Véga la Magicienne/45

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L’Indépendant du Cher (p. 64-65).

XLV

Le revoir

L’Arcadia nageait dans les eaux françaises, le long de la côte sud atlantique, on allait aborder à Biarritz.

Véga, au lieu de suivre la manœuvre, s’était isolée dans sa cabine. Elle venait de s’étendre suivant le rite, mollement dévêtue, les cheveux épars et elle envoyait une dépêche télépathique.

Ses lèvres avaient prononcé haut le mot aux vibrations heureuses : Aour ! et mentalement, avec une force voltique capable de lancer d’intenses vibrations, elle disait : « Aour-Ruoa ! tu m’entends ? »

Un souffle froid sur sa joue montra l’émission partie du cerveau récepteur.

Elle continua, tendue de toute sa puissance d’énergie : « Je reste en France, je te renvoie l’Arcadia avec son équipage. Le pilote Ryna ne connaît pas les abords de l’île, elle risquerait de passer sur les torpilles dormantes qui gardent l’entrée de la Stella Negra. Expédie-lui un canot électrique qui croisera au nord à partir de demain. » Le souffle froid répondit, c’était l’avertisseur d’une communication, mais déjà Véga ne voulait plus rien percevoir, elle secouait cette chaîne morale qui la blessait à présent qu’elle savait… D’un bond, elle se leva.

L’effort qu’elle venait de faire l’avait brisée comme toujours, elle ruisselait de sueur, sa tête lui faisait mal, ses membres étaient courbaturés.

Elle ouvrit le sabord, un rayon de soleil filtra et elle s’y exposa immobile pour puiser en cette incomparable rénovation l’énergie et dissiper la déperdition anémique qu’elle venait de subir.

Quelques minutes plus tard, l’Arcadia se rangeait le long du Môle :

— Adieu, mes matelottes, dit Véga, adieu, vous avez été pour moi des amies, allez à l’île de la Stella Negra, on vous y attend, on vous donnera les ordres pour l’avenir, vous n’êtes plus à moi. Prenez dans le secrétaire de ma cabine tout l’or qui s’y trouve. Je n’ai plus besoin de vous.

Ces paroles prononcées sans regret, Véga s’élança sur la passerelle jetée entre le pont de son bateau et le quai. Là, elle n’eut pas le temps de se reconnaître. Deux bras l’enlaçaient :

— Ma chérie ! mon trésor !

— Mon Daniel !

Il l’entraînait, une automobile les reçut.

Incapables de parler dans leur bonheur de se revoir, ils se regardaient, les mains unies. Il finit par dire :

— Depuis votre télégramme, je n’ai pas quitté le port. Elle répondit :

— Depuis notre séparation, votre pensée n’a pas un instant quitté mon cœur.

— Ma bien-aimée, combien cette minute paye de souffrances.

— Où allons-nous ?

— D’abord à l’hôtel ; après, si vous le voulez, à Val-Salut ou à Paris.

— Oui, je vous dirai ensuite quel est mon plan.

— Nous l’accomplirons ensemble.

Elle secoua sa tête mutine : Non, moi seule, pour commencer. Avant tout, Daniel, où est donc Mme Angela ?

— Que dites-vous ?

— C’est vrai, vous ignorez… où sont votre chauffeur et votre valet de chambre ?

— Mon chauffeur nous conduit et Wilhem nous attend à l’hôtel.

— Depuis quand sont-ils de retour ?

— Depuis… ah ! comme je vivais hors du temps sans vous, je ne sais plus. S’est-il passé des mois depuis notre séparation ?

— Juste deux. Seulement, ils ont été remplis d’événements. J’interrogerai moi-même ces gens.

— Je les ai retrouvés à Val-Salut, désespérés tous deux de vous avoir perdue, vous croyant morte.

— Mais vous ?…

— Moi, c’est un récit trop long pour le moment, je vous le ferai en détail, nous voici à l’hôtel.

— Qu’allons-nous y faire ?

— Vous reposer, dîner, nous pourrons partir demain matin.

— Volontiers, cependant j’ai hâte d’être à Val-Salut à cause de Mme Angela.

Wilhem s’était précipité pour ouvrir la portière.

— Ah ! Mademoiselle Véga !

— Mon bon Wilhem.

Véga tendait la main au fidèle valet et celui-ci d’un geste spontané, tout comme un gentilhomme, osait y mettre ses lèvres.

Daniel sourit et Véga pensa : mes frères aussi sont des valets. Et bonne, elle se retourna vers le chauffeur :

— Léonard, je suis bien contente de vous revoir.

