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Utilisatrice:Narilora/Brouillon/L’habit vert/Acte 4

La bibliothèque libre.
Librairie théatrale, artistique & littéraire (p. 194-243).


ACTE QUATRIÈME


Le cabinet du Président de la République, à l'Élysée.
________



Scène PREMIÈRE

MOURIER, L’HUISSIER, LE COMMANDANT du palais
Un huissier apporte des papiers, puis Mourier entre.
MOURIER, entrant.

Monsieur le Président de la République n’est pas encore là ?

L’HUISSIER

Non, monsieur le secrétaire général.

MOURIER, regardant sa montre, avec une nuance de blâme.

Dix heures… Ah !…

Le commandant du palais entre.
LE COMMANDANT

Mon cher secrétaire général…

L’huissier sort.
MOURIER

Bonjour, monsieur le commandant du Palais…

Poignée de mains.
LE COMMANDANT

Je suis un peu en retard. J’attendais le rapport de la commission chargée de l’achat de deux fox-terriers pour les écuries.

MOURIER

A quoi conclut-elle ?

LE COMMANDANT

A une enquête.



Scène II

Les mêmes, LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
L’HUISSIER, annonçant.

Monsieur le Président de la République.

LE PRÉSIDENT, entrant.

Bonjour, colonel, bonjour, Mourier. (A l’huissier.) Dites-moi, Louis, ma filleule n’est pas encore descendue de sa chambre ?

L’HUISSIER

Monsieur le président, mademoiselle Touchard est sortie depuis longtemps déjà. Elle a dit qu’elle viendrait voir M. le président à onze heures, et elle a demandé qu’on descende ses valises.

LE PRÉSIDENT

Ah !

L’HUISSIER

Seulement, nous n’avons personne pour ça. Ça ne rentre pas dans le service du personnel de l’Élysée… et comme il est syndiqué…

LE PRÉSIDENT

C’est effrayant… Ah ! nous ne sommes pas gouvernés !

L’HUISSIER

Alors, j’ai référé au directeur du matériel.

LE PRÉSIDENT

Et qu’a-t-il décidé ?

L’HUISSIER

Il a envoyé un garde municipal à cheval à Auteuil pour demander un homme de peine qui a été recommandé par M. le rapporteur du budget.

MOURIER

Cela va nécessiter une ouverture de crédit.

LE PRÉSIDENT

Inutile, vous direz qu’on laisse les valises de mademoiselle Brigitte où elles sont. Si on les descendait, j’ai l’impression qu’il faudrait les remonter.

L’HUISSIER

Bien, monsieur le président.

Il sort
LE PRÉSIDENT

Eh bien, colonel, quoi de nouveau ?

LE COMMANDANT

Je venais vous demander, monsieur le président, quel est le service du jour pour la maison militaire ?

LE PRÉSIDENT

Vous prierez le commandant Montagnac de me représenter au mariage de mademoiselle Isaac Lévi, la fille du sénateur socialiste unifié.

LE COMMANDANT

Où a lieu le mariage ?

LE PRÉSIDENT

A Saint-Thomas d’Aquin.

LE COMMANDANT

Et le capitaine Froment ?

LE PRÉSIDENT

Vous l’enverrez au banquet annuel des fils des amis de Gambetta.

LE COMMANDANT

Bien, monsieur le président, et l’attaché naval ?

LE PRÉSIDENT

Ah diable… ah oui… l’attaché naval. C’est curieux, je ne sais jamais qu’en faire de l’attaché naval. C’est un garçon très gentil. Ah ! eh bien ! qu’il aille assister à la séance d’ouverture de la Société de musique symphonique.

LE COMMANDANT

Bien, monsieur le président.

Il sort.
LE PRÉSIDENT

Et nous, Mourier, qu’est-ce que nous avons ?

MOURIER

Voici, monsieur le président, le rapport de police de la journée d’hier. Ah ! puis, j’ai à vous soumettre le texte de la dépêche officielle que vous devez adresser à Sa Majesté le Tzar en l’honneur de son anniversaire.

Il lui tend un papier.
LE PRÉSIDENT, parcourant des yeux.

« Au nom du Gouvernement, j’ai l’honneur d’exprimer à Votre Majesté… » Très bien. Dites au chef du protocole que j’approuve la rédaction et qu’il peut envoyer la dépêche.

MOURIER

Oh ! Elle est déjà partie, monsieur le président.

LE PRÉSIDENT, étonné mais résigné.

Ah ! bien ! bien ! Y a-t-il des audiences, ce matin ?

MOURIER

Rien de particulier, monsieur le président, mais je vous rappelle qu’à midi le nouvel académicien, M. de Latour-Latour dont la réception a eu lieu hier, sera présenté à votre agrément par le directeur de l’Académie et ses parrains.

LE PRÉSIDENT

A propos, on m’a dit que le duc de Maulévrier s’était trouvé un peu souffrant au cours de la séance ?

MOURIER

Un très léger malaise… la chaleur… cela n’a eu aucune suite.

