacuation, que, quoique la fièvre ne soit pas encore diminuée, il y a sujet de tout espérer : pour moi, je suis persuadée qu'il en réchappera. M. de Marsillac n'ose encore ouvrir son âme6 à l'espérance; il ne peut ressembler dans sa tendresse et dans sa douleur qu'à vous, ma chère enfant, qui ne voulez pas que je meure.

Vous croyez bien que dans l'état où il-est, je ne lui donne pas la lettre de M. de Grignan; mais elle ira avec les autres qui viendront; car je suis convaincue avec Langlade, de qui j'ai appris tout ceci, que ce remède fera le miracle entier.

Je vous demande, ma fille, comme vous vous portez 7 de votre voyage de Marseille : je gronde M. de Grignan de vous y avoir menée ; je ne saurois approuver cette trotterie inutile. Ne faudra-t-il point aussi que vous alliez montrer Toulon, Hières, la Sainte-Baume, Saint-Maximin8, et la Fontaine de Vaucluse, à Mlles de Grignan?

Je suis quasi toujours chez Mme de la Fayette, qui

5. « Le remède de l'Anglois, et à huit encore. i (Édition de 1754.)

6. « Son cœur. » (Ibidem.)

7. « Comment vous vous portez. » (Ibidem.)

8. Voyez tome III, p. 28, note 2, et p. 34, note 1.

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connoîtroit mal les délices de l'amitié et les tendresses du cœur, si elle n'étoit aussi affligée qu'elle l'est. C'est chez elle que je fais ce paquet9, à neuf heures du soir; elle a lu votre petit billet; car malgré ses craintes, elle espère assez pour avoir été en état de jeter les yeux dessus. M. de la Rochefoucauld est toujours dans la même situation; il a les jambes enflées : cela déplaît à l'Anglois ; mais il croit que son remède viendra à bout de tout : si cela est, j'admirerai la bonté des médecins de ne le pas tuer, assassiner, déchirer, massacrer; car enfin les voilà perdus : c'est leur ôter la vie que de tirer la fièvre de leur domaine. Du Chesne ne s'en soucie pas trop 10, mais les autres sont enragés.

79I. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME ET A MONSIEUR DE GRIGNAN.

A Paris, dimanche 17e mars.

QUOIQUE cette lettre ne parte que mercredi, je ne puis m'empêcher de la commencer aujourd'hui, pour vous dire que M. de la Rochefoucauld est mort cette nuit.

J'ai la tête si pleine de ce malheur, et de l'extrême affliction de notre pauvre amie1, qu'il faut que je vous en parle. Hier samedi, le remède de l'Anglois avoit fait des merveilles; toutes les espérances de vendredi, que je vous écrivois, étoient augmentées; on chantoit victoire, la poitrine étoit dégagée, la tête libre, la fièvre moindre, des évacuations salutaires; dans cet état, hier à six

9. a Je fais ce paquet chez elle. » (Edition de 1754.)

10. et Ne s'en soucie pas. » (Ibidem.) LETTBK 791 (revue sur une ancienne copie). — t. Mme de la Fayette.

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heures, il se tourne à la mort2 : tout d'un coup les redoublements de fièvre, l'oppression, les rêveries; en un mot, la goutte l'étrangle traîtreusement; et quoiqu'il eut beaucoup de force, et qu'il ne fût point abattu des saignées, il n'a fallu que quatre ou cinq heures pour l'em- porter ; et à minuit il a rendu l'âme entre les mains de Monsieur de Condom. M. de Marsillac ne l'a pas quitté d'un moment; il est mort entre ses bras, dans cette chaise que vous connoissez. Il lui a parlé de Dieu avec courage.

Il est dans une affliction 3 qui ne se peut représenter ; mais il retrouvera4 le Roi et la cour ; toute sa famille se retrouvera en sa place6 ; mais où Mme de la Fayette retrouvera-t-elle un tel ami, une telle société, une pareille douceur, un agrément, une confiance, une considération pour elle et pour son fils? Elle est infirme, elle est toujours dans sa chambre, elle ne court point les rues ; M. de la Rochefoucauld étoit sédentaire aussi : cet état les rendoit nécessaires l'un à l'autre ; rien ne pouvoit être comparé à la confiance et aux charmes de leur amitié.

Ma fille, songez-y, vous trouverez qu'il est impossible de faire une perte plus sensible6, et dont le temps puisse moins consoler. Je ne l'ai pas quittée tous ces jours' : elle n'alloit point faire la presse parmi cette famille; ainsi elle avoit besoin 8 qu'on eût pitié d'elle. Mme de Coulanges a très-bien fait aussi, et nous continuerons en-

2. « Il tourne à la mort. Il (Éditions de 1737 et de 1754.)

3. Les deux éditions de Perrin donnent seulement : cc M. de Marsillac ne l'a pas quitté d'un moment ; il est dans une affliction. »

4. « Cependant, ma fille, il retrouvera, etc. » (Édition de 1737.) — « Cependant il retrouvera, etc. » (Édition de 1754.)

5. a A sa place. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

6. a Plus considérable. » (Édition de 1754.) 1 .-

7. « Je n'ai pas quitté cette pauvre amie tous ces jours-ci. » (Editions de 1737 et de 1754.) -

8. a En sorte qu'elle avoit besoin. » (Ibidem.)

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core quelque temps aux dépens de notre rate, qui est toute pleine de tristesse.

Voilà en quel temps sont arrivées vos jolies petites lettres, et votre billet, et une autre lettre encore pour réponse à la première de M. de Marsillac. Voilà leur destinée : jusques ici elles n'ont été admirées que de moi, et de Mme de Coulanges, qui trouva les petites d'Arnbton9 fort plaisantes et la scène fort galante. M. de Grignan écrit en perfection, Quand le chevalier arrivera, je lui donnerai 10; il trouvera peut-être un temps propre après les douleurs pour dire : « Les voilà". » En attendant, il faut en écrire une de douleur12. Il met en honneur toute la tendresse des enfants, et fait voir que vous n'êtes pas seule; mais, en vérité, vous ne serez guère imités13.

Toute cette tristesse m'a réveillée, et représenté" l'horreur des séparations. J'en ai le cœur serré16, et plus que

9. Il y eut un maître des requêtes de ce nom, plusieurs fois chargé de commissions importantes; il acquit, probablement en 1685, du marquis de Richelieu, la terre de Pont-l'Abbé, terre qui disputait à celle de Pont-Château (appartenant aux Coislin) la dignité de l'une des neuf baronnies de Bretagne : voyez la Correspondance administrative sous Louis XIV, tome I, p. 462, et le Journal de Dangeau, tomes I, p. i54 et i55 ; II, p. x58 j VII, p. 342.—Dangeau (tomeIX, p. 251) parle de Mlle d'Arnoton, lille du maître des requêtes.

10. Notre manuscrit porte : et je les y donnerai. »

II. Tout ce passage est abrégé ainsi dans les deux éditions de Perrin (1737 et 1754) : « Voilà en quel temps sont arrivées vos jolies petites lettres, qui n'ont été admirées jusqu'ici que de Mme de Coulanges et de moi; quand le chevalier sera arrivé (dans 1754 : sera de retour), il trouvera peut-être (le texte de 1737 ajoute : après les douleurs) un temps propre pour les donner. »

12. « Il en faut écrire une de douleur à M. de Marsillac. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

i3. Dans notre manuscrit, on lit imitée.

14. Dans les deux éditions de Perrin : « elle me représente. »

15. Tout ce qui suit les mots : « J'en ai le cœur serré, » jusqu'à la reprise du « Mercredi 20e mars, » n'est que dans notre manuscrit.

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jamais je vous demande à genoux, avec des larmes, de ne point remettre à l'infini les remèdes que M. de la Rouvière16 veut que vous fassiez, et sans lesquels vous ne pouvez vous rétablir. Vous vous contentez de les savoir : voilà une provision ; ils sont dans votre cassette; et cependant votre sang ne se guérit point, votre poitrine est souvent douloureuse ; il vous suffit de savoir des remèdes, vous ne voulez pas les faire ; et quand vous le voudrez, hélas! peut-être que votre mal sera trop grand. Est-il possible que vous vouliez me donner cette douleur amère et continuelle ? Avez-vous peur de guérir? M. de la Rouvière, M. de Grignan, tout cela n'a-t-il point de crédit auprès de vous? Et vous, Monsieur de Grignan, n'êtesvous pas cruel de la mener à Marseille, et peut-être plus loin? Pouvez-vous sans trembler la faire trotter ainsi avec vous? Hélas! vous savez combien le repos lui est nécessaire : comment l'exposez-vous à de telles fatigues?

Je vous conjure que votre amitié m'explique cette conduite: est-ce que vous êtes parfaitement content de sa santé et que vous n'y souhaitez plus rien? Plût à Dieu que cela fût ainsi ! J'ai vu que vous me parliez de cette chère santé : vous ne m'en dites plus rien, et je vois que vous la promenez.

Cependant Monsieur le Coadjuteur, que j'ai vu un moment, ne m'a point contentée : il dit que vous écrivez toujours, et que quelquefois vous sortez de ce .cabinet si épuisée que vous n'êtes pas reconnoissable. Eh, mon Dieu ! quand je songe que vous vous tuez pour les gens du monde qui vous aiment le plus chèrement, qui don-

16. Le médecin d'Aix dont Mme de Sévigné parle au comte de Guitaut dans la lettre du 5 avril suivant, p. 343; voyez aussi plus haut, p. 265 et 292 : Pierre de la Rouvière, qui fut docteur ès droits, et de la Faculté de médecine de l'université d'Avignon, et membre de la Société royale de Londres.

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neroient leur vie pour sauver la vôtre; et c'est pour écrire des bagatelles, des réponses justes, que vous nous donnez la plus cruelle inquiétude qu'on puisse avoir.

Pour moi, je vous déclare que vous me donnez une peine étrange quand vous m'écrivez plus d'une page.

Votre dernière est trop longue, vous abusez de vous et de moi, et dès que vous êtes un peu bien, vous faites tout ce qu'il faut pour retomber. Retenez cette plume qui va si vite et si facilement : c'est un poignard; je n'en veux plus; j'ai horreur du mal qu'elle vous fait. Ce Coadjuteur m'a dit que si on vouloit vous couper le poing droit, vous seriez grasse. Ne vous amusez point à répondre sur des nouvelles; ne vous profanez point; je ne m'en souviens plus moi-même dès qu'elles sont parties.

Pardonnez la longueur de cet article : le Coadjuteur m'a troublée, et je suis frappée de l'effroyable douleur de perdre ce qu'on aime. Ayez pitié de moi.

Mercredi 208 mars.

Il est enfin mercredi. M. de la Rochefoucauld est toujours mort, et M. de Màrsillac toujours affligé, et si bien enfermé, qu'il ne semble pas qu'il songe à sortir de cette maison. La petite santé de Mme de la Fayette soutient mal une telle douleur17 : elle en a la fièvre; et il ne sera pas au pouvoir du temps de lui ôter l'ennui de cette privation; sa vie est tournée d'une manière qu'elle le trouvera tous les jours à dire18. Vous devez me dire tout au moins quelque chose pour elle dans ce que vous m'écrivez ; je vous prie toujours que cela ne passe pas une page 19.

17. « Une pareille douleur. » (Édition de 1754.)

18. Ir Qu'elle trouvera tous les jours un tel ami à dire. » (Ibidem.)

19. Cette phrase est ainsi abrégée dans l'édition de 1737; « Vous devez m'écrire tout au moins quelque chose pour elle;» et dans celle de 1754 : cr N'oubliez pas de m'écrire quelque chose pour elle. »

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Je suis troublée de votre santé et du voyage que vous faites. Vous n'irez pas en Barbarie, mais il y aura bien de la barbarie si cette fatigue vous fait du mal. Il est vrai que ces deux bouts de la terre 20 où nous sommes plantées, est une chose qui fait frémir, et surtout quand je serai près de notre Océan, pouvant aller aux Indes, comme vous en Afrique. Je vous assure que mon cœur ne regarde point cet éloignementavec tranquillité, comme vous disiez l'autre jour21. Si vous saviez le trouble que me donne le moindre retardement de vos lettres, vous jugeriez aisément ce que22 je souffrirai dans mon chien de voyage. Je n'ai point vu nos Grignans 23; ils sont à Saint-Germain, le chevalier à son régiment 24. On m'a voulu mener voir Madame la Dauphine : en vérité, je ne suis pas si pressée. M. de Coulanges l'a vue : le premier coup d'œil est à redouter, comme dit M. Sanguin 25; mais il y a tant d'esprit, de mérite, de bonté, de manières charmantes, qu'il faut l'admirer : S'il faut bonorer Cybèle, Il faut encor plus l'aimer28.

On ne conte que ses dits pleins d'esprit et de raison.

La faveur de Mme de Maintenon augmente tous les

20. « Il est vrai que de penser à ces deux bouts de la terre, etc. »

(Édition de 1754.)

21. Ces derniers mots : « comme vous disiez, etc., » manquent dans les deux éditions de Perrin. La phrase qui suit n'est pas dans le texte de 1737.

22. « Vous jugeriez bien aisément de ce que, etc. » (Édition de 1754.)

23. Dans les deux éditions de Perrin : a revu, » et dans sa première (1737) : « vos Grignans. »

24. « Est à son régiment. » (Édition de 1737-)

25. Voyez ci-dessus, p. 304. - -

26. Ce sont deux vers qui reviennent deux fois dans la vnie et dernière scène-du Ier acte de l'opéra d'Atys.

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jours : ce sont des conversations infinies avec Sa Majesté, ■ qui donne à Madame la Dauphine le temps qu'il don-.

noit à Mme de Montespan ; jugez de l'effet que peut faire un tel retranchement. Le char gris 28 est d'une beauté étonnante ; elle vint l'autre jour au travers d'un bal, par le beau milieu de la salle, droit au Roi, et ne voyant28 ni à droit, ni à gauche; on lui dit qu'elle ne voyoit pas la Reine : il étoit vrai; on lui donna une place ; et quoique cela fît un peu d'embarras, on dit que cette action d'une embevecida 30 fut extrêmement agréable : il y auroit mille bagatelles à conter sur tout cela. Mme de Soubise n'est point de retour de sa campagne : elle est chez M. de Luynes, à six lieues d'ici 81 ; cela est triste.

Votre frère l'est fort aussi à sa garnison'2; je pense que la rencontre de vos esprits animaux ne déterminera point les siens, quoique de même sang, à penser comme vous". Votre période m'a paru très-belle; je doute que j'y réponde ; mais il n'importe, vous voyez fort bien ce que je veux dire. Il me paroît que vous êtes si contente de la fortune de vos frères 34, que vous ne comptez plus sur la vôtre : vous vous retirez derrière le rideau ; je vous ai mandé comme cela me blesse le cœur, et me paroît

27. Dans notre manuscrit : « qui donnent. »

28. Mlle de Fontanges.-Dans-l'édition de 1737, il y a : « le chat gris, s erreur évidente : voyez ci-dessus, p. 283.

29. 1 Et ne regardant. » (Édition de 1737.) — « Et sans regarder. D (Édition de 1754.)

3o. Voyez la note 6 de la lettre du 19 janvier, p. 204.

31. Voyez plus haut, p. 162, la fin de la note 8. — Cette phrase ne se lit que dans notre manuscrit.

32. « Votre frère est fort triste à sa garnison. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

33. «A le faire penser comme vous. » (Édition de 1737.) Immédiatement avant, notre manuscrit porte : détermineront.

34. a Vous me paroissez si contente de la fortune de vos beauxfrères. a (Édition de 1754.)

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injuste35 ; et peut-on trop haïr les abîmes qui vous font avoir de telles nonchalances pour ce qui vous regarde ?

Vous vous comptez pour rien, quand tant d'autres vous comptent pour tout, et que personne ici ne vaut ce que vous valez tous deux.

Adieu : rien ne me peut distraire de penser à vous; j'y rapporte toutes choses, et si vous aviez autant d'amitié pour moi, vous seriez encore plus attentive à votre santé que vous ne l'êtes. La mienne est très-bonne; du Chesne m'a dit d'aller toujours dans le carême jusqu'à l'ombre de la moindre incommodité. Il croit que l'eau de lin tous les matins, du thé l'après-dînée, et du régime dans le choix des viandes, me conduiront jusqu'au bout. A tout hasard j'ai une permission, dont je me servirai sans aucun scrupule; n'en soyez point en peine: fiez-vous à moi.

N'admirez-vous point que Dieu m'a ôté encore cet amusement de parler de vos intérêts avec M. de la Rochefoucauld ? il en paroissoit occupé" fort obligeamment. De sorte qu'ayant aussi perdu M. de Pompone, je n'ai pas37 le plaisir de croire que je puisse jamais vous être bonne à rien du tout.

Je n'ai jamais tant vu de choses extraordinaires depuis38 que vous êtes partie. J'ai su que le jeune évêque d'Évreux est le favori du vieux, et qu'il a9 a écrit au Roi

35. Tout ce qui suit le mot injuste, jusqu'à la fin de l'alinéa, ne se lit, ainsi que tout l'alinéa suivant, que dans notre manuscrit.

36. a Qui en paroissoit OJcupé. » (Edition de IJSJ.) — « Qui s'en occupoit. » (Édition de 1754.)

37. « Je n'ai plus. » (Édition de 1737.)

38. Tel est le texte de notre manuscrit; dans les deux éditions de Perrin : « de choses extraordinaires qu'il s'en est passé depuis, etc. »

- 3g. « Savez-vous que le jeune évêque d'Evreux. et que ce dernier, etc. » (Édition de 1737.) - « J'apprends que le jeune évêque d'Évreux. et que ce dernier, etc. » (Édition de 1754.) — Tout ce

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pour le remercier de lui avoir donné un tel successeur.

C'est aux Grignans à faire tout ce qu'il faut pour leur maison ; ils n'y sauroient prendre tant d'intérêt que moi.

J'embrasse tout ce qui est autour de vous. J'ai bien envie de savoir où va votre tribu. Le bien Bon est tout à vous; il va rompre le carême pour un rhume : il me semble que tout échappe. Je voudrois bien baiser Pauline et mon petit-fils, et Mlles de Grignan, et M. de Grignan; à la fin je baiserai toute la bonne compagnie. J'ai vu M. de Vins à son retour, et Mlle de Méri 40, qui n'est point plus mal qu'à l'ordinaire : c'est plus qu'il n'en faut.

792. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, vendredi 22e mars.

ENFIN, ma chère enfant, vous avez porté 1 votre délicatesse à Marseille, et M. de Grignan l'a voulu. Je suis persuadée qu'il vous aura menée à Toulon, et à toutes les stations qu'il faut faire voir à Mlles de Grignan ; il ne veut point se séparer d'une si bonne compagnie : il a raison, je serois bien de son avis. Je suis fort aise qu'on ne vous ait point porté mes lettres à Marseille : eh, bon Dieu! qu'en auriez-vous fait? C'est même une affaire que de les lire2 , et pour y répondre, ah! je vous le dé-

qui suit cette phrase, jusqu'à la fin de la lettre, ne se lit que dans notre manuscrit, qui donne leurs maisons, pour leur maison, et perdre tant d'intérêts, au lieu de prendre tant d'intérêt.

40. Dans notre manuscrit, par erreur : 0: Mlle d'Emery. »

LETTRE 792. — 1. « Vous avez enfin porté. » (Édition de 1754.) 2. « Qu'en vouliez-vous faire? C'est même un embarras que de les lire. » (Ibidem.)

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■ fends. J'aurois grand regret à la peine que vous prendriez de discourir sur des bagatelles dont je ne me souviens déjà plus. Je regrette de vous y avoir laissé répondre, même dans votre santé : cette effroyable quantité de volumes a contribué à vous emmaigrir; ma chère enfant, je ne pense qu'à votre santé et à votre vieil. Je connois celle de Marseille; Mlles de Grignan ont dû trouver cette ville agréable : elle ne ressemble point aux autres villes ; et ce coup d'œil en approchant d'une certaine hauteur4 , n'en ont-elles pas été charmées ?

Vous me parlez d'un M. de Vivonne bien différent de l'autre 6. N'admirez-vous point comme on change, et de quelle manière les choses entrent différemment dans la tête ? Il a donc été entêté 6 de vous faire les honneurs de sa mer; je ne sais si l'autre humeur, moins bonne pour lui, n'eût pas été plus saine pour vous. Je voudrois bien que vous eussiez la même santé qu'en ce temps-là, ou lui la même folie. Vous aurez été sur la mer'; je souhaite

3. et Je suis fâchée de vous y avoir laissé répondre, même dans votre santé : il n'est pas possible que cette effroyable quantité de volumes n'ait contribué à vous emmaigrir, et vous savez que je ne pense qu'à la conservation de votre santé et de votre vie. » (Éditioll de 1754.)

4. « Du côté de cette hauteur. » (Ibidem.) - C'est la Visto. Voyez tome III, p. i83 et la note 2.

5. Il avait été question, l'année d'auparavant, d'une brouillerie entre Mme de Grignan et M. de Vivonne, général des galères. [Note de Perrin, 1754.)

6. « Empressé. » (Édition de 1754.)

7. « Vous promener sur la mer. » (Ibidem.) — « Il faut vous faire part, dit le Mercure d'avril 1680 (p. 254-261), d'une fête qui a été donnée depuis peu à Mme la comtesse de Grignan, dont vous avez tant de fois entendu parler sous le nom de la belle Mlle de Sévigny. Elle étoit allée à Marseille, et souhaitoit avec passion voir le château d'If. M. le duc de Vivonne, qui n'a pas moins de galanterie que de bravoure, ne l'eut pas sitôt appris qu'il fit équiper la Réale de tout ce qui étoit nécessaire pour rendre cette promenade plus

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que tant de complaisance ne vous ait point fait de mal.

Vous étiez bien étonnée de sa mémoire, et de tous ces noms du temps passé, qui vous faisoient revoir8 votre première jeunesse et vos premiers ballets.

M. de Pompone fut hier ici une partie du jour ; il regarda votre portrait avec attention, et se souvint si tendrement de votre beauté, de votre esprit, et de ces beaux soirs de Fresnes, qu'il pensa ne point finir sur cet article. H me fit croire que les yeux me rougissoient d'un tel souvenir; mais en vérité, ma belle, il étoit aussi touché que moi ; et je pense même qu'un retour sur sa fortune présente troubla pour un moment la tranquillité de son âme. Il a été saluer le Roi à ce retour 9 : c'est une étrange chose pour lui, et comme il a toujours été ou exilé, ou ambassadeur, ou ministre, il n'est point accoutumé à la presse des courtisans. Il y auroit quelque chose de plus doux10 à ne point revoir ce pays-là; mais une pension de vingt mille francs, et l'espérance de quelque abbaye l'attache il à ces sortes de devoirs.

Je donnai ma place dans le carrosse de Mme de Chaulnes à Mme de Vins; cette duchesse me vouloit :

agréable. La galère arriva au château d'If à deux heures après midi. Mme la comtesse de Grignan et toutes les dames qui l'accompagnoient entrèrent dans le salon qui avoit été préparé pour les recevoir. Elles y trouvèrent une table à vingt couverts. A ce superbe repas succéda une représentation sans machines de l'opéra de Bellérophon. Dès que l'opéra fut achevé, les dames rentrèrent dans la galère et arrivèrent au port à la lueur de plus de deux mille lampions. »

8. « Qui vous rappeloient. » (Édition de 1754.)

9. La cour était revenue à Saint-Germain le 18 mars. Voyez la Gazette du 23.

10. « Et c'est une chose étrange pour lui, qui a toujours été.

ou ministre ; il n'est point accoutumé à la presse des courtisans, et il trouveroit quelque chose de plus doux, etc. » (Édition de 1754.)

II. et L'attachent. » [Ibidem.)

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bien des raisons m'empêchèrent d'y aller. On dit de solides biens de Madame la Dauphine : c'est une personne enfin, c'est un bel et bon esprit, elle, a des manières toutes charmantes et toutes françoises; elle est accoutumée à cette cour, comme si elle y étoit née; elle a des sentiments à elle toute seule, elle ne prend point ceux qu'on lui présente : « Madame, ne voulez-vous pas jouer?

-Non, je n'aime point le jeu. — Mais vous irez à la chasse ?—Point du tout, je ne comprends pas ce plaisir. »

Que fera-t-elle donc ? Elle aime fort la conversation, la lecture des vers et de la prose, l'ouvrage, la promenade, et surtout de plaire au Roi : c'est son unique application, et elle est aussi celle de Sa Majesté; il passe beaucoup d'heures dans sa chambre 12, et plus du tout dans celle de Mme de Montespan. Cela fait une cour fort retirée; car on ne voit point cette princesse pendant qu'elle a si bonne compagnie. On y tient le cercle une heure du jour; on ne la verra ni à sa toilette, ni à son coucher.

La faveur de la personne enrhuméeih (c'est ainsi que vous la nommiez cet hiver) augmente tous les jours, comme" la haine entre elle et la sœur de celui qui vous a si bien reçue16 : cela est au point de n'aller plus dans sa chambre17. Tout ce que dit Madame la Dauphine est juste et d'un bon tour; il n'y a rien à souhaiter pour l'esprit et pour l'humeur f8, et cela est si bon, qu'on en oublie le reste. Le Roi instruisit en détail Monsieur le

12. « Elle aime fort. l'ouvrage et la promenade; sa plus grande application est de plaire au Roi ; Sa Majesté passe plusieurs heures dans la chambre de cette princesse, etc. » (Édition de 1754.)

13. « Madame la Dauphine. » (Ibidem.)

14. Mme de Maintenon.

i5. c Ainsi que. » (Édition de 1754 )

16. Mme de Montespan, sœur de Vivonne.

17. Il De n'aller plus la voir. d (Édition de 1754.)

18. a Ni pour l'esprit, ni pour l'humeur. à (Ibidem.)

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Dauphin de tout ce qu'il avoit à faire, et fit19 une ma- ■ nière de géographie dont il se réjouit fort avec les courtisans.

Pour M. le prince de Conti, c'est une chose étrange que les mauvais bruits qui courent de lui : cela commence à l'embarrasser20. Ce jeune prince de la Roche-sur-Yon21 le désole : l'autre jour, Mme la princesse de Conti dansoit; il dit tout haut : « Vraiment, voilà une fille qui danse bien. » Cette folie toute simple et toute brusque fit rougir ce pauvre frère aîné, et le défit à plate couture.

Voilà bien des riens que je vous conte : ce seroit une belle chose d'y répondre.

Je vois souvent Mlle de Méri; sa santé, c'est-à-dire sa maladie, est comme vous l'avez vue; elle n'est pas plus mal, mais ses chagrins augmentent tous les jours.

Son petit ménage est plus difficile à régler que l'hôtel de Lesdiguières". Elle a loué la plus jolie maison du monde ; elle n'en veut plus.

La bonne des Hameaux" est décédée, comme dit

19. « Et imagina. j (Édition de 1754.)

20. Voyez sur ces mauvais bruits la lettre de Bussy à la marquise de Montjeu, datée du 2 5 mars 1680.

21. Son frère. — Le texte de 1737 n'a pas la fin de l'alinéa, qu'il termine par les mots le désole; mais il est le. seul qui donne ici le paragraphe suivant; l'édition de 1754 l'a intercalé dans la lettre du 26 mars, avant ces mots : a Le chevalier est à Paris , etc., a p. 325.

22. « Sa maison (de la duchesse de Lesdiguières), dont la porte étoit toujours ouverte, étoit aussi toujours fermée d'une grille, qui laissoit voir un vrai palais de fée, tel que les dépeignent les romans. Le dedans, presque désert, mais de la dernière magnificence, y répondoit par là et par sa singularité, que ne démentoit pas son train, sa livrée, la housse jaune de son carrosse, et ses deux grands Maures avec tout leur appareil. » (Saint-Simon, tome Xill, p.-33o et 331.)

23. On voit dans Tallemant des Réaux un Nicolas des Hameaux, président de la chambre des aides et de la cour des comptes, et une Suzanne Ardier, sœur de Mme Fieubet, femme de ce Nicolas des

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M. de Coulanges : elle a voulu qu'on mît sa mort dans la Gazette, afin que les amis qu'elle a encore dans les pays étrangers priassent Dieu pour elle; elle a prié qu'on sonnât à Saint-Paul 24 la grosse sonnerie, et un gentilhomme 26 qui demeure chez elle de ne point jouer le jour de sa mort. Elle laisse de médiocres biens, parce qu'elle les a dépensés fort honorablement28 pendant sa vie : voilà nos filles bleues en deuil 27.

M. de Marsillac est affligé outre mesure; son pauvre père est sur le chemin de Yerteuil28 fort tristement; et pour Mme de la Fayette, le temps, qui est si bon aux autres, augmente et augmentera sa tristesse.

Je n'ai point encore vu les Grignans; ils sont tous séparés. Mon fils m'a écrit une grande lettre, toute pleine encore de ses raisons : j'avois envie de vous l'envoyer; mais si j'avois pu vous copier la réponse que j'y ai faite, et vous faire voir comme je renverse et ridiculise29 tous ses raisonnements, vraiment vous aimeriez cette lettre.

Hameaux. « Après la marquise de Verneuil, fondatrice de ce couvent (les Annonciades célestes ou filles bleues), la comtesse des Hameaux fut sa principale bienfaitrice. » (Dictionnaire de Paris, par Hurtaut et Magny, tome I, p. 274.) — Décédé était, dit Furetière, le mot en usage dans tous les billets d'enterrement.

24. Cette église, qui a donné son nom à la rue Saint-Paul, a été détruite en 1800.

25. « Elle a souhaité qu'on mît. afin que les amis. prient Dieu pour elle ; elle a voulu qu'on sonnât. et a prié un gentilhomme, etc. » (Édition de 1754.)

26. « Parce qu'elle a fait une dépense fort honorable, s (Ibidem.)

27. Ce membre de phrase manque dans l'édition de 1754.

28. Terre de la Rochefoucauld, a-vec titre de baronnie, dans l'Angoumois. Voyez tome V, p. 52, note 6, et p. 90, note 10.

29. a Comme je ridiculise et renverse. » (Édition de 1754.)

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793. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ

A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, mardi 26e mars.

Vous n'avez donc pas été en Barbarie, ma chère enfant, et vous êtes revenue sur vos pas à Aix. Je comprends très-bien les fatigues que vous avez eues à Marseille -vous avez voulu soutenir les extrêmes honnêtetés de M. de Vivonne, et son amitié vous a coûté cher à ce prix; il me semble que je vous vois prendre sur votre courage ce que vos forces vous refusent. Mlles de Grignan n'iront-elles pas tout de suite1 à la Sainte-Baume?

Ce sont des devoirs qu'il faut rendre en Provence. Montgobert est du voyage : vous n'aurez que la Pythie et Pauline pour vous gouverner. Vous avez fort envie d'aller à Grignan, mais il me semble qu'il est bien matin2 : vous trouverez encore la bise en furie; elle renverse vos balustres, elle en veut à votre château : serat-elle plus forte que cette autre tempête qui le bat depuis si longtemps? J'espère que Dieu le soutiendra contre tous ses efforts; mais je ne sais si vous soutiendrez, vous, ma fille, la froideur de cet air glacé et pointu, qui perce les plus robustes3. Je n'ose vous parler de votre retour : voudriez-vous passer l'hiver à Grignan ? est-ce une chose praticable? Voudriez-vous le passer à Aix, où sera M. de Vendôme ?

Le chevalier est à Paris; j'espère que je le verrai : je ne

LETTRE 793. — 1. e Tout d'un train. » (Édition de 1754.)

2. « Vous avez fort envie d'aller à Grignan, je sais vos raisons; sans cela je vous dirois qu'il est bien matin. » (Ibidem.)

3. cc qui le bat depuis si longtemps? Il faut qu'il soit bon pour y avoir résisté : j'espère que Dieu le soutiendra contre tant d'efforts redoublés; mais vous, ma chère enfant, soutiendrez-vous cet air pointu et glacé, qui perce les plus robustes? » (Ibidem.)

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puis me passer de quelque Grignan. J'eus l'autre jour beaucoup de plaisir de causer avec le Coadjuteur ; il s'en faut bien que nous n'ayons tout dit. Le chevalier fait bien de vous divertir par toutes les nouvelles qu'il sait; pour moi, je vous mande ce que j'attrape ; quand je ne sais rien4, je me jette sur le nez de M. du Rivaux6.

J'ai vu le chevalier : il a été à son régimente ; nous avons fort parlé de vous , et de vos affaires, et de votre santé ; il est aussi mal content que moi de voir que vous ne vous comptiez pour rien dans le monde : eh, bon Dieu ! qui est-ce qui vaut mieux que vous ? Cela est triste , ma fille, de voir sa vie et la douceur de sa vie menacée et dérangée par l'embarras des affaires domestiques : je n'ose vous demander certains détails ;■ mais quel chagrin pour moi de ne vous être bonne à rien7 !

Mme de Verneuil me parloit l'autre jour 8 de son rang, qui croît tous les jours ; ce n'est pas cela que je lui envie : quel bonheur d'avoir sa famille auprès de soi, et d'être en état de les combler de biens ! En vérité, ma fille, il faut songer à ceux qui sont plus malheureux que nous, pour nous faire avaler nos tristes destinées.

Voilà une lettre de mon fils; je crois qu'il vous mande les mêmes choses qu'à moi ; jamais il n'y eut une vocation pareille à la sienne. Il voit que personne n'est de son avis ; on lui dit des raisons assommantes : il renou-

4. t Je vous mande celles que j'attrape; quand je n'en sais point, etc. » (Édition de 1754.)

5. Mme de Sévigné veut sans doute parler d'un des fils du marquis du Rivau, qui venait de mourir de la petite vérole. Bussy écrit le 9 mars 1680 au marquis de Trichâteau : a Le fils du marquis du Rivau est mort de la petite vérole. Il eût, dit-on, épousé Mlle de Chiverni. »

6. Ce second membre de phrase n'est pas dans le texte de 1737.

7. a De ne pouvoir vous être bonne à rien. » (Édition de 1754.)

8. « En dernier lieu. » (Ibidem.)

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velle ses vœux; et la plus forte volonté qu'il ait jamais eue est celle qu'il ne devroit point avoir. La F**9 a été rudement repoussé quand il a proposé d'être à Monsieur le Dauphin : le Roi ne peut souffrir ceux qui quittent le service; et quand mon fils n'aura plus de charge, je lui conseillerai d'être un provincial plutôt qu'un coureur de comédie et d'opéra : il se trompe en toutes les vues 10 qu'il a sur ce sujet.

Pour moi, mon enfant, je ne songe qu'à vous revoir; plus la mort de M. de la Rochefoucauld me fait penser à la mienne, plus je desire de passer le reste de ma vie avec vous. Mme de la Fayette est tombée des nues ; elle s'aperçoit à tous les moments de la perte qu'elle a faite; tout se consolera, hormis elle. M. de Marsillac, à présent M. de la Rochefoucauld, est déjà retourné à son devoir11. Le Roi l'envoya quérir; il n'y a point de douleur qu'il ne console ; la sienne a été au delà des bornes ; et le moyen de courir le cerf avec une affliction violente ?

Ne trouvez-vous pas que le nom de la Rochefoucauld est quasi aussi chaud à prendre que celui de Monsieur d'Aleth12 ? M. de Marsillac vouloit le laisser refroidir, mais le public ne l'a pas voulu ; il est le maître 13.

Jamais Rouville 14 nous a-t-il voulu laisser passer celui d'Adhémar ?

Vous voulez Il que j'écrive à M. de Vivonne : eh, bon

9. La Fare. — 10. « Dans toutes les vues. s (Édition de -1754.)

11. Il était grand veneur.

12. Nicolas Pavillon, évêque d'Aleth, un des plus grands et des plus saints prélats de l'Église de France, mort le 8 décembre 1677.

(Note de Perrin, 1754.)

i3. a Le public est le maître. » (Édition de 1754.)

14. Le comte de Rouville, vieux courtisan que son mérite et sa vertu avoient mis en droit de décider à la cour. (Note de Perrin, 1754.) — Voyez tome II, p. 415, note 4.

15. Cet alinéa ne se lit que dans le texte de 1754.

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Dieu ! n'est-il pas trop bien payé de vous avoir vue, de vous avoir régalée ? Ce seroit donc pour se réjouir avec lui de ce qu'il est plus raisonnable cette année que l'autre, qu'il faudroit lui faire un compliment; j'en avois tantôt commencé un, ma plume n'étoit pas en train, j'ai tout planté là.

Je crois qu'enfin Madame la Dauphine aura l'honneur de me voir. Mme de Cliaulnes l'a entrepris ; je me laisse vaincre : je vous en manderai des nouvelles. Vous ne me parlerez de longtemps de ce pauvre M. de la Rochefoucauld, lui qui me parloit si souvent de vous; j'ai un billet et des compliments de votre part pour lui 16 : cela fait transir. Jamais homme 17 n'a été si bien pleuré; Gourville a couronné tous ses fidèles services dans cette occasion ; il est estimable et adorable par ce côté-là18 de.

son cœur, au delà de ce que j'ai jamais vu : il faut m'en croire. Je vous rebats un peu ce chapitre, ma fille, c'est que j'en suis pleine 19 : c'est une perte publique, et particulière pour nous. Adieu, ma très-chère enfant : je ne connois point de degré au delà de la tendresse et de l'inclination naturelle que j'ai pour vous 20.

16. « Pour lui de votre part. » \Édition de 1754.)

17. OE Jamais un homme. » (Ibidem.)

18. s Par ce ccté. » (Ibidem.)

19. œ C'est qu'en vérité j'en suis pleine. D (Ihidem.)

20. Il Au delà de l'inclination naturelle que j'ai pour vous. d (Ihidem.)

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YC)4- - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, vendredi 29" mars.

Vous aviez bien raison de dire que j'entendrois parler de la vie que vous feriez en l'absence de M. de Grignan et de ses filles : cette vie est tout extraordinaire ; vous vous êtes jetée dans un couvent. Vous savez qu'on ne se jette point à Sainte-Marie : c'est aux Carmélites qu'on se jette. Vous vous êtes donc jetée dans un couvent, vous avez couché dans une cellule; je suppose que vous avez mangé de la viande, quoique vous ayez mangé au réfectoire : le médecin qui vous conduit ne vous auroit pas laissé faire une folie. Vous avez très-habilement évité les récréations. Vous ne me dites rien de la petite d'Adhémar : ne lui avez-vous pas permis d'être dans un petit coin à vous regarder? La pauvre enfant! elle étoit bien heureuse de profiter de cette retraite1

J'étois avant-hier tout au beau milieu de la cour; Mme de Chaulnes enfin m'y mena. Je vis Madame la Dauphine, dont la laideur n'est point du tout choquante, ni désagréable ; son visage lui sied mal, mais son esprit lui sied parfaitement bien : elle ne fait pas une action, elle ne dit pas une parole qu'on ne voie qu'elle en a beaucoup 2 ; elle a les yeux vifs et pénétrants ; elle entend et comprend facilement toutes choses; elle est naturelle, et non plus embarrassée ni étonnée que si elle étoit née au milieu du Louvre. Elle aune extrême reconnoissance pour

IJEttke 794 (revue en très-grande partie sur une ancienne copie).

— 1. Voyez la Notice, p. 225 et suivantes.

2. Dans l'édition de 1754, la seule de Perrin qui donne cette lettre : « lui sied parfaitement : elle ne fait et ne dit rien qu'on ne voie qu'elle en a beaucoup. »

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le Roi, mais c'est sans bassesse : ce n'est point comme étant au-dessous de ce qu'elle est3, c'est comme ayant été choisie et distinguée dans toute l'Europe. Elle a l'air fort noble, et beaucoup de dignité et de bonté; elle aime les vers, la musique, la conversation; elle est fort bien quatre ou cinq heures dans sa chambre paisiblement à ne rien faire4 ; elle est étonnée de l'agitation qu'on se donne pour se divertir ; elle a fermé la porte aux moqueries et aux médisances. L'autre jour, la duchesse de la Ferté vouloit lui dire une plaisanterie, comme un secret, sur cette pauvre princesse Marianne6, dont la misère est à respecter ; Madame la Dauphine lui dit avec un air sérieux : « Madame, je ne suis pas curieuse , » et ferme ainsi la porte , c'est-à-dire la bouche, aux médisances et aux railleries 6. Mmes de Richelieu, de Rochefort et de Maintenon me firent beaucoup d'honnêtetés , et me parlèrent de vous. Mme de Maintenon, par un hasard, me fit une petite visite d'un quart d'heure, où elle me conta7 mille choses de Madame la Dauphine, et me parla encore de vous', de votre santé, de votre esprit, du goût que vous avez l'une pour l'autre, de votre Provence, avec autant d'attention qu'à la rue des Tour-

3. a De ce qu'elle est aujourd'hui. » (Édition de 1754.)

4. « Quatre - ou cinq heures toute seule dans sa chambre. »

(Ibidem.)

5. La princesse de Conti (Marie-Anne) : voyez la lettre du 22 mars précédent, p. 323 et la note 20. Est-ce une allusion plaisamment hyperbolique à la Marianne, si malheureusement mariée, de la Cléopatre et de la tragédie de Tristan? — Voyez sur la duchesse de la Ferté, tome V, p. 499, note 4.

6. Cette fin de phrase : a et ferme ainsi, etc., u n'est que dans notre manuscrit.

7. s Une petite visite d'un quart d'heure; elle me conta, etc. »

(Édition de 1754.)

8. a Et me reparla de vous. » (Ibidem.)

1680

nelles ® : un tourbillon me l'emporta, c'étoit Mme de Soubise qui rentroit dans cette cour au bout de ses trois mois, jour pour jour Elle venoit de la campagne ; elle a été dans une parfaite retraite pendant son exil; elle n'a vécu que le jour qu'elle est revenue11. La Reine et tout le monde la reçut fort bien ; le Roi lui fit une très-grande révérence : elle soutint avec très-bonne mine tous les différents compliments qu'on lui faisoit de tout côté12 Monsieur le Duc me parla beaucoup de M. de la Rochefoucauld, et les larmes lui en vinrent encore aux yeux. Il y eut une scène bien vive entre lui et Mme de la Fayette, le soir que ce pauvre homme il étoit à l'agonie; je n'ai jamais tant vu de larmes, et jamais une douleur plus tendre et plus vraie : il étoit impossible de ne pas être comme eux; ils disoient des choses à fendre le cœur; jamais je n'oublierai cette soirée. Hélas ! ma chère enfant, il n'y a que vous qui ne me parliez point encore de cette perte ; voilà où l'on connoît encore mieux l'horrible éloignement : vous m'envoyez des billets et des compliments pour lui ; vous n'avez pas envie que je les porte sitôt. M. de Marsillac aura les lettres de M. de Grignan avec le temps ; jamais une affliction n'a été plus vive : il n'a encore osé voir Mme de la Fayette 16 ; quand les autres de la famille la sont venus voir, c'a

9. Où Mme de Maintenon avait demeuré. Voyez tome II, p. 5i, fin de la note 18.

10. Dans notre manuscrit : a jour par jour. »

II. « Que du jour qu'elle est revenue, a (Édition de 1754.)

12. « De tous côtés. » (ibidem.)

i3. Le mot homme a été sauté dans notre manuscrit.

14. cr Ni jamais. » (Édition de 1754.)

15. :Ah! c'est ou l'on connoît. » (ibidem.)

16. « Il n'y eut jamais une affliction plus vive que la sienne : Mme de la Fayette ne l'a point encore vu. » (Ibidem.) — Dans notre

168 o

été un renouvellement étrange. Monsieur le Duc me parloit donc tristement là-dessus.

Nous entendîmes, après dîner, le sermon du Bourdaloue, qui frappe toujours comme un sourd, disant des vérités à bride abattue, parlant contre l'adultère à tort et à travers : sauve qui peut, il va toujours son chemin17

Nous revînmes avec beaucoup de plaisir : la Guénégaud étoit avec nous, qui n'avoit bougé de chez M. Colbert; la Karman étoit aussi des nôtres : je leur promis qu'à moins d'une dauphine, j'étois bien servante18, à mon âge et sans affaires, de ce bon pays-là.

Hier Mme de Vins vint dîner joliment avec moi : elle vouloit savoir mon voyage. Nous avons fort parlé de vous; en vérité elle vous aime beaucoup. Elle causa fort avec Corbinelli et la Mousse19 ; la conversation étoit sublime et divertissante ; Bussy n'y gâta rien. Nous allâmes faire quelques visites, et puis je la ramenai. Je vis Mlle de Méri, qui ne veut plus du tout de son bail; elle s'en

manuscrit, le copiste, par inadvertance, a écrit action, au lieu de affliction.

17. La Gazette (p. 155) nous apprend que le P. Bourdaloue prêchait cette année le carême à Saint-Germain devant Leurs Majestés.

Si le sermon que Mme de Sévigné entendit le 27 mars est le discours prêché devant la Reine sur la parfaite obserllation de la Loi, qui, dans le Carême de Bourdaloue, est le sermon du mercredi de la troisième semaine, mercredi qui, en 1680, était en effet le 27 mars, il contient, vers la fin de la première partie, un morceau d'une application bien directe et bien frappante : « Il vous plaît d'entretenir encore quelque commerce avec cette personne. et vous êtes sûr de vousmême. voilà la vanité; mais ce reste de commerce. fera revivre toute la passion, etc., etc. » Voyez tome III, p. 451, note 5.

18. « Mmes de Guénégaud et de Carman (voyez tome II, p. 288, note 3) étoient des nôtres : je le 3 assurai fort qu'à moins d'une dauphine, j'étois servante, etc. » [Édition de 1754.)

19. « Mme de Vins, qui vouloit savoir des nouvelles de mon voyage, vint hier dîner joliment avec moi. Elle causa longtemps avec Corbinelli et la Mousse. « (Ibidem.)

1680

prend à l'abbé, qui croyoit que Mme de Lassay 20 étoit demeurée d'accord de tout; il se défend fort bien, et maintient que ce logement est fort joli : c'est une nouvelle tribulation. Vous n'êtes pas en état d'envisager votre retour, vous êtes encore trop battus de l'oiseau21 , comme disoit l'abbé au reversis : j'espère qu'après quelques mois de repos à Grignan vous changerez d'avis, et que vous ne trouverez pas qu'un hiver à Grignan soit une bonne chose à imaginer.

Pour mon fils il est vrai que je trouve du courage : je lui dis et redis toutes mes pensées ; je lui écris des lettres que je crois qui sont admirables ; et plus je donne de force à mes raisons, et plus il pousse les siennes, avec une volonté si déterminée22, que je comprends que c'est là ce qui s'appelle vouloir efficacement. Il y a un degré de chaleur dans le désir qui l'anime, à. quoi nulle prudence humaine 23 ne peut résister. Je n'ai pas sur mon cœur d'avoir préféré mes intérêts à sa fortune : je les trouverois tout entiers à la voir 24 marcher avec plaisir dans un chemin où je le conduis depuis si longtemps. Il se trompe dans tous ses raisonnements, il est tout de travers : j'ai tâché de le redresser avec des raisons toutes droites et toutes vraies, appuyées du sentiment de tous nos amis ; et enfin je lui dis : « Mais ne vous défiez-

ao. Sans doute Marie-Anne Pajot, seconde femme du marquis de Lassay, lequel épousa plus tard Mlle de Guenani. Voyez tome II, p. 140, note 4.

21. a On dit qu'un homme est battu de l'oiseau, quand il lui est arrivé plusieurs malheurs, plusieurs pertes, qui lui ont abattu le courage. m (Dictionnaire de Furetière.)

22. « Mais plus je donne de force à mes raisons, plus il pousse les siennes; et sa volonté paroît si déterminée, etc. » (Édition de 1754.) — A la ligne suivante, le mot vouloir a été omis dans notre manuscrit.

23. « Nulle prudence. » (Édition de 1754.)

24. « A le voir. » (Ihidem.)

1680

vous de rien, quand vous voyez que vous seul pensez une chose que tout le monde désapprouve ? Il Il met l'opiniâtreté à la place d'une réponse, et nous en revenons toujours à ménager qu'au moins il ne fasse pas un marché extravagant.

Adieu 26, ma très-chère : j'ignore comment vous vous portez; je crains votre voyage, je crains Salon, je crains Grignan; je crains en un mot tout ce qui peut nuire à votre santé, et par cette raison, je vous conjure de m'écrire bien moins qu'à l'ordinaire.

795. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, mercredi 3e avril.

VOICI 1 encore de la tristesse, ma chère fille: M. Foucquet est mort2; j'en suis touchée : je n'ai jamais vu perdre tant d'amis; j'ai de plus la crainte que me donne votre mauvaise santé et le retour de toutes vos incommodités ; car quoique vous veuilliez me le cacher, je

25. Notre manuscrit ne donne de ce paragraphe que le mot Adieu, et remplace le reste par un etc.

LETTRE 795. — I. Dans le texte de 1754, la lettre commence ainsi : CI' Ma chère enfant, le pauvre M. Foucquet est mort, j'en suis touchée : je n'ai jamais vu perdre tant d'amis; cela donne de la tristesse de voir tant de morts autour de soi; mais ce qui n'est pas autour de moi, et ce qui me perce le cœur, c'est la crainte que me donne le retour de toutes vos incommodités; car quoique vous vouliez, etc. »

2. Le 23 mars. La Gazette (p. 168) annonce sa mort en ces termes sous la rubrique de Paris, le 6 avril : « On nous mande de Pignerol que le sieur Foucquet y est mort d'apoplexie. Il avoit été procureur général du parlement de Paris et surintendant des finances. »

1680

sens vos brasiers, vos pesanteurs, votre point. Cet intervalle si doux est passé, et ce n'étoit pas une guérison.

Vous dites vous-même que Une flamme mal éteinte Est facile à rallumer8.

Ces remèdes que vous mettez dans votre cassette, comme très-sûrs dans le besoin, devroient bien être employés présentement*; et si vous aviez pour moi une véritable amitié, vous m'en donneriez de charmantes marques en vous occupant à vous guérir.

J'ai vu le petit Beaumont8 : vous pouvez penser si je l'ai questionné ; quand je songeois qu'il n'y avoit que huit jours qu'il vous avoit vue, il me paroissoit un homme tout autrement estimable que les autres : il dit que vous n'étiez pas si bien quand il est parti que vous étiez cet hiver. Il m'a parlé de vos soupers, qu'il trouvoit très-bons, de vos divertissements, de l'honnêteté de M. de Grignan et de la vôtre, du bon effet que Mlles de Grignan faisoient pour soutenir les plaisirs, pendant que vous vous reposiez. Il dit des merveilles de Pauline et du petit marquis. Jamais je n'eusse fini la conversation la première ; mais il vouloit aller à SaintGermain, car il m'a vue avant le Roi son maître. Son grand-père a eu la charge 8 qu'a eue le maréchal de Bellefonds : il étoit très-intime ami de mon père, et au lieu d'aller chercher des parents, comme on a coutume de

3. C'est la pensée exprimée par Corneille dans ce vers de Sertorius (acte I, scène m) : Et le feu mal éteint est bientôt rallumé.

4. Ce qui suit le mot présentement est remplacé dans l'édition de 1754 par cette phrase : a M. de Grignan n'aura-t-il point de pouvoir dans cette occasion? et n'est-il point en peine de l'état où vous êtes? »

5. Voyez la Notice, p. 17, note 4, et p. 317.

6. De premier maître d'hôtel du Roi. (Note de Perrin.)

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faire, mon père le prit, sans autre mystère, pour nommer sa fille, de sorte que c'étoit mon parrain. J'ai extrêmement connu toute cette famille : je trouve le petit-fils fort joli, mais fort joli; vous avez bien fait de ne lui point parler de votre frère : c'est un petit libertin qui diroit comme le loup 7. Je n'ai parlé de cette affaire qu'à ceux à qui mon fils en a parlé lui-même, pour tâcher de trouver des marchands.

Je vous crois présentement à Grignan. Je vois avec peine l'agitation de vos adieux, au sortir de votre solitude , qui vous a paru si courte ; je vois un voyage à Arles, autre mouvement ; et le voyage jusqu'à Grignan, où vous aurez peut-être trouvé une bise pour vous recevoir : ma fille, ce n'est pas sans inquiétude que l'on imagine toutes ces choses pour une personne aussi délicate que vous 8. Vous m'avez envoyé une relation d'Anfossy 9 qui vaut mieux que toutes les miennes : je ne m'étonne pas. si vous ne pouvez vous résoudre à vendre une terre où il se trouve de si jolies Bohémiennes; jamais il ne s'est vu une si agréable et si nouvelle réception 10. Je vous trouve si pleine de réflexions, si stoïcienne , si méprisante les choses de ce monde, et la vie même, que vous ne pouvez rien approuver dans cette

7. Ce membre de phrase ne se trouve que dans le texte de 1737.

— Voyez ci-dessus, p. 290 et la note 10.

8. « Je vois avec peine l'agitation de vos adieux; je vois, au sortir de votre solitude, qui vous a paru si courte, un voyage à Arles, autre mouvement; et je vois le voyage jusqu'à Grignan, où vous aurez peut-être trouvé une bise pour vous recevoir dans l'état où vous êtes : ah. ! ce n'est point sans inquiétude pour une personne aussi délicate que vous, qu'on se représente toutes ces choses. » (Édition de 1754.)

9. Secrétaire du comte de Grignan. Voyez tome V, p. 393, note 2, et p. 440.

10. « Il n'y eut jamais une plus agréable et plus nouvelle réception. » (Édition de 1754.)

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humeur. Si je joignois mes réflexions aux vôtres, ce se- roit peut-être une double tristesse H; mais ce qui me paroîtroit sage et raisonnable, et digne de l'amitié de M. de Grignan, ce seroit de mettre tous ses soins à pouvoir revenir ici au mois d'octobre. - Vous n'avez point d'autre lieu pour passer l'hiver. Je ne veux pas vous en dire davantage présentement; les choses prématurées perdent leur force, et donnent du dégoût. x

Il n'est plus question d'aucun grand voyage ; on ne parle que de Fontainebleau 12. Vous aurez cette année trèsassurément M. de Vendôme. Pour moi, je cours en Bretagne avec un chagrin insurmontable ; j'y vais, et pour y aller, et pour y être un peu, et pour y avoir été, et qu'il n'en soit plus question 13. Après la perte de la santé, que je mets toujours avec raison au premier rang, rien n'est si fâcheux que le mécompte et le dérangement des affaires : je m'abandonne donc à cette cruelle raison. Jugez de l'excès de mon inquiétude, vous qui savez avec quelle impatience 14 je souffre le retardement de deux heures des courriers ; vous comprenez bien ce que je vais devenir, avec encore un peu plus de loisir et de solitude , pour donner plus d'étendue à mes craintes; il faut avaler ce calice, et penser à revenir pour vous embrasser; car rien ne se fait que dans cette vue; et me trouvant au-dessus de bien des choses, je me trouve infiniment au-dessous de celle-là. C'est ma destinée; et

II. <r Vous êtes, en vérité, si stoïcienne et si pleine de réflexions, que je craindrois de joindre les miennes aux vôtres, de peur que ce ne fût une double tristesse. » (Édition de 1754-)

12. La cour quitta Saint-Germain pour Fontainebleau le 13 mai.

i3. Ce dernier membre de phrase manque dans l'impression de 1754.

14. « Jugez de l'excès de mon chagrin, vous qui savez avec quelle inquiétude, etc. 5 (Édition de 1754.)

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les peines qui sont attachées à la tendresse que j'ai pour [ vous, étant offertes à Dieu, font la pénitence d'un atta- chement qui ne devroit être que pour lui. Mon fils vient d'arriver de Douai, où il commandoit la gendarmerie à son tour16 pendant le mois de mars.

M. de Pompone a passé le jour ici; il vous aime, et voushonore, et vous estime parfaitement. Ma résidence pour vous auprès de Mme de Vins me fait être assez souvent avec elle, et en vérité on ne peut être mieux, La pauvre Mme de la Fayette ne sait plus que faire d'ellemême ; la perte de M. de la Rochefoucauld fait un si terrible vide dans sa vie, qu'elle en comprend mieux le prix d'un si agréable commerce : tout le monde se con-j solera, hormis elle , parce qu'elle n'a plus d'occupation, et que tous les autres reprennent leur place. Mlle de; Scudéry est très-affligée de la mort de M. Foucquet'j enfin voilà cette vie qu'on a eu tant de peine à conser-j ver18 : il y auroit beaucoup à dire là-dessus ; son mal i7j a été des convulsions et des maux de cœur sans pouvoir vomir. Je m'attends au chevalier pour toutes les nouvelles , et surtout pour celles de Madame la Pauphine dont la cour est telle que vous l'imaginez 18 : le Roi jï est fort souvent, cela écarte un peu la presse. Adieu, ma très-chère et très-aimable : je suis plus vous que je ne puis vous le dire mille fois 19.

i5. Les mots à son tour manquent dans le texte de 1754. J

16. « Qui a tant donné de peine à conserver. » (Édition de 1754.

17. « Sa maladie, » (Ibidein.) j

18. Le texte de 1754 ajoute ici : 0 vos pensées sont très-justes. 1

19. « Je suis plus à vous mille fois que je ne puis vous le dire. a (Edition de 1754.)

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796. - DE MADAME DE SÉVIGlré A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, vendredi 5e avril.

Vous m'écrivez, ma chère fille, une fort grande lettre de votre main ; cela commence par me donner beaucoup de chagrin1, quand je pense au mal que cela vous fait.

Vous m'aviez tant promis de vous ménager, que je

comptois un peu plus sur les paroles que vous m'en aviez données2. Mais je ne puis m'empêcher d'être persuadée que vous me tiendrez celle de me venir voir cet hiver, et je veux croire que nous avons déjà passé plus de la moitié du temps que nous devons être séparées. J'admire comme il passe, ce temps, quoique avec bien des inquiétudes et bien de l'ennui. Vous dites fort bien, il est quelquefois aussi bon de le laisser passer que de le vouloir retenir. Pour moi, vous savez comme je le jette, et comme je le pousse jusqu'à ce que vous soyez ici; et puis je serai avare et au désespoir de voir passer les jours'. Je vais avaler la Bretagne, et j'ai le bonheur de voir au delà, le temps que nous arriverons chacune de notre côté : mettez-vous un peu tout cela dans la tête, c'est par là d'ordinaire qu'on en vient à l'exécution.

Enfin vous me parlez de la mort de M. de la Rochefoucauld; elle est encore toute sensible en ce pays-ci, et M. de Marsillac n'a point encore pris la contenance d'un homme consolé; il remplit parfaitement le personnage

LETTRE 796 (revue en partie sur une ancienne copie). — 1. « Beaucoup d'inquiétude. » (Édition de 1754.)

2. cr Que vous m'en donniez. » (Ibidem.)

3. « Pour moi, qui le jette, comme vous savez, et le pousse jusqu'à ce que vous soyez ici, j'en suis avare quand vous y êtes, et suis désespérée de voir passer les jours. D (Ibidem.)

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du meilleur fils qui fut jamais, et d'un fils qui a perdu son intime ami en perdant son père. J'ai fait vos com- pliments à Mme de la Fayette; ce n'est plus la même personne; je ne crois pas qu'elle puisse jamais ôter de son cœur le sentiment d'une telle perte; je l'ai sentie et par moi et par elle, et beaucoup plus par rapport aux idées que j'avois4 qu'il étoit un chemin qui pouvoit être bon pour vous : enfin cela est fini6. Voyez, je vous prie, la quantité de personnes considérables qui sont mortes depuis un an. Si j'étois du conseil de la famille de M. Foucquet, je me garderois bien de faire voyager son pauvre corps, comme on dit qu'ils vont faire : je le ferois enterrer là ; il seroit à Pignerol ; et après dixneuf ans, ce ne seroit point de cette sorte que je voudrois le faire sortir de prison. Je crois que vous êtes de mon avis 8

Je7 serois du vôtre pour rompre le carême, si je n'étois persuadée avec du Chesne que l'usage que je fais de l'eau de cerises tous les matins m'a entièrement guérie de cette légère disposition que j'avois à la néphrétique. C'est un remède infaillible pour un mal aussi invétéré que le mien, et plût à Dieu que vous eussiez autant de soin de vous gouverner pour l'amour de moi, que j'ai eu d'attention à me guérir pour l'amour de vous !

Le chevalier est à son devoir ; il partit fort en pleine

4. c Et par les idées que j'avois. j (Éditions de 1737 et de 1754.)

5. Ce petit membre de phrase ne se lit que dans notre manuscrit.

6. Voyez la lettre suivante, p. 345.

7. Cet alinéa ne se lit pas ailleurs que dans notre manuscrit, où le copiste, par une faute singulière, a écrit (voyez quatre et cinq lignes plus loin) frénétique, au lieu de néphrétique. — La première phrase de l'alinéa suivant n'est, au contraire, que dans les deux éditions de Perrin; seulement celle de 1754, au lieu des mots : a en peine de vous, » donne : « en peine de votre santé. »

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de vous. Je crois que Monsieur d'Évreux ira. se faire sa- crer à Arles après l'assemblée 8, et reviendra avec vous.

En vérité, rien n'est si délicieux que son établissement; c'est une maison de campagne que la Providence vous envoie', où vous pouvez être sans l'incommoder, tant elle est grande et belle, et à une journée de Versailles.

Le Coadjuteur a eu de très-douces paroles sur la proposition d'occuper la place qu'avoit Monsieur de Marseille". Cette réponse de ministres peut passer quasi 11 pour une assurance que Sa Majesté l'approuvera. Je crois que vous verrez bientôt Mme de Vence12 ; elle est partie ce matin toute triste de quitter Paris18. Je voulois qu'elle vous portât votre pendule, mais nous n'avons pu l'avoir assez tôt; ce sera pour la première occasion.

Mme de Coulanges est à Saint-Germain ; nous avons su par les marchands forains qu'elle fait des merveilles en ce pays-là, qu'elle est avec ses trois amies aux heures particulières : son esprit est une dignité dans cette cour. Si le vrai mérite encore par-dessus l'esprit

8. L'assemblée du clergé, qui fut tenue du 25 mai au 10 juillet de cette année.

9. La fin de la phrase, depuis les mots vous envoie, manque dans l'édition de 1754.

10. De président à l'assemblée des états de Provence. (Note de Perrin.) — Il fut en effet nommé à cette présidence, dont il se démit en 1689. Voyez la lettre du 17 avril suivant, la note 14 de la lettre du 6 décembre précédent, p. 122, et la lettre du 26 octobre 1689.

11. « En quelque sorte. ï (Édition de 1754.) — Dans les deux éditions de Perrin, il y a : a des ministres, » au lieu de : 0 de ministres. s

12. La femme du marquis de Vence, dont il est parlé tome II, p. 5oo, note 5?

i3. Cette phrase manque dans l'impression de 1737, et la suivante est seulement dans notre manuscrit.

14. Voyez tome II, p. 104, note 5..

15. Mmes de Richelieu, de Maintenon et de Rochefort. (Note de Perrin. )

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y trouvoit sa place, vous auriez, sans vous flatter, un grand sujet de croire que vous y seriez fort bien. C'est une vie assez retirée que celle qu'on y mène ; le soir, on tient le cercle un moment, comme vous faisiez à Aix, pour dire : « Me voilà ; » et du reste on est hors de la presse; mais je fais tort au chevalier de vous mander ces sortes de choses. Adieu, ma chère belle : je suis toujours toute à vous; un peu ou beaucoup d'inquiétude pour votre santé est inséparable de cette vérité : cette peine est attachée à la tendresse que j'ai pour vous; vos soins pour votre conservation devroient l'être à celle que vous avez pour moi 17.

M. de Coulanges trouve que vous avez fait peu d'estime du couplet qu'il a fait sur vos beaux-frères et sur l'aîné 18; il se surpasse en fait de chansons; il étoit juste qu'il s'y donnât tout entier.

16. Dans notre manuscrit : a c'est une vie assurée, retirée. »

17. « Un peu ou beaucoup d'inquiétude est inséparable de cette vérité : cette peine est attachée à l'amitié que j'ai pour vous, comme le soin de votre santé devroit tenir à l'amitié que vous avez pour moi. » (Édition de 1754.)

18. « M. de Coulanges trouve que vous n'avez pas fait assez de cas de son couplet sur vos beaux-frères et sur leur aîné. » (Ibidem.) — Voici le couplet, assez insignifiant, dont il est question ici : Sur l'air de Joconde.

L'infortuné devient heureux Sitôt que le Roi parle ; Un Grignan -évêque d'Evreux, L'autre archevêque d'Arle ; Le chevalier près Monseigneur, Dans un poste qui brille, Présagent dans peu le bonheur Du chef de la famille.

M. de Grignan répondit sur les mêmes rimes : J'ai trop de quoi borner mes vœux, C'est mon cœur qui te parle;

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Mon fils entre dans la pensée de faire de nécessité vertu; il attendra avec patience extérieure que quelque jeune ambitieux vienne rompre ses chaînes : cela n'est pas aisé à trouver. Voilà deux prélats de Grignan qui viennent manger mon beurre de Bretagne : que je suis aise de les avoir, en attendant mieux !