— Et moi donc, Mademoiselle, nous avons été si inquiets !

— Wilhem, voulez-vous venir avec moi un moment, me conduire à mon appartement, prenez ma valise.

— Je vous suis, Mademoiselle.

Quand la porte de la chambre fut fermée, la jeune fille demanda :

— Qu’est devenue la dame qui m’accompagnait quand nous fûmes capturés par les Séquestratores ?

— Cette dame a attendu huit jours à l’hôtel de France, elle était mortellement angoissée, elle passait ses heures à prier. Au jour convenu, elle a reçu un chèque, elle m’a dit de venir avec elle le toucher à la banque d’Espagne. Nous avons pris tout l’or et les billets, puis nous avons été le porter où ces bandits avaient indiqué.

— Et vous en avez vu de ces bandits ?

— Aucun. Au guichet de la banque, on nous a pris notre argent, on nous a donné un reçu et nous sommes partis, espérant bien vous trouver comme cela avait été entendu, parce que ces gens-là, dit-on, ne manquent jamais à leur parole…

— Alors ?

— La soirée a été pour nous horrible, nous guettions votre venue, Madame devenait folle de chagrin. Enfin, nous avons aperçu, à la nuit tombée, un homme qui arrivait à notre hôtel et se sauva comme un voleur. J’étais sur la porte, moi, j’observais, le caissier m’appela :

— Ceci est pour votre maîtresse, me dit-il.

— Comment Madame s’était-elle fait inscrire à l’hôtel ?

— Sous le nom de Mme Deblois. Je pris le paquet qui était très lourd et montai en hâte. Madame ouvrit la lettre avec angoisse, elle tremblait, ses yeux ne pouvaient lire, je dus l’aider, elle se figurait que dans le paquet il y avait… vos oreilles.

Véga ne put s’empêcher de rire :

— C’est vrai, les Séquestratores avaient menacé de me les couper et de les lui envoyer en boite cachetée. — La lettre disait ceci : « Nous vous renvoyons votre argent, nous ne pouvons vous rendre votre enfant, ou elle s’est enfuie, ou elle s’est noyée. Ses vêtements étaient au bord du torrent, il est supposable qu’elle n’est pas partie nue. »

Le paquet contenait l’argent.

Madame venait de s’évanouir.

Moi, j’appelai la femme de chambre de l’hôtel et je sortis. Je pensai que Mademoiselle avait dû s’envoler.

— Justement, Wilhem. Vous avez deviné.

Quand Madame fut revenue à elle, je lui expliquai ceci ; mais elle me crut un peu fou et me dit de retourner au château avec l’auto et Léonard. Quant à elle, aussitôt remise de cette secousse et en état de voyager, elle irait à Paris à la recherche d’un parent dont elle espérait quelques éclaircissements.

— Elle vous a dit le nom de ce parent ?

— Je crois que c’est le baron de Barbentan.

— C’est cela. Pauvre femme ! Avez-vous parlé à M. le Comte de Mme Deblois ?

— Non, M. le Comte ne s’occupait que de Mademoiselle, il ne causait à personne, il était figé dans sa peine.

— Quand est-il revenu vers vous ?

— Il y a environ trois semaines. Il est arrivé un soir, à pied, de la gare de Bagnères. Il a dit : « Avez-vous des nouvelles de Mlle Véga ? » Sur notre réponse négative, il est tombé dans une mélancolie noire… dont il n’est sorti que lors de l’arrivée du câblogramme. Oh ! alors ça été une telle joie que nous pensions qu’il allait en perdre la raison. Il a fallu partir tout de suite pour Biarritz.

Nous sommes venus à une allure folle et depuis notre arrivée M. le Comte ne quittait plus le port, j’étais obligé de l’emmener presque de force pour manger et je montais la garde à sa place pendant ses courts repas. C’est bien heureux que Mlle Véga soit revenue, car M. le Comte serait mort à coup sûr.

— Ce qu’il faut maintenant, Wilhem, c’est retrouver Mme Deblois. Voit-on toujours des lueurs dans la chambre hantée à Val-Salut ?

— Non, Mademoiselle. Depuis l’incendie, nous n’avons rien aperçu.

— Allez maintenant, Wilhem, je descends dans un instant.

L’honnête valet sortit.

Véga comprenait bien la situation. Mme Angela avait voulu essayer d’attendrir son neveu Barbentan. Elle avait dû aller le rejoindre à Paris ou ailleurs, lui offrir de l’or… l’obliger à lui révéler la retraite de son fils. Pauvre mère !

Mais Daniel frappait à la porte impatient.

— Véga chérie ! le dîner est servi. Venez.