LE PRÉSIDENT

Tant mieux. J’ai prié ces messieurs, ainsi que madame la duchesse de Maulévrier s’était trouvé un peu souffrant au cours de la séance ?

MOURIER

Un très léger malaise… la chaleur… cela n’a eu aucune suite.

LE PRÉSIDENT

Tant mieux. J’ai prié ces messieurs, ainsi que madame la duchesse de Maulévrier, de déjeuner à l’Élysée après la présentation, je les plains !

MOURIER

Pourquoi, monsieur le président ?

LE PRÉSIDENT

Mais, mon ami, parce que la cuisine de l’Élysée est infâme. Il faut absolument changer le chef.

MOURIER

Oh ! Monsieur le président, ce serait une grosse affaire politique…

LE PRÉSIDENT

Politique ?

MOURIER

Le cuisinier chef de l’Élysée fait partie de la loge maçonnique « Les Inséparables de l’Arc-en-ciel ». Il y est 33e Honneur, c’est-à-dire qu’il a un grade supérieur à celui du ministre actuel de la Justice.

LE PRÉSIDENT

Alors, je ne vais pas pouvoir mettre à pied ce gargotier avant sept ans ! C’est charmant !

UN SECRÉTAIRE PARTICULIER, entrant.

Monsieur le président, on téléphone des Affaires étrangères pour savoir si vous avez signé le décret de mise en disponibilité de l’Ambassadeur de France à Stockholm.

LE PRÉSIDENT

Oui, oui, voilà. (Il signe. A Mourier :) C’est plus facile que pour le cuisinier ! (Il lui donne un papier) A propos, est-ce qu’on vous a donné les renseignements que j’ai demandés sur les affaires de Perse ?

LE SECRÉTAIRE PARTICULIER

Monsieur le président, le ministre a répondu qu’il ne pouvait rien vous dire.

LE PRÉSIDENT

Ah ! bien… bien !… (Le secrétaire particulier sort.) Et vous, Mourier, avez-vous demandé à l’Intérieur où en étaient les grèves du Nord ?

MOURIER

J’ai demandé, monsieur le président, mais le ministre a fait répondre qu’il valait mieux que vous ne vous en occupiez pas.

LE PRÉSIDENT

Ah ! bien ! bien ! Dites-moi, vous me ferez envoyer les journaux que je sache un peu ce qui se passe ?

MOURIER

Bien, monsieur le président.

Il remonte.
LE PRÉSIDENT, seul, s’enfonce dans son fauteuil et réfléchit.

Déjà dix heures et demie. Cette petite Brigitte…

L’huissier entre.



Scène SCÈNE III

LE PRÉSIDENT, L’HUISSIER, LE DUC


L’huissier apporte une carte qu’il présente.
L’HUISSIER

Ce monsieur demande à être reçu, monsieur le président.

LE PRÉSIDENT

Oh ! comment donc !

L’HUISSIER, remonte, s’efface et annonce.

M. le duc de Maulévrier !

LE DUC, entrant.

Monsieur le président !…

LE PRÉSIDENT

Très heureux, mon cher duc, de vous voir… et de vous voir ici.

LE DUC

Je vous entends. Le duc de Maulévrier chez le premier magistrat du régime, c’est en effet une chose assez immense. Soyez assuré que je ne m’y fusse point risqué si tout autre que vous eût occupé les fonctions de Président de la République.

LE PRÉSIDENT

Très touché, mon cher duc.

LE DUC

Vous plaisent-elles toujours ?

LE PRÉSIDENT

Mais oui…

LE DUC

Tant mieux, elles sont, en somme, des plus honorables. Malheureusement, aucun avenir…

LE PRÉSIDENT, souriant.

Oh ! aucun ! mais asseyez-vous, je vous prie.

LE DUC

Merci. Si j’ai ce matin devancé l’heure où vous m’avez convié, c’est que j’y ai été incité par une circonstance de quelque intérêt que je dois vous communiquer.

Il s’assied.
LE PRÉSIDENT

Je vous écoute.

LE DUC

Mon cher Président, voici : Je suis cocu.

LE PRÉSIDENT, sursautant.

Voyons, c’est une plaisanterie.

LE DUC

N’en croyez rien…

LE PRÉSIDENT

C’est que vous prenez la chose d’une telle façon.

LE DUC

Mon cher, Chamfort s’est plaint fort justement jadis qu’on eût laissé tomber l’état de cocu. Il regrettait avec bon sens de le voir désormais accessible aux plus petites gens. J’ai formé le dessein de le relever.

LE PRÉSIDENT

Voilà une idée charmante. D’ailleurs, mon cher duc, n’estimez-vous pas qu’un homme de votre qualité est au-dessus de tout ce qui peut lui arriver ?

LE DUC

Je l’estime, en effet, et considère qu’il y aurait de ma part une condescendance vraiment excessive à me mettre de niveau avec les événements… Celui-ci n’apportera donc aucun trouble à mon foyer.

LE PRÉSIDENT

A la bonne heure !

LE DUC

Je compte n’en marquer nul dépit, ni à la duchesse que je n’ai point cessé d’estimer, ni même à celui par qui je suis ce que je viens de dire.

