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HISTOIRE ABRÉGÉE DES COQUILLAGES DE MER, DE LEURS MŒURS, ET DE LEURS AMOURS.

Par S.L.P. CUBIERES, l'aîné, de la Société des Sciences et Arts de Paris, et de celle d'Agriculture du Département de Seine et Oise.

A VERSAILLES, De l'imprimerie de Ph.-D. Pierres, rue de la Paix, n°.23. An VIII.


[j] AUX FEMMES

Mon but, en composant cet ouvrage, a été d'écrire pour les Femmes : c'est donc à vous, sexe aimable, que j'adresse et le dédie.
    On a peu écrit sur l'objet que je traite ; cependant les Coquillages de mer forment une branche agréable de l'Histoire naturelle, qui doit plaire à vos yeux, ainsi qu'à votre esprit.
    Souffrez que je vous donne ce conseil : ne vous bornez pas à vos graces et aux avantages que vous donne la beauté, joignez-y l'étude des sciences. Les talens et les arts rempliront utilement vos journées, ils vous donneront le moyen de combattre, avec [ij] succès, deux ennemis enfans de la paresse, qui sont le désœuvrement et l'ennui.
    L'étude enrichit la mémoire, développe l'imagination, fait éclore le génie, perfectionne le cœur, contribue au bonheur, et donne une sagesse préférable à celle qui s'acquiert par l'expérience, en ce qu'elle s’obtient plutôt, et qu’elle n’est point payée par des épreuves.
    Pour parvenir aux succès dans tous les genres, la nature ne vous a—t—elle pas donné les mêmes moyens qu’à nous ? Sans doute ; car, malgré la coupable négligence que l’on met à votre éducation, malgré cet absurde systême, autorisé par l’habitude, qui vous éloigne des occupations sérieuses pour vous attacher à des frivolités, malgré les préjugés qui vous poursuivent, et les obstacles sans nombre que vous avez à combattre, il est peu d’arts, de talens et de sciences dans lesquels les Femmes n'aient excellé (1). N'a t-on pas [iij] vu des femmes soutenir des thèses, remplir des chaires de philosophie, professer l’anatomie, la médecine, commander des armées, écrire dans toutes les langues ? N'ont—elles pas montré de l’habileté dans la peinture, la poësie, les mathématiques, l’astronomie, et dans l'art de gouverner ?Athènes et Rome, la France et l’Angleterre, l’Allemagne et la Russie, se glorifient d’avoir des femmes célèbres.
    L’histoire dépose donc contre celui qui oseroit dire que les Femmes ne sont point propres aux sciences même les plus abstraites. Comme nous, sans doute, elles atteindront à la perfection, dans tous les genres, lorsqu’on ne leur enlevera pas les moyens d’y parvenir (2).
[iv]     Ne trouve—t-on pas dans les Femmes toutes les preuves de la perspicacité ? Il est reconnu qu’en général elles apperçoivent plus vîte que nous, regardent moins long—tems et voient plus juste. J’ai remarqué dans les Femmes dont l’éducation avoit été soignée, l’esprit de philosophie qui médite, celui d’observation qui réfléchit, celui de mémoire qui recueille, et celui d’imagination qui crée.
    Pourquoi donc ne pas employer à l'éducation des Femmes, les mêmes secours et les mêmes maîtres qui sont appellés à celle des hommes ?
    O vous, jeunes personnes, qui ne connoissez encore que la dissipation et l’ennui, acquerez des connoissances ; ne craignez pas de les accumuler ; vous trouverez bientôt, [v] dans l’étude que vous en ferez, la douce récompense de vos peines ; alors tous vos momens seront occupés ; plus d'intervalle languissant : l’espace qu’il y a d’un plaisir à un autre, sera rempli ; vous ne connoîtrez plus cette anxiété, ce besoin fàtiguant de vous fuir vous-mêmes, d'aller où vous n'êtes pas. Le tems, toujours trop rapide ou trop lent, lorsqu'il n’est mesuré que par les plaisirs bruyans et le désœuvrement, s’écoulera pour vous avec charme, en laissant après lui des traces bienfaisantes.
