Véga la Magicienne/23

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L’Indépendant du Cher (p. 35-36).

XXIII

Perdue dans le souterrain

Où donc passer, voilà l’eau qui affleurait les dernières marches, on était évidemment envahi par les douves. L’intrépide créature chercha le long de la voûte basse s’il n’y avait pas une issue, mais rien, rien qu’un bout de chaîne rouillée qui pendait par une sorte de meurtrière.

Véga tira cette amorce pour voir si elle n’actionnait pas une trappe quelconque, alors la chaîne s’allongea, un léger clapotis se fit entendre et la jeune fille aperçut une espèce de très petit bateau qui approchait à mesure qu’elle halait sur l’amarre.

— Bon, se dit-elle, voilà mon esquif, embarquons. Seulement, je m’aperçois avoir été bien imprévoyante, ma lanterne ne contient qu’un maigre reste de bougie, ne perdons pas de temps.

Elle calcula traverser environ la largeur des douves, puis le bateau alla buter contre un mur.

— Encore un cul de sac ! pas d’issue !

La lanterne levée haut, l’audacieuse enfant, nullement effrayée, mais ennuyée de ne savoir où aboutirait pareille promenade, examinait avec une scrupuleuse attention les parois rugueuses de vieilles pierres moussues.

Ses doigts rencontrèrent un anneau de fer ; était-ce pour attacher le bateau ? à quoi bon, il n’y avait aucun courant ; dans l’étroit chenal, elle avait dû avancer avec l’aide de ses mains appuyées aux murs.

L’anneau avait un but cependant. Véga le tira dans tous les sens et finit par le tourner. C’était la bonne manœuvre, il y eut un déclic, un petit carré de fer apparut. Au milieu de ce carré une poignée de verrou.

La faire jouer fut aisé, car il paraissait soigneusement huilé.

Il n’y avait plus qu’à pousser, une partie des pierres du mur tourna sur une largeur d’environ cinquante centimètres et une hauteur du double.

Vite la jeune fille s’engouffra dans le mystère nouveau, sa triste lueur allait mourant, elle aperçut un chemin en pente raide dont elle ne put définir la longueur noyée de nuit.

Elle courut… le toit s’abaissait, il lui fallait se courber, puis de grosses racines traversant les roches envahissant le souterrain, elle butait, y voyait de moins en moins.

Soudain, la mèche lança une dernière étincelle, qui montra encore une longue perspective, et elle mourut.

C’étaient les ténèbres absolues.

La jeune fille marchait. À présent, le sol était droit, sec, cela semblait du sable, les parois qu’elle touchait des deux côtés n’étaient plus humides. Elle comprit être sous la sapinière. Ce chemin ne finissait donc pas ? traversait-il tout le parc ? où allait-il ?

La Revenante venait-elle par là ? sûrement. Ah ! quelle chance ce serait de la rencontrer. Véga se souvint qu’il y avait deux ou trois allumettes dans la lanterne, elle en saisit une et, avec d’inouïes précautions pour ne pas la rater, elle la frotta sur sa manche de laine, c’était plus sûr que le hasard d’une pierre humide.

Un peu de fugitive clarté jaillit. La voûte se relevait, la jeune fille put se redresser, mais le chemin continuait, invraisemblablement long, étroit, pareil… puis de nouveau la nuit fut… complète.

— Je comprends pourquoi l’apparition se revêt d’une robe phosphorescente, se dit Véga, si elle se promène là dedans, elle ne veut pas être exposée à perdre sa chandelle. Si mon pauvre ami Daniel revient jamais, je lui demanderai d’amener ici un fil conducteur d’électricité.

Après encore une centaine de pas, Véga risqua sa dernière allumette, mais celle-ci craqua et mourut trop humide sans doute.

Bravement, sans une inquiétude, l’aventureuse enfant continua sa course, à présent les murs ne touchaient plus ses coudes, très sensiblement le souterrain s’élargissait, s’exhaussait aussi, car les bras levés n’atteignaient pas le plafond.

Elle se baissa, le sol restait de sable sec, elle alla joindre un mur, le comprit en courbe, et alors elle fit le tour d’une pièce ronde.