LE PRÉSIDENT

Mon cher duc, vous avez beaucoup d’allure.

LE DUC

Je l’ai toujours pensé, néanmoins comme il convient de garder quelque mesure dans la grandeur d’âme, j’assisterai au déjeuner auquel vous m’avez convié, mais prendrai congé sitôt levé de table. C’est pour que vous ne vous en étonniez point que je suis venu vous faire ma confidence.

LE PRÉSIDENT

Je m’incline devant votre désir, mon cher duc, mais croyez bien que je suis désolé…

LE DUC

Ne vous montrez point plus affecté que moi-même, ce serait indiscret… (Il se lève.) Sur ce, je vous quitte pour revenir tout à l’heure. On aura vu deux fois, en une seule journée, le duc de Maulévrier chez le premier magistrat de ce régime. C’est une chose immense.

LE PRÉSIDENT

Et dont je sens tout le prix.

LE DUC, remontant.

Palsembleu ! Vous êtes fort bien logé à l’Élysée-Bourbon.

LE PRÉSIDENT

Bourbon ?

LE DUC

N’est-ce point le nom de ce palais ? Monseigneur le duc de Berry qui y résidait l’appelait ainsi.

LE PRÉSIDENT

En effet, mais maintenant nous disons tout simplement l’Elysée. Le mot Bourbon a disparu… à l’usage.

LE DUC, avisant le buste de la République.

Ah, ah ! Sur ma foi, vous avez là un beau buste. Quelle est cette personne ?

LE PRÉSIDENT

C’est la République.

LE DUC

Ah ! connais pas ! Elle n’est pas laide ! Ressemblante ?

LE PRÉSIDENT, souriant.

Un peu rajeunie.

LE DUC

Souffrez qu’en amateur, je vous signale ici une légère fissure qui pourrait s’aggraver.

LE PRÉSIDENT

Sans doute, mais j’ai consulté un spécialiste ! Rien à craindre avant sept ans…

LE DUC

Je comprends votre sentiment. Ah ! pas un mot de cette visite, n’est-ce pas ?

LE PRÉSIDENT

Entendu. A tout à l’heure, mon cher duc.

LE DUC, s’inclinant.

Monsieur le Président ! (Il remonte. A part.) Ce régime est badin !

Le duc sort.



Scène IV

LE PRÉSIDENT, LA DUCHESSE
L’HUISSIER, entrant avec une carte.

Cette dame attend depuis un moment, monsieur le président.

LE PRÉSIDENT

Tiens, tiens… Faites entrer !…

L’HUISSIER, annonçant.

Madame la duchesse de Maulévrier !

LE PRÉSIDENT

Madame la duchesse !  !

LA DUCHESSE, très agitée.

Oh ! Monsieur le Chef du Gouvernement de la République, je me présente ici comme une femme tout à fait confidentielle pour vous demander un service très grand.

LE PRÉSIDENT

A vos ordres.

LA DUCHESSE

Mais avant il faut que je vous fasse comprendre.

LE PRÉSIDENT

Asseyez-vous donc, je vous en prie.

LA DUCHESSE

Voilà… Monsieur le Président… Je suis bigame.

LE PRÉSIDENT, sursautant.

Hein !… Je vous demande pardon. Madame la duchesse, mais j’ai vraiment aujourd’hui une matinée extraordinaire !… Enfin, expliquez-vous, je vous en prie…

LA DUCHESSE

Oui. Je ne parle pas tout à fait juste… Je veux dire que deux hommes à la fois m’ont appartenu.

LE PRÉSIDENT

Oh ! oui ! oui !

LA DUCHESSE

Par malheur, je suis une femme d’une si grande sensibilité que lorsque je suis sur le bord de l’amour, tout de suite je tombe dedans. Alors il est arrivé que j’ai été particulièrement sensible avec M. de Latour-Latour qui est un gentleman tellement confortable.

LE PRÉSIDENT

Je n’en doute pas.

LA DUCHESSE

Et c’est la cause de la tragédie d’hier à l’Académie.

LE PRÉSIDENT

Une tragédie, mais j’ignore tout à fait ?

LA DUCHESSE

Vous ne savez pas… Oh ! cela me gêne de vous détailler…

LE PRÉSIDENT

Je comprends, madame la duchesse. Mais j’ai là le rapport de police qui me renseigne fort exactement chaque jour et qui va me mettre au courant.

Il prend le rapport de police.
LA DUCHESSE

Alors… lisez…

LE PRÉSIDENT

Voyons !… (Il feuillette le rapport de police.) Ah !… Académie Française… Voilà… « La séance est ouverte… le récipiendaire… à deux heures un quart… M. le Directeur de l’Académie a dû s’interrompre à la suite d’une légère syncope. On a attribué ce malaise à la chaleur, mais je suis parvenu à en connaître la cause exacte. Le duc qui depuis quelque temps s’adonne à la boisson… »

LA DUCHESSE, se levant.

Oh !

