Vénus dans le cloître ou la Religieuse en chemise, éd. 1920/01

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Texte établi par B. V. (Bagneux de Villeneuve, alias Raoul Vèze), Bibliothèque des curieux (p. 7-46).
Premier entretien

VÉNUS DANS LE CLOÎTRE

OU

LA RELIGIEUSE EN CHEMISE



PREMIER ENTRETIEN


SŒUR AGNÈS, SŒUR ANGÉLIQUE


Agnès. — Ah Dieu ! sœur Angélique, n’entrez pas dans ma chambre ; je ne suis pas visible à présent. Faut-il ainsi surprendre les personnes dans l’état où Je suis ? Je croyais avoir bien fermé la porte.

Angélique. — Eh bien ! tout doucement ; qu’as-tu à t’alarmer ? Le grand mal de t’avoir trouvée changeant de chemise, ou faisant autre chose de mieux ! Les bonnes amies ne se doivent aucunement cacher les unes aux autres. Assieds-toi sur ta couche comme tu étais, je vais fermer la porte sur nous.

Agnès. — Je vous assure, ma sœur, que je mourrais de confusion si une autre que vous m’avait ainsi surprise ; mais je suis certaine que vous avez beaucoup d’affection pour moi, c’est pourquoi je n’ai pas sujet de rien craindre de vous, quelque chose que vous eussiez pu voir.

Angélique. — Tu as raison, mon enfant, de parler de la sorte ; et quand je n’aurais pas pour toi toute la tendresse qu’un cœur peut ressentir, tu devrais toujours avoir l’esprit en repos de ce côté-là. Il y a sept ans que je suis religieuse ; je suis entrée dans le cloître à treize, et je puis dire que je ne me suis point encore fait d’ennemies par ma mauvaise conduite, ayant toujours eu la médisance en horreur, et ne faisant rien plus au gré de mon cœur que lorsque je rends service à quelques-unes de la communauté. C’est cette manière d’agir qui m’a procuré l’affection de la plupart, et qui m’a surtout assuré celle de notre supérieure, qui ne m’est pas d’un petit usage dans l’occasion.

Agnès. — Je le sais, et je suis souvent étonnée comment vous aviez pu faire pour vous ménager celles même qui sont d’un parti différent : il faut sans doute avoir autant d’adresse et d’esprit que vous, pour engager de telles personnes. Pour moi, je n’ai jamais pu me gêner dans mes affections, ni travailler à avoir pour amies celles qui, naturellement, m’étaient indifférentes. C’est là le faible de mon génie, qui est ennemi de la contrainte, et qui veut en tout agir librement.

Angélique. — Il est vrai qu’il est bien doux de se laisser conduire à cette nature pure et innocente, en suivant uniquement les inclinations qu’elle nous donne ; mais l’honneur et l’ambition, qui sont venus troubler le repos des cloîtres, obligent celles qui y sont entrées à se partager, et à faire souvent par prudence ce qu’elles ne peuvent faire par inclination.

Agnès. — C’est-à-dire qu’une infinité qui croient être maîtresses de votre cœur n’en possèdent seulement que la peinture, et que toutes vos protestations les assurent souvent d’un bien dont elles ne jouissent pas en effet. Je craindrais fort, je vous l’avoue, d’être de ce nombre, et d’être une victime de votre politique.

Angélique. — Ah ! ma chère, tu me fais une injure ; la dissimulation n’a point de part à des amitiés aussi fortes que la nôtre. Je suis toute à toi ; et quand la nature m’aurait fait naître d’un même sang, elle ne m’aurait pas donné des sentiments plus tendres que ceux que je ressens. Permets que je t’embrasse, afin que nos cœurs se parlent l’un à l’autre au milieu de nos baisers.

Agnès. — Ah Dieu ! comme tu me serres entre tes bras ! Songes-tu que je suis nue, en chemise ? Ah ! tu me mets toute en feu !

Angélique. — Ah ! que ce vermeil, dont tu es à présent animée, augmente l’éclat de ta beauté ! Ah ! que ce feu, qui brille maintenant dans tes yeux, te rend aimable ! Faut-il qu’une fille aussi accomplie que toi soit si retirée comme tu es ? Non, non, mon enfant, je veux te faire part de mes plus secrètes habitudes, et te donner une idée parfaite de la conduite d’une sage religieuse. Je ne parle pas de cette sagesse austère et scrupuleuse qui ne se nourrit que de jeûnes, et ne se couvre que de haires et de cilices ; il en est une autre moins farouche, que toutes les personnes éclairées font profession de suivre, et qui n’a pas peu de rapport avec ton naturel amoureux.

Agnès. — Moi, d’un naturel amoureux ! Il faut certes que ma physionomie soit bien trompeuse, ou que vous n’en sachiez pas parfaitement les règles. Il n’y a rien qui me touche moins que cette passion, et depuis trois ans que je suis en religion, elle ne m’a pas donné la moindre inquiétude.

Angélique. — J’en doute fort, et je crois que si tu voulais en parler avec plus de sincérité, tu m’avouerais que je n’ai rien dit que de véritable. Quoi ! une fille de seize ans, d’un esprit aussi vif et d’un corps aussi bien formé que le tien, serait froide et insensible ? Non, je ne puis me le persuader : toutes tes démarches les plus négligées m’ont assurée du contraire, et ce je ne sais quoi que j’ai aperçu au travers de la serrure de ta porte, avant que d’entrer, me fait connaître que tu es une dissimulée.

Agnès. — Ah Dieu ! Je suis perdue !

Angélique. — Certes, tu n’es pas raisonnable. Dis-moi un peu ce que tu peux appréhender de moi, et si tu as sujet de craindre d’une amie ? Je ne t’ai dit cela que dans le dessein de te faire bien d’autres confidences de mon côté. Vraiment, ce sont là de belles bagatelles ! les plus scrupuleuses les mettent en usage, et cela s’appelle, en termes claustraux : l’Amusement des jeunes et le passe-temps des vieilles.

Agnès. — Mais encore, qu’avez-vous donc aperçu ?

Angélique. — Tu me fatigues par tes manières. Sais-tu bien que l’amour bannit toute crainte, et que si nous voulons vivre toutes deux dans une intelligence aussi parfaite que je le désire, tu ne me dois rien céler, et je ne dois rien avoir de caché pour toi. Baise-moi, mon cœur. Dans l’état où tu es, une discipline serait d’un bon usage pour te châtier du peu de retour que tu as pour l’amitié qu’on te marque. Ah Dieu ! que tu as d’embonpoint ! et que tu es d’une taille proportionnée ! Souffre que…

Agnès. — Ah ! de grâce ! laissez-moi en repos ; Je ne puis revenir de ma surprise ; car, de bonne foi, qu’avez-vous vu ?