  • 797. - DE MADAME DE SÉVIGLTÉ AU COMTE DE GUITAUT.

Vendredi 5e avril.

VOILA deux étranges maladies, en attendant la troisième , qui est d'accoucher. Mon Dieu ! que je vous plains, mon pauvre Monsieur, et que je suis bien plus propre qu'un autre 1 à sentir vos peines ! Hélas ! je passe ma vie à trembler pour la santé de ma fille ; elle avoit eu un assez long intervalle, elle avoit fait quelques remèdes d'un médecin d'Aix2, qu'elle estime fort; elle les a négligés, elle est retombée dans ces incommodités qui me paroissent très-considérables, parce qu'elles sont intérieures : c'est une chaleur, une douleur, un poids dans le côté gauche, qui seroit très-dangereux s'il étoit con-

Un Grignan évêque d'Évreux, L'autre archevêque d'Arle; Le chevalier près Monseigneur, Dans un poste qui brille, Coulanges, c'est le vrai bonheur Du chef de la famille.

(Recueil de chansons choisies, tome II, p. 19 et 20.) LETTBE 797 (revue sur l'autographe). — 1. Nous avons déjà remarqué plus haut un semblable emploi du masculin du mot autre : voyez tome V, p. 5oo, et note 6.

2. Voyez la lettre du 17 mars précédent, p. 314, et note 16.

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tmuel; mais, Dieu merci, elle a des temps qu'elle ne s'en sent pas , et cela persuade qu'avec un peu de persévérance à faire ce qu'on lui ordonne, elle apaiseroit ce sang qu'on accuse de tous ces maux. Elle vous a écrit : ah ! puisque vous l'aimez, priez-la de ne vous plus écrire de sa main : c'est l'écriture qui la tue, mais visiblement. Qu'elle vous fasse écrire par Montgobert; j'ai obtenu d'elle qu'elle n'écrit qu'une seule page, et le reste d'une autre main. Je reviens donc à vous assurer que je comprends vos peines mieux que tout le reste du monde.

M. de la Rochefoucauld est mort, comme vous le savez ; cette perte est fort regrettée ; j'ai une amie qui ne peut jamais s'en consoler ; vous l'aviez aimé, vous pouvez imaginer quelle douceur et quel agrément pour un commerce rempli de toute l'amitié et de toute la confiance possible entre deux personnes dont le mérite n'est pas commun; ajoutez-y la circonstance de leur mauvaise santé, qui les rendoit comme nécessaires l'un à l'autre, et qui leur donnoit un loisir de goûter leurs bonnes qualités, qui ne se rencontre point dans les autres liaisons.

Il me paroît qu'à la cour on n'a pas le loisir de s'aimer : le tourbillon, qui est si violent pour tous , étoit paisible pour eux, et donnoit un grand espace au plaisir d'un commerce si délicieux. Je crois que nulle passion ne peut surpasser la force d'une telle liaison ; il étoit impossible d'avoir été si souvent avec lui sans l'aimer beaucoup , de sorte que je l'ai regretté et par rapport à moi, et par rapport à cette pauvre Mme de la Fayette, qui seroit décriée sur l'amitié et sur la reconnoissance, si elle étoit moins affligée qu'elle ne l'est. Il est vrai qu'il n'a pas joui longtemps de la fortune et des biens répandus depuis peu dans sa maison ; il le prévoyoit bien et m'en a parlé plusieurs fois : rien n'échappoit à la sagesse de ses ré-

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flexions. Il est mort avec une grande fermeté. Nous cau-

serions longtemps sur tout cela.

Et le pauvre M. Foucquet, que dites-vous de sa mort?

Je croyois que tant de miracles pour sa conservation promettoient une fin plus heureuse; mais les Essais de morale condamnent ce discours profane8, et nous apprennent que ce que nous appelons des biens n'en sont pas, et que si Dieu lui a fait miséricorde, comme il y a bien de l'apparence, c'est là le véritable bonheur et la fin la plus digne et la plus heureuse qu'on puisse espérer, qui devroit être le but de tous nos désirs, si nous étions dignes de pénétrer ces vérités; ainsi nous corrigerions notre langage aussi bien que nos idées. Voilà encore un chapitre sur quoi nous ne finirions pas sitôt.

Cette lettre devient une table des chapitres, et seroit un volume si j'y disois tout ce que je pense. Si la famille de ce pauvre homme me croyoit, elle ne le feroit point sortir de prison à demi : puisque son âme est allée de Pignerol dans le ciel, j'y laisserois son corps après dix-neuf ans; il iroit de là tout aussi aisément à la vallée de Josaphat que d'une sépulture au milieu de ses pères ; et comme la Providence l'a conduit d'une manière extraordinaire, son tombeau le seroit aussi. Je trouverois un ragoût dans cette pensée ; mais Mme Foucquet ne pensera point comme moi. Les deux frères sont allés bien près l'un de l'autre ; leur haine a été le faux endroit de tous les deux, mais bien plus de l'abbé, qui avoit passé jusqu'à la rage.

Autre chapitre : disons un mot de Madame la Dauphine. J'ai eu l'honneur de la voir ; il est vrai qu'elle n'a

3. Ce que dit ici Mme de Sévigné peut se rapporter à divers traités de Nicole, particulièreme^ à celui des Quatre dernières fins de rhomme. Sur les fausses idées'et le faux langage à Tégard des biens et des maux, on peut voir le Discours du même auteur qui traite du Danger des entretiens des hommes (Ire partie, chapitre n).

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nulle beauté, mais il est vrai que son esprit lui sied si parfaitement bien, qu'on ne voit que cela, et l'on n'est occupé que de la bonne grâce et de l'air naturel avec lequel elle se démêle de tous ses devoirs. Il n'y a nulle princesse née dans le Louvre qui pût s'en mieux acquitter. C'est beaucoup que d'avoir de l'esprit au-dessus des autres dans cette place, où pour l'ordinaire on se contente de ce que la politique vous donne : on est heureux quand on trouve du mérite. Elle est fort obligeante, mais avec dignité et sans fadeur; elle a ses sentiments tout formés dès Munich, elle ne prend point ceux des autres. On lui propose de jouer: « Je n'aime point le jeu. »

On la prie d'aller à la chasse : « Je n'ai jamais aimé la chasse. — Qu'aimez-vous donc ? — J'aime la conversation ; j'aime à être paisiblement dans ma chambre ; j'aime à travailler; » et voilà qui est réglé et ne se contraint point. Ce qu'elle aime parfaitement, c'est de plaire au Roi. Cette envie est digne de son bon esprit, et elle réussit tellement bien dans cette entreprise, que le Roi lui donne une grande partie de son temps au dépens4 de ses anciennes amies, qui souffrent cette privation avec impatience.

Songez, je vous prie, que voilà quasi toute la Fronde morte : il en mourra bien d'autres ; pour moi, je ne trouve point d'autre consolation, s'il y en a dans les pertes sensibles, que de penser qu'à tous les moments on les suit, et que le temps même qu'on emploie à les pleurer ne vous arrête pas un moment; vous avancez toujours dans le chemin : que ne diroit-on point là-dessus?

Adieu, mon cher Monsieur : aimons-nous toujours beaucoup. Et vous aussi, Madame, ne voulez-vous pas bien en être? Mandez-moi promptement quand vous

- 4. du dépens est ainsi au singulier dans l'autographe.

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aurez augmenté le clapier : ce sera peut-être d'un petit homme. Enfin croyez que je prends un grand intérêt à la poule et aux poussins. Le bon abbé est tout à vous.

798. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, samedi au soir 6e avril.

Vous allez apprendre une nouvelle qui n'est plus un secret, mais vous aurez le plaisir de la savoir des premières. Mme de Fontanges est duchesse, avec vingt mille écus de pension ; elle en recevoit aujourd'hui les compliments dans son lit. Le Roi y a été publiquement ; elle prend demain son tabouret, et s'en va passer le temps de Pâques à une abbaye que le Roi a donnée à une de ses soeurs Voici une manière de séparation qui fera bien de l'honneur à la sévérité du confesseur. Il y a des gens qui disent que cet établissement sent le congé; en vérité, je n'en crois rien : le temps nous l'apprendra.

Voilà2 ce qui est présent : Mme de Montespan est enragée; elle pleura beaucoup hier ; vous pouvez juger du martyre que souffre son orgueil ; il est encore plus outragés

LETTBE 798. — I. Jeanne, fille de Jean-Rigaud de Scorraille, comte de Roussille, et d'Aimée-Léonore de Plas, sœur aînée de Mme de Fontanges et de Mme de Molac, était religieuse de SaintBenoît en l'abbaye de Farmoutier. Le Roi lui donna l'abbaye de Maubuisson (voyez la lettre du ter mai suivant). Elle fut, le 25 août de cette même année, bénite abbesse de Chelles, après la démission de Marguerite Guionne de Cossé, abbesse depuis 1676. Elle mourut en 1688, et le Roi donna de nouveau l'abbaye à Marguerite de Cossé (voyez le Journal de Dangeau, tome II, p. 131). Sur l'abbaye de Maubuisson, voyez les Environs de Paris, par M. Joanne, p. 467 et suivantes.

2. Dans le texte de 1754 : « voici. »

3. a son orgueil, qui est encore plus outragé. » (Édition de 1754.)

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par la haute faveur de Mme de Maintenon. Sa Majesté va passer très-souvent deux heures de l'après-dînée dans sa chambre5, à causer avec une amitié, et un air libre et naturel qui rend cette place la plus souhaitable dû monde6. Mme de Richelieu commence à sentir les effets de sa dissipation : les ressorts s'affoiblissent visiblement; elle présente tout le monde, et ne dit plus ce qui convient à chacun ; ce petit tracas de dame d'honneur, dont elle s'acquittoit si bien, est tout dérangé.

Elle présenta la Trousse et mon fils, sans les nommer à Monseigneur. Elle dit de la duchesse de Sully : « Voilà une de nos danseuses ; » elle ne nomma pas Mme de Verneuil : elle pensa laisser baiser Mme de Louvois', parce qu'elle la prenoit pour une duchesse; enfin cette place est dangereuse, et fait voir que les petites choses font plus de mal que l'étude de la philosophie. La recherche de la vérité n'épuise pas tant une pauvre cervelle que tous les compliments et tous les riens dont celle-là est remplie.

M. de Marsillac a paru un peu sensible à la prospérité de la belle Fontanges7 ; il n'avoit donné jusque-là aucun signe de vie.

Mme de Coulanges vient d'arriver de la cour; j'ai été

4. « Dans la chambre de cette dernière. » (Édition de 1754.)

5. a Ce qui rend cette place la plus desirable du monde. » (Ibidem.)

6. Bussy écrit à Mme de Montjeu, le 25 mars 1680 : « Je pense, Madame, qu'on vous aura mandé que Madame la Dauphine ne baise que les femmes des officiers de la couronne ; après cela vous saurez que lorsqu'on lui présenta Mme de Louvois, la princesse, entêtée de ce nom-là, qui fait bien plus de bruit dans les pays étrangers que celui des ducs, s'avança pour la baiser dès qu'elle la vit entrer dans sa chambre; Mme de Richelieu courut après elle, lui disant tout haut : a On ne la baise pas. » Mme de Louvois se plaint fort de Mme de Richelieu, et dit que ce n'eût pas été une si grande honte à Madame la Dauphine d'en avoir été baisée qu'à elle d'en avoir été empêchée de cette manière-là. »

7. Marsillac paraît avoir été mélé à la liaison du Roi et de Mlle de

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chez elle exprès avant que de vous écrire. Elle est charmée de Madame la Dauphine ; elle a grand sujet de l'être: cette princesse lui a fait des caresses infinies; elle la connoissoit déjà par ses lettres et par le bien que Mme de Maintenon lui eu avoit dit. Mme de Coulanges a été dans un cabinet où Madame la Dauphine se retire l'aprèsdînée avec ses dames; elle y a causé très-délicieusement.

On ne peut avoir plus d'esprit et d'intelligence qu'en a cette princesse ; elle se fait adorer de toute la cour : voilà une personne à qui on peut plaire, et avec qui le mérite peut faire un grand effet.

Mme de Coulanges est toujours obsédée de notre cousin a; il ne paroît plus qu'elle l'aime, et cependant c'est l'ombre et le corps. La marquise de la Trousse est toujours enragée : savez-vous qu'elle a changé sur le sujet de sa fille9? Elle n'en vouloit point : elle la veut; et M. de la Trousse, qui la vouloit, ne la veut plus. Cette division fixe la vocation de cette fille, qui n'en a point d'autre.

Le père n'ose se soucier ni d'elle, ni de sa femme, parce que la dame traite tout cela avec un mépris outrageant ; il faut donc étouffer tous les sentiments de la nature : Pour qui? pour une ingrate10.

Fontanges. Voyez la Correspondance de Bussy, tome IV, p. 38i, 386, 419 et 43o. Les vers suivants circulaient à cette époque : Sur l'océan de la faveur Marsillac vogue à pleines voiles : Quoiqu'il ne soit pas grand chasseur, Pour avoir mis la bête dans les toiles, Le Roi l'a fait son grand veneur.

8. Le marquis de la Trousse.

9. Henriette-Marie, fille unique du marquis de la Trousse; elle épousa Amédée-Alphonse, fils du marquis de Voghère et de la princesse de la Cisterue. Il était grand veneur et grand fauconnier du duc de Savoie, et mourut le 14 octobre 1698, à l'âge de trente-six ans.

10. Andromaque, acte V, scène iv.

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qui ne l'aime plus ", car je le sais ; mais il est si misérable et si soumis, que sa foiblesse lui fait comme une passion: jamais je n'ai vu moins d'amitié que dans cet amour-là.

Ma fille, voilà ce qui me vient présentement ; il me semble que j'aurois bien des choses à dire. Mandez-moi quand vous aurez cette lettre12 ; elle est un peu comme celles de Gicéron13

799. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, vendredi 12e avril.

Vous me parlez de Madame la Dauphine; le chevalier vous doit instruire bien mieux que moi. Il me paroît qu'elle ne s'est point condamnée à être cousue avec la Reine : elles ont été à Versailles ensemble1 mais les autres jours elles se promènent2 séparément. Le Roi va souvent l'après-dînée chez la Dauphine, et il n'y trouve

II. Dans le texte de 1787 : « qu'il n'aime plus. a

12. « Quand vous aurez reçu cette lettre. n (Édition de 1754.)

i3. La traduction des Epîtres familières de Cicéron par Godouin, professeur d'hébreu au Collége de France, qui avait paru pour la première fois en i663, avait été réimprimée dans les tomes VII-IX des OEuvres de Cicéron, publiées par du Ryer en 1670 (12 volumes in-12).

LETTRE 799 (revue presque en entier sur une ancienne copie).

— 1. Il Le 24e de ce mois, dit la Gazette (sous la rubrique de Versailles, le 28 mars), le Roi et la Reine, accompagnés de Monseigneur le Dauphin, de Madame la Dauphine, de Monsieur et de Madame, vinrent ici de Saint-Germain. Le Roi fit voir à Madame la Dauphine les appartements du château, se promena avec elle dans les allées du petit parc, la mena à Trianon, et lui donna le soir une collation dans l'appartement des bains. Ils retournèrent à Saint-Germain, d'où ils sont revenus ici aujourd'hui pour voir les eaux. »

2. a Elles se promenoient. » (Édition de 1737.) — Dans notre manuscrit, elles est au pluriel et promène au singulier.

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point de presse. Elle tient son cercle depuis huit heures du soir jusqu'à neuf et demie : tout le reste est particulier, elle est dans ses cabinets avec ses dames ; la princesse de Conti y est presque toujours ; elle a grand besoin de cet exemple pour se former : elle est enfant au delà de ce qu'on peut imaginer, et Madame la Dauphine est une merveille d'esprit s, de raison et de bonne éducation. Elle parle fort souvent de sa mère avec beaucoup de tendresse, et dit qu'elle lui doit tout son bonheur, par le soin qu'elle a eu de la bien élever4; elle apprend à chanter, à danser, elle lit, elle travaille : enfin c'est une personne6 Il est vrai que j'ai eu la curiosité de la voir; j'y fus donc avec Mme de Chaulnes et Mme de Karman : elle étoit à sa toilette, elle parloit italien avec M. de Nevers. On nous présenta; elle nous fit un air honnête, et l'on voit bien que si on trouvoit une occasion de dire un mot à propos, elle entreroit bien aisément6 en conversation : elle aime l'italien, les vers, les livres nouveaux, la musique, la danse ; vous voyez bien qu'on ne seroit pas longtemps muette avec tant de choses, dont il est aisé de parler; mais il faudroit du temps.

Elle s'en alloit à la messe, et même Mme de Richelieu et Mme de Maintenon n'étoient pas dans sa chambre. Enfin c'est un pays' qui n'est point pour moi; je ne suis point

3. « Elle est dans ses cabinets avec ses dames; c'est en vérité une merveille d'esprit, etc. » (Édition de 1787.) — « Elle est dans ses cabinets avec ses dames; la princesse de Conti y est presque toujours ; comme elle est encore enfant, elle a grand besoin de cet exemple pour se former. Madame la Dauphine est une merveille d'esprit, etc. »

(Édition de 1754.)

4. a Qu'elle doit tout son bonheur au soin qu'elle a eu de la bien élever. » (Edition de 1737.)

5. « C'est une personne enfin. » (Édition de 1754.)

6. « Fort aisément. s (Ibidem.)

7. « La cour, ma chère enfant, est un pays, etc. » (Ihidem.)

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d'un âge à vouloir m'y établir, ni à souhaiter d'y être soufferte8; si j'étois jeune, j'aimerois à plaire à cette princesse; mais, bon Dieu! de quel droit9 voudrois-je y retourner jamais ?

Voilâmes projets pour la cour10. Ceux de mon fils me paroissent tout rassis et tout pleins de raison : il gardera sa charge paisiblement, et fera de nécessité vertu"; la presse n'est pas grande à soupirer pour elle, quoiqu'elle soit propre12 à faire soupirer : c'est qu'en vérité il n'y a point d'argent", et qu'il voit bien qu'il ne faut pas faire un sot marché; ainsi, mon enfant, nous attendrons ce que la Providence a ordonné.

Vraiment elle voulut hier que Monsieur d'Autun" fit aux grandes Carmélites l'oraison funèbre de Mme de Longueville, avec toute la capacité, toute la grâce et toute l'habileté 16 dont un homme puisse être capable. Ce

8. Ce membre de phrase : o je ne suis point d'un âge, etc., » manque dans l'impression de 1737, et les mots m'y établir ne sont pas dans notre manuscrit.

9. Dans notre manuscrit, par une faute du copiste : e de quel endroit. »

10. « Voilà mes projets à cet égard. » (Édttion de 1754.) — Cet alinéa manque dans notre manuscrit, qui n'en a que les derniers mots : « Nous attendrons ce que la Providence (par une faute du copiste : la province) a ordonné. u

II. Ces mots : « et fera de nécessité vertu, » ne sont pas dans le texte de 1737.

12. a Si propre. » (Édition de 1754O

i3. « C'est qu'en vérité l'argent est fort rare. » (Ibidem.)

14. Gabriel de Roquette. C'était lui aussi qui avait prononcé en 1672 l'oraison funèbre de Mme la princesse de Conti. Voyez tome III, p. 3i, note 1, et la Correspondance de Bussy, tome VI, p. 242 et 243. — Mme de Longueville était morte un an auparavant, le 15 avril 1679. Mme de Sévigné dit plus loin (voyez p. 370) que cette oraison funèbre de Mme de Longueville ne fut pas imprimée.

15. Notre ancienne copie porte ltahitité, au lieu d'habileté.

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n'étoit point Tartuffe18, ce n'étoit point un Patelin", c'étoit un prélat de conséquence, prêchant avec dignité, et parcourant toute la vie de cette princesse avec une adresse incroyable, passant tous les endroits délicats, disant et ne disant pas tout ce qu'il falloit dire ou taire.

Son texte étoit : Fallax pulchritudo; mulier timens Deum laudabitur, aux Proverbes16. Il fit deux points également beaux; il parla de sa beauté et de toutes ces guerres passées, d'une manière inimitable ; et pour la seconde partie, vous jugez bien qu'une pénitence de vingt-sept ans est un beau champ pour conduire une si belle âme jusque dans le ciel. Le Roi y fut loué fort naturellement et fort bien, en parlant de sa naissance, et Monsieur le Prince fut contraint aussi d'avaler des louanges, mais aussi bien apprêtées en leur manière que celles de Voiture19. Il étoit là ce héros, et Monsieur le Duc, et les princes de Conti, et toute sa famille20, et beaucoup de monde ; mais pas encore assez : il me semble qu'on devoit rendre ce respect à Monsieur le Prince sur une mort dont il avoit encore les larmes aux yeux. Vous me demanderez pourquoi j'y étois? C'est que

16. On croyoit, en ce temps-là, que Févéque d'Autun étoit l'original que Molière avoit eu en vue dans le Tartuffe. (Note de Perrin, 1754.)

17. « Un Pantalon. » (Édition de 1737.)

18. « La beauté est trompeuse; la femme craignant Dieu sera louée. »

— L'avant-dernier verset du livre des Proverbes (chapitre xxxi, 3o) est : Fallax gratia et vana est pulchritudo : mulier timens Dominum ipsa laudabitur.

19. « Le Roi y fut loué fort naturellement et fort bien, et Monsieur le Prince fut contraint d'avaler aussi des louanges, mais aussi bien apprêtées que celles de Voiture, s (Édition de 1737.) — « Le Roi y fut loué fort naturellement, et Monsieur le Prince encore fut contraint d'avaler des louanges, mais aussi bien apprêtées, quoique dans un autre goût, que celles de Voiture. D (Édition de 1754.)

20. a Et toute la famille. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

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Mme de Guénégaud par hasard, l'autre jour chez M. de Chaulnes, me promit de m'y mener avec une commodité qui me tenta : je ne m'en repens pas ; il y avoit beaucoup de femmes qui n'y avoient pas plus à faire que moi.

Monsieur le Prince et Monsieur le Duc faisoient beaucoup d'honnêtetés à tous ceux et celles qui composoient cette assemblée.

Je vis Mme de la Fayette au sortir de cette cérémonie; je la trouvai toute en larmes : elle avoit trouvé sous sa main de l'écriture de ce pauvre homme, qui l'avoit surprise et affiigée 2f. Je venois de quitter Mlles de la Rochefoucauld aux Carmélites ; elles y avoient pleuré aussi leur père22 : l'aînée surtout a figuré avec M. de Marsillac. C'étoit donc à l'oraison funèbre de Mme de Longuevilie que ces filles pleuroient23 M. de la Rochefoucauld: ils sont morts dans la même année ; il y avoit bien à rêver sur ces deux noms. Je ne crois pas, en vérité, que Mme de la Fayette se console; je lui suis moins bonne qu'une autre, car nous ne pouvons nous empêcher de parler de ce pauvre homme24, et cela tue ; tous ceux qui lui étoient bons avec lui25 perdent leur prix auprès d'elle : elle est à plaindre26. Elle a lu votre petite lettre; elle vous remercie tendrement de la manière que vous

21. II: Il étoit tombé sous sa main de l'écriture de M. de la Rochefoucauld, dont elle fut surprise et affligée. » (Édition de 1754.)

22. « Où elles avoient aussi pleuré leur père. ï (Ibidem.) Notre manuscrit donne : cr Mlle de la Rochefoucauld. elle y avoit pleuré aussi leur père. »

a3. Dans les deux éditions de Perrin : « qu'elles pleuroient. »

24. « De parler du sujet de sa douleur. » (Édition de 1737.) — Immédiatement après, dans les deux éditions de Perrin : « et cela la tue. »

25. « Avec M. de la Rochefoucauld. » (Édition de 1737.)

26. Ces derniers mots : elle est à plaindre, et la phrase qui termine l'alinéa : a Elle vous fera réponse, etc., » ne se lisent pas ailleurs que dans notre manuscrit.

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comprenez27 sa douleur. Elle vous fera réponse; je l'ai priée de ne se point presser : sa santé est toute renversée; elle est changée au dernier point.

Vous ai-je dit comme Mme de Coulanges fut bien reçue à Saint-Germain ? Madame la Dauphine lui dit qu'elle la connoissoit déjà par ses lettres, que ses dames lui avoient parlé de son esprit, qu'elle avoit fort envie d'en juger par elle-même. Mme de Coulanges soutint trèsbien sa réputation : elle brilla dans toutes ses réponses ; les épigrammes étoient redoublées, et la Dauphine entend tout. Elle fut introduite dans les cabinets l'aprèsdînée avec ses trois amies : toutes les dames de la cour étoient enragées contre elle. Vous comprenez bien que par ses amies, elle se trouve naturellement dans la familiarité avec cette princesse28; mais où cela peut-il la mener28? et quels dégoûts quand on ne peut être des promenades, ni manger ! Cela gâte tout le reste : elle sent vivement cette humiliation30 ; elle a été quatre jours à jouir de ces plaisirs et de ces déplaisirs. Vous avez raison de plaindre M. de Pompone quand il va en ce payslà", et même Mme de Vins, qui n'y a plus aucune contenance : elle est toute replongée dans sa famille, plus que jamais", accablée de ses procès. Elle vint l'autre jour dîner avec moi joliment : Privée de son vrai bien, ce faux bien la soulage33 j

27. « Dont vous comprenez. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

28. « Que par ces amies elle se trouve naturellement dans la privauté. » (Ibidem.)

29. Dans notre manuscrit : « la ramener. »

3o. Ce membre de phrase n'est pas dans le texte de 1737, et à la ligne suivante les mots et de ces déplaisirs manquent dans notre manuscrit.

31.' « Dans ce pays-là. » (Édition de 1754.)

32. Les mots plus que jamais manquent dans l'édition de 1754.

33. La lettre finit ici dans notre manuscrit, qui a seul le vers cité par Mme de Sévigné.

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elle paroît fort touchée de votre amitié : vous ne sauriez nous ôter l'espérance ni l'envie de vous recevoir, chacune selon nos degrés de chaleur. Vous êtes à Grignan, ma chère bonne : vous êtes trop près de moi ; il faut que je m'éloigne.

800. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, mercredi 17e avril.

IL faut que je vous avoue ma foiblesse, ma chère enfant : il y a quatre jours que je suis dans une inquiétude plus insupportable qu'elle ne l'a paru à tout le monde; car on se moquoit de ma crainte, et l'on me disoit que pour avoir été un ordinaire sans recevoir de vos lettres, ce n'étoit pas une raison pour être en peine, et que mille petites choses pouvoient causer ce dérangement. J'entrois dans leurs raisons ; j'étois fort aise qu'on se moquât de moi; mais intérieurement j'étois troublée, et il y avoit des heures où mon chagrin étoit noir, quoique ma raison tâchât toujours de l'éclaircir. Je vous avois laissée sur le bord de la Durance, c'est-à-dire à la veille de la passer; comme je hais cette rivière, il me semble qu'elle me hait aussi. La dernière fois que je l'ai vue, elle étoit hors de son lit comme une Furie déchaînée : cette idée m'avoit frappée ; je sais que les naufrages ne sont pas fréquents; mais enfin j'avoue ma folie, et j'ai été dans une inquiétude que je vous permets de nommer ridicule , pourvu que vous compreniez la très-sensible joie que je viens de ressentir en recevant vos deux paquets à la fois.

Vous voilà donc à Grignan, ma très-chère, avec toute

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votre famille ; je suis fort aise que vous y soyez en repos1; je souhaite que l'air ne vous fasse point de mal, et que votre bonne et sage conduite vous fasse du bien. Vous écrivez trop, ma fille : au nom de Dieu, servez-vous de ces mains inutiles dont vous pouvez jouir présentement ; je suis blessée quand je vois beaucoup de votre écriture; épargnez-moi donc en vous épargnant2. Je vous ai toujours dit vrai, quand je vous ai dit que je me portois bien ; je vais me purger à la fin de cette lune, avant que départir; j'avois même quelque, dessein de mettre une saignée dans ma valise ; mais du Chesne et Mme de la Troche ne me l'ont pas conseillé. Ne soyez point en peine de moi, ma très-chère : je m'en vais, afin de revenir, et d'avoir été. N'êtes-vous pas ravie devoir le Coadjuteur à la tête de votre assemblée ? il a eu dans cela tout l'esprit imaginable.

Je m'en vais finir ma lettre : voilà M. de la Garde, mon fils, Corbinelli, la Troche ; ils me font S un bruit enragé; ils ne me respectent point, parce que j'ai reçu de vos nouvelles; ils croient* que je n'oserois me fâcher : ils ont raison, ils n'ont qu'à crier tant qu'ils pourront, ils ne me mettront d'aujourd'hui en colère. Ils disent que Mme le Féron5 a été jugée; elle est bannie de la vicomté de Paris' : cela valoit bien la peine de la désho-

LETTHE 800. — 1. Ce membre de phrase manque dans le texte de 1737.

2. a Vous savez que je suis blessée de voir beaucoup de votre écriture, et que vous m'épargnez en vous épargnant. a (Édition de 1754).

3. « Qui me font. » (Ibidem.)

4. « Et croient. » (Ibidem.)

5. Voyez ci-dessus, p. 277, note 11.

6. On nommait ainsi une juridiction dont on peut voir le ressort et les dépendances dans VHistoire de la ville dc Paris de dom Félibien, tome III des pièces justificatives, p. 621 et 622.

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norer. Mme de Dreux7 ne sera pas plus mal traitée, ni notre pauvre frère de la Bastille'. Quel scandale pour rien! faites vos réflexions.

Je prends ordinairement d'autres heures pour écrire : tout a été à la culbute, à cause de ces huit jours que j'ai été sans vos lettres. Adieu, ma chère enfant : laissez-moi voir commencer votre appartement, et approuvez-nous.

J'embrasse de tout mon cœur M. de Grignan, malgré ses infidèles amours9.

801. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, vendredi saint 19e avril.

JE vous écrivis mercredi, ma fille, assez confusément, au milieu de deux ou trois personnes qui me romp oient la tête. J'oubliai inhumainement, contre l'ordinaire des grand'mères, à vou-s parler' de ma pauvre petite d'Aix': j'en suis encore à ma fille, et mon amour, car on dit F amour maternel, n'a point emporté ce premier degré dans le second; je suis pourtant en peine de cette pauvre enfant : vous me ferez plaisir, ma très-chère, de m'en donner des nouvelles3 ; vous m'assurez que les

7. Voyez plus haut, p. 277, note 10, et la lettre du 1er mai suivant, p. 366-368.

8. Le duc de Luxembourg.

g. Cette dernière phrase n'est pas dans l'impression de 1754.

LETTBE 801. — 1. « De vous parler. » (Édition de 1754.)

a. Dans son édition de 173." Perrin a abrégé ce passage de la façon suivante : i J'oubliai. à vous parler de ma pauvre petite d'Aix, dont je suis pourtant" en peine : vous me ferez plaisir, etc. »

3. « De m'en dire des nouvelles. ) (Édition de 1754.)

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vôtres sont bonnes : je le souhaite passionnément4 ; mais ne croyez pas que ce fût une belle invention pour me tirer de peine, que de me dire5 toujours que vous vous portez bien : il faut la vérité pour me contenter; je la sens de fort loin, et si vous pensiez toujours m'expédier en me mandant' des merveilles de votre santé, je n'aurois pas un seul moment de repos. Voilà comme je suis, ma très-chère; ainsi je me recommande à la sincérité de Montgobert. Pour moi, je vous ai dit la vérité, quand je vous ai assurée que je n'avois eu aucun ressentiment de néphrétique; je crois en être quitte pour jamais : c'est ce qui fait que j'honore les remèdes qu'on appelle usuels.

Monsieur le procureur général' me détermina à cette eau de lin : son père est mort de la gravelle ; il en a une telle peur, qu'il s'est dévoué à cette eau; il en boit en tout temps, et croit être en sûreté : comme le mien n'est pas mort de ce mal, je me contente d'en boire les matins.

Parlons d'autre chose8 : je me ressouviens de ce que nous faisions ensemble l'année passée en ce temps-ci9; j'admire comme le temps passe au travers des peines, des craintes, des inquiétudes : voilà le huitième mois de votre départ; je prie Dieu, ma fille, que nous puissions bientôt nous retrouver ensemble; il ne tiendra pas à votre appartement; il sera10, je vous assure, fort joli et fort commode : nous sommes si persuadés que vous ap-

4. Ce membre de phrase manque dans le texte de 1737.

5. c: Que de me mander. » (Édition de 1754.)

6. a En medisant. » (Ibidem.)

7. Achille de Harlay.

8. L'édition de 1754 place ici, en les intervertissant, deux membres de phrase que celle de 1737 donne à la fin de l'alinéa suivant : c Vous savez la vie, etc., » et : « Je passai hier le jour, etc. »

9. Les mots en ce temps-ci manquent dans le texte de 1754*

10. a Qui sera. » [Edition de 1754.)

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prouverea. notre petit dessein", que nous tenons le mar- teau levé pour donner le premier coup en montant en carrosse.

Mme de la Fayette fait encore une augmentation à son appartement, qu'elle pousse jusque sur son jardin : cela vous surprendra12. La pauvre femme est tellement abattue de la perte de M. de la Rochefoucauld, qu'elle n'en est pas reconnoissable. M. de la Garde dit que M. de Marsillac conserve sa tristesse au milieu de tous les taïauts13 : il est changé, il est triste, il est retiré. Je ne sais point de nouvelles ; vous savez" la vie qu'on fait ces jours-ci ; je passai hier le jour à nos sœurs de SaintJacques : Quiconque ne voit guère N'a guère à dire aussi 15

Voilà une excuse toute prête pour nos ignorances. Il me parolt, ma fille, que vous êtes bien contente d'être en repos chez vous. Ah, mon Dieu ! que je serois heureuse, si votre santé, vos affaires, vos résolutions s'accommodoient à mes désirs16 !

II. « Si persuadés de votre approbation. » (Édition de 1737.)

12. Le texte de 1737 n'a pas cette première phrase, et commence l'alinéa ainsi : « Mme de la Fayette est tellement abattue, etc. »

i3. M. de Marsillac étoit grand veneur. (Note de Perrin, 1754.) — Taïaut est le cri du chasseur a quand il appelle les chiens pour les lancer après la bête. » (Dictionnaire de Furetière.)

14. L'édition de 1754, qui a donné ce membre de phrase plus haut (voyez note 8), répète ici : 1 Vous savez comme on passe ces jours saints. »

i5. La Fontaine, fable des deux Pigeons, livre IX, fable n.

16. Dans le texte de 1737, la lettre se termine par un alinéa relatif au mariage de la princesse de la Trémouille. Nous avons maintenu cet alinéa à la date du 3 mai, avec l'édition de 1754 (cette lettre du 3 mai manque dans celle de 1737).

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802. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, vendredi 26e avril.

Eit relisant votre lettre du 12% que je n'avois fait qu'entrevoir avant que de fermer mon paquet, j'ai trouvé que ce n'étoit point une nouvelle raison qui pourroit vous obliger à venir, mais une des deux dont vous m'avez parlé, et qui est celle que vous couvez des yeux : je comprends ce que vous voulez dire, et plût à Dieu que ce fût à une si bonne chose que je dusse le plaisir de vous voir et de vous embrasser de tout mon cœur ! Il faut un peu laisser faire la Providence; j'ai peine à croire qu'elle n'ait pas pitié de moi.

Mlle de Méri vient coucher ce soir dans votre petite chambre ; tout est fort bien rangé, elle y sera très-bien.

Je suis un peu étonnée d'y trouver une autre que vous ; mais la vie est pleine de choses qui blessent le cœur. J'espère qu'elle se trouvera assez raisonnablement logée : mon voisinage ne l'incommodera point, ou du moins pas longtemps ; elle sera secourue de tous les gens que je laisse ; et si nous faisons nos petits accommodements, elle n'entendra point de bruit; elle en est loin ; cette petite chambre est sourde; eh, bon Dieu ! pourroit-on être incommodée d'un bruit qui fait espérer votre retour?

J'irai prendre tantôt Mlle de Méri pour l'amener ici.

Je m'en vais dîher chez la marquise d'Uxelles avec des hérétiques1. On disoit hier que Mme de Montespan vouloit remener 4e prieur de Cabrières2 chez lui, et sur les

LETTRE 802. — 1. Des jansénistes?

2. Trimont de Cabrières, prieur, eu 1680, de Saint-Geniez-deMalgoirez, mort en novembre 1685. — Le Mercure d'avril 1680 (p. 237) annonce qu'il est venu à Paris depuis peu de temps et a été présenté au Roi par le cardinal de Bouillon; qu'il a des secrets

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lieux' faire traiter ses enfants : il dit que le chaud de ce pays-là est meilleur pour ses remèdes. Ce seroit une étrange folie que de quitter la partie de cette manière : toutes les heures qu'elle occupe encore, elle les retrouveroit prises; pour moi, je crois que cela ne sera pas.

Cependant ce médecin forcé* traite Mme de Fontanges d'une perte de sang très-opiniâtre et très-désobligeante, dont ses prospérités sont troublées. Ne trouvez-vous pas que voilà encore un beau sujet de réflexion, pour en revenir à ce mélange continuel de maux et de biens, que la Providence nous prépare, afin qu'aucun mortel n'ait l'audace de dire : « Je suis content? » Ce mal est bien propre à troubler la joie et le repos au milieu des biens et des dignités. Cette pauvre Lestrange est chanceuse; elle est mal des deux côtés. La femme5 a cru qu'elle souhaitoit pour la fille* et au contraire elle donnoit à la fille des conseils si sages et si honnêtes, que Jupiter1

merveilleux pour guérir les maladies les plus incurables; qu'il a déjà fait plusieurs belles cures et a commencé par la duchesse d'Elbeuf. — « Ce prieur de Cabrières, dit Saint-Simon (Journal de Dangeau, tome II, p. 257 et 258), étoit un homme très-charitable, à recettes et à remèdes singuliers, et plus que cela à horoscopes et à toutes sortes de connoissances de cette nature, si connoissances cela se peut appeler. Quoi qu'il en soit, il avoit eu du bonheur, puisque M. de Louvois, qui y avoit une foi entière, étoit son grand protecteur, que le Roi, Mme de Montespan, Mme de Maintenon, tous les ministres, n'en avoient pas moins. C'étoit un bon homme, sans intérêts, sans ambition, qui se contentoit de peu, ne se méloit de rien, et entroit tant qu'il vouloit dans tous ces cabinets-là et dans bien d'autres de la cour beaucoup moins qu'on ne vouloit, et se tenoit presque toujours à sa campagne, grand ami de Ërissao, major des gardes du corps. »

- 3. C'est-à-dire en Provence. (Note de Perrin.)

4. Mme de Sévigné appeloit le prieur de Cabri ères le Médecin forcé, parce qu'il n'étoit rien moins que médecin, quoiqu'il eût des remèdes pour bien des maladies. (Note du même.)

5. La Reine. — 6. Mlle de Fontanges. — 7. Le Roi.

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l'ayant su, il l'a prise en horreur : voyez quel malheur !

et cependant quelle injustice! Tout est encore à Maubuisson : on croit qu'on pourroit bien ne se retrouver qu'à Fontainebleau, où l'on va le 13e du mois prochain8.

Il fait un temps entièrement détraqué : nous attendons encore sept ou huit jours pour partir; je ne vous dis point la ridicule douleur que donne ce second adieu ; elle est tout intérieure, et n'en est pas moindre.

Le Roi donne cent mille francs à Brancas pour marier sa fille9 au duc de Brancas son neveu ; et Brancas y ajoute

8. La Gazette du 18 mai annonce que la cour est arrivée à Fontainebleau le i3, et qu'elle doit y demeurer jusqu'au commencement de juillet.

9. Marie, seconde fille du comte de Brancas et sœur de la princesse d'Harcourt. Elle épousa Louis de Brancas, duc de Villars, fils du frère aîné de son père et de Marie-Madeleine, fille de Louis Girard, comte de Villetaneuse, procureur général de la chambre des comptes de Paris. Né le 14 février 1663, Louis de Brancas fut tenu sur les fonts par le Roi et Mlle de Montpensier le Ier mars suivant. En 1684 il fut nommé colonel du régiment de Luxembourg-infanterie. Il se retira en 1721 dans l'abbaye du Bec en Normandie, y resta dix ans, vint s'établir à l'Oratoire, à Paris, et mourut le 24 janvier 1739. Sa femme, qui avait été dame d'honneur de Madame de Bavière, mourut au Palais-Royal, le 17 août 1731, âgée d'environ soixante-dix ans.

Le duc de Brancas, son mari, cr étoit, dit Saint-Simon (tome IV, p. 120 et 121), un homme petillant d'esprit, mais de cet esprit de saillie, de plaisanterie, de légèreté et de bons mots, sans la moindre solidité, sans aucun sens, sans aucune conduite, qui se jeta dans la crapule et dans les plus infâmes débauches, où il se ruina dans une continuelle et profonde obscurité. Sa femme devint l'objet des regrets d'un mauvais mariage fait contre son goût et contre son gré, dont elle n'étoit pas cause ; elle passa sa vie le plus souvent sans pain et sans habits, et souvent encore parmi les plus fâcheux traitements, que sa vertu, sa douceur et sa patience ne purent adoucir. Elle persuada enfin une séparation au duc de Brancas. Pour son pain elle se mit à Madame. qui. la traita jusqu'à sa mort avec beaucoup d'égards et de distinctions. » Sur la manière dont s'était fait ce mariage, sur la conversion et la retraite de Brancas, voyez SaintSimon aux pages citées, et tome XVIII, p. ao4 et 2o5.

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cent mille écus. Bonneuil, l'introducteur des ambassadeurs, est mort10 ; il laisse une petite femme tout à fait ridicule. On dit que la nièce de la duchesse de la Vallière épouse le petit Molac".

Adieu, mon enfant : je vous embrasse de tout mon cœur.

8o3. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A. MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, mercredi ier mai.

JE ne sais, ma fille, quel temps vous avez en Provence ; mais celui qu'il a fait ici depuis trois semaines est si épouvantable , que plusieurs voyages en ont été différés1 ; le mien est du nombre. Le bon abbé a pensé périr en allant et revenant de la Trousse; c'est M. de la Trousse qui le dit, vous ne m'en croiriez pas. Ils avoient un architecte2 avec eux, et alloient donner leurs ordres à des ajustements, et même des dérangements si considérables, que ce château, que nous trouvions déjà si beau, ne sera pas reconnoissable. Voilà un commencement de lune qui pourra nous ramener du beau temps, et me faire partir : je ne sais point encore le jour; je ne vous puis dire la douleur que me donne ce second adieu8 : il me

10. Le 24 avril, à Paris. Son fils aîné avait la survivance, et faisait la charge depuis plusieurs années. Voyez la Gazette du 27 avril.

II. Louise - Gabrielle de la Baume le Blanc fut mariée, le 28 juillet 1681, à César-Auguste de Choiseul, comte du PlessisPraslin, depuis duc de Choiseul ; et ce fut la sœur de -Mlle de Fontanges qui épousa M. de Molac. Voyez la lettre du 5 juin 1680.

LETTRE 8o3. — 1. « En ont été dérangés. » (Edition de 1754.)

1. Probablement Bruan. Voyez la lettre du 13 juin 1685.

3. Ce membre de phrase manque dans le texte de 1737.

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semble que je suis folle de m'éloigner encore de vous4.

Je hais bien les affaires; je trouve qu'elles nous gourmandent beaucoup, et nous font aller et venir, et tourner à leur fantaisie. Je suis bien affligée6 d'être si loin de vous : il ne tiendra qu'à ceux qui me verront monter en carrosse, de croire que je les regrette; car il me sera impossible de retenir mes larmes en songeant que je vais mettre une distance de cent lieues avec celle qui est déjà entre nous ; cependant il faut s'en aller pour revenir8.

Mlle de Méri est dans votre petite chambre ; le bruit de cette porte qui s'ouvre et qui se ferme, et la circonstance de ne vous y point trouver, m'ont fait un mal que je ne puis vous dire. Tous mes gens font de leur mieux auprès d'elle; et si je voulois me vanter, je vous montrerois bien un billet qu'elle m'écrivit l'autre jour, tout plein de remerciements des secours que je lui donne; mais je suis modeste, je me contenterai de le mettre dans mes archives. J'ai vu Mme de Vins: elle est abîmée dans ses procès ; nous causâmes pourtant beaucoup. Nous admirâmes cet étrange mélange des biens et des maux, et l'impossibilité d'être tout à fait heureuse. Vous savez tout ce que la fortune a soufflé sur la duchesse de Fontanges ; voici ce qu'elle lui garde :

4. L'édition de 1754 ajoute ici, en déplaçant un membre de phrase que nous trouverons un peu plus loin : « et de mettre une distance de cent lieues par-dessus celle qui est déjà. »

5. cr Je serai si affligée en partant, qu'il ne tiendra qu'à ceux qui me verront monter en carrosse de croire que je les regrette beaucoup : il me sera impossible, etc. » (Édition de 1754.)

6. Les mots : a en songeant, etc., » manquent ici (voyez la note 4) dans l'impression de 1754. Le dernier membre de phrase du paragraphe : « cependant il faut, etc., » n'est pas dans celle de 1737, non plus que le commencement de l'alinéa suivant, jusqu'à : « J'ai vu Mme de Vins. »

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une perte de sang si considérable, qu'elle est encore à Maubuisson dans son lit, avec la fièvre, qui s'y est mêlée; elle commence même à enfler; son beau visage est un peu bouffi. Le prieur de Cabrières ne la quitte pas ; s'il fait cette cure, il ne sera pas mal à la cour. Voyez si tout cela n'est pas précisément contraire à l'état d'une pareille beauté'. Voilà de quoi méditer; mais en voici un autre sujet.

Mme de Dreux sortit hier de prison ; elle fut admonestéeS, qui est une très-légère peine, avec cinq cents livres d'aumône. Cette pauvre femme a été un an dans une chambre, où le jour ne venoit que d'un très-petit trou d'en haut, sans nouvelles, sans consolation. Sa mère, qui l'aimoit très-passionnément, qui étoit encore assez jeune et bien faite, et qu'elle aimoit aussi, mourut, il y a deux mois, de la douleur de voir sa fille en cet état. Mme de Dreux, à qui on ne l'avoit point dit, fut reçue hier à bras ouverts de son mari et de toute sa famille, qui l'allèrent prendre à cette chambre de l'Arsenal. Ses premières paroles furent9 : « Et où est ma mère ? et d'où vient qu'elle n'est pas ici? , M. de Dreux lui dit qu'elle l'attendoit chez elle. Elle ne put sentir la joie de sa liberté, et demandoit toujours ce qu'avoit sa mère, et qu'il falloit qu'elle fût bien malade, puisqu'elle ne venoit point l'embrasser. Elle arrive chez elle: « Quoi? je ne vois point ma mère ! quoi? je ne l'entends point! » Elle monte avec précipitation ; on ne savoit que lui dire : tout le monde pleuroit ; elle couroit dans sa chambre, elle l'appeloit ; enfin un père célestin, son confesseur, parut, et lui dit

7. a: Voyez si l'état où elle se trouve n'est pas précisément contraire au bonheur d'une telle beauté. 2 (Édition de 1754.)

8. Le mot est écrit admonêtée, ici et plus loin (voyez p. 368), dans l'édition de 1754.

9. c La première parole qu'elle dit, ce fut. » (Édition de 1754.)

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qu'elle ne la trouvèrent point, qu'elle ne la verroit que dans le ciel, qu'il falloit se résoudre à la volonté de Dieu.

Cette pauvre femme s'évanouit, et ne revint que pour faire des cris et des plaintes10 qui faisoient fendre le cœur, disant que c'étoit elle et la vue de son malheur qui l'avoient tuée, qu'elle voudroit être morte en prison, qu'elle ne pouvoit rien sentir que la perte d'une si bonne mère. Le petit Coulanges étoit présent à ce spectacle ; il avoit couru chez M. de Dreux, comme beaucoup d'autres, et il nous conta tout ceci hier au soir, si naturellement et si touché lui-même11, que Mme de Coulanges en eut les yeux rouges, et moi j'en pleurai sans pouvoir m'en empêcher. Que dites-vous, ma fille, de cette amertume qui vient troubler sa joie et son triomphe, et les embrassements de toute sa famille et de tous ses amis ? Elle est encore aujourd'hui dans des pleurs que M. de Richelieu ne peut essuyer : il a fait des merveilles dans toute cette affaire. Je me suis jetée insensiblement dans ce détail, que vous comprendrez mieux qu'une autre, et dont tout le monde est touché. On croit que M. de Luxembourg sera tout aussi bien traité12 ; car même il y avoit

10. tr Des plaintes et des cris. » (Édition de 1754.)

II. Cela ne l'empêcha pas de faire un très-joli couplet sur l'aventure de M. de Dreux. Voyez une note de la lettre du 12 mai suivant.

(Note de l'édition de 1818.)

12. « Sera tout aussi bien traité que Mme de Dreux; » et à la ligne suivante : a de la renvoyer. » (Édition de 1754.)- — Les pièces relatives au duc de Luxembourg n'ont pas été retrouvées parmi celles de l'affaire des poisons, qui existent à la bibliothèque de Monsieur (de l'Arsenal), de sorte qu'il est difficile de savoir positivement combien de temps le maréchal passa à la Bastille. Suivant Desormeaux, l'historien de la maison de Montmorency, le maréchal fut absous par arrêt du 17 avril, et le 18 il reçut un ordre du Roi qui l'exilait à vingt lieues de Paris. L'éditeur des Mémoires historiques et authentiques sur la Bastille, Paris, 1789,dit, à la p. ia4 du tome I, que l'arrêt fut rendu le 14 mai 1680. Cette date paraît être la véri-

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des juges qui étoient d'avis de renvoyer Mme de Dreux sans être admonestée; et c'est une chose terrible que le scandale qu'on a fait, sans pouvoir convaincre les accusés; cela marque aussi l'intégrité des juges.

Le discours de votre prédicateur nous a paru admirable ; nous l'avons approuvé et envié. La Passion que nous entendîmes ici près fut étrange : les mots de faquin et de coquin furent employés pour exprimer l'humiliation de Notre-Seigneur; cela ne donne-t-il pas de nobles et belles idées? Le Bourdaloue prêcha, comme un ange du ciel, l'année passée, et celle-ci encore18, car c'est le même sermon.

Ce que vous m'avez mandé de ce monde, qui paroîtroit un autre monde si l'on voyoit le dessous des cartes de toutes les maisons, me paroît une bien plaisante et bien véritable chose14 Eh, bon Dieu! que savons-nous si le cœur de cette princesse15, dont nous disons tant de bien, est parfaitement content? Elle a paru triste trois ou quatre jours : que sait-on? elle voudroit être grosse, elle ne l'est pas encore; elle voudroit peut-être voir Paris et Saint-Cloud, elle n'y a point encore été16 ; elle est complaisante et ne songe qu'à plaire : que sait-on si cela

table, car on voit ici que le Ier mai M. de Luxembourg n'était pas encore en liberté, et, dans la lettre du 18 mai suivant, que Mme de Sévigné venait de recevoir à Nantes la nouvelle de son élargissement.

Le duc fut envoyé dans ses terres ; il en fut rappelé au mois de juin 1681. Voyez la lettre du 24 juin 1681. (Note de l'édition de 1818.)

i3. Bourdaloue prêcha la passion le vendredi saint au matin (19 avril 1680), en présence du Roi et de la Reine: voyez la Gazette, p. 192.

14. « Est quelque chose de bien plaisant et de bien véritable. »

(Édition de 1754.)

i5. La Dauphine.

16. Elle alla à Paris, pour la première fois, le 6 mai, et à SaintCloud le 9. Voyez la Gazette, p. 228, et la lettre du 6 mai, p. 381.

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ne lui coûte rien? que sait-on si elle aime également les dames qui ont l'honneur d'être auprès d'elle? que saiton17 si une vie si retirée ne l'ennuie point? Je suis à cet endroit, lorsque je reçois18 votre aimable et triste lettre du 24e : vraiment, ma très-chère, elle me touche sensiblement.

Je ne suis point encore partie; c'est le mauvais temps qui m'a arrêtée : c'eût été une folie de s'exposer, tout étoit déchaîné". Je vous écrirai encore vendredi de Paris, et vous parlerai du petit bâtiment; j'y donne mon avis la première; je ne suis pas si sotte que vous pensez, quand il est question de vous. Il y a des histoires20 qu nous content de plus grands miracles ; et pourquoi certaines amitiés céderoient-elles à F autre21 ? ainsi je deviens architecte. Je vous admire sur tout ce que vous dites de la dévotion : eh, mon Dieu! il est vrai que nous sommes des Tantales; nous avons l'eau tout auprès de nos lèvres, nous ne saurions boire : un cœur de glace, un esprit éclairé 22. Je n'ai que faire de savoir la querelle des jansénistes et des molinistes pour décider; il me suffit de ce que je sens en moi ; le moyen d'en douter dès le moment que l'on s'observe un peu? Je parlerois long-

17. « Que sait-on enfin. » (Édition de 1754.)

18. Ces premiers mots de la phrase sont remplacés, dans le texte de 1754, par ceux-ci : a Je reçois dans ce moment. »

19. Cette phrase manque dans l'impression de 1737, qui commence ainsi la suivante : a Je vous écrirai encore avant mon départ, et vous parlerai, etc. i

ao. Tout le monde sait l'origine de la peinture et de la sculpture, et ce qu'on a dit d'un maréchal qui, étant amoureux de la fille d'un peintre, devint un excellent peintre, par la seule envie de plaire à sa maîtresse. (Note de Perrin.)

21. L'amour : voyez la note 12 de la lettre du 3 juillet suivant. — « Il y a des amitiés qui ne cèdent guère à l'autre. » (Édition de 1754.)

aa. Le texte de 1754 ajoute : « c'est cela même. »

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temps là-dessus, et j'en eusse été ravie quand nous étions ensemble; mais vous coupiez cflurt, et je reprenois tout aussitôt le silence ; Corbinelli en avoit l'endosse, car j'aime ses vérités. Il vient d'entendre par hasard un sermon de l'abbé Fléchier, à la vêture d'une capucine28, dont il est charmé. C'étoit sur la liberté des enfants de Dieu, qu'il a expliquée hardiment : il a fait voir qu'il n'y avoit que cette fille de libre, puisqu'elle avoit une participation de la liberté de Jésus-Christ et des saints; qu'elle étoit délivrée de l'esclavage de nos passions, dont nous sommes tourbillonnés 26; que c'étoit elle qui étoit libre, et non pas nous; qu'elle n'avoit qu'un maître, que nous en avions cent ; et que bien loin de la plaindre, comme nous faisions avec une grossièreté condamnable, il falloit la regarder, la respecter, l'envier, comme une personne choisie de toute éternité pour être du nombre des élus.

J'en supprime les trois quarts ; mais enfin c'étoit une pièce achevée. On n'imprime point l'oraison funèbre de Mme de Longueville.

Vous me demandez pourquoi je ne mène point Corbi-

23. Il y a dans les OEuvres de Fléchier (tome VII, p. 149 de l'édition de Nîmes, 1782) un Sermon pour une vêture, prêché à Paris dans l'église des Carmélites ; ce pourrait bien être celui qu'avait entendu Corbinelli. Voyez particulièrement ce passage (p. 157), où l'orateur, après avoir montré le monde « plein d'une espèce d'esclaves qui sont d'autant plus malheureux qu'ils s'imaginent d'être libres, s s'adressant à la nouvelle religieuse, lui dit : c Que votre sort est différent, ma chère sœur! Vous vous rendez, ce semble, captive, mais vous acquérez la véritable liberté des enfants de Dieu.

Vous cessez de jouir de tous les avantages qu'on possède dans le monde, mais vous commencez à jouir de la félicité que les saints possèdent dans le ciel, qui n'est autre chose qu'une paisible et volontaire nécessité d'obéir et de plaire à Dieu. »

24. a Que le prédicateur a expliquée. » (Édition de 1754.)

25. Les mots : « dont nous sommes tourbillonnés, » ne se trouvent pas dans l'impression de 1754*

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nelli ? C'est qu'il s'en va en Languedoc26 ; il est comblé des biens et des manières obligeantes de M. de Vardes, qui a accompagné" les douze cents francs" d'une si admirable sauce, qui l'a assaisonnée de tant de paroles choisies29, et de sentiments si tendres et si généreux, que la philosophie de notre ami n'y résiste pas. Vardes est tout extrême; et comme je suis persuadée qu'il le haissoit parce qu'il le traitoit mal, il l'aime présentement parce qu'il le traite bien : c'est le proverbe italien", et son contraire. Je m'en vais donc avec le bon abbé et des livres, et votre idée, dont je recevrai tous mes biens et tous mes maux. Je vous promets, ma fille, qu'elle m'empêchera de demeurer le soir au serein; je me représenterai que cela vous déplaît : ce ne sera pas la première fois que vous m'aurez fait rentrer au logis de cette sorte.

Je vous promets de vous consulter et de vous obéir toujours ; faites-en de même pour moi, et ne vous chargez d'aucune inquiétude ; fiez-vous encore de ma conservation à ma poltronnerie. Je n'ai pas les mêmes sujets de confiance en vous; j'ai mille choses à vous reprocherll; et sans aller jusques à Monaco82, n'ai-je pas les bords du Rhône, où vous forcez tous les braves gens de votre famille à vous accompagner malgré eux ? malgré eux, vous

s6. w Il s'en va en Languedoc. » (Édition de 1754.)

27. « Qui accompagne. s (Ibidem.)

28. De pension. (Note de perrin.)

29. oc d'une si admirable sauce, je veux dire de tant de paroles choisies, etc. D (Édition de 1754.)

3o. Chi offende non perdona, « qui offense ne pardonne pas, » proverbe déjà cité, tomel, p. 485 et 5oo. — Ce membre de phrase n'est pas dans le texte de 1737.

3i. « Reposez-vous de ma conservation sur ma poltronnerie. Je n'ai pas en vous les mêmes sujets de confiance; j'ai bien des choses à vous reprocher. » (Edition de 1754.)

32. Voyez tome III, p. 94-

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dis-je; et souvenez-vous au contraire que je mourois de peur à pied en passant les vaux d'Olioules81 : voilà ce qui doit justifier mes craintes et fonder votre tranquillité.

Faites donc en, sorte que mon souvenir vous gouverne, comme le vôtre me gouvernera. Je ne vous dis point34 les peines que me causera cet éloignement ; j'y donnerai les meilleurs ordres que je pourrai, et j'éclaircirai, autant qu'il me sera possible, l'entre chien et loup de nos bois. Je commence par la Loire et par Nantes, qui n'ont rien de triste; je crois que mon fils viendra me conduire jusqu'à Orléans. Au reste, je suis persuadée des complaisances de M. de Grignan : il a des endroits d'une noblesse, d'une politesse, et même d'une tendresse extrême : il y a d'autres choses 36, dont les contre-coups sont difficiles à concevoir; enfin tout est à facettes; il a des traits inimitables36 pour la douceur et l'agrément de la société; on l'aime, on le gronde, on l'estime, on le blâme, on l'embrasse, on le bat.

Adieu, ma très-chère : je vous embrasse, et je vous quitte enfin37. Il me semble que vous vous moquez de moi, quand vous craignez que je n'écrive trop : ma poitrine est à peu près délicate comme celle de Georget 38;

33. Les vaux d' Olioules, qu'on appelle en langage du pays leis Baous cTOulioules, ne sont autre chose qu'un chemin étroit, d'environ une lieue, à côté d'une petite rivière qui passe entre deux montagnes très-escarpées, en Provence. (Note de Perrin.) — Voyez tome IV, p. 116.

- 34. Ce membre de phrase et le suivant manquent dans le texte de 1737, qui reprend à j'éclaircirai.

- 35. « Je vois en lui d'autres choses. » (Édition de 1754.)

36. «Et comme tout est à facettes, il a aussi des endroits inimitables. D (Ibidem.)

37. « Adieu, ma très-chère : je vous quitte enfin. a (Ibidem.) — La lettre finit ici dans l'impression de 1737.

38. Fameux cordonnier pour femmes. (Note de Perrin.) H a déjà été nommé au tome II, p. 167.

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excusez la comparaison, il sort (Tici ; mais vous, ma très-

belle, je vous conjure de ne point écrire. Montgobert, prenez la plume, et ne m'abandonnez pas.

804. - DE MADAME DE sÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, vendredi 3e mai.

ME voici encore à Paris, mais c'est dans l'agitation d'un départ; vous connoissez ce mouvement : je suis sur les bras de tout le monde; je n'ai plus de voiture, et j'en ai trop ; chacun se fait une belle action et une belle charité de me mener : basta la metà l. Je sens les nouvelles douleurs d'une séparation, et un éloignement par-dessus un éloignement. Nous donnons à tout les meilleurs ordres que nous pouvons, et j'admire comme on se porte naturellement à ce qui touche le goût. Monsieur de Rennes s'en va dans quatre ou cinq jours ; il suit mes pas. Mlle de Méri demeure maîtresse de l'hôtel de Carnavalet : j'y laisse du But avec le soin de tout mon commerce avec vous; il s'est chargé de vos petits ajustements; je ne puis assez le payer : c'est pour cela qu'il ne veut rien. Il rendra tous ses services à Mlle de Méri, ainsi que deux femmes que je laisse encore : il ne tiendra qu'à elle d'être bien ; je suis assurée qu'une autre seroit fort contente, mais je doute qu'elle le soit jamais. Elle me dit hier qu'il y avoit des gens qui écrivoient d'elle tout de travers, et que vous lui mandiez qu'il n'étoit pas possible de croire qu'elle eùt loué une maison sans la voir. Je ne dis rien, quoique je

LETTRE 804. — 1. « La moitié suffit, » c'est-à-dire : « c'est moitié trop. ® Voyez la lettre des 12, 13 et 14 mai suivants, p. 394.

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pusse lui répondre, que c'étoit moi, et qu'en tous les cas son repentir étoit extraordinaire; car si elle n'a point vu la maison, et qu'elle ne se fie pas à Mme de Lassay 2, pourquoi la loue-t-elle sans clause et avec empressement ? Si elle l'a vue, et qu'elle l'ait même squhaitée, pourquoi s'en repent-elle ? On auroit toujours assez de quoi répondre, mais c'est cela qui me fit taire. Nous sommes fort bien ensemble : tout mon déplaisir, c'est qu'elle ne soit pas en repos ; mais je crois que cela tient à son mal, et je la plains. J'ai à vous conjurer, ma très-chère, de n'avoir aucune sorte d'inquiétude démon voyage : le temps est beau à merveilles, la route délicieuse; ce qui me fâche, c'est de ne recevoir de vos lettres qu'àNantes : je ne les hasarderai point en passant pays. Comme je dépends du vent, et que sur l'eau rien n'est réglé, me voilà résolue à ne les trouver qu'à Nantes; cela me fera souhaiter d'y arriver, et me fera marcher plus vite. Soyez tranquille sur ma santé : elle est parfaite, et je la ménage fort bien; j'aurai soin aussi de celle du bon abbé.

Je porte des livres; je m'en vais, comme une furie, pour me faire payer ; je ne veux entendre ni rime ni raison : c'est une chose étrange que la quantité d'argent qu'on me doit; je dirai toujours comme l'Avare : « De l'argent, de l'argent, dix mille écus sont bons 8; » je pourrois bien les avoir, si l'on me payoit ce qui m'est dû en Bretagne et en Bourgogne.

Vraiment, ma fille, voici une jolie lettre, il y a bien de l'esprit, mon commerce va être d'un grand agrément : encore si j'avois à vous apprendre des nouvelles de Danemark, comme je faisois il y a quatre ou cinq ans, ce seroit quelque chose, mais je suis dénuée de tout.

2. Voyez plus haut, p. 333, note 20.

3. Voyez F Avare de Molière, acte I, scène v.

1680

A propos *, la princesse de la Trémouille épouse un comte d'Ochtensi lbourg6 , qui est le plus riche' et le plus honnête homme du monde : vous connoissez ce nom-là ; sa naissance est un peu équivoque; sa mère étoit de la main gauche ; toute l'Allemagne soupire de l'outrage qu'on fait à l'écusson de la bonne Tarente 7 ; mais le Roi lui parla l'autre jour si agréablement 8 sur cette affaire, et son neveu, le roi de Danemark, et même l'amour lui font de si pressantes sollicitations, qu'elle s'est rendue9.

Elle vint me conter tout cela l'autre jour. Voilà-une belle occasion de lui écrire, et de réparer vos fautes passées.

N'êtes-vous pas bien aise de savoir ce détail ? songez que c'est le plus charmant que vous puissiez avoir de moi d'ici à la Toussaint.

Je vous écrirai encore de Paris, et je ne vous dis point adieu aujourd'hui. Corbinelli vous rend mille grâces de

4. Ces deux mots manquent dans le texte de 1737, qui, comme nous l'avons dit, donne cet alinéa dans la lettre du 19 avril.

5. Charlotte-Emilie-Henriette de la Trémouille (voyez tome IV, p. i55, note 4) épousa, le 29 mai 1680, Antoine, comte d'Altenbourg, fils naturel du dernier comte d'Oldenbourg, et d'Élisabeth, fille d'André seigneur de Sonneck. L'Empereur lui donna en 1654 le titre de comte, avec séance à la diète de Ratisbonne.