LE PRÉSIDENT

Je vous demande pardon… (Il poursuit.) « Venait d’apercevoir aux places du centre le fils naturel qu’il eut autrefois de la femme d’un garde-chasse. »

LA DUCHESSE

Oh ! qu’est-ce que c’est que ça ?

LE PRÉSIDENT, souriant.

C’est un rapport de police.

LA DUCHESSE

Oh ! indignité ! le boisson est faux et l’enfant aussi. Le duc n’a rien fait, je jure, avec le garde-chasse. Car il est stérile, je sais.

LE PRÉSIDENT

Je n’en doute pas, je n’en doute pas.

LA DUCHESSE

Et s’il a fait cette petite évanouissement, c’est qu’il a trouvé subitement dans son discours, une lettre… de moi, adressée à…

LE PRÉSIDENT

Ah !… j’ai compris !

LA DUCHESSE

Merci. Et après cet incident, le cher duc a eu avec moi une attitude vraiment héraldique. Alors, vous comprenez combien j’ai été touchée. Je ne pense plus qu’à lui. Déjà, je suis tremblante en songeant qu’ils se rencontreront ici tout à l’heure, figure à figure. Surtout qu’ils seront en uniforme avec les épées. Oh ! monsieur le gouvernement, quelle frayeur !

LE PRÉSIDENT

Soyez tranquille, madame la duchesse, je serai là…

LA DUCHESSE

Oui, mais pas toujours… Eh bien, je ne veux pas que ce cher Odet soit moqué. Je ne veux pas qu’on le quolibète… Alors, c’est pour cela que je suis venue vous voir.

LE PRÉSIDENT

Mais que puis-je ?

LA DUCHESSE

Il faut me faire l’amitié de supprimer M. de Latour-Latour.

LE PRÉSIDENT

Hein ?

LA DUCHESSE

Oui, pendant quelque temps. Comme Président de la République, vous avez le droit de l’exiler ?

LE PRÉSIDENT

Mon Dieu, vous savez… Madame la duchesse, ça ne se fait plus beaucoup.

LA DUCHESSE

Alors, vous ne pouvez rien !

LE PRÉSIDENT

Mais je ne vois pas… Oh ! à moins que je ne le fasse déléguer à un congrès. Il y en a un à Bucarest.

LA DUCHESSE

Qu’est-ce que c’est « congrès » ?

LE PRÉSIDENT

Ce sont des réunions que les gouvernements organisent pour faire voyager gratuitement leurs amis et pour éloigner leurs adversaires. C’est très utile.

LA DUCHESSE

Oh ! c’est un parfait stratagème.

LE PRÉSIDENT

Oui, mais M. de Latour-Latour consentira-t-il ?

LA DUCHESSE

Ça, je me charge… Je suis un peu rassérénée, mon cher gouvernement. Comme vous avez gentiment écouté toutes ces choses intimes.

LE PRÉSIDENT

Mais vous m’avez ravi, madame la duchesse ! Songez donc, notre constitution présente cette particularité qu’on ne dit jamais rien au Président de la République. On ne le consulte jamais sur rien. Alors, aujourd’hui, pour la première fois, j’ai l’impression d’être mêlé à quelque chose, d’avoir un peu d’influence… Oh ! je suis bien content.

L’HUISSIER, entrant.

Monsieur le président, il y a là M. le directeur des douanes et M. le Préfet de la Seine.

LE PRÉSIDENT

Ah !

L’HUISSIER

Il y a aussi M. le comte de Latour-Latour de l’Académie.

LE PRÉSIDENT

Déjà…

LA DUCHESSE

Hubert !

LE PRÉSIDENT, à l’huissier.

Faites passer mes visiteurs officiels dans la bibliothèque, je les y recevrai. Vous ferez ensuite entrer ici, M. de Latour-Latour… Allez ! (L’huissier sort. La duchesse fait un mouvement pour sortir.) Restez, madame la duchesse… Vous allez pouvoir décider tout de suite M. de Latour-Latour… et je dirais même si je n’étais pas président de la République que c’est le bon Dieu qui l’envoie !

LA DUCHESSE

Vous avez raison… Comme vous êtes bon et inoffensif !

LE PRÉSIDENT, lui montrant un fauteuil.

Mettez-vous là… et bonne chance.

Il sort.



Scène SCÈNE V

HUBERT, LA DUCHESSE
HUBERT, entre et ne voit tout d’abord pas la duchesse.

Monsieur le Président. (La duchesse se lève.) Vous ici !…

LA DUCHESSE

Oui, vous saurez pourquoi tout à l’heure !…

HUBERT, très ému.

Oh ! je suis bien heureux de vous voir. Oh ! quelles heures j’ai passées. Heureusement, le mot que vous m’avez envoyé hier soir m’a rassuré. Le duc a été vraiment d’une mansuétude…

LA DUCHESSE

Oui, il a été tout à fait mansuet.

HUBERT

Quelle journée ! Et encore vous ne savez pas tout.

LA DUCHESSE

Quoi ?

HUBERT

Oh ! c’est à n’y pas croire !

LA DUCHESSE

Mais quoi ?

HUBERT, avec éclat.