Angélique. — Ne le sais-tu pas bien, sotte, ce que je puis avoir vu ? Je t’ai vue dans une action où je te servirai moi-même si tu veux, où ma main te fera à présent l’office que la tienne rendait tantôt charitablement à une autre partie de ton corps. Voilà le grand crime que j’ai découvert, que madame l’abbesse D. L. R. pratique, comme elle dit, dans ses divertissements les plus innocents, que la prieure ne rejette point, et que la maîtresse des novices appelle l’intromission extatique. Tu n’aurais pas cru que de si saintes âmes eussent été capables de s’occuper à des exercices si profanes. Leur mine et leur dehors t’ont déçue, et cet extérieur de sainteté, dont elles savent si bien se parer dans l’occasion, t’a fait penser qu’elles vivaient dans leur corps comme si elles n’étaient composées que du seul esprit. Ah ! mon enfant, que je t’instruirai de quantité de choses que tu ignores, et si tu veux avoir un peu de confiance en moi, et si tu me fais connaître la disposition d’esprit et de conscience où tu es à présent ! Après quoi, je veux que tu sois mon confesseur, je serai ta pénitente, et je te proteste que tu verras mon cœur aussi à découvert que si tu en ressentais toi-même les plus purs mouvements.

Agnès. — Après tant de paroles, je ne crois pas devoir douter de votre sincérité ; c’est pourquoi non seulement je vous apprendrai ce que vous souhaitez savoir de moi, mais même je veux me faire un sensible plaisir de vous communiquer jusqu’à mes plus secrètes pensées et actions. Ce sera une confession générale, dont je sais que vous n’avez pas dessein de vous prévaloir, mais dont la confidence que je vous en ferai ne servira qu’à nous unir l’une et l’autre d’un lien plus étroit et indissoluble.

Angélique. — Cela est sans doute, ma plus chère, et tu remarqueras dans la suite qu’il n’y a rien de plus doux dans ce monde que d’avoir une véritable amie, qui puisse être la dépositaire de nos secrets, de nos pensées et de nos afflictions même. Ah ! que des ouvertures de cœur sont soulageantes dans de semblables occasions ! Parle donc, ma mignonne ; je vais m’asseoir sur ta couche près de toi : il n’est pas nécessaire que tu t’habilles, la saison te permet de rester comme tu es ; il me semble que tu en es plus aimable, et que plus tu approches de l’état où la nature t’a fait naître, tu en as plus de charmes et de beauté. Embrasse-moi, ma chère Agnès, devant que de commencer, et confirme par tes baisers les protestations mutuelles que nous nous sommes données de nous aimer éternellement. Ah ! que ces baisers sont purs et innocents ! Ah ! qu’ils sont remplis de tendresse et de douceur ! Ah ! qu’ils me comblent de plaisir ! Un peu de trêve, mon petit cœur, je suis toute en feu, tu me mets aux abois par tes caresses. Ah Dieu ! que l’amour est puissant ! et que deviendrai-je, si de simples baisers me transportent et m’animent si vivement ?

Agnès. — Ah ! qu’il est difficile de se contenir dans les bornes de son devoir, lorsque nous lâchons tant soit peu la bride à cette passion ! Le croiriez-vous, Angélique, que ces badineries, qui, dans le fond, ne sont rien, ont agi merveilleusement sur moi ? Ah ! ah ! ah ! laissez-moi un peu respirer ; il semble que mon cœur est trop resserré à présent ! Ah ! que ces soupirs me soulagent ! Je commence à ressentir pour vous une affection nouvelle, et plus tendre et plus forte qu’auparavant ! Je ne sais d’où cela provient, car de simples baisers peuvent-ils causer tant de désordre dans une âme ? Il est vrai que vous êtes bien artificieuse dans vos caresses, et que toutes vos manières sont extraordinairement engageantes ; car vous m’avez tellement gagnée, que je suis maintenant plus à vous qu’à moi-même. Je crains même que dans l’excès de la satisfaction que j’ai goûtée, il ne se soit mêlé quelque chose qui me donnât sujet de réfléchir sur ma conscience ; cela me fâcherait bien ; car quand il faut que je parle à mon confesseur de ces sortes de matières, je meurs de honte, et je ne sais par où m’y prendre. Ah Dieu ! que nous sommes faibles, et que nos efforts sont vains pour surmonter les moindres saillies et les plus légères attaques d’une nature corrompue !

Angélique. — Voici l’endroit où Je t’attendais : je sais que tu as toujours été un peu scrupuleuse sur beaucoup de sujets, et qu’une certaine tendresse de conscience ne t’a pas donné peu de peine. Voilà ce que c’est que de tomber entre les mains d’un directeur mal appris et ignorant. Pour moi, je te dirai que j’ai été instruite d’un savant homme de quel air je devais me comporter pour vivre heureuse toute ma vie, sans rien faire néanmoins qui pût choquer la vue d’une communauté régulière, ou qui fût directement opposé aux commandements de Dieu.

Agnès. — Obligez-moi, sœur Angélique, de me donner une idée parfaite de cette belle conduite ; croyez que je suis entièrement disposée à vous entendre et à me laisser persuader par raisonnements, lorsque je ne pourrai les détruire par de plus forts. La promesse que je vous avais faite de me découvrir toute à vous n’en sera que mieux observée, parce qu’insensiblement dans mes réponses qui partageront notre entretien, vous remarquerez sur quel pied l’on m’a établie, et vous jugerez, par l’aveu sincère que je vous ferai de toutes choses, du bon ou du mauvais chemin que je suivrai.

Angélique. — Mon enfant, tu vas peut-être être surprise des leçons que je vais te donner, et tu seras étonnée d’entendre une fille de dix-neuf à vingt ans faire la savante, et de la voir pénétrer dans les plus cachés secrets de la politique religieuse. Ne crois pas, ma chère, qu’un esprit de vaine gloire anime mes paroles : non, je sais que j’étais encore moins éclairée que toi à ton âge, et que tout ce que j’ai appris a succédé à une ignorance extrême ; mais il faut que je t’avoue aussi qu’il faudrait m’accuser de stupidité, si les soins que plusieurs grands hommes ont pris à me former n’avaient été suivis d’aucun fruit, et si l’intelligence qu’ils m’ont donnée de plusieurs langues ne m’avait fait faire quelque progrès, par la lecture des bons livres.

Agnès. — Ma chère Angélique, commencez, je vous prie, vos instructions ; je languis dans l’impatience où Je suis de vous entendre. Vous n’avez jamais eu d’écolière plus attentive que je le serai à tous vos discours.

Angélique. — Comme nous ne sommes pas nées d’un sexe à faire des lois, nous devons obéir à celles que nous avons trouvées, et suivre, comme des vérités connues, beaucoup de choses qui d’elles-mêmes ne passent chez plusieurs que pour opinions. Je prétends, mon enfant, te confirmer par là dans les sentiments où tu es, qu’il y a un Dieu juste et miséricordieux, qui demande nos hommages, et qui, de la même bouche qu’il nous défend le mal, nous commande la pratique du bien. Mais comme tous ne conviennent pas de ce qui se doit appeler bien ou mal, et qu’une infinité d’actions pour lesquelles on nous donne de l’horreur sont reçues et approuvées chez nos voisins, je t’apprendrai en peu de paroles ce qu’un révérend Père jésuite, qui a une affection particulière pour moi, me disait dans le temps qu’il tâchait à m’ouvrir l’esprit et à le rendre capable des spéculations présentes.