Son père lui avait laissé le domaine de Kniphausen et le château de Varel. Il fut commandant général pour le roi de Danemark dans le comté d'Oldenbourg, et plénipotentiaire à Nimègue. Il mourut le 37 octobre 1680. Avant son mariage avec Mlle de la Trémouille, il avait eu cinq filles d'une première femme, Auguste, fille de Jean comte de Sayn à Witgenstein, morte en 1669. Il laissa de sa seconde femme un fils posthume, Antoine, comte d'Altenbourg, né le 27 juin 1681. — Sur ce nom d'Ochtensilbourg, voyez plus loin, p. 434.

- 6. s Très-riche. » (Édition de 1754.)

7. a De la princesse de Tarente. » (Édition de 1737.)

8. « Si délicieusement. » [Ibidem.)

9. L'impression de 1737 n'a de la fin de l'alinéa que la petite phrase : « N'êtes-vous pas bien aise de savoir ce détail ? »

1680

votre souvenir, et de ce que vous le souhaitez auprès de moi. M. de Vendôme a remporté le prix de la bague10.

805. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, lundi 68 mai.

Vous me dites fort plaisamment, ma fille, qu'il n'y a qu'à laisser faire l'esprit humain, qu'il saura bien trouver ses petites consolations, et que c'est sa fantaisie d'être content. J'espère que le mien n'aura pas moins cette fantaisie que les autres, et que l'air et le temps diminueront la douleur que j'ai présentement. lime semble que je vous ai mandé ce que vous me dites sur la furie de ce nouvel éloignement : faut-il que nous ne soyons pas encore assez loin *, et qu'après une mûre délibération, nous y mettions encore cent lieues volontairement ? Je vous renvoie quasi

10. a Le 2e de ce mois, dit la Gazette du 4 mai, le Roi et la Reine, accompagnés de Madame la Dauphine, de Monsieur et de Madame, vinrent courre la bague. Monseigneur le Dauphin courut le premier, ensuite le prince de Conti et le prince de la Rochesur- Yon; et après eux coururent le comte d'Armagnac, le comte de Brione, le duc de Villeroy, le duc de la Trémoille, le prince d'Harcourt, le duc de Gfamont, le comte de Marsan, le marquis de Dangeau, le duc de Lesdiguières, le grand prieur de France et le duc de Vendôme. Le duc de Vendôme remporta le prix, qui étoit une table de diamants de mille pistoles que le Roi lui donna.

Monseigneur le Dauphin avoit du gris de lin et avoit commandé à tous ceux qui eurent l'honneur de courre avec lui d'en prendre aussi, parce que c'est la couleur favorite de Madame la Dauphine.

Après la course, on alla se promener au Val, où il y eut une grande collation. »

LETTRE 8o5. — i. s On diroit que nous ne soyons pas encore assez loin. » (Édition de 1754.)

1680

votre lettre ; c'est que vous avez si bien tourné ma pen- sée, que je prends plaisir à la répéter. J'espère au moins que les mers mettront des bornes à nos fureurs, et qu'après avoir bien tiré chacune de notre côté, nous ferons autant de pas pour nous rapprocher, que nous en faisions2 pour être aux deux bouts de la terre. Il est vrai que pour deux personnes qui se cherchent, et qui se souhaitent toujours, je n'ai jamais vu une pareille destinée : qui m'ôteroit la vue de la Providence, m'ôteroit mon unique bien; et si je croyois qu'il fût en nous de ranger, de déranger, de faire, de ne faire pas, de vouloir une chose ou une autre, je ne penseroia pas à trouver un moment de repos : il me faut l'auteur de l'univers pour raison de tout ce qui arrive. Quand c'est à lui qu'il faut m'en prendre, je ne m'en prends plus à personne, et je me soumets : ce n'est pourtant pas sans douleur ni-sans tristesse '; mon cœur en est blessé, mais je souffre même ces maux comme étant dans l'ordre de la Providence. Il faut qu'il y ait une Mme de Sévigné qui aime sa fille plus que toutes les autres mères 4, qu'elle en soit souvent très-éloignée, et que les souffrances les plus sensibles qu'elle ait dans cette vie lui soient causées par cette chère fille. J'espère aussi que cette Providence disposera les choses d'une autre manière, et que nous nous retrouverons, comme nous avons déjà fait. Je dînai l'autre jour avec des gens qui en vérité ont bien de l'esprit, et qui ne m'ôtèrent pas cette opinion.

Au reste, ma chère enfant, n'est-ce point une chose rude 8 que de faire six mois de retraite pour avoir vécu

2. « Que nous en faisons. » (Édition de 1754.)

3. a Ni tristesse. » (Ibidem.)

4. « Qui aime sa fille avec une extrême passion. s (Ibidem.)

5. « Mais parlons plus communément, et disons que c'est une chose rude. » (Ibidem.)

1680

cet hiver à Aix ? Si cela servoit à la fortune de quelqu'un de votre famille, je le souffrirois; mais vous pouvez compter qu'en ce pays-ci vous serez trop heureuse si cela ne vous nuit pas. L'Intendant6 ne parle que de votre magnificence, de votre grand air, de vos grands repas; Mme de Vins en est tout étonnée, et c'est pour avoir cette louange que vous auriez besoin que l'année n'eût que six mois : cette pensée est dure de songer que tout est sec pour vous jusqu'au mois de janvier. Vous n'entendrez pas parler de la dépense de votre bâtiment ; n'y pensez plus : c'est une chose si nécessaire, que sans cela7 l'hôtel de Carnavalet est inhabitable ; vous n'aurez qu'à en écrire au chevalier ; nous lui donnâmes hier une connoissance parfaite de nos desseins 8.

Je me réjouirai avec le Berbisy d'avoir pu vous faire plaisir. J'en ai eu beaucoup de votre joli couplet9 ; quoi que vous disiez de Montgobert, je crois que vous n'y avez pas nui, comme cet homme, vous en souvient-il10 ?

6. Le Mercure de mai 1680 (p. 108-110) parle du retour de M. de Rouillé, « qui avoit demeuré sept ans en Provence comme intendant. »

7. « Que j'avoue que sans cela. » (Édition de 1754.)

8. Ces deux derniers membres de phrase ont été retranchés par Perrin dans sa seconde édition (1754).

9. a Je me réjouirai avec le Berbisy de l'occasion qu'il a eue de vous faire plaisir. J'ai été ravie de votre joli couplet. » (Édition de 1754.) — M. de Berbisy, président à mortier au parlement de Dijon, et proche parent de Mme de Sévigné. (Note de Perrin, 1754.) — M. de Berbisy avait été le négociateur d'un arrangement de famille entre Mme de Sévigné et Mme Frémyot. Voyez la lettre du 15 septembre 1677 (tome V, p. 320). Il paraît qu'il venait de rendre un nouveau service à Mme de Grignan. (Note de l'édition de 1818.)

10. Mme de Sévigné rappelle ici le conte de ce paysan qui, étant accusé en justice d'être le père d'un enfant, assura qu'un autre l'avoit fait, mais qu'à la vérité il n'y avoit pas nui. (Note de Perrin.) Voyez la lettre du 9 octobre 1675, tome IV, p. Ih9 et 170.

1 6 8 o

Il est en vérité fort plaisant et fort bien fait H: vous avez cru que je le recevrois dans mes bois; je suis encore dans Paris, mais il n'en fera pas plus de bruit : je le chanterai sur ta Loire, si je £ >uis desserrer mon gosier, qui n'est pas présentement en état de chanter, hélas ! J'ai grand besoin 18 de vous tous; je ne connois plus la musique ni les plaisirs : j'ai beau frapper du pied, rien ne sort qu'une vie triste et unie, tantôt à ce triste faubourg 14, tantôt avec les sages veuves. M. de Grignan m'est bien nécessaire, car j'ai un coin de folie qui n'est pas encore bien mort Je vous ai parlé de la princesse de Tarente, comme si j'avois reçu votre lettre : je vous ai conté le mariage de sa fille 11 ; écrivez-lui, elle en sera fort aise ; vous lui devez cette honnêteté : elle s'est fait un point" de vous estimer et de vous admirer ; elle vient à Vitré ; elle me fera sortir de ma simplicité, pour me faire entrer dans son amplification. Je n'ai jamais vu un si plaisant style ; elle amusa le Roi l'autre jour dans une promenade, en lui contant tout ce que je vous conterai quand je serai aux Rochers : voilà les nouvelles que vous recevrez de moi ; mais aussi vous pourrez vous vanter qu'il ne se passera rien dans l'Allemagne et dans le Danemark 18, dont vous ne soyez parfaitement instruite.

Montgobert m'a mandé des merveilles de Pauline ; faites-m'en parler quelquefois : c'est une petite fille à man-

ii. cr Il est en vérité fort plaisant ce couplet. » (Édition de 1754.)

ia. c en état de chanter. Je vous avouerai que j'ai grand besoin, etc. » (Ibidem.)

i3. c Ni la musique ni les plaisirs. » (Ihidem.)

14. « A ce faubourg. » (Ibidem.)

i5. « Qui n'est pas encore mort. ) (Ibidem.)

16. Voyez la fin de la lettre précédente, p. 375.

17. a: Elle s'est toujours piquée. » (Édition de 1754.)

18. a En Allemagne ni en Danemark, a (ibidem.)

168 o

ger 19 ; c'est la joie de toute votre maison. Mlle du Plessis20 ne m'en fera point souvenir; ne vous ai-je pas dit qu'elle est affligée de la mort de sa mère? Mais j'ai de bons livres et de bonnes pensées. Ne craignez point que j'écrive trop : je vous ai donné l'idée de la délicatesse de ma poitrine 21. Je vous recommande la vôtre; faites-moi écrire, si vous aimez ma vie ; profitez du temps et du repos que vous avez; amusez-vous à vous guérir tout à fait; mais il faut que vous le vouliez, et c'est une étrange pièce que notre volonté. Celle de vos musiciens étoit bonne à Ténèbres; mais vous les décriez : tantôt des musiciens sans musique, et puis une musique sans musiciens; j'admire la bonté de Monsieur le Comte, de souffrir que vous en parliez si librement.

Je viens de recevoir une grande visite de votre intendant : sa serrure étoit bien brouillée22 , mais je n'ai pas laissé d'attraper qu'il vous honore fort : il m'a loué votre magnificence ; il dit que vous êtes toujours belle, mais triste, et si abattue qu'il est aisé de voir que vous vous contraignez. Il est charmé de M. de Berbisy; je lui écrirai 28, quoique je sache bien que votre recommandation est la seule cause des services qu'il lui a rendus. Je doute que cet intendant retourne en Provence 24 ; à tout hasard

19. et Faites:-m'en parler; c'est une petite fille charmante. » (Édition de 1754.)

20. Mlle duPlessis d'Argentré. Voyez tome II, p. 229 et la note 3.

21. Voyez la fin de la lettre du Ier mai précédent, p. 3 7 2 - - Cette phrase manque dans le texte de 1737, qui commence ainsi la suivante : « Je vous recommande toujours, ma fille, de profiter du temps et du repos que vous avez; amusez-vous, etc. s

22. Voyez la lettre du 18 mai 1680 au comte de Guitaut, p. 4°7.

23. 0: Que je remercierai. » (Édition de 1754.)

24. Il n'y retourna point : nous voyons dans le compte rendu de l'assemblée de Provence que le nouvel intendant fut de Moran ou Morant, conseiller du Roi, etc. (le même qui en 1687 fut nommé premier président à Toulouse).

[680

je lui conseillerois de laisser ici quatre ou cinq de ses dents 26

J:ai eu tant d'adieux, ma fille, que j'en suis étonnée : vos amies, les miennes, les jeunes, les vieilles, tout a fait des merveilles. La maison de Pompone et Mme de Vins me tiennent bien au cœur. L'abbé Arnauld arriva hier tout à propos pour me dire adieu. Pour Mme de Coulanges, elle s'est signalée : elle a pris possession de ma personne, elle me nourrit, elle me mène, et ne me veut pas quitter qu'elle ne m'ait vue pendue26 Mon fils vient à Orléans avec moi; je crois qu'il viendroit volontiers plus loin.

Madame la Dauphine est présentement à Paris pour la première fois : la messe à Notre-Dame, dîner au Valde-Grâce, voir la duchesse de la Vallière, et point de Bouloi27 : je crois qu'elles se pendront. On-fait tous les jours des fêtes pour Madame la Dauphine28. Mme de Fontanges revient demain. Voyez un peu comme le prieur de Cabrières29 est venu redonner cette belle beauté à la cour.

a5. La seconde partie de cette phrase : a à tout hasard, etc., » a été retranchée dans l'impression de 1754.

26. Nouvelle allusion au mot de Martine dans le Médecin malgré lui, acte III, scène ix.

27. C'est-à-dire que Madame la Dauphine n'iroit point aux Carmélites de la rue du Bouloi. (Note de Perrin, 1754.) — Voyez cidessus, tome V, p. 364 et 365. — Le Roi avait trouvé mauvais que les Carmélites se fussent mêlées de toutes les intrigues de cour. (Note de Védition de 1818. )

28. Voyez dans le numéro de mai du Mercure galant (p. 81-89, 110-122, 295-312) la description détaillée de plusieurs de ces fêtes, des régals donnés à la Dauphine, par le Roi, à Versailles; par Monsieur, à Saint-Cloud; de la course de bague, de la collation au Val et le lendemain au château de Maisons, après une revue du régiment des gardes passée dans la plaine de Nanterre ; du voyage de la Dauphine à Paris avec la Reine.

29. Voyez ci-dessus, p. 361, note 2.

1680

Le petit de la Fayette a un régiment" : vous voyez que M. de la Rochefoucauld n'a pas emporté l'amitié de M. de Louvois. Mais que veux-je conter, avec toutes ces nouvelles ? C'est bien à moi, qui monte en carrosse, à me mêler de parler.

Adieu, ma très-chère enfant : il faut vous quitter encore; j'en suis affligée : je serai longtemps sans avoir de vos lettres; c'est une peine incroyable ; encore si je pouvois espérer que vous conserverez votre santé, ce seroit une grande consolation dans une si terrible absence.

806. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ ET DE CHARLES DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Orléans, mercredi 8e mai.

DE MADAME DE SEVIGNE.

Nous voici arrivés, ma très-chère, sans aucune aventure considérable : il fait le plus beau temps du monde, les chemins sont admirables; notre équipage va bien; mon fils m'a prêté ses chevaux, et m'est venu conduire jusqu'ici. Il a fort égayé la tristesse du voyage : nous avons causé, disputé et lu ; nous sommes dans les mêmes

3o. Le régiment de la Fère, que possédait auparavant le marquis de Créquy, à qui le Roi venait de donner le régiment royal d'infanterie, vacant depuis peu par la mort de Pierrefitte. Le Mercure, en annonçant cette nomination (p. 233-236), dit que le comte de la Fayette, quoique fort jeune, a déjà fait beaucoup de campagnes et s'est distingué en diverses occasions. Puis, parlant de la mère du nouveau commandant, il ajoute : « que tout le monde convient de la délicatesse de son esprit, et qu'il n'y eut jamais rien de plus général que l'estime qu'on a pour elle. »

- 31. « Du moins. » (Édition de 1754.)

1680

erreurs, cela fournit beaucoup. Notre essieu rompit hier dans un lieu 'merveilleux; nous fûmes secourus par le véritable portrait de M. de Sottenvillel; c'est un homme qui feroit les Géorgiques de Virgile, si elles n'étoient déjà faites, tant il sait profondément le ménage de la campagne ; il nous fit venir Madame sa femme 2, qui est assurément de la maison de la Prudoterie, où le ventre anoblits. Nous fûmes deux heures en cette compagnie 4 sans nous ennuyer, par la nouveauté d'une conversation et d'une langue entièrement nouvelle pour nous. Nous fîmes bien des réflexions sur le parfait contentement de ce gentilhomme, de qui l'on peut dire : Heureux qui se nourrit du lait de ses brebis, Et qui de leur toison voit filer ses habits61 Les jours sont si longs que nous n'eûmes pas même besoin du secours de la plus belle lune du monde, qui nous accompagnera sur la Loire, où nous nous embarquons demain. Quand vous recevrez cette lettre, ma fille, je serai à Nantes : savez-vous bien qu'aujourd'hui je ne suis pas encore plus loin de vous qu'à Paris? Nous avons tiré un filet, et nous avons trouvé que Nantes même 6 n'étoit guère plus loin de vous que Paris. Mais en vérité, ma très-chère, voilà de légères consolations ; je n'ai pas même celle de recevoir de vos nouvelles7. Vos lettres

LETTRE 806. — I. Beau-père de George Dandin.

2. oc Il nous fit venir sa femme. » (Édition de 1754.)

3. Voyez la scène iv du Ier acte de George Dandin.

4. « Avec cette compagnie. » (Édition de 1754.)

5. Voyez les Bergeries de Racan, acte V, scène 1, vers 5 et 6.

6. a J'ai trouvé aujourd'hui que je ne suis pas encore plus loin de vous qu'à Paris, et par un filet que nous avons tiré sur la carte, nous avons vu que Nantes même, etc. » (Édition de 1754.)

7. IL de recevoir de vos nouvelles. Je n'en puis espérer qu'à

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n'arrivent qu'aujourd'hui à Paris; du But y joindra celles de samedi, et j'aurai les deux paquets ensemble à Nantes : je n'ai point voulu les hasarder par une route incertaine, puisqu'elle dépend du vent ; vous croyez donc bien que j'aurai quelque impatience d'arriver à Nantes.

Adieu, mon enfant : que puis-je vous dire * ? Vous avez des résidents qui vous doivent instruire; je ne suis plus bonne à rien qu'à vous aimer, sans pouvoir faire nul usage de cette bonne qualité : cela est triste pour une personne aussi vive que moi. Le bon abbé 9 vous assure de ses services; je suis fort occupée du soin de le conserver : les voyages ne sont plus pour lui comme autrefois. Je vous embrasse de tout mon cœur. Votre frère veut discourir.

DE CHARLES DE SÉVIGNÉ.

PUISQUE vous savez que je suis ici, ma belle petite sœur, je n'ai quasi plus rien à dire pour discourir, si ce n'est que pour me rendre nécessaire, j'ai voulu me mêler de faire le marché du bateau, et que dès qu'il a été conclu,, mon oncle, d'une seule parole, l'a eu à une pistole meilleur marché que moi; cela donnera sujet à ma mère de faire des réflexions sur l'amendement que les années apportent à ma pauvre cervelle : en vérité, elles ne servent de guère; tout ce que je puis penser de bon est toujours inutile et demeure sans effet, et j'ai toujours la grâce efficace pour tout ce qui ne vaut pas grand'chose.

J'ai une douleur mortelle de voir ma mère aller en Bretagne sans moi ; ce qui me console, c'est que vous n'êtes

Nantes, et TOUS croyez bien que j'aurai quelque impatience d'y arriver. » (Édition de 1737.)

8. a Que puis-je vous dire d'ici? D (Édition de 1754.)

9. Il Mon bien Bon. » (Ibidem.)

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point à Paris, et que l'éloignement où vous allez être ne vous coûte pas, à beaucoup près, ce que vous coûteroit une nouvelle séparation. Elle10 est en parfaite santé. Il faut espérer que ce voyage sera le dernier qu'elle fera dans un pays si éloigné du vôtre. J'irai la voir au mois de septembre ; il faudra bien que dans ce temps vous me fassiez des compliments de joie, puisqu'avec la violente inclination que j'ai de passer ma vie avec les Bretons, je serai dans mon élément.

Adieu, adieu, ma petite sœur : je ne suis pas encore assez provincial pour ne pas souhaiter passionnément de vous voir cet hiver à Paris ; il me semble que votre retour est certain. Vous aurez un très-joli appartement, et j'aurai le plaisir de ne vous point faire de honte, puisque je serai encore sous-neutenant des gendarmes de Monsieur le Dauphin. En vérité11 j'ai été surpris de voir qu'un voyage de cinq mois me fit regarder comme M. de Sottenville; je m'en vais essayer de vous ôter ces impressions, et en y travaillant, je ne me ferai pas tant de violence que vous pourriez bien croire. Ne vous gâtez point l'imagination sur mon sujet; je vous aime trop pour voi loir vous donner de certains chagrins. J'avois l'autre joui écrit une réponse12 à M. de Grignan; mais ma mère, avec beaucoup de raison, la trouva si peu digne de ce qu'il m'avoit écrit, qu'elle la brûla : je le prie de ne pas laisser de la recevoir; il est bien heureux qu'on lui ait ôté la peine de la lire. Je salue Mlles de Grignan, et j'ordonne au petit marquis de ne pas oublier de me contrefaire.

IG. a Ma mère. » (Édition de 1754.)

II. Cette phrase a été retranchée par Perrin dans sa seconde édition (1754), où il a supprimé aussi celle qui termine la lettre.

12. « J'avois fait l'autre jour une réponse. » (Édition de 1754.)

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8°7. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Blois, jeudi ge mai.

JE veux vous écrire tous les soirs, ma chère enfant; rien ne me peut contenter que cet amusement. Je tourne, je marche, je veux reprendre mon livre; j'ai beau tourner une affaire 4, je m'ennuie, et c'est mon écritoire qu'il me faut. Il faut que je vous parle, et qu'encore que cette lettre ne parte ni aujourd'hui, ni demain, je vous rende compte tous les soirs de ma journée.

Mon fils est parti cette nuit d'Orléans par la diligence, qui part tous les jours à trois heures du matin, et arrive le soir à Paris; cela fait un peu de chagrin à la poste2.

Voilà les nouvelles de la route, en attendant celles de Danemark. Nous sommes montés dans le bateau à six heures par le plus beau temps du monde; j'y ai fait mettre 3 le corps de mon grand carrosse, d'une manière que le soleil n'a point entrée dedans : nous avons baissé les glaces; l'ouverture du devant fait un tableau merveilleux ; celle des portières et des petits côtés nous donne4 tous les points de vue qu'on peut imaginer. Nous ne sommes que l'abbé et moi dans ce joli cabinet, sur de bons coussins, bien à l'air, bien à notre aise; tout le reste, comme des cochons sur la paille. Nous avons

LETTRE 807. — 1. Expression que M. de la Garde employoit à tout propos. (Note de Perrin, 1754.) — Dans le texte de 1737, la phrase est ainsi : « Je tourne, je marche, je veux reprendre un livre ; j'ai beau faire, je m'ennuie, etc. d

2. Ce membre de phrase se lit seulement dans l'édition de 1754.

3. 1 J'y ai fait placer. Il (Édition de 1754O — Grand est onus devant carrosse dans l'impression de 1737. -

4. « Les portières et les petits côtés nous donnent. » (Édition de 1754.)

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mangé du potage et du bouilli tout chaud 6 : on a un petit fourneau, on mange sur un ais dans le carrosse, comme le Roi et la Reine : voyez, je vous prie, comme tout s'est raffiné sur notre Loire, et comme nous étions grossiers autrefois que le cœur étoit à gauche* : en vérité, ma fille, le mien, ou à droit ou à gauche, est tout plein de vous.

Si vous me demandez ce que je fais dans ce carrosse charmant, où je n'ai point de peur, j'y pense à ma chère enfant, je m'entretiens de la tendre amitié que j'ai pour elle, de celle qu'elle a pour moi, de la sensibilité que j'ai pour tous ses intérêts, des ordres de la Providence qui nous sépare, de la tristesse que j'en ai7; je pense à ses affaires, je pense aux miennes; tout cela forme un peu l'humeur de ma fille, malgré l'humeur de ma mère9, qui brille tout autour de moi. Je regarde, j'admire cette belle vue qui fait l'occupation des peintres. Je suis touchée de la bonté du bon abbé, qui, à soixante et treize ans, s'embarque encore sur la terre et sur l'onde pour mes affaires.

Après cela je prends un livre que M. de la Rochefoucauld me fit acheter : c'est de la Réunion du Portugal, en deux tomes in-8°. C'est une traduction de l'italien 9 : l'histoire et le style sont également estimables. On y voit le roi de Portugal10, jeune et brave prince, se précipiter rapide-

5. Dans l'édition de 1754 : « tout chauds. »

6. Voyez le Médecin malgré lui, acte II, scène vi.

7. -a De celle qu'elle a pour moi, des pays infinis qui nous séparent, de la sensibilité que j'ai pour tous ses intérêts, de l'envie que j'ai de la revoir, de l'embrasser. » (Édition de 1754.)

8. Perrin renvoie à la lettre du 15 décembre 1675 (tome IV,p. 275).

g. « un livre que le pauvre M. de la Rochefoucauld me fit acheter : c'est la Réunion du Portugal, qui est une traduction de l'italien. » (Édiiion de 1754.) — Voyez la note 37 de la lettre des 17 et 18 mai suivants, p. 4o5, note 3n.

10. Sébastien Ier, qui périt en Afrique, à l'âge de vingt-deux ans, le 4 août 1578, dans une bataille contre les Maures. A la mort du

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ment à sa mauvaise destinée ; il périt dans une guerre en Afrique contre le fils d'Abdalla, oncle de Zaïde11 : c'est assurément une des plus amusantes histoires qu'on puisse lire12. Je reviens ensuite à la Providence, à ses conduites18, à ce que je vous ai entendu dire, que nos volontés sont les exécutrices de ses décrets éternels. Je voudrois bien causer avec quelqu'un ; je viens d'un lieu où l'on est assez accoutumé à discourir : nous parlons, le bon abbé et moi, mais ce n'est pas d'une manière qui puisse nous divertir. Nous passons tous les ponts avec un plaisir qui nous les fait souhaiter : il n'y a pas beaucoup d'ex voto pour les naufrages de la Loire, non plus que pour la Durance : il y auroit plus de raison de craindre cette dernière, qui est folle, que notre Loire, qui est sage et majestueuse. Enfin nous sommes arrivés ici de bonne heure; chacun tourne, chacun se rase, et moi j'écris romanesquement sur le bord de la rivière, où est située notre hôtellerie : c'est la Galère; vous y avez été.

J'ai entendu mille rossignols; j'ai pensé à ceux que vous entendez sur votre balcon. Je n'ose vous dire, ma

cardinal Henri, son oncle, qui lui succéda, le roi d'Espagne, Philippe II, réunit la couronne de Portugal à la couronne d'Espagne.

11. Ou plutôt pour le fils d'Abdalla, Muleï Mahamet (MuleyMohammed al Monthaser), souverain de Fez et de Maroc, qui, ayant été vaincu et dépossédé par son oncle, le vieux Muleï Moluc (MuleyAbdelmelek), avait imploré le secours du roi Sébastien. — Les mots : oncle de Zaïde, omis dans le texte de 1754, sont sans doute une allusion peu exacte au roman de Zayde de Mme de la Fayette et de Segrais, publié en 1670 et 1671. Il n'y a point de Zaïde dans l'Histoire de la réunion du Portugal, mais dans le roman il est parlé d'un Abdala, roi de Cordoue, dont le successeur a pour auxiliaire Zuléma, père de Zaïde. u

ia. c Une histoire des plus amusantes qu on puisse lire. » (Edition de 1754.)

13. « Je pense à la Providence, à ses ordres, à ses conduites. »

(Ibidem. )

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fille, la tristesse que l'idée de votre délicate santé a jetée sur toutes mes pensées : vous le comprenez bien, et à quel point je souhaite que cette santé se rétablisse 14 ; si vous m'aimez, vous y mettrez vos soins et votre application., afin de me témoigner la véritable amitié que vous avez pour moi : cet endroit est une pierre de touche.

Bonsoir, ma très-chère; adieu jusqu'à demain à Tours.

A Tours, vendredi i oe mai.

Toujours, ma fille, avec la même prospérité. Je n'ai jamais rien vu de pareil à la beauté de cette route. Mais comprenez-vous bien comme notre carrosse est mis de travers? Nous ne sommes jamais incommodés du soleil : il est sur notre tête, le levant est à la gauche, le couchant à la droite, et c'est la cabane" qui nous en défend.

Nous parcourons toute cette belle côte, et nous voyons deux mille objets différents, qui passent incessamment devant nos yeux, comme autant de paysages nouveaux, dont M. de Grignan seroit charmé : je lui en souhaiterois un seulement*à l'endroit que je dirois.

On attendoit, le lendemain de mon départ, la belle Fontanges à la cour : c'est au chevalier présentement16 à faire son devoir; je ne suis plus bonne à rien du tout : si vous ne m'aimiez, il faudroit brûler mes misérables lettres avant que de les ouvrir. Adieu donc, ma trèsaimable enfant; adieu, Monsieur de Grignan.

14. a Qu'elle se rétablisse, r (Édition de — Tout ce qui suit, jusqu'à la fin de cette première partie de la lettre, manque dans l'impression de 1754, qui porte seulement : a Adieu, ma trèschère, jusqu'à demain à Tours. »

15. C'est ainsi qu'on nomme les bateaux qui sont sur la Loire.

(Note de Perrin, 1737.)

16. Le mot présentement n'est pas dans le texte de 1754, non plus ; que la phrase qui termine la lettre. -

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808. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Saumur, samedi 116 mai.

Nous arrivons ici, ma très-belle; nous avons quitté Tours ce matin ; j'y ai laissé à la poste une lettre pour vous. Qui m'ôteroit la faculté de penser, m'embarrasseroit beaucoup, surtout dans ce voyage. Je suis douze heures de suite dans ce carrosse si bien placé, si bien exposé; j'en emploie quelques-unes à manger, à boire, à lire ; beaucoup à regarder, à admirer ; et encore plus à rêver, à penser à vous. Je suis assurée, ma chère enfant, que vous ne croyez point que ce soit une flatterie; c'est une vérité : je vous parcours, je vous dévide, je vous redévide, je passe par mille endroits tristes, fâcheux, d'autres doux et sensibles. Je pense à votre belle jeunesse , à votre santé ; de quelle manière elle a été maltraitée , comme vous en avez abusé, comme votre sang s'est irrité; nous ne fûmes point assez effrayés de cette première marque qu'il nous en donna, et qui fut le commencement de tous vos maux. Enfin que ne pense-t-on point quand on pense toujours, avec beaucoup de silence et de loisir? Je ne vous dis point tous les pays que j'ai battus, ni tous les chemins que fait mon imagination ; ma lettre seroit trop longue : ce qui est vrai, c'est que je trouve toujours une égale tendresse dans mon cœur; j'aimerois fort à vous parler sur certains chapitres, mais ce plaisir n'est pas à portée d'être espéré; en attendant, je pense, donc je suis1 ; 'je pense à vous avec tendresse,

LETTBE 808. — I. C'est le célèbre axiome de Descartes. « Remarquant que cette vérité : Je pense, donc je suis, étoit si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étoient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvois la

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donc je vous aime; je pense uniquement à vous de cette manière, donc je vous aime uniquement.

Le bon abbé se porte fort bien ; il est charmé de cette route : jamais on n'a fait ce voyage comme nous le faisons ; c'est dommage que nous ne soyons un peu moins solitaires. Je vous jure pourtant que je ne souhaite personne, et qu'étant condamnée à m'éloigner de vous, j'aime encore mieux être toute seule et toute libre, et me donner entièrement à mes affaires, que d'être détournée sans être contente. Me voilà donc fort bien pour quatre ou cinq mois, puisqu'il le faut.

J'ai bien envie que vous voyiez un peu plus clair à Mlle de Grignan. Pour vos affaires, vous ne les voyez que trop ; c'est une étrange chose que d'avoir à réparer, six mois de suite, les dépenses d'un hiver à Aix; vraiment c'est bien pour avoir vécu. Cependant je veux espérer que la Providence démêlera tout mieux que nous ne pensons : il y a de certains avenirs obscurs qui s'éclaircissent quelquefois tout d'un coup ; ma chère enfant, vous voyez bien ce que je pense et ce que >' je desire làdessus, et vous entendez tout ce que je ne dis pas. Mon ennui par-dessus l'ordinaire, c'est d'être si longtemps sans avoir de vos lettres : cela me trouble; il part aujourd'hui de Paris deux paquets de vous, qui arriveront à Nantes lundi, comme moi : voilà tout l'ordre que j'ai pu donner. C'étoit une folie de prétendre attraper vos lettres, envolant, par les villes où je ne suis qu'un moment, et où je n'arrive que comme il plaît au vent : il a eu jusqu'ici la dernière complaisance, mais le moyen d'y compter sûrement? Voilà le bon abbé qui vous fait mille amitiés. Je lis toujours avec plaisir mon histoire de Por-

recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchois. j (Discours de la Méthode, IVe partie.)

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tugal; mais je n'ai rien lu de vous depuis le 28e du passé; cela est long : je relis vos anciennes lettres. Adieu, ma très-chère : en voilà assez pour aujourd'hui.

809. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

À Ingrande 1, dimanche au soir 128 mai.

Nous voici arrivés, ma chère fille, avec le même beau temps, la même rivière, et les mêmes rossignols2. Je ne m'accoutume point à la beauté de ce pays, et je crois que vous en seriez surprise vous-même, comme si vous ne l'aviez jamais vu. Il y a des âges où l'on ne regarde que soi ; vous n'en avez jamais été fort occupée ; cependant il me semble que nous étions plus appliquées dans ce bateau à disputer contre ce petit comte des Chapelles3 qu'à regarder ces beautés champêtres. Voici justement tout le contraire : nous sommes dans un profond silence, parfaitement à notre aise, lisant, rêvant, dans un entier éloignement de toute sorte de nouvelles, et vivant enfin sur nos réflexions4. Le bon abbé prie Dieu sans cesse ; j'écoute ses lectures saintes; mais quand il est dans le chapelet, je m'en dispense, trouvant que je rêve assez

LETTRE 809. — 1. Dans le texte de 1737, qui ne donne que la première partie de cette lettre, celle qui estdatée d'Ingrande, il y a ce dimanche, au lieu de dimanche au soir. — Ingrande est un bourg situé sur la Loire, à sept lieues au sud-ouest d'Angers.

2. « La même apparence de rivière, et, je crois, les mêmes rossignols. s (Édition de 1754.)

3. Voyez tome II, p. 319, note 7 (à la première ligne de cette note, lisez fils, au lieu de petit-fils) : il était mort en 1673.

4. « Lisant, rêvant, admirant, éloignés de toutes sortes de nouvelles, et vivant sur nos réflexions. » (Édition de 1754.)

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sans cela5. C'est ainsi, ma fille, que nous trouvons le moyen' de passer douze ou quatorze heures sans nous désespérer, tant la liberté est une belle chose7. Vous connoissez la Loire par un autre bout, que j'honore, quoique moins beau, puisqu'elle m'a apporté et m'apportera encore cette chère fille8 qui m'occupe si tendrement.

Je voulois voir aujourd'hui Monsieur d'Angers9 ; il le souhaitoit; j'avois bien des choses à lui dire sur toutes les sortes de malheurs dont il est accablé ; mais il fait sa visite , il n'a pas reçu ma lettre. Demain nous serons te tout à fait dans le grand monde, à Nantes; j'y trouverai de vos lettres, et j'y achèverai celle-ci 11. Auroit-on été assez cruel à Paris pour ne vous avoir pas envoyé ce petit couplet sur M. de Dreux? Il est extrêmement joli; H sortoit de sa coque le jour que je partis de Paris12.

5. a Que je rêve bien saus cela. » (Édition de 1754.) — Mme de Sévigné disoit que le chapelet n'était pas une dévotion, mais une distraction. (Note de Perrin.)

6. « Enfin nous trouvons le moyen. » (Édition de 1754.)

7. « Tant c'est une belle chose que la liberté. » (Ibidem.) — Tout ce qui suit, jusqu'à : « Demain nous serons tout à fait, etc., » manque dans le texte de 1737.

8. Mme de Grignan s'étoit embarquée plusieurs fois à Roanne, en allant de Lyon à Paris. (Note de Perrin.)

9. Henri Arnauld. Sur les démêlés, très-compliqués, de l'évêque avec sa faculté de théologie, voyez le Port-Royal de M. SainteBeuve, tome V, chapitre Ier.

10. « Nous serons demain. » (Edition de 1754.)

II. Ce membre de phrase n'est pas dans le texte de 1737, qui termine ainsi la phrase : « où j'espère trouver de vos lettres. »

12. « Que je sortis de Paris. D (Édition de 1754.) — Voici le couplet, dans lequel Coulanges fait allusion à un conte de la Fontaine (le lue du livre 1) : Sur l'air de Jocende.

Le bon Robin avoit grand'peur Qu'on mît sa femme en poudre;

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A Nantes, lundi I3e mai18.

En vérité, voici un beau journal; j'abuse bien de votre amitié; vous voyez que je n'en suis que trop persuadée : l'ennui de mes détails devroit vous faire dire, comme de vos processions qui vous attirent trop de pluie : basta la metà della cortesiaih. Nous venons d'arriver en cette ville si bien située; je ne puis jamais passer au pied d'une certaine tour15, que je ne me souvienne de ce pauvre cardinal, et de sa funeste mort, encore plus funeste que vous ne le sauriez penser16. Je passe entièrement cet arIl s'est trouvé qu'un confesseur Suffisoit pour l'absoudre.

Robin est content et cocu, La chose est claire et nette : S'il peut un jour être battu, Sa fortune est parfaite.

(Note de l'édition de 1818.) — Voyez le Recueil de chansons choisies, tome H, p. 72.

13. Cette apostille et celle du 14 mai'ne se trouvent que dans l'édition de 1754.

14. C'est moitié trop d'honnêteté. Voyez le commencement de la lettre du 3 mai précédent, p. 373.

15. La tour du château de Nantes, où M. le cardinal de Retz fut conduit de Vincennes, le 12 août (ouplutôt le 3o mars) i654, et d'où il se sauva vers la fin du même mois (lisez le 8 août). (Note de Perrin.) — Voyez tome I, p. 388, note 1, et l'édition des Mémoires de Retz de M. Champollion-Figeac, tome IV, p. 201 et 211.

16. Quelques personnes ont pensé, d'après les expressions qu'emploie ici Mme de Sévigné, que la mort du cardinal de Reti n'avait pas été naturelle ; mais cette opinion ne paraît pas fondée. Le Cardinal succomba à une fièvre continue de huit jours, et vraisemblablement à la fièvre pernicieuse, qui est mortelle si le quinquina n'est pas donné à temps. Il demanda le remède de PAnglais; les médecins s'y refusèrent, et ils le firent saigner plusieurs fois; Talbot ne fut appelé que lorsqu'il était à l'agonie. D'ailleurs Mme de Grignan était présente aux derniers moments du Cardinal, et Mme de Sévigné ne peut lui apprendre aucun détail qui lui soit inconnu (voyez la lettre au comte deGuitaut, du 25 août 1679, tome V, p. 55g-56i).

Il est plus probable que cette mort inopinée aura été funeste à la for-

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ticle, sur quoi il y auroit trop à dire ; il vaut mieux se taire mille fois ; peut-être que la Providence voudra quelque jour que nous en parlions à fond.

Nous voici donc chez M. d'Harouys, reçus et servis comme chez nous. Je crains M. de Molac", qui est ici, et qui viendra encore me dire vingt fois de suite, comme il fit une fois que vous y étiez : « Vous deviez bien m'avertir de ça, vous deviez bien m'avertir de ça. » Vous souvient-il de cette sottise? En l'attendant, je lis un paquet que je recois de vous; c'est la seule joie que je puisse avoir, mais ce ne peut être sans beaucoup d'émotion : cela est attaché à la manière dont je vous aime. Je trouve, ma très-chère, que vous écrivez trop; vous abusez de votre petite santé; elle ne vous durera guère, si vous ne la ménagez pas mieux, et que vous écriviez à bride abattue; votre délicatesse demande que vous observiez plus de mesures. Il est vrai que les sujets que vous avez traités ne souffrent pas la main d'une autre ; mais il falloit vous reposer. Je crois qu'enfin vous vous corrigerez ; et cep endant.je m'en vais vous répondre.

Je voudrois bien, premièrement, que vous ne me missiez point dans le nombre de ceux que vous trouvez qui souhaitoient votre départ, puisque rien ne peut m'être si dur ni si sensible que votre éloignement ; mais dites mieux, et faites-vous tout l'honneur que vous méritez : c'est que vous aimez M. de Grignan, et en vérité il le mérite ; c'est que vous êtes ravie de lui plaire ; j'ai même trouvé fort souvent que vous n'aviez pas un véritable repos, quand il étoit loin de vous. Il a une politesse et une complaisance plus capables de vous toucher et de vous

tune de Mme de Grignan, et qu'elle aura empêché le Cardinal de faire des dispositions testamentaires qu'il semblait avoir depuis longtemps projetées. (Note de Pédition de 1818.) 17. Voyez tome II, p. 297, note 6.

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mener aux Indes que toutes les autres conduites que l'on pourroit imaginer: en vous faisant toujours la maîtresse, il est toujours le maître ; cette manière lui est naturelle, mais s'il y avoit un art pour mener un cœur comme le vôtre, il l'auroit uniquement trouvé. Vous avez vu au travers de ses honnêtetés ce qu'il souhaitoit, vous avez été conduite par l'envie de lui plaire : c'est donc à lui à décider, quand des voyages vous seront aussi ruineux, ou à vous à dire vos raisons un peu plus fortement, puisque c'est votre intérêt commun de ne plus jouer le rôle de gouverneurs, dont vous ne vous acquittez que trop bien.

C'est proprement causer que tout ceci; car c'est une chose passée : il s'agit de songer à réparer ces étranges brèches.

M. de Grignan m'écrit une lettre fort honnête ; il me fait voir qu'il ne veut pas que j'aie mauvaise opinion de lui, et conte si bien toutes ses raisons, qu'il n'y a rien à lui répliquer.

On travaillera à votre petit appartement, selon vos intentions; tout cela est réglé, les cloisons, la cheminée, le parquet de la chambre, les croisées. Je crois que c'est aujourd'hui qu'on commence; le bon du But est surintendant de cet ouvrage. Il faut espérer, ma chère enfant, quelque chose de plus doux que d'être à cent mille lieues les uns des autres, comme nous voilà présentement: cela fait peur. Vous êtes bien heureux d'avoir donné de si bons ordres à Entrecasteaux18, et de voir augmenter cette terre ; je crains bien de voir ici tout le contraire ; je vous en manderai des nouvelles.

J'ai relu ce matin votre lettre, et je n'ai point compris pourquoi vous m'enveloppez entièrement dans tout ce monde que vous dites qui souhaitoit votre départ : voilà une facette que je ne connois point en vous ; j'aurai le

•<r 18/Voyez tome IV, p. 447, note 6.

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temps de méditer là-dessus, quoique je ne sois plus dans un bateau. Je crois avoir mieux jugé de la véritable raison de votre départ. Imaginez-vous, pour vous consoler des dépenses d'Aix, que M. de Grignan n'en auroit guère moins fait, s'il y avoit été sans vous ; que son retour auroit coûté aussi ; que si vous étiez partie présentement, c'eût été encore de la dépense : figurez-vous des habits fort honnêtes qu'il auroit fallu avoir pour le mariage de la Dauphine ; et enfin c'est peut-être la décision de la destinée de Mlle de Grignan que ce voyage : c'est par cette suite et cet arrangement que la Providence l'a marqué.

Voilà ce qui me vient au bout de ma plume pour me consoler moi-même d'une chose passée, sur quoi nous n'avons plus de droit, et sur quoi nous causons pour causer; c'est aussi pour vous demander bien sérieusement si c'est tout de bon que vous avez pu vous représenter que je fusse contente de vous voir partir dans l'état où vous étiez ; je verrai par là ce que vous croyez de mon amitié, et de quelle façon vous accommodez des choses si opposées.

Adieu, ma très-chère : je ne me reproche à votre égard aucun sentiment qui ne soit conforme et très-naturellement attaché à la tendresse que j'ai pour vous

A Nantes, mardi au soir 14e mai.

Je reçois présentement votre paquet, et quoique la poste soit prête à partir, je ne puis m'empêcher de vous remercier de vos amitiés et de celles de Pauline. Vous étiez bien lasse, ma chère enfant: reposez-vous; craignez de vous remettre dans un état misérable ; suivez les conseils de la Rouvière; je m'en vais bien faire valoir à Mme de Thianges qu'il a guéri son frère19 : je voudrois bien qu'il

19. Vivonne.

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vous guérît aussi. Nous avons très-bien jugé du prieur de Cabrières : c'est le médecin forcé20 Cependant Mme de Coulanges me mande qu'en faisant ses fagots, il a guéri Mme de Fontanges, qui est revenue à la cour, où elle reçut d'abord publiquement une fort belle visite. Le Roi veut que ce prieur s'établisse à Paris : il n'ira chez lui que pour revenir. La comparaison de Carthage et de votre chambre est tout à fait juste et belle"; elle saute aux yeux : j'aime ces sortes de folies. Croiriez-vous que je suis enfermée aujourd'hui pour écrire, et que j'ai refusé rudement toutes les Madames? J'avois à faire réponse à M. de Grignan, à achever cette lettre, sans compter mille billets à toutes mes amies qui m'ont écrit. Adieu : je vous en dirai davantage samedi. Mandez-moi si votre voyage ne vous a point fait de mal; nous avons fait le nôtre sans la moindre incommodité.

8LO. —— DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Nantes, vendredi 17e mai.

JE vous assure, ma fille, qu'il m'ennuie ici : M. deMolac, ni les Madames qui me font tant d'honnêtetés, ne me consolent point de n'être pas dans mes bois; car je ne

pense pas encore à Paris. Ce sont donc les Rochers que je respire, c'est mon Rochecourbièresi, c'est d'être dans

20. Voyez le Médecin malgré lui, et tome IV, p. 192, note 7.

21. Voyez la note 7 de la lettre suivante, p. 400.

LETTRE 810. — 1. Grotte fort agréable où l'on alloit se reposer dans les parties de promenades qu'on faisoit à Grignan. (Note de Perrin, 1704.)—Elle est située à un demi-quart de lieue de la ville; on y

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de belles allées, et non pas dans une fausse représenta- tion d'une société qui n'a rien d'agréable pour moi. Ma consolation, c'est d'être à mes Filles de Sainte-Marie : elles sont aimables; elles ont conservé une idée de vous, dont elles me font leur cour; elles ne sont point folles, ni prévenues, comme celles de Paris2; elles ne croient point le pape d'aujourd'hui hérétiqueS; elles savent leur religion; elles ne jetteront point4 par terre l'Ecriture sainte, parce qu'elle est traduite par les plus honnêtes gens du monde ; elles font honneur à la grâce de JésusChrist; elles connoissent la Providence; elles élèvent bien leurs petites filles; elles ne leur apprennent point à mentir, ni à dissimuler leurs sentiments ; point de coquesigrues ni d'idolâtrie : enfin, je les aime. M. de Grignan les croira jansénistes, et moi je pense qu'elles sont chrétiennes6 ; il y en a deux qui ont bien de l'esprit. J'irai demain écrire dans cette maison; j'y dînerai dimanche : encore une fois, c'est ma consolation.

Je commence dès aujourd'hui fi cette lettre, parce que

voit encore des terrasses et des escaliers que M. de Grignan avait fait disposer pour la rendre plus accessible. (Note de l'édition de 1818.)

2. A Comme celles que vous connoissez. N (Édition de 1754.)

3. Les jansénistes prétendaient que le pape Innocent XI était favorable à leur doctrine, parce qu'il ne fit contre elle aucune constitution. Ils ont même avancé que ce pape avait voulu donner la pourpre au docteur Arnauld. Ce dernier fait ne repose sur rien de solide. Les historiens nous représentent ce pontife comme peu instruit, opiniâtre et inflexible; il était en tout opposé à la France, et il suffisait que les jésuites fissent l'éloge de Louis XIV, pour qu'Innocent XI éprouvât de l'éloignement pour eux. (Note de F édition de 1818.)

4. Tout ce membre de phrase, jusqu'à : cr elles font honneur, » manque dans le texte de 1737 ; ainsi qu'un peu plus loin, les mots : c point de coquesigrues ni d'idolâtrie. »

5. Ce commencement de phrase : a M. de Grignan, etc.,» manque également dans le texte de 1737.

6. Cet alinéa a été donné pour la première fois par Perrin dans sa seconde édition (1754).

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l'on reçoit les lettres à dix heures du matin, et que la poste repart à six heures du soir : cela est fort juste ; et puis je m'en vais vous dire une chose plaisante, c'est que la première fois que je lis vos lettres, je suis si émue, que je ne vois pas la moitié de ce qui est dedans ; en les relisant plus à loisir, je trouve mille choses sur quoi je veux parler : la première qui me revient, c'est votre Cartilage1 ; laissez-nous faire, je vous prie; nous l'achèverons plus tôt que la pauvre Didon n'acheva la sienne : cette comparaison m'a charmée.

Je suis ici dans l'embarras d'arrêter un grand compte8 de dix-neuf années, que mon fils n'avoit fait qu'ébaucher. On me veut faire passer des lettres que j'ai écrites pour des quittances ; c'est une pitié de voir les subtilités' où dix mille francs de restes jettent un mauvais payeur.

Nous allons tout arrêtertO; nous aspirons à de certains lods et ventes d'une terre qui relève de nous : nous voulons deux mille francs tout à l'heure. Nous avons bien des gens qui nous conseillent : tout ce qui me fâche, c'est de faire du mal; mais quand je joue à noyer, et que je me demande lequel je noie de M. de la J arie U ou de moi, je dis sans balancer que c'est M. de la Jarie, et cela me donne du courage.

7. L'appartement de Mme de Grignan, à l'hôtel Carnavalet. Voyez la lettre précédente, p. 398. — Mme de Grignan avait probablement fait allusion au pendent opera interrupta de Virgile (Énéide, livre IV, vers 88). Voyez le commencement de la lettre du 19 juin suivant.

8. a D'achever un compte. » (Édition de 1754.)

9. a C'est une pitié que les subtilités. » (Ibidem.)

10. et Nous avons tout arrêté. » (Ibidem.) - Immédiatement après, l'impression de 1754 donne nous espérons à, au lieu de nous aspirons à; celle de 1737 n'a pas le dernier membre de phrase : a nous voulons, etc. »

II. Fermier du Buron. Voyez les lettres du 20 juillet 1686 et du 26 juin 1689.

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Voilà, ma chère enfant12, les nouvelles dont je puis remplir mes lettres: quand je songe combien les détails de cette nature qui sont dans les vôtres me touchent sensiblement, je m'imagine que vous êtes de même pour moi, et je ne crois pas que vous vouliez que je mette votre amitié à plus haut prix. La vie est ici à fort bon marché : si vous étiez de même à Aix, vous n'auriez pas tant dépensé cet hiveru; c'est encore une belle circonstance que tout y soit comme à Paris : voilà une heureuse ressemblance. Vous avez raison de trouver plaisant qu'en blâmant l'excès de votre dépense, on trouve à dire à la frugalité de vos repas ; vous avez très-bien fait de ne les pas augmenter ; vous avez un si grand air que vous trompez les yeux, car votre intendant jure qu'on ne peut pas faire une meilleure chère, ni plus grande, ni plus polie. Cinquante domestiques est une étrange chose14 ; nous avons eu peine à les compter. Pour Grignan, je ne comprends jamais comme" vous y pouvez souhaiter d'autre monde que votre famille. Vous savez bien que quand nous étions seules, nous étions cent dans votre château ; je trouvois que c'étoit assez. Il ne faut pas croire que l'excès du nombre ne vous ôte pas toute la douceur et tout le soulagement16 du bon marché et des provisions : c'est une chose que vous n'avez jamais voulu comprendre; mais votre arithmétique, en vous faisant doubler par quatre le nombre de vos bouches, vous les fera trouver" aussi chères

12. « Ma pauvre enfant. ) (Édition de 1754.)

i3. c Si c'étoit la même chose à Aix, vous n'auriez pas tant dé pensé l'hiver dernier. » (Ibidem.)

14. * C'est une chose étrange que cinquante domestiques « (Ibidem.) 15. < Comment. » (Ibidem.)

16. « Toute la douceur et le soulagement. » (Ihidem.)

17. c Vous les fera voir. » [Ibidem.) 1

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qu'à -Paris. Donnez à tout cela, ma fille, quelques moments des réflexions dont vous vous creusez la tête dans votre cabinet : je vous recommande à vous-même dans cette retraite. Vos rêveries ne sont jamais agréables : vous vous les imprimez plus fortement qu'une autre; vous savez l'effet de ces épuisements, et le besoin que vous auriez18 d'être quelquefois spensierata19 ; rien n'est si sain aux personnes délicates, et vos lectures même sont trop épaisses : vous vous ennuyez des histoires et de tout ce qui n'applique point; c'est un malheur d'être si solide et d'avoir tant d'esprit, on ne s'en porte pas mieux. Ma santé me fait honte, et il y a quelque chose de sot à se porter aussi bien que je fais : ma santé est encore20 au delà de la médiocrité de mon esprit. Je trouve quelquefois que je mériterois au moins quelque légère incommodité; je voudrois, pour votre soulagement et pour mon honneur, avoir quelques-unes des vôtres : quand je pense à tant de maux21, je vous assure, ma chère enfant, que je suis étonnée que la bonté de mon tempérament puisse soutenir l'inquiétude que j'en ai. Je ne vous ai point assez dit comme j'aime Pauline, et combien22 je la trouve jolie, aimable, vive et naturelle : ce seroit grand dommage, si elle se gâtoit23 *, et je vous conseillerois de ne la point séparer de vous. Il me semble que le Marquis ne m'aime plus.

18. « Que vous avez. » (Édition de 1754.)

Ig. « Sans penser, nonchalante. î Voyez tome IV, p. 445.

20. « Cela est encore. » (Édition de 1704.)

21. c avoir quelques-uns de vos maux : quand ] y pense, je vous assure, etc. s (Ibidem.)

22. « Ni combien. » (Ibidem.)

a3. Ce membre de phrase : « ce seroit grand dommage, etc., s ne se trouve que dans l'édition de 1754, qui donne, à la même ligne, je vous conseille, au lieu de je vous conseillerois.

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Samedi 18e mai.

Vous voulez, ma chère enfant, que je n'aie plus d'inquiétude de votre santé : seroit-il possible que vos incommodités fussent venues à leur période? Je n'ose, en vérité, me flatter de cette charmante pensée, qui me rendroit tout le reste supportable24. Je comprends qu'en effet vous perdez un peu que je ne sois plus à Paris: mon commerce est exact, et je ne sais point de nouvelles des rues; il est tout naturel que vos Grignans n'aient pas les mêmes soins que moi.

J'imagine fort bien26 lanécessité de vos dépenses d'Aix; je me suis dit tout ce que vous me dites; mais on vous en parle pour entendre vos raisons, qui se rapportent fort à celles qu'on a déjà pensées". Je me doutai que la mort de cette mère de Mme de Dreux vous frapperoit l'imagination : je me repentis de vous l'avoir mandée27 , mais j'en étois si pleine moi-même, qu'il n'y eut pas moyen de m'en taire28.

Vous croyez encore, ma chère enfant, sur ce que je vous ai dit que vous aviez trop d'esprit, que je vais disant une sottise, dont vous m'accusâtes à Paris, qui est de dire, comme une buse : « Ma fille est malade, parce qu'elle a trop d'esprit. » Je ne dis vraiment point de ces fadaises-là 29. Je vous ai écrit ce que j'en pense tout bonne-

34. « Me flatter de cette pensée, qui m'adouciroit tout le reste. »

(Édition de 1754.)

a5. « Je comprends aussi fort bien. » (Ibidem.)

26. Le texte de 1754 donne simplement : « mais c'est pour entendre vos raisons qu'on vous en parle. »

27. <t De vous l'avoir écrite, » (Édition de 1754.)

28. Voyez la lettre du ier mai, p. 366 et 367. — A la ligne précédente, le texte de 1754 donne avoit, au lieu de eut.

29. « Vous croirez peut-être, sur ce que je vous ai dit que vous aviez trop d'esprit, que je vais disant une sottise, qui seroit d'assurer, comme une buse, que ma fille est malade parce qu'elle a trop d'es-

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ment, et cela demeure entre nous ; et c'est que l'on cause sur cela, comme on fait avec Mme de la Fayette de sa santé, qui avoue franchement" qu'elle ne songe qu'à se rendre bête, et ôter de son esprit81 autant de pensées que l'on tâche ordinairement d'y en mettre : elle ne dispute point que son esprit ne lui fasse du mal, ainsi que toute sorte d'application; elle s'exempte de tout: je vous souhaiterois82 sur cela comme elle.

L'affaire de M. de Luxembourg s'est, comme vous voyez, assez bien tournée. On vous envoie son intendant Il à Marseille; ce sera une chose bien nouvelle pour lui84 que l'habit dégingandé de galérien, après avoir passé sa vie sous un chapeau de castor, avec le manteau noir sur les deux épaules 16 : enfin il est condamné; il a justifié son maître ; il a fait amende honorable : tout ce

prit : ah 1 vraiment, je ne dis point de ces fadaises-là. » (Édition de 1754.) 3o. a Elle avoue tout franchement. » (Ibidem.)

31. c En ôtant de son esprit. s (Ibidem.)

32. a Elle ne dispute point que sa tête ne lui fasse du mal, et toute sorte d'application lui est interdite : je vous souhaiterois, etc. »

(Édition de 1737.)

33. Pierre Bonnard fut condamné aux galères perpétuelles, pour maléfice et impiété, par arrêt du 8 mai 1680; François Botot, clerc de Bonnard, fut condamné aussi le même jour à neuf ans de galères.

Desormeaux assure que le duc de Luxembourg ne lui donna jamais le titre d'intendant de sa maison. On voit dans Y Histoire de Montinorency, d'accord en ce point avec les interrogatoires de Bonnard, que cet homme, ayant égaré des papiers qu'il importait au maréchal de recouvrer, eut recours aux moyens de sorcellerie que le Sage lui offrit pour parvenir à les retrouver ; mais que ce dernier exigea qu'il lui apportât un pouvoir signé du maréchal. Il paraîtrait que M. de Luxembourg signa cette pièce sans s'en apercevoir, et que l'on aurait fait reposer tout le procès sur cette signature. (Note de l'édition de 1818.)

34. c Pour ce dernier. » (Édition de 1737.)

35. « Sur les épaules. » (Édition de 1764.) — Dans cette édition, la suite est disposée ainsi : « enfin il est condamné; il a fait amende honorable, mais il a justifié son maître. «

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qu'on peut dire là-dessus, c'est que c'est un très-bon ou

un très-mauvais valetU; il n'y a pas moyen de me contester ce discours. Il y auroit extrêmement à causer, à raisonner, à admirer sur tout cela.

Je lis mon petit livre de la Réunion du Portugal; je vous l'enverrois si j'étois dans votre continent, mais il me semble que je ne suis plus à portée de rien. Cette histoire est écrite en italien par un gentilhomme génois, nommé Conestage, homme de grande réputation, et c'est un ami du cardinal d'Estrées et de Mme de la Fayette qui l'a traduite; elle se laisse lire en perfection n.

Adieu, ma très-chère et très-aimable : voilà ma lettre de Provence achevée ; elle sait bien se faire céder la place ; j'irai faire tantôt des billets chez nos sœurs. Vos lettres me servent d'entretien d'un ordinaire à l'autre; c'est vous qui me parlez, et c'est moi qui vous embrasse mille fois avec une tendresse que vous ne sauriez vous-même vous représenter 18

  • 8ll. - DE MADAME DE sÉVIGNÉ AU COMTE DE GUITAUT.

A Nantes, ce 1 8e mai.

JE me suis contentée de savoir que Madame votre femme étoit accouchée heureusement, et de m'en réjouir

36. a C'est que c'est assurément un très-bon ou très-mauvais valet. > (Édition de 1754.)

37. Cet ouvrage est de Jérôme Franchi de Conestaggio , noble Génois qui avait été chapelain de Philippe III. Il fut imprimé à Gênes en 1585. La traduction que Mme de Sévigné lisait, et dont l'auteur est inconnu, parut en 1680 ; Paris, Louis Billaine, 2 volumes petit in-8°. (Note de l'édition de 1818.1

A 38. s Avec une tendresse qui ne se peut représenter. » (Éditioll de 1754.)

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en moi-même; car pour vous faire un compliment sur la naissance d'une centième fille, je pense que vous ne l'avez pas prétendu. De quoi guérira-t-elle, celle-ci? car la septième a quelque vertu particulière, ce me semble : tout au moins elle doit guérir de toutes les craintes que l'on a pour quelque chose d'unique. Mon exemple, et la pitié que je vous fais, vous font trouver délicieux d'être tiré de ces sortes de peines, par la résignation1 et la tranquillité que vous devez avoir pour la conservation de cette jeune personne ; ce n'est pas de même chez nous : mon pauvre cœur est quasi toujours en presse, surtout depuis cette augmentation d'éloignement; il semble qu'il y ait de la fureur à n'avoir pas été contente de cent cinquante lieues, et que par malice j'aie voulu en ajouter encore cent : les voilà donc ; et vous, Monsieur, qui savez si bien vous sacrifier pour vos affaires, et satisfaire à certains devoirs d'honneur et de conscience, vous comprendrez mieux qu'un autre les raisons de ce voyage : je veux faire payer ceux qui me doivent, afin de payer ceux à qui je dois; cette pensée me console de tous mes ennuis. Je reçois deux jours plus tard les lettres de ma fille; elle me mande qu'elle est mieux, qu'elle n'a point de mal à la poitrine; ce qui me persuade, c'est que Montgobert me mande les mêmes choses : elle est sincère et je m'y fie; ma fille a trop d'envie de me donner du repos, pour espérer d'elle une vérité si exacte. Elle a quelques rougeurs au visage; c'est cet air terrible de Grignan; je ne vois rien de clair sur son retour; cependant je fais ajuster son appartement dans notre Carnavalet, et nous verrons ce que la Providence a ordonné; car j'ai toujours, toujours, cette Providence dans la tête : c'est ce qui fixe mes

LETTRE 811 (revue sur l'autographe). — I. L'autographe porte resination. -

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pensées, et qui me donne du repos, autant que la sensi- bilité de mon cœur le peut permettre, car on ne dispose pas toujours à son gré de cette partie ; mais au moins je n'ai pas à gouverner en même temps et mes sentiments et mes pensées : cette dernière chose est soumise à cette volonté souveraine ; c'est là ma dévotion, c'est là mon scapulaire, c'est là mon rosaire, c'est là mon esclavage de la Vierge; et si j'étois digne de croire que j'ai une voie toute marquée, je dirois que c'est là la mienne ; mais que fait-on d'un esprit éclairé et d'un cœur de glace?

Voilà le malheur, et à quoi je ne sais d'autre remède que de demander à Dieu le degré de chaleur si nécessaire ; mais c'est lui-même qui nous fait demander comme il faut.

Je ne veux pas pousser plus loin ce chapitre, dont j'aime à parler ; nous en discourrons2 peut-être quelque jour.

J'ai vu M. Rouillé : il est extrêmement content de vous, de Madame votre femme, de votre château, et de votre bonne chère. H me loua fort aussi d'une lettre que vous lui avez montrée, et qu'il m'a assurée qui étoit fort bien écrite : j'en suis toujours étonnée, j'écris si vite que je ne le sens pas. H me parla beaucoup de Provence : c'est un bon et honnête homme, et d'une grande probité; je voudrois qu'il y retournât; j'en doute fort. Quand je l'entends parler à l'infini, et répondre souvent à sa pensée, je ne puis oublier ce qu'on a dit de lui, que c'étoit une clef dans une serrure, qui tourne, qui fait du bruit, et qui ne sauroit ouvrir ni à droit ni à gauche : cette vision est plaisante; franchement la serrure est brouillée fort souvent'; mais cela n'est point essentiel, et il vaut mieux qu'un autre*.

2. Mme de Sévigné a écrit discourerons.

3. Voyez plus haut, p. 38o.

4. H y a : « qu'une autre, s dans l'original.

68 o

J'ai ici le bon abbé, qui vous honore toujours t ment et Mme de Guitaut, car nous sommes tout son mérite, et c'est une marque du nôtre. Nous si venus sur la belle Loire avec des commodités ia: j'avois soin de lui faire porter une petite cave plî meilleur vin vieux de notre Bourgogne ; il prend boisson avec beaucoup de patience, et quand il am nous disions : « Le pauvre homme ! » car j'ayw trouvé l'invention de lui faire manger du potagj bouilli chaud, dans le bateau. Il mérite bien qu toute cette application pour un voyage où il vient âge, avec tant de bonté; je l'ai remis entre les nu vin de Grave, dont il s'accommode fort bien.

Je reçois présentement mes lettres de Paris; o mande que l'intendant de M. de Luxembourg eafl damné aux galères6; qu'il s'est dédit de tout cd avoit dit contre son maître : voilà un bon ou un wt valet ; pour lui, il est sorti de la Bastille plus bIne.

cygne ; il est allé pour quelque temps à la cam.

Avez-vous jamais vu des fins et des commamcei d'histoires comme celles-là? Il faudroit faire un pe.

en litière sur tous ces événements.