— Une cave, un cachot, une oubliette ? Je suis un peu lasse, je vais me reposer, quelle heure peut-il bien être ?

Véga avait sa montre, elle l’entendait vivre dans le silence pesant. Seulement, pour voir, il n’y fallait pas compter. Elle l’ouvrit et avec les doigts tâta les aiguilles, la petite aiguille était sur cinq heures et la grande sur neuf heures.

— Le jour doit luire, pensa-t-elle, je ne vois rien, donc il n’y a ici aucune issue. Je crois que le plus sage serait de dormir, la Revenante finira bien par venir me délivrer de ce tombeau.

Seulement dormir, même lorsqu’on est inaccessible à la peur, n’est pas aisé quand les nerfs surexcités veulent une solution. Véga se releva, explora les entours avec ses doigts prudents ; elle s’aperçut qu’à un endroit elle touchait non la pierre, mais un battant de fer, elle le devina de la grandeur d’une porte, elle en étudia toutes les aspérités. Les clous, les anneaux, les chaînes, elle en avait l’expérience, seulement cette porte là était lisse.

Agacée, elle se rua contre elle de toutes ses forces et grande fut sa surprise de sentir que la porte cédait, lui livrait passage et retombait comme une portière de tapisserie…

Elle buta et faillit tomber, un escalier montant était devant elle. Tout de suite elle s’y engagea, un peu d’air plus vif arrivait et soudain elle éprouva un soulagement immense, une espèce de meurtrière envoyait du jour ! Oh ! le jour ! quel infini bonheur, le jour c’est la vie. Elle essaya de voir au dehors. C’étaient des arbres, des sapins.

En haut de l’escalier, elle se trouva dans un chemin de ronde et elle comprit.

— Me voilà dans le mur d’enceinte, je vais aboutir aux tours qui marquent l’entrée du parc du côté de la montagne.

Elle marchait allègrement, gaie maintenant, l’espoir au cœur, sa montre indiquait six heures, les oiseaux chantaient, elle percevait leurs voix amies par les meurtrières.

De temps à autre il y avait une petite plateforme formée par une tourelle en cul de lampe, puis ce fut la grande plateforme des tours en poivrière.

Elle se retrouvait fort bien. En bas était le jardin. Il ne lui restait qu’à descendre, par quel moyen ?

Évidemment il y en avait un, les hommes d’armes du moyen âge, à l’époque où toutes ces fortifications servaient, avaient un moyen probable de sortir de ce faîte. Le souterrain devait avoir pour but le ravitaillement secret des troupes en cas de siège ou la fuite des vaincus. C’était ingénieux tout cela.

Véga commençait à mourir de faim. Une meurtrière plus large lui permit de passer sa tête et de se pencher. Ce qu’elle vit n’était guère rassurant

Elle était très haut et des traces de marches montraient que jadis un escalier extérieur avait existé ; il était détruit, mais il restait des trous le long du mur.

— Voilà, se dit l’intrépide, il faut que je me lance par ce moyen, car en vérité je n’ai pas le courage de recommencer la vie des catacombes, je vais en me faisant toute petite, franchir la meurtrière et avec mes pieds et mes mains descendre jusqu’au bord de la fenêtre que j’aperçois à mi-route… à moins que je ne saute d’ici dans les branches de sapins en essayant de m’y accrocher.

Elle allait accomplir ce périlleux projet, quand une dernière réflexion la retint.

— La Revenante a un autre chemin, et elle est trop grande et trop grosse pour franchir un pareil passage.

Véga regarda les murs, le toit, puis le dallage, elle s’agenouilla et se mit à taper sur les larges dalles de granit, elles avaient toutes une belle sonorité, Véga frappait avec le manche de son petit couteau de poche. Un écho lointain répondait. Mais tout à coup elle s’arrêta. Une voix venait à elle :

— Qui frappe ainsi ?

— Moi, Mme la Revenante, où êtes-vous ? je vous ai cherchée toute la nuit.

— Éloignez-vous, j’ouvre.

Une trappe glissa aussitôt presque sous les pieds de Véga, une échelle s’y appuyait, au bas de l’échelle, tenant en main la corde qu’elle venait de tirer, l’apparition attendait !