Comme tout votre bonheur, ma chère Angélique (c’est ainsi qu’il me parlait), dépend d’une parfaite connaissance de l’état religieux que vous avez embrassé, je veux vous en faire une naïve peinture, et vous donner les moyens de vivre dans votre solitude, sans aucune inquiétude ou chagrin qui provienne de votre engagement. Pour procéder avec méthode dans l’instruction que je vous veux donner, vous devez remarquer que la religion (j’entends par ce mot tous les ordres monastiques) est composée de deux corps, dont l’un est purement céleste et surnaturel, et l’autre terrestre et corruptible, qui n’est que de l’invention des hommes ; l’un est politique, et l’autre mystique par rapport à Jésus-Christ, qui est l’unique chef de la véritable Église. L’un est permanent, parce qu’il consiste dans la parole de Dieu qui est immuable et éternelle, et l’autre est sujet à une infinité de changements, parce qu’il dépend de celle des hommes, qui est finie et faillible. Cela supposé, il faut séparer ces deux corps, et en faire un juste discernement, pour savoir à quoi nous sommes véritablement obligés. Ce n’est pas une petite difficulté de les bien démêler. La politique, comme la plus faible partie, s’est tellement unie à l’autre, qui est la plus forte, que tout est presque à présent confondu, et la voix des hommes confuse avec celle de Dieu. C’est de ce désordre que les illusions, les scrupules, les gênes, et ces bourrèlements de conscience, qui mettent souvent une pauvre âme au désespoir, ont pris naissance, et que ce joug, qui doit être léger et facile à porter, est devenu, par l’imposition des hommes, pesant, lourd et insupportable à plusieurs.

Parmi de si épaisses ténèbres et une si visible altération de toutes choses, il faut s’attacher uniquement au gros de l’arbre sans se mettre en peine d’embrasser ses branches et ses rameaux. Il faut se contenter d’obéir aux préceptes du souverain Législateur, et tenir pour certain que toutes ces œuvres de surérogation, auxquelles la voix des hommes nous veut engager, ne doivent pas nous causer un moment d’inquiétude. Il faut, en obéissant à ce Dieu qui nous commande, regarder si sa volonté est écrite de ses propres doigts, si elle sort de la bouche de son fils, ou si elle part seulement de celle du peuple. Tellement que sœur Angélique peut, sans scrupule, allonger ses chaînes, embellir sa solitude, et donnant un air gai à toutes ses actions, s’apprivoiser avec le monde. Elle peut, continua-t-il, se dispenser, autant que prudemment elle pourra faire, de l’exécution de tout ce fatras de vœux et promesses qu’elle a faits, indiscrètement, entre les mains des hommes, et rentrer dans les mêmes droits où elle était avant son engagement, ne suivant que ses premières obligations.

Voilà, poursuivit-il, pour ce qui regarde la paix intérieure ; car pour l’extérieur vous ne pouvez, «ms pécher contre la prudence, vous dispenser de le donner aux lois, aux coutumes et aux mœurs auxquelles vous vous êtes assujettie en entrant dans le cloître. Vous devez même paraître zélée et fervente dans les exercices les plus pénibles, si quelque intérêt de gloire ou d’honneur dépend de ces occupations ; vous pouvez parer votre chambre de haires, de cilices et de rosettes, et par ce dévot étalage, mériter autant que celle qui indiscrètement s’en déchirera le corps.

Agnès. — Ah ! que je suis ravie de t’entendre ! L’extrême plaisir que j’y ai pris m’a empêchée de t’interrompre, et cette liberté de conscience que tu commences à me rendre par ton discours me décharge d’un nombre presque infini de peines qui me tourmentaient. Mais continue, je te prie, et m’apprends quel a été le dessein de la politique dans l’établissement de tant d’ordres, dont les règles et les constitutions sont si rigoureuses.

Angélique. — On peut considérer, dans la fondation de tous les monastères, deux ouvriers qui y ont travaillé, à savoir, le fondateur et la politique. L’Intention du premier a souvent été pure, sainte et éloignée de tous les desseins de l’autre. Et sans avoir d’autre vue que le salut des âmes, il a proposé des règles et des manières de vivre qu’il a cru nécessaires, ou tout au moins utiles à son avancement spirituel et celui de son prochain. C’est par là que les déserts se sont peuplés, et que les cloîtres se sont bâtis. Le zèle d’un seul en échauffait plusieurs, et leur principale occupation étant de chanter continuellement les louanges du vrai Dieu, ils attiraient, par ces pieux exercices, des compagnies entières qui s’unissaient à eux et ne faisaient qu’un corps. Je parle, en ceci, de ce qui s’est passé dans la ferveur des premiers siècles ; car, pour le reste, il en faut raisonner autrement et ne pas penser que cette innocence primitive et ce beau caractère de dévotion se soient longtemps conservés, et aient fait le partage de ceux que nous voyons à présent.

La politique, qui ne peut rien souffrir de défectueux dans un État, voyant l’accroissement de ces reclus, leur désordre et leur dérèglement, a été obligée d’y mettre la main ; elle en a banni plusieurs, et retranché des constitutions des autres ce qu’elle n’a pas cru nécessaire à l’intérêt commun. Elle aurait bien voulu se défaire entièrement de ces sangsues qui, dans une oisiveté et une fainéantise horribles, se nourrissaient du labeur du pauvre peuple ; mais ce bouclier de la religion, dont ils se couvraient, et l’esprit du vulgaire dont ils s’étaient déjà emparés, ont fait prendre un autre tour, pour que ces sortes de compagnies ne fussent pas entièrement inutiles à la république.

La politique a donc regardé toutes ces maisons comme des lieux communs où elle se pourrait décharger de ses superfluités ; elle s’en sert pour le soulagement des familles que le grand nombre d’enfants rendrait pauvres et indigentes, s’ils n’avaient des endroits pour les retirer, et afin que leur retraite soit sans espérance de retour, elle a inventé les vœux, par lesquels elle prétend nous lier et nous attacher indissolublement à l’état qu’elle nous fait embrasser ; elle nous fait même renoncer aux droits que la nature nous a donnés, et nous sépare tellement du monde, que nous n’en faisons plus une partie. Tu conçois bien tout ceci ?

Agnès. — Oui, mais d’où vient que cette maudite politique, qui de libres nous rend esclaves, approuve davantage les règles qui n’ont rien que de rude et d’austère que celles qui sont moins rigoureuses ?

Angélique. — En voici la raison. Elle regarde les religieux et religieuses comme des membres retranchés de son corps et comme des parties séparées dont la vie ne lui semble en particulier utile à aucune chose, mais bien plutôt dommageable au public. Et comme ce serait une action qui paraîtrait inhumaine que de s’en défaire ouvertement, elle se sert de stratagèmes, et sous prétexte de dévotion, elle engage ces pauvres victimes à s’égorger elles-mêmes, et à se charger de tant de jeûnes, de pénitences et de mortifications, qu’enfin ces innocentes succombent et font place, par leur mort, à d’autres qui doivent être aussi misérables, si elles ne sont pas plus éclairées. De cette manière, un père est souvent le bourreau de ses enfants, et sans y penser il les sacrifie à la politique, lorsqu’il croit ne les offrir qu’à Dieu.