Ma fille m'écrit du 8e de ce mois : elle me mande.

se porte fort bien, que sa poitrine ne lui fait aucun Celui de la belle duchesse de Fontanges est quasL par le moyen du prieur de Cabri ères. Voyez UI [] quelle destinée ! cet homme que je compare au me forcé, qui faisoit paisiblement des fagots, comme A comédie, se trouve jeté à la cour par un tourhill* lui fait traiter et guérir la beauté la plus consiiâ

5. Voyez la note 33 de la lettre précédente, p. 404. 1

6. Mme de Sevigne a oublié le motpeu; à la fin de 1 alinéa, écrit arrive, pour arrivent.

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git à la cour. Voilà comme les choses de ce monde t.

», Monsieur, adieu, mon très-cher Monsieur : poi toujours; et vous, Madame, souffrez que je brasse au milieu de toutes vos filles. Vous ne me n de la Beauté ni de la très-bonne : pensez-vous blie jamais tout cela7 ?

LA M. DE Se vigne.

f 812. - DE MADAME DE SÉ VIGNE I A MADAME DE GRIGNAN1.

t A Nantes, lundi 20e mai.

i huit jours que je suis ici : je m'y ennuie beauHous allons demain à la Silleraye3, qui est dept poli, tout joli et bâti, depuis que vous y avez n'y coucherai point; j'y mène une jolie fille6 ^plaît : c'est une Agnès, au moins à ce que je ta

feaut du verso de la dernière page, on lit cette suscription ne autre main : cr; Pour M. de Guitaud. »

~8i 2 (revue sur une ancienne copie). — i. L'édition de jra6) contient une lettre, datée du 26 septembre 1675, qui se de cette lettre-ci (moins la fin depuis : et Je me divert" cinquième alinéa de celle du 17 novembre 1675 : voyez felV, p. 237 et 238.

tf le texte de l'édition de la Haye (1726). Dans l'impression f : « il m'y ennuie beaucoup ; » dans les deux de Perrin : Py amuse pas assurément. » Cette première phrase est la fa lettre qui ne soit pas dans.notre manuscrit.

!z d'Harouys. Voyez tome IV, p. i45, note I.

ui est devenu fort joli (dans la Haye : tout joli) depuis que rez été. 2 (Éditions de Rouen et de la Haye, 1726.) C'est aussi le l'édition de 1737, sauf l'addition de ne : « que vous n'y » Dans celle de 1754, Perrin a mis : 1 Ce lieu est devenu depuis que vous n'y avez été. »

isles deux éditions de Perrin : « une jeune fille. j

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pensois, et j'ai trouvé tout d'un coup qu'elle a bien de l'esprit, et une envie si immodérée d'apprendre ce qui peut servir à être une honnête personne, éclairée6 et moins sotte qu'on ne l'est en province, qu'elle m'en a touché le cœur : sa mère est une dévote ridicule. Cette fille a fait de son confesseur tout l'usage qu'on en peut faire; c'est un jésuite qui a bien de l'esprit' : elle l'a prié d'avoir pitié d'elle, de sorte qu'il lui apprend un peu de tout8 ; et son esprit est tellement débrouillé, qu'elle n'est ignorante sur rien. Tout cela est caché sous un beau visage fort régulier9, sous une modestie extrême, sous une timidité aimable10, sous une jeunesse de dixsept ans. Il y auroit11 bien des gens qui s'offriroient à lui donner de l'esprit comme dans la Fontaine"; mais elle paroît n'en vouloir point de celui-là. Le temps lui pourra faire changer d'avis; car je n'ai jamais vu mieux chanter, ni entendre les airs de l'opéra fa : elle apprend à chanter des comédiens qui sont en cette villeu.

6. a Et une envie immodérée d'apprendre ce qui peut servir à être une personne honnête, éclairée, etc. » (Éditions de 1737 et de 1754.) Si ayant été supprimé dans ces deux éditions et dans celles de 1726, que l'a été aussi deux lignes plus bas, et il y a simplement : « elle m'en a touché le cœur. D

7. Dans l'impression de Rouen (1726) : « qui en sait beaucoup; » dans les deux de Perrin : a qui a beaucoup d'esprit. »

8. Ce membre de phrase : « de sorte, etc., » manque dans l'édition de la Haye (1726) et dans les deux éditions de Perrin.

g. Les mots fort régulier ne sont pas dans le texte de 1754.

10. « Une timidité naturelle. D (Éditions de 1737 et de 1754.)

11. Cette phrase et le commencement de la suivante, jusqu'aux mots je n'ai jamais vu, manquent dans l'édition de 1754.

12. Voyez le conte de la Fontaine (le Ier du livre IV), Comment l'esprit vient aux filles, publié en 1675.

13. V faire changer d'avis : on ne peut mieux chanter, ni mieux entendre les airs de l'opéra qu'elle fait. » (Édition de Rouen, 1726.)

14. Ce membre de phrase ne se lit que dans notre manuscrit et dans l'édition de la Haye (1726).

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Cette fille est parente du premier président16, alliée de M. dHarouys16 : je voudrois bien qu'elle fût en la place de Mlle du Plessis pour jusqu'à la Toussaint seulement; elle voudroit bien aussi que sa mère me ressemblât18

Je me divertis à la dévider; sans elle et mes filles de Sainte-Marie, j'aurois été comme tombée des nues. Elle me fit hier conter ce que c'est que cette fille en Provence que j'aime si passionnément. Je la peignis si bien que je me blessai de ma propre épée, et je me trouvai si 19 malheureuse d'être loin de cette personne, que je ne pus soutenir cette conversation.

8l3. - DE MADAME DE SÉVIGTÏÉ A MADAME DE GRIGNAN.'

A Nantes, samedi 25e mai.

EN attendant vos lettres, ma bonne, je m'en vais un peu vous entretenir. J'espère que vous aurez reçu une si grande quantité des miennes, que vous serez guérie pour jamais des inquiétudes que donnent les retardements de la poste. Pour moi, ma chère, il me semble qu'il y a six mois que je suis ici, et que le mois de mai n'a point de

15. S'agit-il de Louis Phelipeaux, comte de Pontchartrain, premier président du parlement de Bretagne depuis 1677, où du premier président de la chambre des comptes de Nantes, dont il est parlé plus loin, p. 423 et 424 ? — Dans l'édition de 1754 : « Elle est parente, etc. »

16. Ce premier membre de phrase : a Cette fille est, etc., » manque dans l'impression de Rouen (1726).

17. Dans les éditions de 1726 et dans celles de Perrin : a à la place. »

18. Tout ce qui suit ne se trouve eue dans notre manuscrit.

19. Le mot si, qui est nécessaire, a été omis par le copiste.

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fin. Vous souvient-il des fantaisies qui vous prennent1 quelquefois de trouver qu'il y a des mois qui ne finissent point du tout ? Je n'étois point de cet avis quand j'étois avec vous ; ma douleur étoit de voir courir le temps trop vite. Me voilà dans l'admiration du joli mois de mai : que n'ai-je point fait? que n'ai-je point vu? que n'ai-je point rêvé? et j'arriverai encore aux Rochers devant qu'il finisse2. Mon fils avoit fort envie que nous allassions à Bodégat3, où effectivement nous avons beaucoup d'affaires; mais il desiroit surtout que j'allasse chez Tonquedec.

Comme je ne suis pas si touchée de cette visite, je la diffère lorsque4 je serai peut-être obligée d'aller à Rennes voir6 M. et Mme de Chaulnes. Présentement je m'en vais aux Rochers, où je ferai venir tous mes gens de Bodégat'.

Tout ce que j'ai pu faire ici, c'est de m'assurer un rachat et des ventes d'une terre qui acquitteront la Jarie envers moi de deux mille écus ; il restera encore trois ou quatre cents francs ; mais c'est là qu'il faut dire, comme en toute autre chose : Fait-on, je ne dis pas la moitié, Dieu m'en garde 1

Mais fait-on seulement le quart de ce qu'on veut'?

Cet argent n'est pas comptant, mais il est assuré; il viendra assez à propos pour faire que je vous prie encore, ma bonne, de n'en point envoyer : vous ne le pourriez faire sans vous incommoder, et quand je pourrai vous

LETTRE 813 (revue sur une ancienne copie). — x. Dans l'édition de 1754, la seule des deux éditions de Perrin où il ait donné cette lettre : a qui vous prenoient. » - ,

2. « Avant qu'il iinisse. » (EditIOn de 1754.)

3. Voyez tome IV, p. 3o6, note 12.

4. c( Je la diffère iusqu'au temps où. » (Édition de 1754.)

5. a Pour voir. » (Ibidem.)

6. Tout ce qui suit, jusqu'à : et Vous m'allez demander, » se trouve uniquement dans notre manuscrit.

7. Ces vers ont déjà été cités au tome IV, p. 3o3.

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soulager, je m'en trouverai trop heureuse. Vous m'allez demander si personne ne pouvoit faire cette affaire pour moi 8 je vous dirai que non : il a fallu ma présence et le crédit de mes amis; cela m'a un peu consolée -avec mes pauvres filles de Sainte-Marie, où je passe une partie de mes après-dînées9. Je leur ai fait prêter un livre dont elles sont charmées : c'est la Fréquente10 ; mais c'est le plus grand secret du monde. Je vous prie de lire, ma bonne, la seconde partie du second 11 traité du premier tome des Essais de morale; je suis assurée que vous le connoissez, mais vous ne l'avez peut-être pas remarqué : c'est de la Soumission à la volonté de Dieu. Voyez comme il nous la représente souveraine, faisant tout, disposant de tout, réglant tout; je m'y tiens : voilà ce que j'en crois ; et si en tournant le feuillet, ils veulent dire le contraire pour ménager la chèvre et les choux, ils auront sur cela la destinée à mon égard de ces ménageurs politiques18, et ils ne me feront pas changer : je suivrai leur exemple, car ils ne changent pas d'avis pour changer de note.

Nous fûmes dîner l'autre jour à la Silleraye, comme je vous avois dit. Mon Agnès fut ravie d'être de cette partie, quoiqu'il n'y eût que le bon abbé et l'abbé de Bruc 14 : elle a dix-neuf ans, mon Agnès, et n'est pas si

8. et Agir ici pour moi. i (Édition de 1754.)

g. o Cela m'a un peu consolée, joint au plaisir de passer une partie de mes après-dînées avec mes pauvres filles de Sainte-Marie. D (Ibidem.)

io. Le livre de la Fréquente communion, d Arnauld, publié en 1643.

— L'édition de 1754 porte la Fréquence, pour la Fréquente.

i i. Le mot second a été sauté dans notre manuscrit.

ia. Dans notre manuscrit, il y a, par une faute singulière, manger, au lieu de ménager.

i3. œ Je les traiterai sur cela comme ces ménageurs politiques. »

(Édition de 1754.) — Ce trait paraît être dirigé contre les jésuites.

14. Bruc, canton de Pipriac, arrondissement de Redon (llle-etVilaine).

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simple que je pensois; elle a plus que le désir d'apprendre, elle sait, comme vous disiez" de Marie à Grignan : elle se doute 16 de ce qu'on lui veut dire ; elle est aimable. Le jésuite qui la gouverne la fait communier deux fois la semaine : bon Dieu ! quelle profanation ! elle est de tous les plaisirs quand elle peut en être, et du moins elle le desire toujours : « Je le voudrois, du moins, mon père 18; » et c'est assez pour n'être pas dans un usage si familier. Elle a lu tout ce qu'elle a pu attraper de romans, avec tout le goût que donne19 la difficulté et le plaisir de tromper. Vraiment, si je voulois mettre une fille sur le rempart20, je ne lui souhaiterois qu'une mère et un confesseur comme elle en a. Ma bonne, je vous parle de Nantes, en attendant les lettres de Paris. Il y a ici une espèce d'intendante, qui ne l'est point pourtant; c'est Mme de Nointel21. Elle est fille de Mme de

- 15. a Elle sait assez de choses; c'est comme vous disiez, etc. »

(Édition de 1754.)

16. Notre manuscrit porte : « elle ne se doute. »

17. « Le confesseur qui la gouverne. » (Edition de 1754.) — Dans notre manuscrit, il y a : « les jésuites qui la gouvernent, » mais le verbe suivant, fait, a été laissé au singulier.

18. Ces mots : « Je le voudrois, du moins, mon père, 1 manquent dans le texte de 1754.

ig. « Que donnent. » (Édition de 1754.)

20. « Si je voulois rendre une fille galante. » (Ibidem.)

21. Madeleine-Hyacinthe, seconde fille de Bénigne le Ragois, sieur de Bretonvilliers (fils d'un secrétaire du Roi enrichi dans les partis, président à la chambre des comptes de 1657 à 1671, mort en janvier 1700), et de Claude - Elisabeth Perret. Elle était sœur de Mme Hervart (l'amie de la Fontaine) et avait épousé Louis Béchameil, marquis de Nointel, qui fut intendant en Bretagne (voyez Saint-Simon, tome IV, p. 118) et mourut en 1718; veuve en 1704, elle mourut en janvier 1737. Voyez sur les Bretonvilliers et leur célèbre hôtel, et sur Nointel, Tallemant des Réaux avec le commentaire de M. P. Paris, tome VI, p. 5n et suivantes, et la Correspondance de Bussy, tomes III, p. 5o et 5a; V, p. 39, 612 et suivantes.

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Bretonvilliers; elle a dix-sept ans, et fait la sotte, l'entendue 22. Son mari est de la vraie maison de Béchamel, ou Bec-à-miel"; il n'est pas ici : sa femme fait la belle, et croit que c'est mon devoir de l'aller voir; je n'ai pas bien compris pourquoi ; et en attendant qu'elle me montre par où, je m'en vais aux Rochers : cela seroit bon pour Mme de Molac; ce n'est pas une difficulté : elle est à Paris; son mari 24 l'est allé trouver.

Vous pouvez26 mettre désormais, ma bonne, sur vos paquets, à moi à Vitré, et une autre enveloppe à M. Riaux, commis au bureau général de la grande poste, rue des Bourdonnois, à Paris : c'est afin que la poste de Provence arrivant, il jette le paquet à celle de Bretagne, qui part le même jour. Du But en a eu des soins admirables jusques ici; c'est afin de lui donner moins de peine. Je vous écrirai encore mardi d'ici avant que de partir.

Voilà vos lettres du 15 e de ce mois infini; car il est vrai, ma bonne, que je n'en ,ai jamais trouvé un pareil.

Vous avez reçu toutes les miennes : je vous conjure, ma bonne, de n'être point en peine si vous n'en recevez. pas : vous voyez bien que cela dépend de l'arrangement de certains moments de la poste qui peuvent souvent manquer jusques ici je n'ai pas sujet de m'en plaindre, je ne reçois vos lettres que deux jours plus tard qu'à Paris :

22. « La sotte et l'entendue. » (Édition de 1754.)

, , ., i3. « Est de la vraie maison de Be. » (Ibidem.)

24. M. de Molac étoit gouverneur des ville et château de Nantes.

(Note de Perrin.)

20. Cet alinéa n'est que dans notre manuscrit.

2b. « (jui peuvent très-souvent manquer. s (Edition de 1754.) — Le mot manquer a été sauté dans notre manuscrit.

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- c'est tout ce qu on peut ménager sur une distance aussi extrême que celle-ci. Vous dites, ma bonne, que je n'en suis point touchée : cela est d'une personne qui est encore plus loin de moi que je ne pensois, qui m'a tout à fait oubliée, qui ne sait plus la mesure de mon attachement, ni la tendresse de mon cœur, qui ne sait plus la sensibilité que j'ai pour elle, ni cette belle foiblesse naturelle et cette disposition aux larmes qui ont été l'objet de la moquerie de votre fermeté et de votre philosophie 27. Ma bonne, c'est à moi à me plaindre : je ne suis que trop pénétrée de tout cela; et avec toute ma belle Providence, que je comprends si bien, je ne laisse pas28 d'être toujours affligée au delà de toute raison de ces arrangements : c'est aux parfaits qu'elle cause cette paix et cette soumission sans murmurer; mais à moi misérable, hélas! ma bonne, elle ne m'empêche point d'être troublée et agitée, et occupée du desir de voir bientôt changer l'état où je suis : il y a des pensées sur cela que je ne soutiens pas. Je sens une main qui me serre le cœur : je ne devois point vous laisser partir; je devois vous emmener avec moi aux Rochers. Ah! ma bonne, il est vrai, je comprends que je serois fort aise de vous avoir; votre chère idée ne me quitte pourtant point, mais elle me fait soupirer ; c'est pour ma peine, c'est pour ma pénitence

27. « de mon cœur, qui ne connoît plus cette foiblesse naturene, ni cette disposition aux larmes dont votre fermeté et votre philosophie se sont si souvent moquées. » (Édition de 1754.)

28. « Je ne laisse pas d'être toujours affligée de ces arrangements au delà de toute raison. Une paix entière, une soumission sans murmure est le partage des parfaits, tandis que la connoissance de cette Providence et du mauvais usage que j'en fais ne m'est donnée que pour ma peine et pour ma pénitence. Vous dites qu'on veut que Dieu soit l'auteur de tout ce qui arrive ; lisez, lisez ce traité que je vous ai marqué, et vous verrez qu'en effet c'est à Dieu qu'il s'en faut prendre, mais avec respect et résignation. » (Ibidem.)

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que la connoissance m'est donnée. Vous dites que c'est pour se prendre à Dieu de tout : lisez, lisez ce traité que je vous ai marqué, et vous verrez que c'est à lui en effet qu'il s'en faut prendre, mais c'est avec respect et résignation ; et les hommes à qui 29 nous arrêtons notre vue, il faut les considérer comme les exécuteurs des ordres de Dieuî0, dont il sait bien tirer la fin qui lui plaît Si. C'est ainsi qu'on raisonne quand on lève les yeux; mais ordinairement on s'en tient aux pauvres petites causes secondes , et l'on souffre avec bien de l'impatience tout ce qu'on devroit recevoir avec soumission : voilà le misérable état où je suis; c'est pour cela que vous m'avez vue me repentir, m'agheret m'inquiéter tout de même qu'une autre ; et comme vous dites, ma belle, toutes les philosophies 82 ne sont bonnes que quand on n'en a que faire.

Vous me priez de vous aimer davantage et toujours davantage; en vérité, ma très-chère, vous m'embarrassez; je ne sais point où l'on prend ce degré-là; il est au-

29. CI Sur qui. » (Édition de 1754.)

- -

3o. G: De ses ordres. m (Ibidem.)

3i. a Nous ne voyons, dit Nicole, que le bâton qui nous frappe et qui nous châtie, et nous ne voyons pas la main qui s'en sert. Si nous découvrions Dieu partout, et que nous le regardassions au travers des voiles des créatures; si nous voyions que c'est lui qui leur donne tout ce qu'elles ont de puissance, qui les pousse dans les choses qui sont bonnes, et qui dans les mauvaises détournant leur malice de tous les autres objets auxquels elle se pourroit porter, ne lui laisse point d'autre cours que celui qui sert à l'exécution de ses arrêts éternels : la vue de sa justice et de sa majesté arrêterait nos plaintes, nos murmures et nos impatiences; nous n'oserions pas dire en sa présence que nous ne méritons pas le traitement que nous souffrons, et nous ne pourrions pas avoir d'autres sentiments que celui qui faisoit dire à David : Je me suis tu, et je me suis humilié, parce que c'est vous qui l'avez fait. » (Essais de morale, lIe traité, seconde partie, chapitre 1.)

32. « tout de même qu'une autre. Je pense, comme vous, que toutes les philosophies, etc. t (Édition de 1764.)

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- dessus de mes connoissances; mais ce qui est bien à ma portée, c'est de ne vous être bonne à rien, c'est de ne faire aucun usage qui vous soit utile de la tendresse que j'ai pour vous, c'est de n'avoir aucun de ces tons si désirés d'une mère, qui peut retenir, qui peut soulager, qui peut soutenir : ah ! voilà ce qui me désespère, et qui ne s'accorde point du tout avec ce que je voudrois.

Le bien Bon3" vous répond sur votre bâtiment et sur M. Chapuis"; il vous déchiffrera son grimoire; je crois même qu'il l'a déjà fait par les chemins. Vous verrez que vous devez être contente.

Mme de la Fayette ne se console point, malgré les agréments qu'elle trouve encore pour son fils35 ; son cœur est blessé au delà de ce que je croyois Elle a été remercier le Roi, qui lui fit des merveilles 37, et cependant elle n'y put durer, et revint coucher à Paris.

Mme de Vins m'est revenue à la pensée, comme à vous, sur ce séjours8 de Fontainebleau, où elle étoit si agréablement l'année passée. Elle a mille honnêtetés pour moi ; et en vérité je suis touchée de son mérite et de son malheur; elle est plus tombée qu'un autre, ne peut plus39 souffrir tous ces pays où elle n'est plus; elle se renferme uniquement dans sa famille, et dans les procès, dont elle est plus accablée que jamais. Je crois que je lui étois assez bonne à Paris; je la mettois au premier rang de

33. Ce petit alinéa n'est que dans notre manuscrit.

34. Voyez plus liaut, p. iog, note 41.

35. Nous avons vu, dans la lettre du 6 mai précédent, p. 382, qu'il avait obtenu un régiment.

36. t Au delà même de ce que je croyois. » (Édition de 1754.)

3?. « Qui la reçut à merveilles. a (Ibidem.)

38. Notre manuscrit ajour, au lieu de séjour.

3g. « plus tombée qu'une autre; elle ne peut plus, etc. »

[Édition de 1754.) — Il y a un autre dans notre manuscrit : voyez tome V, p. 5oo, et la note 6.

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mes devoirs, et par mon inclination, et par l'état de sa fortune. Nous nous écrivons de vous; elle me mande qu'elle est notre entrepôt : je me tiens honorée de son commerce et de son amitié. Vous m'avez, réjouie, en me parlant de ces carmélites, dont les trois vœux sont changés en trois choses tout à fait convenables à des filles de Sainte- Thérèse, l'intérêt, l'orgueil et la haine40.

Madame la Dauphine dit qu'elle n'a vu à Paris que des têtes, et le haut des arbres des Tuileries : elle ne se brouille pas à la cour par un tel discours. Il y eut l'autre jour une extrême brouillerie entre Sa Majesté 6 i et Mme de Montespan : M. Colbert travailla à l'éclaircissement, et obtint avec peine que le Roi y feroit" médianoche comme à l'ordinaire : ce ne fut qu'à condition que tout le monde y entreroit. La belle Fontanges est retombée dans ses maux; le prieur 41 va recommencer ses remèdes; s'ils sont inutiles, il pourra bien retourner à ses fagotsU. La Troche m'écrit de bonnes lettres ; son fils est témoin de bien des choses ; mais ce seroit une raillerie de vous envoyer des nouvelles, ayant45 un frère et un beau-frère à la cour. Vous vous moquez, ma bonne, de trouver qu'il 411 devroit me préférer; j'en serois bien fâchée; je suis fort aise" qu'il ne manque point à cette sorte de devoir; il viendra48 quand le Roi fera son voyage. Je ne puis m'em-

4o. Trait dirigé contre les carmélites de la rue du Bouloi. Voyez la note 27 de la lettre du 6 mai précédent, p. 381.

41. « Le Roi. » (Édition de i'75~

42. « One Sa Maiesté feroit. s (Ibidem.)

43. Le prieur de Cabrières. Voyez les lettres du 26 avril et du 6 mai précédents, p. 361, 36a et 381.

44. Comme le Médecin malgré lui. Voyez ci-dessus, p. 362.

45. « Tandis que vous avez. » (Édition de 1754.) �

46. « Que votre frère. » (Ibidem.)

47. a Il est à propos. » (Ibidem.)

48. « Il viendra me trouver. » (Ibidem.) — Tout ce qui suit, à

1 6 8 c

- pêcher de croire et d'espérer que vous ferez celui de Paris; votre bon Entrecasteaux vous fera le même effet que si vous étiez présentement à la fin de décembre. Mon Dieu! quel cruel mécompte, et que j'aimerois quelque partie casuelle qui réformât ce calendrier! Vous vous fâchez, mon ange, quand je vous parle de ce meuble ; vous croyez m'avoir expliqué ce présent49 : vous ne l'avez fait que dans cette dernière. Je croyois que vous puissiez60 choisir des louis d'or ou du damas; j'étois pour le premier, mais de la manière dont vous m'expliquez cette affaire, hélas! ma bonne, il n'y a pas de difficulté; cela est clair, et même cela est plus honnête, et le choix d'un meuble d'été ou de rien n'est pas difficile61 à faire. Je vous ai fatiguée faute de vous entendre.

Ma chère enfant, si j'allois vous dire que je vous prie de m'aimer davantage, et que vous n'êtes point fâchée de mon absence, que me répondriez-vous? Dites-vous encore plus de ma part, ma bonne, avec votre permission.

Je vous recommande votre santé, et de ne guère écrire, si vous m'aimez; ma belle, servez-vous de la Pythie52.

N'avez-vous jamais ouï dire : « Il a une belle voix pour

partir de : « Je ne puis m'empêcher, d jusqu'à : « Adieu, ma trèschère s (p. 421), ne se lit que dans notre manuscrit.

49. Un corps de ville avait pris une délibération pour offrir en présent à Mme de Grignan un meuble de damas du prix de cent louis. M. de Grignan écrivait aux échevins, le 23 juin 1680, pour leur exprimer sa gratitude. Il ajoutait : « Je vous prie de vous contenter de cette vue que j'ai de vos sentiments et de trouver bon que la chose en demeure là, et que je n'accepte pas ce présent. Vous savez que c'est la manière dont j'ai toujours agi dans la province, et vous connoîtrez dans la suite l'estime que je sais faire de cette bonne volonté dont vous avez voulu faire voir des effets, s Nous donnons cet extrait d'après une copie du temps.

5o. Puissiez est la leçon du manuscrit. Faut-il lire pussiez P

51. Notre manuscrit porte difficulté, au lieu de difficile.

52. Nous avons déjà vu ce nom dans la lettre du 26 mars, p. 325.

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écrire? » Mille amitiés, embrassades, tendresses à M. de Grignan et à ces chers enfants. Le perfide est-il pas de retour? Je prie Pauline de me mander ses amours et votre jalousie.

Adieu, ma très-chère : vous êtes trop aimable de préférer tous les riens et tous les discours dePilois53, que je vais vous mander, à toutes les nouvelles du monde : je vous le rends bien; les détails de Grignan me sont plus chers que toutes les relations de Fontainebleau.

Ne vous pressez point pour cette lettre de la princesse de Tarente : elle n'est peut-être pas encore à Vitré. La vision d'épouser le prince de Danemark n'a pas duré longtemps; il est échoué beaucoup d'autres mariages depuis. Elle n'est que du trois au quatre54 avec Madame la Dauphine; il faut être son neveu ou sa nièce, pour qu'elle compte cela pour quelque chose. Elle a eu seulement deux Bavières palatines dans sa maison, et deux électeurs palatins" ont épousé des Hesses; mais cela n'est rien56.

53. Jardinier des Rochers.

54. On a vu plus haut, p. 261, note 14, le sens qu'a cette locution en généalogie ; mais il est probable que le texte est ici altéré : il n'y avait point entre les deux princesses une parenté aussi proche ; la plus proche 'que nous ayons trouvée n'est que du sept au sept : la princesse de Tarente était (par sa trisaïeule, Charlotte de Bourbon Vendôme Montpensier) descendante au sixième degré, et la Dauphine (par sa grand'mère, Christine de France, duchesse de Savoie ] descendante au septième degré de Jean de Bourbon Vendôme, trisaïeul de Henri IV. Il semble résulter d'une lettre de Madame de Bavière (du 24 juillet 1689), que la Dauphine ne donnait point, comme le faisait Madame, le titre de cousin au fils de la princesse de Tarente.

55. La maison de Wittelsbach était, comme on sait, partagée en deux branches : l'aînée, la rodolphine ou des électeurs palatins, et la cadette, la wilhelmine ou des électeurs de Bavière.

56. Mme de Tarente était de la maison des landgraves de HesseCassel (voyez tome II, p. 229, note 4); les deux princesses de la branche palatine de Bavière qui entrèrent dans sa maison sont, à

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814. - DE MADAME DE SÉvIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Nantes, lundi au soir 278 mai.

JE vous écris ce soir, ma fille, parce que, Dieu merci, je m'en vais demain dès le grand matin, et même je n'attendrai pas vos lettres pour y répondre : je laisse un homme qui me les apportera à la dînée1, et je laisse ici cette lettre, qui partira le soir, afin qu'autant que je le puis, il n'y ait rien de déréglé dans notre commerce. J'écris aujourd'hui comme Arlequin, qui répond avant que d'avoir reçu la lettre 2.

Je fus hier au Buron, j'en revins le soir ; je pensai pleurer en voyant la dégradation de cette terre : il y avoit les plus vieux bois du monde ; mon fils, dans son dernier voyage, lui a donné1 les derniers coups de cognée. Il a encore voulu vendre un petit bouquet qui faisoit une assez grande beauté ; tout cela est pitoyable :

ce que nous croyons : 1° Anne, fille de Louis II de Wittelsbach (auteur des deux branches de Bavière), qu'avait épousée Henri l'Enfant (mort en i3o8, le premier des landgraves de Hesse); 2° Anne-Elisabeth, fille de l'électeur palatin Frédéric III, qu'avait épousée au seizième siècle Philippe, arrière-grand-oncle de Mme de Tarente et l'un des fils de Philippe le Magnanime, landgrave de Hesse-Cassel. Les deux électeurs palatins, qui s'étaient alliés à des princesses de Hesse, étaient : 1° Louis V, électeur palatin en 1576, qui épousa en i56o Elisabeth, arrière-grand'tante de Mme de Tarente et fille du landgrave Philippe le Magnanime; 2° l'électeur palatin d'alors, Charles-Louis, qui épousa en i65o Charlotte, la propre sœur puînée de Mme de Tarente (le père et la mère de Madame).

LETTRE 814 (revue en très-grande partie sur une ancienne copie).

- 1. « pour y faire réponse : je laisse un homme à cheval pour me les apporter à la dînée. » (Édition de 1754.)

2. Cette phrase ne se trouve que dans l'édition de 1754, et notre manuscrit ne donne pas tout ce premier alinéa.

3. <r Y a fait donner. » (Édition de 1754.)

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il en a rapporté quatre cents pistoles, dont il n'eut pas un sou un mois après. Il est impossible de comprendre ce qu'il fait, ni ce que son voyage de Bretagne lui a coûté*, où il étoit comme un gueux, car il avoit renvoyé ses laquais et son cocher à Paris : il n'avoit que le seul Larmechin dans cette ville, où il fut deux mois. Il trouve l'invention de dépenser sans paroître, de perdre sans jouer, et de payer sans s'acquitter ; toujours une soif et un besoin d'argent, en paix comme en guerre; c'est un abîme de je ne sais pas quoi, car il n'a aucune fantaisie, mais sa main est un creuset qui fond l'argents. Ma bonne, il faut que vous essuyiez tout ceci. Toutes ces dryades affligées que je vis hier, tous ces vieux sylvains qui ne savent plus où se retirer, tous ces anciens corbeaux établis depuis' deux cents ans dans l'horreur de ces bois, ces chouettes qui, dans cette obscurité, annoncoient, par leurs funestes cris, les malheurs de tous les hommes ; tout cela me fit hier des plaintes qui me touchèrent sensiblement le cœur; et que sait-on même si plusieurs de ces vieux chênes n'ont point parlé, comme celui où étoit Clorinde7? Ce lieu étoit un luogo cTincanto1, s'il en fut jamais : j'en revins toute triste ; le soupé que me donna le premier président et sa femme ne fut point capable de me réjouir.

Il faut que je vous conte ce que c'est que ce premier président ; vous croyez que c'est une barbe sale et un

4. Dans le texte de 1737, la phrase finit aux mots lui a coúté; dans celui de 1754, elle continue ainsi : a quoiqu'il eût renvoyé ses laquais et son cocher à Paris, et qu'il n'eut que le seul Larmechin. etc. »

5. « Où l'argent se fond. 1 (Édition de 1'75&,)

fi. Les mots : e tous ces anciens corbeaux établis depuis, 1 ont été sautés dans notre manuscrit.

7. Voyez le chant treizième de la Jérusalem délivrée, du Tasse.

[Note de Perrin.)

8. Ou, comme dit poétiquement le Tasse (chant XIII, stance 20), incantato loco, e lieu d'enchantement, lieu enchanté. a

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vieux fleuve comme votre Ragusse9 ; point du tout : c'est un jeune homme de vingt-sept ans, neveu de M. d'Harouys; un petit de la Bunelaye fort joli, qui a été élevé avec le petit de la Silleraye10, que j'ai vu mille fois, sans.jamais imaginer que ce pût être un magistrat; cependant il l'est devenu11 par son crédit, et moyennant quarante mille francs, il a acheté toute l'expérience nécessaire pour être à la tête d'une compagnie souveraine, qui est la chambre des comptes de Nantes ; il a de plus épousé une fille que je connois fort, que j'ai vue cinq semaines12 tous les jours aux états de Vitré ; de sorte que ce premier président et cette première présidente sont pour moi un petit jeune garçon13 que je ne puis respecter, et une jeune petite demoiselle que je ne puis honorer. Ils sont revenus pour me voir14 de la campagne, où ils étoient; ils ne me quittent point. D'un autre côté, M. de Nointel me vint voir samedi en arrivant de Brest : cette civilité m'obligea d'aller le lendemain chez sa sotte femme16 ; elle me rendit ma visite dès le soir ; et aujour-

9. C'était un membre du parlement d'Aix. (Note de l'édition des Lettres inédites de 1827.) Il a déjà été nommé plus haut, tome III, p. 384. Dans notre manuscrit, il y a Ragouse, au lieu de Ragusse. —

Est-ce lui, l'un des présidents au parlement de Provence, dont en 1663 une note secrète adressée à Colvert parlait ainsi : <r De Grimaud, sieur de Raguze, assez entendu aux affaires ordinaires de la justice ; il est à présent raccommodé avec le premier président (d'Oppède), dont il étoit ennemi juré; il a été homme de toutes sortes de traités et de partis. » (Correspondance administrative sous Louis XITT, tome II, p. 94.)

10. Fils de M. d'Harouïs. (Note de Perrin.)

II. Dans notre manuscrit : c il est devenu. s

12. « Pendant cinq semaines. a (Édition de 1754.)

i3. ï De sorte que le mari et la femme, sont pour moi un jeune petit earcon, etc. » (lbidem.)

14. « Pour moi. » (Ibidem.)

15. « Chez sa femme. » (Éditions de 1737 et de 1754.) Voyez la lettre du 25 mai précédent, p. 414 et 415, et la note 21.

r680

d'hui ils m'ont donné un si magnifique repas en maigre, à cause des Rogations, que le moindre poisson paroissoit la sefiora ballena 16. J'ai été de là dire adieu à mes pauvres sœurs17, que j'aime et que je laisse avec un très-bon livre18. J'ai pris congé de la belle prairie19. Mon Agnès pleure quasi mon départ ; moi, ma bonne, je ne le pleure point, et suis ravie de m'en aller dans mes bois; j'en trouverai au moins20 aux Rochers qui ne sont point abattus. Voilà, ma bonne, toutes les inutilités que je puis vous mander aujourd'hui.

8l5. DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME ET A MONSIEUR DE GRIGNAN.

Aux Rochers, vendredi 318 mai1.

A MADAME DE GRIGNAN.

QUOIQUE cette lettre ne parte que dimanche, je veux la commencer aujourd'hui, afin de dater encore du mois de mai : je crains que celui de juin ne me paroisse pas moins long2 ; je suis assurée au moins de ne pas voir

16. En espagnol « dame haleine. » Notre manuscrit porte la seignora balena. — En 1680, l'Ascension tombait au 3o mai et le lundi des Rogations au 27.

- 17. De Sainte-Marie.

18. Le traité de la Fréquente communion. — Ce membre de phrase n'est pas dans le texte de 1787 ; dans celui de 1754, on lit seulement : a que ie laisse avec un très-bon livre. »

19. La prairie de Mauves, près du cours Saint-Pierre, à Nantes, sur le bord delà Loire. (Note de l'édition de 1818.)

20. « J'espère au moins en trouver. » (Édition de 1754.) LETTRE 815 (revue en partie sur une ancienne copie). — 1. Au lieu de vendredi 3Ie, il y a dans notre manuscrit : ce dernier.

2. « Ne me paroisse encore aussi long. » (Édition de 1754.)

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de si beaux pays. Il y a un mois qu'il pleut tous les jours ; ce sont vos prières qui nous ont attiré cet excès.

Que ne laissez-vous un peu faire à la Providence ? tantôt de la pluie, tantôt de la sécheresse, vous n'êtes jamais contents. J'en demande pardon à Dieu ; mais cela fait souvenir de Jupiter dans Lucien, qui est si fatigué des demandes importunes des mortels, qu'il envoie Mercure pour donner ordre à tout, et pour faire tomber en Égypte dix mille muids de grêle, afin de n'en plus entendre parler3. Je ne vous obligerai plus de répondre sur cette divine Providence, que j'adore, et que je crois qui fait et ordonne tout : je suis assurée que vous n'oseriez traiter de mystère inconcevable cette opinion, avec votre père Descartes4 ; ce seroit de croire que Dieu eût fait le monde sans y régler tout ce qui s'y fait qui seroit une chose inconcevable 5, et les gens qui font de si belles restrictions et contradictions dans leurs livres en parlent bien mieux et plus dignement, quand ils ne sont pas contraints ni étranglés par la politique. Ces coupeurs de bourse sont bien aimables dans la conversation ; je ne vous les nommois point, parce qu'il me sembloit que vous deviniez le principal : les autres, c'est l'abbé du Pile et M. du Bois6, que vous connoissez et qui a bien de l'esprit;

3. a De n'en entendre plus parler. » (Édition de 1754.) — Voici comment Perrot d'Ablancourt a traduit le passage de Y Icaroménippe, de Lucien, auquel Mme de Sévigné fait allusion en substituant l'Égypte à la Cappadoce : m Ensuite il (Jupiter) alla ordonner des vents et des saisons. Il ut tomber dix mille muids de grêle en Cappadoce, pleuvoir en Scythie, neiger en Grèce, tonner en Libye ; et cela exécuté que bien que mal, il s'achemina vers la salle du festin, parce qu'il étoit temps de souper. »

4. « Avec les disciples de votre père Descartes. 1 (Éditions de 1737 et de 1754.)

5. « Ce qui seroit vraiment inconcevable, ce seroit que Dieu eut fait le monde sans régler tout ce qui s'y fait. D (Édition de 1754O

6. Voyez tome V, p. m, note 7, et la lettre du 29 janvier 1690.

1680

le pauvre Nicole est dans les Ardennes, et M. Arnauld sous terre, comme une taupe7. Mais voyez, ma trèschère, quelle folie, et où me voilà ! ce n'est point de tout cela que je vous veux parler : j'admire comme je m'égare.

Je veux8 vous conter comme je reçus votre lettre à la dînée, le jour que je partis de Nantes ; et que n'ayant que cette manière de vous entendre à mille lieues de moi, je me fais de cette lecture une sorte d'occupation que je préfère à tout. Nous avons trouvé les chemins de Nantes à Rennes fort raccommodés, par l'ordre de M. de Cbaulnes ; mais les pluies ont fait comme si deux hivers étoient venus l'un sur l'autre. Nous avons toujours été dans les bourbiers et dans les abîmes d'eau: nous n'avions osé traverser par Château-Briant9, parce qu'on n'en sort point. Nous arrivâmes à Rennes la veille de l'Ascension10; cette bonne Marbeuf vouloit m'avaler, et me loger, et me retenir; je ne voulus ni souper ni coucher chez elle. Le lendemain, elle me donna un grand déjeuner-dîner, où le gouverneur, et tout ce qui étoit dans cette ville, qui est

7. Les écrivains de Port-Royal trouvaient un asile assuré auprès de la duchesse de Longueville. Ils se dispersèrent après la mort de leur protectrice. Arnauld sortit de France pour n'y plus rentrer.

Nicole avait fui de Paris dès 1677, parce qu'on lui attribuait la lettre des évêques au pape : voyez la lettre du 18 juin 1677 (tome V, p. 182). Il resta pendant quelque temps auprès de M. Choart de Buzanval, évêque de Beauvais ; il se retira à Bruxelles, au mois de mai 1679, et il finit par obtenir la permission de revenir à Chartres, sa ville natale. (Note de Pédition de 1818.) — Nicole était dans le Luxembourg, à l'abbaye d'Orval, dans les années 1679-1680. Il revint à Paris en mai i683. Voyez le Port-Royal de M. SainteBeuve, tome IV, p. 368-385.

8. Cette phrase n'est que dans le texte de 1754. Notre manuscrit s'arrête à la fin du premier alinéa. -

9. Chef-lieu d'arrondissement de la Loire-Infeneure, entre Nantes et Vitré, à quinze lieues et demie de Nantes.

io. C'est-à-dire le 29 mai.

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quasi déserte i i, me vint voir. Nous partîmes à dix heures, et tout le monde me disant que j'avois trop de temps, que les chemins étoient comme dans cette chambre, car c'est toujours la comparaison ; ils étoient si bien comme dans cette chambre, que nous n'arrivâmes ici qu'après douze heures du soir 12, toujours dans l'eau, et de Vitré ici, où j'ai été mille fois, nous ne les reconnoissions pas : tous les pavés sont devenus impraticables, les bourbiers sont enfoncés, les haut et bas, plus haut et bas qu'ils n'étoient; enfin, voyant que nous ne voyions plus rien, et qu'il falloit tâter le chemin, nous envoyâmes 13 demander du secours à Pilois ; il vient avec une douzaine de gars ; les uns nous tenoient, les autres nous éclairoient avec plusieurs bouchons de paille, et tous parloient si extrêmement breton, que nous pâmions de rire. Enfin, avec cette illumination, nous arrivâmes ici, nos chevaux rebutés, nos gens tout trempés, mon carrosse rompu, et nous assez fatigués; nous mangeâmes peu; nous avons beaucoup dormi ; et ce matin nous nous sommes trouvés aux Rochers, mais encore tout gauches et mal rangés. J'avois envoyé Rencontre 14 afin de ne pas retrouver ma poussière depuis quatre ans ; nous sommes au moins proprement.

Nous avons été régalés de bien des gens de Vitré, des Récollets, Mlle du Plessis en larmes de sa pauvre mère, et je n'ai senti de joie 18 que lorsque tout s'en est allé à six heures, et que je suis demeurée un peu de temps dans

II. Ce petit membre de phrase est seulement dans l'édition de Ï73 7. - , - ,

12. c Qu après minuit. ) [Edition de 1754-J

i3. « Nous envoyons. » (Ibidem.)

14. Voyez plus haut, p. 118.

i5. Dans l'impression de 1737, on lit seulement : « Nous avons été régalés de bien des gens de Vitré, et je n'ai senti de joie, etc. »

1680

ce bois avec mon ami Pilois. C'est une très-belle chose, ma fille, que ces allées ; il y en a plus de dix que vous ne connoissez point11. Ne craignez pas que je m'expose au serein; je sais trop combien vous en seriez fâchée.

Vous me dites toujours que vous vous portez bien; Montgobert le dit aussi: cependant je trouve que la pensée de vous plonger deux fois le jour dans r eau du Rhône ne peut venir que d'une personne bien échauffée; je vous conseille au moins, ma chère enfant, de consulter un auteur fort grave, pour établir l'opinion probable que le bain soit bon à la poitrine. Je fus témoin du mal visible que vous firent les demi-bains; c'étoit pourtant de l'avis de Fagon. Vous avez eu besoin d'avoir de la force pour soutenir l'excès de monde que vous avez eu : vingt personnes d'extraordinaire à table font mal à l'imagination.

Voilà ce que Corbinelli appeloit des trains qui arrivoient; et qu'il se trouvoit pressé18 dans la galerie, et ne saluoit ni ne connoissoit personne : en vérité, votre hôtellerie est des plus fréquentées"; c'est un beau débris que celui qui se fait dans ces occasions. Vous souvient-il, ma fille, quand nous avions ici tous ces Fouesnels, et que nous attendions avec tant d'impatience l'heureux et précieux moment de leur départ? Quel adieu gai intérieurement nous leur faisions 20 ! quelle crainte qu'ils cédassent aux

16. Le texte de 1737 s'arrête ici pour reprendre à : « Vous avez eu besoin. »

17. Dans notre manuscrit, qui reprend ici, les premiers mots de la phrase manquent, et on lit seulement : « L'excès de monde, etc. »

18. « des trains qui arrivoient; il se trouvoit pressé, etc. D (Éditions de 1737 et de 1754.)

19. ir Est toute des plus fréquentées. » (Ibidem.) — Le membre de phrase qui suit n'est pas dans le texte de 1737.

- 20. a Quel adieu gai nous leur faisions intérieurement! # (Édition de 1754.)

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fausses prières que nous leur faisions de demeurer 21 !

quelle douceur et quelle joie, quand nous en étions délivrés ! et comme nous trouvions qu'une mauvaise compagnie étoit bien meilleure qu'une bonne 22, qui vous laisse affligée quand elle part, au lieu que l'autre vous rafraîchit le sang, et vous fait respirer de joie" ! Vous avez senti ce délicieux état.

Je vous gronderois de m'avoir écrit une si grande lettre de votre écriture, sans que j'ai compris que cela vous étoit encore meilleur 24. que de soutenir la conversation. Celle de M. de Louvois25 avec M. de Vardes a fait du bruit : on me l'a mandée 26 de Paris, et qu'il quitta les Grignans et les Montanègres pour cet exilé. On croit qu'il y a quelque ambassade en campagne, dont ses enfants" sont fort effrayés par la crainte de la dépense. Je vois pourtant que M. de Grignan a été fort bien traité de ce ministre; ce voyage ne pouvoit pas s'éviter : il a encore plus coûté à Montanègre 28. Je trouve bien honnête et bien noble de n'avoir pas paru fâché de son dîner perdu; je ne sais comme on peut donner de ces sortes de mortifications à des gens qui jettent de l'argent, et qui se mettent en pièces pour vous faire honneur2#.

21. a Qu'ils ne cédassent à nos fausses prières de demeurer ! »

(Édition de iy3y.) - - "_h'

22. c Est prelerable a une bonne. s (ibidem.)

23. a Respirer d'aise! » (Érlitions de 1737 et de 1754.) — Voyez la lettre du 28 juin 1671, tome H, p. 258 et suivante.

24. a Encore moins mauvais. » (Editions de 1737 et de 1754.)

25. Sur le voyage que Louvois fit à cette époque dans le Midi, voyez la Correspondance de Bussr , tome V, p. II8 et 187.

26. a On me la mande. » (Éditions de iiii et de 1754.)

27. Dans notre manuscrit, par une erreur du copiste, il y a les enfants, et à la fin de la phrase : de la deffense.

28. M. de Montanègre commandoit en Languedoc, comme M. de Grignan en Provence. (Note de Perrin, 1754.)

.tg. Dans l'impression de 1737 : « pour nous faire honneur. a Le

1 6 a o

Mme de Vins m'écrit avec un soin que j'aime et que j'admire; elle me mande de vos nouvelles; il faut bien parler de vous, quand on vous aime comme nous faisons, chacun au prorata de ses obligations.

Mme de Coulanges me mande que Mme de Maintenon a perdu une canne contre Monsieur le Dauphin; c'est elle30 qui l'a fait faire : la pomme est une grenade d'or et de rubis ; la couronne s'ouvre, on voit le portrait de Madame la Dauphine par Petitot81, et au-dessous, ilpiîi grato nasconde31. Clément l'avoit faite autrefois pour vous88 ; elle paroissoit une exagération de la manière dont vous étiez faite, c'est une vérité pour cette princesse.

Cette belle Fontanges est toujours mal de son mal 34. Mon fils dit qu'on se divertit fort à Fontainebleau. Les comédies

petit alinéa qui suit ne se lit pas ailleurs que dans notre manuscrit.

or 7'" - 77 1 1

oo. Le manuscrit porte celle, sans doute pour elle; le texte de 1754 : « c'est Mme de Coulanges qui la fait faire. » Quant à celui de 1737, il n'a pas ce petit membre de phrase.

3i. Jean Petitot, né à Genève en 1607, mort en 1691. Il est le créateur de la peinture sur émail, et avait fait un des plus jolis portraits de Mme de Sévigné. — Ces mots : t par Petitot, ï ne sont que dans notre manuscrit.

32. <c Ce qu'elle a de plus agréable, elle le cache. » Voyez tome I, p. 496, note 3, et plus loin la lettre du 21 juin 1680.

33. a Clément, conseiller à la cour des aides et intendant du duc de Nemours, avait, dans sa riche bibliothèque, réuni les ouvrages sur les emblèmes et les devises publiés en différentes langues, mais plus particulièrement en italien ; lui-même composait des devises fort ingénieuses, et avait acquis par là une petite célébrité. » (Walckenaer, tome III, p. 81.) — Dans l'édition de 1737 : « Clément avoit fait autrefois cette devise pour vous; elle paroissoit, etc. » Dans celle de 1754 : « Clément avoit fait autrefois cette devise pour vous, ce qui paroissoit une exagération à votre égard est une vérité toute faite pour cette princesse. »

� 34. « Est toujours assez mal. » (Édition de 1754.) Cette petite phrase manque dans l'impression de 1737.

1680

de Corneille charment toute la cour36 Je mande à mon fils que c'est un grand plaisir que d'être obligé d'être là, d'y avoir une place 38, une contenance; que pour moi, si j'en avois eu une, j'aurois fort aimé ce pays-là; que ce n'étoit que par n'en avoir point que je m'en étois éloignée; que cette espèce de mépris étoit un chagrin, que je me vengeois à en médire, comme Montaigne de la jeunesse, et que j'admirois qu'il aimât mieux son aprèsdînée, comme moi 37, entre Mlle du Plessis et Mlle de Launaie, qu'au milieu de tout ce qu'il y a de beau et de bon.

Ce que je dis, ma belle, vraiment je le dis pour vous : ne croyez pas que si M. de Grignan et vous étiez placés comme vous le méritez, vous ne vous accommodassiez pas fort bien de cette vie ; mais la Providence ne veut pas que vous ayez d'autres grandeurs que celles que vous avez. Pour moi, j'ai vu des moments où il ne s'en falloit rien que la fortune ne me mît dans la plus agréable situa-

35. La cour était partie pour Fontainebleau le 13 mai; elle retourna à Saint-Germain le 8 juillet. « Il y aura souvent, dit la Gazette du 18 mai, des chasses et des bals ; et les comédiens de l'hôtel de Bourgogne représenteront deux fois la semaine des tragédies du sieur Corneille l'aîné, et de celles du sieur Racine. » Voyez aussi le Mercure de mai 1680, p. 33o-332; il y est parlé d'illuminations, de pêches à la clarté des flambeaux, de la chasse, de la paume, qui « divertissent tour à tour, » et de a la bonne chère qui règne toujours dans ce charmant lieu. s Dans le Mercure de juin (p. 249), il est dit que les Français représentent la comédie deux fois la semaine, et les Italiens une.

36. « Que c'est un grand plaisir d'être obligé d'y être, d'y avoir (dans 1754 : et d'y avoir) un maître, une place, etc. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

37. « Qu'il aimât mieux passer son après-dînée, comme je fais. »

(Édition de 1754.)

38. Dans-les deux éditions de Perrin : « Ce que je dis pour moi, ma belle, vraiment je le dis pour vous. »

1680

tion du monde; et puis tout d'un coup, c'étoient des pri-

sons et des exils". Trouvez-vous que ma fortune ait été fort heureuse? j'en suis contente40, et si j'ai des mouvements de murmure, ce n'est pas par rapport à moi.

Vous me peignez fort agréablement la conduite des regards de Mme D**; c'est une économie à l'égard de ses amants41, qui seroit digne d'Armide42. Vous vous doutiez bien que M. Rouillé" ne retourneroit pas : j'en suis fâchée, et le serois encore plus si je ne croyois vos séjours de Provence finis. Ainsi vous aurez peu d'affaires avec lui; s'il y avoit quelque chose à démêler dans l'assemblée, Monsieur le Coadjuteur vous en rendroit bon compte, en l'absence de M. de Grignan.

Dimanche ae juin.

Cette hôtellerie, ma fille, est bien différente de la vôtre; sous le prétexte d'écrire 44, je n'ai vu que mes bois. Ce pays est dans une misère incroyable, malgré sa belle réputation. Celle de M. de la Reynie est abominable; ce que vous dites est parfaitement bien dit : sa vie justifie qu'il n'y a point d'empoisonneurs 48 en France. On dit que notre pauvre frère n'est pas du tout si blanc qu'un

3g. Mme de Sévigné entend parler sans doute de l'exil de M. de Bussy, chef de sa maison, et de la prison de M. Foucquet, son intime ami. (Note de Perrin, 1754.)

40. « Je ne laisse pas d'en être contente. » (Édition de 1754.)

4i. « Envers ses amants. » (Ibidem.)

4a. Le texte de 1737 n'a pas ce qui suit jusqu'à la fin de l'alinéa.

Quant à notre manuscrit, il ne donne rien de ce paragraphe.

43. Intendant de Provence. Voyez plus haut, p. 378, note 6.

44. ( Sous prétexte d'écrire. s (Édition de 1754.) Cette phrase, ainsi que la date dimanche, 2 e juin, manquent dans notre manuscrit mais il donne seul la suite, jusqu'à : «-J'ai lu cette Réunion, etc. »

45. Notre manuscrit, par une erreur du copiste, porte : d'emprisonneurs.

1680

cygne, que ces Messieurs qui sont allés à Marseille 41 ont dit beaucoup de choses. M. Boucherat a dit : « Nous ne jugeons que sur des preuves ; mais il ne faut au Roi que des indices. » J'ai lu cette Réunion du Portugal, qui m'a fort plu. Je n'ai pas encore choisi de lecture ; je vous la manderai 47. Il fait une pluie continuelle 48; quand la princesse seroit à Vitré, n'irois-je pas, tant je suis rebutée des mauvais chemins 49. Le nom de son gendre, c'est d'Altenbourg. Je pris plaisir de l'écrire ridiculement50, comme un nom allemand, et vous disant que vous ne connoissiez autre chose ; c'est une mauvaise plaisanterie61.

Il y auroit à parler un an sur l'état inconcevable et surprenant des cœurs de M. de la Trousse et de Mme de Coulanges : j'espère 62 que nous traiterons quelque jour ce chapitre, et plusieurs autres si vous voulez. Adieu, ma belle et très-chère fille : je vous embrasse de toute la tendresse de mon cœur.

A MONSIEUR DE GRIGNAN.

COMMENT n'êtes-vous pas percé à jour, ou brûlé51, mon

46. Sans doute le secrétaire du maréchal de Luxembourg et son commis, condamnés aux galères. Voyez la lettre des 17 et 18 mai précédents, p. 404 et note 33. -

47. Ces mots : c je vous la manderai, » manquent dans 1 impression de 1754.

48. a Il pleut continuellement. D (Editions de 1737 et de 1754.)

49. « Quand la princesse seroit à Vitré, je ne quitterois pas mes Rochers, tant je suis rebutée. Le nom, etc. » (Édition de 1737.) — « je n'irois pas, tant je buis rebutée. Le nom, etc. » (Édition de 1754.) - - - -- -.

5o. Voyez la lettre du 3 mai précédent, p. 373, ou Mme de bevigné fait de ce gendre un comte d'ochtensilbourg.

5i. Notre manuscrit termine ici la lettre.

52. Cette seconde partie de la phrase : « j'espère, etc., » manque dans l'impression de 1737-

53. « Ou consumé. » (Édition de 1754.)

r680

cher Comte, d'avoir été exposé tout l'hiver à la pointe et au feu de ces regards que votre chère épouse me représente si plaisamment? Une personne qui est occupée de cette conduite peut subsister partout ; votre province 54 même est plus propre à exercer ce beau talent que nulle autre ; il y a toujours des passants et des étrangers ; on mourroit fort bien dans celle-ci faute d'aliments. Je me réjouis de la visite que vous avez faite à M. de Louvois ; il y a des choses que la dépense ne peut empêcher de faire.

Montanègre a été plus exposé que vous. Je vous conjure que ma fille ne réponde point U à cette lettre, c'est un monstre d'écriture : je n'ai rien à faire, je me porte bien, et c'est mon unique plaisir de vous parler64.

8L6. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, ce 5e juin.

ENFIN1, ma chère fille, en attendant d'autres consolations, qui sont toutes les plus douces espérances de ma vie, j'ai l'espèce de plaisir, dans notre éternel éloignement, de recevoir vos lettres le neuvième jour, à dix heures du matin. Elles arrivent le samedi à Paris ; on les

54. a Votre Provence. » (Édition de 1737.)

55. « Je vous conjure d'empêcher ma fille de répondre. » (Ibidem).

56. « De lui parler. » (Édition de 1754.) ¿ , 1 LETTRE 816 (revue en partie sur une ancienne copie). — I. Dans le texte de 1737 : CI Enfin, ma chère fille, en attendant d'autres consolations, j'ai l'espèce de plaisir, dans notre extrême éloignement, de recevoir vos lettres le neuvième jour. J'admire souvent l'honnêteté, etc. » Dans celui de 1754 : « Enfin j'ai le plaisir, dans notre extrême éloignement, de recevoir vos lettres le neuvième jour, en attendant d'autres consolations. J'admire souvent l'honnêteté, etc. »

1680

jette à la poste de Bretagne, et je les ai le lundi matin.

J'admire tous les jours l'honnêteté de ces Messieurs dont parlent si plaisamment les Essais de morale, et qui sont si honnêtes et si obligeants 2 : que ne font-ils point pour notre service ? à quels usages ne se rabaissent-ils point pour nous obliger8 ? Après avoir couru deux cents lieues pour porter nos lettres, ils grimpent4 sur les toits de nos maisons, pour empêcher que nous ne soyons incommodés de la pluie; ils font bien pis 5. Enfin c'est un effet de la Providence ; et la cupidité, qui est un mal, est le fonds dont elle tire tant de biens. J'ai apporté ici une grande quantité de livres choisis7*, je les ai rangés tantôt8 ; on ne met pas la main sur un, tel qu'il soit, qu'on n'ait envie de le lire tout entier; toute une tablette de dévotion, et quelle dévotion ! bon Dieu, quel point de vue pour honorer notre religion ! l'autre est toute d'histoires admirables ; l'autre de morale; l'autre de poésie, et de nouvelles, et de mémoires. Les romans sont méprisés, et ont gagné les petites armoires. Quand j'entre dans ce cabinet, je ne comprends pas pourquoi j'en sors : il est digne de vous9, ma fille; la promenade en seroit

2. « Si bons et si obligeants. » (Édition de 1754.) — Voyez au tome II des Essais de morale le dernier chapitre de la première partie du traité de la Grandeur, et le troisième des discours de Pascal sur la Condition des grands, imprimés par Nicole à la suite de son traité (1670). Nous aurions déjà dû renvoyer à ces passages dans notre tome II, p. 277 et 408.

3. « Ne se rabaissent-ils pas pour nous être utiles? » (Édition de 1754.) , -- ,-

4. « Les uns courent deux cents lieues pour porter nos lettres, les autres grimpent, etc. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

5. a Quelques-uns font bien pis. » (Ibidem.)

6. « D'où elle tire. » (Ibidem.)

7. « J'ai apporté ici quantité de livres choisis, a (Ihidem.)

8. « Ce matin. » [Édition de 1754.) -

9. « Il seroit digne de vous. » (Éditions de 1737 et de 1754.) — Le

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digne aussi, mais notre compagnie, en vérité, fort indigne. Mon pot est étrange à écumer les dimanches 10 ; ce qu'il y a de bon, c'est que chacun va souper à six heures, et c'est la belle heure de la promenade, où je cours pour me consoler. Mlle du Plessis , en grand deuil, ne me quitte guère; je dirois bien volontiers de sa mère, comme de ce M. de Bonneuil11, elle a laissé une pauvre fille bien ridicule,. elle est impertinente : aussi je suis honteuse de l'amitié qu'elle a pour moi; je dis quelquefois : et Y auroit-il bien de la sympathie entre nous11 ? » Elle parle toujours, et Dieu me fait la grâce d'être pour elle comme vous êtes pour beaucoup d'autres; je ne l'écoute point du tout. Elle est assez brouillée dans sa famille pour leurs partages u, cela fait un nouvel ornement à son esprit : elle confondoit tantôt tous les mots; et en parlant des mauvais traitements qu'on lui faisoit14, elle disoit : « Ils m'ont traitée comme une barbarie, comme une cruauté. » Vous voulez que je vous parle de mes misères, en voilà peut-être plus qu'il ne

cabinet qui renfermait la bibliothèque de Mme de Sévigné est pratiqué dans la tour dont la fenêtre domine le parc. (Note de l'édition de 1818.)

io. A cause de la compagnie, qui grossissoit ces jours-là, et à laquelle Mme de Sévigné se croyoit obligée de faire les honneurs des Rochers. Elle appeloit cela écumer son pot. (Note de Perrin, 1754.)

II. Dans notre manuscrit, par erreur sans doute : « comme à M. de Bonneuil. D Voyez la fin de la lettre du 26 avril précédent, p. 364, et tome II, p. 433, note 2. — Dans les éditions de Perrin, la fin de la phrase est coupée autrement que dans notre manuscrit : « elle est impertinente aussi : je suis honteuse, etc. »

12. Dans le texte de 1737 : « entre elle et moi. » Dans celui de 1754: « Y auroit-il par hasard quelque sympathie entre elle et moi? a

i3. « Pour les partages. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

14. Ces mots : qu'on lui faisoit, ne sont que dans notre manuscrit, qui, à la ligne suivante, a barbare, au lieu de barbarie, et qui ne donne pas les deux dernières phrases de l'alinéa.

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vous en faut. Toutes mes lettres sont si grandes, que vous devriez, selon votre règle, m'en écrire de petites, et laisser le soin de tout à Montgobert : ma fille, la santé est toujours un solide et véritable bien; on en fait ce qu'on veut.

Mme de Coulanges me mande qu'elle a reçu de vous une lettre charmante et qu'elle a fait ce que vous souhaitez ; elle mande mille bagatelles", que je vous enverrois, si je ne voyois fort bien que c'est une folie. La faveur de son amie16 continue toujours : la Reine l'accuse de toute la séparation qui est entre elle et Madame la Dauphine : le Roi l'a consolée" de cette disgrâce; elle va chez lui tous les jours, et les conversations sont d'une longueur à faire rêver tout le monde. Je ne sais, ma trèschère, comme18 vous pourriez croire que votre présence fût un obstacle à la fortune de vos frères; vous n'êtes guère propre à porter guignon. Vous n'avez point assez bonne opinion de vous ; et pour le coin de votre feu, que vous dites qui empêchoit peut-être" le chevalier de faire sa cour, parce que cela le rendoit paresseux, je vous assure qu'il n'a fait que changer de cheminée, et que la fortune l'est venue chercher dans sa chambre, assez incommodé des chicanes de son rhumatisme. L'abbé de Grignan étoit désolé; il eût jeté sa part aux chiens; et tout d'un coup, par une suite d arrangements trop longs à vous dire, on le nomme, on le choisit, et le voilà dans le plus agréable évêché qu'on puisse souhaiter. Portez-vous toujours bien : cette provision est

15. Les deux éditions de Perrin donnent simplement : « Mme de Coulanges me mande mille bagatelles. »

16. Mme de Maintenon.

- , 1 J. J. 1 7 1 1 1

17. c( La console. » [tentions ae 1707 et ae 1704.)

18. a Comment. » (Édition de 1754.)

ig. Le mot peut-être n'est pas dans l'impression de 1754.

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bonne; que savons-nous? Je regarde l'avenir comme une obscurité dont il peut arriver bien des clartés à quoi l'on ne s'attend pas.

M. de Lavardin se marie19, c'est tout de bon; et on dit que c est Mme de Mouci" qui inspire à Mme de Lavardin tout ce qu'il y a de plus avantageux pour son fils : c'est une âme toute extraordinaire que cette Mouci.

Ce petit Molac épouse la sœur de la duchesse de Fontanges" : le Roi lui donne la valeur de plus de quatre cent mille francs. Mon Dieu! que vous me dites bien" sur la mort de M. de la Rochefoucauld, et de tous les autres : « On serre les files, il n'y paroît plus ! » Il est pourtant vrai que Mme de la Fayette est accablée de tristesse, et n'a point senti, comme elle auroit fait, ce qui est arrivé à son fils1*. Madame la Dauphine n'avoit garde de ne la pas bien traiter : Madame de Savoie lui en a écrit28 comme de sa meilleure amie.

Je suis fort aise que M. de Grignan soit content de ma lettre : j'ai dit assez sincèrement ce que je pense ; il

20. Avec Louise-Anne de Noailles, sœur d'Anne-Jules, duc de Noailles, capitaine des gardes dit corps, qui devint maréchal de France.

(Note de Perrin, 1754.) — Il l'épousa le 12 juin. Voyez la Gazette du 15.