    Plusieurs hommes célèbres ont mal parlé des Femmes, je le sais ? Qu’est-ce que cela prouve ? Seulement qu'Euripide et Juvénal ont fait des efforts d’esprit, ou qu'ils ont voulu, peut-être, se venger sur les Femmes en général, des torts particuliers qu’ils peuvent avoir eu envers une d’elles.
    Sophocle prétend que le silence est la seule chose qui puisse rendre une Femme recommandable. Que je le plains ! et avec lui [vj] tout homme qui n’a jamais goûté le charme de la conversationn d’une Femme aimable et instruite.
    Mais Platon, ce bon juge, ce grand maître dans l’art de penser, leur rend plus de justice…. Il dit positivement que les Femmes sont susceptibles des mêmes occupations que les hommes. Aristote le dit aussi, et il ajoute que c'est un bien plus grand crime de porter dommage à une Femme qu’à un homme. ll a raison. Comment justifier un égarement, qui peut entraîner jusqu’à attaquer un être, qui n’a, pour se défendre, d’autres armes que sa douceur et ses larmes ?
    Au seul aspect d"une Femme aimable, l’imagination s'épanouit, les idées gracieuses naissent, deviennent bientôt des sentimens ; et l’homme froid qui projette de juger sévèrement une Femme, se surprend quelquefois à soupirer pour elle. Ah ! combien, en effet, n’a-t-elle pas de moyens, cette Femme aimable, pour attirer nos cœurs et pénétrer [vij] nos ames ! Son regard est un charme, sa parole un bienfait, et son intérêt un bonheur.
    Oui, les Femmes ont sur nous mille avantages ; elles naissent, en général, avec le germe de toutes les vertus. Quel est l’homme qui peut mettre ses soins parernels en comparaison avec les sentimens si tendres et si touchans de la maternité ?
    Sans cesse les Femmes nous donnent les douces leçons de la bienfaisance ; et le spectacle de la misère ou du malheur, a rarement trouvé ùne Femme insensible.
    Souvent les Femmes, par leur seule présence, ont réveillé nôtre courage ; souvent aussi elles nous en ont donné des exemples inimitables….(3) C'est donc à vous, Sexe charmant, que nous sommes presque toujours redevables de nos succès. Vos conseils nous [viij] font entreprendre, vos éloges nous soutiennent ; et nous trouvons la récompense d’une bonne action dans vos applaudissemens. C’est pour vous seules que j'ai entrepris cet ouvrage ; et je me trouverai bien payé, si l’histoire du peuple coquiller, que vous allez lire, peut me valoir un sourire de votre reconnoissance.


___________Notes de bas de page (de l'édition originale)

(1) Lisez l'éloge des Femmes, par Plutarque ; le catalogue des Femmes célèbres, par Wolf ; les Femmes illustres de Bocace ; la vie des Femmes illustres, par Brantome ; l'éloge qu’en fait Ribera, Betussi, Sardonati, Descartes, Marmontel, Thomas, etc. etc.

(2) Plutarque dit avec raison que l'on pourroit faire le parallèle d'Anacréon et de Sapho, de Semiramis et de Sésostris, de Tanaquille et de Servius, de Brutus et de Procie, etc.; et l'on sait combien de succès Périclès dut à Aspasie.
    En l'an de Rome 260, cette capitale du monde fut sauvée par les femmes. Pour les en remercier, le sénat rendît un décret qui ordonnoit aux hommes de leur cêder par—tout le pas : il fit en même tems élever un monument dans le lieu où la mère avoit fléchi son fils, la femme son époux, et où Coriolan avoit été rendu â la vertu.

(3) Lîsez la jolîe pièce de vers, adressée aux Femmes, qui est â la tète de l'intéressante comédie de Paméla.