Agnès. — Ah ! pitoyable effet d’un détestable gouvernement ! Tu me donnes la vie, ma chère Angélique, en me retirant par tes raisons du grand chemin que je suivais. Peu de personnes mettaient plus en usage que moi toutes les mortifications les plus rudes. Je me suis accablée de coups de discipline pour combattre souvent des mouvements innocents de la nature, que mon directeur faisait passer pour des déréglements horribles. Ah ! faut-il que j’aie ainsi été dans l’abus ! C’est sans doute par cette cruelle maxime que les ordres mitigés sont méprisés, et que ceux qui n’ont rien que d’affreux sont loués et élevés jusqu’au ciel. Oh Dieu ! souffrez-vous qu’on abuse ainsi de votre nom pour des exécutions si injustes, et permettez-vous que des hommes vous contrefassent !

Angélique. — Ah ! mon enfant, que ces exclamations me font bien connaître qu’il te manque encore quelque lumière pour voir clair universellement en toutes choses ! Demeurons-en là : ton esprit n’est pas capable pour le présent d’une spéculation plus délicate. Aime Dieu et ton prochain, et crois que toute la loi est renfermée dans ces deux commandements.

Agnès. — Quoi ! Angélique, voudriez-vous me laisser dans quelque erreur ?

Angélique. — Non, mon cœur, tu seras pleinement instruite, et je te mettrai entre les mains un livre qui achèvera de te rendre savante, et où tu apprendras avec facilité ce que je n’aurais pu t’expliquer qu’avec confusion.

Agnès. — Cela suffit. Il faut que je vous avoue que j’ai trouvé cet endroit plaisant : Que les cloîtres sont les lieux communs où la politique se décharge de ses ordures ! Il me semble qu’on ne peut pas en parler d’une manière plus basse et plus humiliante.

Angélique. — Il est vrai que l’expression est un peu forte ; mais elle n’est guère plus choquante que celle d’un autre, qui disait que les moines et les moinesses étaient dans l’Église ce que les chats et les souris étaient dans l’arche de Noé.

Agnès. — Vous avez raison, et j’admire la facilité que vous avez à vous énoncer ; je ne voudrais pas, pour tout ce que je puis avoir de plus cher, que l’occasion de ma porte entr’ouverte n’eût donné lieu à notre entretien. Oui, j’ai pénétré dans le sens de toutes vos paroles.

Angélique. — Eh bien ! en feras-tu un bon usage ? et ce beau corps, qui n’est coupable d’aucun crime, sera-t-il encore traité comme le plus infâme scélérat qui soit au monde ?

Agnès. — Non, je prétends lui tenir compte du mauvais temps que je lui ai fait passer ; je lui en demande pardon, et en particulier d’une rude discipline que je lui fis hier ressentir par l’avis de mon confesseur.

Angélique. — Baise-moi, ma pauvre enfant ; je suis plus touchée de ce que tu me dis que si je l’avais éprouvé sur moi-même. Il faut que ce châtiment soit le dernier qui te fatigue ; mais encore te fis-tu grand mal ?

Agnès. — Hélas ! mon zèle était indiscret, et je croyais que plus je frappais, plus j’avais de mérite ; mon embonpoint et ma jeunesse me rendaient sensible aux moindres coups : tellement qu’à la fin de ce bel exercice, j’avais le derrière tout en feu ; je ne sais même si je n’y avais point quelque blessure, parce que j’étais tout à fait transportée, lorsque je l’outrageais si vivement.

Angélique. — Il faut, ma mignonne, que j’en fasse la visite, et que je vole de quoi est capable une ferveur mal conduite.

Agnès. — Oh Dieu ! faut-il que je souffre cela ! C’est donc tout de bon que vous parlez ? Je ne puis l’endurer sans confusion. Oh ! Oh !

Angélique — Et à quoi sert donc tout ce que je t’ai dit, si une sotte pudeur te retient encore ? Quel mal y a-t-il à m’accorder ce que je te demande ?

Agnès — Il est vrai, j’ai tort, et votre curiosité n’est point blâmable ; satisfaites-la comme vous souhaitez.

Angélique. — Oh ! le voilà donc à découvert, ce beau visage toujours voilé ! Mets-toi à genoux sur ta couche, et baisse un peu la tête, afin que je remarque la violence de tes coups. Ah ! bonté divine, quelle bigarrure ! Il me semble que je vois du taffetas de la Chine ou bien du rayé du temps passé ! Il faut avoir une grande dévotion au Mystère de la Flagellation pour s’en enluminer ainsi les fesses.

Agnès. — Eh bien ! as-tu assez contemplé cet innocent outragé ? Oh Dieu ! comme tu le manies ! Laisse-le en repos, afin qu’il reprenne son premier teint, et qu’il se défasse de ce coloris étranger. Quoi ! tu le baises ?

Angélique. — Ne t’y oppose pas, mon enfant ; j’ai l’âme du monde la plus compassive, et comme c’est une œuvre de miséricorde de consoler les affligés, je crois que je ne saurais leur faire trop de caresses pour dignement m’acquitter de ce devoir. Ah ! que tu as cette partie bien formée ! et que la blancheur et l’embonpoint qui y paraissent lui donnent d’éclat ! J’aperçois aussi un autre endroit qui n’est pas moins bien partagé de la nature, c’est la nature même.

Agnès. — Retire ta main, je te prie, de ce lieu, si tu ne veux y causer un incendie qui ne pourrait pas s’éteindre facilement. Il faut que je t’avoue mon faible : je suis la fille la plus sensible qui se puisse trouver, et ce qui ne causerait pas à d’autres la moindre émotion me met souvent tout en désordre.

Angélique. — Quoi ! tu n’es donc pas si froide comme tu voulais me persuader au commencement de notre conversation ! et je crois que tu feras aussi bien ton personnage qu’aucune que je connaisse, quand je t’aurai mise entre les mains de cinq ou six bons frères. Je souhaiterais pour ce sujet que le temps de la retraite, où je vais entrer selon la coutume, pût se différer, afin de me trouver avec toi au parloir. Mais il n’importe, je m’en consolerai par le récit que tu me feras de tout ce qui se sera passé ; à savoir si l’abbé aura mieux fait que le moine, si le feuillant l’aura emporté sur le jésuite, et enfin si toute la fratraille t’aura satisfaite.

Agnès. — Ah ! que je me figure d’embarras dans ces sortes d’entretiens, et qu’ils me trouveront novice en fait d’amourettes !

Angélique. — Ne te mets pas en peine ; ils savent de la manière qu’il faut user avec tout le monde, et un quart d’heure avec eux te rendra plus savante que tous les préceptes que tu pourrais recevoir de moi dans une semaine. Ça ! couvre ton derrière de peur qu’il ne s’enrhume : tiens, il aura encore ce baiser de moi, et celui-ci et celui-là.

Agnès. — Que tu es badine ! Crois-tu que j’aurais souffert ces sottises, sans que je sache que rien n’y est offensé ?

Angélique. — Si cela était, je pécherais donc à tout moment, car le soin qu’on m’a donné des écolières et des pensionnaires m’oblige à visiter leur maison de derrière bien souvent. Encore hier je donnai le fouet à une, plutôt pour ma satisfaction que pour aucune faute qu’elle eût commise : je prenais un plaisir singulier à la contempler ; elle est fort jolie et a déjà treize ans.

Agnès. — Je soupire après cet emploi de maîtresse de l’école, afin de prendre un semblable divertissement. Je suis frappée de cette fantaisie, et même je serais ravie de voir en toi ce que tu as considéré si attentivement dans ma personne.