21. Marie de Harlay, sœur d'Achille de Harlay , alors procureur général, et depuis premier président du parlement de Paris. (Note de Perrin.) — Voyez plus haut, p. 25, note 3. -

aa. Voyez tome II, p. 297, la fin de la note 6. Mme de Molac (Catherine-Gasparde de Scorraille Roussille) perdit son mari en 1700, et se remaria en 1709 avec Henri de Chabannes, marquis de Curton, dont elle devint veuve en 1714.

23. « Que vous dites bien. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

24 Voyez la lettre du 6 mai précédent, p. 382.

a5. « Lui en avoit écrit. > (Editions de 1737 et de 1754.) — Madame de Savoie parait avoir eu une correspondance intime avec Mme de la Fayette : voyez les Mémoires de Mademoiselle, tome IV, p. 477* Voyez encore la lettre du 13 décembre précédent, p. IÍ4.

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devroit bien le penser lui-même, et renvoyer 28 toutes les fantaisies ruineuses qui servent chez lui par quartier; il ne faudroit pas qu'elles dormissent, comme cette noblesse de basse Bretagne ; il seroit à souhaiter qu'elles fussent entièrement supprimées" N'est-il point temps qu'il en soit effrayé, et surtout quand il voit les suites, et sur qui cela tombe ? C'est une pensée bien naturelle que d'avoir regretté les extrêmes dépenses de votre voyage et de votre séjour à Aix; je ne l'ai pas moins senti que vous. Ordinairement les séjours en province ne sont pas faits à cette intention.

Adieu, ma chère et très-aimable et très-raisonnable : j'admire vos lettres et je les aime28* cependant je n'en veux point; cela paroît un peu extraordinaire, mais cela est ainsi. Coupez court, faites discourir Montgobert : je m'engage à vous ôter le dessein de m'écrire beaucoup, par la longueur dont je fais mes lettres ; vous les trouverez au-dessus de vos forces, c'est ce que je veux : ainsi ma poitrine sauvera la vôtre. Il me semble que vous avez bien des commerces, quoi que vous disiez; pour moi, je ne fais que répondre, je n'attaque point; mais cela fait quelquefois tant de lettres, que les jours de courrier, quand je retrouve le soir une écritoire 2g, j'ai envie de me cacher sous le lit, comme cette chienne de feu Madame, quand elle voyoit des livres.

26. « J'ai dit mon.sentiment avec assez de sincérité ; il devroit bien renvoyer, etc. D (Édition de 1754.)

27. Ce qui suit, jusqu'à la fin de l'alinéa, ne se trouve que dans notre manuscrit, qui ne donne pas le reste de la lettre.

28. « Adieu, ma très-aimable : j admire et j'aime vos lettres, a (Édition de 1754.)

29. « Mon écritoire. » (Ibidem.)

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8 17 - - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN. ■

Aux Rochers, ge juin, jour de la Pentecôte.

Vous êtes donc pour l'attention aux histoires, comme je suis pour le chapelet1 : vous ne savez de quoi traite Justin. La petite de Biais2 disoit qu'elle avoit vu quelque chose de la conversion de saint Augustin dans la fin de Quinte-Curce; je vous en pourrois fort bien dire autant et vous ne voulez pas que je dise : « Ma fille a trop d'esprit ; » puisque vous n'en êtes pas plus grasse pour être ignorante, je vous prie4 de répéter les vieilles leçons de votre père Descartes. Je voudrois que vous puissiez5 avoir Corbinelli ; il me semble que présentement il vous divertiroit. Pour moi, je trouve les jours d'une longueur excessive, je ne trouve point6 qu'ils finissent; sept, huit, neuf heures du soir n'y font rien. Quand il me vient des Madames, je prends vitement mon ouvrage, je ne les trouve pas dignes de mes bois, je les reconduis; La dame en croupe et le galant en selle s'en vont souper, et moi je vais me promener. Je veus penser à Dieu, je pense à vous; je veux dire mon chape"let, je rêve; je trouve Pilois, je parle de trois ou quatrt

LETTRE 817 (revue presque en entier sur une ancienne copie). —

i. Voyez la lettre du 12 mai précédent, p. 392 et 393.

2. Voyez tome I, p. 381, note 2, et l'apostille de Charles de Se viené à la lettre du 15 décembre 1675, tome IV. D. 280.

3. « Vous en pourriez fort bien dire autant. » (Éditions de 1737 e de 1754.)

4. o: Je vous conseille. » (Ibidem.)

- 1 -1 5. « Que vous pussiez. » (Ibidem.)

6. (t Je ne m'aperçois point. » (Ibidem.)

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allées nouvelles que je veux faire7*, et puis je reviens quand il fait du serein, de peur de vous déplaire.

Je lis des livres de dévotion, parce que je voulois me préparer à recevoir le Saint-Esprit ; ah ! que c'eût été un vrai lieu pour l'attendre que cette solitude ! mais il souffle où il lui plaît8, et c'est lui-même qui prépare les cœurs où il veut habiter; c'est lui qui prie en nous par des gémissements ineffables'. C'est saint Augustin qui m'a dit tout cela10. Je le trouve bien janséniste, et saint Paul aussi; les jésuites ont un fantôme qu'ils appellent Jansénius, à qui ils disent mille injures ; ils ne font pas11 semblant de voir où cela remonte : est-ce que je parle à lui U?

et là-dessus ils font un bruit étrange, et réveillent les disciples cachés de ces deux grands saints.

Plût à Dieu que j'eusse à Vitré mes pauvres filles de Sainte-Marie13 ! je n'aime point ces baragouines 14 d'Aix: pour moi, je mettrois la petite avec sa tante ; elle seroit abbesse, quelque chose 18 ; cette place est toute

7. a Que je vais faire. » (Fditions de 1737 et de 1754.) Le texte de 1737 n'a pas le mot nouvelles.

8. Voyez YEvangile de saint Jean, chapitre III, verset 8.

9. Voyez VEpitre de saint Paul aux Romains, chapitre vin, verset 26.

10. Dans les traités cités au tome V, p. III et note 7. Voyez les

lettres des 21 et 26 juin suivants, p. 476 et 483. — Tout ce qui suit, jusqu'à : « à qui en avez-vous, etc. » (p. 443, ligne 17), a été supprimé dans l'édition de 1737.

11. <r Auquel ils disent mille injures, et ne font pas, etc. » (Édition de 1754.)

12. « A toi. » (Ibidem.) — Allusion à l'anecdote de Soyecourt, racontée dans la note 12 de la p. io3 de ce volume.

i3. Les filles de la Visitation de Sainte-Marie de Nantes.

14. « Vos baragouines. » (Édition de 1754.)

15. Marie d'Adhémar de Monteil, sœur du comte de Grignan, religieuse à Aubenas.

16. « Elle seroit abbesse quelque jour, i (Édition de 1754.)

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propre aux vocations un peu équivoques : on accorde la gloire et les plaisirs. Vous êtes plus à portée de juger de cela que personne L'abbaye pourroit être si petite , le pays si détestable, que vous feriez mal de l'y mettre; mais il me semble à vue de pays 18 qu'elle seroit mille fois mieux là qu'à Aix, où vous n'irez plus 19 : C'est pour Jupiter qu'elle change ; Il est permis de changero.

C'est une enfant entièrement perdue, que vous ne reverrez plus21, puisque M. de Vendôme sera gouverneur : elle se désespérera. On a mille consolations dans une abbaye; on peut aller avec sa tante voir quelquefois la maison paternelle ; on va aux eaux, on est la nièce de Madame ; enfin il me semble que cela vaut mieux. Mais qu'en dit Monsieur l'Archevêque? Son avis vous doit décider.

Le vôtre me paroît bien mauvais sur tout ce que vous dites de vous : à qui en avez-vous, ma bonne , de dire pis que pendre à votre esprit, si beau et si bon 22 ? Y a-t-il23 quelqu'un au monde qui soit plus éclairé et plus

17. a Dèjuger sur cela que personne du monde.» (Éditionde 17540

18. c Mais, si cela n'est pas, il me semble en gros, etc. s (Ihidem.)

19. Mme de Sévigné se flattoit que M. Je duc de Vendôme, qui étoit gouverneur de Provence, y commanderoit à l'avenir, et que M. et Mme de Grignan viendroient s'établir à Paris et à la cour.

(Note de Perrin.),

20. Quand c'est pour Jupiter qu'on change, Il n'est pas honteux de changer, dit Mercure dans l'Isis de Quinault (acte I, scène v). — Ces deux vers ne se lisent que dans notre manuscrit.

2 I. et Et que vous ne verrez plus, » (Édition de 1754.)

22. « A qui en avez-vous donc, ma fille, de dire pis que pendre de votre esprit, si beau et si bon? » (Édition de 1737.) — « A qui en avez-vous de parler si mal de votre esprit, qui est si beau et si bon ? »

(Édition de 1754.)

23. « Y en a-t-il. s (Édition de 1754.)

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pénétré de la raison et de vos devoirs ? Et vous vous moquez de moi : vous savez bien ce que vous êtes audessus des autres; vous avez de la tête, du jugement, du discernement, de l'incertitude à force de lumières, de l'habileté, de l'insinuation, du dessein quand vous voulez, de la prudence, de la conduite, de la fermeté, de la présence d'esprit, de l'éloquence, et le don de vous faire aimer quand il vous plaît, et quelquefois plus et beaucoup plus que vous ne voudriez : le papier ne manque pas, non plus que la matière ; mais pour tout dire en un mot, vous avez du fond pour être tout ce que vous voudrez. Il y a bien des gens à qui l'étoffe manque, qui voient à tout moment le bout de leur esprit ; ma chère enfant, ne vous plaignez pas.

Je voudrois 26 qu'on vous eût apporté bien de l'argent de cette terre où l'on avoit déjà oublié M. de Grignan et repris l'indépendance. Malgré la belle réputation de la Bretagne, tout y est misérable, nos terres rabaissent.

Je reçois une lettre de Mme de Vins : elle me dit de vos nouvelles; vous êtes notre lien 27; elle est abîmée dans ses procès, et ne regrette cette sujétion que parce que cela l'empêche d'être à Pompone, ne regrettant nulle autre chose dans le monde28. Elle est d'une sagesse qui me touche et que j'admire; elle me paroît triste, et

24. « Et plus pénétré que vous de la raison et de ses devoirs? »

(Édition de 1737.) — « Et plus pénétré de la raison et de ses devoirs? (Édition de 1754.)

a5. Ce membre de phrase n'est pas dans l'impression de 1737, qui continue ainsi : a Mais vous savez bien, etc. »

26. Ce petit alinéa n'est que dans le manuscrit.

27. Dans le texte de 1737, sans doute par une faute d impression: « notre bien. »

28. Ce dernier membre de phrase : « ne regrettant, etc., » se trouve seulement dans notre ancienne copie.

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aussi 21 éloignée de desirer les plaisirs qui ne lui con- viennent plus, que persuadée de la Providence qui l'a mise en cet état : elle ne cherche plus de douceur que dans sa famille30. C'est ce qu'il y a de plus solide après avoir bien tourné. Je la plains d'avoir l'affaire de Monrever31 à décider. Je vous envoie un morceau d'une lettre de votre frère ; vous y verrez en quatre mots l'état de son âme : il est à Fontainebleau. On me mande qu'on est8 2 au milieu des plaisirs sans avoir un moment de joie. La faveur de Mme de Maintenon croît toujours, et celle de Mme de Montespan33 diminue à vue d'œil. Cette Fontanges est au plus haut degré.

La pauvre Mme de la Fayette me mande l'état de son âme :

Rien ne peut réparer les biens que j'ai perdus";

29. Le mot aussi, et un peu plus loin le pronom lui, ont été sautés dans notre manuscrit.

3o. Ce membre de phrase : « elle ne cherche, etc., » n'est pas dans le texte de 1737; les deux petites phrases qui suivent ne sont pas ailleurs que dans notre manuscrit.

3i. Le manuscrit porte Monrever : peut-être faudrait-il lire Montrevelp

32. « Qu'on y est. » (Édition de 1754.)

33. « Celle de Quanto. » (Édition de 1737.) — a Celle de Quantova. D (Édition de 1754.)

34. Dans les deux éditions de Perrin, ce passage est disposé dans l'ordre que voici, avec quelques suppressions : « Mme de la Fayette me mande qu'elle est plus touchée qu'elle-même ne le croyoit, étant occupée de sa santé et de ses enfants; mais ces soins. J'aurois fait mon devoir assurément dans cette occasion unique dans la vie. Cette pauvre femme ne peut serrer la file d'une manière à remplir cette place.

Rien ne peut réparer les biens que j'ai perdus; elle me dit ce vers que j'ai pensé mille fois pour elle. Elle a touj ours une très-méchante santé (dans le texte de 1754 : Sa santé est toujours très-mauvaise). »

35. Vers déjà cité au tome II, p. 354, et plus haut, p. 15.

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elle me dit ce vers que j'ai pensé mille fois pour elle; elle est plus touchée qu'elle-même le croyoit, étant occupée de sa tante et de ses enfants; mais ces soins ont fait place à la véritable tristesse de son cœur; elle est seule dans le monde; elle me regrette fort, à ce qu'elle dit.

J'aurois fait mon devoir assurément dans cette occasion unique dans sa vie. Ne l'enviez pas. J'ai retrouvé ici des lettres de ce pauvre homme; elles m'ont touchée. Cette pauvre femme ne peut serrer la fileu d'une manière à remplir cette place. Elle a toujours une très-méchante santé; cela contribue à la tristesse. Ses deux enfants sont hors de Paris, Langlade, moi; tous ses restes d'amis à Fontainebleau" ; Mme de Coulanges s'en va, elle est tombée des nues 8 8.

Mme de Lavardin est dans la noce par-dessus les yeux 39; je lui ferai vos compliments" - un petit mot pourtant seroit bien joli : elle vous aime et vous estime tant ! il ne faut que six lignes. C'est une amie que j'estime beaucoup et qui m'aime naturellement. Elle m'écrit qu'elle est contente, et je vois que non : une belle-fille la dérange; je ne crois pas même qu'elles logent ensemble.

Je suis assurée que son cœur est brisé du personnage héroïque de Mme de Mouci; elle ne se plaindra point,

36. Expression de Mme de Grignan. Voyez la lettre précédente, p. 439. — Dans notre manuscrit, par erreur : serrer la fille. -

37. Dans l'édition de 1754 : « tous ses autres amis à Fontainebleau. »

38. Ce petit membre de phrase : « elle est tombée des nues, » se lit seulement dans notre manuscrit.

3g. Voyez la lettre du 5 juin précédent, p. 439. 1

40. « Je ferai vos compliments à cette dernière, » (Edition de 1737.) — Ce qui suit, jusqu'à : « Elle m'écrit, etc., » ne se trouve que dans notre manuscrit.

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mais pourra41 bien étouffer : je vois leurs cœurs. Mme de Lavardin me parle de Malicorne42, où elle veut venir doucement finir sa carrière 43. Je vois un dessous de cartes funeste; je vois encore l'embarras de son fils44, déchiré d'amitié, de reconnoissance pour sa mère, chagrin de l'incompatibilité de son humeur, empêtré d'une jeune femme, sacrifié sottement à son nom et à sa maison : quand 46 je serois à cette noce, je n'y verrois pas plus clair. En vérité, je prends intérêt48 à tous ces divers personnages; je fais des réflexions sur toutes ces choses dans mes bois. Je vois avec quelque sorte de consolation que personne n'est content dans ce monde : ce que tu vois de l'homme ri1 est pas l'homme, cela se voit partout47.

Si j'avois quelqu'un pour m'aider à philosopher, je pense que je deviendrois une de vos écolières48, mais je ne rêve que comme on faisoit du temps que le cœur étoit à gauche. Après cette fête, je m'en vais prendre quelque livre pour essayer de faire quelque usage49 de ma raison : je ne prendrai pas votre P. Senault 60; où allez-

4r. a Mais elle pourra. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

.& 1 1 ,. 1 42. Voyez tome II, p. 224, note 3.

43. « Venir achever doucement sa carrière. » (Edition de 1754.)

44. « Du fils. » (Ibidem.)

45. Le mot quand n'est pas dans le texte de 1737.

46. Dans notre manuscrit, par erreur sans doute : 0 je perds intérêt; » et deux lignes plus loin : « avec quelle sorte de consolation. »

47. Ce dernier membre de phrase : « cela se voit partout, » ne se lit que dans notre manuscrit.

48. Ce qui suit le mot écolières, jusqu'à : « je m'en vais prendre quelque livre, » n'est pas non plus dans les éditions de Perrin.

- 49- « De faire usage. » (ÉdÚions de 1737 et de 1754.)

5o. Jean-François Senault, né à Anvers en 1699 ou 1604, devint supérieur général de l'Oratoire, et mourut à Paris en 1672. On a de lui un traité de l'Usage des passions, publié en 1641, quelques oraisons funèbres, entre autres celles de Marie de Médicis et de Louis XIII, et divers autres ouvrages.

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vous chercher cet obscur galimatias? Que ne demeurezvous dans les droites simplicités de votre père ? Il me faudra toujours quelques petites histoires 62; car je suis grossière comme votre frère : les choses abstraites vous sont naturelles, et nous sont contraires58. Ma fille, pour être si opposées dans nos lectures, nous n'en sommes pas moins bien ensemble; au contraire, nous sommes une nouveauté l'une pour l'autre 54; et enfin je ne souhaite au monde que de vous revoir et jouir de la douceur qu'on trouve dans une famille aussi aimable que la mienne. M. de Grignan veut bien y tenir sa place et être persuadé qu'il contribue beaucoup à cette joie.

Mlle de Méri a rendu sa maison; je souhaite qu'on en trouve une autre qui lui plaise. Mme de Lassay n'a pas eu peu de chagrin de toute" Si on osoit parler? et je ne puis jamais rien aimer comme vous. Je voudrois desirer aussi sensiblement mon salut que je souhaite vous voir; il me semble que nous serions encore mieux que jamais. Bonjour, ma chère fille : je m'en vais prier Dieu qu'il me donne son Saint-Esprit, car je ne me charge guère de demander en détail66 : Fiat voluntas tua 67, etc.; devroit-on dire autre chose? Quand je fais des reproches au petit marquis68, c'est pour avoir le plaisir de songer que je fais répondre brusquement; je n'ai point l'idée

5i. Descartes.

5a. « Quelque petite histoire. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

53. « Vous sont naturelles, comme elles nous sont étrangères. »

(Édition de 1754.)

54. « L'une à l'autre. » (Ibidem.) — Tout ce qui suit ces mots, jusqu'à : « Bonjour, ma chère fille, » n'est pas ailleurs que dans notre manuscrit.

55. Voyez la lettre du 5 mai précédent, p. 074.

56. Ces mots terminent la lettre dans notre manuscrit.

57. « Fiat voluntas tua, sicut in cœlo et in terra. » (Édition de 1754.)

58. « Au marquis. » (Édition de 1737.)

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que rien le touche plus joliment69 il n'est que trop sage et trop posé : il faut le secouer par des plaintes injustes.

8l8. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, ce mercredi 12e juin.

COMMENT, ma fille? j'ai donc fait un sermon sans y penser? J'en suis aussi étonnée que M. le comte de Soissons, quand on lui découvrit qu'il faisoit de la prose1. Il est vrai que je me sens assez portée à faire honneur à la grâce de Jésus-Christ. Je ne dis point comme la Reine mère dans l'excès de son zèle contre ces misérables jansénistes : « Ah ! fi, fi de la grâce ! » Je dis tout le contraire, et je trouve que j'ai de bons garants. Puisque vous m'avez dit vos visions sur la fortune2 de vos beauxfrtx>es, je vous dirai sincèrement que j'avois peur que l'air ^une maison 8 où l'on parle quelquefois de cette divine gl\ce, ne fît tort à l'abbé de Grignan; Dieu merci, je n'ai point fait de mal, non plus que vous; et si je me tais maintenant, comme je le dois et le veux faire, ce

59. « Que rien le touche plus joliment que cet endroit. » (Édition de 1754.) LETTRE 818 (revue en partie sur une ancienne copie). — 1. Il paraît que Molière emprunta d'Eugène-Maurice de Savoie, comte de Soissons, ce trait de la VIe scène du Ile acte du Bourgeois gentilhomme.

Le comte vivait encore quand la pièce fut représentée en 1670; il ne mourut qu'en 1673. ÍNote de l'édition de 1818,)

1. « Sur le sujet de la fortune. » (Édition de 1754*) — Cette phrase et toute la fin de l'alinéa manquent dans le texte de 1737.

i. a ans doute la maison d'Arnauld de Pompone. — Dans notre manuscrit, par une erreur du copiste : « l'air d'une maison que l'on parle, etc. »

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ne sera plus par la crainte de nuire à personne. Vos jeunes prélats ne sont point du tout soupçonnés de cette hérésie.

Je' viens d ecrire au chevalier ; il m'a parfaitement oubliée ; comme il n'est point Grignan sur la paresse, son oubli tire à conséquence. C'est aujourd'hui, ma fille, que l'on commence votre grand bâtiment; du But fera des merveilles pour presser les ouvriers; il n'a pas été possible de commencer plus tôt; il y aura assez de temps. Je vous envoie un billet de Mme de Lavardin, où vous verrez tout ce qu'elle pense. Je serois tentée de vous envoyer une grande lettre de Mme de Mouci, où elle prend plaisir de me conter5 tout ce qu'elle fait pour cette noce; elle me choisit plutôt qu'une autre, pour me faire part de sa conduite : elle a raison ; ce second tome est digne d'admiration pour ceux qui ont lu le premier. Elle prend plaisir à combler M. de Lavardin de ses générosités, par l'usage qu'elle fait du souverain pouvoir qu'elle a sur s?

mère. Elle fait donner6 mille louis pour des perles; dle a fait donner tous les chenets, les plaques, chanOAiers, tables et guéridons d'argent qu'on peut soubs-Iter; les belles tapisseries, les beaux vieux meubles, tout le beau linge et robes de chambre du marié, qu'elle a choisis.

Son cœur se venge par les bienfaits; car sans elle c'eût été7 une noce de village; elle a fait donner des terres considérables; et pour comble de biens, elle fera qu'ils ne

4. Cette phrase et la suivante ne se trouvent que dans l'édition de 1754. - - -

5. « Qui prend plaisir à me conter. » (Édition de 1737.) —Dans notre manuscrit, il y a quelques lignes sautées, et on lit seulement : « Je serois tentée de vous envoyer une grande lettre de Mme de Mouci, où elle prend plaisir à combler M. de Lavardin, etc. »

6. a Elle a fait donner. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

7. « C'étoit. » (Ibidem.)

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logeront point avec elle 8. Cette mère est mystérieuse 9, et d'une exactitude sur les heures, qui ne convient point à de jeunes gens. Elle m'étale 10 avec plaisir toute sa belle âme, et j'admire par quels tours et par quel arrangement il faut que Mme de Mouci serve au bonheur de M. de Lavardin. L'envie d'être singulière, et d'étonner par des procédés non communs, est, ce me semble, la source de bien des vertus. Elle me mande que si j'étois à Paris, elle seroit contente, parce que je l'entendrois; que personne ne comprend ce qu'elle fait; qu'au reste, je pâmerois de rire, de voir les convulsions de Mme de Lavardin, quand, par la puissance de l'exorcisme, elle fait sortir12 de chez elle le démon de l'avarice : elle en demeure tout abattue, comme ces filles de Loudun"; je comprends que c'est une agréable scène La marquise d'U xelles m'écrit aussi fort agréablement. Ces veuves font des merveilles.

Mme de Coulanges m'assure qu'elle part le 20e pour Lyon; elle me mande mille bagatelles. Cette ville va devoir la source de ce qu'il y aura de plus particulier à la cour, mais pensez-vous qu'elle daigne leur donner18 de cette bonne marchandise?

Il vint l'autre jour ici un augustin indigne, très-indigne, - très-indigne17, et à qui je ne répondis sur ses magnifiques ignorances (car il avoit un ton de pré-

8. « Avec Mme de Lavardin. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

Q. a Impérieuse. » (Ibidem.)

10. a Mme de Mouci m'étale, etc. » (Ibidem.)

II. « Et par quels arrangements il faut au'elle serve. » (Ibidem.}

12. a On fait sortir. » (Édition de 1737.) 1

i3. « Mme de Lavardin. » (Édition de 1754.)

14. Allusion à la possession des religieuses de Loudun.

15. « Une assez TilaisantR sppne » (fiditinns dp TM-IM Pt dP T'7!1/o,)

16. a Qu'elle veuille leur donner: » (Édition de 1754.)

17. « Les mots très-indigne ne sont pas répétés dans les éditions de Perrin.

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dicateur) qu'avec un cotal riso amaro"; et comme il continuoit, je me sentis extrêmement tentée de lui jeter un livre à la tête. Je crois que c'est ainsi que Mme de Coulanges répondra aux dames de Lyon19. Vous aurez le petit Coulanges : il a renoncé à M. de Chaulnes et à la Bretagne, pour Lyon et pour Grignan. Je serois bien de cet avis, ma chère enfant"; un de mes grands desirs seroit de m'y trouver avec vous tous : ah ! què j'aimerois à souper à Rochecourbières, et que la musique de M. de Grignan, et ces beaux endroits de l'opéra qui me font toujours rougir les yeux, et cent fois répétés par vos échos, me feroient un véritable plaisir! c'est, en vérité, une fort jolie partie. Vous êtes une très-bonne et grande compagnie; c'est une ville que le château de Grignan. Il est vrai qu'à voir nos établissements et nos humeurs, il semble que l'on ait fait un quiproquo. Cependant, à notre honneur, vous vous accommodez de votre place souveraine, exposée, brillante : la pauvre femme ! et moi, de ma fortune médiocre, de mon obscurité et de mes bn's.

C'est que je sais bien, en vérité, d'où tout cela vient : d faut lever les yeux, après les avoir tenus longtemps * terre.

L'autre jour on me vint dire : « Madame, t1 fait chaud dans le mail, il n'y a pas un brin de vent; la lune y fait des effets les plus plaisants du monde. » Je ne pus résister à la tentation ; je mets mon infanterie sur pied ; je

18. Un rire si amer. — Est-ce un souvenir de ces vers du Tasse (la Jérusalem délivrée, chant XIX, stance iv) : Sorrise il buon Tancredi un cotai riso Di sdegno, e in detti alteri ebbe risposto?

19. Ce qui suit, jusqu'à : <r Savez-vous l'histoire, etc. » (p. 454), manque dans notre manuscrit. - - - 1

20. Tout ce qui suit ces mots : ma chère enfant (dans le texte ae 1754: ma très-chère), jusqu'à : a Vous êtes une très-bonne, etc., » est donné pour la première fois dans l'édition de 1754.

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mets tous les bonnets, coiffes et casaques qui n'étoient point nécessaires ; je vais dans ce mail, dont l'air est comme celui de ma chambre; je trouve mille coquesigrues", des moines blancs et noirs, plusieurs religieuses grises et blanches, du linge jeté par-ci, par-là, des hommes noirs, d'autres ensevelis tout droits contre des arbres", de petits hommes cachés, qui ne montroient que la tête, des prêtres qui n'osoient approcher. Après avoir ri de toutes ces figures, et nous être persuadés que voilà ce qui s'appelle des esprits, et que notre imagination en est le théâtre, nous nous en revenons 23 sans nous arrêter, et sans avoir senti la moindre humidité. Ma chère enfant, je vous demande pardon, je crus être obligée 24, à l'exemple des anciens, comme nous disoit ce fou que nous trouvâmes dans le jardin de Livry, de donner cette marque de respect à la lune : je vous assure que je m'en porte fort bien.

Il m'est tombé des nues le plus beau chapelet du monde ; c'est assurément parce que je le dis si bien : la balle au bon joueur. Ce chapelet de calambour25 est ac-

21. Dans la première édition de Perrin (1787), l'orthographe est coxigrues. ■— Voici l'article consacré à ce mot dans le Dictionnaire de Furetière : « Coquesigrue, poisson maritime qu'on dit se donner des clystères avec l'eau de la mer, que les anciens appeloient clyster.

Quelques-uns se servent de ce mot pour signifier quelque chose chimérique.

Mon esprit à cheval sur des coquesigrues, dit Saint-Amant. » - L'un des exemples donnés par le Dictionnaire de l'Académie de 1694 : « H nous veut repaître de coquesigrues de mer, D se rattache au premier sens de Furetière.

22. Ce membre de phrase : « d'autres ensevelis, etc., » se lit seulement dans le texte de 1754.

23. « Nous nous en revînmes. » (Édition de 1754.1

24. « Je me crus obligée. » (Ibidem.)

25. Le calambour ou le bois d'aigle (voyez tome II, p. 493, où le mot est écrit calambau) est une espèce de bois d'aloès qui croît au

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compagné d'une croix de diamants fort jolie, et d'une tête de mort de corail : il me semble que j'ai,vu ce chien de visage-là quelque part. Expliquez-moi par quelle raison il est sorti d'où il étoit, et comment il a passé tant de pays pour venir jusques à moi ; en attendant, je ne le dirai pas sans beaucoup rêver ; il attirera encore plus de distractions que les autres : j'attends votre réponse là-dessus.

Savez-vous l'histoire de Mme de Saint-PouangesÎS ?

On me l'a longtemps cachée, de peur que je ne voulusse pas revenir à Paris en carrosse. Cette petite femme s'en va à Fontainebleau; car il faut profiter de tout : elle prétend s'y bien divertir; elle y a une jolie place; elle est jeune, les plaisirs lui conviennent; elle a même la joie de partir à six heures du soir avec bien des relais pour arriver à minuit : c'est le bel air. Voici ce qui l'attend :

Mexique. On fait des chapelets avec les nœuds de cet arbre, autour desquels la résine se rassemble. (Note de l'édition de 1818.) — Ce chapelet était un cadeau de Mme de Grignan à sa mère. Voyez les lettres du 21 juin et du 3 juillet suivants, p. 473, 474 et 504. — Le texte de 1737 n'a pas les mots de t:alambour.

26. Marie, fille de Laurent de Berthemet, maître des comptes, femme de Gilbert Colbert, marquis de Saint-Pouanges, frère puîné du marquis de Villacerf et fils d'une sœur de le Tellier. L'accident que raconte ici Mme de Sévigné était arrivé le 6 juin. Bussy écrit à la marquise de Montjeu, le 8 juin : « Mme de Saint-Pouanges versa hier dans son carrosse, les glaces levées, qui s'étant cassées, il lui en entra une dans le corps, dont elle est en grand danger de mort. Ce malheur est arrivé par l'ivrognerie de son cocher, qui, ne voyant goutte à cause que le flambeau étoit éteint, voulut passer devant un autre carrosse qui étoit à côté de lui, et pour cela alloit à toute bride. » Le 15 juin il écrit au marquis de Trichâteau : « Mme de Saint-Pouanges n'est pas encore morte, mais elle n'est guère mieux.

Son mari s'est signalé par les soins qu'il a pris pour la sauver : il a tiré pour cinq cents pistoles un homme de prison qu'on lui dit être très-habile pour la cure des plaies. Il a fait dire huit cents messes. Il a donné deux cents pistoles aux pauvres pour prier Dieu pour sa femme, et il couche dans sa chambre pour la veiller et pour la faire servir. »

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elle verse en chemin, une glace lui coupe son corps de

jupe, et entre dans son corps si avant, qu'elle s'en meurt.

On me mandoit de Paris qu'elle étoit désespérée, et des chirurgiens, et de mourir si jeune. Voilà une belle aventure; vous la savez, ma bonne; c'est 27 une folie de vous l'avoir mandée; mais c'est que cette histoire me fait28 une grande trace dans le cerveau.

On disoit que Mme de Nevers en faisoit une dans la première tête du monde29, et qu'une autre petite tête en étoit renversée" ; mais je ne trouve point que cela ait eu de suite. Le Roi a communié à la Pentecôte ai. Le crédit de Mme de Fontanges est brillant et solide ; mais que pourroit-on penser sur cette bonne amitié ?

J'ai reçu une lettre de M. de Pompone du milieu de son oisiveté, dont je me trouve plus honorée que quand il étoit à Saint-Germain; c'est là où il est redevenu parfait comme à Fresnes : ah ! qu'il fait un bon usage de sa disgrâce, et qu'il est en bonne compagnie ! Il est vrai que

27. a Si vous la savez, c'est, etc. » (Édition de 1754)

28. a Mais c'est que cela me fait. » (Édition de 1787.) — « Mais c'est qu'elle me fait. » (Édition de 1754.)

29. Mme de Montespan, voyant le Roi près de lui échapper, tâcha de lui inspirer du goût pour Mme de Nevers, sa nièce. « Mais, dit Mme de Caylus, il ne donna pas dans le piège, soit qu'on s'y prît d'une manière trop grossière, capable de le révolter, ou que sa beauté n'eût pas fait sur lui l'effet qu'elle produisoit sur tous ceux qui la regardoient. » (Souvenirs, tome LXVI, p. 4o3.)

3o. Dans l'édition de 1764 : « et qu'une autre tète plus petite.» — C'est encore Mme de Caylus qui sert ici d'interprète à Mme de Sévigné. On voit dans ses Souvenirs que Monsieur le Duc-, devenu prince de Condé, était fort amoureux de Mme de Nevers, et elle raconte que, pour empêcher son mari de l'emmener à Rome, le prince donna à Monsieur le Dauphin une fête magnifique, dont M. de Nevers fit les paroles ; il était sans doute loin de penser que c'était pour lui que la fête se donnait. (Note de l'édition de 1818.) Voyez les Souvenirs, tome LXVI, p. 4o3 et 4o4-

31. Voyez la Gazette du i5 juin, p. 291.

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je me serois assez bien accommodée de mon Agnès 12; du moins je lui aurois décrié son confesseur : il est pourtant moins dangereux que celui de Mme de Tallard as. Je n'aurois pas eu plus de peine à expliquer à cette belle le portrait que vous m'avez fait de vous, que j'en ai eu à y répondre. Ma chère enfant, vous avez du mérite, et de l'esprit, et de la raison pour en faire cinq ou six personnes ; c'est à vous d'employer cette étoffe; il est toujours beau de l'avoir. Je suis trop heureuse que vous soyez convaincue de mon amitié parfaite ; vous lui faites bien de l'honneur d'observer ses allures naturelles; mon cœur n'en sait pas davantage, et il en sait beaucoup; je voudrois aussi34 que vous m'entendissiez parler du vôtre, et de quelle manière je compte sur le fond et sur la solidité de votre tendresse" : que puis-je desirer de plus de la personne du monde que j'aime le mieux? Vos lettres sont lues et relues avec des sentiments dignes de la mienne. Vous m'occupez toute la semaine : le lundi au matin je les reçois, je les lis, j'y fais réponse jusqu'au mercredi ; le jeudi j'attends le vendredi matin; en voilà encore : cela me nourrit de la même sorte jusqu'au dimanche; et ainsi les jours vont en attendant tout ce que ma tendresse me fait espérer, sans savoir précisément comme tout se démêlera.

32. Voyez les lettres des 20 et 25 mai précédents, p. 409-4,1, 4i3 et 414. -

33. Mlle de la Tivolière. Voyez tome IV, p. 385, note 4. — Le reste de la lettre mancrue dans le manuscrit.

34. « Vous faites bien de l'honneur à mon cœur d'observer, comme vous faites, ses allures naturelles; je voudrois aussi, etc. »

(Édition de 1754)

35. « Et que vous sussiez de quelle manière je compte sur le fond et la solidité de votre tendresse. » (Ibidem.) — Le membre de phrase qui suit n'est que dans le texte de 1737, qui n'a pas la fin de l'alinéa à partir de : a Vos lettres, etc. »

1680

x Mlle du Plessis est dans son couvent ; j'aime mieux mes figures nocturnes qu'elle. J'embrasse extrêmement" mon petit marquis ; vous lui faites plus de bien que dix précepteurs.

81g. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, ce samedi 1 5e juin.

JE ne réponds rien à ce que vous dites i de mes lettres; je suis ravie qu'elles vous plaisent ; mais si vous ne me le disiez, je ne les croirois pas supportables. Je n'ai jamais le courage de les lire tout entières2, et je dis quelquefois : « Mon Dieu! que je plains ma fille de lire tout ce fatras de bagatelles ! » Quelquefois même je m'en repens et crois* que cela vous jette trop de pensées, et vous fait peut-être une sorte d'obligation très-mal fondée* de me faire réponse6 : c'est sur cela, ma bonne, que je vous gronde; eh, mon Dieu! laissez-moi vous parler et causer avec vous, cela me divertit ; mais ne me répondez point, il vous en coûte trop cher', ma chère

36. Le mot extrêmement n'est pas dans le texte de 1754.

LETTBE SIg (revue sur une ancienne copie). - 1. « Je ne réponds point à ce que vous me dites. J) (Éditions de 1787 et de 1754.)

a. Mme de Sévigné a écrit : c toutes entières. » C'est la leçon du manuscrit et de l'édition de 1737; celle de 1754 porte : « tout entières. » Voyez tome I, p. 346, note 2.

3. te Quelquefois même je me repens de tant écrire ; je crois, etc. »

(Édition de 1754.) — Le texte de 1737, conforme au nôtre pour le commencement de la phrase, donne aussi je crois, au lieu de et crois.

4. Les mots très-mal fondée ne sont crue dans notre manuscrit.

5. A la suite de ces mots faire réponse, le texte de 1737 donne seulement : cc eh! laissez-moi causer avec vous, » et celui de 1754 « ah ! laissez-moi causer avec vous. »

6. Ce qui suit, depuis : « ma chèle bonne, » jusqu'à : « votre

1680

bonne ; et quand vos lettres sont longues, quoique je les aime chèrement, elles me font une peine incroyable par

rapport à votre santé : la dernière passe les bornes du régime, et du soin que vous devez avoir de vqus. Vous êtes trop bonne de me souhaiter du monde ; il ne m'en faut point : me voilà accoutumée à la solitude : j'ai des ouvriers qui m'amusent; le bien Bon 7 a les siens tout séparés. Le goût qu'il a pour bâtir et pour ajuster va au delà de sa prudence : il est vrai qu'il nous en coûte peu', mais ce seroit encore moins, si l'on se tenoit en repos.

C'est ce bois qui fait mes délices ; il est d'une beauté surprenante ; j'y suis souvent seule avec ma canne et avec Louison : il ne m'en faut pas davantage. Je suis assez souvent dans mon cabinet, en si bonne compagnie9 que je dis en moi-même : « Ce petit endroit seroit digne de ma fille ; elle ne mettroit pas la main sur un livre qu'elle n'en fût çontente. » On ne sait auquel entendre. J'ai pris les Conversations chrétiennes, qui sont" d'un bon cartésien, qui sait par cœur votre Recherche de la vérité11, et qui parle de cette philosophie et du souverain pouvoir que Dieu a sur nous, et que12 nous vivons, et que nous nous

santé, » manque dans les deux éditions de Perrin, qui ensuite, au lieu des mots la dernière, donnent : « votre dernière lettre. »

7. a Le bon abbé. » (Éditions de 1737 et de 1754-1

8. a Qu'il en coûte peu. » (Edition de I754-)

9. « Je suis quelquefois dans mon cabinet en si bonne compagnie. 1 (Édition de 1737.) — « Quand je suis dans mon cabinet, c'est en si bonne compagnie. » (Édition de 1754.)

10. « Elles sont. D (Éditions de 1737 et de 1754.)

II. Malebranclie composa en 1677, à la prière du duc de Chevreuse, un ouvrage intitulé : Conversations chrétiennes, dans lesquelles on justifie la vérité de la religion et de la morale de Jésus-Christ. Le premier volume de la Recherche de la vérité du même auteur avait paru en 1674.

12. « De sorte que nous vivons, nous nous mouvons, nous respirons (dans 1754: et nous respirons) en lui. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

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mouvons et respirons en lui, comme dit saint Paul , et que c'est par lui que nous connoissons tout. Je vous manderai s'il U est à la portée de mon intelligence; s'il n'y est pas, je le quitterai humblement, renonçant à la sotte vanité de contrefaire l'éclairée quand je ne le suis pas.

Je vous assure que je pense comme nos frères ; et si j'imprimois, je dirois : « Je pense comme eux. » Je sais la différence du langage politique à celui des chambres U : enfin Dieu est tout-puissant, et fait tout ce qu'il veut; j'entends cela : il veut notre cœur, nous ne voulons pas lui donner, voilà le mystère". N'allez pas révéler celui de nos filles de Nantes; elles me mandent qu'elles sont charmées de ce livre ta que je leur ai fait prêter. Vous me faites souvenir de cette sottise que je répondis pour ne pas aller chez Mme de Bretonvilliers19, que je n'avois qu'un fils ; cela fit trembler vos prélats. Je pensois qu'il n'y eût en gros que le mauvais air de mon hérésie; je vous en parlois l'autre jour; mais je comprends que cette parole fut étrange.

i3. Dans son discours à l'Aréopage : voyez les Actes des apÕtres, chapitre xvn, verset 28. --

14. « Si ce livre. » (Editions de 1737 et de 1754.) - Immédiatement après, dans le texte de 1737 : a est à portée, b

15. « De faire l'éclairée. » (Édition de 1737.) — Tout ce qui suit cette phrase, jusqu'à l'alinéa qui commence par : cr Je mandois l'autre jour e (p. 461), manque dans cette même édition de 1737.

16. Voyez ci-dessus, p. 413.

17. « Nous ne voulons pas le lui donner, voilà tout le mystère. »

(Édition de 1754.)

18. Le traité de la Fréquente communion. Voyez plus haut, p. 413.

Ig. L'intimité de cette dame, femme de Bénigne le Ragois, seigneur de Bretonvilliers, avec Harlay de Champvallon , archevêque de Paris, était d'une inconvenance qui allait jusqu'au scandale.

Mme de Sévigné disait que, n'ayant qu'un fils, elle n'avait pas besoin de faire sa cour à l'archevêque de Paris, qu'elle n'estimait pas , et les prélats tremblaient que cet excès de franchise ne nuisît à leur fortune. (Note de l'édition de 1818.) — Voyez la lettre du 25 mai précédent, p. 414 et 415, et la note ai.

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Dieu merci, ma chère Comtesse, nous n'avons rien gâté; vos deux frères ne seroient pas mieux jusqu'à présent,

quand nous aurions été molinistes. Les opinions probables, ni la direction d'intention dans l'hôtel de Carnavalet, ne leur auroient pas été plus avantageuses que tout le libertinage de nos conversations. J'en suis ravie, et j'ai souvent pensé avec chagrin20 à toute l'injustice qu'on nous pourroit faire là-dessus.

Vous me demandez des lettres de la F. : tenez, mon ange, en voilà une toute chaude21; jevous conjure que cela ne retourne point. Je ne comprends rien du tout à M. de la Trousse, ni à Mme d'Epinoi22, ni à ce laquais qui a volé; je me ferai instruire, et vous enverrai la lettre.

Vous verrez que cette bonne Lavardin est toute désolée : qui pourroit s'imaginer qu'elle ne fut pas transportée de marier son fils23 ? C'est pour les sots ces sortes de jugements; el mundo por de dentro24 : c'est un livre espagnol,

20. Les mots avec chagrin ne sont que dans notre manuscrit, de même que la phrase suivante : « Vous me demandez, etc. »

ai. Voyez la lettre du 21 juin suivant, p. 473 et 474-

22. Sans doute une sœur du duc de Rohan, Jeanne-Pélagie. Elle avait épousé, le 11 avril 1668, Alexandre-Guillaume de Melun, prince d'Epinoi, alors veuf de Louise-Anne de Béthune. Elle mourut subitement à Versailles le 18 août 1698 ; elle était veuve depuis 1679. « C'étoit, dit Saint-Simon, qui raconte sa mort en détail (tome II, p. 177 et suivantes), une femme d'esprit et de grand sens, bonne et aussi vraie et sûre que sa sœur de Soubise étoit fausse; noble, généreuse, bonne et utile amie, accorte, qui aimoit passionnément ses enfants, et qui, excepté ses amis, ne faisoit guère de choses sans vues. »

23. Voyez la lettre précédente, p. 45o et 45ï.

24. « Le monde par dedans. » C'est le titre d'un opuscule de Quevedo, qui est une petite vision satirique sur les inconséquences et fausses apparences du monde. Il est précédé d'une dédicace au duc d'Ossuna, datée du 26 avril 1612. On cite un manuscrit qui porte ce titre plus long : Discurso del mundo por de dentro y por defuera, 4 Discours du monde par dedans et par dehors. » Cet ouvrage a été sou-

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dont vous auriez fait le titre par vos réflexions, qui m'en ont fait souvenir. C'est une place bien infernale, comme vous dites, que celle de celle qui va quatre pas devant", et pensez-vous qu'une perte de sang à celle qui va quatre pas derrière26 soit bien agréable ? Tenons-nous-en à croire fermement que personne n'est heureux. Ce petit Chiverni 27 me le paroît assez; voyez donc comme il a bien su se tirer de sa misère. Votre pauvre frère est bien propre à n'être jamais heureux en ce monde-ci; pour l'autre, jusqu'ici, selon les apparences, il n'est pas dans le bon chemin28. Monsieur de Châlons29 est dans le ciel ; c'étoit un saint prélat et un honnête homme : nous voyons partir tous nos pauvres amis.

Je mandois l'autre jour à Mme de Vins que je lui don-

vent imprimé en Espagne; il en existe aussi une édition de Rouen, datée de 1624. - Tout ce passage, à partir de : « el mundo, etc., » jusqu'à : « Tenons-nous-en, etc., » ne se trouve que dans notre manuscrit, où les mots espagnols ont été ainsi défigurés : « il m[ u ] ndo perdi d'autres. » Nous devons la restitution de ce titre, qui cadre si bien ici avec la pensée de Mme de Sévigné, à MM. Roulin et Viguier? très-versés l'un et l'autre dans la littérature espagnole : à une ingénieuse conjecture du premier, confirmée, sauf une légère modification, par l'existence du livre de Quevedo, que le second nous a fait connaître.

25. Mme de Montesnan.

26. Mme de Fontanges.

27. Voyez ci-dessus, p. 272, note 21. La Gazette du 15 juin nous apprend que le comte de Chiverni venait d'épouser Mlle de Sommery (Saumeri).

28. a Quant à l'autre, s'il en faut juger selon les apparences, je ne vois point jusqu'à présent qu'il soit dans le bon chemin. » (Édition de 1754.)

29. La Gazette, dans le même numéro que nous venons de citer à la note 27, annonce que Félix Vialard de Herse, évêque et comte de Châlons, pair de France, est mort à Châlons : voyez tome III,

p. 491, note 4. L'évêque de Châlons avait signé au contrat de mariage de Mlle de Sévigné (voyez la Notice, p. 33i) ; il avait contribué à la conversion de Turenne.

1 6 S o

nois à deviner quelle sorte de vertu je mettois ici le plus souvent en usage, que c'étoit la libéralité". Il est vrai que j'ai donné, depuis que je suis arrivée, d'assez grosses sommes Si : un matin, huit cents francs, l'autre mille francs, l'autre cinq; un autre jour trois cents écus: il semble que ce soit pour rire, ce n'est que trop une vérité. Je trouve des métayers et des meuniers qui me

doivent toutes ces sommes, et qui n'ont pas un unique sou pour les payer : que fait-on ? il faut bien leur donner.

Je n'en prétends pas, comme vous voyez, un grand mérite32, puisque c'est par force; mais j'étois toute éprise de cette pensée en lui écrivant38, et je lui dis cette folie.

Je me venge de ces banqueroutes sur les lods et ventes.

Je n'ai pas encore touché ces six mille francs de Nantes : dès qu'il y a quelque affaire à finir, cela ne va pas si vite.

Il me vint voir l'autre jour 34 une belle petite fermière de Bodégat, avec de beaux yeux brillants, une belle taille, une robe de drap d'Hollande découpé sur du tabis36, les manches tailladées : ah, Seigneur! quand je la vis, je me crus bien ruinée ; elle me doit huit mille francs. Tout cela s'accommodera. Vous voulez savoir mes affaires36 ? M. de Grignan auroit été amoureux de

3o. « le plus souvent en pratique, et je lui disois que c'étoit la libéralité. » (Édition de 1754.)

51. <t 11 est vrai que j'ai donné d assez grosses sommes depuis mon arrivée. s (Éditions de 1737 et de 1754.)

32. a Vous croyez bien que je n'en prétends pas un grand mérite. y>' (Édition de 1754.)

33. « Toute prise de cette pensée en écrivant à Mme de Vins. »

(Éditions de 1737 et de 1754.)

34. « Je vis arriver l'autre jour, etc. D (Ibidem.) — A la ligne suivante, notre manuscrit porte Baguedat, au lieu de Bodégat.

35. Sorte de gros taffetas ondé. — Dans les deux éditions de Perrin : « une robe de drap de Hollande. »

36. Cette petite phrase et la précédente ne se trouvent que dans notre manuscrit.

1680

cette femme ; elle est sur le moule de celle qu'il a vue à Paris. Ce matin, il est entré un paysan avec des sacs de tous côtés ; il en avoit sous ses bras, dans ses poches, dans ses chausses; car en ce pays-ci 37 c'est la première chose qu'ils font que de les délier38 ; ceux qui ne le font pas sont habillés d'une étrange façon : la mode de boutonner son justaucorps î9 par en bas n'y est point encore établie; l'économie est grande sur l'étoffe des chansses ; de sorte que depuis le bel air de Vitré jusqu'à mon homme, tout est dans la dernière négligence.

Le bon abbé, qui va droit au fait, crut que nous étions riches à jamais : « Hélas! mon ami 40, vous voilà bien chargé; combien apportez-vous? — Monsieur, dit-il en respirant à peine, je crois qu'il y a bien ici trente francs. » C'étaient41, ma bonne, tous les doubles42 de France, qui se sont réfugiés dans cette province, avec les chapeaux pointus, et qui abusent ici43 de notre patience.

Vous m'avez fait un grand plaisir de me parler de Montgobert : je crois bien44 que ce que je vous mandois étoit inutile46, et que votre bon esprit auroit tout apaisé.

C'est ainsi que vous devez toujours faire, ma bonne, malgré tous ces chagrins passagers : son fond est admi-

37. « Car en ce pays. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

38. « C'est la première chose qu'ils font de les délier. » (Édition de 1737.)

3o. « Le justaUCOrDS. » (Éditions de 1737 et de in&A.)

4o. cr Ah! mon ami. » ( Ibidem.\ .,

4i. « C'étoit. » (Édition de 1737.)

42. On appelait double une petite monnaie de cuivre, valant deux deniers.

43. Les deux éditions de Perrin donnent ainsi, au lieu d'ici.

44. « Je crus bien. » (Editions de .1737 et de 1754.)

45. <r. que ce que je vous mandois sur son sujet étoit inutile. »

(Édition de 1754.)

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rable pour vous 66; le reste est un effet d'un tempérament47 indocile et trop brusque : je fais toujours un grand honneur aux sentiments du cœur ; on est quelquefois obligé de souffrir les circonstances et dépendances de l'amitié , quoiqu'elles ne soient pas agréables 48. Pauline me mande que la Gogo49 l'a mise dans sa chambre par charité; vraiment je la louerai de cette bonne œuvre.

Elle m'en parle elle-même, fort plaisamment, disant, après beaucoup de raisons, que la petite circonstance aussi d'être la fille de la maison l'avoit entièrement déterminée à cette belle action. Je lui enverrai un de ces jours de méchantes causes à soutenir à Rochecourbières 50 : puisqu'elle a ce talent, il faut l'exercer. Vous aurez M. de Coulanges, qui sera un grand acteur; il vous contera ses espérances, je ne les sais pas"; et il craint tant la solitude qu'il ne veut pas même écrire aux gens qui y sont. Grignan est tout propre pour le charmer62 ; il en charmeroit bien d'autres : je n'ai jamais vu U une si bonne compagnie; elle fait l'objet de mes desirs; j'y pense sans cesse dans mes allées, et je relis vos lettres en disant, comme à Livry : « Voyons et revoyons un

46. « malgré tous les chagrins passagers : le fond de Montgobert est admirable pour vous. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

47. « Du tempérament. » (Ibidem.)

48. « Les deux phrases qui suivent se lisent seulement dans notre manuscrit.

4g. C'est Montgobert que Pauline appelait ainsi dans son langage enfantin.

5o. c J'enverrai un de ces jours à Pauline de méchantes causes à soutenir. » (Édition de 1737')- a J'enverrai un de ces jours à Montgobert de méchantes causes à soutenir à Rochecourbières. J (ÉditúJ/l de 1754.)

51. Ces deux petits membres de phrase : « il vous contera ses espérances, je ne les sais pas, a manquent dans notre manuscrit.

Si. cr A le charmer. # (Édition de 1754.)

--- -'.-- -- -- 1 1 .," 53. Dans notre manuscrit, par erreur : « je n'en ai jamais vu. »

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peu ce que ma fille me disoit, il y a huit ou neuf jours ; »

car enfin c'est elle qui me parle ; ainsi je jouis de Cet art ingénieux De peindre la parole, et de parler aux yeux54, etc.

Vous savez bien que ce ne sont pas les bois des Rochers qui me font penser à vous : au milieu de Paris je n'en suis pas moins occupée ; c'est le fond et le centre; tout passe, tout glisse, tout est par-dessus 56, et ne fait que de légères traces à mon cerveau.

Du But me mande que l'on travaille à votre chambre, el que Caret dit qu'elle sera faite dans quinze jours ; il ne tiendra plus qu'à vous de vous rapprocher de moi, qui suis, comme vous voyez, l'amie de l'amie; cela n'est pas trop éloigné. J'ai vu qu'il y avoit quatre degrés; il n'y en a plus que trois ; je vous promets d'avoir quelque bonté et de faire un effort sur mon cœur pour vous placer à ma fantaisie.

54- C'est une partie du quatrain par lequel Brébeuf a traduit ou plutôt paraphrasé les vers 220 et 221 du livre III de la Pharsale de Lucain :

C'est de lui (du Phénicien) que nous vient cet art ingénieux De peindre la parole et de parler aux yeux, Et par les traits divers des figures tracées Donner de la couleur et du corps aux pensées.

— La Pharsale de Brébeuf a paru de 1653 à 1655, en cinq parties, réunies plus tard sous un titre commun portant la date de 1656.

55. « Que ce n'est pas les bois. » (Édition de 1754.)

56. c Par-dessus ou à côté. D (Ibidem.) — Le dernier membre de phrase : « et ne fait, etc., a manque dans le texte de 1754 et termine la lettre dans celui de 1737. — L'alinéa suivant n'est que dans notre manuscrit ; le nom propre par lequel il commence est écrit ainsi : Dubin; ce doit être une faute, pour du But: voyez ci-dessus, le commencement de la lettre du 3 mai, p. 373, et celle du 12 juin, p. 45o. — L'amie dont il est parlé trois lignes plus loin est sans doute Mlle de Méri. -

1680

J'ai oublié mon Agnès67 *, elle est jolie pourtant; son esprit a un petit air de province. Celui de Mme de Tarente est encore dans les grandeurs 58. Les chemins de Vitré

ici sont devenus si impraticables, qu'on les fait raccommoder par ordre du Roi et de M. le duc de Chaulnes; tous les paysans de la baronnie69 y seront lundi.

Adieu, ma très-chère : quand je vous dis que mon amitié vous est inutile, eh, mon Dieu60 ! ne comprenezvous point bien comme je l'entends, et où mon cœur et mon imagination me portent? Pensez-vous que je sois bien contente du peu d'usage que je fais de tant de bonnes intentions ? Vous comprenez bien aisément un sentiment si naturel; vous êtes méchante de vous en fâcher ; pour vous punir, je ne vous aimerai que comme je fais, et je ne croirai point que l'on puisse aimer davantage. Répondez toujours oui à M. de Grignan , quand il demande s'il est bien avec moi. Dites-moi si vous ne mettez point62 la petite d'Aix avec sa tante 64, et si vous ôterez Pauline d'avec vous : c'est un prodige que cette petite ; son esprit est son dot64 voulez-vous lui ôter cela, la rendre une personne toute commune? Je la mènerois

Sy. Voyez les lettres des 20 et 25 mai précédents, p. 4°9~4 II, 4I3 et414*

58. a Dans le grand air. » (Édition de 1754.)

5g. La baronnie de Vitré. « Les baronnies (en Bretagne) sont au nombre de neuf, dont les deux premières, sans contestation, sont celles de Léon et de Vitré, qui appartiennent à MM. les ducs de Rohan et de la Trémouille. » Voyez le mémoire d'un intendant de Bretagne, publié dans la Correspondance administrative sous Louis XIV, tome I, p. 461 et 462, et notre tome II, p. 307, fin de la note 2.

60. Les mots eh, mon Dieu! ne sont que dans notre manuscrit.

61. Ce qui suit, jusqu'à : « Dites-moi, etc., » ne se trouve également que dans notre ancienne copie.

62. « Si vous ne mettrez noint. » (Édition de 1754.)

63. Voyez la lettre du 9 juin précédent, p. 442 et la note i5.

64. Son dot est la leçon du manuscrit. Dot (dost) est du masculin

1680

toujours avec moi, j'en prendrois mon plaisir 86, je me garderois bien de la mettre à Aix avec sa sœur 66 : enfin, comme elle est extraordinaire, je la traiterois extraordinairement87.

Vous ne m'avez point dit ce que vous faites de vos meubles d'Aix. Le bon abbé vous est tout acquis; il approuve que vous ayez fait une antiquité à la moderne, c'est-à-dire toute neuve. Il réglera d'ici votre partage. Il est dimanche 16e juin; j'écris le samedi, mais il faut que la date fasse honneur à la poste.

Mesdemoiselles, vous devriez bien me mener avec vous à Rochecourbières; j'y tiendrois fort bien ma place.

Hélas ! je suis une biche au bois, éloignée de toute politesse ; je ne sais plus s'il y a une musique dans le monde, et si l'on rit : qu'aurois-je à rire? je ne songe et je ne respire que l'honneur de vous revoir. Le bon abbé vous fait ses compliments.

820. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 19e juin.

QUEL temps avez-vous, ma chère enfant? Il me semble que vos parties de Rochecourbières font voir qu'il est fort beau. Pour nous, c'est une pitié, il fait un froid et

dans le Dictionnaire de Nicot. — « Son esprit est sa dot. Voulez-vous la rendre une personne toute commune? D (Édition de 1754.)

65. « J'en ferois mon plaisir. » (Ibidem.) , , .,

66. Marie-Blanche, sœur aînée de Pauline, étoit aux Filles de Sainte-Marie, à Aix, où peu de temps après elle entra en religion.

(Note de Perrin.)

67. La lettre finit ici dans le texte de T754, et toute la suite ne se lit par conséquent que dans notre manuscrit.

1 6 S u

- une pluie contre toute raison. J'ai une robe de chambre ouatée, j'allume du feu tous les soirs, et la Carthage 1 de mes bois est interrompue : cela ne nuit pas à me faire trouver les jours aussi longs que ceux du mois de mai; mais ne me souhaitez personne, je ne voudrois que ce que je ne puis avoir. Cette furie à la Saint-Jean ne peut pas durer longtemps; je reprendrai mes amusements, mes livres et mon écritoire : vos lettres très-aimables me font une occupation que j'aime beaucoup mieux que tout ce que vous pouvez imaginer. J'ai un grand dégoût pour les conversations inutiles qui ne tombent sur rien du tout, des. oui, des voire, des lanternes où l'on ne prend aucune sorte d'intérêt. J'aime mieux ces Conversations chrétiennes 2 dont je vous ai parlé : je suis très-persuadée que vous connoissez ce livre; c'est toute la philosophie de votre père v accommodée au christianisme ; c'est la preuve de l'existence de Dieu, sans le secours de la foi. Je vous ai entendu parler si souvent sur tout cela, et Corbinelli, et la Mousse, que je me ressouviens avec plaisir de tous vos discours ; cela me donne assez de lumières pour entendre ce dialogue : je vous manderai si cette capacité me conduira jusqu'à la fin du livre.

Vous faites un merveilleux usage de vos Métamorphoses,. je les relirai à votre intention : si j'avois de la mémoire, j'aurois appliqué bien naturellement le ravage d'Érisichton' dans les bois consacrés à Gérés, au ravage

Lbtthe 820. — 1. Les plantations qu'elle faisait aux Rochers. Elle fait allusion à une expression de Mme de Grignan (voyez les lettres du 14 et du 17 mai précédents, p. 398 et 4oo). -

2. Voyez la lettre précédente, p. 458, et la note II.

3. Descartes.

4. Voyez les Métamorphoses d'Ovide, livre VIII, fable vu, vers 725 et suivants. La traduction des Métamorphoses par P. du Ryer fut réimprimée en 1680; celle de Benserade (en rondeaux), en 1679; celle de Nie. Renouard, en 1677, etc. — « Fils de Triopas, roi

1680

que mon fils a fait au Buron6, qui est à moi. Je crois qu'il suivra en tout l'exemple de ce malheureux, et qu'enfin il se mangera lui-même. Vous n'êtes point si malhabile que lui ; car encore on voit le sujet de vos mécomptes : vos dépenses excessives, la quantité de domestiques, votre équipage, le grand air de votre maison, dépensant à tout, assez pour vous incommoder, pas assez au gré de M. de Grignan. Il ne faut point avoir de commerce avec les amis de M. de Luxembourg 6 pour voir ce qui cause vos peines. Mais pour mon fils, on croit toujours qu'il n'a pas un sou ; il ne donne rien du tout, jamais un repas, jamais une galanterie, pas un cheval pour suivre le Roi et Monsieur le Dauphin à la chasse, n'osant jouer un louis; et si vous saviez l'argent qui lui passe par les mains, vous en seriez surprise. Je le compare aux cousins de votre pays , qui font beaucoup de mal, sans qu'on les voie ni qu'on les entende. En vérité, ma fille, je n'ai pas donné toute mon incapacité à mes enfants ; je ne suis nullement habile , mais je suis sage et docile : vous feriez mieux que moi, si vous n'étiez dans un tourbillon qui vous emporte, sans que vous puissiez le rete-

de Thessalie, Érisichthon voulut abattre un bois de Cérès : vingt esclaves qui venaient armés pour ce travail s'enfuirent devant la déesse. Erisichthon alors prit lui-même la hache, mais Cérès lui envoya une faim dévorante. Enfin il mourut en se dévorant les mains. »

(Petit Dictionnaire de MYthnlneip enmna,,, - innr TVT. Val. Parisot.)

x —j --,_no n — — 7 r-- — --, - - :--- 5. Voyez la lettre du 27 mai précédent, p. 422. — Les enfants de Mme de Sévigné lui avaient abandonné cette terre pour le montant des reprises matrimoniales qu'elle avait droit d'exercer. (Note de Védition de 1818.)

6. C'est-à-dire les prétendus devins et sorciers que M. de Luxembourg et plusieurs autres personnes du plus haut rang avoient eu la curiosité d'aller consulter avant la déclaration du Roi du 11 janvier 1680, rendue contre les empoisonneurs et les devins, à l'occasion de la Voisin, qui fut brûlée le 22 février 1680, pour crime de poison.

Elle se mêloit aussi de sorcelleries. (Note de. Perrin.)

1680

nir. J'espère donc, comme vous, que peut-être ce même tourbillon vous amènera à Paris : cette espérance me soutient le cœur et l'âme : vous avez des ressources, et si vous vous portez aussi bien que vous dites, je ne vois rien qui puisse traverser votre retour.

821. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSY RABUTIN.

Aux Rochers, ce 1 9e juin1 1680.

J'AI été un mois à Nantes pour des affaires. Je ne suis ici en repos que depuis quinze jours. Je vous demande de Yos nouvelles, mon cher cousin, et de celles de l'aimable veuve. Comment vont ses affaires? On m'a mandé que vous en vouliez recommencer une avec Mme de Montglas : n'admirez-vous point qu'on en puisse avoir sur des tons si différents2? La dernière pourroit bien n'être pas la moins bonne.

LETTRE 821. — I. Voyez ci-dessus, p. 184, note 25. — Bussy, comme nous l'avons dit, s'est évidemment trompé dans celui de ses deux manuscrits où il a daté cette lettre du 10 janvier 1680 et sa réponse du 16, en faisant précéder la première de cette introduction : z Au commencement de l'année 1680, je reçus cette lettre de Mme de Sévigné. » Nous adoptons la date des 19 et 2 5 juin, que nous trouvons dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale, et qui est la seule possible. En effet, sans examiner le texte même des lettres, qui fournirait des raisons décisives, au.mois de janvier 1680 Bussy était à Paris ; Mme de Sévigné y était aussi ; elle ne partit que le 7 mai pour la Bretagne, et s'arrêta en effet près d'un mois à Nantes.

2. Bussy avait réclamé à Mme de Montglas le remboursement d'une somme de neuf mille livres qu'il lui avait prêtée (voyez sa lettre à Mme de Fiesque, en date du 8 juin, et la réponse de celle-ci, dans la Correspondance de Bussy, tome V, p. 123 et suivantes); mais le 18 juin il écrivait à Mme de Fiesque : « Je vous envoie la promesse

1680

Je me plains d'être ici quand vous êtes tous deux à Paris. Nous sommes assez bien concertés quand nous sommes ensemble. Il s'en faut beaucoup que la conversation ne languisse; Corbinelli y tient bien sa place.