Mademoiselle Brigitte assistait hier à ma réception.

LA DUCHESSE, après un temps.

Ah ! Eh bien ?

HUBERT, gêné.

Eh bien… voilà… c’est tout… Mais vous-même, madame la duchesse ?

LA DUCHESSE

Vous allez connaître pourquoi je suis ici en ce moment, Hubert, il est arrivé depuis hier une chose épouvantable.

HUBERT, terrifié.

Pour moi ?

LA DUCHESSE

Non.

HUBERT, rasséréné.

Pour vous alors ?

LA DUCHESSE

Non, pour notre amour.

HUBERT

Comment ?

LA DUCHESSE

Il est fini.

HUBERT

Que dites-vous ?

LA DUCHESSE

Oui… ce pauvre enfant, il est terminé. Il n’a plus rien à faire avec nous… Il peut se croiser les ailes.

HUBERT

Mais non. Non.

LA DUCHESSE

Mais si… Il faut m’écouter. Vouyez-vous Hubert, notre sentiment mutuel aurait pu continuer encore si nous avions éprouvé l’un par l’autre une grande douleur, mais nous avons eu seulement un grand embêtement… Ça, l’amour ne comporte pas… Alors, nous allons nous disloquer…

HUBERT

Mais…

LA DUCHESSE, avec un peu de mélancolie.

Ne protestez pas. Depuis quelque temps, vous n’êtes plus pareil. Vous aviez pour moi cette gentillesse d’un homme qui n’est plus tout à fait à vous. Mais il ne faut rien regretter à cause des bonnes petites heures que nous avons eues ensemble. Je vous ai connu avec un bleu costume, je vous quitte avec un vert habit. Je vous ai conduit par la main du banc des clématites jusqu’au bois des lauriers… Et pourtant, et cela est très gentil, vous avez gardé vos yeux tout ronds et votre figure étonnée…

HUBERT

Ah ! on m’a déjà dit ces mots-là.

LA DUCHESSE

Qui ?

HUBERT, ému.

Une personne…

LA DUCHESSE, avec intention.

Peut-être, je devine !… Maintenant, écoutez : Le cher Président, sur ma prière, il va vous supprimer…

HUBERT, effrayé.

Quoi ?

LA DUCHESSE

Oui, il va vous envoyer pour quelque temps à l’étranger faire une commission… et je vous prie d’accepter.

HUBERT

Mais…

LA DUCHESSE

Il faut, à cause du cher duc…

HUBERT

Alors, je m’incline.

LA DUCHESSE

Et quand vous reviendrez, je suis sûre que vous vous marierez…

HUBERT

Oh !

LA DUCHESSE

Si… D’abord, ils se marient toujours…

HUBERT, étonné.

Qui ça ?

LA DUCHESSE

Ne vous occupez pas. A présent, il faut se dire adieu…

HUBERT

Oui, mais pas ce mot-là…

LA DUCHESSE

Si… parce que quand on l’a dit, plus tard on se souvient toujours de l’accent avec laquelle on l’a dit… et c’est la dernière chose agréable… Dites-le…

HUBERT

Adieu !

LA DUCHESSE

Adieu… Vous penserez à moi un peu…

HUBERT

Oh !

LA DUCHESSE

Oui… il faudra… comme à une personne bonne… oui, très bonne, qui avait de la tendresse à donner beaucoup et qui, à cause de cela, était un tout petit peu ridicule.

HUBERT

Oh ! Madame la duchesse…

LA DUCHESSE

Si… si… Je sais. (Un temps. Le président entre.) Oh ! cher monsieur, j’ai parlé à M. de Latour-Latour.

LE PRÉSIDENT

Cher monsieur, madame la duchesse m’a appris que vous désiriez représenter la France au Congrès des langues romanes.

HUBERT

Ah ! oui… oui !… Oui… Monsieur le Président… c’était en effet le rêve de toute ma vie…

LE PRÉSIDENT

C’est entendu.

Il sonne. — L’huissier entre.
LE PRÉSIDENT

Je vais vous faire conduire au secrétariat général où l’on vous remettra la lettre qui vous accrédite, et où l’on vous demandera quelques renseignements officiels, c’est-à-dire insignifiants. Je vous attends ici.

LA DUCHESSE

Mais qu’est-ce que c’est les langues romanes ?

LE PRÉSIDENT

M. de Latour-Latour va vous le dire…

HUBERT

Vous êtes trop aimable… Je vais au secrétariat…

Il sort précédé par l’huissier.
LA DUCHESSE

Merci de tout mon cœur, cher ami présidentiel ! Je viendrai tout à l’heure avec le duc. Il faut qu’on nous voie ensemble. (Elle remonte un peu.) Mais, dites-moi… J’ai entendu que votre filleule, cette petite Brigitte, est revenue à Paris hier pour l’Académie.

LE PRÉSIDENT

En effet, madame la duchesse… mais comment savez-vous ?…

LA DUCHESSE

Par M. de Latour-Latour. Il me l’a dit avec de l’émotion.

LE PRÉSIDENT

Ah !…

LA DUCHESSE

Avec beaucoup de l’émotion.