Angélique. — Hélas ! mon enfant, la demande que tu me fais ne me surprend point ; nous sommes toutes formées de même pâte. Tiens, je me mets dans ta posture. Bon, lève ma jupe et ma chemise le plus haut que tu pourras.

Agnès. — J’ai grande envie de prendre ma discipline, et de faire en sorte que ces deux sœurs jumelles n’aient rien à me reprocher.

Angélique. — Ouf ! ouf ! ouf ! comme tu y vas ! Ces sortes de jeux ne me plaisent que quand ils ne sont pas violents. Trêve, trêve ! Si ta dévotion t’allait reprendre, je serais perdue. Oh Dieu ! que tu as le bras flexible ! J’ai dessein de t’associer dans mon office, mais il y faut un peu plus de modération.

Agnès. — Voilà certes bien de quoi se plaindre ! Ce n’est pas la dixième partie des coups que j’ai reçus ; je te remets le reste à une autre fois : il faut accorder quelque chose à ton peu de courage. Sais-tu bien que cet endroit en devient plus beau : un certain feu qui l’anime lui communique un vermillon plus pur et plus brillant que tout celui d’Espagne. Approche-toi un peu plus près de la fenêtre, afin que le jour m’en découvre toutes les beautés. Voilà qui est bien. Je ne me lasserais jamais de le regarder ; je vois tout ce que je souhaitais. Jusques à son voisinage. Pourquoi couvres-tu cette partie de ta main ?

Angélique. — Hélas ! tu peux la considérer aussi bien que le reste : s’il y a du mal à cette occupation, il n’est préjudiciable à personne et ne trouble aucunement la tranquillité publique.

Agnès. — Comment pourrait-il la troubler, puisque nous n’en faisons plus une partie ? outre que les fautes cachées sont à demi pardonnées.

Angélique. — Tu as raison, car si l’on pratiquait dans le monde autant de crimes, pour parler conformément à nos règles, comme il s’en commet dans les cloîtres, la police serait obligée d’en corriger les abus et couperait le cours à tous ces désordres.

Agnès. — Je crois aussi que les pères et mères ne permettraient jamais l’entrée de nos maisons à leurs enfants, s’ils en connaissaient le déréglement.

Angélique. — Il n’en faut pas douter ; mais comme la plupart des fautes y sont secrètes, et que la dissimulation y règne plus qu’en aucun endroit, tous ceux qui y demeurent n’en aperçoivent pas les défauts, mais servent eux-mêmes à engager les autres, outre que l’intérêt particulier des familles l’emporte souvent sur beaucoup d’autres considérations.

Agnès. — Les confesseurs et les directeurs des cloîtres ont un talent particulier pour faire aller dans leurs filets de pauvres innocentes, qui tombent dans un piège en pensant trouver un trésor.

Angélique. — Il est vrai, et je l’ai éprouvé en ma personne. Je n’avais aucun penchant pour la religion ; je combattais vivement les raisons de ceux qui m’y portaient, et jamais je n’y serais entrée, si un jésuite, qui pour lors gouvernait ce monastère, ne s’en était mêlé : un intérêt de famille obligea ma mère, qui m’aimait tendrement, et qui s’y était toujours opposée, à y donner les mains. J’y résistai longtemps parce que je ne prévoyais pas que le comte de la Roche, mon frère aîné, par le droit de noblesse et par les coutumes du pays, emportait presque tout le bien de la maison, et nous laissait six, sans autre appui que celui qu’il nous promettait, qui selon son humeur devait être peu de chose. Enfin il céda dix mille francs, à ce qu’il me dit, de ses prétentions, auxquels quatre furent ajoutés, tellement que j’apportai quatorze mille livres pour ma dot, en faisant profession dans ce couvent. Mais pour revenir à l’adresse de celui qui m’embaucha, tu sauras qu’on fit en sorte que je me rencontrasse avec lui, une après-dînée que j’étais allée rendre visite à une de mes cousines qui était religieuse, et qui mourait d’envie de me voir revêtue d’un habit semblable au sien.

Agnès. — N’était-ce pas sœur Victorie ?

Angélique. — Oui. Nous étant donc trouvés tous trois à un même parloir, le jésuite, Victorie et moi, nous commençâmes par les compliments et les civilités dont on use dans les premières entrevues ; elles furent suivies d’un discours de ce loyaliste touchant les vanités du siècle, et la difficulté de faire son salut dans le monde, qui disposa beaucoup mon esprit à se laisser tromper. Ce n’était néanmoins que de légères préparations : il avait bien d’autres subtilités pour s’insinuer dans mon intérieur, et pour me faire entrer dans ses sentiments. Il me disait quelquefois qu’il remarquait dans ma physionomie le véritable caractère d’une âme religieuse : qu’il avait un don particulier pour en faire un juste discernement, et que je ne pouvais, sans faire une injure à Dieu (c’est ainsi qu’il parlait), consacrer au monde une beauté aussi parfaite que la mienne.

Agnès. — Il ne s’y prenait pas mal. Que répondais-tu à tout cela ?

Angélique. — Je combattis d’abord ces premières raisons par d’autres que je lui opposais, et qu’il détruisait avec un artifice merveilleux. Victorie aidait encore à me tromper, et me faisait voir la religion du côté qu’elle peut avoir quelque chose d’aimable, et me cachait adroitement tout ce qui était capable de m’en rebuter. Enfin le jésuite, qui, comme j’ai appris, avait bien fait des conquêtes plus difficiles, fit ses derniers efforts pour s’assurer de la mienne. Il y réussit par la peinture qu’il me fit du monde et de la religion, et me contraignit par la force de son éloquence à embrasser étroitement son parti.

Agnès. — Mais encore, que dit-il qui fût capable d’exercer un pouvoir si absolu sur ton esprit ?

Angélique. — Je ne puis te le rapporter dans son étendue, car il me tint trois heures à la grille : tu sauras seulement qu’il me prouva, par des raisonnements que je croyais forts, que c’était là ma vocation, dans laquelle seule je pouvais faire mon salut, qu’il n’y avait point de sûreté pour moi, ni de chemin hors de là ; que le monde n’était rempli que d’écueils et de précipices, que les excès des religieux valaient mieux que la modération des mondains, et que le repos et la contemplation des uns étaient en même temps plus doux et plus méritoires que l’action et tout l’embarras des autres ; que c’était dans les cloîtres seuls que l’on pouvait traiter familièrement avec Dieu, et par conséquent, que pour se rendre digne d’une communication si sainte et si relevée, il fallait fuir la compagnie des hommes ; que c’était dans ces lieux que se conservaient les restes de l’ancienne ferveur des chrétiens et qu’on pouvait voir l’image véritable de la primitive Église.

Agnès. — On ne pouvait pas parler avec plus d’éloquence et tout ensemble avec plus d’artifice ; car je remarque qu’il ne te dit pas un mot des rigueurs et des austérités qui pouvaient t’épouvanter.