Je suis ici dans une fort grande solitude ; et pour n'y être pas accoutumée je m'y accoutume assez bien3.

C'est une consolation que de lire. J'ai ici une petite bibliothèque qui seroit digne de vous ; mais vous seriez bien digne de moi ; et si nous étions voisins, nous ferions un grand commerce de nos esprits et de nos lectures.

J'en reviens toujours à cette Providence qui nous a rangés comme il lui a plu. Il n'étoit pas aisé de comprendre qu'une demoiselle de Bourgogne, élevée à la cour, ne fût pas un peu égarée en Bretagne; mais elle a si bien disposé de la suite, que je l'honore toujours, et que je regarde4 avec respect toute sa conduite. Celle qu'elle a eue pour vous est bien douloureuse : je la sens peut-être plus que je ne devrois; mais enfin il faut se soumettre à ce qui est amer, comme à ce qui est doux.

Voilà les vraies réflexions d'une personne qui passe une partie de sa vie fi seule dans de grands bois, où les pensées ne peuvent être que sombres et solides.

Si je suis assez heureuse pour vous retrouver encore à Paris, vous me consolerez de tous mes ennuis, et vous me donnerez de la joie , et de la lumière à mon

de neuf mille francs de Mme de Montglas, Madame ; quand vous l'aurez montrée à votre amie, jetez-la au feu devant elle et lui dites qu'elle me payera quand il lui plaira, et qu'après les sentiments que j'ai eus pour elle, ie ne lui demanderai jamais autre chose que son amitié. »

3. Dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale : « je m'en accommode assez bien. »

4. « Que je l'honore toujours, et regarde, etc. » (Manuscrit de la Bibliothèque impériale.)

5. « Une partie de ses jours. » (Ibidem.)

6. a Et me donnerez. » (Ibidem.)

1680

esprit. Je vous embrasse, le père et la fille, tous deux très-aimables.

822. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, vendredi 21e juin.

LE mauvais temps continue, ma chère fille ; il n'y a d'intervalle que pour nous faire mouiller. On se hasarde sous l'espérance de la Saint-Jean, on prend le moment d'entre deux nuages pour être le repentir du temps i, qui enfin veut changer de conduite, et l'on se trouve noyés. Cela nous est arrivé deux ou trois fois; et pour être un peu mieux garantis que par des casaques et des chapeaux, nous allons faire planter au bout de la grande allée, du côté du mail, une petite espèce de vernillonneterie 2, et une autre au bout de Vinfinie 3, où l'on pourra se mettre à couvert de tout, et causer, et lire, et jouer : en sorte que 4 ces deux petits parasols ou parapluies seront un agrément et une commodité, et ne nous

LETTRE 822. — I. a Pour le repentir du temps. » (Edition de 1754.)

2. Dans l'édition de 1737 : « une petite espèce de tente. » — Allusion au Vernillon de Fresnes. C'était, selon M. Dubois (Recherches nouvelles sur Mme de Sévigné, Paris, Techener, 1838, p. 46), un pavillon rustique bâti au bout du parc, près d'un ruisseau qu'on appelait la Vernette. Voyez la fin de la lettre du 31 juillet suivant; voyez aussi la lettre de du Plessis Guénégaud à Pompone, datée du Vernillon, 12 mars 1666, et la réponse de Pompone, publiées dans les Mémoires de Coulanges, p. 3q6-4o2.

3. Une des principales aîlées- du parc des Rochers.

4. Les mots en sorte que manquent dans le texte de 1754. Celui de 1737 n'a pas le dernier membre de phrase : a et ne nous coûteront presque rien ; » et termine l'alinéa après : « Voilà les grandes nouvelles de nos bois, » pour reprendre à : « Je rétracte. »

1 fi 8 o

coûteront presque rien. Voilà les grandes nouvelles de nos bois; je serois tentée de les faire mettre dans le Mercure galant. Vous m'en parlez vraiment d'une façon trop plaisante; je vous remercie de l'endroit que vous m'avez envoyé : si je croyois y retrouver encore la belle Mlle de Sévigné , et la fête sur les galères que M. de Vivonne n'a point donnée à Mme la comtesse de Grignans, je ferois la dépense de l'acheter; mais craignant aussi de n'y pas voir des relations de vos fêtes nocturnes de Rochecourbières, je me contenterai de l'emprunter à Vitré. Je ne sais comment vous pouvez dire que la devise6 ne fùt pas aussi juste pour vous que pour Madame la Dauphine : j'entre dans votre pensée ; il faut quelqu'un qui ait bien du fond d'esprit : je ne veux pas vous louer ; mais c'est précisément pour vous, et c'est une jolie chose de dire qu'il y ait plus de charmes au dedans qu'au dehors; ne soyez donc point ingrate au bon Clément; jamais rien ne sera si joli.

Je rétracte ce que j'avois dit en courant et sans y penser ; vous me faites voir que j'ai eu tort de badiner sur M. d'Oldenbourg 7; ne sommes-nous pas, comme vous dites, accoutumés à des noms aussi allemands8 ? celui-là pourtant ne pouvoit être de vos amis, étant toujours en Suède; mais pour le nom, il n'étoit point barbare : ce fut ma plume qui voul ut faire cette méchante plaisanterie.

Mais en voici bien une autre : mes femmes de chambre,

5. Voyez ci-dessus, p. 320. note 7.

6. Il più grato nasconde. Voyez la lettre du 31 mai précédent, p. 43i.

7. Voyez les lettres du 3 mai et du 31 juin précédents, p. 375 et p. 334. — Dans l'édition de 1754 : « que j'ai tort d'avoir voulu badiner sur ce comte d'Oldenbourg. »

8. Ce qui suit, jusqu'à la fin de l'alinéa, n'est pas dans le texte de 1737, qui continue ainsi : « Au reste, ma fille, je veux vous apprendre que mes femmes de chambre, etc. »

1680

me voyant occupée de ce beau chapelet9, ont trouvé plaisant de m'écrire la lettre que je vous ai envoyéeiO, et qui a si parfaitement réussi, qu'elles en ont été effrayées, comme nous le fumes une fois à Fresnes, pour une fausseté que cette bonne Scudéry avoit prise trop âprement : vous en souvient-il? Elles me virent donc vous envoyer cette lettre, partagées entre pâmer de rire et mourir de peur 11. « Comment, disoit Hélène, se moquer de sa maîtresse ! - Mais, disoit Marie, c'est pour rire, cela réjouira Madame la Comtesse. » Enfin elles ont tant tortillé autour de moi, qu'ayant tâté et trouvé le terrain favorable, elles m'ont avoué12 qu'elles avoient fait écrire cette lettre par Demonville ; elles m'ont dit qu'elle étoit encore toute mouillée, que je devois bien la reconnoître 18 pour une friponnerie, plutôt que de vous l'envoyer, que depuis trois nuits elles ne dormoient pas, et qu'enfin elles me demandoient pardon. Voyez si vous ne reconnoissez14 pas votre mère à ces sottes simplicités, qui vous ont tant divertie à Livry, et que je souhaite qui vous divertissent encore16. Vous n'avez donc plus qu'à me mander pourquoi vous m'avez envoyé ce beau chapelet que je méconnoissois 16 ; et moi je vous en remercierai aussitôt. Si je voulois, je citerois M. de la Roche-

9. Voyez la lettre du 12 juin précédent, p. 453 et 454.

10. Sans doute la lettre de la F. dont il a été question au i5 juin précédent, p. 460.

II. « Partagées entre l'envie de rire et la peur de me fâcher. »

(Édition de 1754.) L

12. a Que m'ayant trouvée dans un bon moment, elles ont tâté et trouvé le terrain favorable, et m'ont avoué. » (Ibidem.)

i3. « par Demonville; et elles m'ont dit que je devois bien la reconnoître. » (Ibidem.)

14. « Si vous ne retrouvez pas. » (Ibidem.)

15. « Qui vous réjouissent encore. » (Ibidem.)

16. « Que j'ai méconnu. » (Ibidem.)

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foucauld, qui étoit aussi aisé à tromper que moi ; mais il avoit. tant d'autres sortes de mérites, que je n'en puis pas faire une consolation , ni une comparaison.

Avez-vous lu 17 la Gazette de Flandre P voici qui va vous dégoûter de la sagesse humaine, puisque même après la mort on n'est point exempt des injustices de la fortune. « M. de la Rochefoucauld, dit cette gazette, a laissé un écrit où il dit que Gourville l'a toujours utilement et fidèlement servi, et qu'il se repent bien de n'avoir point laissé à sa prudence le soin de négocier le mariage de son petit-fils avec Mlle de Louvois, parce qu'il y a été trompé. » Je ne pense pas qu'il y ait une plus ridicule chose ; de quelque lieu qu'elle vienne, elle est bien diabolique.

On me mande que les conversations de Sa Majesté avec Mme de Maintenon ne font que croître et embellir, qu'elles durent depuis six heures jusqu'à dix, que la bru y va quelquefois faire une visite assez courte; qu'on les trouve chacun dans une grande chaise, et qu'après la visite finie, on reprend le fil du discours. Mon amie48 me mande qu'on n'aborde plus la dame sans crainte et sans respect, et que les ministres lui rendent la cour que les autres leur font.

Mme de la Sablière est dans ses Incurables, fort bien guérie d'un mal 19 que l'on croit incurable pendant quel-

17. Cet alinéa et le suivant ont été donnés pour la première fois par Perrin dans sa seconde édition (1754).

18. Mme de Coulanges.

19. Une très-grande passion pour M. de la Fare. (Note de Perrin.) — On lit dans les Mémoires de Dangeau, à la date du g janvier 1693 : a Mme de la Sablière mourut hier à Paris; c'étoit une femme qui avoit une grande réputation pour son esprit, et qui depuis longtemps étoit retirée aux Incurables (aujourtf hui les Incurables-femmes, rue de Sèvres), où elle menoit une vie fort austère et fort exemplaire. »

Voyez la lettre du 14 juillet suivant, p. 527 et 528.

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que temps, et dont la guérison réjouit plus que nulle autre. Elle est dans ce bienheureux état; elle est dévote

et vraiment dévote ; elle fait un bon usage de son libre arbitre; mais n'est-ce pas Dieu qui le lui fait faire20?

n'est-ce pas Dieu qui la fait vouloir ? n'est-ce pas Dieu qui l'a délivrée de l'empire du démon? n'est-ce pas Dieu qui a tourné son cœur? n'est-ce pas Dieu qui la fait marcher et qui la soutient ? n'est-ce pas Dieu qui lui donne la vue et le desir d'être à lui 21 ? c'est cela qui est couronné ; c'est Dieu qui couronne ses dons. Si c'est là ce que vous appelez le libre arbitre, ah ! je le veux bien. Nous reprendrons saint Augustin : je reviens à mon amie 2S.

Elle mène Mme de la Fayette chez cette aimable dévote; peut-être que c'est le chemin qui fera sentir à Mme de la Fayette que sa douleur n'est pas incurable.

Elle m'a paru jusqu'ici fort insensible à toutes les autres choses, et même à son fils; mais que sait-on ce qui nous attend? c'est ce que je me dis sur le sujet du mien.

Comment voulez-vous que je le marie ? le voilà attaché à sa grosse cousine de V. 21. Il m'en parle très-plaisamment ; c'est bien par là qu'on marche à la fortune. Voyez ce petit menin de Chiverni : avec sa petite mine chafouine , et son esprit droit et froid, il a trouvé le moyen de se faire aimer de Mme Colbert; il épouse sa nièce : soyez persuadée que vous lui verrez" bientôt toutes ses

20. L'édition de 1754 n'a pas ce membre de phrase, et déplace, en les mettant ici, les mots : a n'est-ce pas Dieu qui a tourné son cœur? »

21. « qui lui donne le désir d'être à lui. » (Edition de 1737.)

32. Cette phrase et tout l'alinéa suivant manquent dans l'édition de 1737, qui établit ainsi la transition : « Revenons à saint Augustin, sur lequel je n'ai rien à vous répondre, sinon, etc. »

23. Voyez plus bas, p. 548, note i5; et la Notice, p. 215 et 216.

24. Outre l'édition de 1754 que nous citons d'ordinaire, il y en a une autre, de la même année, imprimée en plus petits caractères ; c'est elle qui donne ici verrez; l'autre porte reverrez.

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belles terres dégagées, toutes ses dettes payées, et que le voilà hors de l'hôpital, où il étoit assurément. Mais on ne se refond point ; tout cela va comme il plaît à la Providence Je vois si trouble dans la destinée de votre frère, que je n'en puis parler. Je ne vois point les petitsenfants qui me viendront de ce côté ; je vois les vôtres tout jolis, tout venus, et je crois que votre santé est meilleure : voilà ce qui me charme; mais je vous conjure, ma très-chère et très-bonne, de ne point abuser de ce mieux, et de craindre de retomber dans vos maux.

Je n'ai rien à vous répondre sur ce que dit saint Augustin, sinon que je l'écoute et je l'entends, quand il me dit et me répète cinq cents fois dans un même livre 25 que tout dépend donc, comme dit l'Apôtre, « non de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde à qui il lui plaît"; que ce n'est point en considération d'aucun mérite que Dieu donne sa grâce aux hommes, mais selon son bon plaisir, afin que l'homme ne se glorifie point, puisqu'il n'a rien qu'il n'ait reçu 27. «

Et tout un livre sur ce ton, plein des passages de la sainte Ecriture, de saint Paul, des oraisons de l'Eglise : il appelle notre libre arbitre une délivrance et une facilité d'aimer Dieu, parce que nous ne sommes plus sous l'empire du démon, et que nous sommes élus de toute éternité, selon les décrets du Père Éternel avant tous les siècles. Quand je lis tout ce livre 28, et que je trouve tout

a5. Voyez la lettre du 26 iuin suivant, p. 487.

26. Épitre de saint Paul aux Romains, chapitre ix, verset 16; aux Épkésiens, chapitre 1, versets 5 et 6.

27. Première Epitre aux Corinthiens, chapitre i, verset 31, et chapitre iv, verset 7.

28. Dans sa première édition (1737), Perrin a ainsi abrégé cette phrase : « Quand on me parle ensuite du libre arbitre, je suis toute disposée, etc. »

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d'un coup : Comment Dieu jugeroit-il les hommes, si les hommes n'avoient point de libre arbitre? en vérité, je n'entends point cet endroit, et je suis toute disposée à en faire un mystère "; mais comme ce libre arbitre ne peut pas mettre notre salut en notre pouvoir, et qu'il faut toujours dépendre de Dieu, je ne cherche pas à être éclaircie davantage sur ce point, et je veux me tenir, si je puis", dans l'humilité et dans la dépendance. Si vous avez le livre de la Prédestination des saints, lisez-le, ma fille, vous en verrez beaucoup plus que je ne vous en dis.

Nous avons ici une petite huguenote qui dit que les enfants morts sans baptême vont droit en paradis sur la foi de leurs pères. Ah ! Mademoiselle, vous vous moquez de moi : comment voulez-vous qu'un enfant d'Adam S1, qu'une partie de cette masse corrompue, voie et connoisse Dieu ? Il ne faut donc point de rédempteur, si l'on peut aller au ciel sans lui : voilà, 'Mademoiselle, une grande hérésie. J'étonnai un peu ma petite huguenote ; je lui abandonnai les abus et les superstitions 12, je ne la poussai point sur le Saint-Sacrement, je me contentai d'assurer que je mourrois volontiers pour la réalité de Jésus-Christ. Je lui demandai pourquoi elle ne vouloit point invoquer les saints, puisque parmi les huguenots ils se recommandent aux prières les uns des autres? Enfin, je me réveillai beaucoup par cette dispute : sans cela j'étois morte ; car cette fille étoit venue avec une Mme de la Hamélinière, dont le mari est votre parent.

29. a A croire que c'est un mystère. a (Édition de 1754.)

3o. « Je n'ai pas besoin d'être éclaircie sur ce passage, et je me tiendrai, si je puis, etc. » (Ibidem.)

31. « Comment ! vous voulez qu'un enfant d'Adam. » (Ihidem)

32. Dans le texte de 1737 : a je lui abandonnai certains abus qu'on nous reproche. Il

1 (3 8 o

Cette femme est une espèce de beauté que vous avez vue une fois à Paris; elle a un amant à bride abattue; elle est deux ou trdis mois chez lui ; elle s'en va à Paris, à Bourbon, familièrement avec lui ; elle va partout avec son équipage 31; elle est présentement ici, avec six beaux chevaux gris, qui sont à Monsieur le Marquis; c'est aussi le cocher de Monsieur le Marquis et son carrosse34 : elle en parle sans fin et sans cesse. Elle n'est pas souvent chez son mari, dont les terres sont en décret"; car votre cousin s'est ruiné, comme un sot, dans son château.

Cette femme n'a point d'affaires; elle ne cherche 86 qu'à faire des visites; elle vient de vingt lieues loin, et tombe ici, comme une bombe, à l'heure que j'y pense le moins.

D'abord me voilà à me cacher dans ces bois , comme vous savez, pour différer mon martyre; enfin il faut revenir; je trouve17 cette grande et belle femme, que je ne connois quasi point, avec une troupe à peu près comme celle de Mme de Chevigny 38 à Fresnes, une petite fille, une demoiselle toute bouclée (c'est la hu guenote), une autre guimbarde. Je me mets d'abord dans les belles humeurs39 de dire, malgré moi, des rudesses, une

33. oc Familièrement avec lui, et partout avec son équipage. » (Édi.

tion de 1754.)

34. « C'est aussi le cocher et le carrosse de Monsieur le Marquis. »

(Ihidem.) — Voyez la lettre du 26 juin, p. 486, note 7.

35. Une terre est en décret, lorsqu'on en poursuit l'adjudication.

Voyez le Dictionnaire de Furetière, au mot Décret.

36. 0:: Cette femme, qui n'a point d'affaires, ne cherche, etc. »

(Édition de 1754.)

37. <t Il fallut. je trouvai. » (Ibidem.)

38. a Qui ressembloit à celle de Mme de Chevigny. ï (Ibidem.) Paule de la Rivière, fille unique d'Humbert, baron de la Rivière, et de Claude de Pradine. Elle avait épousé, le 31 janvier l665, François de Choiseul, comte de Chevigny, qui vivait encore, avec elle, au mois de mars 1691, et dont elle eut huit enfants.

39. « Me voilà d'abord dans ces belles humeurs. d (Édition de 1754.)

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chaise qu'on va rompre, une cérémonie de guinguois : « Ne voudriez-vous pas, Madame, que je passasse devant vous? » On soupe enfin-, et pour interrompre la continuité ridicule de mes bâillements, je m'amuse à disputer contre cette fille, et cela me réveille 40. Il y a trois jours que cette femme est plantée ici ; je commence à m'y accoutumer ; car comme elle n'est pas assez habile pour être charmée de la liberté que je prends de faire tout ce qu'il me plaît, de la quitter, d'aller voir mes ouvriers, d'écrire, j'espère qu'elle s'en trouvera offensée 4t; ainsi je me ménage les délices d'un adieu charmant, qu'il est impossible d'avoir quand on a une bonne compagnie : voilà le train qui m'est venu, et qui s'en ira quand il plaira à Dieu ; je vous assure au moins que je ne le retiendrai pas. Je vous conjure, ma très-chère, de ne point répondre à tout ceci : je me divertis à causer, et c'est tout ce que je veux.

Mlle du Plessis est à son couvent; vous ai-je dit comme elle a joué l'affligée, et comme elle voloit la cassette, pendant que sa mère expiroit ? Vous ririez42 de voir comme tous les vices et toutes les vertus sont jetés pêlemêle dans le fond de ces provinces ; car je trouve des âmes de pa ysans plus droites que des lignes, aimant la vertu, comme naturellement les chevaux trottent. La main qui jette tout cela dans son univers, sait fort bien ce qu'elle fait, et tire sa gloire de tout, et tout est bien.

M. de la Garde vous en dira sur ce ton plus que moi 41 ;

40. s Je m'amusai. et cela me réveilla. » (Édition de 1754.)

41. « Mais j'espère que n'étant pas assez habile. elle s'en trouvera offensée. » (Ibidem.)

42. « est à son couvent : si vous saviez comme elle a joué l'affligée. vous ririez, etc. » (Ibidem.)

43. Après ces mots : plus que moi, 1 éditton de 1737 n'a plus que la petite plirase : a Adieu, ma chère enfant, » qui manque à celle de 1754.

1 G 8 o

il est trop plaisait ; il m'a écrit une grandè lettre d'ami- ■ tié : il me dit qu'il s'en va vous voir ; je ne crois pas qu'il ait fini son affaire : si vous me demandiez ce que c'est, j'en serois bien empêchée. Adieu, ma chère enfant.

823. - DU COMTE DE BUSSY RABUTIJf A MADAME DE SÉVIGNÉ.

Le lendemain du jour que je reçus cette lettre (no 831, p. 470), j'y fis cette réponse.

A Paris, ce 2.5e juin1 1680.

IL est plaisant que vendredi dernier je me sois plaint2 à notre ami Corbinelli que vous ne m'ayez pas encore écrit, Madame, depuis que vous êtes en Bretagne, et que le lendemain j'aie reçu votre lettre du 19e de ce mois.

Quand vous auriez été à Paris, mes reproches ne vous auroient pas fait aller plus vite.

La veuve heureuse ne l'a pas été à son ordinaire dans son affaire d'Auvergne 8 : elle partira d'ici le 10e juillet sans en avoir le jugement. Voyant les difficultés des audiences, elle a fait appointer son affaire, et l'on lui va donner un rapporteur au premier jour. Il y a bien des gens qui disent qu'elle est plus heureuse que si elle avoit

Lettre 8a3. — 1. Voyez plus haut la lettre à Bussy, du 19 juin, p. 470, note 1.

2. cr Que je me sois plaint vendredi dernier. » (Manuscrit de la Bibliothèque impériale.) — L'autre manuscrit, à la fin de cette phrase, donne : « 10e janvier, » au lieu de : « 19e de ce iûois; » et l'alinéa suivant y est réduit à cette phrase : « La veuve heureuse poursuit vivement l'appel de son beau-père. )

3. Voyez la lettre du 2 août 1679, tome V, p. 553-555. Le comte de Dalet avait interjeté appel.

16 8 «

-été jugée; car cela lui donne lieu de revenir à Paris cet hiver. Cependant, comme elle n'a pas besoin de prétextes pour ce voyage, elle eût bien voulu être hors d'intrigues.

J'ai fait toute la peur à Mme de Montglas, et lorsqu'elle attendoit la honte de paroître en public manquer de bonne foi, je lui viens de faire dire par la comtesse de Fiesque, qu'après les sentiments que j'avois eus pour elle, je ne lui voulois jamais faire de mal. Je ne sais comment elle recevra cela, mais je sais bien pourquoi je l'ai fait4.

Chiverni a épousé la petite Saumery 6, à qui son père a donné cent mille francs, et le Roi soixante mille écus pour récompenser feu Montglas des avances qu'il avoit faites quand il étoit maître de la gard'e-robe. Mon ami Saint-Aignan 8 avoit des intentions pour la petite Saumery ; il est bien fâché que Chiverni lui ait été préféré.

Sa consolation est, dit-il, qu'il le fera cocu, et sur cela, je l'assure que son rival ne sera pas le premier cocu de sa race.

Vous avez raison, ma chère cousine , de dire qu'il faut

4. Voyez plus haut, p. 470, note 2.

5. Voyez ci-dessus, p. 272, note 21, et p. 461, note 27.

6. Le duc de Saint-Aignan avait perdu sa femme (Antoinette Servien) le 22 janvier 1680. Le duc, quoiqu'il eût soixante-treize ans, n'avait pas renoncé au mariage. Bussy écrivait, le 17 février 1680, à la Rivière : « La duchesse de Saint-Aignan est morte. On remarie déjà mon ami à la princesse Marianne, à la comtesse de Guiche, à Mme de Maintenon, à Mlle de Vaillac, et moi, je le marie à une demoiselle (Bussy avait d'abord écrit : a à une petite femme de chambre s) de sa femme dont il y a quinze ans qu'il est amoureux. » En effet, le duc de Saint-Aignan épousa secrètement, le 9 juillet suivant, Françoise Geré de Rancé, qui était attachée à la duchesse de SaintAignan, sous le nom de demoiselle de Lucé; elle était née noble; le mariage ne fut déclaré qu'un an après, et célébré de nouveau le 26 mars 1681.

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se soumettre aux ordres de la Providence7. Nous serions bien fous si nous raisonnions sur sa conduite; cependant je ne prétends pas l'offenser quand je dis que je voudrois bien qu'il lui eût plu de me faire passer ma vie avec vous, ou du moins dans votre voisinage. Pour les maux que cette Providence m'a faits en ruinant ma fortune , j'ai été longtemps sans vouloir croire que ce fut pour mon bien, comme me le disoient mes directeurs; mais enfin , j'en suis persuadé depuis trois ans : je ne dis pas seulement pour mon bien en l'autre monde, mais encore pour mon repos en celui-ci8. Dieu me récompense déjà en quelque façon de mes peines par ma résignation; et je dis maintenant de ce bon maître ce que dans ma folle jeunesse je disois de l'amour : Il paye en un moment un siècle de travaux, Et tous les autres biens ne valent pas ses maux.

Je suis trop heureux de croire, plus que je n'ai jamais fait, que ceux qui me connoissent me jugent digne des grands honneurs et des grands établissements. Pour ce que pensent de moi ceux qui ne me connoissent point, je ne m'en tourmente guère, et j'espère que bientôt les sentiments des uns et des autres sur mon sujet me seront fort indifférents en l'autre monde. Je souhaiterois seulement un peu plus de bien que je n'en ai, pour pouvoir mettre mes enfants en état de ne m'être point à

7. a Se soumettre à la Providence. » (Manuscrit de la Bibliothèque impériale.)

8. Ce qui suit, jusqu'à la fin de l'alinéa, manque dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale, qui commence ainsi l'alinéa suivant: « Je crois plus que je n'ai jamais fait. Ce que pensent de moi ceux qui ne me connoissent point ne me tourmente guère. »

Deux lignes plus loin, les mots en l'autre monde 11e se trouvent pas dans ce manuscrit.

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- charge. J'espère qu'il m'en viendra pour cela; mais, en tous cas, un peu de résignation et un peu de philosophie m'en consoleront bien vite. Cependant je fais des pas du côté du Roi, et quoique cela aille lente- ment, il fait du chemin'. Sur ce que je lui fis dire il y a quelque temps que je ne lui demandois ni grâce ni retour pour moi, mais que je le suppliois , en considération de mes services, de donner quelque chose à mes enfants, il lui répondit qu'il le feroit volontiers aux occasions ; et comme mon ami lui demanda s'il vouloit bien qu'il me dît cela de sa part, il y a un mois que je lui écrivis la lettre dont je vous envoie la copie10, en lui envoyant en même temps un fragment de mes mémoires , depuis la bataille de Dunkerque jusques à ma prison, qui sont six années. Il y a trouvé son compte, et moi le mien11. Je voudrois que vous pussiez lire ces mémoires; ils vous amuseroient dans votre solitude12

Il me paroît que vous vous y ennuyez ; mettez-y ordre, ma chère cousine: occupez-vous fortement, pour éviter -

9. Dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale : « cela fait du chemin; » à la ligne suivante : « il y a quelque temps, par le duc de Saint-Aignan, que je ne lui demandois ni retour ni grâce pour moi, etc.; » quatre lignes plus loin : x qu'il me dît cela de sa part, il y consentit. Il y a un mois, etc. D

10. Voyez cette lettre au Roi dans la Correspondance de Bussy, Appendice du tome V, p. 609 et 610; dans la première édition (1697), elle se trouve au tome I, p. 373 et 374; elle est datée du 21 décembre 1679. C'est sans doute pour pouvoir, sans qu'elle parût trop vieille, la joindre, dans sa copie et dans l'édition qu'il projetait, à cette lettre de 1680, écrite à sa cousine, qu'il a daté celle-ci du mois de janvier.

il. On lit ici de plus dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale : oc Notre ami Corbinelli lit présentement ce manuscrit : il vous en pourra mander son sentiment. »

12. oc Je voudrois que vous le pussiez lire; il vous amuseroit dans votre solitude. » (Manuscrit de la Bibliothèque impériale.)

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l'ennui; rien n'est si dangereux pour la santé que de

s'ennuyer.

J'ai fait vos amitiés à votre nièce ; elle les reçoit avec une tendresse et une reconnoissance infinie.

824. - DE. MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, ce mercredi 26e juin.

QUAND1 je trouve les jours si longs, c'est qu'en mérité, avec cette durée infinie, ils sont froids et vilains ; nous avons fait deux admirables feux devant cette porte ; c'étoit la veille et le jour de saint Jean : il y avoit plus de trente fagots. une pyramide de fougères qui faisoit une pyramide d'ostentation; mais c'étoient des feux à profit de ménage, nous nous y chauffions tous, on ne se couche plus sans fagot; on a repris ses habits d'hiver ; cela durera tant qu'il plaira à Dieu. Vous n'êtes point sujets à ces sortes d'hivers : dès que votre bise est passée , le chaud reprend le fil de son discours, et Rochecourbières n'est pas interrompu. Savez-vous comme écrit Montgobert? elle écrit comme nous; son commerce est fort agréable. Elle me parloit la dernière fois d'un déjeuner qu'elle devoit donner dans sa chambre, où vous deviez survenir ; tout cela est tourné plaisamment.

Faites-la écrire pour vous, ma très-chère, et reposezvous en me parlant ; cela me fait un bien que je ne vous puis dire. Je donne à examiner cette question à Rochecourbières, si cette joie que f ai de ne guère voir de votre

LEITBE 824. — 1. Tout ce premier alinéa manque dans la première édition de Perrin (1787).

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écriture, est une marque d'amitié ou d'inditference. Je recommande cette cause à Montgobert2 : c'est que je suis toujours charmée de la confiance, et c'en est une que de croire fermement que j'aime mieux votre repos que mon plaisir, qui devient une peine dès que je me représente l'état où vous met cette écritoire.

Je fais ici des promenades qui me font sentir encore plus tristement l'amertume de votre absence', que vous ne pouvez sentir la mienne au milieu de votre république ; car assurément la compagnie de Grignan est si bonne et si grande, qu'elle doit vous donner plus de dissipation que le milieu de Paris. Votre petit bâtiment est achevé ; on vous en mandera des nouvelles. En voulezvous savoir de Mme de la Hamélinière4 ? Elle a été6 sept jours entiers ici, elle ne partit qu'hier, après que j'eus pris ma médecine. J'envie bien ses chevaux gris Il qu'elle fit paroître dans ma cour : la familiarité de cette femme est sans exemple; elle s'en retourne chez le marquis de la Roche-Giffard 7, d'où elle venoit; elle a son équipage; elle ne parle que de lui. La scène est à vingt lieues d'ici, mais cela ne l'embarrasse pas. Votre bon cousin ne laisse pas de l'adorer, et d'adorer aussi Monsieur le Marquis.

On parleroit longtemps là-dessus; les choses singulières me réjouissent toujours. Je vous assure que je fus fort

2. Voyez la lettre du 15 juin précédent, P. - 46 4.

3. « Qui me font sentir l'amertume de votre absence plus tristement encore. » (Édition de 1754.)

4. Voyez la lettre précédente, p. 478.

5. Dans l'édition de 1737, il y a simplement : « la compagnie de Grignan doit vous donner plus de dissipation que le milieu de Paris. Mme de la Hamélinière a été, etc. »

6. « Les chevaux gris. » (Edition de 1754.) _oA- , 1

7. N. de la Chapelle, marquis de la Roche-Gifiard et le dernier ae sa maison, était fils de Henri, qui fut tué au faubourg Saint-Antoine en 1652.

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touchée du plaisir de voir partir ce train ; j'étois dans mon lit; mais je fus fort bien instruite du bruit du départ; je ne souhaite point qu'il me vienne d'autres visites : j'ai mille choses à faire et à lire, car il ne faut pas parler de lire avec ces créatures-là8.

Je m'en vais reprendre mes Conversations9 toutes pleines de votre père. Mais une bonne fois, ma trèschère, mettez un peu votre nez dans le livre de la Prédestination des saints, de saint Augustin, et du Don de la persévérance : c'est un fort petit livre, il finit tout10.

Vous y verrez d'abord 11 comme les papes et les conciles renvoient à ce Père, qu'ils appellent le docteur de la grâce : ensuite vous trouverez des lettres des saints Prosper et Hilaire, qui font mention12 des difficultés de certains prêtres de Marseille, qui disent tout comme vous ; ils sont nommés Semi-pélagiens. Voyez ce que saint Augustin répond à ces lettres tl, et ce qu'il répète cent fois.

Le onzième chapitre du Don de la persévérance me tomba hier. sous la main ; lisez-le, et lisez tout le livre, il n'est pas long 14 ; c'est où j'ai puisé mes erreurs; je ne suis pas seule, cela me console ; et en vérité je suis tentée de

8. « J'ai mille petites choses à faire, et j'ai à lire, car il ne faut point parler de lire avec cette compagnie-là. » (Édition de 1754.)

9. Voyez les lettres des 15 et 10 juin précédents, p. 458 et 468.

10. Ces trois derniers mots ne sont pas dans le texte de 1737. —

Voyez tome V, p. 111 et note 7. Les deux traités sont la réponse de saint Augustin à une lettre de saint Prosper et à une lettre d'Hilaire (non l'évêque d'Arles, mais un saint moine non canonisé), qui sont toutes deux données au commencement du volume.

11. Dans l'avertissement du traducteur.

ia. « Ensuite, les lettres de Prosper et d'Hilaire, où il est fait mention, etc. 11 (ÉditiCln de 1754.)

i3. <r A ces deux lettres. » (Ibidem.)

14. Ces mots : t il n'est pas long, » manquent dans le texte de 1787.

15. « C'est ce qui me console. » *(Édition de 1754.) La fin de la phrase, à partir de ces mots, n'est que dans le texte de 1787.

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croire qu'on ne dispute aujourd'hui sur cette matière avec tant de chaleur que faute de s'entendre.

Je serois fort heureuse dans ces bois, si j'avois une feuille qui chantât : ah ! la jolie chose qu'une feuille qui chanteU! et la triste demeure qu'un bois où les feuilles ne disent mot, et où les hiboux prennent la parole ! Je suis une ingrate : ce n'est que les soirs, et j'y entends tous les matins mille oiseaux. Vous n'en avez point où vous êtes, et vous observez seulement", comme vous disiez l'autre jour, de quel côté vient le vent; votre terrasse doit être une fort belle chose. Je suis souvent avec vous tous48, e mon imagination sait bien où vous trouver dans cette belle et grande principauté.

U me paroît que mon fils est à Fontainebleau, sans être à la cour. On me mande de plusieurs endroits qu'il est toujours dans une grande, grande maison ", où l'on doit croire qu'il se trouve bien, puisqu'il y est toujours20.

Vous savez que ce n'est pas ainsi que l'on fait sa cour; on ridiculise cette conduite fort aisément. Voilà le voyage de Flandre fort assuré 21 ; si les dauphinsaî y vont, c'est une dépense à quoi l'on ne s'attend oit pas.

Le chevalier 23 m'a écrit une très-bonne et honnête lettre. J'ai fait réparation à Monsieur d'Evreux ; je n'ai

16. Nous avons vu plusieurs fois ces mots au tome V, p. 232, 233, 3og.

- -L 1 1 - ,

17. a Et vous ne taites qu observer. » [Kaition de 1704.J

18. « J'y suis souvent avec vous tous. » (Ibidem.)

Ig. Voyez ci-dessus, p. 476. — Dans le texte de 1737, il y a simplement : « dans une grande maison. »

20. « Ou il paroît qu'il se trouve bien, puisqu il n'en sort point. »

{Edition de 1754.) -- -

2 1. cc Voilà le voyage de Flandre assuré. » (Ihidem.)

32. Les gendarmes-Dauphin.

23. Cet alinéa est donné pour la première fois dans l'édition de 1754.

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plus rien à demander à ces Grignans-là : pour l'aîné , c'est une autre affaire; tant qu'il aura ma fille si loin de moi, j'aurai toujours bien des choses à démêler avec lui.

Il me semble que vous devez avoir maintenant Monsieur l'Archevêque, et que vous êtes plus disposée que jamais à jouir de cette bonne et solide compagnie. Vous voilà donc privée de celle de M. Rouillé ; vous le regretterez ; mais ce n'est plus votre affaire, du moment que le lieutenant général cède la place au gouverneur 24. Je sens présentement le plaisir de voir le Coadjuteur à la tête de cette assemblée25 , avec un nouveau gouverneur et un nouvel intendant ; il y fera des merveilles, et cela me paroit de la dernière importance pour vous. L'étoile est changée, le sort est rompu pour les Grignans, et peutêtre pour l'atné; ni bonheur, ni malheur, rien n'est de longue durée en ce pays-là; j'en excepte les prisonniers et les exilés, qui sont hors du commerce.

Mme de Vins m'écrit qu'elle a un plaisir sensible du cercle que nous faisons ; vous lui parlez de moi, elle vous en parle; je lui parle de vous, elle m'en parle : ainsi nous tournons autour d'elle ; elle me dit cela fort agréablement. Elle est à Pompone, où elle apprend" la philosophie de votre père. Le hasard a fait que Corbinelli, par moi 26, leur a donné un homme admirable pour enseigner le droit au fils aîné; cet homme sait tout, c'est un esprit lumineux, c'est une humeur et des mœurs à souhait : ils sont charmés de cet homme ; c'est lui qui montre à cette belle marquise 27 : elle est bien heureuse

24. Le duc de Vendôme.

a5. Voyez plus haut, p. 122, note 14, et les lettres des 5 et 17 avril précédents, p. 341 et 357.

26. Ces deux mots : par moi, ne sont pas dans le texte de 1737.

27. « de cet homme; cette belle marquise en fait son profit. »

(Édition de 1754.)

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d'être aussi raisonnable qu'elle est, et de n'être point sujette à se pendre.

Mme de Mouci28 me mande qu'elle est persuadée que Mme de Lavardin ne s'accommodera jamais avec les jeunes gens; elle les attendoit ce jour-là; ils revenoient de la cour; elle étoit toute troublée de ce dérangement : c'est qu'elle est toute renfermée en ellemême , et je connois une autre mère qui ne se compte pour guère (elle a raison), et qui est toute transmise à ses enfants, et ne trouve de vraie douceur que dans sa famille : cette mère, en vérité, aime bien parfaitement sa chère fille : ce partage n'est pas à la mode de Bretagne29.

On me mande que M. de Chiverni, qui est Clermont80, afin que vous ne vous y trompiez pas, sera dans deux ans un des plus grands seigneurs de France : c'est ainsi que la fortune se joue. Je ne sais plus ce qu'est devenu le mariage de M. de Molac; je suis fort aise qu'ils n'aient pas eu cette petite 31 ; ils l'auroient assommée, pour lui apprendre à devenir la fille d'un disgracié. Dieu vous conserve les solides et bonnes pensées32 qu'il vous donne ! vous parlez si sagement de tous les plaisirs et de

28. Cet alinéa et le commencement de l'alinéa suivant, jusqu'à : « Je ne sais plus, etc., D sont pour la première fois dans l'édition de 1754.

29. Les filies puînées qui avaient été mariées et dotées n'avaient plus rien à prétendre dans les successions de leurs père et mère.

Voyez l'article 557 de la Coutume de Bretagne (Note de l'édition de 1818.)

3o. Voyez plus haut, p. 272, note 21, et p. 461, note 27.

3r. Mlle de Pompone, aujourd'hui Mme la marquise de Torci.

(Note de Perrin, 1737.) - Dans sa seconde édition (1754), Perrin a mis le nom propre dans le texte : « qu'ils n'aient point eu cette petite de Pompone. » — Voyez la lettre de Mme de Grignan du 7 août 1696.

3a. a Les bonnes et solides pensées. » (Edition de 1754.)

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tout ce qui n'est point en votre puissance, que la philosophie chrétienne n'en sait pas davantage : J'en connois de plus misérables".

Vous êtes en vérité, et bien aimable, et bien estimable14 , et bien aimée, et bien estimée.

825.- DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, ce 30e juin.

CE mois-ci1 ne m'a pas paru si immense que l'autre : c'est que je n'ai pas vu tant de pays; je me suis renfermée dans ces bois, où l'imagination n'est pas si dissipée. J'y fais bien des réflexions, et sur le Saint-Esprit, que j'y souhaite sans cesse, plus persuadée que jamais qu'il souffle comme il lui plaît et où il lui plaît, et sur plusieurs autres sujets qui ne trouvent que trop leurs places. Mes pensées sont fort semblables aux vôtres sur le sujet de mon fils 2 ; les sentiments qu'il a, de l'humeur et de l'esprit dont il est, et dans la place où il se trouve, sont aussi difficiles à deviner que ceux de Mme de Lavardin, qui paroît baignée dans l'excès de la joie à tous ceux qui ne la connoissent point : ce sont des jeux de la Providence, qui nous fait connoître en toutes choses la fausseté de nos jugements. Il n'y a point d'agrément que mon fils ne trouvât dans le pays où il est, et je suis per-

33. Dernier vers du fameux sonnet de Job, par Benserade, dont Mme de Sévigné se fait l'application. (Note de Perrin.) 34. Dans l'édition de 1737, la lettre finit au mot estimable.

LBTTM 825 (revue en grande partie sur une ancienne copie). —

1. Le manuscrit porte : cc Ce mois ici. »

2. « Sur le chapitre de mon fils. » (Éditions de 1737 et de 1754-)

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suadée que le chevalier lui procureroit tous les agréments du monde S : il n'est pas assez heureux pour vouloir se servir4 de tous ses avantages. Quelle envie effrénée n'auroit-il point d'être là, s'il n'y étoit pas ! Vous savez le dessous de cartes5. Vous êtes bien plus sage, vous, ma fille, qui tâchez de trouver bon ce que vous avez, et de gâter tout ce que vous n'avez pas : voilà une philosophie qu'il auroit fallu acheter bien cher à l'encan de Lucien 6. Vous vous dites que tous les biens apparents des autres sont mauvais ; vous les regardez par la facette la plus désagréable ; vous tâchez à ne pas mettre votre félicité à ce qui ne dépend pas de vous7. Je me fais une étude de cet endroit d'une de vos lettres ; il n'y a point de lecture qui puisse m'être si utile, quoique je sois un peu honteuse de vous trouver plus sage que moi. Mon fils me mande qu'il s'en va jouer au reversis avec son jeune maître 8 ; cela me fait transir : deux, trois, quatre cents pistoles s'y perdent fort aisément : Ce n'est rien pour Admète, et c'est beaucoup pour lui9.

3. i Que le chevalier lui feroit tous les biens du monde. D (Éditions de 1737 et de I75A.)

4. « Il n'est pas assez heureux pour se servir. » (Édition de 1737.) - « S'il étoit assez heureux pour se servir. » (Édition de 1754-)

5. Dans l'édition de 1737 : « le dessous de ces cartes, ï et dans celle de 1754 : « le dessous des cartes. Il Dans notre manuscrit, le copiste a écrit ces mots singuliers : « là-dessus d'Ecartes, » et immédiatement après il a omis les mots : « vous, ma fille. »

6. Voyez les Sectes à l'encan (la Vente des vies) de Lucien.

7. « De ne pas mettre votre félicité à ce qui ne dépend pas de vous. » (Édition de 1737.) — « De ne pas mettre votre félicité dans ce qui, etc. » (Édition de 1754.)

8. Le Dauphin.

9. Voyez l'Alceste de Quinault, acte III, scène ire : PHÉRÈS (père d'Admète).

Je n'ai plus qu'un reste de vie : Ce n'est rien pour Admète, et c'est beaucoup pour moi.

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Si, avant que de jouer, on pensoit à ce qu'on peut perdre, et qu'il le faut payer le lendemain10, je crois qu'on ne s'engageroit pas à de telles parties ; mais l'on s'imagine qu'on les gagnera, et voilà où souvent l'on se trompe 11. Si Dangeau est de ce jeu, il prendra toutes les poules42 : c'est un aigle. Il en arrivera tout ce qu'il plaira à Dieu, comme des six mille francs que je devois toucher à Nantes : il est sorti une chicane du fond de l'enfer, qui me rejette je ne sais où.

Je vois par plusieurs lettres que la vie retirée et compassée de la jeune princesse il n'est point dans son goût: sans la facilité de son esprit et sa complaisance extrême, cela pourroit s'appeler contrainte ; que savons-nous encore ce qui se passe dans cette place, la plus belle de l'univers ? Celle de Danaé 14 est une autre merveille : la pluie d'or16 est fort abondante; nulle de ses sœurs n'approche de sa beauté, mais leurs établissements ne seront point médiocres, et n'en seront pas moins solides"

Mme de Mouci ne me paroît pas en chercher d'autre 17 que celui d'être la plus admirable et la plus romanesque personne du monde18. Ne connoissons-nous pas une princesse qui se dépêcha de marier son amant, afin

io. c On pensoit qu'on les peut perdre, et qu'il les faut payer le lendemain. ï (Éditions de 1737 et de 1754.)

ii. (t Et voilà comme on se trompe souvent. 9 (Édition de 1737') — a Et voilà souvent pnminc on s*» tmrmip m (RditÍan de JnftAA

-- ---- ------- -------- -- -- ----r-- - ,_n_n__- ---- -/--.-/ il, c Il gagnera toutes les poules. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

13. La Hàiinhinp

--- -- ---r----' 14. Mme de Fontanges.

15. c Il est vrai que la pluie d'or, etc. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

16. c Mais les établissements n'en seront pas médiocres. »

(Ibidem.)

17. a Ne paroît pas èn chercher d'autre. » (Édition de 1737.) — , a Ne me paroît pas chercher d'autre avantage. D (Édition de 1754.)

18. Voyez la lettre du 12 juin précédent, p. 450 et 461.

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■ qu'elle n'eût plus envie de l'épouser, et qu'il n'en fût plus aucune question19? C'est justement tout comme. Elle se plaît à faire des actions extraordinaires, et réjouira la noce; je ne voudrois pas jurer qu'elle n'allât 20 à Malicorne consoler la douleur de Mme de Lavardin. Il n'y a rien qui mérite plus de réflexion que l'état de cette mère , dont la tête est marquée entre les bonnes : voyez par quels sentiments la Providence vient troubler son bonheur 21. Je vous remercie de lui avoir écrit 22. Où est donc Montgobert? Elle vous laisse écrire une grande lettre, où vous ne me dites pas un mot de votre santé, et vous savez ce que c'est pour moi que cet article.

Nous en faisons toujours un de Mme de Vins : c'est une aimable créature 23, j'y pense souvent, elle me témoigne bien de l'amitié, et me parle de vous avec une véritable tendresse. Elle n'est vraiment point un fagot d'épines 24 : elle est fort bonne à ses amis26, et fort sensible

19. Est-ce une allusion au Cid de Corneille, au rôle de l'Infante, qui, « pour éteindre ses feux, » veut, dès le début de la pièce, marier Chimène à Rodrigue, Avec impatience attend leur hyménée, et, dans la dernière scène, amène le Cid à son amante, à qui elle dit : Sèche tes pleurs, Chimène, et reçois sans tristesse Ce généreux vainqueur des mains de ta princesse ?

20. « Elle se plaît à faire des choses extraordinaires, et (et manque dans le texte de 1737) je ne voudrois pas jurer qu'au lieu de se trouver à la noce, elle n'allât, etc. » (Editions de 1731 et de 1754.)

21. « Veut troubler son bonheur. D (lbtdem.) — JNotre manuscrit s'arrête ici pour reprendre, vers la fin de l'alinéa suivant, à : a Guitaut m'écrit, etc. »

22. Cette petite phrase n'est pas dans le texte de 1737, qui continue ainsi : a Mais où est donc Montgobert ? »

23. La fin de la phrase, à partir des mots : « j y pense, etc., D est donnée pour la première foia dans le texte de 1754.

24. Voyez tome IV, p. 299, et ci-dessus, p. 155, note 9.

25. « A ses amies. » (Édition de 1754.)

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à leurs intérêts. Sa destinée est triste : elle n'étoit pourtant pas sans dégoûts au milieu de la cour, et vous la plaignez trop 26 d'être dans sa famille; c'est sa pente naturelle, elle y est fort accoutumée; la solidité de son esprit lui est d'un grand secours présentement : ne vous mande-t-elle point l'usage qu'elle en fait, et comme elle apprend votre philosophie ? Son mari a donc payé le tribut aux yeux de Mme D***. Vous lui apprendrez comme il faut en être jalouse : les dames qui cherchent et qui trouvent à subsister partout ne sont point à plaindre assurément". Guitaut m'écrit de Saint-Ange à trois lieues de Fontainebleau28, où il est allé morguer la cour, et voir tous les Caumartins et toute la noce dans cette belle maison de la nouvelle mariée29 : ils y ont été trois jours : Pour vous voir un moment, j'ai passé par Essonne30.

Il est heureux notre amis 1, il est dévot; hélas ! que

26. On lit simplement dans le texte de 1737 : « Sa destinée est triste, mais vous la plaignez trop, etc. »

27. c Vous lui donnerez des leçons sur la manière d'en être jalouse : je ne plains point les dames de cette humeur, elles trouvent à subsister partout. » (Edition de 1754.)

28. « Guitaud m'écrit de trois lieues de Fontainebleau. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

29. a Dans une belle maison de la nouvelle mariée. » (Ibidem.) — Louis-Urbain le Fèvre, appelé alors M. de Boissy (voyez le commencement de la lettre au comte de Guitaut du 17 juillet suivant), fils aîné de Caumartin et de sa première femme, venait d'épouser, le 6 juin précédent, Marie-Jeanne Quantin de Richebourg, fille unique de Charles Quantin, seigneur de Richebourg et de Saint-Ange, maître des requêtes, et de Marie Feydeau. Elle mourut en 1 709, à l'âge de cinquante ans, et son mari le 2 décembre 1720.

3o. Vers d'une ancienne chanson sans doute, sur l'air de laquelle Coulanges a fait plusieurs couplets. — Ce vers ne se trouve que dans notre manuscrit.

31. A côté des mots notre ami, Grouvelle et les éditeurs qui l'ont suivi ont mis entre parenthèses Pompone.

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vous en parlez bien! que pourrois-je y ajouter", sinon que nous sommes des exemples de la misère et de l'impuissance humaine ? L'éternité s 3 me frappe un peu plus que vous : c'est que j'en suis plus près ; mais cette pensée n'augmente pas du moindre degré mon amour de Dieuu; je suis pleinement persuadée35 de tous les malheurs et de tous les chagrins répandus à pleines mains dans ce monde : Corbinelli le croit aussi et me faisoit l'autre jour une belle question : « Lequel est le plus heureux37 , ou un pauvre amant dans une grande incertitude d'être aimé, ou un autre dans une entière certitude de l'être33? »

Je lui dis que le premier étoit le plus heureux, voyant bien qu'il vouloit badiner et dire que tout le monde est également heureux et malheureux. Je ne crois pas que cette opinion fasse fortune3 9; et je ne sais si M. de Luxembourg seroit de cet avis; je pense qu'il sait bien mal être exilé et disgracié 40; il n'a guère fait de provisions

32. t Ah ! que vous en parlez bien ! qu'y pourrois-je ajouter, etc..

(Éditions de 1737 et de 1754.)

33. La lettre commence ici dans les éditions de Rouen et de la Haye (1726).

34. « Mais cette pensée ne me donne pas le moindre degré de plus d'amour de Dieu. s (Édition de 1737.) Le texte de 1754 est le même, sauf la suppression des mots de plus. Celui de Rouen ajoute : c dont je suis bien fâchée. D

35. « Je suis fortement persuadée. » (Editions de 1737 et de 1754.) A la liane suivante, le texte de 1754 porte : « dans le monde. »

36. « le croit aussi ; il me faisoit, etc. » (Édition de 1754.)

37. « Lequel est le plus content. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

38. Dans le texte de Rouen (172G) : « ou d'un pauvre amant., ou un autre dans une grande certitude de l'être. »

3g. Nous suivons pour le commencement de cette phrase le texte de la Haye et de Rouen (1726). Notre manuscrit et les deux éditions de Perrin donnent seulement : s Je ne sais si M. de Luxembourg, etc. » L'impression de Rouen s'arrête au mot fortune, pour reprendre à : CI Le Roi fut l'autre jour, etc. » (p. 497, ligne 7).

40. C'est le texte de notre manuscrit et des deux éditions de Per-

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dans la vie qu'il a faite pour soutenir un malheur comme celui-ci 41.

Je viens de trouver une lettre de Mme de Coulanges que je n'avois pas lue; je la méconnoissois : elle me mande qu'elle s'en va à Lyon, qu'elle ne veut point passer par Fontainebleau, qu'elle a pris son esprit de province; que le Roi fut l'autre jour trois heures chez Mme de Maintenon, qui avoit la migraine ; que le P. de la Chaise y vint; que Mme de Fontanges pleure tous les jours de n'être plus aimée; les grands établissements ne la peuvent consoler : voilà qui est bon pour mettre dans notre sac aux réflexions. Vous savez que lé cardinal d'Estrées va à Rome 42 pour la régale, sur laquelle le pape écrit une lettre au Roi u, comme l'auroit écrite saint Pierre44. On dit que Sa Majesté se lasse de Monsieur de Paris46 et de sa vie : il sera quitté comme les

rin. L'impression de la Haye porte : « je pense qu'il sent bien le mal qu'il y a d'être exilé et disgracié. »

4i. c II-n'a guère fait de provisions jusqu'à présent pour soutenir un malheur comme le sien. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

4a. « dans votre sac aux réflexions. Le cardinal d'Estrées va à Rome, etc. u (Édition de Rouen, 1726.)

43. « A écrit une lettre au Roi. » (Editions de Rouen et de la Haye, IF726.) — « A écrit au Roi une lettre. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

44. Sur les démêlés de Louis XIV avec la cour de Rome au sujet de la régale, sur ki lettre du pape au Roi, sur celle que le clergé adressa au Roi le 10 juillet, voyez la note 40 de la p. 535, l'Histoire de France de M. Henri Martin, tome XHI, p. 617 et suivantes, YHistoire de Bossuet par le cardinal de Bausset, livre VI, chapitres v et suivants, et la lettre du 14 juillet, p. 524 et 525, note'36.

45. Harlay de Champvdion,. Sur sa vie scandaleuse, voyez à l'Appendice du tome V de la Correspondance de Bussy un extrait des mémoires de l'abbé Blache. -Dans le texte de Rouen (1726) : « se lasse de Monsieur l'archevêque de Paris : il sera quitté comme les maîtresses. » — La lettre se termine ici dans notre manuscrit, et l'édition de Rouen n'a pas la fin de l'alinéa.

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  • maîtresses. Mais cela est plaisant, ma bonne, de vous dire des nouvelles; je cause avec vous sur celles que je reçois, n'en ayant point d'ici à vous mander 46. En voici pourtant d'assez considérables : Mme de Tarente arrive; M. et Mme de Chaulnes seront dans huit jours à Rennes.

M. de Chaulnes a ordonné qu'on raccommodât le chemin d'ici à Yitré ; de sorte qu'il y a tous les jours cent et deux cents hommes, et le sénéchal à la tête47, soutenu des avis de nos cochers, pour nous faire un chemin comme dans cette chambre4 8.

Il entra hier ici4 9 un garçon de Vitré, c'est-à-dire qui en venoit; je le reconnus d'abord pour avoir été laquais de M. de Coulanges. M. de Grignan l'a vu à Aix60. Il me montra un papier imprimé de tout ce qu'il sait faire du feu ; il a le secret de cet homme dont vous avez entendu parler à Paris : entre mille choses qui sont toutes miraculeuses, et que je ne comprends pas que l'on souffre à cause des conséquences, je ne m'arrêtai 51 qu'à une petite, qui est bientôt faite : c'est 62 de lui voir couler dans la bouche dix ou douze gouttes de ma cire d'Espagne tout allumée, et dans sa main; et de n'en être non plus ému que si c'eût été de l'eau 53; sans mine,

46. II Cela est plaisant, ma fille, de vous dire des nouvelles; mais je cause sur celles que je reçois, n'en ayant point ici. » (.Édition de 1737.) — œ Cela est plaisant, ma fille, de vous dire des nouvelles; mais n'en ayant point ici, je cause sur celles que je reçois. »

(Édition de 1754.)

47. «A leur tête. D (Éditions de 1737 et de 1754.)

48. Voyez la lettre du 3i mai précédent, p. 428.

49. Le texte de Rouen (1726) ajoute : œ dans ma chambre. »

5o. Cette petite phrase a été omise dans 1 édition de 1707.

51. Dans les deux éditions de la Haye et de iiouen (172ti) : « je ne m'arrête. »

5a. « Ce fut. » (Editions de 1737 et de 1754 J -- --

53. c Sans en être non plus ému que si c étoit de l'eau. » (Edition

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sans grimace, sa langue aussi belle après cette légère opération que devant J'en avois fort entendu parler; mais de voir cela si familièrement" dans ma chambre , me donna un extrême étonnement. Cela prouve votre philosophie, ma bonne, et qu'assurément le feu n'est point chaud , et ne nous cause54 le sentiment de chaleur que selon la disposition des parties; mais comprenezvous 67 qu'il y ait une sorte de liqueur dont on puisse se frotter avec assez de confiance pour faire fondre de la cire d'Espagne ou du plomb sur sa langue 68, avaler de l'huile bouillante, et marcher sur des barres de fer toutes rouges? Que deviendront nos miracles et les épreuves d'innocence des siècles passés 69 ? Si vous voyez le visage de ce garçon , vous le reconnoîtrez *, il va courir les provinces.

de 1737.) — « Il n'en étoit non plus ému que si c'eût été de l'eau. »

(Édition de 1754.)

54. « aussi belle après cette petite opération qu'auparavant. »

(Éditions de 1737 et de 1754.)

55. « De voir cela de près et aussi familièrement. » (Édition de Rouen, 1726.)

56. « Ne vous cause. » (Édition de la Haye, 1726.) — Sur 1 opinion de Descartes dont il est ici question, voyez tome V, p. 367, fin de la note 33, et le premier et le troisième des entretiens de Malebranche, intitulés Conversations chrétiennes, que lisait alors Mme de Sévigné.

57. « Mais comprenez-vous bien. » (Édition de Rouen, 1716.) — Les deux éditions de Perrin ont supprimé le mais.

58. Les mots ou du plomb ont été supprimés par Perrin dans ses deux éditions, et celles de la Haye (1726) et de 1754 donnent la langue, au lieu de sa langue.

5g. Dans les deux éditions de Perrin, il y a simplement : « Que deviendront nos miracles? » Dans celle de Rouen (1726) : « Que deviendront les épreuves d'innocence des siècles passés ? Je crains même que nos miracles n'en souffrent auprès des mauvais esprits.

Mais n'y a-t-il pas eu de tout temps de vrais miracles et des tours de passe-passe? » — La phrase qui suit ne se lit que dans le texte de la Haye (1726).

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Madame la Dauphine se met à courir les bêtes"; il ne sembloit pas qu'elle voulùt faire tant de chemin pour les attraper61 : vous voyez comme les goùts changent62. Cela fait qu'on parle un peu de Madame ; sans cela, il n'en étoit plus question"; mais la chasse réunira ces deux branches de Bavière, depuis longtemps mal ensemble64.

J'ai recommencé mon petit livre; il m'occupe et me di-

vertit fort agréablement; je suis persuadée" que vous

6o. L'impression de Rouen (1726) ajoute : « dans les forêts. »

61. Ce membre de phrase : « Il ne semble pas, etc., s n'est pas dans l'édition de Rouen (1726). — Celle de la Haye n'a pas les deux membres de phrase : et Cela fait, etc., » et : et sans cela, etc., » qui manquent aussi dans le texte de Rouen ei ne se trouvent que dans les éditions de Perrin.

62. Voyez ci-dessus. n. 346.

63. a II n'en étoit plus de question. » (Édition de 1754.) — La duchesse d'Orléans, Madame de Bavière, allait souvent à la chasse avec le Roi. Voyez au tome V de l'Histoire de France de M. Ranke, ses lettres à l'électrice Sophie de Hanovre, et en particulier (p. 283) celle du 10 octobre 1673, où elle dit que le Roi lui a fait écrire par Monsieur qu'il prétendait qu'elle allât à cheval à la chasse, deux fois par semaine, aveclui, « ce qui, ajoute-t-elle, sera fort à mon goût; » et (p. 292,294) celle du 15 décembre 1679, où elle raconte que, se rendant en calèche à Versailles avec le Roi pour une partie de chasse, elle a profité de l'occasion pour l'entretenir de l'alliance projetée avec la branche électorale de Bavière, alliance qui agréait fort peu à Madame.

64. En 1621, la dignité électorale avait été enlevée a la branche palatine et transportée à la branche de Bavière. Les palatins redevinrent électeurs à la paix de Westphalie, par la création d'un nouvel électorat. Bussy écrit au marquis de Tricbateau, à la date du 29 juin 1680 : u Monsieur de Bavière a donné en mariage à Madame la Dauphine, sa sœur, cinq ou six places que lui avoit usurpées le Palatin, c'est-à-dire un procès ; il est vrai que le Roi ne perd guère de ces sortes d'affaires-là. Le Palatin ayant refusé de les rendre au Roi, Sa Majesté prétend les prendre de force, et pour cet effet Montclar a assiégé le château de Falquembourg, et il est prêt à se rendre. » — Les deux éditions de Perrin (1737 et 1754) portent: «mais la chasse réunira peut-être ces deux branches de Bavière, si naturellement mal ensemble. » — La lettre finit ici dans l'édition de Rouen (1726). - -

65. « H me divertit et m'occupe fort agréablement; je suis bien

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le connoissez. Ma fille, je vous embrasse et vous dis adieu, toujours à mon grand regret. Malgré toutes les obscurités de votre destinée, j'espère que nous nous retrouverons cet hiver66. Vous ne savez que faire, ditesvous , de mes louanges", vous en êtes chagrine ; ce n'est pas ma faute, je me serois contentée de les penser, si vous ne m'étiez venue dire pis que pendre de vous, sans aucune considération de l'intérêt que j'y prends : j'ai repoussé l'injure, et je me suis résolue une bonne fois à vous dire vos vérités.

826. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 3e juillet.

JE vous plains, ma bonne, des compagnies contraignantes que vous avez eues. Les hommes n'incommodent pas tant que la princesse que vous attendiez. La nôtre 1 est arrivée dès lundi ; mais je la laisse reposer jusqu'à demain. Quand je considère votre clîâteau rempli de toute votre grande famille, et de tous les survenants, et de toute la musique, et des plaisirs qu'y attire M. de Grignan, je ne comprends pas que vous puissiez éviter d'y faire une fort grande dépense2*, il n'y a point de

persuadée, etc. s (Éditions de 1737 et de 1754.) — La lettre se termine avec cette phrase dans l'édition de la Haye (1726).

66. Cette phrase a été donnée pour la première fois dans l'impression de 1754.

67. « Vous dites que vous ne savez que faire de mes louanges. »

(Édition de 1754.) LETTRE 826 (revue en partie sur une ancienne copie). — 1. La princesse de Tarente.

2. a Je ne puis concevoir que ce soit un lieu de rafraîchissement

1680

provisions dont on ne trouve très-promptement la fin avec tant de monde ; c'est une affaire que la consommation de mille choses qu'il faut acheter; cela n'étoit® point ainsi du temps de feu Monsieur votre beau-père, et je ne puis concevoir le château de Grignan comme un lieu de rafraîchissement pour vous. Ainsi l'intérêt continuel que je prends à vos affaires ne me laisse point jouir du repos que je me suis imaginé dans ce lieu, où vous croyez toujours que vous vivez pour rien. C'est où il n'y a point de remède.

Nous sommes occupés ici à mettre dehors très-honnêtement le père Rahuel 4. Monsieur de Rennes le desire d'une manière à ne pouvoir lui refuser ; nous le voulons très-bien aussi : nous y jetons un homme qui nous paroit bon. Ce petit déménagement et les comptes qu'il faut recevoir font une affaire.

Je reçois toujours les lettres fort noires6 de mon fils, appelant ses chaînes et son esclavage, ce qu'un autre appelleroit sa joie et sa fortune. Si j'avois voulu faire un homme exprès, et par l'humeur, et par l'esprit, pour être enivré de ces pays-là', et même pour être assez propre à y plaire, j'aurois fait M. de Sévigné exprès à plaisir7 : il se trouve que c'est précisément le contraire;

pour vous. » (Édition de 1737.) — « Je ne comprends pas que vous puissiez éviter d'y faire une fort grande dépense, ni que ce soit un lieu de rafraîchissement pour vous. » (Edition de 1754.) — Toute la fin de l'alinéa et l'alinéa suivant ne sont que dans notre manuscrit.