LE PRÉSIDENT, avec intention.

Ah !…

LA DUCHESSE

Elle est gentille…

LE PRÉSIDENT

Oui.

LA DUCHESSE, très affectueusement.

Elle est excessivement gentille.

LE PRÉSIDENT

Et vous, madame la duchesse, vous êtes délicieuse.

Il lui baise la main.
LA DUCHESSE, remontant.

Oh ! c’est tout naturel… Voyez-vous, monsieur le Président, je remarque qu’en France, il vous manque un ministère.

LE PRÉSIDENT

Lequel ?

LA DUCHESSE

Le ministère de l’amour.

LE PRÉSIDENT

Je vous l’offre.

LA DUCHESSE, souriant.

Oh ! moi, je viens de donner ma démission.

LE PRÉSIDENT, lui baisant la main.

Vous êtes charmante !

La duchesse sort.



Scène VI

LE PRÉSIDENT, BRIGITTE, MOURIER
MOURIER

Monsieur le président, voici quelques décrets à signer.

LE PRÉSIDENT

Mettez ça là.

Mourier sort, Brigitte entre.
LE PRÉSIDENT

Ah ! te voilà enfin, toi ?

BRIGITTE

Oui, mon parrain.

Elle lui tend le front. — Il l’embrasse
et la regarde dans les yeux.
LE PRÉSIDENT

Tu n’as pas changé d’avis depuis notre grande conversation d’hier soir ?…

BRIGITTE

Oh ! non ! Vous comprenez, je croyais ne plus aimer du tout ce monsieur ; il a suffi que je le revoie en laurier, pour être de nouveau toute… toute barbouillée… alors, non, j’en ai assez ! Je ne veux plus le revoir !

LE PRÉSIDENT

Soit… Mais, ma petite fille, est-ce que tu es bien fixée sur les sentiments de « ce monsieur » pour toi ?

BRIGITTE

Oh ! parrain, je vous en prie… Vous êtes chimérique comme tous les hommes d’Etat. Où ça me mènerait-il ? pas à un mariage, bien sûr. Alors, l’autre chose ? Evidemment, l’autre chose, c’est toujours plus facile… Mais une liaison avec un homme aussi en vue… pas possible à cause de vous ! Voyez-vous cette manchette dans les journaux du soir : « La chute de la filleule du Président de la République !  !  ? » Quelle histoire !

LE PRÉSIDENT

Alors ?

BRIGITTE

Alors, je retourne à La Rochelle. Je viens d’y passer huit mois très acceptables… Mon patron, votre ami, M. Barbotte, armateur, est très gentil…

LE PRÉSIDENT

Mais tu n’as là aucun avenir, ma pauvre petite !…

BRIGITTE

Ça ne dépend que de moi. M. Barbotte, votre ami, m’a proposé de m’installer, de me donner une petite maison de campagne, une petite voiture, une petite femme de chambre…

LE PRÉSIDENT

Hein ?

BRIGITTE

C’est un homme très bien, marié, considéré, protestant… et si craintif !… Quand il me fait la cour, on dirait qu’il pense à la Saint-Barthélémy. Ça m’a touchée. Alors, je verrai.

LE PRÉSIDENT

Ah çà ! tu es folle !

BRIGITTE

Mais parrain, vous ne vous rendez pas compte… Être cocotte à La Rochelle, c’est très convenable. C’est à peu près aussi convenable que d’être honnête femme à Paris.

LE PRÉSIDENT, regardant sa montre.

Oui… Oui… Ce projet est en effet respectable et… (Sonnerie au petit téléphone de table. Il prend le récepteur.) Les décrets ?… Oui… oui… Je vais les apporter moi-même… J’ai à vous parler… (Il se met à signer.) Je te demande pardon.

BRIGITTE, s’approche et le regarde.

Oh ! c’est drôle ; vous ne lisez pas ce que vous signez.

LE PRÉSIDENT

Mais, ma petite fille, si je lisais, peut-être que je ne signerais pas… Là, c’est fini… Attends-moi un instant…

BRIGITTE, allant pour sortir.

Mais je vais…

LE PRÉSIDENT

Non, non, reste là, j’ai mes raisons, des raisons d’État. Je reviens.

Il sort. Brigitte reste seule et s’assied dans le fauteuil.



Scène VII

BRIGITTE, HUBERT
HUBERT, entre en tenant une grande enveloppe blanche à la main.

Monsieur le Président…

BRIGITTE, se levant.

Oh !

HUBERT

Vous !… C’est tout de même curieux l’Élysée !…

BRIGITTE

Ah ! ça, c’est trop fort !… Oh ! par exemple !…

HUBERT

C’est vous !…

BRIGITTE,

Vous entrez comme ça sans vous gêner…

HUBERT, d’une voix brisée.

Mais c’est bien naturel. Je croyais ne trouver là que le président de la République…

BRIGITTE

Oh !… Tout de même…

HUBERT

Mademoiselle, vous ne pouvez pas vous figurer avec quelle émotion je vous revois.