Angélique. — Tu te trompes, il n’oublia rien. Mais les peines et mortifications dont il me parla furent assaisonnées de tant de douceur, que je ne les trouvai point de mauvais goût. — Je ne veux rien vous cacher, me disait-il. Ces dévotes compagnies, dont j’espère que vous augmenterez le nombre, travaillent jour et nuit, par leurs austérités et pénitences, à dompter l’orgueil et l’insolence de la nature ; elles exercent sur leurs sens une violence qui dure toujours ; sans mourir, leur âme est séparée de leur corps, et méprisant également la douleur et la volupté, elles vivent comme si elles n’étaient faites que du seul esprit. Ce n’est pas tout, poursuivit-il d’un ton persuasif, elles font un sacrifice rigoureux de leur liberté, elles se dépouillent de tous leurs biens pour s’enrichir seulement d’espérances et s’imposent par des vœux solennels la nécessité d’une perpétuelle vertu.

Agnès. — C’était un maître orateur que ce disciple de Loyola : je souhaiterais le connaître.

Angélique. — Tu le connais bien, et je t’apprendrai de petites particularités de sa vie qui te feront croire qu’il fait plus d’un personnage. Mais il faut que je t’achève le reste. — Voilà, mademoiselle, bien des chaînes, des rigueurs et des mortifications que je vous présente ; mais, le croiriez-vous ? me dit-il, ces saintes âmes dont je vous parlais présentement sont glorieuses de ce joug, elles sont vaines de cette servitude, et il ne s’offre point de rude peine à souffrir, qu’elles n’estiment une grande récompense ; elles font toutes leurs amours et leur passion du service de Jésus-Christ ; c’est lui seul qui les met tout en feu, pour peu qu’il les touche ; c’est lui qui est l’unique maître de leur cœur, et qui sait faire succéder à leurs peines des joies et des douceurs incroyables.

Agnès. — Sans doute tu fus charmée par ce beau discoureur ?

Angélique. — Oui, mon enfant, ce charlatan me persuada ; ses paroles me changèrent en un moment ; elles m’arrachèrent à moi-même et me firent rechercher avec ardeur ce que j’avais toujours fui avec constance. Je devins la plus scrupuleuse du monde, et parce qu’il m’avait dit que hors du cloître je ne pouvais faire mon salut, je m’imaginais, devant que d’y être entrée, avoir tous les diables à mes côtés. Depuis ce temps, il a voulu lui-même me remettre dans le bon sens ; il m’a donné les connaissances qui pouvaient me tirer des ténèbres où il m’avait jetée, et c’est à sa morale que je dois tout le repos et la quiétude d’esprit que je possède.

Agnès. — Apprends-moi donc vite qui est ce personnage.

Angélique. — C’est le Père de Raucourt.

Agnès. — Oh Dieu ! quel enchanteur ! j’ai été une fois à confesse à lui, je le prenais pour l’homme du monde le plus dévot : il est vrai qu’il sait l’art de gagner les cœurs en perfection, et qu’il persuade ce qu’il désire. Mais je lui veux mal de m’avoir laissée dans l’erreur où il me trouva, et d’où il me pouvait dégager.

Angélique. — Ah ! qu’il est trop prudent pour se mettre ainsi au hasard ! Il te voyait dans une bigoterie extraordinaire, dans des scrupules horribles, et savait que d’une extrémité à l’autre on ne peut pas réduire une fille si facilement. Outre que si un seul saint éclairait tous les aveugles, il n’y aurait plus de miracles à faire pour les autres, tu m’entends bien ? c’est-à-dire que si tu avais eu la foi, tu aurais été guérie, et que si ce sage directeur eût reconnu en toi quelques dispositions à suivre ses ordonnances, il t’aurait servi de médecin.

Agnès. — Je le crois, mais j’aime autant t’en avoir l’obligation qu’à lui-même. Apprends-moi, je te prie, quelque trait de la vie de ce bienheureux.

Angélique. — Je le veux, mon petit cœur, baise-moi donc et m’embrasse bien amoureusement auparavant. Ah ! ah ! voilà qui est bien ! Ah ! que je suis charmée de la beauté de ta bouche et de tes yeux ; un seul de tes baisers me transporte plus que je ne puis te l’exprimer.

Agnès. — Commence donc. Ah ! que tu es une grande baiseuse !

Angélique. — Je ne me lasse jamais de caresser ce que je trouve aimable. Puisque tu connais le Père de Raucourt, il n’est pas nécessaire que je te dise que c’est l’homme du monde le plus intrigant, le plus adroit et le plus spirituel qui se puisse trouver. Seulement je t’apprendrai qu’en fait d’amitié il est délicat au dernier point, et que, comme il croit valoir quelque chose, il faut avoir bien des qualités pour lui plaire. Entre toutes ses conquêtes, il n’en comptait point de plus glorieuse que celle qu’il avait faite d’une jeune religieuse d’un couvent de cette ville, qui s’appelle sœur Virginie.

Agnès. — J’en ai ouï parler comme d’une beauté achevée, mais je n’en sait point d’autres particularités.

Angélique. — C’est une fille la plus belle qui se puisse voir, si le portrait que son galant m’en a montré est fidèle. Pour de l’esprit, elle en est autant bien partagée qu’elle le pouvait souhaiter ; elle est enjouée ; elle touche plusieurs instruments, et chante avec des charmes capables d’enlever les cœurs. Il y avait déjà quelques mois que notre jésuite se l’était entièrement acquise, et qu’ils jouissaient tous deux de cette douce tranquillité qui fait tout le bonheur des amants, lorsque la jalousie commença le désordre que tu vas entendre.

Il y avait dans ce même monastère une religieuse pour qui le père avait témoigné avoir de l’amitié, et à qui il avait fait plusieurs visites sur ce pied-là : il en avait même reçu quelques faveurs capables d’engager fortement un homme un peu fidèle, mais l’éclat de la beauté de Virginie l’emporta sur son cœur. Il se dégagea intérieurement de cette première habitude, et ne donna plus à cette pauvre fille que l’extérieur et les apparences d’un véritable amour. Elle s’aperçut bientôt du changement, et vit clairement qu’il y avait du partage. Elle dissimula néanmoins son chagrin, et voyant qu’elle avait affaire à une rivale qui la surpassait en tout, elle ne fit point dessein de s’attaquer à elle ; mais elle jura la perte de celui qui la méprisait.

Pour venir plus facilement à bout de son entreprise, elle étudia les heures et les moments que Virginie donnait à l’entretien de ce religieux amant ; et comme elle avait appris par expérience qu’il ne se contentait pas de paroles ni de faveurs légères, elle crut avec raison qu’elle pourrait les surprendre dans de certains exercices dont la connaissance la rendrait maîtresse du sort de son infidèle. Elle fut longtemps devant que de rien découvrir d’assez fort pour éclater : elle aperçut bien deux ou trois fois ce pauvre Père qui se réchauffait la main dans le sein de Virginie ; elle les vit se donnant quelques baisers avec une ardeur incroyable ; mais cela passait pour bagatelles dans son esprit, et, comme elle savait qu’on ne comptait dans le cloître ces sortes d’actions que pour des peccadilles que l’eau bénite efface, s’en tut, en attendant une meilleure occasion de parler.

Agnès. — Ah ! que je crains pour la pauvre Virginie !