3. Le manuscrit porte, sans doute par une erreur de copiste : « n'est, a au lieu de : « n'étoit. »

4. Voyez tome III, p. 294, note 14. — Sur Monsieur de Rennes, voyez ci-dessus, p. 217, note 12.

5. Tel est le texte du manuscrit. Les deux éditions de Perrin portent : a des lettres fort noires. s

- 6. <r Pour être enivré de la cour. » (Édition de 1737.)

7. a J aurois fait à plaisir M. de Sévigné. » (Édition de 1754.)

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ce n'est pas la première fois qu'on se trompe. Ce seroit à moi à crier miséricorde, si je n'avois du courage8 : c'est moi que cette charge accable, surtout en voyant comme il a pris en ce pays9 de tous les côtés tout ce qu'il a pu; mais je me tais, et voudrois au moins que pour prix de tout le dérangement qu'il me fait, il fût content dans la place où il est. Son chagrin m'en donne plus que tout le reste; n'en parlons plus. Je l'attends ici incessamment ; car s'il peut se contenter de paroître à la tête de la compagnie quand le Roi la verra", il volera ici avec une soif nompareille de revoir son cher pays : dulcis amor patriæ H ; voilà ce que les Romains souhaitoient à leurs citoyens.

Vous avez très-bien deviné : Montgobert ne me dit point qu'elle soit mal avec vous; vous m'en dites la raison, on ne se vante point d'avoir tort. Elle me dit mille folies, comme à l'ordinaire, sur les trains et les plaisirs que vous avez. Je suis fâchée que ce vieux carrosse où il faut toujours refaire quelque chose, se trouve dans l'amitié et dans les anciens attachements ; je croyois tout le contraire, et que le passé répondît de l'avenir, et que ce fut pour l'autre que ces dégingandements fussent réservés 12 : l'amour-propre fait quelquefois de plaisants effets.

8. Dans notre manuscrit : « si je n'avois de courage. m

9. et Surtout depuis qu'il a pris ici, etc, » (Édition de 1754.) Ce membre de phrase, à partir de surtout, n'est pas dans le texte de 1737.

—Voyez la lettre du 27 mai précédent, p. 422 et 423.

10. « Le verra. » (Édition de 1754.) -

II. « Doux amour de la patrie, a

13. « Je croyois tout le contraire, et que le passé répondoit de l'avenir, et que c'étoit pour l'autre que ces dégingandemcnts étoient réservés. » (Édition de 1737.) L'édition de 1754 a le même texte, sauf le commencement : « je croyois au contraire que le passé, etc. »

— Sur l'autre, l'amour, voyez un.passage de la Princesse de Paphlagonie de Mademoiselle, cité par M. Cousin dans la Société française, tome I, p. 2a5 et 226.

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La pensée qu'on préfère quelqu'un, la crainte de n'être pas aimée, l'envie de surmonter, cela fait un mélange de diverses passions qui font grand mal à la pauvre raison

Je ne lui dis rien du tout de ce que vous me mandez, et vous exhorte toujours tout autant que je puis à passer et à couler le temps pour ne rien faire d'extraordinaire.

Je vous conjure, ma bonne, de me mander pourquoi ce beau chapelet14 vous a tout d'un coup plus incommodée qu'à l'ordinaire, et par quelle impatience vous avez voulu l'envoyer devant vous à Paris. Que vouliez-vous qu'il y devînt sans vous et sans moi ? On a fort bien fait de me l'envoyer U , j'en serai moins longtemps ingrate, car je vous en remercie comme d'un présent digne de la Reine, et que j'avois toujours souhaité quand vous n'en voudriez plus".

Vos terrasses sont bien différentes des extravagantes figures de nos bois17. Si vos promenades étoient à la main comme les nôtres, vous en feriez le même usage : Livry vous le doit persuader ; vous y profitiez si bien de ces beaux jardins qui s'offroient sans cesse à vous, et que vous ne refusiez point. Je comprends le plaisir que vous aurez eu18 de causer avec M. de Vins; il en sait autant, comme vous dites, que ceux qui ne veulent pas

i3. <r Tout cela forme un mélange de diverses passions qui fait grand mal à la pauvre raison. » (Édition de 1754.) — La phrase suivante ne se lit que dans notre manuscrit. � � -

14. Voyez la lettre du 12 juin preceaent, p. 450 et 404.

15. a De me l'envoyer ici. » (Édition de 1704.) — Le membre de phrase qui suit n'est pas dans le texte de 1737.

16. t Et comme l'ayant toujours souhaité pour quand vous n'en voudriez plus. » (Édition de 1754.) — La lettre finit ici dans notre manuscrit, où on lit ensuite ce commencement de phrase: cr Je veux vous faire » qui prouve,ce semble, que Perrin a sauté quelque chose.

17. Voyez la lettre du 12 juin preceaent, p. 400.

18. Il Que vous avez eu. » (Édition de 1754.)

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dire ce qu'ils savent. Son aimable femme m'a écrit une grande lettre toute pleine des amitiés de M. de Pompone et des siennes19. Elle a été voir votre bâtiment, dont elle est satisfaite : je crois qu'il faudra songer à soutenir un peu plus solidement la cheminée de la salle : cela est plaisant que Bruan20 n'y ait pas pensé, et que votre réflexion de Provence l'ait redressé. Cette pauvre de Vins est accablée de procès, et toujours affligée de n'être point à Pompone. Il seroit difficile de trouver dans tout le monde une personne plus sage et plus raisonnable. Elle se défend fort d'apprendre la philosophie, par la seule raison qu'elle n'en a pas le loisir; car elle est bien loin d'estimer l'ignorance. Vous vous vantez d'être Agnès et de ne rien faire21 dans votre cabinet : il me semble pourtant que vous êtes une substance qui pense beaucoup 22; que ce soit du moins d'une couleur à ne vous point noircir l'imagination. J'essaye 23 d'éclaircir mes entre chien et loup autant qu'il m'est possible. Ce que vous dites de Mme de Mouci est admirable ; son étoile est d'être utile à M. de Lavardin; et son étoile à lui, c'est

19. Ce qui suitn'est que dans le texte de 1754; celui de 1737 continue ainsi : « Elle est accablée de procès ï (voyez cinq lignes plus bas).

ao. Voyez la lettre du 13 iuin 1685.

21. Dans l'édition de 1754, il y a simplement : « Vous vous vantez de ne rien faire, etc. » — Ces deux vers de F École des Femmes (acte V, scène iv) expliquent crûment ce que Mme de Grignan devait entendre par c être Agnes : » Croit-on que je me flatte, et qu'enfin, dans ma tête, Je ne juge pas bien que je suis une bête?

aa. a Qui pensez beaucoup. » [Edition de 1754.) — Mme de Sévigné répond à sa fille dans le style de son père Descartes : oc Je connus que j'étois une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser. » Voyez le Discours de la Méthode, au commencement de la quatrième partie.

23. « Pour moi, j'essaye, etc. » (Édition de 1757.)

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que tout se tourne à bien pour le faire riche, comme tout réussit aux élus 24. Je vous envoie une lettre25 de Mme de Lavardin; peut-être qu'elle se trouvera mieux qu'elle ne pense de la société de ces jeunes gens : les choses n'arrivent presque jamais26 comme on se les imagine.

Je vous ai parlé en badinant des frayeurs que me donnoit l'accident de Mme de Saint-Pouanges27 : je ne suis pas pire que j'étois 28; n'est-ce pas assez pour en être honteuse ? j'essaye plutôt de les corriger que de les établir, et je me fais tous les jours29 de nouvelles leçons de la Providence ; mais c'est quelquefois aussi par ces prévoyances qu'on est garanti des malheurs où les autres tombent par leur imprudence, et tout cela seroit des chemins par où s'accomplissent ses ordres30. Enfin vous ne me jetterez point mes livres à la tête; car je ne suis que comme j'étois. J'entends fort bien Ii ces Conversations cartésiennes ; il me semble que je vous entends tous. Il y a un endroit de la Recherche de la vérité, contre lequel Corbinelli a écrit ; on y soutient 32 que Dieu nous donne une impulsion à l'aimer, que nous arrêtons et détournons par notre volontéu. Cela paroît bien rude

24. Voyez ci-dessus, p. 121, note i3, et ajoutez aux endroits de l'Écriture cités dans cette note le chapitre ix de YÉpitre aux Romains.

n fi fi 1 Tn Viillpf n l'Edition, de y7.fi /O

26. « Ouasi jamais. » (Ibidem.)

27, Voyez la lettre du 12 juin précédent, p. 454 et 455. — Dans le texte de 1754 ; « C'est en badinant que je vous ai parlé, etc. »

28. « Pis que j'étois. » (Édition de 1754.)

29. « J'essaye plutôt de m'en corriger que de les établir, et je me fais toujours, etc. » [Ibidem.) -.

3o. Ce dernier membre de phrase a été supprimé dans i édition de 1754*

31. « Je comprends fort bien. » [Édition de 1754.)

3a. « On y dit. » [Ibidem.) -. --- - 1 1 .-,

33. Voyez le chapitre 1 du livre IV de la Recherche de la vente, où Malebranche dit entre autres choses : « Il me paroît incontestable

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qu'un Être très-parfait, et par conséquent tout-puissant, ■ soit ainsi arrêté tout court14 au milieu de sa course. Il y a bien de l'esprit dans ces Conversations ; je mêle cette lecture de mille autres S5; mon cabinet seroit digne de vous; je ne puis le louer davantage.

Adieu, adieu, ma très-chère enfant : j'embrasse toute votre aimable compagnie, et vous très-tendrement et très-cordialement : c'est un mot de ma grand'mère".

827. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSY.

Aux Rochers, le 3e juillet1 1680.

IL faut donc vous dire adieu, mon cher cousin, puisque

que Dieu ne pouvoit vouloir que les volontés qu'il crée aiment davantage un moindre bien qu'un plus grand bien, c'est-à-dire qu'elles aiment davantage ce qui est moins aimable que ce qui est plus aimable : il ne peut créer aucune créature sans la tourner vers lui-même et lui commander de l'aimer plus que toutes choses, quoiqu'il puisse la créer libre et avec la puissance de se détacher et de se détourner de lui. » Et un peu plus loin : « Tous les pécheurs tendent à Dieu par l'impression qu'ils reçoivent de Dieu, quoiqu'ils s'en éloignent par l'erreur et l'égarement de leur esprit. » Voyez aussi les deux premiers entretiens des Conversations chrétiennes.

34. Ces deux mots : tout court, manquent dans le texte de 1754.

35. 1 De cent autres. » (Édition de 1754.)

36. Sainte Chantai. Voyez la Notice, p. 21.

LETTRE 827. — 1. Pour cette lettre et pour la réponse (voyez p. 515), nous avons adopté les dates du manuscrit de la Bibliothèque impériale. Dans l'autre manuscrit, ces lettres sont datées du ier et du 6e février, époque où Mme de Sévigné n'était pas encore en Bretagne : c'est une erreur qui est la conséquence de celle que nous avons signalée plus haut, p. 470, note 1. Le manuscrit qui a les fausses dates fait précéder la première de ces deux lettres de l'introduction suivante : « Quinze jours après que j'eus écrit cette lettre (no 8a3, p. 481), je reçus celle-ci de Mme de Sévigné. »

1680

vous partez le IOC de ce mois1. Ce seroit, comme vous dites, un plaisir à une dame qui auroit besoin d'un prétexte pour revenir à Paris, que cette obligation de venir reprendre le fil de son procès ; mais le nom de veuve emporte avec lui celui de liberté : ainsi je m'afflige avec elle de la longueur de cette chicane.

Je veux me réjouir avec vous de l'espèce de commerce et de liaison que vous conservez avec le Roi. Je crois que vos lettres lui font plaisir; c'est dommage qu'il ne se donne celui de voir et de parler à l'homme du monde qui seroit le plus capable de le divertir, et le plus digne de le louer. Vous y perdez beaucoup; il y perd encore davantage dans le dessein3 qu'il a de faire durer sa gloire autant que l'univers. Votre dernière lettre est fort bonne : vous n'en saurièz faire d'autres.

Vous avez très-sagement fait de ne vouloir point de seconde affaire avec Mme de Montglas. La destinée de son fils est heureuse4 N'admirez-vous point sur qui les fées prennent plaisir de souffler? Montglas le père meurt ruiné, et vous verrez son fils dans trois ans un des plus riches seigneurs de la cour6

2. Bussy quitta en effet Paris le 10 juillet pour se rendre à Bussy, où il arriva le 21, après avoir passé par Laon, Notre-Dame-deLiesse, Reims, Châlons, Arcy-sur-Aube, Bar-sur-Seine et Châtillon.

— Le premier alinéa de la lettre ne se trouve que dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale.

3. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale porte : a dans le désir; » à la ligne suivante : « est fort bien : vous ne sauriez écrire autrement. »

4. Voyez ci-dessus, p. 272, note 21, p. 482 et p. 490.

5. « prennent plaisir de souffler? Vous le verrez dans trois ans un des plus riches seigneurs de la cour. » (Manuscrit de la Bibliothèque impériale.) — Ce manuscrit donne, à la ligne suivante : « un joli voyage, D au lieu de : « une jolie promenade; » trois lignes plus loin : « et de toute la vivacité de sa conversation ; » à la fin de l'alinéa : « de cette jolie partie. »

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Vous avez fait une jolie promenade à Versailles. Notre ami Corbinelli m'en a fait le récit, le plus plaisamment du monde : de sa jalousie, de l'agrément de sa maîtresse et de la vivacité de sa conversation. C'est tout ce que je pouvois espérer de mieux,. n'ayant pu être de cette agréable partie.

Adieu donc, mon cher cousin; adieu, l'aimable veuve : nous nous écrirons de nos provinces, sans appeler les nouvelles publiques à notre secours.

828. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, ce dimanche 78 juillet.

LE petit Coulanges s'en va à Lyon avec sa femme, et de là à Grignan : il me promet de me faire i une description exacte de toute votre personne. Il m'écrit une fort plaisante lettre de la vie triste2, réglée et saine de Bourbon, dont il a pensé mourir; il tâche un peu de s'en remettre à Paris par les veilles, les ragoûts et les indigestions qu'il cherche avec soin : il est étonné d'avoir pu résister à l'exactitude de cette vie ; du reste, le pauvre petit homme a est assez chagrin; il vous en contera beaucoup. Je ne vous conseille point de jouer avec lui qu'un jeu ordinairement médiocre4. Je vous envoie en original un morceau de la lettre de sa femme ; il me semble que ce

LETTRE 828 (revue en grande partie sur une ancienne copie). —

1. a II me promet de faire, etc. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

2. 0 II m'écrit fort plaisamment sur la vie triste, etc. » (Ibidem.')

3. « Le petit homme. » (Édition de 1737.) \,

4. Cette phrase ne se lit que dans notre manuscrit, où le copiste s mis par erreur : « Je ne vous en conseille. »

1680

- qu'elle mande est curieux. Je vous prie qu'elle ne sache point que je vous envoie ses lettres ; elle vous en écriroit autant, mais on n'aime point que cela tourne5. Il y a longtemps que je vous aurois repris cette humeur de retraite si admirable, si j'avois été à Paris ; cependant on m'en dit trop pour ne pas vous faire voir au moins que j'ai changé de sentiments 8 comme vous. Il est certain qu'il falloit jeter des vivres dans cette place, qui ne pouvoit plus subsister. L'amie de mon amie7 est la machine qui conduit tout. Mais croyoit-elle qu'on pùt toujours ignorer le premier tome de sa vie8? et à moins que de l'avoir conté avec malice, quel mal cela lui a-t-il fait 1 ?

Vous verrez pourtant cette lettre. Celle de la Troche m'assure que la tiédeur est extrême pour celle qui va quatre pas derrière", dont elle est inconsolable; la jalousie de celle qui va quatre pas devant" est plus vive sur la confiance et l'amitié i2 qu'on a pour l'autre", que

5. Toute la fin de l'alinéa, à partir d'ici, manque dans le texte de 1737, qui reprend ainsi : « Que dites-vous (sans mais). »

6. « De sentiment. » (Edition de 1754.)

7. Mme de Main tenon. .,

8. On lit au tome II (p. 182) de la Correspondance de Madame, qui était, comme l'on sait, fort injuste pour Mme de Maintenon : « Quand même la Dauphine eût eu quelque petit reproche à se faire, ce n'était point à la vieille à y trouver à redire ; car qui a mené une vie plus légère qu'elle ? En public et en face, elle ne m'a de ma vie rien dit de désagréable; car elle savait bien que je lui aurais vertement répondu, car je connaissais toute sa vie. Villarceaux m'en a plus raconté que je n'aurais dû en savoir, s

9. « Et quel sujet auroit-elle de se plaindre, à moins qu'on ne l'eût conté avec malice ? » (Éditiun de 1754.)

10. Mme de Fontanges : voyez ci-dessus, p. 347- — Le petit membre de phrase : « dont elle est inconsolable, » ne se lit que dans notre manuscrit.

II. Mme de Montespan : vo-vez aussi p. 347.

12. « Et sur l'amitié. » (Édition de 1764.) -.

i3. Mme de Maintenon.

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pour cet éclair14 de passion, qui fait voir un mérite et un esprit fort médiocre : on triompheroit de cella; mais sur l'esprit, la conversation, il faut mourir de chagrin ; on a beaucoup de rudesse pour elle.

Mais que dites-vous de ce mariage de la princesse de Conti, sur qui toutes les fées avoient soufflé ? J'ai vu ma voisine", je ne lui donnerai point d'autre titre. Elle me fit beaucoup d'amitié u, et me montra d'abord votre lettre ; elle entend fort bien un petit endroit où vous parlez de son cœur, comme si vous l'aviez vu : elle dit qu'elle est venue ici pour vous faire réponse. Sa fille est transportée de joie ; elle est en Allemagne, ravie d'avoir quitté le Danemark, charmée de son mari, de ses richesses17

Elle s'est un peu précipitée de se marier devant les signatures de toute sa famille : sa mère est en colère", mais je me moque d'elle. Elle m'a conté" qu'on avoit choisi un homme de la cour20, pour danser avec la bru21.

Cet homme de la cour dansoit si bien, on le trouvoit si bien fait, on en parloit si souvent, il étoit habillé de couleurs si convenables, qu'un jour le père dit en le rencontrant : « Je pense que vous voulez donner de la jalousie à mon fils, je ne vous le conseille pas. » C'en est assez, on ne danse plus : il y a mille bagatelles encore qu'on

14. Au lieu d'éclair, notre manuscrit porte éclat.

15. Mme la princesse de Tarente étoit de retour à Vitré, où elle résidoit ordinairement. Les Rochers ne sont qu'à une lieue de Vitré.

(Note de Perrin, 1754.)

16. a Beaucoup d'amitiés. 3 (Éditions de 1737 et de 1754.)

17. a De son mari et de ses richesses. (ibidem.)

18. 1 Avant les signatures de toute sa famille : la mère en est en colère. » (Ibidem.)

19. a Au reste, elle m'a conté. » (Ibidem.)

20. Le duc, depuis maréchal de Villeroi. Voyez la lettre du 28 juillet suivant.

21. La Dauphine.

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ne peut écrire. Pour sa nièce22, elle en parle fort plaisamment : elle a une violente inclination pour le frère aîné de son époux, elle ne sait ce que c'est : la tante le sait bien; nous rîmes de ce mal qu'elle ne connoît point du tout, et qu'elle a d'une manière si violente". C'est un patron rude , qui se tourne selon son caractère; c'est la fièvre qu'elle a, comme quand le petit de la Fayette disoit qu'il étoit tout je ne sais comment, et faisoit des visites; c'est qu'il avoit un accès furieux. Elle n'a de sentiment de joie ou de chagrin que par rapport à la manière dont elle est bien ou mal en ce lieu-là24 : elle se soucie peu de ce qui se passe chez elle, et s'en sert pour avoir du commerce, et pour se plaindre à cet aîné25 Je ne vous puis dire combien cette voisine conta tout cela d'original 28 , et conndemment, et plaisamment.

On parle de la guerre ; voilà ce qui me déplaît. Monsieur le Prince va à Lille; il ne marche pas pour rien.

On croit pourtant que le Roi ne sera pas plus tôt en chemin, que le roi d'Espagne abandonnera la qualité de duc de Bourgogne27, et que tout fléchira le genou. Voilà bien des choses, ma pauvre enfant, dont nous n'avons que faire; mais on cause. Ce n'est point le livre de la

22. Feu Madame (Elisabeth-Charlotte, palatine du Rhin). (Note de Perrin.) — Dans les deux éditions de Perrin : « Cette voisine parle fort plaisamment de sa nièce, qui a. et ne sait, etc. »

a3. « Et qu'elle sent d'une manière si violente. » (Édition de 1737.) — « Et qui se fait sentir si vivement. » [Édition de 1754.) - Le commencement de la phrase suivante n'est pas dans le texte de 1737, qui reprend à : « c'est la fièvre. »

24. « Dans ce lieu-là. » (Éditions de 1737 et de 1754.) - - -

25. La princesse de Tarente croyait que Madame aimait le Roi.

Voyez la lettre du 28 juillet suivant, p. 553.

26. Condé partit de Paris le 28 juillet et arriva à Lille le 31. Voyez la Gazette des 3 et 10 août.

27. Cette prétention venait de ce que Marie de Bourgogne avait épousé Maximilien d'Autriche. (Note de l'édition de 1818.)

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Recherche de la vérité que je lis : bon Dieu ! je ne l'entendrois pas; ce sont des petites Conversations28 qui en sont tirées, et qui sont expliquées 211. Je suis toujours choquée de cette impulsion que nous arrêtons tout court; mais si le P. Malebranche a besoin de cette liberté de choix qu'il nous donne, comme à Adam, pour justifier la justice de Dieu envers les adultes, que fera-t-il pour les petits enfants? Il faudra en revenir à Yaltitudo80

J'aimerois autant m'en servir pour tout, comme saint Thomas, qui ne marchande point". Je ne vous dirai donc rien, sinon que je suis à vous comme en mille.

N'avez-vous pas d'extrêmes chaleurs? N'est-ce pas dans le cabinet de mon appartement que vous êtes couchée sur le petit lit ? Votre cabinet grand et petit est, ce me semble, d'une chaleur extrême. Ne trompez point mon imagination; et que je sache d'abord où vous prendre sans vous aller chercher où vous n'êtes pas.

Vos beaux-frères sont en bon chemin, je sens tous les jours cette joie. Je crois que vous aurez bientôt les évêques; l'assemblée du clergé est finie32 On sacrera Mon-

28. Dans les deux éditions de Perrin : « de petites Conversations. s

29. a Et qui sont très-bien expliquées. » (Édition de 1754.)

3o. « Il faudra revenir à Yaltitudo. » (Éditions de 1737 et de 1754.) — Voyez tome V, p. 2i5, note 3.

3i. « J'aimerois mieux m'en servir pour tout, comme saint Thomas, ma basta. D (Édition de 1754.) — La petite phrase qui termine cet alinéa, et tout l'alinéa suivant, ne se lisent pas ailleurs que dans notre manuscrit, qui n'a pas la suite de la lettre. — Le texte de 1737 reprend seulement à : « L'assemblée du clergé est finie. »

32. Elle fut close le 10 juillet. Le coadjuteur d'Arles y avait été député par sa province et en fut nommé second président (Je premier était l'archevêque de Paris ) ; il prononça la harangue de clôture : voyez la lettre du 31 juillet suivant. L'abbé de Grignan, évéque nommé d'Évreux, ancien agent du clergé, avait été élu secrétaire de l'assemblée.

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sieur d'Évreux à Arles, du moins il le disoit ainsi. Le chevalier m'a fait une fort honnête réponse. Mlle de Méri dit que je lui ai écrit fort sèchement ; c'est peutêtre en elle qu'est la sécheresse, comme la piqûre n'est pas dans l'épine u. Je viens de lui écrire encore un petit billet pour l'assurer que je ne suis point sèche, et qu'il eùt été plus sec de ne se pas soucier de ses plaintes, que de lui vouloir ôter bonnement ces impressions.

Nous mourons de chaud : je crains vos tonnerres, ils sont plus éclatants que les nôtres; je songe à votre petite fille qui en fut brûlée ; il y en eut une aussi à Livry.

A propos de Livry, on y étoit, l'année passée, assassiné de chenilles ; celle-ci, ce sont des voleurs qui assassinent les passants dans la forêt". Le P. Païen fut volé l'autre jour, et battu outrageusement à la tête"; on ne croit pas qu'il en réchappe. Si je vous revoyois encore une fois aux Rochers, il me semble que le goût que je vous connois pour la solitude vous feroit aimer les deux cellules admirables que j'ai faites dans ces bois87. Le bon abbé fait bâtir, sans oser élever son bâtiment, pour des raisons solides; mais enfin il a de toutes sortes d'ouvriers. Mon fils a eu un accès de fièvre ; il espère qu'elle sera, comme l'année passée, dans la règle des vingt-

33. « Que je lui ai écrit sèchement. » (Édition de 1754.) -

34. <5 Dès que l'on nous pique, nous sentons delà douleur. Cette douleur ne sort point de l'épine qui nous pique. » ( Conversations chrétiennes, Ier Entretien, édition de 1702, p. 34.) — Le commencement de l'alinéa suivant n'est pas dans le texte de 1737, qui reprend ainsi : « Nous étions l'année passée assassinés de chenilles à Livry ; celle-ci, etc. s

35. La forêt deBondy.

36. Les mots à la tête ne sont pas dans le texte de 1754. Celui de 1737 s'arrête encore après les mots : CI qu'il en réchappe, » et reprend ainsi : « On me mande que mon fils est incessamment. » (p. 515).

37. Voyez la lettre du 21 juin précédent, p. 472.

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quatre heures. On me mande qu'il est incessamment38

avec la duchesse de V. 89. Vous savez comme on aime cette conduite en ce pays-là, et combien elle est ridiculisée. Ce qui est de vrai, c'est qu'il 40 n'aime point du tout la duchesse, et que c'est pour rien qu'il prend un air si nuisible.

J'embrasse M. de Grignan et Mlles de Grignan, que j'aime et honore ; je suis ravie de savoir qu'elles me conservent dans leur souvenir. Je baise lés petits marmots; et pour vous, ma fille, que vous dirai-je ? car voilà toutes les paroles employées; c'est que les sentiments que j'ai pour vous sont beaucoup au-dessus41 : il me semble que vous le savez.

829. - DU COMTE DE BUSSY RABUTIN A MADAME DE SÉVIGNÉ.

Le lendemain que j'eus reçu cette lettre (no 827, p. 507), j'y fis cette réponse.

A Paris, ce 8e juillet 1680.

J'AI été ravi de recevoir encore une de vos lettres, Madame, avant que de partir de ce pays-ci. Comme ce ne sont pas des jouissances que demande à son beaupère votre nièce de Coligny, elle n'a point d'impatience du jugement de son affaire : un arrêt lui sera aussi bon dans un an qu'aujourd'hui1.

38. « Qu'il est toujours. » (Édition de 1754.)

3g. Voyez ci-dessus, p. 476 et 488.

40. « C'est que votre frère. » (Édition de 1754.)

41. et Sont au-dessus. » (Ibidem.) LETTRE 829. — 1. Ce premier alinéa ne se trouve que dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale, où l'alinéa suivant est ainsi modifié: «Dans le besoin que j'ai pendant mon exil d'avoir commerce de lettres avec mes amis, j'aime autant. qu'avec d'autres, et je serai même content de n'avoir pas régulièrement réponse de lui, etc. »

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Dans le besoin que j'ai d'avoir commerce de lettres avec mes amis pendant mon exil, j'aime autant l'entretenir avec le Roi qu'avec d'autres. Je serai même content de n'avoir pas régulièrement des réponses de lui, pourvu qu il donne quelque chose à mes enfants entre ci et un ou deux ans.

Mme de Montglas a reçu mes honnêtetés avec la joie et ta reconnoissance qu'elles méritoient, et m'a fait dire qu'elle n'aura pas de repos qu'elle ne m'ait satisfait. Je serai agréablement surpris si cela arrive, car je ne m'y attends pas. L'alliance de M. Colbert n'avancera guère Chiverni, à mon avis2 : ce ministre n'emploie son crédit que pour lui, ou tout au plus pour ses enfants.

Le cardinal d'Estrées s'en va à Rome pour apaiser le pape sur la régale a Le Roi partira de Saint-Germain pour son voyage de Flandre le 13e de ce mois; on dit que Monseigneur4 sera le général des troupes de ce pays-là, et Monsieur le Prince son lieutenant général. Monsieur, dit-on, demeure à Saint-Clauïl6 : on dit qu'il y a eu quel-

2. Voyez ci-dessus, p. 272, note 21.

3. Voyez ci-dessus, p. 497, note 44. — 9 Sur le bruit qu'il a fait de la régale. » (Manuscrit de la Bibliothèque impériale.) — Le manuscrit que nous suivons habituellement continue ainsi : « On parle du voyage de Flandre pour le Roi en juillet; on dit.» Les changements de dates faits par Bussy à cette lettre et à celle du 3 juillet précédent (p. 5oy) rendaient cette correction nécessaire. — Le Roi partit de Saint-Germain le 13 juillet, avec la Reine, le Dauphin et la Dauphine. Voyez la Gazette du 20.

4. Dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale : « que Monsieur le Dauphin ; » à l'alinéa suivant : « en la place, » au lieu de : « à la place; » deux lignes après : « avec sa cousine d'Estrées. ; sa fille et elle, etc. ; » un peu plus loin : « Quand la maréchale est à Paris ; » quatre lignes plus bas : a que c'est une maison ruinée. »

5. C'était un faux bruit : Monsieur et Madame partirent le 20 juillet (voyez la Gazette de ce jour), pour aller rejoindre le Roi.

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que aigreur entre le Roi et lui, où Madame la Dauphineet Mme de Maintenon sont mêlées.

Monsieur de Beauvais va en Pologne Il à la place du marquis de Béthune, que l'on en retire.

Les affaires de Mme de Bussy avec sa cousine la duchesse d'Estrées7 vont le mieux du monde; sa fille de Rabutin8 et elle se la renvoient tour à tour. Quand la duchesse est à Paris, la Rabutine avance l'estimation des biens de Manicamp en Picardie ; et quand elle court en ce pays-là, Mme de Bussy obtient des arrêts contre elle à la grand'chambre. Tout le monde commence à connoître que la maison de Manicamp est une maison ruinée par le partage de Mme de Bussy, et par les créanciers.

Adieu, ma chère cousine : ne m'écrivez plus avant le 25e de ce mois, car je ne serai à Bussy que dans ce tempslà9. Mme de Coligny vous embrasse de tout son cœur.

6. L'évêché de Beauvais étant venu à vaquer, le 21 juillet 1679, par la mort de Choart de Buzanval, Toussaint de Forbin Janson, évêque de Marseille, y avait été transféré. — On lit dans la Gazette du 6 juillet : « Sa Majesté a nommé l'évêque comte de Beauvais et le marquis de Vitry pour ses ambassadeurs extraordinaires en Pologne. » -Sur lemarauis de Béthune. voveztorae II. D. 6â. note a.

7. Une demande en partage de biens de Philippe de Longueval et d'Elisabeth de Thou, sa femme, aïeuls maternels de la comtesse de Bussy, était dirigée contre Gabrielle de Longueval, veuve du maréchal d'Estrées, contre Bernard de Longueval, seigneur de Manicamp, et contre Françoise de Longueval, chanoinesse de Remiremont, enfants d'Achille de Longueval. Un arrêt du 3o.mai 1686 décida toutes les questions contestées, d'une manière favorable à la comtesse de Bussy; mais le partage ne fut consommé que par un arrêt du 31 janvier 1689. (Note de l'édition de 1818.)

8. Marie-Thérèse de Rabutin, qui épousa par la suite le marquis de Montataire. Elle était du second lit. (Note de l'édition de 1818.)

9. Il y arriva le 21 : voyez plus haut, p. 5o8, note 2. — Les deux membres de phrase : a ne m'écrivez plus. car je ne serai, etc., » ne se trouvent que dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale.

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83o. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi IOe juillet.

JE n'avois point encore tâté du dégoût et du chagrin de n'avoir point de vos lettres; j'admirois comme depuis mon départ je n'avois passé aucun ordinaire sans en avoir ; cette douceur me paroissoit bien grande, je la sentois, et j'en parlois souvent : mais j'en suis encore plus persuadée que jamais par le chagrin que cette privation me fait souffrir. Le bon du But, qui prend plaisir et qui se vante tous les jours de poste de me donner cette joie, ne m'a point écrit du tout, n'osant faire son paquet sans ces nouvelles de Provence si nécessaires à mon repos. Je n'ai donc reçu que des lettres de traverse ; il faut, ma chère enfant, que votre poste de Lyon ne m'en ait point apporté, car j'ai un commis fort soigneux, et du But, qui ne l'est pas moins. Je tâche à me faire entendre ce que je vous disois en pareille occasion ; je sais tout ce qui peut causer ce retardement : je compte que j'aurai vendredi deux de vos paquets ensemble ; mais ce vendredi est longtemps à venir : depuis le lundi matin jusqu'au vendredi, ce sont cinq jours d'une excessive langueur ; et vous savez mieux que personne comme on est peu maîtresse de ses craintes et de ses imaginations; elles ont ici toute leur étendue ; rien ne brouille, ni ne démêle ces émotions : on ne peut s'amuser à envoyer savoir chez tous ceux qui sont dans votre commerce s'ils ont reçu leurs lettres ; on pense à la grande chaleur du pays où vous êtes, à la fièvre qui peut survenir dans le moment qu'on y pense le moins; enfin, ma chère belle, on a beaucoup de peine à gouverner son imagination; et le moyen de se mettre au-dessus de cette sorte de peine?

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Mme la princesse de Tarente fut ici lundi toute l'après- ■ dinée : elle m'avoit fait une collation en viande ; je lui rendis; c'est une sotte mode : c'est la longueur des jours qui nous jette dans cet embarras ; je pense que cela ne durera pas. Elle me conta cent choses de sa fille, et de toutes les parties du monde; mais ce sera pour une autre fois, je ne saurois tant discourir aujourd'hui : je suis fâchée de n'avoir point de lettres de ma fille. Le bon abbé vous assure de ses services, et se porte très-bien.

Pour moi, ma petite, dès que j'aurai de vos nouvelles, je me porterai parfaitement bien ; je n'ai aucun mal que celui de n'avoir point de vos lettres ; mais je le trouve bien grand : j'espère qu'en recevant ceci vous vous moquerez de moi, comme je prends quelquefois la liberté de me moquer de vous ; il faut nous excuser à la pareille, ma chère enfant, et souffrir cette peine attachée à notre amitié.

831. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, ce dimanche 14e juillet.

ENFIN, ma fille, j'ai reçu vos deux lettres à la fois1; ne m'accoutumerai-je jamais à ces petites manières de peindre de la poste? et faudra-t-il que je sois toujours gourmandée par mon imagination ? La pensée du moment où je saurai le oui ou le non d'avoir ou de n'avoir pas de vos nouvelles, me donne une émotion dont je ne suis point du tout la maîtresse ; ma pauvre machine en

LETTRE 831 (revue en grande partie sur urne ancienne copie).

— i. a J'ai reçu enfin vos deux lettres à la fois. a (Édition de 1754.)

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est tout ébranlée ; et puis je me moque de moi2. C'étoit la poste de Bretagne qui s'étoit fourvoyée pour le paquet de du But uniquement; car j'avois reçu toutes les lettres dont je ne me soucie point. Voilà un trop grand article : ce même fond me fait craindre mon ombre toutes les fois que votre amitié est cachée sous votre tempérament ; c'est la poste qui n'est pas arrivée : je me trouble, je m'inquiète, et puis j'en ris, voyant bien que j'ai eu tort. M. de Grignan, qui est l'exemple de la tranquillité qui vous plaît, seroit fort bon à suivre, si nos esprits avoient le même cours, et que nous fussions jumeaux.

Mais il me semble que je me suis déjà corrigée de ces sottes vivacités ; et je suis persuadée que j'avancerai encore dans ce chemin où vous me conduisez, en me persuadant bien fortement8 que le fond de votre amitié pour moi est invariable. Je souhaite de mettre en œuvre toutes les résolutions que j'ai prises sur mes réflexions; je deviendrai 4 parfaite sur la fin de ma vie. Ce qui me console du passé, ma très-chère, c'est que vous en voyez aussi le fond : un cœur trop sensible6, un tempérament trop vif, et une sagesse fort médiocre. Vous me jetez tant de louanges au travers de toutes mes imperfectionse, que c'est bien moi qui ne sais qu'en faire; je voudrois qu'elles fussent vraies et prises ailleurs que dans votre amitié. Enfin, ma chère enfant, il faut se souffrir; et l'on peut quasi toujours dire, en comparaison de l'éternité : Vous n'avez plus guère à souffrir,

2. Ce qui suit, jusqu'à : ace même fond, etc., » manque dans le texte de 1737.

3. « En m'assurant, comme vous faites. t (Édition de 1754.)

4. II Si je réussis a mettre en œuvre toutes mes résolutions , je deviendrai, etc. » (ibidem.) ,

5. « C'est que vous devez me connoitre un cœur trop sensIble. »

(Ibidem.)

6. a Au travers de mes imperfections. » (Ihidem.)

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comme dit la chanson. Je suis effrayée comme la vie passe' : depuis lundi j'ai trouvé les jours infinis à cause de cette folie de lettres ; je regardois ma pendule, et premwis plaisir à penser : voilà comme on est quand on souhaite que cette aiguille marche ; et cependant elle tourne sans qu'on la voie, et tout arrive à la ifn8.

J'ai reçu un dernier billet de Mlle de Méri, tout plein de bonne amitié; elle me fait une pitié étrange de sa méchante santé9 ; elle a bien vu qu'elle n'avoit pas toute la raison, c'est assez. Je ne comprends pas que mes lettres puissent divertir ce Grignan, où il trouve10 si souvent des chapitres d'affaires, des réflexions tristes, des réflexions sur la dépense11 : que fait-il de tout cela? il faut qu'il saute par-dessus12 pour trouver un endroit qui lui plaise : cela s'appelle des landes en ce pays-ci ; il y en a beaucoup dans mes lettres avant que de trouver la prairie U Vous avez ri de cette personne blessée dans le service14 ; elle l'est à un point qu'on la croit invalide.

Elle ne fait point le voyage, et s'en va dans notre voisinage de Livry bien tristement16. A propos, le bon Païen

7. « Je suis effrayée de voir comme la vie passe. » (Édition de 1754.)

8. « Et tout arrive. » (Ibidem.)

g. a De sa mauvaise santé. D (Ihidem.)

io. « puissent divertir ce Grignan : il y trouve, etc. » (Éditions de 1737 et de 1754.) Cette phrase est la première de la lettre qui soit dans notre manuscrit.

11. Ces mots : « des réflexions sur la dépense, » ne se trouvent que dans notre manuscrit.

19. « Il est obligé de sauter Dar-dessus. J) (Édition de 1754.1

i3. Est-ce une allusion à la jolie lettre de la prairie ? Voyez la lettre du 22 juillet 1671. tome II, p. 201.

14. Mlle de Fontanges. — Dans l'édition de 1754 : « elle l'est au point, etc. »

15. A l'abbaye de Chelles. Voyez xi-dessus, p. 347, note l, et plus bas, p. 534, note 3o. — Dans l'édition de 1754 : « Et s'en -va bien tristement dans notre voisinage de Livry. »

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est mort des blessures que lui firent ses voleurs". Nous avions toujours cru que c'étoit une illusion; quoi? dans cette forêt si belle, si traitable, où nous nous promenons si familièrement avec un petit bâton et Louiseia" !

Voilà pourtant qui doit nous la faire respecter : nous trouvions plaidant qu'elle fût la terreur des Champenois et des Lorrains"

On me mande qu'il y a quelque chose 19 entre le Roi et Monsieur ; que Madame la Dauphine et Mme de Maintenon y sont mêlées ; mais qu'on ne sait encore ce que c'est. Là-dessus je fais l'entendue dans ces bois, et je trouve plaisant20 que cette nouvelle me soit venue tout droit, et que je l'aie envoyée21 : ne l'avez-vous point sue d'ailleurs ? Mme de Coulanges vous écrira volontiers tout ce qu'elle saura ; mais elle ne sera pas si bien instruite.

Monsieur le Prince va au voyage; et cette petite princesse de Conti 22, qui est méchante comme un petit aspic pour son mari, demeure à Chantilly auprès de Madame la Duchesse21 : cette école est excellente, et l'esprit de Mme de Langeron doit avoir l'honneur de ce changement".

16. Voyez la lettre du 7 juillet, p. 5i4-

17. Ces derniers mots : « avec. Louison, » ne se trouvent que dans notre manuscrit.

18. Ce membre de phrase : « nous trouvions, etc., D n'est pas dans le texte de 1754.

- 1 , 7 .,.. 1

19. a Qu il y a eu quelque chose. D (Editions de 1707 et de 17340

20. « Et i'admire. » (Édition de 1737.)

ai. a Et que je vous l'aie envoyée. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

22. « Monsieur le Prince est du voyage, et cette jeune princesse de Conti (dans Védition de 1737: princesse de ***). » (Ihidem.)Nous avons dit plus haut (p. 512, note 26) que le prince de Condé partit de Paris le 28 juillet.

23. Anne de Bavière. (Note de Perrin.)

24. Notre manuscrit n'a pas l'alinéa qui suit; il ajoute ici ces deux mots avec des points : a Je ne. » H est à craindre que Perrin n'ait encore omis quelque chose.

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Vous aurez bientôt vos deux prélats et le petit Coulanges, qui veut aller à Rome avec le cardinal d'Estrées.

Vous êtes une si bonne compagnie à Grignan, vous y avez une si bonne chère, une si bonne musique , un si bon petit cabinet, que, dans cette belle saison, ce n'est pas une solitude, c'est une république fort agréable; mais je n'y puis comprendre la bise et les horreurs de l'hiver.

Vous me dites des merveilles de votre santé, c'est-à-dire que vous êtes belle ; car votre beauté et votre santé tiennent ensemble. Je suis trop loin pour entrer dans un plus grano détail ; mais je ne puis manquer en vous conjurant de ne point abuser de cette santé, qui est toujours bien délicate26. Montgobert ne me mande point qu'elle soit mal avec vous : elle me conte la jolie vie que vous faites, et me dit des folies sur ce chapelet; mes filles ont été ravies de votre approbation ; elles trembloient de peur ; mais voyant que vous êtes fort aise qu'elles se moquent de moi26 : « Bon, bon, dit Marie, nous allons "bien tromper Madame. » Il est vrai que jamais il n'y eut une telle sottise. Vous pouvez croire, après cela , que si quelqu'un entreprenoit de me prouver que vous n'êtes point ma fille, il ne seroit pas trop impossible de me le persuader.

Vous lisez donc saint Paul et saint Augustin ; voilà les bons ouvriers pour établir la souveraine volonté de Dieu.

Ils ne marchandent point à dire que Dieu dispose de ses créatures 27, comme le potier : il en choisit, il en rejette.

Ils ne sont point en peine de faire des compliments pour sauver sa justice ; car il n'y a point d'autre justice que sa volonté : c'est la justice même; c'est la règle

25. La fin de l'alinéa, à partir d'ici, a été donnée pour la première fois par Perrin dans sa seconde édition (1754).

26. Vovez la lettre du 21 iuin précédent. D. 473 et 474.

27. « Des créatures. » (Édition de 1737.) — Voyez YÉpitre de saint Paul aux Romains, chapitre ix, versets 20 et 21.

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même 28; et après tout, que doit-il aux hommes? que leur appartient-il? rien du tout. Il leur fait donc justice, quand il les laisse à cause du péché originel, qui est le fondement de tout, et il fait miséricorde au petit nombre de ceux qu'il sauve par son fils. Jésus-Christ le dit luimême : « Je connois mes brebis, je les mènerai paître moi-même, je n'en perdrai aucune; je les connois, elles me connoissent29. Je vous ai choisis, dit-il à ses apôtres, ce n'est pas vous qui m'avez choisi80. » Je trouve mille passages sur ce ton, je les entends tous ; et quand je vois le contraire, je dis : c'est qu'ils ont voulu parler communément; c'est comme quand on dit que Dieu s'est repenti, qu il est en furie; c'est qu'ils parlent aux hommes 81, et je me tiens à cette première et grande vérité, qui est toute divine, qui me représente Dieu comme Dieu, comme un maître, comme un souverain créateur et auteur de l'univers, et comme un être très-parfait, comme dit votre père 32. Voilà mes petites pensées respectueuses, dont je ne tire point de conséquences 38 ridicules, et qui ne m'ôtent point l'espérance d'être du nombre choisi, après tant de grâces qui sont des préjugés et des fondements de cette confiance. Je hais mortellement à vous parler de tout cela; pourquoi m'en parlez-vous ? ma plume va comme une étourdie.

Je vous envoie la lettre du pape ; seroit-il possible que

28. « C'est la règle. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

29. Evangile de saint Jean, chapitre x, verset 14.

3o. Evangile de saint Jean, chapitre xv, verset 16.

31. Ce membre de phrase n'est pas dans notre manuscrit, mais il est dans les deux éditions de Perrin.

32. Descartes : voyez la IVe partie du Discours de la Méthode. —

Dans le texte de 1737 : « et comme un être enfin très-parfait, selon la définition de votre père. » Dans celui de 1754 : « et comme un être enfin très-parfait, selon la réflexion de votre père. »

33. « Des conséquences. » (Édition de 1737.)

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vous ne l'eussiez point? Je le voudrois. Vous verrez un étrange pape ; comment ? il parle en maître; vous diriez qu'il est le père des chrétiens Il ne tremble point, il ne flatte point, il menace; il semble qu'il veuille sousentendre 35 quelque blàme contre Monsieur de Paris86.

Voilà un homme étrange; est-ce ainsi qu'il prétend se raccommoder avec les jésuites" P et après avoir con-

34. « Diriez-vous qu'il fût le père des chrétiens? » (Édition de 1737.)— a Il parle en maître plutôt qu'en père des chrétiens.» (Édition de 1754.)

35. « On croit voir qu'il sous-entend. » (Édition de 1754.)

36. Voici quelques passages de cette lettre du pape, datée du 28 décembre 1679 dans les deux anciennes impressions que nous en avons vues (le texte et une traduction, au Recueil Thoisy de la Bibliothèque impériale, volume intitulé Régale) : « Il se trouve en cette occasion dans votre royaume des évêques nos frères pleins de générosité et de zèle pour la loi de Dieu et pour la liberté de l'Église, et il s'en trouveroit bien plus grand nombre qui défendroient leurs intérêts devant Votre Majesté avec la même constance et le même esprit, dans une cause si importante non-seulement à l'Église de France, mais encore à l'Église universelle ; mais ils se tiennent dans le silence, par une crainte excusable à leur avis et vaine à notre jugement, et même injurieuse à votre équité et à votre grandeur d'âme (plus exactement : « metu.

non solum episcopali officw, sed etiam magnanimitati œquitatique injurioso » ), attendant que notre humilité obtienne de l'obéissance que vous rendez au saint-siège l'établissement des droits de leurs Églises, qu'ils n'osent eux-mêmes demander à votre justice royale.

Reconnoissez donc dans nos lettres la juste douleur et les prières de tous ces évêques, etc. D (p. 3 et 4). Un peu plus haut (p, 2), conjurant le Roi de l'écouter plutôt que a ces enfants sans foi qui n'ont que des affections terrestres » (« filios diffidentiæ qui terrena tantum sapiunt » ), il lui dit : « Si ces conseillers vouloient répondre aux engagements de leur dignité, leur charge, et la bonté singulière dont vous les honorez, ils devroient imiter l'intégrité et la fidélité de ceux qui étant dans le rang où ils sont, ainsi que l'histoire et les mémoires du clergé de France en font foi, ont pris autrefois la liberté, dans une semblable occasion, d'avertir les rois vos prédécesseurs qu'ils devoient se souvenir de ce ml 'il!'! avnîpnt nromis à Dipll rlairc Ihiit- eawp pto n

- - -- --:1---- ------- r- - ---- --- .--. ---- - ) ---. 37. Les mots : « Voilà un homme étrange, » ne sont pas dans l'édition de 1754, et celle de 1737 n'a pas : « avec les jésuites. »

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damné soixante-cinq propositions, ne devoit-il pas filer plus doux.38 ? J'ai encore dans la tête le pape Sixte"; je voudrois bien que quelque jour vous voulussiez lire cette vie; je crois qu'elle vous arrêteroit.

Je lis V Arianismeh*, je n'en aime ni l'auteur, ni le style-; mais l'histoire est admirable : c'est celle de tout l'univers; elle tient à tout; elle a des ressorts qui font agir toutes les puissances. L'esprit d'Arius est une chose surprenante, et de voir cette hérésie s'étendre par tout le monde ; quasi tous les évêques en étoient ; le seul saint Athanase soutient la divinité de Jésus-Christ 4i. Ces grands événements sont dignes d'admiration. Quand je veux nourrir mon esprit et ma pauvre âme42, j'entre dans mon cabinet, et j'écoute nos frères, et leur belle morale , qui nous fait si bien connoître notre pauvre cœur.

Je me promène beaucoup, je me sers fort souvent de mes petits cabinets43 ; rien n'est si nécessaire en ce pays, il y pleut44 continuellement : je ne sais comme nous fai-

38. « Et ne devoit-il pas filer plus doux, après avoir, etc. » (Édition de 1754.) — En 1679, sur les exhortations de Bossuet, Innocent XI avait condamné soixante-cinq propositions des nouveaux casuistes. Voyez l'Histoire de Bossuet par le cardinal de Bausset, livre VI, chapitre xxiv.

3g. Sixte-Quint. Sa Vie fut écrite par Grogorio Leti, qui la publia à Lausanne en 1669 ; elle fut traduite par Lepelletier en 1685.

40. Histoire de FArianisme depuis sa naissance jusqu'à sa fin, avec l'origine et le progrès de l'hérésie des Sociniens, par L. Maimbourg. Achevé d'imprimer pour la première fois le 10 novembre 1672.

41. « Quasi tous les évéques embrassent l'erreur, et saint Athanase soutient seul la divinité de Jésus-Christ. » (Édition de 1754.) — Le texte de 1737 n'a pas cette partie delà phrase. - ,

42. « Et mon âme. » (Editions de 1707 et de 1704.)

43. Voyez la lettre du 21 juin précédent, p. 472, et celle du 31 juillet suivant, p. 56o.

44. Notre manuscrit, par une erreur'de copiste, porte : « il n'y a plus, » au lieu de : a il y pleut. »

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sions autrefois; les feuilles étoient plus fortes,, ou la pluie plus foible; enfin je n'y suis plus attrapée.

Vous dites mille fois mieux que M. de la Rochefoucauld, et vous en sentez la preuve : Nous n'avons pas assez de raison pour employer toute notre force 46. Il seroit honteux, ou du moins l'auroit dû être dp voir46 qu'il n'y avoit qu'à retourner sa maxime pour la faire beaucoup plus vraie. Langlade n'est pas plus avancé qu'il étoit dans le pays de la fortune ; il a fait la révérence au pied de la lettre, et puis c'est tout"; cet article étoit bien malin dans la gazette" Langlade est toujours fort bien avec M. de Marsillac.

Vous me demandez49 ce qui a fait cette solution de continuité entre la Fare et Mme de la Sablière 60 : c'est la bassette; l'eussiez-vous cru? C'est sous ce nom que l'infidélité s'est déclarée ; c'est pour cette prQstituée de bassette qu'il a quitté cette religieuse adoration. Le moment étoit venu que cette passion devoit cesser; et passer même à un autre objet : croiroit-on que ce fût un chemin pour le salut de quelqu'un que la bassette ? Ah ! c'est bien dit, il y a cinq cent mille routes où il est attaché.

Elle regarda61 d'abord cette distraction, cette désertion; elle examina les mauvaises excuses, les raisons peu sincères, les prétextes, les justifications embarrassées, les conversations peu naturelles, les impatiences

45. La Rochefoucauld à dit : « Nous n'avons pas assez de force pour suivre toute notre raison. » (Maxime XLlI8.)

46. « Il auroit été bien surpris.de voir, etc. a (Éditions de 1737 et de 1754.)

47. Voyez ci-dessus, p. 99.

48. Voyez ci-dessus, p. 476.

49. Dans le texte de 1737, par erreur : « vous me mandez. »

5o. Voyez la lettre du 21 iuin précédent, n. 475 et 476.

u. ',., 5i. « cinq cent mille routes qui nous y mènent. Mme de la Sablière regarda, etc. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

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de sortir de chez elle, les voyages à Saint-Germain où il jouoit62, les ennuis, les ne savoir plus que dire; enfin quand elle eut bien observé cette éclipse qui se faisoit, et le corps étranger qui cachoit peu à peu tout cet amour si brillant, elle prend58 sa résolution : je ne sais ce qu'elle lui a coûté 64; mais enfin, sans querelle, sans reproche, sans éclat, sans le chasser, sans éclaircissement, sans vouloir le confondre, elle s'est éclipsée elle-même; et sans avoir quitté sa maison, où elle retourne encore quelquefois, sans avoir dit qu'elle renonçoit à tout, elle se trouve si bien aux Incurables, qu'elle y passe quasi toute sa vie, sentant avec plaisir que son mal n'étoit pas comme ceux 66 des malades qu'elle sert. Les supérieurs de cette maison sont charmés de son esprit; elle les gouverne tous ; ses amis la vont voir, elle est toujours de très-bonne compagnie. La Fare joue à la bassette : Et le combat finit faute de combattants 56.

Voilà la fin de cette grande affaire qui attiroit l'attention de tout le monde ; voilà la route que Dieu avoit marquée à cette jolie femme ; elle n'a point dit les bras croisés : « J'attends la grâce; » mon Dieu, que ce discours me fatigue ! eh, mort de ma vie ! elle saura bien" vous préparer les chemins, les tours, les détours, les bassettes, les laideurs, l'orgueil, les chagrins, les malheurs, les grandeurs : tout sert, et tout est mis en œuvre par ce grand ouvrier, qui fait toujours infailliblement tout ce qu'il lui plaît.

52. Les mots oit il jouoit ne sont pas dans le texte de 1754.

53. Dans le texte de 1754 : « elle prit. »

54. Dans le manuscrit, on est incertain s'il faut lire coûté ou conté.

55. « Comme celui. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

56. Vers du Cid, déjà plusieurs fois cité, et que notre manuscrit donne seul.

57. « La grâce saura bien. » (Édition de 1737 et de 1754.)

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Comme j'espère que vous ne ferez pas imprimer mes lettres, je ne me servirai point de la ruse de nos frères pour les faire passer. Ma fille, cette lettre devient infinie : c'est un torrent retenu que je ne puis arrêter; répondez-y trois mpts; et conservez-vous, et reposez-vous; et que je puisse vous revoir et vous embrasser de tout mon cœur : c'est le but de mes désirs. Je ne comprends pas le changement de goût pour l'amitié solide, sage et bien fondée ; mais pour l'amour, oh ! oui, c'est une fièvre trop violente pour durer.

Adieu, Monsieur le Comte 58 j je suis à vous, embrassez-moi tant que vous voudrez. Que j'aime Mlle de Grignan de parler et de se souvenir de moi ! Je baise les petits enfants. J'aime et j'honore bien la solide vertu de Mlle de Grignan. Adieu, ma très-chère et très-loyale, j'aime fort ce mot : ne vous ai-je pas donné du cordialement168 ? nous épuisons tous les mots. Je vous parlerai une autre fois de votre hérésie.

832. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, ce mercredi 17e juillet.

MON1 fils me mande que, après que le Roi l'aura vu à

58. Le commencement de cet alinéa, jusqu'à : a Adieu, ma trèschère, » ne se trouve que dans notre manuscrit - qui -s'arrête immédiatement avant ces mêmes mots.

5g. Voyez la fin de la lettre du 3 juillet précédent, p. 507.

LETTRE 832 (revueen très-grande partie sur une ancienne copie).1. Le commencement de cette lettre ne se lit pas ailleurs que dans notre manuscrit. Dans les deux éditions de Perrin, elle commence ainsi : a Je souhaite plus que jamais de vous revoir, » et immédiatement après, dans celle de 1754, présentement est remplacé par maintenant.

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- la tête de sa compagnie, il viendra ici. Cela va au milieu du mois qui vient, dont il me semble, comme à vous, ma bonne, que rien ne peut plus jeter des ombres et des chagrins sur notre société : je vous le disois l'autre jour, je crois même que de mon côté je n'aurai plus de ces attentions importunes; c'est ce qui me fait souhaiter plus que jamais de vous revoir; tout ce qui est trouble présentement s'éclaircira : vous aurez toute votre famille dans le mwis de septembre. Mlle de Grignan donnera un branle à vos résolutions ; mon Dieu, que j'honbre sa vertu ! Je vois avec chagrin que les ombres sont encore répandues sur le procédé de Montgobert; que je la plains ! ne sauriez-vous parler ensemble ? il me semble que c'est toujours le dénouement de ces sortes d'embarras'.

Quand vous vous possédez, vos paroles ont une force extrême, j'en ai vu et senti l'effet; essayez de ce remède, ma très-chère, prenez-vous en bonne humeur, attaquez tout cela, moquez-vous-en, réchauffez un cœur glacé soms la jalousie, remuez toutes ces fausses imaginations 1 qui la dévorent, divertissez-vous à détruire la prévention, exercez votre pouvoir, rendez la paix à une pauvre personne, qui assurément n'est troublée que parce qu'elle vous aime, et ne lui laissez point penser tout crûment qu'on la sacrifie à un autre* Il n'y a que des moments à prendre pour faire réussir tout5 le conseil que je vous donne : on est quelquefois empêtré8 dans son orgueil ;

2. Dans l'édition de 1737 : « parler ensemble? c'est le dénouement ordinaire de ces sortes d'embarras; » dans celle de 1754 : « il me paroît que c'est.le dénouement ordinaire, etc. »

3. « Toutes les fausses imaginations, » (Édition de 1754.)

4. Voyez tomes IV, p. 488, note 7; V, p. 5oo, note 64 et plus haut (tome VI), p. 418, note 39.

5. Le mot tout manque dans les deux éditions de Perrin.

6. Dans notre manuscrit : « empêché. » — Tout ce qui suit a été

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c'est une belle charité que d'en tirer une créature.

Elle m'a écrit deux fois d'un style tout naturel, et même assez gai, sans me rien dire de tout son chagrin.

Cela me persuade qu'elle n'a pas dessein de m'en -faire ses plaintes, peut-être parce qu'elle espère que cela finira comme l'autre fois, et que je me moquerois d'elle, car je ne sais si elle sent son tort. On est quelquefois si aveuglé que l'on ne voit goutte ; voilà une vérité7 bien surprenante, que les aveugles ne voient pas clair ; cependant vous m'entendez. Ce que vous me disiez l'autre jour de l'humeur et sur la mémoire étoit parfaitement bon; je ne vous en parlai point assez, mais il est vrai 8 que ce sont deux choses que l'on n'honore point assez.

J'ai dessein9 de vous convaincre d'être hérétique : non, ma fille, quand vous en devriez désespérer", la mort de Jésus-Christ ne suffit point sans le baptême : il le faut d'eau ou de sang 11 ; c'est à cette condition qu'il a mis l'utilité que nous en devons recevoir12 : rien du vieil homme n'entrera dans le ciel, que par la régénération de Jésus-Christ. Si vous me demandez pourquoi, je vous dirai, comme saint Augustin, que je n'en sais rien; et

ainsi abrégé dans les deux éditions de Perrin : « c'est une belle charité que d'en tirer une créature qui ne sent peut-être pas son tort.

On est quelquefois, etc. a -

7. « C'est une vérité. » (Edition de 1754.1

8. a Ce que vous disiez l'autre jour sur l'humeur et sur la mémoire étoit parfaitement bon; il est vrai, etc. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

9. « J'ai dessein aussi, etc. » (Ibidem.)

10. « Quand vous devriez en enrager. » (Ibidem.)

n. il eau, d esprit ou de sang. » (Édition de 1737.J - c D'eau, de desir ou de sang. » (Édition de 1754-) — Voyez la première Êpitre 'de saint Jean, chapitre v, versets 6-Q.

12. a Que nous en devons retirer. » (Édition de 1754.)

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pourquoi encore, étant venu sauver tous les hommes 13, il en sauve si peu, et se cache pendant sa vie, et ne veut pas qu'on le connoisse, ni qu'on le suive ? il n'en sait encore rien du tout; mais ce qui est assuré 14, c'est que, puisqu'il l'a voulu ainsi, cela est fort bien, et rien ne pouvoit être mieux, sa volonté étant assurément16 la règle et la justice.

Parlons de Rochecourbières; je ne veux pas vous en dire plus qu'à ma huguenote 16. Vous avez fait une jolie débauche avec ce M. de Seppeville 17, je le connois; il est, ce me semble, fort honnête garçon. Le chevalier de la Croustille seroit assez digne d'être Breton : vous me le dépeignez après votre vin de Jusclan18, comme j'en vois ici après le vin de GraveB. Je voudrois bien les remercier d'avoir bu ma santé. La vôtre fut bue avant-hier chez la princesse de Tarente : c'étoit dans son parc; il y avoit bien du monde; ce fut20 de ces grandes collations

i3. a Étant venu pour sauver tous les hommes. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

14. « Je n'en sais encore rien du tout ; mais ce qui est certain, etc. »

(Édition de 1754.)

i5. « Certainement. » (Édition de 1737.)

16. Voyez la lettre du 21 juin précédent, p. 478 et 480. — Dans le texte de 1737 : cc qu'à ma petite huguenote. » Ce membre de phrase n'est pas dans l'édition de 1754.

17. Bernardin Cadot, marquis de Sebeville ou Seppeville, capitaine-lieutenant des chevau-légers de la Reine en 1676, brigadier de cavalerie en 1678, envoyé extraordinaire près de l'Empereur en 1680. Il mourut le 11 octobre 1711, à l'âge de soixante-dix ans. Il était cousin germain du marquis de Bellefonds. — Dans les deux éditions de Perrin, il y a simplement : 4 Avec ce M. de Sepville (dans 1754 : Sebville), que je connois. Le chevalier, etc. »

18. Jusclan on Chusclan est le nom d un village et d un vignoble, situés sur la côte dite de Tavel, dans l'arrondissement d'Uzès (Gard), - entre la Cèze et le Rhône.

19. Vin recueilli dans les terroirs sablonneux, les graves, du Médoc.

20. a Ce fut encore. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

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de viandes, qui me mettent au désespoir, à cause des conséquences. Je lui demandai à qui elle en avoit donc de se vouloir ruiner, et moi aussi, en fricassées, au lieu de penser à retourner à Paris. Nous rîmes fort. Elle dit toujours qu'elle vous va écrire 21 elle taille ses plumes; car son écriture de cérémonie est une broderie qui ne se fait pas eh courant : nous aurions bien des affaires, ma fille, si nous nous mettons 22 à faire des lacs d'amour à tous nos D. et à toutes nos L. 23.

Mme de Coulanges m'écrit au retour de Saint-Germain ; elle est toujours surprise de la sorte24 de faveur de Mme de Maintenon. Enfin nul autre ami n'a tant de soin et d'attention qu'fi 26 en a pour elle. Elle me mande ce que j'ai dit bien des fois, elle Lui fait connoître un pays nouveau qui lui étoit inconnu, qui est le commerce26 de

21. a Qu'elle va vous écrire. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

aa. e Si nous nous mettions. » (Ibidem.)

a3. C'était une mode allemande. L'éditeur possède quelques lettres adressées à Mlle de Scudéry par Antoine-Ulric, dus de Brunswick, et par la princesse Sibylle-Ursule de Brunswick, sa sœur, dont les majuscules sont chargées d'ornements singuliers. Mais les lettres de cérémonie qu'écrivait Balzac sont beaucoup plus extraordinaires. C'est une vraie broderie; il en existe une à la bibliothèque de Monsieur (de UArsenal) ; elle est adressée à la reine Christine : le commencement et la fin sont surchargés de fleurs et d'ornements dessinés à la plume, qui ont dû exiger un long travail. On en trouve plusieurs autres du même genre, écrites par Balzac à la reine Christine, dans des recueils in-folio qui sont conservés aux Archives du Royaume, et qui renferment des lettres originales de Louis XIII, Louis XIV, Charles 1er et autres princes et souverains. Voyez le Manuscrit de VArsenal, 151, in-4°, Belles-lettres françaises. (Note de l'édition de 1818.) —Voyez la Notice, p. 60.