BRIGITTE, d’une voix tremblante.

Moi, monsieur… je ne suis pas émue du tout…

HUBERT

Vous avez de la chance… J’ai tant de choses à vous dire, et je suis là… je cherche mes mots… je cherche mes mots… dans ce costume !…

BRIGITTE,

Il vous va bien…

HUBERT

Il a été fait à Londres.

BRIGITTE,

Et puis, il y a l’épée, c’est joli.

HUBERT

Oui, c’est gênant mais c’est joli. Oh ! Brigitte, si vous saviez depuis huit mois comme j’ai pensé à cette petite figure-là… Et c’était pas commode, allez, au milieu de toutes ces démarches…

BRIGITTE,

Ah ! oui ! vous avez ramé !…

HUBERT

Bien sûr… vous, vous étiez à l’écart, tranquille… vous pouviez penser à moi… tout à votre aise, tout le temps.

BRIGITTE,

Mais je ne pensais pas à vous !

HUBERT

Allons donc !

BRIGITTE,

Ah ! vous n’avez pas changé !

HUBERT

Non. Peu à peu, j’ai compris que tout ce qui m’était arrivé d’heureux c’était vous qui m’y aviez conduit par la main… Brigitte.

Elle lève la tête vers lui.
BRIGITTE

Quoi ?

HUBERT, lui prenant la main.

Laissez-la-moi.

BRIGITTE, sursautant et retirant sa main.

Qu’est-ce que vous dites ?

HUBERT

Vous comprenez, je ne peux plus me passer de vous, moi ! Comment est-ce que je ferais sans vous pour tenir mon personnage ? Tout le monde me croit un homme épatant, moi aussi je le crois un peu. Il n’y a que vous qui sachiez que je suis un pauvre type… Si vous m’abandonnez tout le monde le saura… Brigitte, il faut que vous soyez ma femme…

BRIGITTE

Je vous défends de dire des choses pareilles !

C’est imbécile de dire des choses pareilles. Et puis d’abord, je refuse !

HUBERT

Vous n’en avez pas le droit.

BRIGITTE,

Et pourquoi ça ?

HUBERT

Parce que vous m’aimez ! Oh ! et puis ne dites pas non ! Vous savez… J’en suis sûr, pas parce que vous me l’avez dit mais à cause de ce qui s’est passé à Louveciennes au moment où nous nous sommes quittés. Rappelez-vous ?

BRIGITTE,

Je ne sais pas du tout à quoi vous faites allusion.

HUBERT

A quoi ? à quoi ? je fais allusion à… à ça !

Il la prend brusquement dans ses bras et l’embrasse longuement sur les lèvres.
BRIGITTE, se dégageant lentement.

Oh !… je me souvenais bien que c’était agréable… mais je ne me souvenais pas que ça l’était tant que ça !

HUBERT

Moi non plus…

BRIGITTE, baissant la tête.

C’est épatant !

HUBERT

Oui !

BRIGITTE,

Eh bien, nous voilà jolis !…

HUBERT

Et dire que je pars demain pour Bucarest !…

BRIGITTE, inquiète.

Vous partez ?

HUBERT

Oui… on m’envoie au Congrès des langues romanes.

BRIGITTE,

Seul ?

HUBERT

Non, avec un secrétaire.

BRIGITTE,

Qui est-ce ?

HUBERT

Je ne l’ai pas encore choisi.

BRIGITTE,

Emmenez-moi.

HUBERT

Vous !… Oh ! oui !… Mais non, ça n’est pas possible… Vous comprenez… un académicien… un délégué officiel arrivant avec une jeune fille.

BRIGITTE

Oui. Vous avez raison. Le congrès ne s’occuperait plus que de ça. Il ne s’occuperait plus du tout des langues romanes !

HUBERT

Ah ! s’il y avait une façon d’éviter les potins… Je vous en prie, trouvez quelque chose… vous avez trouvé plus difficile !

BRIGITTE

Hum !… (Elle réfléchit longuement.) Mon Dieu ! à la rigueur, il y aurait peut-être un moyen…

HUBERT

Dites !…

BRIGITTE

Eh bien ! ce serait, le jour même de notre arrivée — dans le cas où nous arriverions là-bas ensemble — d’aller faire tout de suite un petit tour dans la ville…

HUBERT

Vous croyez que ça suffira ?

BRIGITTE

Non… Attendez… Forcément, vous ferez quelques visites.

HUBERT

Forcément.

BRIGITTE

Vous irez voir le Consul de France ?

HUBERT

Oui.

BRIGITTE

Eh bien ! je pourrais vous accompagner…

HUBERT

Bien sûr…

BRIGITTE

Vous causeriez un moment avec lui… Il pourrait nous lire deux ou trois formules très banales, nous demander de signer un bout de papier, et, vraiment, nous n’aurions aucune raison de le lui refuser… jusque-là, c’est assez simple…

HUBERT

Oui, mais je ne vois pas…

BRIGITTE

Attendez !… Après, nous irions nous promener, visiter les monuments… ça se fait toujours… il est très probable que nous tomberions sur une petite église… vous savez une de ces petites églises en bois peint, avec un de ces clochers découpés qui ont l’air de joujoux…

HUBERT

Oui…

BRIGITTE

Nous entrerions… nous nous trouverions nez à nez avec un brave homme de prêtre, barbu, marié, père de famille, pas tout à fait de notre religion, mais quoi ? le bon Dieu est très indulgent pour les Français à l’étranger… Il y en a si peu !… Nous ferions une petite prière, nous recevrions une petite bénédiction… et puis nous continuerions notre promenade… et personne ne pourrait plus rien nous dire.