Angélique. — Nos amants, qui ne se doutaient point des embûches qu’on leur dressait, ne prenaient point de mesures pour s’en défendre. Ils se voyaient deux ou trois fois la semaine, et s’écrivaient des billets lorsque la prudence les obligeait à se séparer pour quelque temps l’un de l’autre, de crainte de donner lieu à la médisance. Les lettres du Père, dont les expressions étaient fortes et tendres, achevèrent de lui gagner tout à fait Virginie. Il la fut voir après huit jours d’absence, et remarqua à ses yeux et à sa contenance qu’il en aurait ce qu’elle lui avait toujours refusé auparavant. Cependant, sa rivale n’était pas oisive ; car, étant d’intelligence avec la mère portière, elle venait d’apprendre l’arrivée du jésuite, et ne doutant point qu’après un si long intervalle. Ils n’en vinssent à des privautés telles qu’elle les aurait souhaitées pour soi-même, elle se transporta, animée de la jalousie, dans un lieu voisin du parloir, où, par le moyen d’une petite ouverture qu’elle avait faite, elle pouvait découvrir jusques aux moindres mouvements de ceux qui s’y entretenaient, et entendre leurs plus secrètes conversations.

Agnès. — C’est ici que ma crainte se renouvelle. Ah ! que je veux de mal à cette curieuse, de troubler si malicieusement le repos de deux malheureux amants !

Angélique. — Afin que les dépositions qu’elle avait dessein de faire de ce qu’elle verrait fussent reçues sans difficulté, elle prit avec elle une autre religieuse qui pût rendre un semblable témoignage. S’étant donc postées l’une et l’autre dans l’endroit dont je t’ai parlé, elles aperçurent nos deux amants qui s’entretenaient plus par leurs regards et par leurs soupirs que par les paroles. Ils se serraient étroitement la main, et, se regardant avec langueur, ils se disaient quelques mots de tendresse qui partaient plus de leur cœur que de leur bouche. Cette amoureuse contemplation fut suivie de l’ouverture d’une petite fenêtre carrée, qui était vers le milieu de la grille, et qui servait à passer les paquets un peu gros dont on faisait présent aux religieuses. Ce fut pour lors que Virginie reçut et donna mille baisers, mais avec des transports si grands, avec des saillies si surprenantes, que l’amour même n’aurait pas pu en augmenter l’ardeur. Ah ! ma chère Virginie, commença notre passionné, vous voulus donc que nous en demeurions là ? Hélas ! que vous avez peu de retour pour ceux qui vous aiment, et que vous savez bien pratiquer l’art de les tourmenter ! — En quoi, reprit notre vestale, puis-je encore vous faire présent de quelque chose, après vous avoir donné mon cœur ? Ah ! que votre amour est tyrannique ! Je sais ce que vous désirez ; je sais même que j’ai eu la faiblesse de vous le faire espérer ; mais je n’ignore pas que c’est tout mon bien et toute ma richesse, et que je ne puis vous l’accorder qu’en me réduisant à l’extrémité. Ne pouvons-nous pas, en demeurant dans les termes où nous sommes, passer ensemble de doux moments, et goûter des plaisirs d’autant plus parfaits qu’ils seront purs et innocents ? Si votre bonheur, comme vous me dites, ne dépend que de la perte de ce que j’ai de plus cher, vous ne pouvez être heureux qu’une seule fois, et moi toujours misérable, puisque c’est une chose qui ne se peut recouvrer pour se laisser perdre comme auparavant. Croyez-moi, aimons-nous comme un frère aime une sœur, et donnons à cet amour toutes les libertés qu’il pourra s’imaginer, à l’exception d’une seule. »

Agnès. — Et le jésuite ne répondait-il point à tout cela ?

Angélique. — Non ; pendant tout ce discours il ne dit rien ; mais, se soutenant la tête d’une main, dans une posture de mélancolique, Il regardait avec des yeux remplis de langueur celle qui lui parlait. Après quoi, lui prenant la main au travers de la grille, il lui dit d’un air touchant : « Il faut donc changer de méthode et n’aimer plus comme auparavant. Le pouvez-vous, Virginie ? Pour moi, Je ne puis rien retrancher de mon amour : les règles que vous venez de me prescrire ne peuvent être reçues d’un véritable amant. » Il lui exagéra ensuite avec tant de feu l’excès de son ardeur qu’il la déconcerta entièrement et tira d’elle une promesse de vive voix de lui accorder dans quelques jours ce qui seul devait le rendre parfaitement heureux. Il la fit, pour lors, approcher plus près de la grille, et, l’ayant fait monter sur un siège un peu élevé, il la conjura de lui permettre au moins de satisfaire sa vue, puisque toute autre liberté lui était défendue. Elle lui obéit après quelques résistance et lui donna le temps de voir et de manier les endroits consacrés à la chasteté et à la continence. Elle, de son côté, voulut aussi contenter ses yeux par une pareille curiosité ; le jésuite, qui n’était pas insensible, en trouva aisément les moyens, et elle obtint de lui ce qu’elle désirait, avec plus de facilité qu’elle ne lui avait accordé. Ce fut là le moment fatal de l’un et de l’autre, et celui que désiraient nos espionnes. Elles contemplaient avec une satisfaction extraordinaire les plus beaux endroits du corps nu de leur compagne, que le Jésuite mettait à découvert et qu’il maniait avec les transports d’un amant insensé. Tantôt elles admiraient une partie, tantôt une autre, selon que le Père officieux tournait et faisait changer de situation à son amante ; tellement que quand il considérait le devant il leur exposait en vue son derrière, parce que sa jupe, d’un côté et de l’autre, était levée jusqu’à la ceinture.

Agnès. — Il me semble que je suis présente à ce spectacle, tant tu en rapportes l’histoire naïvement.

Angélique. — Enfin ils terminèrent leurs badineries, et nos deux sœurs se retirèrent dans le dessein de couper le cours à ces amours mal conduites et d’empêcher l’effet de la promesse de Virginie. Par un bonheur particulier pour cette pauvre innocente, la religieuse que sa rivale s’était associée dans la considération de ce qui s’était passé, avait une amitié bien tendre pour elle et tâcha de trouver un biais pour détruire le jésuite, sans nuire à celle qu’elle chérissait. Elle lui fit connaître ce qu’elle savait d’elle, l’assura de ne rien faire à son préjudice, pourvu qu’elle lui promit de rompre entièrement avec ce religieux et de n’avoir pas à l’avenir la moindre communication avec lui. Virginie, toute honteuse de ce qu’elle apprenait, s’engagea à tout ce qu’on voulut, demandant seulement avec instance que l’on conservât la réputation du jésuite, parce qu’il était impossible de nuire à l’un sans porter dommage à l’autre. Elle protesta qu’elle ne voulait plus le voir et que le billet qu’elle allait écrire pour lui donner avis de ne plus revenir serait le dernier qu’il recevrait d’elle. Ces conditions furent reçues de toutes deux, quoique avec peine. Elles embrassèrent Virginie, dont elles étaient devenues amoureuses, et dirent en la quittant qu’elles voulaient prendre la place du Père et lier une étroite amitié avec elle.

Agnès. — Elle en était quitte à bon marché. Je crois qu’elle devait cette indulgence à sa beauté et à ses autres qualités, qui la rendirent sans doute aimable à son ennemie même.