24. Les mots de la sorte ont été omis dtns notre manuscrit.

25. Le Roi. — Au lieu du pronom, Perrin a mis en effet le Roi dans sa seconde édition (1754).

26. « Et, ce que j'aL dit bien des fois, elle lui fait connoître un pays tout nouveau, je veux dire le commerce, etc. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

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l'amitié et de la conversation, sans contrainte et sans chicane 27 : il en paroît charmé. Madame la Dauphine paroît toujours fort agréable à mon amie28 : elle a eu de grandes distinctions d'agrément et de familiarité; mais elle s'est dégoûtée 29 du monde, cela ne la touche point : elle s'en va à Lyon; il y a comme cela des temps dans la vie, où l'on ne trouve rien de bon. Mme de Fontanges est partie pour Chelles : assurément je l'irois voir, si j'étois à Livry. Elle avoit quatre carrosses à six chevaux, le sien à huit, où étoient toutes ses sœurs30; mais tout cela si triste qu'on en avoit pitié; la belle perdant tout son sang, pâle, changée, accablée de tristesse ; méprisant quarante mille écus de rente et un tabouret qu'elle a, et voulant la santé, et le cœur du Roi, qu'elle n'a pas ; votre prieur de Cabrières a fait là une belle cure ! Je ne pense pas qu'il y ait un exemple d'une si heureuse et si malheureuse-personne. Mon amie vit prendre le tabouret à Mlle de Brancas Il i

Madame la Dauphine n'est point aise du voyage" : elle dit qu'on ne peut pas devenir grosse en marchant toujours. On parle du siége de Strasbourg; les autres croient83 qu'il n'y aura point de guerre.

27. « Sans chicane et sans contrainte. » (Édition de 1754.)

28. a Mon amie est toujours enchantée de Madame la Dauphine. »

(Éditions de 1737 et de 1754.)

29. « Mais elle est dégoûtée. D (Ihidem.)

3o. « Le sien à huit, toutes ses sœurs y étoient avec eUe. v (Édition t'e 1754.) — Celle qui allait devenir abbesse de Chelles (voyez plus haut, p. 347, note 1) ; Mme de Molac (voyez tome II, p. 297, note 6), et une troisième, Anne, qui fut religieuse à Chelles. -

3i. Marie de Brancas, mariée, le 5 juillet 1680, à Louis de brancas, duc de Villars, son cousin. (Note de Perrin.) — Voyez la lettre du 26 avril précédent, p. 363 et note 9. - - --- .-.

3a. Le -17 juillet, le Roi et sa famille étaient à Abbeville, d'où ils partirent le lendemain 18. Voyez la Gazette du 20 et du 27* -

33. a Quelques-uns croient. » (Édition de 1754.)

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Il est vrai que votre clergé est séparé : ce seroit à vous à me le dire 14. Ils ont tous écrit une lettre au pape, où ils disent que, bien loin que les évêques se plaignent du Roi, il est le protecteur de l'Eglise 35. Cette réponse en l'air contentera bien le pape" ! Il parle Il de la régale de Monsieur de Pamiers et de Monsieur d'Aleth : qu'on réponde aux priviléges de ces deux provinces S 8. Je crois bien que ce petit freluquet d'Aleth39 ne se plaint de rien; mais l'ombre de son saint prédécesseur et Monsieur de Pamiers40 ont-ils signé cette flatteuse lettre? Nous en

34. Voyez plus haut, p. 5i3 et note 32. — Avant de se séparer, le 10 juillet, les prélats et les autres députés du second ordre adressèrent au Roi une lettre qui est une véritable protestation contre le bref du pape. Les évêques écrivirent-ils encore directement au pape ?

Ce passage et le second alinéa de la lettre suivante le feraient croire; peut-être cependant n'est-il question ici que de la lettre du clergé au Roi : Mme de Sévigné ne l'avait pas encore lue (voyez les lettres du 31 juillet et du 4 août suivants). - 1

35. « Ils le regardent comme le protecteur de l'Eglise. a (Edition de 1754.)

36. « Contentera-t-ellebien le pape? » (Édition de 1737.)

37. Notre manuscrit donne : « Ils parlent, » au pluriel. La leçon de Perrin, il parle, semble préférable : voyez le second paragraphe de la lettre suivante.

38. cr De ces deux diocèses. » (Édition de 1754.)

39. Louis-Alphonse de Valbelle succéda à Nicolas Pavillon, évéque d'Aleth, célèbre par son savoir, ses vertus et sa piété, mort le 8 décembre 1677. (Note de Perrin, 1754.) — Voyez sur ce Valbelle, que Saint Simon (tome II, p. 267) appelle a un Provençal ardent à la fortune, » la lettre du 4 août suivant. — Agent du clergé sortant de charge, comme l'abbé de Grignan, il avait été élu promoteur de l'assemblée.

40. François-Étienne de Caulet, un des plus grands prélats de ce temps-là, mort le 7 août 1680. (Note de Perrin, 1754.) -Il occupait le siège de Pamiers depuis i644* — La régale était un droit en vertu duquel les rois de France jouissaient des revenus des sièges vacants, et conféraient les bénéfices qui en dépendaient, jusqu'à ce que les nouveaux pourvus eussent fait enregistrer leur serment de fidélité.

Plusieurs Églises de France n'étaient pas soumises à cet usage, et le

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verrons la réponse. Vous me faites espérer que j'aurai été la première à vous envoyer la lettre du pape; vos prélats n'y ont peut-être pas fait d'attention H.

On me mande encore que cette Heudicourt est à la cour, laide comme un démon, avec un gros bâtoni2, dont elle se soutient à profit, ne pouvant encore se soutenir, relevant d'une maladie41 ; il n'y en a guère que l'on ne dût préférer44 à celle qu'elle a, d'aimer ce payslà : quelle folie, en l'état où elle est ! Le Roi alla l'autre jour à Versailles avec Mme de Montespan, Mme de Thianges et Mme de Nevers toute parée de fleurs. Mme de Coulanges dit que Flore étoit sa bête de ressemblance46.

Mon Dieu! que cette promenade me paroît46 dangereuse pour un homme qui prendroit goût à la liberté !

Roi, par une déclaration de février 1673, l'étendit à tous les sièges.

Messieurs d'Aleth et de Pamiers refusèrent d'obéir ; le Roi nomma aux bénéfices vacants qui dépendaient de leur collation. Ils lancèrent des excommunications, qui furent cassées sur l'appel par les archevêques métropolitains, et eux-mêmes appelèrent au saint-siége. Le pape Innocent XI, au lieu de se constituer médiateur, s'établit juge du différend ; il cassa les ordonnances des métropolitains, et il écrivit au Roi avèc la chaleur qu'il aurait pu mettre si la France avait paru disposée à suivre l'exemple que l'Angleterre avait donné dans le siècle précédent. (Note de l'édition de 1818.) — Sur toute l'affaire de la régale, le bref du pape au Roi, la lettre que le clergé adressa au Roi le 10 juillet, voyez les chapitres v et suivants du livre VI de l'Histoire de Bofsuet par le cardinal de Bausset.

41. ff J'espère que j'aurai été la première à vous envoyer la lettre du pape, et que vos prélats n'auront pas eu cette attention. » (Édition de 1754.) — Cette phrase manque dans le texte de 1737.

42. « Avec un bâton. » (Edition de 1754.)

43. Dans les deux éditions de Perrin : cc à profit; elle relève d'une maladie. »

44. Dans notre manuscrit, sans doute par erreur : a que l'on dût préférer. »

- 45. On a déjà vu cette expression au tome I, p. 389. — Dans l'édition de 1754 : « étoit la bête de ressemblance de cette dernière. »

46. G Me paroîtroit. » (Editions de 1737 et de 1754.)

1680

JeU me doutois quasi que votre pauvre meuble de damas périroit en chemin ; ce n'est pas votre étoile que les présents, ma bonne, ni grands ni petits; j'ai souvent médité par combien de choses extraordinaires elle les éloigne de vous : c'est la Providence que cette étoile, il faut bien s'y soumettre48

Vous m'avez bien décriée auprès de Mlles de Grignan ; j'admire que l'aînée ait été assez généreuse pour m'écrire, sitôt après la connoissance d'une telle sottise : il est vrai, ma fille, qu'il n'y a rien d'égal, et que la première chose qui saisit mon imagination la mène si loin, que cela compose souvent une loge des Petites-Maisons ; et quand je reviens à moi, comme d'un sommeil, j'en suis plus étonnée que les autres. M. de Marsillac a été dire adieu à Mme de la Fayette ; ils se remirent à pleurer comme le premier jour : il n'y a rien de faux à ces deux personnes. L'homme se tourne à Dieu, et fait crier les petites-maîtresses 49; ce sont des chemins comme nous disions l'autre jour.

Adieu, mon enfant; adieu, ma très-belle, car vous l'êtes, si vous vous portez aussi bien que vous dites.

Vous voulez donc que je reçoive dans mon cœur cette espérance de vous retrouver avec un visage, avec de la force, sans douleur, sans chaleur, sans pesanteur; quoi !

47. Cet alinéa ne se trouve que dans notre manuscrit. Les deux suivants manquent dans le texte de 1787, sauf la phrase : < Adieu, etc., » qui est rejetée à la fin de la lettre et conçue ainsi : « Adieu, mon enfant; adieu, ma très-chère et très-aimable belle, car vous l'êtes, sans doute, si vous vous portez aussi bien que vous dites. » Quant à notre manuscrit, il s'arrête après le mot Adieu.

48. Voyez plus haut la lettre du 25 mai précédent, p. 420, et la note 49.

49. C'est le texte de 1754; notre manuscrit donne cette leçon singulière : a L'honneur se tourne à Dieu, et fait écrire les petitesmaîtresses. »

163 o

toutes ces incommodités auront eu leur cours et leur fin ?

Je dirois comme le petit Coulanges : Il faut que j'y touche, Vrai Dieu! c'est sa bouche Et son teint de lis50, etc.

Mais prenez garde de ne point mettre tout cela dans les neiges et les glaces de l'hiver : vous savez ce qu'il vous en a coûté, et que c'est le commencement de tous vos maux.

Il est vrai que je hais plus la contrainte que vous ne la haïssez. Je fais venir à mon goût, si je puis; sinon j'échappe à la cérémonie. Cette Madame61 n'aimoit pas à marcher ; je la quittois fort bien deux ou trois heures ; je la retrouvois pâmée de rire avec mes femmes de chambre : il ne lui en falloit pas davantage; c'est une sotte belle femme qui ne sait point deux choses : son adieu me fut agréable.

5o. Voici la chanson que Coulanges fit en 1676, pour Mme de Grignan, qui revenait à Paris : Malgré tant de neige, Nous faisons cortége A la belle Iris, Qui vient à Paris.

Mon Dieu ! qu'elle est belle, Et qu'elle a d'appas !

Est-ce une mortelle ?

Je ne le crois pas.

Voici la querelle Du bon saint Thomas : Il faut que j'y touche.

Vraiment c'est sa bouche, Et son teint de lis !

(Recueil de chansons choisies, tome I, p. 106 et 107. Manuscrit autographe de la Bibliothèque impériale, folio i5 recto.)

51. Est-ce Mme de la Hameiimèrer Voyez plus haut, p. 470 et suivantes, et p. 482. — Dans le texte de 1754 : Œ Cette Madame qui n'aimoit pas à marcher, »

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Mme de Coulanges perce à jour votre pauvre frère par ses épigrammes ; elle dit qu'il auroit grand besoin d'une ingrate pour le remettre un peu 52; mais il les sait si bien choisir qu'il n'en trouve jamais. Il a le don, comme vou-s dites, de rendre mauvaises les meilleures choses.

Son séjour de Fontainebleau ne lui a pas servi, au contraire.

  • 833. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE ET A LA COMTESSE DE GUITAUT.

Aux Rochers, 17e juillet.

POUR vous voir un moment J'ai passé par Essonne 1.

Il me paroît que c'est ce que vous aviez fait, en courant vers Fontainebleau et revenant sur vos pas, pour voir, trois jours, toutes ces deux grandes familles. Je crois que vous n'y avez point eu de regret : ce sont de bonnes et honnêtes personnes. Le mariage de M. de Boissy2 est assorti en perfection; c'est justement le contraire de sottes gens, sotte besogne; le bon esprit y paroh en tout et partout. Je ne crois pas que nous fassions encore, cette année, ce voyage de Grignan que nous devons faire ensemble : il nous suffit d'apprendre qu'effectivement ma fille se porte mieux, et que par un effet tout contraire à celui que nous craignions, l'air de Provence

52. a Pour se remettre un peu. » (Édition de 1754.) LETTRE 833 (revue sur l'autographe), — 1. Voyez ci-dessus,

p. 495, où nous aurions dû également couper cette citation en deux vers. C'est le commencement et le refrain d'une chanson qui est au Recueil Maurepas, tome II, fol. 427*

2. Voyez la lettre du 3o juin précédent, p. 495, et la note 29.

1680

lui a plutôt fait du bien que du mal. Je n'ose espérer de la revoir cet hiver; elle ne sait point encore de ses nouvelles ; cela tient à tant de circonstances, qu'il ne faut point compter sûrement sur son retour.

Il y a bien des choses à dire sur tout ce qui se passe dans le monde : j'ai vu une lettre du pape , un peu sèche, à son fils aîné; c'est un style si nouveau à nous autres François, que nous croyons que c'est à un autre qu'il parle. Tous les évêques lui ont écrit après l'assemblée', et disent en général que le Roi est le protecteur de l'Église, bien loin d'anticiper sur ses droits : ce discours général à un homme qui parle précisément de la régale, pourroit ne pas plaire : Vous parlez de respect, quand je parle d'amour lt.

Cela me fait souvenir de l'opéra , Dieu me pardonne! Et cette belle Fontanges qui est tristement à Chelles, perdant tout son sang ! Avez-vous jamais vu une créature si heureuse et si malheureuse ? Elle ne veut plus de quarante mille écus de rente et d'un tabouret qu'elle a, et voudroit le cœur du Roi et de la santé, qu'elle n'a plus.

Voilà ce qui entretient mes réflexions dans ces bois, où je rêve souvent; ce seroit bien une litière si nous y étions ; j'ai des allées où je défie aucun secret de ne pas sortir, entre chien et loup principalement. Jugez ce que ce seroit pour nous, qui avons déjà de si belles dispositions à la confiance ! Je pense souvent à notre pauvre d'Hacqueville, qui avoit ôté de sa vie, d'ailleurs si pleine de vertu, toute la douceur de la communication. Et combien avons-nous perdu d'amis depuis peu de temps!

et nous allons après eux. Sans de certains attachements,

3. Voyez ci-dessus, p. 535, note 34.

4. Vers du Thésée de Quinault (acte I, scène VIII).

1680

qui me sont encore trop sensibles, je mettrois bien volontiers sur ma cheminée : Loin de gémir et de me plaindre Des Dieux, des hommes et du sort, C'est ici que j'attends la mort, Sans la desirer ni la craindre 1.

Je ne sais si le premier vers est bien; fant y a, c'est le sens ; mais je tiens encore trop à une créature qui m'est plus chère qu'elle n'a jamais été. Vous comprenez ce goût sans peine; c'est pourquoi je vous fais cette confidence.

Adieu, Monsieur: aimons-nous toujours bien, et entretenons quelque espèce de commerce pour n'être pas entièrement dans l'ignorance de ce qui nous touche. Ne le voulez-vous pas bien, Madame, et que je vous embrasse de tout mon cœur ? Notre bon abbé vous honore tous deux parfaitement; il se porte fort bien. Il s'amuse à bâtir un petit, car nous n'avons point d'argent; mais enfin il a une truelle à la main et autour de lui toute sorte d'ouvriers ; et moi je fais encore de fort belles allées tout au travers des choux, c'est-à-dire dans un bois que vous aimeriez.

5. C'est le quatrain que le poète Maynard (mort en 1646) avait placé sur la porte de son cabinet. Les deux premiers vers sont cités de diverses façons : Las d'espérer et de me plaindre Des grands, des belles et du sort; ou bien : Des Muses, des grands et du sort ; ou encore : Rebuté des grands et du sort, Las d'espérer et de me plaindre.

Nous n'avons pas trouvé ce quatrain dans la première édition des Poésies de Maynard.

i 6 8 o

834. — DE MADAME DE sevigné A MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, ce dimanche 2Ie juillet.

JE n'aime point, ma fille, que vous disiez que vos lettres sont insipides et sottes : voilà deux mots qui n'ont jamais été faits pour vous; vous n'avez qu'à penser et à dire, je vous défie de ne pas bien faire; tout est nouveau , tout est brillant, et d'un tour noble et agréable.

Reprenez sur moi le trop de louanges que vous me donnez; mettez-les de votre côté, si vous voulez être juste; mais si vous voulez continuer à me plaire 1, continuez à me faire écrire par la Pythie ou par une autre ; donnezmoi toujours la joie de vous imaginer bien couchée et bien à votre aise sur votre petit lit. Ne craignez point la paresse, ma belle; vous savez bien qu'il n'est pas aisé de commettre ce péché, puisque, selon un casuiste de notre connoissance 2, « la paresse est un regret que les sacrements soient la source de la grâce, et que les choses spirituelles soient spirituelles1. » Cette définition vous met fort à couvert ; ainsi, ma chère enfant, soyez bien ce que nous appelons improprement paresseuse, si vous êtes bien aise de me faire goûter sans mélange le plaisir de vous voir guérie de toutes les incommodités dont vous étiez accablée 4.

LETTRE 834 (revue en partie sur une ancienne copie). — I. « Mais si vous avez envie de me plaire. » (Édition de 17540

2. Escobar.

3. et Puisque selon un célèbre casuiste, « la paresse est une trisa tesse de ce que les choses spirituelles sont spirituelles, comme se0 roit de s'affliger de ce que les sacrements sont la source de la a grâce. » (Édition de 1754.) — Cette variante de l'édition de 1754 est le texte même de la IXe Provinciale, rétabli par Perrin ; Mme de Sévigné avait cité de mémoire.

4. « paresseuse; c'est le plus sûr moyen de me faire goûter

1680

Mon fils me fit l'autre jour une assez méchante plaisanterie : il me manda qu'il avoit perdu au reversi deux cent soixante louis, et avec des circonstances si vraisemblables, que je n'en doutai point. J'en fus fort fâchée; il me rassura par la même poste : c'est cela qui est bien insipide, car à quel propos donner cette émotion? Je songeai en même temps que cela se trouve vrai quelquefois en des lieux qui me sont encore plus sensibles ; on formeroit, ma chère enfant, une autre grande amitié de tous les sentiments que je vous cache. Le petit Coulanges vous aidera à manger vos perdreaux ; il m'a promis de vous regarder, de vous manier, et de me faire un procès-verbal de votre aimable personne. Vous ferez des chansons, vous m'en enverrez, et j'y répondrai par dé la mauvaise prose 6.

La bonne princesse me vient voir sans m'en avertir, pour supprimer la sottise des fricassées. Elle me surprit vendredi; nous nous promenâmes fort, et au bout du mail il se trouva une petite collation légère et propre, qui réussit fort bien. Elle me conta les torts de sa fille de n'avoir point rempli son écusson d'une souveraineté6 ; je me moquai fort d'elle, et la renvoyai en Allemagne pour tenir ce discours ; et dans le bois des Rochers , je lui fis avouer que sa fille avoit fort bien fait. Elle est si étonnée de trouver quelqu'un qui ose lui contester quelque chose, que cette nouveauté la réjouit. Le roi et la reine de Danemark vont voir ce comte d'Oldenbourg dans sa comté : il défraye toute cette cour, et sa magnificence surpasse toute principauté. Je vois les lettres de cette comtesse, que je trouve toutes pleines de passion

sans mélange le plaisir de vous voir guérie de toutes vos incommodités. » (Édition de 1754.)

5. b Par de mauvaise prose. » (Ibidem.)

6. Voyez la lettre du 3 mai précédent, p. 375.

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pour ce mari, de raison , de générosité, de dévotion et de justice. « Eh ! Madame, que pouvez-vous lui souhaiter de plus, puisqu'avec cela elle est riche et contente? » Il semble que je sois payée 7 pour soutenir l'intérêt de cette fille.

On 8 me mande que Mme de Fontanges est toujours dans une extrême tristesse : la place me paroît vacante, et elle, une espèce de rouée', comme la Ludres; et ni l'une ni l'autre ne rebutera personne 10. Je crois M. de Pompone plus heureux que M. de Croissi11, mais cet exemple est rare : ce qui est vrai, c'est ce que vous dites, rien n'est complétement bon. Mon fils12 tâche d'accommoder encore la sotte affaire de Corbinelli, et veut me l'amener ici sur la fin d'août : c'est une pensée fort en l'air; mais si cela est, nous vous manderons bien des coquesigrues. Mlle du Plessis m'est revenue de son couvent. Que voulez-vous que je vous dise de plus? La jeune marquise de Lavardin est allée au voyage dans le carrosse de la Reine, avec Mme de Créquy : elle est de la maison : c'est son frère 18 qui sert et qui commande la maison du Roi. M. de Lavardin est avec le prince de

7. c Que j'aie une pension. » (Édition de 1754.)

8. Cette phrase, et la première partie de la suivante, jusqu'à est rare inclusivement, sont tout ce qui se lit de cette lettre dans notre manuscrit.

9. On lit roué, au masculin, dans les deux éditions de Perrin.

10. « Elles ne feront peur à personne ni l'une ni l'autre. D (Éditions de 1737 et de 1754.)

II. Qui avait remplacé Pompone. — Notre manuscrit porte M. de Croissi; l'édition de 1737, M. de Croissi Colbert; celle de 1754, M. de Colbert Croissi.

12. Cette phrase est donnée pour la première fois dans l'édition de 1754.

i3. Anne-Jules, duc de Noailles, capitaine de la première compagnie des gardes du corps du Roi. (Note de Perrin.) Voyez tome II, p. 3oa, note 7.

1680

Conti, et la douairière avec Mme de Mouci et ses autres ■ amies, ravie de l'absence de sa jeunesse.

Vous me souhaitez, ma fille, quand vous avez bien de la musique et de la joie : vous avez raison, c'est l'humeur de ma mère; et moi, entre huit et neuf dans ces bois , je dis : « Ah! que ma fille seroit aise ici! » Ma chère enfant, tout cela est naturel, et de penser souvent à ce que l'on aime14.

835. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, ce mercredi 24e juillet.

Vous me représentez votre cabinet, ma chère fille, à peu près comme l'habit d'Arlequin : cette bigarrure n'est pas dans votre esprit; c'est ce qui me fait vous souhaiter mon cabinet, qui est rangé avec un ordre admirable, et qui vous conviendroit fort bien, car je ne vous ai jamais vue changer d'avis sur les bonnes choses. Je vois d'ici votre belle terrasse des Adhémars, et votre clocher que vous avez paré d'une balustrade qui doit faire un trèsbel effet ; jamais clocher ne s'est trouvé avec une telle fraise1. Le bon abbé en est fort content ; toute sa sagesse ne le défend point des tentations d'embellir une maison.

J'admire souvent l'endroit de son esprit là-dessus, et j'en tire mes conclusionsâ pour la thèse générale des Petites-Maisons.

14. Les deux éditions de Parrin placent ici le quatrième alinéa de la lettre du 28 juillet. Voyez p. 553, note 15.

Lettre 835. — i. Le château de Grignan est si élevé, que de la terrasse on voyait le clocher de l'église collégiale au travers de la balustrade que M. de Grignan venait de faire rétablir. (Note de l'édition de 1818.I

2. « Mes conséquences. » (Édition de 1754.)

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Je n'ai été, ma fille, qu'une pauvre fois à votre belle lune. Je vous assure que quand je prends la résolution de lui rendre mes devoirs à l'exemple des anciens, il n'y a non plus de froid ni de serein que sur votre terrasse : je me conduis fort sagement, et crains beaucoup d'être malade; je vous souhaite la même crainte. La princesse3 est une espèce de médecin : elle a fait son cours en Allemagne , où elle m'assure qu'elle a fait des cures à peu près comme celles du Médecin malgré lui. Elle a fini ses fricassées, et moi les miennes ; nous avons ri de cette folie, et voilà comme je suis sortie de cet embarras. Je lui montrai l'autre jour votre chapelet; elle le trouva digne de la Reine, et comprit la beauté de ce présent, dont je vous remercie encore. Je le garderai fidèlement, et je ne sais s'il n'est point plus à vous dans mon cabinet qu'il n'y étoit dans le vôtre. Elle vous écrit de sa belle écriture ; elle m'a montré la belle morale qu'elle vous a brodée4. Mettez-moi quelque chose dans une de vos lettres , que je puisse lui montrer6. Celles de Mme de Vaudemont6 sont pour le style comme le caractère de la princesse. Ah ! que la vision de Brébeuf est plaisante !

c'est justement cela, tout est Brébeuf7; cette applica-

3. La princesse de Tarente. — Dans le texte de 1737, ce passage est ainsi abrégé : « La princesse a fini ses fricassées, et moi les miennes; nous avons ri de cette folie. Elle (dans 1754 : Cette princesse) vous écrit de sa belle écriture, etc. »

4. Voyez la lettre du 17 juillet précédent, p. 533.

5. Cette phrase n'est pas dans le texte de 1737, qui commence ainsi la suivante : « Les lettres de Mme de Vaudemont. »

6. Anne-Élisabeth de Lorraine, femme de Charles-Henri de Lorraine, prince de Vaudemont. (Note de Perrin.)

7. Voici un échantillon du style de Brébeuf, tiré d'une lettre écrite à Mlle de Scudéry, qui est restée inédite, et dont l'éditeur possède l'original. Il paraît que Pellisson avait donné des éloges au traducteur de la pharsale. a Mademoiselle, je meurs de honte d'avoir été malade, lorsque je me sentois indispensablement obligé à vous

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tion frappe l'imagination; elle est juste et digne de TOUS.

Il est vrai qu'il y a des gens dont le style est si différent 8, qu'on ne les sauroit reconnoître. Quand je lisois d'Hacqueville, je le croyois la tendresse et la douceur même ; quand on le voyoit, elles étoient si bien cachées9 sous la droiture de sa raison et sous la dureté de son esprit, que c'étoit un autre homme. Pour Mme de Vins, c'est elle-même 10 : elle m'a écrit une très-aimable lettre 11 ; elle me mande qu'elle fait un jeu merveilleux avec M. de Grignan et avec vous de sa jalousie. Il me paroît que vous lui avez appris le commerce de l'amitié, comme Mme de Maintenon à une certaine personne12. Cette belle Vins va loger à l'hôtel de Pompone ; elle ne les verra pas plus souvent pour cela. Je vous avoue que je comprends le plaisir de loger avec les gens qu'on aime ;

remercier de toutes les belles choses que j'ai trouvées dans votre lettre, et j'ai une confusion si grande de m'étre laissé prévenir à vos civilités, et d'avoir tant différé à vous les rendre, que j'ai peine à me pardonner mon indisposition, et à ne faire pas, d'une fièvre de huit ou dix jours, une faute inexcusable. Je me souviens, Mademoiselle, de l'obligation que vous a l'interprète de Lucain : je sais que c'est à votre recommandation seule que ce divin génie, qui produit toujours et qui ne s'épuise jamais, a trouvé le secret de le faire vivre près de trois mille ans avant sa naissance, et qu'un art si ingénieux et si admirable peut encore le faire vivre près de trois mille ans après sa mort. Un esprit de cette force a pouvoir sur tous les temps, aussi bien que sur tous les pays ; le passé et l'avenir en relèvent également; et comme j'ai osé croire enfin, sur la foi de mes amis, qu'il a pensé à moi quand il a parlé du traducteur de la Pharsale, je me persuade aisément qu'en ces trois paroles il a mis au moins trente siècles entre moi et ce fâcheux genre de trépas qui tue encore après qu'on n'a plus de vie, etc. » (Note de l'édition de 1818.)

8. « Si différent d'eux-mêmes. » (Édition de 1754.)

9. c L'une et l'autre étoient si bien cachées. » (Ibidem.)

10. c C est toujours elle-même. » (Ibidem.)

II. « Une aimable et grande lettre. » (Ibidem.)

12. Le Roi. — Dans l'édition de 1754 : (1 à la personne que vous savez. »

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sans cela je ne vois point18 d'heures sûres pour les voir agréablement : il paroît, ma fille, que vous êtes14 de cette opinion. Monsieur de Rennes a passé ici comme un éclair, il y soupa ; nous causâmes fort tout le soir sur le sujet de Mme de Lavardin : je ne sais point retenir les gens; il disparut à trois heures du matin.

Mon fils me parle de la grosse cousine18 d'une étrange façon : il ne desire qu'une bonne cruelle pour le consoler un peu ; une ingrate lui paroît une chimère : voilà le style de Mme de Coulanges, c'est celui dont il se sert ; et en parlant de quelque argent qu'il a gagné avec elle 16, il me dit : « Plùt à Dieu que je n'y eusse gagné que celaU! » Que diantre veut-il dire? Il me promet mille confidences; mais il me semble qu'ensuite d'un tel discours il doit dire comme l'abbé d'Effiat: « Je ne sais si je me fais bien entendre. » Tout ceci entre nous, s'il vous plaît, et sans retour

Votre petite d'Aix me fait pitié d'être destinée à demeurer dans ce couvent perdu pour vous : en attendant une vocation, vous n'oseriez la remuer, de peur qu'elle ne se dissipe ; cette enfant est d'un esprit chagrin et ja-

i3. œ Sans cela on ne trouve point. » (Édition de 1754.)

14. le Il me paroît que vous êtes. » (Ibidem.)

15. Walckenaer (tome V, p. 3fig) dit qu'il est peut-être encore question ici de Mme du Gué Bagnols (voyez notre tome V, particulièrement p, 223), mais nous croyons qu'il se trompe ; il nous paraît évident qu'il s'agit de la même personne qu'aux pages 476, 488, 515 et 55g. Les mots : c( la grosse cousine, » ne signifieraient-ils pas « la grosse duchesse, la cousine du Roi? » on sait que le Roi donnait le cousin aux ducs. Si cette conjecture est fondée, il faudrait sans doute lire aussi plus haut, p. 476 : « la grosse cousine, » au lieu de « sa grosse cousine, a

16. a Avec la cousine. s (Edition de 1754.) *

17. Voyez la Notice, p. 2i5 et 216. - -- -..

18. Cette dernière phrase, et le commencement de l'alinéa suivant, jusqu'à : « Je me réjouis, etc., J) manquent dans l'édition de 1737.

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loux, tout propre à se dévorer. Pour moi, je tâterois si la Providence ne voudroit pas bien qu'elle fût à Aubenas ; elle seroit moins égarée. J'embrasse le petit garçon : je pense souvent à lui et à Pauline, mais tout cela en chemin faisant pour aller à vous, car vous êtes le centre de tout. Je mt réjouis avec M. de Grignan de la beauté de sa, terrasse ; s'il en est content, les ducs de Gênes, ses grands-pères19, l'auroient été : son goût est meilleur que

19. Nous trouvons dans un petit livre que Mme de Sévigné avait certainement eu dans les mains, la fable généalogique sur laquelle elle plaisante sans doute ici son gendre; mais c'est fort sérieusement qu'à propos de l'alliance de Marguerite d'Ornano avec le père du comte de Grignan, l'auteur donne les renseignements que voici : « Messire Louis Gaucher Adheymar de Monteil comte de Grignan, autant connu par son esprit et valeur que par son extraction, qu'il tiroit des anciens ducs de Gênes, vicomtes de Marseille, princes d'Orange et souverains de Monteil, qui furent les boucliers de la foi sous le victorieux Charlemagne, ce que justifie un acte de transaction dont l'original que j'ai vu en parchemin se conserve ès archives de la baronnie de la Garde : cet acte fut.passé à Barcelone le 6e juin l'an 83o, sous les règnes du pape Grégoire IVe et de l'empereur Louis Ier, entre Lambert Giraud Adheymar de Monteil, duc de Gênes, vicomte de Marseille, et seigneur souverain de Monteil d'une part, et Charles et Giraud Adheymar de Monteil, frères, et fils de feu illustre Giraud Hugues Adheymar de Monteil, et de Brigide d'Albret; ce même acte se fit par l'entremise d'illustre et révérend en Christ, père et seigneur Adheymar de Monteil, archevêque de Mayence, leur frère, par lequel acte ils s'accordent que Charles susnommé prendra en partage le palais et village de Saint-Paul-Tres-Chasteaux, la forteresse de Bary, Chabrières, et Bolaine.; que Giraud son puîné sera content du château d'Orange, superbement bâti, avec toutes ses propriétés, sans qu'il prétende rien sur les biens donnés par Charlemagne à Charles Giraud et à Giraud Hugon Adheymar, pour reconnoissance des services qu'ils ont rendus à Sa Majesté Impériale ; l'acte portant ces termes : ad remunerationem servitiorum factorum tam in guerris, quant in armigeris ducentibus contra impios et crudelissimos Sarracenos, Saxonej et alios vafros principes, inimicos nominis et RelÏffionis Christianorum, etc. » (Les Corses françois contenant rhistoire généalogique des plus illustres seigneurs et gentilshommes de Vile de Corsègue lesquels se sont attachés au service de la France, par M. le chevalier

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celui de ce temps-là. Si20 son lit de velours rouge est dans son alcôve, elle n'est pas moins noble que le reste de la maison ; ces vieux lits sont dignes des Adhémars; c'est malgré soi qu'on discontinue les Carthages21.

Adieu22, ma très-chère belle ; je vous dirai donc que je vous aime, sans crainte de vous ennuyer, puisque vous le souffrez en faveur de mon style : vous faites grâce à mon cœur en faveur de mon esprit, n'est-ce pas justement cela?

Mme de Coulanges est partie pour être, dit-elle, votre voisine : elle me dit un fort joli adieu. Elle conte même plusieurs bagatelles, mais ce n'est pas de la cour. Le petit Coulanges vous réjouira. On improuve fort cette lettre du clergé21, n'en déplaise à vos prélats 24. On croit Monsieur de Paris interdit, il ne dit plus la messe : il faut un sacrilége au peuple pour le remettre en bonne réputation25

836. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, ce dimanche 28e juillet.

IL faut donc que j'aie oublié de vous dire que celui qui danse si bien, et qu'on trouvoit qui dansoit si bien,

de l'Hermite Souliers, gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi.

Paris, 1667, p. 118-120.) Voyez encore YHistoire de Mme de Sévigné par M. Aubenas, p. 523. uO -

20. Cette phrase manque dans 1 impression de 1754-

ai. C'est-à-dire que l'on discontinue l'arrangement de son château. Voyez plus haut, p. 3g8, 4oo et note 7. -- ---

22. Cet alinéa-se trouve à la fin de la lettre dans l'édition de 1754, où il est ainsi modifié : « Adieu, ma très-belle, je ne craindrai plus de vous dire que je vous aime, puisque vous le souffrez, etc. »

23. Voyez la lettre du 17 juillet précédent, p. 535.

24. « A Monsieur le Coadjuteur. » (Édition de 1754-)

25. « Pour remettre le prélat en bonne réputation. * (Ibidem.)

.1 680

c'est le duc de Villeroi : j'avois dessein de vous le nommer l'ordinaire d'après f. Vraiment, ma fille, je suis ravie que mes lettres, et les nouvelles de mes amies que je vous redonne, vous divertissent comme elles font. La prudence de ceux qui vous écrivent est la véritable cause du bon succès de mon imprudence : s'ils vouloient n'être point si sages, ils vous en diroient bien plus que moi.

Mais enfin vous avez été contente de mes fagots ; c'est une fort plaisante chose que de trouver dans mes lettres des nouvelles de la cour ; elles avoient le style des gazettes; car il y avoit aussi des articles de Copenhague et d'Oldenbourg : en un mot, je vous mande tout.

Il est certain qu'il y a une âme et un mouvement d'esprits, dans le pays que vous savez, qui pourroit suivre les traces des mères et des grand'mères, si l'on n'étoit fort appliqué à détourner ce cours. La vivacité est grande, et l'envie de plaire2, et l'on ne compte pour rien le manque de beauté : c'est une petite circonstance dont il ne paroît point que l'on soit blessée, ni qu'on la sente en aucune façon s. Tout4 cela fournit vraisemblablement aux conversations infinies, et remplit l'interrègne. Vous me couvrez le momon 6 par votre raisonnement contraire au mien sur le voyage de Monsieur le Prince.

Je n'ai plus de si bons commerces : Mme de Coulanges est partie ; elle m'a dit adieu fort joliment ; elle me conte deux ou trois folies de la Rambures et de la Rannes', et

LETTRE 836 (revue en partie sur une ancienne copie). — i. Voyez la lettre du 7 juillet précédent, p. 5n.

2. « Ainsi que l'envie de plaire. » (Édition de 1754.)

3. « Ni qu'on la sente le moins du monde. » (Ibidem.)

4. Cette phrase se lit seulement dans le texte de 1754.

5. « Le momon est un défi au jeu des dés porté par des masques.

On dit couvrir le momon, pour dire accepter le défi. » (Dictionnaire de l'Académie de 1604.) — Nicot, Furetière, Ménage écrivent mommon.

6. Les deux sœurs. — Sur la marquise de Rambures, voyez tome Il,

r680

s'en va y dit-elle, devenir votre voisine, souhaitant de revenir avec vous 7. M. de Coulanges va avec elle', et puis chez vous. Il me mande que ce jour-là même qu'il m'écrit, l'abbé Têtu donne un dîner à Mmes de Schomberg ,de Fontevrault et de la Fayette, sans en avoir mis Mme de Coulanges, et que je juge par là de sa disgrâce9 : tanto t'odierà, quanto t'amai tG, voilà mon jugement.

La pauvre Troche est tout affligée de son oncle de VarennesH, qui est mort à Bourbon ; elle ne m'écrit plus de nouvelles : ainsi, ma fille, je m'en vais vous écrire aux dépens de la bonne princesse de Tarente. Elle me pria jeudi de dîner avec elle ; demain je lui dois donner une très-bonne collation, qui finira tout. J'avois encore une fricassée et une tourte sur le cœur ; et ne pouvant pas l'égaler en bien des choses, je veux du moins me donner le plaisir de ne lui rien devoir sur nos collations.

Elle parle de vous avec une estime qui me plaît : elle recevra très-bien vos compliments, et le parti de sa fille que vous prenez aussi bien que moi 12. Elle n'attribue l'agitation de sa nièce qu'à ce que je vous ai dit, et que

p. 218, note 5. — Quant à la marquise de Rannes, Charlotte de Bautru, elle était veuve de Nicolas d'Argouges, marquis de Rannes, lieutenant général des armées du Roi, colonel général des dragons, tué en Allemagne en 1678. Elle se remaria le 2 août 1682 avec JeanBaptiste-Armand de Rohan, prince de Montauban (petit-fils de la princesse de Guémené, frère du duc de Montbazon), de qui elle resta veuve le 6 octobre 1704; elle mourut elle-même au mois de décembre 1725, ne laissant qu'une fille ruorte sans alliance.

7. « Souhaitant de reprendre avec vous le chemm de rans. »

(Édition de 1754.)

8. « S'en va avec elle. Il (Ihidem.)

9. a De la disgrâce de mon amie. » (Ibidem.)

  • 10. Je te haïrai autant que je t'aimai. Voyez tome III, p. 67, note 14.

tt. Il De son bon oncle de Varennes. » (Edition de 1104.1

12. « Et sera charmée que vous preniez aussi bien que moi le parti de sa fille. » (Ibidem.)

1680

c'est ta une fièvre violente, et qu'elle s'y connoit : voulezvous que je dispute contre elle 14 ?

On 15 dit que le Roi laissera les dames à Lille, et ira16 je ne sais où avec Monsieur le Prince. Si les Hollandois étoient de la ligue, je crois qu'il se divertiroit encore à les foudroyer ; mais sans cela, le moyen qu'il veuille rompre 17 une paix qui lui coûte le reste de la Flandre, qu'il auroit prise18 ? Vous me dites une chose qui me plaît extrêmement : il est plus poli d'admirer que de louer; c'est une jolie maxime; cependant je ne puis m'empêcher de faire l'un et l'autre, quand je parle du Roi et de ma très-aimable fille19

J'ai mandé à Mlle de Grignan l'histoire tragique du P. Païen20 : si au lieu de raisonner avec ce voleur,, et de le vouloir convertir, il lui eût dit : « Hélas ! Monsieur, c'est que je me promène ; » peut-être seroit-il encore à Notre-Dame des Anges"; mais il ne savoit pas cette invention : le bon abbé ne l'a dite qu'à nous. Il22 étoit

i3. « Elle n'attribue l'agitation de sa nièce qu'à l'ignorance de son état; elle dit que c'est, etc. » (Édition de 1754.)

14. Voyez la lettre du 7 juillet précédent, p. 512.

i5. Dans les éditions de Perrin, cet alinéa termine la lettre du ai juillet. Voyez ci-dessus, p. 545, note 14.

16. « Et s'en ira. a (Edition de 1754.) — A la date de cette lettre le Roi était à Calais. Il en partit le 22 pour aller à Saint-Omer, puis à Dunkerque et à Ypres; il arriva à Lille le Ier août. Voyez la Gazette du 27 juillet et des 3 et 10 août.

17. « Mais sans cela, on ne comprend point qu'il voulut rom-

10. « qui lui coûte tout le reste de la rlandre, qu il etoit a la veille de soumettre. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

19. « C'est une jolie maxime; mîds pour moi, j'ai peine à les séparer, et je ne puis m'empêcher de faire souvent l'un et l'autre, quand je parle de ma chère comtesse. » (Ibidem.)

20. Voyez la lettre du 7 juillet précédent, p. 514.

21. Voyez tome IV, p. 85, note 5.

22. « Le P. Païen. î (Éditions de 1737 et de 1754.)

1680-

- botté, crotté; ce discours ne lui convenoit pas comme à nous. Il est vrai qu'on ne peut avoir été plus exposées, ni mieux conservées par la divine Providence ; nous avons passé de beaux jours in questa diletta parte, al cielo si cara 24. La plus grande violence que nous y avons vue, c'est celle qu'on fit à Marion" : vous prépariez souvent votre esprit à de plus grands malheurs; vous en souvient-il? mais vous n'avez jamais été assez heureuse pour éprouver votre vertu et votre courage. Enfin, ma trèschère , il faut encore finir par un proverbe 28 : Il est bien gardé que Dieu garde 27. Je ne sais point comme il a gardé votre frère dans ses précieuses amours; vous me direz28 votre sentiment : il s'en va en Flandre ; je suis entièrement persuadée29 qu'il reviendra ici le plus tôt qu'il pourra sans y perdre un moment de temps.

J'emploie le mien à courir VArianisme1* : c'est une histoire étonnante ; le style et l'auteur même m'en déplaisent beaucoup 81 ; mais j'ai un crayon, et je me venge à marquer des traits de jésuite, qui sont trop plai-

23. Les mots : « par la divine Providence, » ne sont pas dans le texte de 1754.

24. « Dans cette contrée bien-aimée, si chère au ciel. »

25. Voyez plus bas, note 3g.

26. « Enfin, ma très-chère, il faut revenir au proverbe. D (Édition de 173i.) - CtEnfin, ma très-chère, leproverbeledit. » (Éditionde 1754.)

27. « Ce que Dieu garde est bien gardé. » (Edition de 1737.) Dans notre manuscrit et dans le texte de 1754 : « qui Dieu garde. » — Comparez tome III, p. 436, note 6, lignes 5 et 6.

28' « Vous m'en direz, etc. j (Editions de 1737 et de 1754.1

29. « Extrêmement persuadée. » (Ibidem.) 1 l' 1

3o. L'Histoire de Arianisme, par le P. Maimbourg. Voyez ci-dessus, p. 526, note 40. — Dans les deux éditions de Perrin (1737 et 1754) : « le plus tôt qu'il pourra. Je m'occupe (le texte de 1737 ajoute : depuis quelque temps) à courir F Arianisme. 1

3i. « Le stylfe et l'auteur seulement m'en déplaisent beaucoup. »

(Édition de 1737-)— « Il n'y a que l'auteur et le style qui m'en déplaisent beaucoup. » (Édition de 1754.)

1680

sants 12, et par l'envie qu'il a de faire des applications des ariens aux jansénistes 83, et par l'embarras où il est d'accommoder les conduites de l'Église dans les premiers siècles avec celles d'aujourd'hui 34. Au lieu de passer légèrement là-dessus, il-dit que l'Eglise, pour de bonnes raisons, n'en use plus comme elle faisoit : cela réjouit.

Pour votre P. Malebrancbe, je ne l'entends que trop sur cette belle impulsion S5; j'aimerois mieux me taire que de parler ainsi : on voit clairement qu'il ne dit point ce qu'il pense, et qu'il ne pense point ce qu'il dit ; pardonnez le jeu de paroles, mais c'est tellement cela que j'ai voulu dire, que je ne l'ai pu éviter.

Vous êtes donc désaccoutumée de philosopher, ma bonne , mais non pas de raisonner. Il y a des philosophes qui ne le sont point, dont la pantouflerie ne vous déplairoit pas". Je ne vous plains point où vous êtes; c'est moi qui me plains d'être si loin de vous dans un temps de ma vie où je n'en ai guère à perdre. Le bon abbé voudroit bien boire de ce vin qui lui donneroit dix ans de vie; cette pensée l'a réjoui, et par la pensée du vin de Jusclan", et par celle de rajeunir. Il étoit l'autre jour tout couvert de bouquets à l'honneur de sa fête" : nous nous souvînmes des jolis vers que vous fîtes l'année passée à pareil jour ; qu'ils étoient jolis ! Il espère vous voir

32. « A marquer des traits que je trouve trop plaisants, a (Édition de 1754.) Le texte de 1737 n'a pas les mots de jésuite.

33. « Des ariens à d'autres qu'il n'aime pas. » (Édition de 1737.1

34. « Avec les conduites d'aujourd'hui. » (Édition de 1754.) 1 ,

35. a Voyez la fin de la lettre du 3 juillet précédent, à Mme de Grignan, p. 5o6 et 507, et la note 33.

36. La lettre finit ici dans notre manuscrit.

37. Voyez la lettre du 17 juillet, p. 532 et note 18.

38. Cette fête était sans doute le jour anniversaire de sa naissance.

L'abbé de Coulanges était né le 22 juillet 1607. Il ne s'agit pas de la fête de son patron saint Christophe, qui tombe au 14 avril.

1680

encore à la merci des voleurs et des loups, et de tout ce que Marion espéroit dans sa jolie abbaye 89 ; quoiqu'il ait soixante-quatorze ans, il se porte très-bien; vous en dites autant de vous : Dieu le veuille ! je ne souhaite rien avec tant de passion.

Adieu, ma chère enfant : je suis tendrement à vous, qui êtes les délices40 de mon cœur et de mon esprit.

837. - DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGKAN.

Aux Rochers, ce mercredi 31 e juillet.

IL est vrai, ma fille, que nous sommes un peu ombrageuses : une poste retardée, une lettre trop courte, tout nous fait peur. N'envoyons point nos gronderies si loin, faisons-les à nous-mêmes, chacune de notre côté; épargnons le port de toutes les raisons que nous savons fort bien nous dire ; et faisons grâce à ces sortes de vivacités en faveur de notre amitié 1, qui est plus séparée que nulle autre que je connoisse. J'admire quelquefois comme il a plu à la Providence de nous éloigner. La princese de Tarente s'accommode bien mieux de l'exil de sa fille2; elle a un commerce assez bon avec elle. Je

3g. 1 Il espère vous voir encore dans sa jolie abbaye, à la merci des voleurs et des loups, et de tout ce qui pouvoit arriver à Marion. »

(Édition de 1754.) — Mlle de Sévigné s'appelait Marguerite, et il paraît que, dans sa première jeunesse, on lui donnait tantôt le nom de Marion, tantôt celui de Manon. (Note de l'édition de 1818.) 1 -

40. « Adieu', ma chère enfant : vous êtes les délices, etc. » (Edition de 1754.) LETTRE 837. - 1. « D'une amitié. » (Édition de 1754.)

2. Voyez la lettre du 21 juillet précédent, p. 543. — Dans le texte de 1754 : & de l'exil de la sienne. »

1680

lui donnai lundi une aussi belle collation que si j'eusse payé ma fête : j'eus un peu recours à mes voisins", j'eus quatorze perdreaux9 ; c'est encore une rareté en ce pays ; tout le reste fort bon, fort propre. Elle avoit cette bonne Marbeuf, qui n'a été' qu'un jour ici, et deux chez la princesse : elle s'en retourne à Rennes auprès des Chaulnes, qui ont envoyé demander si nous voulons de leurs respects; la princesse a mandé cc qu'elle a voulu en son langage; moi, j'ai mandé que non, et que j'irois avec cette princesse leur rendre mes devoirs, et que même elle leur donnoit en pur don cette visite, n'ayant nul dessein d'attirer ici l'éclat qui les environne. Elle est ravie que, tout en riant, je la défasse d'un tel embarras. Nous avons juré à table de ne nous plus jeter dans de pareils soupers. Elle avoit amené cinq ou six personnes ; j'avois mes voisins qui avoient chassé : j'ai fermé le temple de Janus ; il me semble que voilà qui est fort bien appliqué ce sont vos Carthages qui m'ont engagée dans cette application.

Montgobert5 me mande que vous êtes plus forte que vous n'étiez, et me confirme assez ce que vous me dites de votre santé : elle me parle de vos fêtes et me paroît fort gaie. Jamais votre château n'a été si brillant; mais je serois bien empêchée s'il me falloit trouver une place pour y souper dans cette saison : je ne sais que Rochecourbières, la terrasse et la prairie. Je me souviens d'y avoir fait grand'chère , et surtout des ortolans si exquis, que j'étois pour leur graisse comme vous étiez à Hières pour la fleur d'orange Nous ne sentons rien ici de vos

3. (t Et j'eus quatorze perdreaux, a (Édition de 1754.)

4. « La bonne Marbeuf y étoit; elle n'a été, etc. » (Ihidem.)Voyez tome IV, p. 107, note 5.

5. Cet alinéa manque dans l'impression de 1787.

6. Voyez plus haut, p. 3.

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chaleurs; les pluies nous empêchent de faire les foins, et nous avons grand regret à cette perte.

Il arriva l'autre jour ici le fils d'un gentilhomme d'Anjou que je connoissois fort autrefois. Je vis d'abord un beau garçon, jeune , blond, un justaucorps boutonné en bas, un bel air dont je suis affamée; je fus ravie de cette figure; mais hélas ! dès qu'il ouvrit la bouche, il se mit à rire de tout ce qu'il disoit, et moi quasi à pleurer. Il a une teinture de Paris et de l'Opéra, il chante, il est familier ; mais c'est un garçon qui vous dit bravement7 : Quand on n'a point ce qu'on aime, Qu'importe, qu'importe à quel prix.8?

Je recommande ce vers9 à la musique de M, de Grignan.

On m'a envoyé la lettre de Messieurs du clergé au Roi : c'est une belle pièce ; je voudrois bien que vous l'eussiez vue, et les manières de menaces qu'ils font à Sa SaintetéfO. Je crois qu'il n'y a rien de si propre à faire changer les sentiments de douceur qu'il semble que le pape ait pris, en écrivant au cardinal d'Estrées qu'il vînt, et que par son bon esprit il accommoderoit toutes choses. S'il voit cette lettre, il pourra bien changer d'avis. J'ai vu d'abord le nom11 de Monsieur le Coadjuteur avec tous les autres ; il a été nommé plus agréablement , quand on m'a mandé de deux endroits que la

7. « Il est familier et il vous dit bravement. » (Éditiande 1754.)

8. Les paroles de l'opéra disent : Quand on obtient ce qu'on aime, Qu'importe, qu'importe à quel prix?

(Note de Perrin.) — Ces vers se chantent deux fois dans la Ire scène du IVe acte de Bellérophon (1679).

1 1 7°_ 1

9. « L.es paroles. » [édition ae 1704.^

10. Voyez la lettre du 17 juillet précédent, p. 535, note 34.

II. « J'ai d'abord remarqué le nom. » (Édition de 1754.)

1680

harangue12 qu'il avoit faite au Roi avoit été parfaitement belle et bien prononcée.

Mon fils aura besoin de patience ; car enfin il n'est rien de plus certain que l'on trouve sous le dais des sortes de malheurs qui doivent bien guérir des vanités du monde ; il y a eu de la perfidie, de la méchanceté ; enfin de tout ce qui peut13 faire souhaiter une cruelle, comme dit Mme de Coulanges : je crains que tout cela ne fasse plus d'un mauvais effet. Mon fils est parti 14, et pour l'achever on lui a dit que M. de la Trousse avoit dessein de faire assurer sa charge à Bouligneux 16, en lui faisant épouser sa fille : vous jugez bien que cela coupe la gorge à votre frère 16; car le moyen qu'il pût demeurer à cette place ? et comment s'en défaire, puisqu'on n'auroit plus l'espérance de monter 17 ? Nous verrons s'il

12. La harangue de clôture qu'il adressa au Roi au nom de l'assemblée l'après-midi du 10 juillet (voyez plus haut, p. 5i3, note 32), et où il le remercia, dit la Gazette du i3, a des édits que Sa Majesté avait fait publier à l'avantage de la religion catholique. » Cette harangue fut imprimée à part ; il y en a un exemplaire relié avec le volume de la Gazette de 1680, que possède la bibliothèque SainteGeneviève.

i3. « Je sens que mon fils a besoin de patience; il a trouvé sous le dais des sortes de malheurs qui doivent bien guérir des vanités humaines; la perfidie et la méchanceté s'en sont mêlées; enfin tout ce qui peut, etc. » (Édition de 1754.)

i4- « Il est parti. » [Ibidem.)

i5. Voyez tome III, p. 96, note 9. — Le mariage projeté n'eut pas lieu, et la fille-de la Trousse épousa en 1684 le prince de la Cisterne. Saint-Simon (tome IV, p. 383 et 384) parle de Louis de la Palu, comte de Bouligneux, comme d'un homme d'une grande valeur, mais tout à fait singulier. — Dans le texte de 1754 : « et pour l'achever, il a su par Mme de Coulanges que M. de la Trousse avoit dessein de demander que sa charge fût assurée à Bouligneux. »

16. c A votre pauvre frère. J) (Édition de 1754.)

17. cc Et comment la quitter, quand l'espérance de monter seroit ôtée? » (ibidem.)

1680

est possible que M. de la Trousse ne nous donne point quelque porte un peu moins inhumaine pour sortir d'un labyrinthe où il nous a mis. Vous pouvez penser comme cette véritable raison d'être embarrassé de sa charge , augmente l'envie qu'il avoit18 de s'en défaire quand rien ne l'obligeoit à y penser.

La Providence veut donc l'ordre ; si l'ordre n'est autre chose que la volonté de Dieu, quasi tout se fait donc contre sa volonté Toutes les persécutions que je vois contre saint Athanase et les orthodoxes, la prospérité des tyrans20, tout cela est contre Tordre, et par conséquent contre la volonté de Dieu; mais n'en déplaise à votre P. Malebranche51, ne feroit-il pas aussi bien de s'en tenir à ce que dit saint Augustin, que Dieu permet toutes ces choses, parce qu'il en tire sa gloire par des voies qui nous sont inconnues ? Il ne connoît22 de règle ni d'ordre que la volonté de Dieu ; et si nous ne suivons cette doctrine, nous aurons le déplaisir de voir que rien dans le monde n'étant quasi dans l'ordre, tout s'y passera contre la volonté de celui qui l'a fait : cela me paroît bien cruel.

Mais écoutez, ma fille , une chose qui est tout à fait dans l'ordre : c'est que j'ai donc fait faire deux petites brandebourgs 28 pour la pluie, l'une au bout de la

18. « Que mon fils avoit. » (Édition de 1754.)

ig. c Si la Providence veut l'ordre, et si l'ordre n'est autre chose que la volonté de Dieu, il y a donc bien des choses qui se font contre sa volonté. » (Ibidem.)

30. « Contre saint Athanase et contre les orthodoxes, les prospérités des tyrans. s (Ibidem.)

21. Le P. Malebranche dit que tout ce qui se fait dans la nature, c'est par l'amour de C ordre. (Note de Perrin.)

22. <r Saint Augustin ne connoît. » (Édition de 1754.)

23. C'est ainsi que Mme de Sévigné appelle ses petites construc-

16 8 o

grande allée dans un petit coin du côté du mail, et l'autre au bout de l'infinie. Il y a un petit plafond, j'y fais peindre des nuages, et un vers que je trouvai l'autre jour dans le Pastor fido : Di nembi il cielo s1 oscura indarno ')J".

Ma fille, si vous ne trouvez cela bien appliqué et bien joli, je serai26 tout à fait fâchée. Cherchez-moi, je vous prie, un autre vers sur le même sujet pour le bout de Vinfinie16 Mme de Rarai 27 est morte ; c'étoit une bonne femme que j'aimois ; j'en fais mes compliments à Mlles de Grignan, pourvu qu'elles m'en fassent aussi : voilà un petit deuil qui nous est commun; j'en ferai mon profit à Rennes ; ce petit voyage ne dérange rien du tout à notre commerce.

Adieu, ma très-aimable et très-chère. Vous aimez donc mes fagots? en voilà. Il faudroit que celui qui 01'-

tions dans le parc des Rochers : voyez ci-dessus, p. 472 et 514, et plus loin, au tome VII, la fin de la lettre du 29 septembre suivant; voyez aussi Walckenaer, tome IV, p. 41* — Dans le texte de 1754 : « deux brandebourgs admirables pour la pluie, l'une au bout de la grande allée du côté du mail, etc. »

24. C'est en vain que le ciel s'obscurcit de nuages. Voyez tome III, p. 136, note 5.

25. « J'en serai. » (Édition de 1754.)

26. La fin de l'alinéa, à partir d'ici, est donnée pour la première fois dans l'impression de 1754. --

27. Le Mercure du mois d août 1000 nous apprend que la marquise de Rarai était morte, en sa soixante-treizième année, au palais d'Orléans, le 27 juillet. « Elle étoit tante de la maréchale de la Ferté, et sortoit de la noble et ancienne maison d'Angermes, » ce qui explique les compliments de condoléance que Mme de Sévigné adresse à Mlles de Grignan. a Elle avait été gouvernante des enfants de feu Monsieur le duc d'Orléans (Gaston), et s'étoit acquittée de cette charge avec tout l'applaudissement qui étoit dû à une personne d'un aussi grand mérite que le sien. 1 — Voyez tome III, p. 258, note 2.

1680

donne les déjeuners à sept heures du matin ordonnât aussi qu'on eût de l'appétit. Que vous seriez aimable si par vos soins je vous retrouvois en meilleur état28 que je ne vous ai laissée ! il me semble que je vous en aurois toute l'obligation, et que vous vous portez assez souvent comme vous voulez.

28. « Que ne puis-je espérer de vous retrouver, par vos soins, en meilleur état, etc. » (Édition de 1754.)

  • FIN DU SIXIEME V~t~J 1 Il

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TABLE ALPHABÉTIQUE DES LETTRES CONTENUES DANS LE TOME VI,

RANGÉES D'APRÈS LES NOMS DES CORRESPONDANTS.

(Le numéro des lettres qui n'étaient point dans la première édition est précédé d'un astérisque.)

1° LETTRES ÉCRITES PAR MADAME DE SÉVIGNÉ A :

BUSSY RABUTIN : 1679, 24 octobre, lettre 745, page 61.

1680, 19 juin, lettre 821, page 470; — 3 juillet, lettre 827, page 507.

GRIGNAN (M. de) : 1(179, 8 décembre, lettre 760, page 129.

1680, 6 mars, lettre 788, page 299 - 17 et 20 mars, lettre 791, page 311 ; — 2 juin, lettre 815, page 434.

GRIGNAN (Mme de) : 1679, 14 septembre, lettre *730, page 1; - i5 septembre, lettre 73I, page 3; — 18 septembre, lettre 732, page 5; — 20 septembre, lettre 733, page 10; — 22 septembre, lettre 734, page 12; — 27 septembre, lettre 736, page 19; — 29 septembre, lettre 737, page 25; — 4 octobre, lettre 738, page 32; — 6 octobre, lettre 739, page 36; — 11 octobre, lettre 741, page 45; — 13 octobre, lettre 742, page 47; — 18 octobre, lettre 743 , page 5o ; — 20 octobre, lettre 744, page 55; — 25 octobre, lettre 747, page 64 ; — Ier novembre, lettre 749,

page 69; — 2 novembre, lettre 750, page 73; — 8 novembre, lettre 751, pages 77 et 82 ; - 10 novembre, lettre 752, page 82; — novembre, lettre * 753, page 86; — 22 novembre, lettre 754, page 87; — 24 novembre, lettre 755, page 93; — 29 novembre, lettre 756, page 101; — ier décembre, lettre 757, page 114; — 6 décembre, lettre 758, page II8;-8 décembre, lettre 760, page 12 9; - 13 décembre, lettre 761, page 138; — décembre, lettre *763, page 149; — 25 décembre, lettre 764, page 151; — 27 décembre, lettre 765, page i54 ;— 29 décembre, lettre 766, page 159.

1680, 3 janvier, lettre 767, page 168; — 5 janvier, lettre 768, page 173 ; — 10 janvier, lettre 770, page 181 ; — I2 janvier, lettre 771, page 185 ; — 17 janvier, lettre 772, page 19 1 ; 19 janvier, lettre 773, page 202; - 24 janvier, lettre 774, page 2o5; — 26 janvier, lettre 775, page 214; — 31 janvier, lettre 777, page 227; — 2 février, lettre 778, pages 237 et 244; - 7 février, lettre 779, page 249; - 9 février, lettre 780, page 254; — 14 février, lettre 781, page 258; — 16 février, lettre 782, page 264; - 21 février, lettre 783, page 268; - 23 février, lettre 784, page 274; — 28 février, lettre 785, page 281; — Ier mars, lettre 786, page 288; — 6 mars, lettre 788, pages 293 et 3oo ; — 13 mars, lettre 789, page 3oi ; — 15 mars, lettre 790, page 309; — 17 et 20 mars, lettre 791, page 311; — 22 mars, lettre 792, page 3ig; — 26 mars, lettre 793, page 325; — 29 mars, lettre 794, page 329; - 3 avril, lettre 795, page 334; — 5 avril, lettre 796, page 339; — 6 avril, lettre 798, page 347; — 12 avril, lettre 799, page 35o; — 17 avril, lettre 800, page 356; — 19 avril, lettre 801, page 358; — 26 avril, lettre 802, page 36i ; — IER mai, lettre 8o3, page 364; — 3 mai, lettre 804, page 373; — 6 mai, lettre 8o5, page 376; — 8 mai, lettre 806, page 382; — 9 et 10 mai, lettre 807, page 386; - 11 mai, lettre 808, page 390; - 12, 13 et 14 mai, lettre 809, page 3g2; — 17 et 18 mai, lettre 810, page 3g8; — 20 mai, lettre 812, page 409; — 25 mai, lettre 813, page 411 ; - 27 mai, lettre 814, page 422; — 31 mai et 2 juin, lettre 815, page 425;- 5 juin, lettre 816, page 435; — gjuin, lettre 817, page44I ; —12 juin, lettre 818, page 449; - 15 juin, lettre 819, page 457; — 19 juin, lettre 820, page 467; — 21 juin, lettre 822, page 472 ; — 26 juin, lettre 824, page 485 ; — 3o juin, lettre 825, p. 491; — 3 juillet, lettre 826, page 5oi ; — 7 juillet, lettre 828, page 5og; — 10 juillet, lettre 83o, page 5i8; — 14 juillet, lettre 831, page 5ig; — 17 juillet, lettre 832, page 529; — 21 juillet, lettre 834, page 542 ; — 24 juil-

let, lettre 835, page 545; — 28 juillet, lettre 836, page 55o; — 31 juillet, lettre 837, page 556.

GUITAUT (M. de) : 1679, 26 septembre, lettre *735, page 16; — 7 octobre, lettre *740, page 43; — 24 octobre, lettre *746, page 62; — 6 décembre, lettre *759, page 126.

1680, 29 janvier, lettre * 776, page 224; — 5 mars, lettre * 787, page 292; — 5 avril, lettre * 797, page 343; — 18 mai, lettre * 81 r, page 405; - 17 juillet, lettre *833, page 539.

GUITAUT (Mme de) : 1679, 26 septembre, lettre" 735, page 16; — 24 octobre, lettre *746, page 62.

1680, 5 mars, lettre *787, page 292; — 17 juillet, lettre *833, page 539.

POMPONE (M. de) : 1679, 18 décembre, lettre 762, page 147.

2° LETTRES ÉCRITES A MADAME DE SÉVIGNÉ PAR: BUSSY RABUTIN : 1679, 27 octobre, lettre *748, page 6&.

468o, 25 juin, lettre 823, page 481; — 8 juillet, lettre 829, page 5i5.

3° LETTRES DE DIVERS A DIVERS.

CORBINELLI : A Mme DE GRIGNAN : 1679, 8 novembre, lettre 151, page 82.

GRIGNAN (Mme de ) : A M. DE POMPONE : 1679, 18 décembre, lettre 762, page 147.

GRIGNAN (François de), archevêque d'Arles: A M. DE POMPONE : 1679, *4 décembre, page 148, note 1.

GRIGNAN (Jean-Baptiste de), coadjuteur d'Arles : A M. DE POMPONE : 1680, 6 janvier, lettre * 769, page 180.

GRIGNAN (l'abbé Louis-Joseph de) : A GAIGNÈRES : 1680, *. mars, page 296, note i3.

SÉVIGNÉ (Charles de) :

A Mme DE GUIGNAIT : 1680, 2 février, 244 j — 8 mai, lettre 806, page 384. -——- - V^\

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