HUBERT

Pourquoi ?

BRIGITTE, baissant les yeux.

Parce que nous serions mariés !

HUBERT, épanoui.

Oh !… mais alors… vous voulez bien ?

BRIGITTE

Oui… je veux bien, mais comme ça… très loin… dans un pays à costumes… où ça n’a presque pas l’air vrai… comme ça, je veux bien.

HUBERT, la prenant dans ses bras.

Oh ! ma petite… ma petite… vous êtes mon bonheur, vous êtes ma chance… Vous verrez !… je ferai de vous une vraie femme du monde !…

BRIGITTE

Une vraie femme du monde ?… Oh ! non, je veux vous rester fidèle !

Il lui prend les mains qu’il couvre de baisers.



Scène VIII

LE PRÉSIDENT, HUBERT, BRIGITTE, puis LE DUC, LA DUCHESSE, LE GÉNÉRAL, et BÉNIN.
LE PRÉSIDENT, entre, les voit. Ils se séparent brusquement.

Je vous demande pardon…

HUBERT, il s’éloigne de Brigitte.

Oh ! Monsieur le Président…

LE PRÉSIDENT

Mais non… restez tout près l’un de l’autre, n’ayez pas honte, la République en a vu bien d’autres !… Quant à moi mes fonctions m’obligeant à ne prononcer que des paroles insignifiantes, je vous dirai comme dans les contes de fées : « Mariez-vous, soyez heureux et ayez beaucoup d’enfants ! »

BRIGITTE

Oh ! oui, ils auront des petites figures étonnées.

L’HUISSIER, annonçant.

Monsieur le président, les parrains sont là…

BRIGITTE, épouvantée.

Déjà !

LE PRÉSIDENT, à Hubert.

Allez vite… faites le tour… (Hubert sort. A Brigitte :) Et toi, veux-tu te sauver !…

BRIGITTE, très tranquille.

Non. Je reste là.

L’HUISSIER, annonçant.

Monsieur le duc de Maulévrier, directeur de l’Académie Française… Monsieur le Baron Bénin, de l’Académie Française… Monsieur le Général Roussy des Charmilles, de l’Académie Française… Monsieur le comte de Latour-Latour, de l’Académie Française !

La duchesse entre à la suite des académiciens sans être annoncée. Hubert qui a couru pour faire le tour est entré très essoufflé.
LE PRÉSIDENT

Madame la duchesse !…

LE DUC

Monsieur le Président de la République, j’ai l’honneur de présenter à votre agrément, monsieur le comte de Latour-Latour qui prit séance hier dans notre compagnie.

LE PRÉSIDENT, à Hubert.

Je suis charmé, monsieur, de faire votre connaissance.

LE DUC, avec noblesse.

Je me félicite d’autant plus de la mission qui m’incombe que M. de Latour-Latour est de mes amis.

BÉNIN

Je soumets le décret, monsieur le Président, à votre signature…

LA DUCHESSE, s’approchant du duc.

Oh ! cher Odet, vous avez été un magnifique homme, je suis fascinée !…

LE DUC

Je ne vous comprends pas.

LA DUCHESSE, bafouillant, puis passant à l’anglais.

Oh ! je vois véritablement dans cette confection de l’événement… la noblesse du sang… de la grandeur qui… really oh ! yes, truly… tout entière… I can’t explain. So sorry so… You are a beautiful man !

LE DUC

Nelly, y pensez-vous !…

LA DUCHESSE, bas, baissant les yeux.

Je le médite.

LE PRÉSIDENT

Permettez-moi, monsieur le duc, et vous, madame la duchesse de vous annoncer une nouvelle qui m’emplit de joie : Ma chère petite Brigitte se marie.

LE DUC

Mes compliments !

LA DUCHESSE

Oh ! je suis très pénétrée de satisfaction, car je sais très bien avec qui vous allez faire matrimonio…

LE DUC

Qui est-ce donc ?

BRIGITTE, désignant Hubert comme au premier acte.

Celui-là !

LA DUCHESSE

Je vous félicite avec toute ma cœur !

LE DUC

Aucune nouvelle ne pourrait me réjouir davantage.

LE PRÉSIDENT

Mais je suis bien plus heureux encore que vous tous !

LE DUC

Pourquoi ?

LE PRÉSIDENT

Parce que enfin, il vient de se passer quelque chose à l’Élysée !…

LE DUC

Ce régime est badin !

UN MAÎTRE D’HÔTEL, ouvrant les porte.

Monsieur le président est servi !


Rideau.


FIN