Angélique. — Ce n’est pas encore ici la fin de notre histoire. Virginie écrivit donc promptement au Père de Raucourt, et l’avertit par son billet de tout ce qui se passait et des conditions auxquelles elle s’était engagée pour sauver son honneur et le sien. Elle lui remontra le danger où il s’exposerait s’il revenait pour la voir, et lui fit connaître qu’il était même impossible qu’elle reçût de ses lettres s’il ne se servait d’une intrigue particulière pour éviter les surprises. Elle finissait par des protestations d’un amour constant et à l’épreuve de toutes les plus rudes attaques de la jalousie, et lui faisait espérer que le temps pourrait dissiper cet orage qui les menaçait et les rendre plus heureux que jamais, je ne dis point avec quelle surprise le Père reçut et lut cette lettre. Ce fut un coup de foudre qui le frappa. Il vit qu’il n’était pas à propos d’y faire réponse et qu’il fallait céder au malheur qui s’opposait à sa bonne fortune dans le moment qu’il était près d’en jouir.

Trois semaines s’étaient déjà passées de ce veuvage lorsque Virginie, s’ennuyant de sa solitude, trouva, par une adresse merveilleuse, le moyen d’apprendre des nouvelles de son amant et de lui faire part des siennes. Elle feignit de s’être oubliée d’envoyer au Père de Raucourt un bonnet carré qu’il lui avait donné à faire du temps de leurs familiarités passées. Sa rivale lui dit qu’elle eût à le lui remettre entre les mains et qu’elle le ferait tenir par une tourière. Cela fut fait. La messagère fut avertie de la manière qu’elle devait parler. Elle s’acquitta de sa commission de point en point, et le jésuite, après avoir reçu le bonnet, la pria d’attendre un moment dans l’église, afin d’avoir lieu de penser à ce qu’il voyait. Après un peu de réflexion, il se douta du stratagème, fit ouverture dans un endroit du bonnet, et y trouva une lettre de Virginie ; sans l’examiner beaucoup, il y fit promptement la réponse, qu’il plaça dans le même lieu, qu’il ferma le mieux qu’il put avec deux ou trois points d’aiguille. Il revint joindre la tourière, qu’il pria de reporter le bonnet afin qu’on le raccommodât, parce qu’il était de beaucoup trop étroit pour lui, qu’il l’avait fait essayer à plusieurs de la maison afin d’exempter la personne de la peine qu’elle aurait à le reformer, mais qu’il ne s’était trouvé aucun Père à qui il fût propre ; qu’au reste il lui était fort obligé de la patience qu’elle avait eue d’attendre si longtemps. La bonne sœur répondit par ses révérences aux civilités du Père et remporta le bonnet carré au monastère ; elle le remit, par l’ordre de celle qui l’avait envoyé, entre les mains de Virginie, qui fut ravie d’y apprendre des nouvelles de celui qu’elle aimait, et de son artifice, qui avait si bien réussi.

Agnès. — Il faut avouer que l’amour est bien inventif !

Angélique. — Ce commerce dura plus d’un mois. Il y avait toujours quelque chose à refaire à ce vénérable bonnet ; de trois jours l’un, il fallait le porter au collège et le rapporter au monastère. Personne ne s’imaginait néanmoins qu’il y eût rien de mystérieux dans une semblable chose ; on n’y prenait pas garde, et ils auraient pu encore se servir de ce postillon, sans l’accident qui le cassa aux gages.

Agnès. — Oh ! Dieu ! je m’imagine que le pot aux roses fut découvert par la tourière.

Angélique. — Non, tu te trompes. Cela vint de ce qu’un jour de jeûne le portier des Jésuites était de mauvaise humeur, pour n’avoir peut-être pas vidé sa roquille à l’ordinaire ; la tourière, qui avait une infinité de commissions, et entre autres celle du bonnet, sonna deux ou trois fois à la porte du collège pour se décharger au plus tôt de son message. Ce bon frère partit du jardin où il était, et, étant arrivé hors d’haleine, pensant que ce fût quelque évêque ou archevêque, ou quelque autre grandeur qui eût ainsi sonné en maître, il fut bien surpris à la vue de la bonne sœur, qui n’avait rien autre chose à lui dire que de remettre le bonnet carré entre les mains du Père de Raucourt. Ce demi-cuistre, rabattu par tant de visites qui ne lui plaisaient pas, s’emporta de colère et dit que ce bonnet-là se promenait trop souvent et qu’il le mettrait en la disposition d’un homme qui lui ferait faire un peu de retraite. La tourière, s’excusant le mieux qu’il lui fut possible, se retira ; le recteur, qui attendait un compagnon dans la porterie pour sortir, ayant entendu le dialogue, appela le frère et voulut apprendre le sujet du différend et pourquoi il traitait ainsi rudement les personnes qui avaient affaire à ceux de la maison. Celui-ci, se voyant chapitré de son supérieur, lui dit tout ce qu’il pensait de ce bonnet, l’assura qu’il avait déjà fait près de vingt tours et retours du collège au monastère, que, sans doute, il y avait quelque dessein caché dans ces manières et que, s’il plaisait à sa révérence, il visiterait cette pièce, qu’il disait de contrebande : ce qu’il fit à l’instant, et d’un coup de ciseaux il fit voir le jour au quinzième enfant du bonnet carré, qui venait en droite ligne de la sœur Virginie.

Agnès. — Oh ! Dieu ! qu’une personne a de peine à se sauver quand un mauvais destin la poursuit et qu’il a juré sa perte ! Qu’arriva-t-il de tout cela ?

Angélique. — Il est arrivé que le Père a été confiné dans une autre province, et que la pauvre Virginie a été mortifiée de quelques pénitences ; et c’est de là qu’est venu le proverbe : qu’il y a bien de la malice sous le bonnet carré d’un Jésuite.

Agnès. — Ah ! Dieu ! c’était pour elle seule que j’appréhendais. Mais dis-moi comment cela vint à la connaissance de la prieure.

Angélique. — Je serais trop longtemps à t’entretenir de la même chose. Dans la première conversation qui succédera à ma retraite, je t’en dirai davantage sur ce sujet. Je te ferai voir deux enfants du bonnet carré et t’apprendrai le sort de leurs père et mère. Pense seulement à présent, ma plus chère, que je vais passer huit ou dix jours bien tristement, puisqu’il me sera défendu d’avoir la moindre conférence avec toi. Je vais écrire à trois de mes bons amis afin qu’ils te fassent visite pendant ce temps : il y a un abbé, un feuillant et un capucin.

Agnès. — Oh ! Dieu ! quelle bigarrure ! Eh ! que voulez-vous que je fasse avec tous ces gens-là, que je ne connais point ?

Angélique. — Tu n’as qu’à être obéissante : ils t’apprendront assez ce qui sera de ton devoir pour les satisfaire et pour te contenter. Tiens, voici un livre que je te prête ; fais-en un bon usage : il t’instruira de beaucoup de choses, et donnera à ton esprit toute la quiétude que tu peux souhaiter. Baise-moi, ma chère enfant, pour tout le temps que je serai sans te voir. Ah ! que je passerais ma retraite avec bien du plaisir, si le directeur que j’aurai était aussi aimable et aussi docile que toi ! Adieu, mon cœur, habille-toi, tiens secrètes toutes nos amitiés, et te prépare à me faire le récit de tous tes divertissements, lorsque je serai sortie de mes exercices.